24.04.2025 à 14:40
ArcelorMittal : 600 licenciements, malgré 392 millions d’euros d’aides de l’État depuis 2013
La nouvelle est tombée ce 23 avril 2025. Le sidérurgiste ArcelorMittal va supprimer 600 emplois en France, avec de l’argent public. L’objectif de la multinationale ? Délocaliser l’activité en Inde. Les sept sites concernés dans le nord du pays sont Dunkerque, Florange, Basse-Indre, Mardyck, Mouzon, Desvres et Montataire. « Sarkozy, Hollande et Macron ont laissé Mittal piller notre industrie sidérurgique. Ils ont abandonné des centaines de familles laissées dans la précarité, dans le chômage, dans la souffrance », assène la députée Clémence Guetté sur Twitter.
Un comble, lorsqu’on a en tête les centaines de millions d’aides publiques dont s’est gavé le sidérurgiste depuis des années. Montant total : 392 millions d’euros d’aides de l’État depuis 2013. À ces subventions s’ajoutent des prêts de l’État à taux préférentiel, mais aussi 192 millions d’euros de crédits d’impôt ou encore 100 millions d’aides pour alléger la facture d’électricité. Pendant ce temps, les actionnaires d’ArcelorMittal se gavent : 10 milliards d’euros accumulés depuis 2021. Cette même année, Aditya Mittal, PDG de l’entreprise, s’était rémunéré à hauteur de 10 040 762 euros. Vous avez bien lu.
Une nationalisation de l’entreprise ? LFI s’y est dit favorable, comme pour l’entreprise stratégique Vencorex, abandonnée par Bayrou et Macron. Même le sénateur Horizons du Nord (le parti d’Édouard Philippe) est favorable à la nationalisation de la fabrication de l’acier en France. Les capitalistes n’ont eu que faire des « s’il vous plaît », des complaintes et autres pleurnicheries des gouvernements libéraux des dernières années. Ce n’est pas comme ça qu’il faut traiter avec eux. Les nationalisations, les interdictions par la loi des licenciements pour une entreprise lorsqu’elle verse des dividendes. Voilà des mesures concrètes que pourrait prendre le gouvernement, en reprenant une proposition de loi déposée par la présidente du groupe parlementaire insoumis, Mathilde Panot. Notre article.
Pour aller plus loin : Aditya Mittal : l’héritier d’une multinationale climaticide gavée d’argent public
Mi-novembre, ArcelorMittal annonce en CSE extraordinaire la « possible » fermeture de deux de ses huit sites. Le Géant de la sidérurgie vise les sites de Denain et Reims, soit respectivement 24 et 113 emplois.
Selon Gaëtan Lecoq, secrétaire général CGT à Dunkerque, la politique du groupe est simple : « se désengager du vieux continent ». Pour lui, à terme, les 18 000 emplois d’ArcelorMittal en France sont menacés. 18 000 vies possiblement brisées par le chômage, et des bassins de vie entiers ravagés.
En dix ans, l’économie française a perdu plus d’un million d’emplois industriels. La part de l’industrie dans le PIB est passée de 20 % à 10 %. C’est le bilan univoque de dix ans de Macron, dans un premier temps secrétaire général adjoint de l’Élysée, puis ministre de l’Économie et enfin président de la République.
Dans l’industrie, la crise s’accélère. La CGT a recensé 180 plans de licenciements entre septembre 2023 et septembre 2024. On parle de 47 272 emplois menacés ou supprimés, dont 21 191 pour la seule industrie. Pourtant, avec ses 97 milliards d’euros distribués aux entreprises du CAC 40, la France détient le record européen des dividendes. L’argent est là, il suffit de choisir dans quelles poches il tombe.
Les employés du site de Denain se sont mis en grève. Clément Thiery, membre de la CGT, signale que de janvier à octobre 2024, le site réalise 150 000 euros de bénéfices. Pourtant, la direction déroule « les salades habituelles : baisse de la demande des clients, concurrence déloyale de la Chine et d’autres pays hors Union européenne, absence totale de soutien de l’Union européenne… ». Le syndicaliste conclut : « En réalité, on ne fait pas assez d’argent pour l’actionnaire, donc on nous éjecte ».
