06.03.2025 à 10:11
Retraites : la « délégation paritaire permanente » et la mascarade du « conclave » de Bayrou
L’insoumission.fr et Informations Ouvrières s’associent pour proposer à leurs lecteurs des contenus sur les résistances et les luttes en cours aux quatre coins du pays. À retrouver sur tous les réseaux de l’Insoumission et d’Informations ouvrières.
Le jeudi 27 février, s’est tenue la première réunion du « conclave » convoqué par Bayrou sur la réforme Borne des retraites. Ni suspension ni abrogation et respect de la trajectoire financière. Dans un courrier adressé la veille au soir aux partenaires sociaux, le Premier ministre précise encore le rôle dévolu à ce qu’il appelle désormais la « délégation paritaire permanente » : « Rétablir l’équilibre de notre système de retraites à un horizon proche, l’année 2030, sans dégrader la trajectoire du reste de nos finances publiques ».
La mission des cardinaux du conclave devient donc non seulement de confirmer la « trajectoire » de la réforme Borne mais de l’aggraver encore. La lettre de Bayrou qui « ne confond pas la démocratie sociale et la démocratie parlementaire » mais organise néanmoins « l’association du Parlement à vos travaux », établit dans le détail toutes les règles de fonctionnement de la « délégation paritaire permanente ». Un document annexé donne le programme de travail et le calendrier jusqu’en juin 2025, avec les horaires des réunions.
Non content de refuser toute abrogation de la réforme des retraites, Emmanuel Macron exige désormais une nouvelle série de sacrifices sociaux pour se diriger vers une économie de guerre. Pas de hausse de salaires mais une hausse des commandes d’armements qui, mécaniquement, fera le profit des industriels nord-américains vers qui se tournent déjà les Européens pour acheter leur matériel. Notre brève.
La « DPP » sera assistée de la Mission animation retraite, la MAR, qui animera un comité de pilotage inter-administrations et siègera dans des locaux dédiés à disposition où chaque organisation disposera d’un bureau.
Derrière l’apparence d’une usine à gaz, se met donc en place une structure corporatiste intégrant les organisations syndicales à la machinerie de l’Etat et du Parlement pour la mise en œuvre d’une politique d’agression frontale des salariés qui exigent l’abrogation pure et simple de la réforme des retraites et ont confié ce mandat aux organisations syndicales. Moyennant quoi, rien n’est tabou : ni l’âge de départ, ni le nombre d’annuités de cotisations, ni le montant des retraites, ni la réforme à points, ni la capitalisation ! Et pour cause, pour le Medef (disposant de facto d’un droit de veto dans ce conclave) comme pour le gouvernement, « la réforme de 2023 ne suffit pas ».
Réaffirmant sa revendication d’abrogation de la réforme des retraites de 2023, la confédération Force ouvrière a dénoncé une mascarade et refusé le « carcan » imposé par le gouvernement. FO ne siégera pas : « Nous ne participerons ni à l’instrumentalisation, ni à l’intégration des organisations syndicales de salariés dans un processus gouvernemental. » Cette annonce a provoqué l’inquiétude des sommets et des commentateurs sur l’avenir du conclave.
Pour sa part, la CGT, qui participe au conclave, estime avoir « mis un pied dans la porte » et « appelle à la mobilisation pour gagner l’abrogation de la réforme ». Est-ce compatible ? Peut-on appeler à mobiliser, qui plus est par des « journées d’action » – dont l’inefficacité n’est plus à démontrer – pour exiger l’abrogation de la réforme des retraites, en siégeant tous les jeudis pendant treize semaines – jusqu’en juin ! – avec ceux-là mêmes qui s’expriment tous les jours pour mettre fin à notre système de retraite ?
Pour aller plus loin : François Bayrou refuse abroger la retraite à 64 ans, le PS se contentera-t-il d’une mission flash ?
