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06.03.2025 à 11:27

Aux Antilles, le magnat Bernard Hayot fait sa fortune sur le dos des plus pauvres

Linsoumission

En bas de la liste ? Bernard Hayot figure tout de même dans le top 500 des plus grandes fortunes françaises, riche d’environ 300 millions d’euros. Peu connu dans l’Hexagone, les manifestations contre la vie chère aux Antilles l’ont médiatisé ces derniers mois. Bernard Hayot est le président fondateur du groupe GBH, qui s’est développé dans l’industrie (agroalimentaire, matériaux de construction, pneumatiques), le commerce automobile, les spiritueux et la grande distribution.

GBH possède 11 Carrefour dans les Antilles, et supermarchés, magasins de sport, de bricolage aux Antilles, en Kanaky-Nouvelle-Calédonie, à la Réunion, à Mayotte mais aussi au Maghreb et en Asie. Le groupe emploie plus de 16 000 employés dans le monde, son CA est d’environ 4,5 milliards d’euros. Aux Antilles, comparés à l’Hexagone, les prix sont en moyenne 14% plus chers et dans l’alimentaire 40% plus chers, alors que les Antillais sont deux fois plus pauvres que les Français de l’Hexagone. Notre article.

La pwofitasyon

Bernard Hayot est un Béké de Martinique, descendant d’une famille de colons arrivés à la Martinique au 17ème siècle, héritier d’une fortune familiale issue du sucre, fondée sur l’esclavage.

Les Békés représentent 1% de la population et détiennent 40% de l’économie. 4 groupes familiaux se partagent 80% du marché de la distribution antillaise et 50% du commerce d’importation alimentaire, dont le groupe Bernard Hayot. A la Réunion, environ 37 % des parts de marché de la grande distribution et 45 % des dépenses de consommation courante des ménages sont générées par le groupe. GBH est le premier employeur privé de Martinique.

En septembre 2024, le RPPRAC (Rassemblement pour la protection des peuples et des ressources afro-caribéens) lance un soulèvement contre la pwofitasyon (exploitation outrancière capitaliste et coloniale) en Martinique, qui s’étend à la Guadeloupe et à la Guyane (le premier mouvement est parti de Guadeloupe en 2009). Ce mouvement social dénonce la vie chère et la dépendance à Paris. Le gouvernement Macron y a répondu par la répression avec notamment l’envoi de CRS en Martinique. Depuis décembre 1959, il n’y avait pas eu de CRS sur l’île, le conseil général de Martinique ayant alors décidé du « retrait de tous les CRS et des éléments racistes indésirables ».

Pour aller plus loin : Des prix 40 % plus élevés en Martinique, la mobilisation contre la vie chère ne faiblit pas

Économie coloniale

Les Outre-Mer sont maintenues dans un système colonial avec notamment une monoculture intensive, la France ayant imposé à l’agriculture locale l’exportation au détriment des cultures vivrières, « la bananisation des Antilles », selon l’expression de Malcolm Ferdinand, qui empêche toute autonomie alimentaire. Une des revendications des mobilisations est de soutenir la production et la consommation des produits locaux.

Aux Antilles, comparés à l’Hexagone, les prix sont en moyenne 14% plus chers et dans l’alimentaire 40% plus chers, alors que les Antillais sont deux fois plus pauvres que les Français du continent. En effet, à 8000 km de l’Hexagone, aux Antilles, entre 50 et 80% des produits consommés sont importés et 80% des importations viennent de France et d’Europe. Le commerce avec les voisins des Caraïbes et des Amériques est extrêmement limité.

Le rapport de la commission d’enquête parlementaire sur le coût de la vie en Outre-mer de Johny Hajjar conclut en 2023 à un système organisé de « captation économique et d’enrichissement de quelques-uns ». La même année, Mathilde Panot souligne à l’Assemblée Nationale les difficultés des habitants des Outre-Mer : « Ils subissent ensuite les difficultés liées à l’alimentation, le prix de l’huile, par exemple, ayant progressé de 137 % en un an, celui des pâtes de 29 %, et sachant que, comme vous le savez, les prix de base sont largement supérieurs – de 30 à 50 % – dans les territoires ultramarins. »

Pratiques frauduleuses de GBH

En novembre 2024, en Martinique, quatre lanceurs d’alerte assignent le Groupe Bernard Hayot devant le tribunal de commerce de Fort-de-France à rendre publics ses comptes. En janvier 2025 une nouvelle plainte est déposée contre les grands distributeurs la Martinique pour pratiques commerciales abusives. Les lanceurs d’alerte invitent les citoyens à co-signer cette plainte, pour fédérer, en demandant transparence et régulation des prix des produits de première nécessité.

Libération, dans une enquête publiée le 9 janvier 2025, basée sur des sources internes et des documents comptables, dévoile les pratiques frauduleuses du groupe GBH. Le journal pointe l’opacité des comptes et des marges très importantes. Dans la vente automobile, GBH réalise 18 à 28% de marges nettes outre-mer, soit 4 fois celles réalisées dans l’Hexagone sur les mêmes voitures vendues. Le groupe met en avant des frais d’approche (coûts de transport, d’importation et d’octroi de mer), mais la structure du groupe avec des filiales permettrait d’accumuler des marges, de ventiler les bénéfices et d’alléger les comptes d’exploitation des entreprises les plus rentables.

Nous allions oublier que Bernard Hayot a été élevé par décret du 3 juillet 2024, à la dignité de grand officier de l’ordre national de la Légion d’honneur ! La France reconnaissante…

Par Sandrine Cheikh

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