Selon une enquête de Disclose, depuis 2013, Arcelor Mittal a reçu au moins 392 millions d’euros de fonds publics. À ces subventions s’ajoutent des prêts de l’État à taux préférentiel, mais aussi 192 millions d’euros de crédits d’impôt ou encore 100 millions d’aides pour alléger la facture d’électricité. En plus, en 2018, l’agence de l’environnement (ADEME) avait accordé une aide de 4,5 millions d’euros à ArcelorMittal Atlantique. Enfin, l’entreprise a été payée à hauteur de 56 millions d’euros par l’État et les collectivités locales pour l’aider à moderniser ses installations.
L’Union européenne finance également le géant de la sidérurgie, avec 4,7 milliards d’euros d’aides publiques versées depuis 2008. Il s’agit de subventions, mais aussi de prêts ou de programmes de développement. Lobbyfacts souligne que le fonds « Pour la recherche pour le charbon et l’acier » a versé 77 millions d’euros à ArcelorMittal depuis 2008, pour des projets qui n’ont parfois jamais abouti.
L’Europe facilite aussi le business du groupe. Depuis 2006, l’Union européenne accorde des « permis de polluer » à chaque entreprise, c’est-à-dire un quota d’émission de CO2 autorisées. Les entreprises qui ne dépassent pas leur quota peuvent vendre le surplus à d’autres ; ce qui leur permet des profits parfois démentiels sans réduction de leurs émissions de CO2. C’est le cas d’Arcelor Mittal, qui a engrangé ainsi au moins 3,2 milliards d’euros jusqu’en 2021.
Mais alors où est cet argent ? C’est bien simple : dans les poches des patrons et des actionnaires. ArcelorMittal a versé à ses actionnaires 8,9 milliards d’euros, entre 2020 et 2022, selon son comité d’entreprise. Dans ces conditions, dur de maintenir ouverts les sites français, on comprend bien.
En 2021, Aditya Mittal, PDG de l’entreprise, s’est rémunéré à hauteur de 10 040 762 euros. Nous avions dressé le portrait de ce fils à papa dans nos colonnes. Comme d’habitude, l’État finance les actionnaires, et les entreprises ferment des usines. À la fin, l’argent des Français aura servi à engraisser les plus riches.
Emmanuel Macron met en péril la souveraineté de l’industrie française en menant une politique néo-libérale ; espérant naïvement que la main invisible du marché sauvera l’emploi. Problème : dans ce monde, l’argent ne va qu’à l’argent. Comme l’affirme Jean-Luc Mélenchon dans le plan de l’avenir en commun pour produire ce dont la France a besoin, « le marché, c’est le chaos ».
Face à cette situation, la France insoumise propose de mettre en place un protectionnisme écologique et solidaire pour développer les industries et productions locales. Dès lors, la protection des travailleuses et travailleurs français permettra une hausse des salaires et des droits sociaux.
Par l’établissement de plans de relocalisation, nous rééquilibrerons nos échanges commerciaux internationaux et diminuerons le chômage. L’État a les moyens de mettre en place les conditions nécessaires pour que les entreprises puissent produire en France, innover et nourrir la bifurcation écologique et sociale du pays.
Il est donc possible de sortir de l’impasse du marché, mais il faut s’en donner les moyens, arrêter de jeter l’argent par les fenêtres et contrôler les entreprises pour qu’elles servent les intérêts des Français. Il nous faut investir pour protéger notre pays et ses emplois.
24.04.2025 à 12:18
Trump et Kennedy Jr. : feindre l’idiocratie pour cacher l’eugénisme
Le « ministre » de la santé de Donald Trump, Robert F. Kennedy Jr a annoncé ce 10 Avril 2025 une « enquête internationale » sur une hypothétique « épidémie d’autisme », assurant des résultats « d’ici à Septembre » permettant d’en « éliminer les facteurs ». Propos accueillis chaleureusement par celui qui est connu pour sa détestation sincère des personnes handicapées, Donald Trump.
