TOUS LES TITRES
+

▸ les 10 dernières parutions

24.11.2024 à 20:02

Évasion fiscale : la commission des finances de l'Assemblée nationale sonne l'alerte

Équipe de l'Observatoire

La commission des finances vient de publier un nouveau rapport spécial sur l'évasion fiscale. Ce rapport spécial, annexé au projet de loi de finances 2025, le troisième du genre, sonne l'alerte. Il appelle à faire de la lutte contre l'évasion fiscale un enjeu politique prioritaire.
Rappelons tout d'abord la genèse d'un tel rapport. En 2022, la nouveau président de la Commission des finances, Eric Coquerel, a souhaité mettre un coup de projecteur sur le sujet. Il a ainsi souhaité qu'un (…)

- Actualités

Texte intégral 1897 mots

La commission des finances vient de publier un nouveau rapport spécial sur l'évasion fiscale. Ce rapport spécial, annexé au projet de loi de finances 2025, le troisième du genre, sonne l'alerte. Il appelle à faire de la lutte contre l'évasion fiscale un enjeu politique prioritaire.

Rappelons tout d'abord la genèse d'un tel rapport. En 2022, la nouveau président de la Commission des finances, Eric Coquerel, a souhaité mettre un coup de projecteur sur le sujet. Il a ainsi souhaité qu'un rapport spécial annuel sur l'évasion fiscale soit en quelque sorte dissocié du rapport spécial portant sur le programme « Gestion des finances publiques », celui-ci portant sur l'ensemble des moyens et des missions, au-delà du seul contrôle, des administrations fiscales et douanières. En 2022 et 2023, Charlotte Leduc, alors députée de la Moselle, était chargée de ce rapport. Depuis les dernières élections législatives, ce sont désormais Nicolas Sansu et Mathilde Feld qui en ont la charge. Cette troisième livraison confirme les deux premières. Elle comporte plusieurs volets.

L'estimation du phénomène, un enjeu politique !

S'agissant de l'estimation de ce fléau, le rapport rappelle l'évaluation de l'évitement illégal de l'impôt de 80 à 100 milliards d'euros, dont l'ordre de grandeur est confirmé par d'autres travaux. Il déplore cependant qu'à la différence de plusieurs autres pays, les tentatives des pouvoirs publics de disposer d'un travail sur l'estimation de l'évasion fiscale et sur son évolution n'aient pas abouti. Le rapport souligne à juste titre que l'évasion fiscale regroupe tout à la fois l'optimisation fiscale dite agressive et la fraude fiscale, entendue ici au sens pur du terme, sans pour autant compter les irrégularités provenant de simples erreurs. Le rapport prend d'ailleurs l'exemple des Cumcum et Cum Ex pour rappeler qu'entre optimisation agressive et fraude, la frontière est parfois peu étanche… Il appelle à un travail sérieux de mesure du phénomène.

La nécessité de combattre l'évasion fiscale se justifie en raison des multiples conséquences qu'elle entraîne : hausse des inégalités alimentée par l'évasion fiscale, pertes budgétaires et dégradation du consentement à l'impôt. Attac, qui a déjà dénoncé les effets de l'évitement fiscal dans son ensemble, souscrit aux termes du rapport.

  • Qui estime l'évasion et la fraude fiscales et comment ?
    Deux méthodes sont utilisées, parfois combinées, pour évaluer le manque à gagner de l'évitement fiscal. La première, dite ascendante, consiste à extrapoler les résultats du contrôle fiscal et à évaluer ce qu'il rapporterait s'il était mené sur toute la population et toutes les entreprises. Pour ce faire, il faut toutefois éviter certains biais, dont, le biais de sélection et le biais de détection. Concernant le biais de sélection, il faut en effet préciser que le contrôle fiscal n'est pas mené au hasard. Il fait l'objet d'un travail de programmation : en gros, les contrôles résultats d'une sélection qui fait apparaître des anomalies. On ne peut donc calculer une moyenne des résultats du contrôle fiscal et l'applique à l'ensemble des contribuables puisque de nombreux dossiers ne présentent aucune anomalie. Ne pas tenir compte de ce biais aboutirait à une estimation largement surévaluée. Inversement, le biais de détection consiste à estimer que tous les mécanismes d'évitement fiscal sont connus. Or, tel n'est évidemment pas le cas. Il faut donc analyser finement les effets du manque de coopération internationale ou encore la complexité et la sophistication de l'évitement fiscal, faute de quoi on peut aboutir à une estimation du manque à gagner largement sous-évaluées. Ces méthodes sont utilisées notamment par des chercheurs. La méthode descendante a été employée par l'Université de Londres (dans le cadre de l'estimation du manque à gagner de l'Union européenne en matière de recettes publiques), du réseau Tax Justice Network ou encore de l'Observatoire européen de la fiscalité. La seconde a été employée par le syndicat national Solidaires finances publiques.

L'insuffisance des moyens et de l'information du Parlement

Pour rappeler l'importance majeure de combattre l'évasion fiscale et permettre une meilleure coordination entre les services, le rapport propose de nommer un haut commissaire à la lutte contre l'évasion fiscale. Une proposition soutenue par Attac. Entrant dans le détail des procédures, des résultats et des moyens alloués au contrôle, le rapport préconise par ailleurs une plus grande transparence et une meilleure information du Parlement.

S'agissant des moyens, le rapport dénonce leur baisse tendancielle et rappelle que les récentes mesures (prises notamment dans le cadre du « plan Attal » qui tarde à se mettre en place et n'a toujours pas produit les effets escomptés par le pouvoir) n'ont hélas pas corrigé le tir. Le rapport s'appuie notamment sur le rapport publié par Attac et l'Union syndicale Solidaires en mars 2022 dans lequel il était démontré que la baisse des moyens humains se traduisait par une baisse du nombre de contrôles et par une baisse des résultats du contrôle fiscal. Et cela, alors que le nombre de contribuables et d'entreprises augmentait. Il résulte de ce « croisement des courbes » une baisse importante de ce que l'on nomme la « couverture du tissu fiscal », soit la proportion de contribuables et d'entreprises contrôlés.

Le rapport dénonce plus largement l'ampleur des suppressions d'emplois intervenus depuis 20 ans au sein de l'administration fiscale (plus de 40.000 dont 3.000 à 4.000 depuis le milieu des années 2000) et remarque que l « intelligence artificielle » (IA), à l'origine de plus de la moitié des contrôles fiscaux mais de 13,6 % des résultats financiers, ne saurait être présentée comme une alternative crédible, même si elle mérite d'être déployée et améliorée. Le rapport appelle donc a minima à stabiliser les effectifs de l'administration fiscale. Précisons toutefois que, en proportion de ses effectifs, aucune autre administration de la fonction publique d'État n'a connu une telle diminution, alors même que cette dernière est pourtant au service de toutes les autres, en permettant de récupérer des recettes indispensables au financement des services publics.