L’appel lancé le 13 février par 1 200 citoyens, travailleurs, militants, démocrates reste d’actualité : « Nous estimons que ce n’est ni la place ni le rôle des dirigeants syndicaux d’appeler à la stabilité du pouvoir et d’y contribuer en participant à ce conclave… Il s’agit d’associer les organisations syndicales aux manœuvres d’un président et d’un gouvernement rejetés par près de 70 % de la population, pour les aider à se maintenir au pouvoir et à poursuivre leur politique de désagrégation sociale et de répression. »
Macron et Bayrou annoncent désormais que des choix budgétaires sont indispensables pour passer à une économie de guerre : « Il faut réviser la loi de programmation militaire à la hausse ». Le journal Les Echos donne des chiffres : il faudrait tripler la hausse prévue du budget de la défense (c’est-à-dire gonfler chaque année les crédits d’environ 10 milliards d’euros au lieu de 3) pour atteindre 100 milliards de crédits en 2029 (60 aujourd’hui). La présidente de la Commission européenne vient d’annoncer un plan de 800 milliards d’euros pour « réarmer l’Europe » et financer la guerre en Ukraine.
Les choix de ce gouvernement sont de saccager les retraites et toute la protection sociale et les services publics pour financer l’économie de guerre et les profits des capitalistes. Ni le soutien à l’économie de guerre, ni la stabilité du gouvernement et des institutions, ni le saccage des retraites ne sont compatibles avec l’indépendance syndicale et la défense des revendications des salariés.
Par Hubert Raguin
05.03.2025 à 18:24
Pénibilité invisibilisée des métiers « féminisés » : un scandale passé sous silence par la macronie
Métiers « féminisés ». Depuis des décennies, les politiques publiques se concentrent sur les métiers majoritairement masculins pour traiter la question des risques professionnels. Cependant, il existe tout un pan de métiers dits « féminisés », passé sous silence, où la pénibilité des conditions de travail est majeure et les risques d’accidents importants.
Alors que l’Assurance maladie prend principalement en compte les métiers « masculinisés » et adapte les critères de pénibilité en fonction d’eux, plusieurs études pointent du doigt les dangers rencontrés dans les métiers implicitement féminins. Lors de leur niche parlementaire, le 28 novembre 2024, les députés insoumis ont déposé une proposition de loi visant à faire reconnaître officiellement et publiquement la pénibilité de ces métiers « féminisés ». « Les femmes étant assignées au travail reproductif, cela a des conséquences sur le travail féminin dans notre pays » a rappelé la députée insoumise Gabrielle Cathala ce matin en conférence de presse, rappelant les propositions de loi déposées : « Reconnaître la pénibilité des métiers féminisés ET lutter contre le temps partiel contraint. ». Notre article.
Les métiers « féminisés » englobent toutes les professions majoritairement occupées par des femmes. Il s’agit des métiers du soin, du social, du nettoyage, de la sous-traitance, du commerce et de la distribution. Selon la proposition de loi insoumise « 87 % des infirmier·es, 91 % des aides-soignant·es, 97 % des aides à domicile et des aides ménagères, 73 % des agent·es d’entretien, 76 % des caissier·es, des vendeuses et vendeurs sont des femmes.
Parmi les personnels de l’éducation nationale, les femmes représentent 92,4 % des accompagnant·es d’élèves en situation de handicap (AESH), 86,4 % des enseignant·es du premier degré… mais seulement 51,4 % personnels d’inspection et 39 % des professeur·es de chaires supérieures dans le second degré public ».
Des métiers souvent difficiles, impliquant de faire des mouvements à répétition, de soulever des charges lourdes ou encore être soumis à un volume sonore trop élevé. De plus, ces derniers sont souvent précaires : beaucoup de CDD, très peu de protection de l’emploi et un salaire minimum, puisque « deux-tiers des salariés au SMIC sont des femmes ».
Ce sont ces mêmes métiers « féminisés » qui ont été mis en première ligne pendant la crise du Covid-19. Ces emplois sont trop souvent associés, à tort, à des supposées compétences naturelles féminines, ne nécessitant pas de qualification, seulement une sorte d’instinct « maternel ». Dans un article du Monde datant de 2020, des chercheuses et chercheurs expliquent que ces métiers implicitement féminins font « appels à des « compétences présumées innées », si « naturelles » quand on est femme… Cette dévalorisation est l’un des facteurs expliquant les 26 % d’écarts salariaux entre les femmes et les hommes ».