Autopsie d’une idiotie feinte, alors que la recherche scientifique a déjà tranché. Il n’y a pas d’épidémie. Trump n’est pas « fou », il a un projet. Et ce projet, cet « obscurantisme trumpiste » comme le qualifie justement Jean-Luc Mélenchon, se décline devant nos yeux.
Ni vaccins, ni alimentation ne « causent » l’autisme, rien ne peut « traiter » définitivement l’autisme, en l’état actuel de la science. La régression états-unienne est mal vécue, tant par les concernés que par les scientifiques. Pourquoi une telle prise de position ? Pour dénigrer les vaccins ou les avancées scientifiques ? Pour une raison plus profonde ?
Ces déclarations du 10 avril ont été suivies d’une conférence de Kennedy Jr, dont la teneur confirme nos pires craintes. Sous l’idiocratie, le fascisme. Sous la post-vérité, l’eugénisme.
En France, nous ne sommes pas parfaits. Entre clichés délétères, atténuation de responsabilité des parents infanticides, politiques publiques hors sol, diabolisation des enfants autistes, nous pourrions cesser les divisions et faire mieux. Beaucoup mieux. Les propos de Kennedy Jr. devraient toutes et tous nous glacer. Nous alerter. Ce n’est plus une mise en garde. L’eugénisme est en marche. Notre article.
Selon Robert R Kennedy Jr, les autorités sanitaires américaines seraient en mesure d’établir « d’ici à septembre » les causes …/…d’une« épidémie d’autisme ». « Nous avons lancé des travaux de recherche qui vont impliquer des centaines de scientifiques du monde entier. D’ici à septembre, nous saurons ce qui a causé l’épidémie d’autisme. Et nous serons en mesure d’éliminer ces facteurs ».
D’après Donald Trump : « Il y a quelque chose qui le cause »…/…« C’est possible qu’il faille qu’on arrête de prendre quelque chose, ou de manger quelque chose, ou peut-être que c’est un vaccin. »
Le raisonnement est donc biaisé dès l’énoncé, le résultat escompté est annoncé.
Ces hypothèses fantasques sont fausses, dangereuses et démenties depuis longtemps par la recherche. Les scientifiques sont d’ailleurs alarmés par les déclarations de Trump et Kennedy Jr.
Plus inquiétant encore, Kennedy Jr prétend donc que l’autisme serait évitable, que sa cause pourrait être éliminée. Propos glaçants, à bien y regarder.
Qu’est-ce qui se cache derrière cette chasse à la cause de l’autisme ? Une pensée uniquement antivax ou l’eugénisme le plus crasse ?
La confusion entre vaccination et survenance de l’autisme, entretenue par les propos de Trump et Kennedy Jr, trouve son origine dans un article d’Andrew Wakefield publié dans la revue The Lancet puis supprimé. Cette « étude » portait sur 12 enfants, âgés de 12 à 18 mois ayant reçu le vaccin ROR et dont le diagnostic d’autisme a été posé en suite ou en même temps que le vaccin. Il y avait coïncidence temporelle entre ces deux évènements et non causalité.
Depuis, de nombreuses études à grande échelle ont écarté tout lien entre vaccination et autisme :
– Taylor et al. (2014), méta-analyse sur plus d’un million d’enfants.
– Hviid et al. (2019), étude danoise sur 657 000 enfants.
– Position unanime des CDC, de l’OMS, de l’Inserm et de l’Académie de médecine.
La science est donc unanime, et rejette cette hypothèse.
La fraude de Wakefield a causé l’effondrement de la couverture vaccinale du ROR en Angleterre, la rougeole y est redevenue endémique en 2008, avec un décès pour 10 000 cas.
Wakefield a été radié en Angleterre mais poursuit ses activités depuis 2011… Aux états-unis !
Sont-ce donc tous ces diplômés déchus de leurs droits à exercer qui vont composer la cohorte des experts mandatés par l’administration de Trump ? Eux, les pro-packing, les mères anti gluten, les pires antivax ?