Pacte Dutreil, règlements d'ensemble, des coups de projecteurs bienvenus

Le rapport met en lumière certains dispositifs peu connus mais très utilisés dans les stratégies d'évitement fiscal, comme le « Pacte Dutreil », une exonération de 75 % de la valeurs des titres financiers qui profitent très largement aux plus aisés qui transmettent tout ou partie de leur entreprise. Le rapport appelle à une véritable évaluation des pertes générées par ce dispositif et propose de le limiter. Rappelons que la Cour des comptes déplorait le manque de travaux sur le coût du pacte Dutreil mais relevait que, selon le Conseil d'analyse économique, il pourrait atteindre 2 à 3 milliards d'euros par an.

Il pointe également certains dispositifs contractuels qui permettent de régler des litiges opposant l'administration à une entreprise. Le rapport relève la hausse du nombre de « règlements d'ensemble », passé de 116 n 2019 à 320 en 2022, qui désigne selon l'administration « la situation où, en présence de sujets complexes marqués par une forte incertitude juridique, l'administration conclut avec l'usager un accord global qui inclut une atténuation des droits par rapport à la lecture initialement retenue par l'administration de contrôle dans sa proposition. » Le rapport précise que cette « atténuation » a représenté un manque à gagner de 1,25 milliard d'euros. Là aussi, le rapport préconise une meilleure information du Parlement et qu'un contrôle soit mené par la Cour des comptes sur les règlements conclus.

Des recommandations nécessaires à tous les plans

Le rapport livre enfin des recommandations à mettre en œuvre au plan supranational qui ont un réel écho dans le débat public parmi lesquels un impôt minimum sur les grandes fortunes mondiales, un registre mondial des actifs (inspiré du cadastre financier mondial porté par Gabriel Zucman et soutenu par Attac), un impôt mondial sur les bénéfices, également dénommé « taxation unitaire » (une priorité pour Attac), l'élargissement des assiettes en réduisant les exonérations et exceptions en tous genres notamment, etc.

De manière générale, il appelle le législateur à anticiper, dans les mesures qu'il prend, les risques potentiels d'évitement fiscal. Il prend ainsi l'exemple du crédit d'impôt recherche, souvent plus utilisé pour réduire l'impôt sur les sociétés que pour financer de réels projets de recherche. Il plaide également pour élargir la liste française des territoires non coopératifs afin d'y inclure des pays que l'on peut véritablement qualifier de « paradis fiscaux » mais qui n'y figurent pas. Cette liste reste en effet intéressante puisqu'elle prévoit un « renversement de la charge de la preuve ». En d'autres termes, lors d'un contrôle faisant apparaît une transaction avec une entité établie dans l'un de ces pays, la présomption de fraude fiscale s'applique. Il propose enfin une meilleure reconnaissance et protection des lanceurs d'alerte.

Que faire, désormais ?

L'association Attac se reconnaît dans la plupart des constats et propositions du rapport. Elle appelle les Parlementaires, les élus, les mouvements politiques, associatifs et syndicaux à les porter afin de faire de la lutte contre l'évasion fiscale un enjeu de premier plan. Les propositions existent, seule manque la volonté politique.

Face aux enjeux de la période, combattre résolument l'évasion fiscale grâce d'une part, à une réforme fiscale limitant les possibilités de contourner la législation et d'autre part, à des moyens de contrôle à la hauteur n'est plus une option, c'est une nécessité tout à la fois,
démocratique : il faut renforcer le consentement à l'impôt par la justice fiscale dont la lutte contre l'évasion fiscale est un pilier
sociale : il faut renforcer les services publics et plus largement, ce que l'on qualifie de « modèle social » dans son ensemble,
écologique : combattre l'évasion fiscale réduit la capacité des plus aisés à polluer et permet de dégager des ressources pour investir dans la « bifurcation sociale et écologique » qu'Attac appelle de ses vœux,
budgétaire, puisque d'évidence, cela permet de dégager des recettes supplémentaires,
économique, car cela bénéficiera aux acteurs économiques qui ne « trichent » pas.

10.11.2024 à 17:37

Fiscalité et construction européenne, quels enjeux ?

Équipe de l'Observatoire

À l'occasion du conseil européen « Affaires économiques et financières » qui se tient le 15 novembre sur le sujet du budget de l'Union européenne, nous reproduisons ici un texte d'Attac publié dans la Revue de l'Union européenne (éditions Dalloz) n° 679 de juin 2024.
L'évolution de la fiscalité européenne est consubstantielle à celle de la construction européenne et des États qui la composent. Ceux-ci ont une histoire riche et mouvementée, de la Grèce antique ou de l'Empire Romain en (…)

- Publications

Texte intégral 3468 mots

À l'occasion du conseil européen « Affaires économiques et financières » qui se tient le 15 novembre sur le sujet du budget de l'Union européenne, nous reproduisons ici un texte d'Attac publié dans la Revue de l'Union européenne (éditions Dalloz) n° 679 de juin 2024.

L'évolution de la fiscalité européenne est consubstantielle à celle de la construction européenne et des États qui la composent. Ceux-ci ont une histoire riche et mouvementée, de la Grèce antique ou de l'Empire Romain en passant par le Moyen Âge jusqu'à la période actuelle

Les « finances publiques » ont accompagné, parfois impulsé ces évolutions. Elles se sont progressivement centralisées avec le passage de l'État féodal à l'État monarchique et à l'État moderne. Cette évolution s'est effectuée en raison de la nécessité de financer les guerres, elle a vu émerger la question de la représentation nationale, elle-même intimement liée au consentement à l'impôt. Ce dernier eut du mal à devenir ce qu'il est aujourd'hui : le pilier d'une société démocratique. En effet, la nécessité de lever l'impôt a abouti à la création de « Parlements » dés 1215 en Angleterre et 1302 en France, avec la création des États généraux par Philippe le Bel. En 1435, avec la création d'impôts permanents, les États généraux se sont toutefois privés de leur pouvoir. Ils ne seront plus convoqués par le roi de France. La théorie du consentement est réapparue à la fin du XVII ème siècle. Pour John Locke notamment [1], il n'y a pas d'autorité légitime sans consentement. Le droit des citoyens à consentir l'impôt est d'ailleurs au fondement des révolutions américaine et française de la fin du XVIII ème siècle [2]. Le consentement à la fiscalité européenne et au transfert d'une part plus ou moins importante de souveraineté est l'un des enjeux majeurs de la construction de l'Union européenne.

Les États modernes se sont construits sur deux attributs de souveraineté : battre monnaie et lever l'impôt. Le premier échappe désormais largement aux États membres de la zone euro. Le second est de plus en plus partagé entre l'Union européenne et ses États membres. Il est également fortement impacté par la concurrence fiscale et sociale. Dans un contexte troublé marqué par un affaiblissement du consentement à l'impôt aux raisons multiples, il est essentiel de revenir sur la façon dont les politiques fiscales évoluent au sein de l'Union européenne, avant d'envisager comment elles peuvent aider l'Union européenne à se réorienter pour faire face aux défis de la période.