Ces professions, pourtant mises en lumière comme étant essentielles durant la période du Covid-19, sont constamment rabaissées par le gouvernement Macron, jugeant qu’elles ne nécessitent aucune qualification. Le nouveau Premier ministre illégitime François Bayrou a sans doute eu le même raisonnement pour former son nouveau gouvernement recyclé sans qualification.
Pour aller plus loin : Valls, Retailleau, Darmanin, Rebsamen : Bayrou a son gouvernement de perdants et de revenants
Dans l’idée collective, les accidents du travail concernent principalement les métiers « masculinisés », comme les métiers du bâtiment ou de l’industrie. Pourtant, d’après un article de Politis, bien qu’il y ait encore un peu plus d’accidents du travail dans les professions occupées par des hommes, « entre 2001 et 2019, les accidents de travail chez les hommes ont diminué de 27,2 % quand ils ont progressé de 41,6 % chez les femmes ». Pareil pour les maladies professionnelles puisqu’au « XXIe siècle, la hausse est deux fois plus importante pour les femmes (+ 158 %) que pour les hommes (+ 73 %) ».
Alors que la courbe entre les accidents du travail et les maladies professionnelles pour les hommes et les femmes semblent de plus en plus s’égaliser, la reconnaissance de ces sinistres et leurs aides sont encore loin d’être identiques pour les femmes par rapport aux hommes. Pourtant « les accidents de travail des femmes sont plus graves que ceux des hommes, et ce dans tous les secteurs, sauf pour le BTP ». L’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (Anact) prend désormais en compte la variable sexuée dans ses études, telle que la « photographie statistique de la sinistralité au travail en France selon le sexe » en 2022.
Ce qui permet de pointer du doigt « un certain nombre de tendances, dont notamment des évolutions différenciées pour les femmes et les hommes ». Le problème c’est que l’Assurance maladie, qui s’occupe des arrêts maladie et des accidents du travail, ne fait pas de distinguo entre les hommes et les femmes. Ces derniers ne prenant pas en compte les variables sexuées, ils axent leurs critères de pénibilités et d’aides selon les métiers exercés par des hommes.
Ainsi, d’après la sociologue Delphine Serre dans Politis « les femmes se voient plus souvent refuser la reconnaissance d’un accident de travail que les hommes ». Un scandale qui continue d’être passé sous silence par la macronie. La proposition de loi insoumise met en avant le fait que les critères de pénibilité ne prennent pas en compte les professions « féminisées » en donnant un exemple révoltant : « les hôtesses de caisses soulèvent environ une tonne de marchandises par heure mais elles n’accèdent que très peu à la reconnaissance du port de charges lourdes ».
À charge égale, la pénibilité sera reconnue et accordée pour un homme soulevant ce poids dans un métier de construction comme le BTP mais pas pour une femme caissière. Le second exemple mis en lumière est celui du bruit. Dans les usines, il y a régulièrement des contrôles et des mesures du bruit mais jamais dans les métiers de l’enfance et de la petite enfance.
Pourtant plusieurs collectifs et sociétés, dont Officiel Prévention, alertent sur ces sujets : « les troubles vocaux (fatigue et modification de la voix) touchent aussi les gardiennes d’enfants : les bruits permanents et prolongés des enfants exigent à la fois une utilisation et une élévation de la voix constantes, ce qui entraine l’apparition d’aphonie temporaire (extinctions de voix) et de douleurs laryngées ».
Le travail a été et est généralement pensé pour les hommes : matériels, postes de travail, cadences etc.. Florence Chappert, experte de l’Anact, explique dans Politis que « quand on dimensionne un poste pour un homme de taille moyenne (1,75 m), ça ne colle pas pour une femme “standard” (1,63 m). Donc cela surexpose les travailleuses à des troubles musculosquelettiques et à des accidents ».
Une solution simple pour limiter ces accidents serait d’adapter les cadences, le matériel et les postes aux travailleuses et même à chaque travailleur en règle générale. Solution surement jugée trop superflue, chronophage et couteuse pour de nombreux patrons se souciant peu du bien être de leurs employés.