« Depuis 2003, grâce à l’équipe de Thomas Bourgeron à l’Institut Pasteur, on sait qu’il existe une part génétique dans l’autisme. Diverses mutations ont ensuite été identifiées comme des facteurs de prédisposition. »
Une part génétique, avec de multiples mutations en jeu, des facteurs épigénétiques variables, engendrent une très grande diversité de situations pour les personnes autistes. « Lorsque vous rencontrez une personne autiste, vous n’avez pas fait connaissance avec l’autisme, mais avec UNE forme d’autisme ». « Vous rencontrez avant tout une personne, qui a la particularité de ne pas avoir un cerveau qui fonctionne comme le vôtre, imaginez, c’est comme si la majorité des gens étaient des ordinateurs PC sous Windows et que les autistes, eux, étaient des Mac sous macOS. On peut tous utiliser le traitement de texte, mais on n’utilisera pas le même chemin d’accès pour écrire une lettre. Il existe aussi beaucoup plus de logiciels qui sont faits pour les utilisateurs de PC sous Windows que pour les utilisateurs de Mac avec macOS… » (Conversations croisées avec plusieurs personnes autistes). Ce n’est donc pas à proprement parler un « dysfonctionnement », c’est un fonctionnement différent. Un fonctionnement à comprendre. Pas à contraindre ou à supprimer.
Certains chercheurs, allistes, [en France et ailleurs] ont tendance à ne voir dans l’autisme qu’une anomalie à corriger, une maladie à éradiquer. Or, la posture états-unienne sur l’autisme pousse encore un peu plus vers cette tendance simpliste aux abords eugénistes : identifier une cause, traiter la cause, supprimer.
Mais il ne s’agit ni d’une maladie ni d’une anomalie, les autistes ne souffrent pas d’autisme mais des clichés, du charlatanisme, de jugements à l’emporte pièce et du validisme. Les populations autistes sont, malgré tous les écueils, sous-diagnostiquées, les attitudes de la maison blanche à leur égard ne va pas améliorer cette situation. Un diagnostic n’est pas une fin en soi, il peut être perçu comme une délivrance par l’adulte, il leur permet, parfois, d’obtenir un suivi. Parfois, seulement.
Des parents désemparés, mal informés, mal pris en charge, sont régulièrement tentés par le pire. Le diagnostic d’un enfant peut aboutir à une exclusion accrue de la sphère sociale, tant de l’enfant que des parents, en raison des clichés, de raisonnements biaisés, et parce que notre société reste et demeure excessivement validiste, le capacitisme est en effet systémique.
L’autisme ne concernait-il que les petits garçons blancs ?
Les filles et les femmes ont été, pendant des décennies, très mal, voire très peu diagnostiquées, elles passaient au travers des mailles du filet. L’autisme ne pouvait concerner que la population masculine, fait alors acquis dans le milieu médical et le grand public. Les critères de diagnostics étaient taillés pour eux.
Comme dans de nombreux autres domaines de la science, c’est le corps et l’esprit de l’homme qui étaient étudiés, qui servaient de modèle, toute particularité féminine étant jugée comme une « pathologie ». Même l’expérience et les compétences des femmes sur les sujets les concernant, a été effacé ou mis de côté, patriarcat quand tu tiens la science.
« Il y a tout lieu de penser que ce biais androcentrique et l’effacement du genre comme catégorie d’analyse participent à l’invisibilité de l’expérience de ces femmes dans la production des connaissances les concernant (Eichler, [1988] 1991). »
Poser le diagnostic d’autisme en dépendance d’un sexe de naissance est par ailleurs problématique puisque cela efface le genre.
Les diagnostics d’autisme ne sont pas exempts des préjugés racistes. « Il existe également des différences raciales dans les taux de diagnostic de l’autisme » Aux Etats-Unis, alors que la tendance s’inversait et que les diagnostics concernaient enfin toute la population dans sa diversité, voilà que Kennedy Jr. vient, par son intervention, de mettre un frein aux démarches.
Les adultes, sexe et genre confondus, sont plus tardivement pris en charge.
Ce retard dans le diagnostic pourrait être dû au fait que les travaux des premiers scientifiques au sujet de l’autisme concernaient des enfants. Dans notre pays, une autre piste concerne la forte prévalence de la psychanalyse en France.