Un cadre communautaire de la fiscalité orienté pour favoriser le marché intérieur

En matière de fiscalité, la construction et les politiques européennes ont profondément impacté les systèmes fiscaux et sociaux nationaux. Rappelons que la stratégie de l'Union européenne consiste à orienter les politiques fiscales pour promouvoir le marché unique et la croissance économique [3]. Ses objectifs sont notamment d'éliminer les obstacles fiscaux qui pénaliseraient les activités économiques transfrontalières mais aussi de lutter contre les aspects délétères de la concurrence fiscale et de l'évasion fiscale, sans pour autant en remettre en cause le principe.

Plusieurs éléments contribuent à influencer le niveau et la structure des recettes et des dépenses publiques, et donc le niveau et l'efficacité des politiques publiques. Il en va évidemment ainsi, au sein de la zone euro, de la gouvernance budgétaire et du cadre visant à limiter les déficits et la dette publics. D'autres évolutions concernent très directement les politiques fiscales nationales, même s'il faut ici distinguer les prérogatives de l'Union de celles des États membres.

La fiscalité est en principe une prérogative des États membres, les compétences de l'Union européenne étant officiellement limitées en la matière. Celles-ci s'inscrivent dans des politiques dont le but principal est de garantir le bon fonctionnement du marché unique. C'est ce qui explique que les premières règles fiscales communes aient surtout concerné la fiscalité indirecte, puisque celle-ci affecte directement le prix des marchandises et des services et, par conséquent, le fonctionnement du marché unique.

Les textes le stipulent assez clairement. Dans le chapitre sur les dispositions fiscales (articles 110 à 113), le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne porte sur l'harmonisation de la législation relative à la taxe sur le chiffre d'affaires, les droits d'accises et les autres formes de fiscalité indirecte tandis que le chapitre relatif au rapprochement des législations (articles 114 à 118 du traité FUE) couvre les taxes ayant un effet indirect sur la mise en place du marché unique.

Le cas de la TVA, impôt le plus rentable des États membres, est emblématique. Pour éviter des différences trop importantes dans les taux de TVA, ce qui pourrait fausser les échanges au sein du marché européen, un seuil minimal de 15 % pour le taux normal a été instauré en 1993 (directive d'octobre 1992). Au-delà de ce niveau, les États membres peuvent fixer le taux de TVA de leur choix. Ils peuvent également prévoir des taux réduits pour certaines activités ou certains produits et services (culture, presse, vélos électriques…) dans certaines limites déterminées par l'Union européenne. La directive TVA du 28 novembre 2006 dresse ainsi la liste les produits ou activités sur lesquels les États membres peuvent appliquer un taux réduit.

Quant aux impôts directs, si l'Union européenne n'a pas de compétence particulière dans le domaine, ils sont toutefois soumis à la jurisprudence européenne. Celle-ci veille à éviter un traitement fiscal différencié entre les résidents d'un pays et les autres ressortissants européens. Cette jurisprudence européenne s'invite également dans l'application de dispositifs particuliers. Dans son arrêt Waldner contre France du 7 décembre 2023, la Cour européenne des droits de l'homme juge que l'ancien taux de la majoration de 25 % automatiquement applicable à un avocat non-adhérent d'un organisme de gestion agréé entraînait une surcharge financière disproportionnée à l'encontre du requérant ayant introduit le recours. Il s'en est d'ailleurs suivi une série de contentieux que l'administration fiscale doit désormais traiter sur l'application de cette majoration. Cette construction jurisprudentielle peut donc conduire les États à revoir certaines de leurs dispositions fiscales nationales, de sorte que l'Union européenne, sans en avoir les compétences, influe aussi la fiscalité directe. Et ce, alors que celle-ci est en principe une prérogative des États membres.

La concurrence fiscale et ses dérives, autre marqueur de la construction européenne

Au-delà de cette construction fiscale européenne complexe, le choix historique de l'Union européenne a consisté à faire de la concurrence fiscale entre les États membres (et au-delà des frontières européennes) un mode de régulation, à la condition qu'elle ne soit pas faussée ni dommageable au bon fonctionnement du marché unique. Or, cette concurrence fiscale pèse sur les politiques fiscales et la capacité des États membres à « lever l'impôt ». Elle se traduit en effet, de longue date, par un double transfert. Le premier consiste à alléger les impôts des « bases mobiles » (les plus riches et les multinationales, dont les déplacements de richesses enjambent les frontières) vers les « bases immobiles » (l'immense majorité de la population et les PME, qui n'ont pas les mêmes possibilités), ce qui modifie profondément la répartition de la charge fiscale, donc des richesses. Le second consiste à baisser les moyens financiers alloués aux services publics et à la protection sociale, ce qui se traduit par une baisse de la qualité de l'éducation, un accès plus difficile au soin, une baisse de la couverture sociale, etc.

Si la question de la justice fiscale et sociale se pose légitimement, on peut également considérer que ce double transfert a un impact sur le marché unique lui-même. Certes, pour garantir son bon fonctionnement, l'Union européenne s'est intéressée à la question de la fraude et de l'évasion fiscales, aux effets délétères tant pour les populations, les budgets publics (suivis de près par la Commission européenne) que pour le fonctionnement du marché unique, puisque ces pratiques faussent l'allocation des ressources. Reste que les progrès sont minces et lents à mettre en œuvre, les décisions en matière de fiscalité devant être prises à l'unanimité par les États membres. Il suffit ainsi que l'un d'eux, qui se juge plus attractif fiscalement que ses voisins, pour bloquer un projet. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle le projet d'harmonisation des bases de l'impôt sur les sociétés par exemple reste en suspend depuis plus de 20 ans…

L'Union européenne s'est largement inspiré des travaux de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) qui, dans son plan « BEPS » visant l'érosion des bases fiscales, a par exemple favorisé la mise en œuvre d'un système d'échanges automatiques d'informations et d'une imposition mondiale minimale au taux de 15 % des bénéfices des multinationales. Mais outre que ce dispositif peut être contourné via les territoires qui ne l'appliqueront pas, il fait déjà l'objet d'un détricotage qui l'éloignera de son but initial, au demeurant déjà bien modeste.

L'évitement de l'impôt a fait l'objet de plusieurs directives. Sans prétendre ici à l'exhaustivité, on citera quelques exemples. La Directive relative à l'évasion fiscale adoptée en juin 2016 et appliquée depuis janvier 2019 vise à empêcher les entreprises de développer des dispositifs hybrides leur permettant de diminuer leurs charges fiscales en profitant des écarts de législation entre les pays (membres ou tiers). En juillet 2020, la Commission européenne a adopté un paquet de mesures. Celui-ci comporte un plan d'action de 25 initiatives, une révision de la directive relative à la coopération administrative (DAC 7, visant à garantir l'échange automatique d'informations entre les États membres sur les recettes générées par les vendeurs sur les plateformes numériques, qu'elles soient situées ou non dans l'Union), une proposition de nouvelle révision de la directive relative à la coopération administrative (DAC 8, sur l'échange d'informations sur les crypto-actifs et la monnaie électronique) et une communication relative à la bonne gouvernance fiscale dans l'Union et au-delà. En 2021, l'Union européenne a adopté après de longues négociations (le texte avait été proposé par Commission européenne en 2016) une directive rendant obligatoire, pour les entreprises réalisant plus de 750 millions d'euros de chiffre d'affaires par an, de publier leurs revenus, bénéfices, effectifs et impôts payés dans chaque pays où elles sont présentes. Souvent dénommé « reporting pays par pays », ce dispositif doit s'appliquer aux exercices ouverts à compter du 1er juillet 2024. Il devrait permettre davantage de transparence et d'identifier si les impôts que ces grands groupes paient dans un État correspondent à l'activité économique qu'elles y exercent. En matière de fiscalité, l'Union européenne a donc évolué, elle ne peut plus se contenter du « code de bonne conduite » non contraignant adopté en 1997 qui visait certains régimes préférentiels. Le cadre européen est donc beaucoup plus prégnant qu'auparavant.