La vision androcentrée du travail est toujours très ancrée dans la société. Bien que le sujet de la santé des femmes au travail commence à être plus abordé, il l’est trop souvent sous l’angle de la maternité et des congés menstruels. Cet angle, bien qu’important, est très réducteur et limite les femmes à leurs menstruations et leur fécondité. C’est pourquoi les députés insoumis ont déposé une proposition de loi à l’Assemblée Nationale afin de faire reconnaître la pénibilité des métiers « féminisés ».
Les députés insoumis ont déposé une proposition de loi le 15 octobre 2024, afin d’être débattue et votée lors de la niche parlementaire de La France Insoumise (LFI) le 28 novembre 2024. Elle s’intitule « Proposition de loi visant à reconnaître la pénibilité des métiers « féminisés » » et est composée de 4 articles.
Pour aller plus loin : Abrogation de la retraite à 64 ans, destitution de Macron, consentement dans la définition du viol… Quels textes défend LFI pour sa niche parlementaire ?
Le premier article « prévoit de créer des facteurs de risques professionnels liés aux contraintes émotionnelles fortes inhérentes, par exemple dans les métiers du lien, du handicap, de l’éducation, et du soin, etc ». L’idée est de compléter les facteurs de prévention du Compte professionnel de prévention (C2P). Le C2P comporte 6 facteurs de prévention. Il en comportait initialement 10 dans le C3P mais le président Macron, à l’instar de la destruction des services publiques et des coupes budgétaires, s’est attaqué aux facteurs de prévention dès le début de son premier mandat en 2017.
Ces 6 facteurs de risques reconnus par le C2P sont « le travail de nuit, le travail répétitif, le travail en équipes successives alternantes, le travail effectué en milieu hyperbare, les températures extrêmes et le bruit ». Les députés LFI souhaitent rajouter à ces facteurs, des « facteurs de risques professionnels liés aux contraintes émotionnelles fortes inhérentes » pour les métiers du soin, de l’éducation, du handicap etc..
Le deuxième article « permet la prise en compte de ces contraintes émotionnelles fortes pour les fonctionnaires » afin que l’article 1er puisse s’appliquer au personnel de la fonction publique. Le troisième article « vise à modifier la définition des facteurs de risques professionnels afin de mieux prendre en compte les spécificités des métiers « féminisés ».
Cet article prévoit également la prise en compte, notamment pour les droits à la retraite, des quatre facteurs de risques supprimés (anciens critères de pénibilité) par M. Emmanuel Macron en 2017 : la manutention manuelle de charges, les postures pénibles, la vibration mécanique et les agents chimiques dangereux ».
L’objectif de cet article est de revenir au C3P en remettant les 4 facteurs supprimés par Macron et s’assurant que ces 10 facteurs soient comptabilisés pour une retraite anticipée en cas de pénibilité au travail, aussi bien pour les hommes que pour les femmes. Le dernier article, obligatoire dans une proposition de loi, gage cette dernière.
C’est-à-dire qu’il explique et atteste son financement. Signée par les députés insoumis, soutenue par des députes du Nouveau Front Populaire (NFP) et adoptée lors de la Commission des affaires sociales le 20 novembre 2024, elle aurait dû être présentée durant la niche parlementaire LFI. Cependant, elle n’a pas pu être débattue car les macronistes ont fait de l’obstruction parlementaire, en déposant une succession d’amendements inutiles, par peur que l’abrogation de la réforme des retraites à 64 ans soit votée ce jour-là.
Pour aller plus loin : Alerte – Se sachant battus, les macronistes tentent le tout pour le tout pour saboter le texte de LFI visant à abroger la retraite à 64 ans
La députée LFI Gabrielle Cathala assure qu’elle continuera de défendre cette proposition malgré le fait qu’elle n’ait pas pu être débattue dans l’hémicycle. Les députés insoumis espèrent pouvoir faire voter cette proposition de loi lors d’une future niche parlementaire des partenaires du NFP ou lors d’une séance à l’Assemblée Nationale. La dévalorisation de la pénibilité des métiers « féminisés » n’a que trop duré et il est plus que nécessaire que l’Etat prenne enfin en compte les souffrances des femmes au travail.
Par Camille Oulès