« La France est restée très (trop) longtemps ancrée dans une tradition psychanalytique forte qui pensait que l’autisme était le résultat d’un dysfonctionnement de la relation mère-enfant. Aujourd’hui, bien que ces théories aient été discréditées par l’avancée des connaissances scientifiques, il persiste de fausses croyances dans l’imaginaire collectif, y compris parmi certains professionnels de santé. » Enfin, l’inégalité territoriale et économique dans l’accès au diagnostic ne peut être ignorée.
Malgré tous ces facteurs (sous-diagnostics, défaut d’accès…), le nombre de diagnostics d’autisme ne cesse d’augmenter. C’est le nombre de diagnostics qui augmente, pas le nombre d’autistes.
La prévalence de l’autisme est aujourd’hui de « 60 à 70 pour 10 000, soit 0,6 à 0,7 % de la population mondiale ». Selon l’Institut Pasteur, jusqu’à 1 % de la population mondiale pourrait recevoir un diagnostic d’autisme.
Plusieurs facteurs expliquent l’augmentation du nombre de diagnostics.
La science évolue, et, avec elle, les façons de diagnostiquer (et ce, même s’il persiste des « trous dans la raquette »). D’une part, les diagnostics ne concernent plus que les petits garçons blancs, et d’autre part, les référentiels ont évolué. (élargissement des critères, outils de détection améliorés, reconnaissance accrue des formes moins visibles de l’autisme). Des politiques de santé publique plus inclusives ont également amélioré l’accès aux diagnostics.
De fait, l’entité que l’on nomme « autisme » (ou TSA depuis 2013) n’est pas stable dans le temps. De 1943 à 1990, l’autisme était considéré comme rare, et n’étaient diagnostiquées que des personnes dites « typiques » telles qu’envisagées par Léo Kaner. De 1990 à 2013, les critères s’élargissent avec des catégories additionnelles couvrant des formes dites atypiques. En 2013, apparaît dans le DSM-V la notion de « troubles du spectre autistique ».
Autrement dit, comparer le nombre de diagnostics de 1943 avec ceux de 2025, et crier à l’épidémie est alarmiste et mal venu. Faire croire que le nombre d’autistes a augmenté, alors que ce sont les diagnostics qui sont en hausse relève de la tromperie pure et simple.
La science a raison. Mais voilà. Kennedy Jr affirme à présent que la science est une idéologie, puisque la science n’est pas d’accord avec lui … « : L’une des choses dont je pense que nous devons nous éloigner aujourd’hui est cette idéologie selon laquelle l’augmentation incessante de la prévalence de l’autisme n’est que le résultat d’un meilleur diagnostic, d’une meilleure reconnaissance ou d’un changement des critères de diagnostic. » Le voici donc en train de rappeler aux commerciaux ayant répondu à son appel d’offres les limites tronquées du marché.
Il renie des évidences scientifiques largement documentées. A la télévision. Tout va bien (non). Le négationnisme scientifique, motivé par des intérêts idéologiques a conduit au pire. Au début du 20e siècle, certains rejetaient les avancées scientifiques sur la diversité humaine pour imposer des idéologies racistes et discriminatoires (Kevles, 1985).
Pathologiser l’autisme, le présenter comme une « tragédie évitable », est une rhétorique qui s’aligne avec des idées eugénistes qui cherchent à «éliminer» ou «prévenir» des conditions jugées indésirables. Et quoi de mieux pour éradiquer une condition indésirable qu’un ennemi identifié : un vaccin, une maman, le gluten, la couleur des slips du roi d’Angleterre… ? Ces approches irrationnelles ne sont pas l’exclusive des États-Unis, en France aussi, nous avons nos obsédés de l’éradication de l’autisme.
Contrairement au consensus scientifique international qui reconnaît une origine essentiellement génétique et multifactorielle, certains journalistes français ont soutenu une hypothèse environnementale récurrente — pesticides, bisphénol A, pollution (dont plomb), glyphosate — sans jamais ou très rarement citer la littérature scientifique sérieuse sur le sujet. Ce biais nourrit la suspicion et la peur, tout en marginalisant les personnes autistes.