Continuer ou réorienter ?

Le mouvement d'européanisation de la fiscalité devrait se poursuivre. Plusieurs projets montrent par ailleurs que les compétences fiscales de l'Union européenne devraient sensiblement s'accroître à l'avenir, au point d'interroger sur la nature même de la construction européenne. Certes, l'harmonisation fiscale est bien loin d'être achevée et n'a d'ailleurs jamais été un objectif, la stratégie fiscale de l'Union européenne prenant davantage les allures d'une coordination dont le but reste inchangé : favoriser le bon fonctionnement du marché intérieur. Il n'empêche, la tendance est nette.

L'extension de la compétence fiscale de l'Union européenne pourrait provenir de l'évolution des ressources fiscales propres de l'Union et de la création d'impôts européens. Le premier du genre pourrait être le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières (MACF ou Carbon Border Ajustement Mecanism, CBAM) proposé dans le paquet climat présenté le 14 juillet 2014 par la Commission européenne dans le but d'atteindre les objectifs du Green Deal et finalement adopté en décembre 2022. Le mécanisme devrait entre en vigueur en 2032, il a pour objectif la réduction du bilan carbone lié aux entreprises qui exportent vers l'Union. Les biens importés se verront donc taxés lorsque le « prix carbone » sera faible ou nul. L'Union européenne se retrouverait ainsi de facto à « lever l'impôt » et, par conséquent, à accélérer potentiellement l'intégration européenne.

Le 12 septembre dernier, elle a en effet proposé une directive destinée à remplacer celles proposées en 2016 relative à l'ACIS (assiette commune pour l'IS) et à l'ACCIS (assiette commune consolidée pour l'IS), laquelle visait à harmoniser l'imposition des sociétés en Europe. L'initiative datait du début des années 2000 mais s'était heurtée aux désaccords entre États membres. L'objectif de cette nouvelle directive baptisée « BEFIT » (Business in Europe : Framework for Income Taxation ou « Entreprises en Europe : cadre pour l'imposition des revenus ») demeure la mise en place un nouvel ensemble unique de règles pour déterminer la base d'imposition des groupes d'entreprises. La Commission européenne justifiait sa proposition en estimant qu'il fallait « instaurer un ensemble commun de règles qui permettent aux entreprises de l'UE de calculer, à partir d'une formule, leur base imposable tout en garantissant une répartition plus efficace des bénéfices entre les pays ». Cette directive, une fois adoptée par le Conseil, pourrait entrer en vigueur le 1er juillet 2028. Au sein de l'Union européenne, au sein de laquelle cohabitent 27 régimes fiscaux nationaux différents, l'idée d'un cadre commun qui compléterait le taux d'imposition minimal est intéressante, quels que soient les objectifs qu'on lui assigne, qu'il s'agisse de permettre une répartition plus équitable des droits d'imposition entre les États membres, de réduire les charges administratives, de supprimer les obstacles fiscaux ou encore de limiter l'évasion fiscale.

D'autres projets ont vu le jour. Le 19 juin 2023, la Commission européenne publiait sa proposition de directive dite FASTER (« Faster and Safer Relief of Excess Withholding Taxes ») dont l'objectif est d'améliorer les procédures de remboursement de retenue à la source au sein de l'UE. Elle a également publié, le 12 septembre 2023, une proposition de directive visant à harmoniser les règles en matière de fixation des prix de transfert au sein de l'UE et à garantir une approche commune des prix de transfert.

Les multiples affaires révélant l'ampleur de l'évitement fiscal a incontestablement poussé les instances européennes et nombre d'États membres à prendre des mesures. LuxLeaks, des Panama Papers, Paradise Papers, etc, les révélations ont mis en cause des États comme le Luxembourg, l'Irlande, ou encore les Pays-Bas.

Si les débats sont nourris sur l'efficacité et la pertinence de ces projets, ils portent toutefois rarement sur l'évolution de l'Union européenne. La souveraineté fiscale nationale est le pendant de la souveraineté en matière de dépenses en matière de protection sociale, d'éducation nationale, de sécurité, etc. De plus, avec l'euro et la politique monétaire européenne, les États-nations de la zone euro sont privés de l'outil monétaire (ils ne peuvent plus jouer sur les taux d'intérêt ni dévaluer). Il leur reste donc la fiscalité et les cotisations sociales pour agir sur le pouvoir d'achat notamment, même si tout cela est encadré par des règles sur les déficits excessifs qui limitent leur autonomie. Le débat devrait logiquement porter non seulement sur l'orientation des politiques européennes, mais également sur la construction de l'Union européenne. A l'image de l'évolution des finances publiques des États du Moyen-âge jusqu'au XX ème siècle, va-t-on vers une européanisation des finances publiques basée sur une accélération de la coordination en matière d'impôts de toute nature, directs et indirects ? La question est d'importance, elle mérite d'être posée.

En matière de fiscalité, si des mesures ont été prises et que d'autres se profilent, l'absence de remise en cause du modèle de la concurrence fiscale et sociale empêche de prendre des mesures à la hauteur des enjeux de la période. Les inégalités augmentent, les moyens manquent pour faire face au réchauffement climatique, le mécontentement social capté par les mouvements d'extrême droite, etc. L'Union européenne est devant un choix historique. Le premier consiste à poursuivre sur la même lancée, ce qui empêchera de relever les défis de la période et favorisera une extrême droite climato-sceptique, nationaliste et profondément réactionnaire. Cela signifierait le début de la fin de la construction européenne. Le second consiste à réorienter l'Union européenne et à faire des questions sociales et écologiques une priorité.

Pour ce faire, il est tout à fait possible d'améliorer les projets ou dispositifs existants. L'harmonisation des bases de l'impôt sur les sociétés pourrait être assorti de l'instauration d'un impôt européen sur les bénéfices et d'un « taux plancher » tandis qu'une taxation unitaire des multinationales compléterait le dispositif (chaque État prélèverait une quote-part du bénéfice consolidé sur la base de critères objectifs : chiffre d'affaires, immobilisations, nombre de salariés). Une véritable harmonisation du système de TVA intracommunautaire permettrait de neutraliser la fraude carrousel et pourrait s'accompagner d'un taux plafond à ne pas dépasser. Un impôt européen sur la fortune et une taxe sur l'ensemble des transactions financières permettraient d'instaurer davantage de progressivité et de dégager des ressources utiles pour les investissements publics. Un renforcement de la coopération en matière de lutte contre l'évitement fiscal pourrait prévoir des procédures de contrôle harmonisées et la capacité pour le procureur européen de prononcer des sanctions. Le tout prendrait la forme d'un « serpent fiscal européen » qui, à l'instar du « serpent monétaire européen » destiné à limiter les écarts dans les fluctuations monétaires, limiterait les écarts de fiscalité.
En réorientant son action vers la justice fiscale, sociale et écologique, la légitimité de l'Union européenne en sortirait renforcée. Et le consentement à une politique fiscale européenne également.


[1] John LOCKE, Le second traité du gouvernement. Un essai sur l'origine véritable, l'étendue et la fin du Gouvernement Civil, Paris, PUF,1994

[2] L'article 14 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen précise la nécessité du consentement.

[3] Voir notamment sur le site du Parlement européen la fiche thématique consacrée à la politique fiscale.

13.10.2024 à 08:05

Taux minimum d'imposition des revenus de 20 % : un aveu, intéressant mais très insuffisant

Équipe de l'Observatoire

Le gouvernement vient d‘annoncer l'instauration d‘une contribution temporaire sur les plus hauts revenus consistant à créer un taux effectif minimum de 20 %. Cette disposition confirme ce que Attac avait déjà repéré et qui a été confirmé par les travaux de l'Institut des politiques publiques : au-delà d'un certain niveau de revenu, le taux réel d'imposition des revenus baisse alors que l'impôt sur le revenu (IR) est censé être progressif. Elle s'inscrit par ailleurs dans le débat sur (…)

- Actualités

Texte intégral 754 mots

Le gouvernement vient d‘annoncer l'instauration d‘une contribution temporaire sur les plus hauts revenus consistant à créer un taux effectif minimum de 20 %. Cette disposition confirme ce que Attac avait déjà repéré et qui a été confirmé par les travaux de l'Institut des politiques publiques : au-delà d'un certain niveau de revenu, le taux réel d'imposition des revenus baisse alors que l'impôt sur le revenu (IR) est censé être progressif. Elle s'inscrit par ailleurs dans le débat sur l'instauration d'une imposition mondiale minimum sur les plus riches dont on ne peut que souhaiter qu'elle débouche sur un système véritablement juste et redistributif.

Combien de foyers fiscaux concernés ?

Le seuil au-delà duquel s'applique cette contribution temporaire est fixé à 250 000 euros pour un célibataire et 500 000 euros pour un couple. Les données publiques disponibles portent sur les revenus de l'année 2022 imposés en 2023. Elles ne distinguent pas la composition des foyers fiscaux par part du quotient familial. Elles sont toutefois intéressantes car elles montrent que :
• 105 000 foyers environ perçoivent un revenu fiscal de référence (RFR) supérieur à 300 000 euros,
• près de 63 000 foyers perçoivent un RFR de plus de 400 000 euros,
• près de 42 500 perçoivent un RFR de plus de 500 000 euros.

Quel rendement ?

En France, cette mesure aurait un impact que l'on peut mesurer ainsi. En matière d'IR, les données de l'administration fiscale montrent en effet que, ramené au revenu fiscal de référence (RFR), le taux effectif moyen d'imposition des plus aisés atteint 22 % pour les foyers ayant un RFR compris entre 500 000 et 700 000 euros. Mais contrairement au principe de progressivité, ce taux baisse ensuite progressivement, pour passer sous les 20 % pour les foyers au RFR compris entre 4 et 6 millions d'euros et s'abaisse même à 16,9 % pour les foyers au RFR au-delà de 9 millions d'euros.

En 2023, près de 1 900 foyers, dont le revenu est supérieur à 4 millions d'euros, présentaient un taux effectif réel d'imposition inférieur à 20 %. Appliqué en 2023, un taux minimum d'imposition de 20 % aurait ainsi dégagé un peu plus de 400 millions d'euros. Le rendement annoncé de 2 milliards d'euros a donc de quoi interroger : il paraît largement surévalué.

L'impôt sur le revenu est et restera dégressif

Il est intéressant de préciser que cette dégressivité de l'IR n'est pas nouvelle. Au surplus, bion que dégressifs, les taux réels d'imposition étaient supérieurs avant l'instauration du prélèvement forfaitaire unique (PFU, la flat tax, constituée de 12,8 % d'impôt sur le revenu et de 17,2 % de CSG), qui a tiré les taux vers le bas.

La chute est même spectaculaire. A titre d'exmples :
pour les foyers fiscaux dont le RFR se situait entre 600 000 et 700 000 euros en 2017, le taux effectif moyen d'imposition atteignait 27 %. Il s'abaissait à 26,42 % en 2018, 24,0 % en 2019 et 22 % en 2023.
pour les foyers dont le RFR dépassait 9 millions d'euros en 2017, le taux effectif moyen était légèrement supérieur à 20 % en 2017, il était inférieur à 17 % en 2023.

Plus largement, au-dessus de 100 000 euros de revenus (777 899 foyers fiscaux en 2017, plus de 1,1 million en 2023), les taux réels sont sensiblement inférieurs en 2023 à ce qu'ils étaient en 2017, avant la mise en place du PFU (applicable en 2018). De manière générale, l'ensemble des foyers fiscaux dont le RFR se situe au-delà de 500 000 euros, la baisse des taux effectifs moyen est nette. Elle peut atteindre dépasser 5 points.

Ce taux minimum d'imposition constitue en quelque sorte un aveu quant à la dégressivité de l'IR. Elle limite certes l'effet régressif du PFU, sans toutefois le remettre en cause. Il eut en effet été plus rentable, plus juste et plus simple d'imposer l'ensemble des revenus au barème progressif de l'impôt sur le revenu au lieu d'instaurer un tel mécanisme. Avec cette contribution temporaire, le taux effectif minimum ne pourra plus être inférieur à 20 % pendant 3 ans mais, en l'absence de réforme d'ensemble, l'impôt sur le revenu restera dégressif.

26.09.2024 à 08:31

L'étude de Tax Justice Network révèle que les pays peuvent collecter 2 000 milliards de dollars en imitant l'impôt sur la fortune espagnol

Équipe de l'Observatoire

Nous reproduisons ici un résumé de l'étude du Tax Justice Network d'août 2024 qui montre que les Etats ont tout intérêt à instaurer un impôt sur les super-riches.
La suppression de ce que le réseau tax justice network (TJN) dénomme « le traitement fiscal spécial accordé aux super-riches » (autrement dit les mesures fiscales taillées sur mesure) peut couvrir les besoins estimés en matière de financement de la lutte contre le changement climatique. TJN montre que, en suivant l'exemple de (…)

- Actualités

Texte intégral 1272 mots

Nous reproduisons ici un résumé de l'étude du Tax Justice Network d'août 2024 qui montre que les Etats ont tout intérêt à instaurer un impôt sur les super-riches.