En lien avec cette désinformation, certaines familles ont été attirées vers des traitements non validés, inefficaces et dangereux : régimes extrêmes, injections, thérapies non réglementées ou même violentes (chélations – retirer les métaux lourds du corps- , MMS, hyperbarie, etc.), alors même que les institutions de santé publique comme l’INSERM, l’OMS ou les NIH les proscrivent.
En France encore, la psychanalyse a provoqué des dégâts irréparables. Cette pseudo-science accusait les mamans d’être à l’origine de l’autisme de leur enfant. Pire encore : « Une enseignante psychanalyste nous a affirmé que l’autisme était lié au fait de vouloir inconsciemment coucher avec sa mère. Simplement, cela n’était plus possible de le dire selon elle, à cause des associations de parents ».
D’autres méthodes exécrables tels que le « packing », consistant à envelopper les enfants autistes dans des draps mouillés à l’eau glacée sont encore promues sur internet ou les réseaux sociaux. En dépit de tout bon sens.
Des mères affirment avoir « guéri » l’autisme de leur enfant via des régimes sans gluten ou des approches pseudo-scientifiques. Et d’autres affirment sans contradiction, sur des plateaux de télévision ou de radio que « les écrans » causeraient l’autisme. Tout va bien. (non)
Des familles non ou mal accompagnées, prêtes à tout pour débarrasser leur enfant de cette « chose », l’autisme, qu’on leur présente comme une condition horrible de souffrance dont il faut à tout prix se débarrasser quitte à ce que l’enfant meure… Voilà un axe d’amélioration à adopter sur le champ : accompagner les familles et les concernés, pour leur expliquer que l’autisme n’est pas une maladie, qu’on ne s’en débarrasse pas et encore moins avec un traitement miracle pseudo-scientifique, qu’on ne « souffre » pas de l’autisme mais du validisme quand on est autiste.
Aux termes d’une « conférence » datée du 16 Avril 2025, Kennedy junior confirme le projet eugéniste en ces termes : « Et ce sont des enfants qui ne paieront jamais d’impôts, qui n’auront jamais d’emploi, qui ne joueront jamais au baseball, qui n’écriront jamais de poème. Ils ne sortiront jamais avec quelqu’un. Beaucoup d’entre eux n’utiliseront jamais les toilettes sans assistance. »
Toute cette conférence est d’une atrocité sans nom. Comment de telles choses peuvent-elles être dites sans susciter l’émoi de toutes les communautés humaines et des politiques là-bas et outre atlantique ? L’Histoire ne nous apprend-elle pas à reconnaître le spectre du fascisme ?
En prétendant que les autistes « ne paieront jamais d’impôts » et « n’auront jamais d’emploi », Kennedy junior adopte une rhétorique qui mesure la valeur humaine en termes de productivité économique.
Ce discours rappelle les idéologies eugénistes qui considéraient les personnes handicapées comme des «fardeaux» pour la société. Les nazis utilisaient des arguments similaires dans leur programme Aktion T4, qui visait à euthanasier les personnes handicapées en les présentant comme «inutiles» pour l’économie.
Kennedy junior déshumanise les autistes, en les présentant comme des personnes incapables de mener une vie autonome, en les réduisant à des stéréotypes d’incapacité, ce langage rappelle là aussi les discours eugénistes du début du vingtième siècle, où les personnes handicapées étaient considérées comme « inférieures » et « indignes de vivre ».
Dans la même vidéo, il prétend que l’autisme ne concernerait que des enfants, qu’il n’a jamais rencontré d’autistes de son âge, des asperger oui, « mais pas des autistes »… La désinformation bat son plein. Il restreint encore le cahier des charges de son appel d’offres : comprenez que pour lui, l’autisme, ce n’est que la définition de 1943. Il effectue un tri entre les « bons » autistes et les « mauvais » autistes… Eugénisme, une fois encore.
Les clichés sur l’autisme foisonnent, Kennedy junior nous en livre un condensé navrant.