La suppression de ce que le réseau tax justice network (TJN) dénomme « le traitement fiscal spécial accordé aux super-riches » (autrement dit les mesures fiscales taillées sur mesure) peut couvrir les besoins estimés en matière de financement de la lutte contre le changement climatique. TJN montre que, en suivant l'exemple de l'impôt sur la fortune de l'Espagne, qui frappe les 0,5 % des ménages les plus riches, les pays récolteraient 2000 milliards de dollars par an au niveau mondial.

Pour TJN, il est démontré que les réformes fiscales ciblant les richesses extrêmes n'ont pas entraîné la délocalisation des super-riches vers d'autres pays.
En moyenne, la moitié de la population d'un pays ne possède que 3 % de sa richesse, tandis que les 0,5 % les plus riches en possèdent un quart.
L'extrême richesse insécurise les économies et est directement liée au fait que les personnes doivent dépenser plus qu'ils ne gagnent. Le traitement à deux vitesses de la richesse (impôts moins élevés sur la richesse perçue, c'est-à-dire les dividendes, les loyers, les gains en capital ; impôts plus élevés sur la richesse gagnée, comme les salaires) alimente l'extrême richesse et rend les économies plus pauvres.

Les pays peuvent collecter la somme de 2000 milliards de dollars par an en suivant l'exemple de l'Espagne qui a réussi à imposer la richesse des 0,5 % des ménages les plus riches. C'est le double du montant nécessaire chaque année pour le financement externe des pays en développement pour le climat, qui devrait être au centre des négociations de la COP29 cette année.

La dernière étude du Tax Justice Network estime le montant des recettes que chaque pays peut individuellement générer en taxant la richesse des seuls 0,5 % des ménages les plus riches à un taux léger de 1,7 % à 3,5 %. L'impôt sur la fortune ne s'appliquerait qu'à la partie supérieure du patrimoine des ménages, et non à l'ensemble de leur patrimoine.

Bien que l'étude reproduise l'approche de l'impôt espagnol sur la fortune pour chaque pays, elle constate qu'en moyenne, chaque pays pourrait collecter l'équivalent de 7 % de son budget de dépenses. Elle montre également que les réformes fiscales précédentes visant les super-riches n'ont pas entraîné leur délocalisation vers d'autres pays, malgré les titres des médias affirmant le contraire. Seuls 0,01 % des ménages les plus riches ont déménagé après la mise en œuvre des réformes de l'impôt sur la fortune visant les ménages les plus riches en Norvège, en Suède et au Danemark. Une étude britannique prévoit que les réformes relatives au statut de personne non domiciliée entraîneraient un taux de migration compris entre 0,02 % et 3,2 % au maximum. Les estimations de l'étude sur le montant des impôts que les pays peuvent percevoir grâce à l'impôt sur la fortune reposent par conséquent sur l'hypothèse très prudente qu'un tel taux de migration de 3,2 % se produirait.

Le traitement à deux vitesses de la richesse insécurise les économies. Les sommes considérables que pourrait rapporter un modeste impôt sur la fortune sont possibles en raison des niveaux extrêmes de richesse accumulée par les plus riches. L'étude révèle qu'en moyenne, dans chaque pays, la moitié de la population possède à peine 3 % de l'ensemble des richesses, tandis que les 0,5 % les plus riches en détiennent un quart (25,7 %).

Selon le rapport, cette richesse extrême des super-riches rend les économies incertaines et est directement liée à une productivité économique plus faible, aux ménages non riches qui doivent dépenser plus qu'ils ne gagnent et à des résultats sociétaux plus médiocres tels qu'un niveau d'éducation plus faible et une espérance de vie plus courte.

Selon TJN, la racine du problème réside dans le traitement à deux vitesses de la richesse collectée et de la richesse gagnée. La richesse collectée, c'est-à-dire les dividendes, les plus-values et les loyers tirés de la possession de biens, est généralement imposée à des taux bien inférieurs à ceux de la richesse gagnée (soit les revenus du travail). Dans le même temps, la richesse collectée croît généralement plus vite que la richesse gagnée. Aujourd'hui, seule la moitié de la richesse créée chaque année dans le monde va aux personnes qui gagnent leur vie. Le reste est collecté sous forme de loyers, d'intérêts, de dividendes et de plus-values.

Si les superriches peuvent travailler et avoir un emploi, la quasi-totalité de leur richesse provient de la possession d'entreprises et d'empires immobiliers, et non de leur travail dans ces empires. Les salaires qu'ils peuvent percevoir ne sont qu'une goutte d'eau dans l'océan de leur richesse. Trois des cinq hommes les plus riches de la liste des milliardaires de Forbes pour 2024 gagnent un salaire d'un dollar : Elon Musk, Mark Zuckerberg et Larry Elison. Selon une étude de 2011, le "PDG à 1 dollar" moyen renonce à 610 000 dollars de salaire, mais gagne 2 millions de dollars d'autres rémunérations basées sur la propriété.
Le traitement à deux vitesses a produit des résultats extrêmes en ce qui concerne les personnes les plus riches. Les milliardaires ont tendance à payer des taux d'imposition inférieurs de moitié aux taux payés par le reste de la société. Et leur richesse augmente deux fois plus vite que celle du reste de la société. Cela a contribué à quadrupler la richesse des 0,0001 % depuis 1987, au détriment des économies, des sociétés et de la planète.

L'accumulation extrême de richesses ne se contente pas de créer des déséquilibres extrêmes aux conséquences néfastes, elle rend ces richesses accumulées moins productives sur le plan économique - par exemple en détournant une part disproportionnée de la richesse vers des produits dérivés spéculatifs plutôt que vers des biens et des services de l'économie "réelle". Le porte-parole du Tax Justice Network explique ainsi "pourquoi le monde ne se sent pas plus riche aujourd'hui alors qu'il n'y a jamais eu autant de richesses que maintenant".

Le traitement à deux niveaux de la manière dont les gens acquièrent la richesse amplifie cette tendance. En permettant à la richesse collectée de dépasser de façon spectaculaire la richesse gagnée, le traitement à deux vitesses pousse la richesse vers des formes moins productives tout en augmentant l'endettement des ménages non riches.

Le réseau Tax Justice Network appelle les gouvernements à mettre fin au traitement à deux vitesses de la richesse en introduisant des impôts sur la fortune.

26.08.2024 à 15:04

Remboursements de crédit de TVA et de crédit d'impôt recherche : des coûts qui explosent et peu de contrôles

Équipe de l'Observatoire

Si les « niches fiscales » (nommées « dépenses fiscales » dans le jargon budgétaire) font régulièrement débat, la littérature sur l'évolution du coût des dégrèvements et des remboursements d'impôt (issus de certaines « niches fiscales », de dispositions fiscales spécifiques et de la mécanique propre à certains impôts) est bien mince. En la matière, un paradoxe mérite d'être souligné : en 2023, le niveau des recettes publiques a diminué et est inférieur aux prévisions, celui des (…)

- Actualités

Texte intégral 1748 mots

Si les « niches fiscales » (nommées « dépenses fiscales » dans le jargon budgétaire) font régulièrement débat, la littérature sur l'évolution du coût des dégrèvements et des remboursements d'impôt (issus de certaines « niches fiscales », de dispositions fiscales spécifiques et de la mécanique propre à certains impôts) est bien mince. En la matière, un paradoxe mérite d'être souligné : en 2023, le niveau des recettes publiques a diminué et est inférieur aux prévisions, celui des remboursements et des dégrèvements a sensiblement augmenté et est supérieur aux estimations.

Les chiffres parlent d'eux-mêmes : dans le projet de loi de finances (PLF) pour 2024, le montant des remboursements et dégrèvements d'impôts d'État s'élève à 135,9 milliards d'euros, en hausse de près de 9 milliards d'euros par rapport à la loi de finances initiale (LFI) pour 2023 (soit 127,1 milliards d'euros) et ont plus que doublé depuis 2001 (ils s'établissaient alors à 61 milliards d'euros). C'est tout bonnement le plus haut niveau jamais atteint, hors Covid. Dans la période récente, cette hausse concerne essentiellement les remboursements et dégrèvements en matière d'impôts d'État (ceux concernant les impôts locaux diminuent en effet du fait de la suppression progressive de la taxe d'habitation sur les résidences principales et de la réforme des impôts dits « de production »).

Plusieurs raisons expliquent cette tendance à la hausse. Si l'on pense notamment à la législation ou à l'évolution du tissu économique, il faut y ajouter la faiblesse des contrôles due, principalement, au manque de moyens de la Direction générale des finances publiques (DGFiP).
L'analyse des demandes de remboursement de crédit de TVA et du crédit d'impôt recherche (CIR) l'illustre hélas à merveille.

Le cas préoccupant des remboursements de crédit de TVA

Rappelons tout d'abord sommairement le fonctionnement de la TVA. L'entreprise assujettie à la TVA facture la TVA à ses clients, elle déduit de cette TVA collectée la TVA qu'elle paie à ses fournisseurs et reverse la différence à l'administration fiscale. Dans certains cas toutefois (période d'achats importants, exportations non assujetties à la TVA, etc), le montant de la TVA déductible peut dépasser celui de la TVA collectée. L'assujettie est alors en situation de crédit de TVA et peut soit imputer ce crédit sur la TVA collectée future, soit se la faire rembourser. Cette seconde solution est largement privilégiée par les entreprises.

La TVA est, de loin le premier, impôt en France. En 2024, le rendement brut de la TVA pourrait atteindre 303 milliards d'euros. Pour calculer son rendement net, il faut déduire de ce montant brut 83,5 milliards d'euros de remboursements et dégrèvements (dont les 79,33 milliards d'euros au titre des restitutions de crédits de TVA). Précisons ici que 119 milliards d'euros de recettes de TVA échappent au budget de l'État et sont transférés à la Sécurité sociale (pour 60 milliards d'euros), aux collectivités territoriales (pour 55 milliards d'euros) et, pour 4 milliards d'euros, en compensation de la suppression de la contribution à l'audiovisuel public. En PLF 2024, les restitutions de TVA sont donc estimées à 79,3 milliards d'euros, ce qui représente une augmentation de 15,4 % par rapport à la LFI 2023 (soit 10,56 milliards d'euros) après une hausse de 8,3 % entre 2022 et 2023 et de 10,2 % entre 2021 et 2022. Sur une période plus longue, entre 2014 et 2024, la hausse des remboursements de TVA s'élève à 66,6 % (soit 31,7 milliards d'euros).

Ce niveau élevé des remboursements nécessite une vigilance accrue sur les risques de montages frauduleux. Rappelons qu'en 2022, l'INSEE estimait la fraude à la TVA entre 20 et 26 milliards d'euros [1]. Or, le montant des crédits de TVA rejetés interpelle pas sa faiblesse : 134 millions en 2021 et 137 millions en 2022, soit 0,23 % du montant total des remboursements de crédit de TVA de 2021 (57,6 milliards d'euros en 2021) et 0,2 % du montant total des remboursements de crédit de TVA pour 2022. Autrement dit, le contrôle de ces demandes est faible… Deux raisons principales expliquent cette situation : la réduction des effectifs de la Direction générale des finances publiques (DGFiP) et l'objectif assigné au programme « 200 - Remboursements et dégrèvements d'impôts d'État » en matière de rapidité de traitement des demandes de remboursements.

Le CIR, première niche fiscale

Le crédit d'impôt recherche (CIR) est la première « niche fiscale ». Son coût ne cesse de croître et devrait atteindre 7,64 milliards d'euros en 2024. Pour autant, les dernières évaluations sur le CIR et son impact en termes d'investissement, d'emploi et d'attractivité des entreprises innovantes datent de 2021 et se basent sur des données allant jusqu'en 2018. Or, depuis cette date, le coût du CIR a augmenté de 1,8 milliard d'euros. Le CIR est très concentré : les 200 premières entreprises représentent près des deux tiers du coût total et 28 groupes déclarent le tiers des dépenses de R&D et bénéficient de 27 % de créances de CIR.

Dans leurs rapports spéciaux consacrés au programme « Remboursements et dégrèvements », les commissions des finances de l'Assemblée nationale et du Sénat se montrent particulièrement critiques sur le CIR [2]. Leurs travaux montrent que la hausse du coût du CIR est importante et qu'elle dépasse les prévisions. Le rapporteur spécial de la commission des finances estime nécessaire de « mener une nouvelle évaluation qui viserait à mesurer l'impact du dispositif en établissant une différenciation par type d'entreprise et par secteur d'activité à partir des données les plus récentes » tandis que le rapport spécial de la commission des finances de l'Assemblée nationale relève que « L'efficience de ce dispositif a fait l'objet d'une littérature critique abondante. Au sujet du CIR, France Stratégie relève des « effets positifs sur les PME [3] , mais pas d'effet significatif établi en ce qui concerne les ETI et les grandes entreprises ». Elle observe également que « le CIR n'a pas suffi à contrecarrer la perte d'attractivité du site France pour la localisation de la R&D des multinationales étrangères ». La question de l'efficacité du CIR est donc posée. Le rapport cite également les travaux cités par France Stratégie, selon lesquels ce sont les PME qui ont la propension la plus grande à réaliser des innovations de rupture et que le CIR conduit à un « effet d'aubaine » pour les grandes entreprises, et propose de « recentrer le CIR sur les petites et les moyennes entreprises (PME) et à plafonner les dépenses éligibles pour les grands groupes ».

À ce propos, on notera que le Conseil des prélèvements obligatoires préconise, de son côté, soit un plafond de 20 millions d'euros, soit un plafond de 20 millions d'euros associé à une hausse du taux de CIR à 40 %. La DGFiP estime que la première option permettrait de réduire le coût du CIR de 1,6 milliard d'euros aux finances publiques alors que la seconde conduirait à l'augmenter de 200 millions d'euros.

Le rapport spécial de la commission des finances du Sénat note également que « le CIR est un crédit d'impôt particulièrement difficile à contrôler qui nécessite une coordination entre les services de la DGFIP et ceux du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche ». Or, ces deux administrations perdent des emplois. Curieusement, les données sur le nombre de contrôles du CIR sont rares. Après une augmentation des rectifications entre 2008 et 2013, passant de 269 à 1523, le rythme décroît depuis 2014. Ainsi, en 2019, 1 071 contrôles ont fait l'objet d'une rectification CIR. Ramené aux 21 087 bénéficiaires du CIR en 2019, la proportion de celles ayant fait l'objet d'un contrôle est donc de 5 %...