Les représentations sociales des autistes sont totalement biaisées : associés à la violence, à l’agressivité, à l’absence d’empathie, « ils sont dans leur bulle », « ils ne parlent pas », « ils n’aiment pas leurs parents », « ils n’ont pas la posture d’élèves »… « Les IME, ce sera mieux pour eux »…
Tant et si bien que des syndicats de profs, en France, commandent un sondage biaisé pour réclamer des places supplémentaires en IME. Pour une meilleure inclusion scolaire des enfants, il faut des moyens supplémentaires DANS l’école, pas dans les IME, qui ne sont pas des écoles. Les emplois du temps pour les IME parlent d’eux-mêmes.
Ces clichés immondes expliquent-ils le traitement accordés aux parents auticides ? Dans les cas d’Anne Pasquiou ou le plus récent cas de Marseille, c’est la famille qu’on plaint, et non l’enfant assassiné. Des téléfilms diffusés en France, et notamment sur le service public, véhiculent en tout cas l’idée que la victime, c’est la famille. L’avis des concernés ? Le service public s’en moque.
Depuis 2005, plusieurs plans autisme ont été lancés en France. Le 4e plan (2018–2022), doté de 344 M€, a mis l’accent sur le diagnostic précoce et l’inclusion scolaire. Mais avec quels résultats tangibles ? Est-ce que tous les enfants diagnostiqués bénéficient des aménagements nécessaires à leur inclusion scolaire ? Non. L’État préfère ségréguer qu’inclure.
La cohorte Marianne, censée étudier les causes de l’autisme, est vivement critiquée par les autistes eux-mêmes, qui dénoncent une approche biomédicale déshumanisante, eugéniste, fondée sur une croyance plutôt que sur la science.
Et pour cause. Cette « cohorte », financée sur fonds publics, vise à suivre 1700 femmes « pour analyser les liens entre modes de vie des parents, exposition aux polluants chimiques du foetus et de l’enfant dans la survenue de l’autisme et d’autres troubles du neurodéveloppement ». Les déclarations de Claire Compagnon, alors déléguée interministérielle à l’autisme, sont sans appel : « On ne guérit pas aujourd’hui ces troubles. On accompagne mieux, on corrige les trajectoires développementales, mais on ne guérit pas. Alors il faut chercher. » (Claire Compagnon, déléguée interministérielle à l’autisme et au neurodéveloppement, Académie de Médecine, 29 mars 2023.)
La psychanalyse, pourtant disqualifiée scientifiquement, reste encore influente, de l’université au corps médical. Malgré les avis publiés par la HAS depuis 2012.
Le Conseil d’Etat avait jugé en 2014 (arrêt Association lacanienne internationale) : “les approches thérapeutiques faisant intervenir la psychanalyse et la psychothérapie institutionnelle dans le traitement de l’autisme et des troubles envahissants du comportement n’ont pas réuni, lors de l’élaboration de la recommandation attaquée, un accord suffisant des membres du groupe de cotation pour qu’elles soient qualifiées d’interventions recommandées ».
Le système scolaire reste hostile à l’inclusion : des syndicats enseignants plaident pour l’orientation en IME, tandis que la ministre déléguée au Handicap confond inclusion et placement en établissement spécialisé, en contradiction avec la Convention de l’ONU sur les droits des personnes handicapées.
Les « plans autisme » partaient mal. Le premier d’entre eux proposait comme mesure phare d’institutionnaliser les autistes. (« une disponibilité en établissement adapté aux personnes autistes »). Le CCNE avait eu un avis tranché sur la question : « L’absence de diagnostic précoce, de scolarisation en milieu ordinaire et de sociabilisation, conduisent à une perte de chances pour les enfants et à une « maltraitance » par défaut »[CCNE 5].
La pertinence de mettre en œuvre des « plans autisme » pourrait par ailleurs être interrogée : bien sûr, il manque des diagnostics. Mais il manque aussi de l’accompagnement et des mesures concrètes, et ce, pour toutes les personnes en situation de handicap. Toutes. C’est un « Plan Handicap » correspondant à la Convention ONU précitée qu’il faudrait mettre en œuvre !