Ces deux focus sur, d'une part, un dispositif lié à la mécanique d'un impôt (la TVA en l'occurrence) et d'autre part, la première « niche fiscale », montrent que la hausse de leur coût budgétaire est en partie artificielle et résulte d'une utilisation optimisée, et parfois frauduleuse, de ces dispositifs. Une véritable « revue » de ces dispositifs et un renforcement de l'ensemble des moyens de contrôle devrait constituer une véritable priorité en matière de finances publiques. Mais jusqu'à présent, ces préconisations sont restées « lettres mortes ».


[1] INSEE, Estimation des montants manquants de versements de TVA : exploitation des données du contrôle fiscal, 25 juillet 2022.

[2] Rapport spécial de la Commission des finances de l'Assemblée nationale « Annexe 40, remboursements et dégrèvements » (Mme Pires Beaune, rapporteure spéciale) du 14 octobre 2023 et rapport spécial de la Commission des finances du Sénat « Annexe 27, remboursements et dégrèvements » (M. Husson, rapporteur spécial) du 23 novembre 2023.

[3] France Stratégie (CNEPI), « Évaluation du crédit d'impôt recherche », Gilles de Margerie (président), Mohamed Harfi et Rémi Lallement (rapporteurs), juin 2021

30.07.2024 à 14:04

« Budget vert » : une tendance à la dégradation préoccupante

Équipe de l'Observatoire

Depuis fin 2020, un rapport annexé à chaque projet de loi de finances tente d'évaluer l'impact environnemental des dépenses et des recettes du budget de l'État. L'ambition, louable dans son principe, est de coter les dépenses prévisionnelles du budget de l'État selon leur impact sur l'environnement et de mieux prendre en compte la dimension environnementale dans l'évolution des finances publiques.
Ce document a été discuté. Les résultats apparaissent en effet bien modestes. Comme le note (…)

- Actualités

Texte intégral 903 mots

Depuis fin 2020, un rapport annexé à chaque projet de loi de finances tente d'évaluer l'impact environnemental des dépenses et des recettes du budget de l'État. L'ambition, louable dans son principe, est de coter les dépenses prévisionnelles du budget de l'État selon leur impact sur l'environnement et de mieux prendre en compte la dimension environnementale dans l'évolution des finances publiques.

Ce document a été discuté. Les résultats apparaissent en effet bien modestes. Comme le note la Cour des comptes dans un rapport intitulé « Observations définitives : la prise en compte de l'environnement dans le budget et les comptes de l'État » du 15 mai 2023 ; ce budget vert « ne cote que les crédits budgétaires, les taxes affectées et les dépenses fiscales, et non l'ensemble des dépenses du budget général de l'État et des ressources publiques, y compris les dépenses fiscales présentées dans le projet de loi de finances de l'année, ayant un impact favorable ou défavorable significatif sur l'environnement ».

Malgré d'évidentes limites, il est tout de même assez instructif de revenir sur les principaux enseignements des 4 premières livraisons de ce rapport.

Quelle méthode de classement ?

Le « budget vert » classe les dépenses publiques évaluées en plusieurs grandes catégories présentées de la manière suivante.

Les dépenses favorables, cette catégorie recouvrant trois types de dépenses :
les dépenses ayant un objectif environnemental principal ou participant directement à la production d'un bien ou service environnemental (éco-activité) ;
les dépenses sans objectif environnemental mais ayant un impact indirect avéré ;
les dépenses favorables mais à l'impact controversé en présence notamment d'effets de court terme favorables pouvant présenter un risque de verrouillage technologique à long terme
À titre d'exemple, on retrouve dans ces dépenses les dépenses de soutien aux énergies renouvelables (2,1 milliards d'euros en PLF 2024).

Les dépenses dites « mixtes », favorables à l'environnement sur au moins un axe mais qui ont des effets négatifs sur un ou plusieurs autres axes. On y classe les dépenses relatives aux nouvelles infrastructures de transport ferroviaire ou fluvial.

Les dépenses neutres : dépense sans effet significatif sur l'environnement ; information non disponible ou insuffisamment étayée pour déterminer un impact environnemental favorable ou défavorable. On retrouve dans cette catégorie les aides pour le logement (APL, 13,9 milliards d'euros en PLF 2024).

Les dépenses défavorables : la dépense constitue une atteinte directe à l'environnement ou incite à des comportements défavorables à celui-ci. On retrouve ici les mesures relatives aux taux réduits sur les carburants (3,5 milliards d'euros en PLF 2024) qui encouragent le transport routier

Quels résultats et quelles évolutions ?

En 2020, 41,8 milliards d'euros de dépenses ont été identifiées comme ayant un impact sur l'environnement et de 52,8 milliards d'euros en y ajoutant les dépenses fiscales (les niches fiscales), ce qui est peu par rapport aux 574,2 milliards d'euros de dépenses budgétaires et fiscales (9,19%).

Les dépenses dites « vertes », c'est-à-dire favorables à l'environnement sur au moins un axe environnemental sans être défavorables par ailleurs représentent 72,6 % de ces dépenses : elles atteignent 38,1 milliards d'euros en PLF pour 2021.
Les dépenses « mixtes » qui sont favorables à l'environnement sur un moins un axe mais qui ont des effets négatifs sur un ou plusieurs autres axes représentent 8,9 % de ces dépenses, soit 4,7 milliards d'euros. Enfin, 10,0 milliards d'euros de dépenses ont un impact défavorable sur au moins un axe environnemental sans avoir un impact favorable par ailleurs, ce qui recouvre principalement des dépenses fiscales (7,2 milliards d'euros)

En PLF 2024, parmi l'ensemble des dépenses budgétaires et fiscales du budget de l'État (569,7 milliards d'euros), 55,9 milliards d'euros (soit 9,81 % du total) ont été identifiés comme ayant un impact environnemental. Parmi elles, 39,7 milliards d'euros (soit 71%) sont considérées comme ayant un impact favorable à l'environnement, 3,1 milliards d'euros un impact mixte (soit 5,45%) et 13,1 milliards d'euros un impact défavorable soit 23,43%).

En d'autres termes, la situation s'est dégradée, tant en valeur qu'en proportion. Cela n'est hélas guère étonnant : les choix politiques de ces dernières années n'ont pas orienté l'action publique en fonction des priorités environnementales. Quant à la gouvernance budgétaire, elle reste tournée vers la « performance », synonyme de « faire plus avec moins » pour les services publics. Orienter les finances publiques vers la bifurcation sociale et écologique est cependant non seulement souhaitable mais aussi possible. C'est l'une des grandes priorités de la période. Attac et l'Observatoire de la justice fiscale répondront présents pour que, à l'occasion du prochain débat budgétaire, cet objectif soit publiquement rappelé.

10 / 10