« Une société incapable de reconnaître la dignité et la souffrance de la personne, enfant, adolescent ou adulte, la plus vulnérable et la plus démunie, et qui la retranche de la collectivité en raison même de son extrême vulnérabilité, est une société qui perd son humanité » (Conclusion du rapport du CCNE, 8 novembre 2007)
En France, on diagnostique, un peu plus qu’avant, on compte le nombre d’autistes mais on ne les accompagne pas correctement. Quelle est alors la pertinence d’entreprendre la démarche de diagnostic, quand on sait, notamment, la pauvreté de l’accompagnement qui va suivre ?
Aux États-Unis, la chasse aux autistes a commencé. Les concernés, à raison, paniquent.
Dans ce contexte mac carthysto-eugéniste, est-ce que les familles vont poursuivre les démarches de diagnostic et de suivi ? A quoi bon être signalé comme « un poids financier » à une administration qui cherche à faire des économies et qui vous perçoit d’une façon aussi déshumanisée ?
A qui le tour après les autistes et les autres handicapés ?
Faut-il rappeler enfin, que Trump a suspendu et interdit toutes les politiques DEI ? Qu’il a accusé les personnes handicapées d’être à l’origine d’un crash d’avion ? Que ses partisans trouvent que la traduction en LSF relève de la « gesticulation » inutile à l’écran, au point qu’elle est supprimée ?
La France va-t-elle devoir accueillir, après les chercheurs menacés par Trump, tous les enfants de la diversité pourchassés par ces eugénistes ?
Pour aller plus loin : Mélenchon et la délégation insoumise à Montréal, un déplacement historique
La science a tranché : l’autisme n’est ni causé par un vaccin, ni une mode, ni une maladie, ni curable. Quoi qu’en pensent l’administration trumpienne et les pseudo-scientifiques appelés au secours de ces inepties.
Les personnes autistes ont besoin de respect, d’adaptation, d’une société inclusive et non d’être traquées comme des anomalies à corriger. La vraie urgence est éducative, sociale et humaine.
L’attitude de Kennedy junior devrait avant tout nous alarmer, l’histoire nous a appris que la chasse aux divergences était l’apanage du fascisme. Le diagnostic d’autisme ou de tout autre handicap ne doit pas devenir le nouveau triangle noir, signe d’exclusion de sinistre mémoire.
Une telle campagne de désinformation va charrier à n’en point douter des horreurs dans son sillage : crainte de représailles, agressions des personnes autistes, délations, parents paniqués prêts au pire. Dans ces conditions, il est probable que le nombre de personnes prêtes à se faire diagnostiquer va chuter. L’administration Trump, en ayant cassé le thermomètre, pourra crier victoire, il n’y a plus de température… L’idiocratie aura triomphé de la science.
Il se dit que ce qui se passe aux Amériques arrive en France avec une dizaine d’années de retard. Cette fois, le train de l’eugénisme est sous stéroïdes, il est grand temps de le faire dérailler.
Au lieu de regarder ses chaussures, Emmanuel Macron devrait prendre exemple sur Jean-Luc Mélenchon ayant adressé un message d’avertissement à Donald Trump pour se porter solidaire des canadiens et des québecois menacés d’annexion. Comme le leader de LFI, Emmanuel Macron devrait prendre son courage à deux mains et lui lancer l’alerte : « Mr. President, I have a message for you. Unfortunately, you do not speak French.
So, I must beg your pardon, I am not able to speak English well enough.
Mr. Kennedy Jr. said there was an autism epidemic, that autistic people don’t pay taxes and are a financial burden, not even able to write a poem, that old autistic people does not exist. You said that autism was caused by something, maybe it’s a vaccin.
Mr. President, when the science says NO, it means NO, either in english or in french. »
Par Tiracooon
Champoux – Être et ne plus être autiste
Critiques de la cohorte Marianne
Podcast inclusion scolaire (10 avril 2024)
Déclaration ministérielle (avril 2024)
https://www.who.int/news-room/questions-and-answers/item/vaccines-and-autism
https://threadreaderapp.com/thread/1878461177115660647.html
https://threadreaderapp.com/thread/1911826724708319532.html
Kevles D.J., 1985, In the Name of Eugenics, Harvard University Press : https://www.hup.harvard.edu/books/9780674445574
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