06.12.2023 à 16:37
CULTURE - 4 films à voir en salle en décembre !
Christian Benedetti - Le Journal de l'insoumission n°1780 (décembre 2023)
Rosa, 60 ans, a sacrifié toute sa vie à son travail d’infirmière, sa famille et à la politique en faveur des plus modestes. À la veille d’une échéance électorale où elle doit jouer un rôle important, elle tombe amoureuse d’un homme, Henri. La voilà tiraillée entre son envie de vivre cette histoire d’amour à fond et son devoir de femme politique. « Ce sont les mobilisations populaires après la tragédie de la rue d’Aubagne (l’effondrement des immeubles qui a fait huit morts en 2018) qui ont permis à la gauche de remporter la mairie de Marseille. Les habitants de la rue d’Aubagne ont fait de la politique à leur manière, sans le savoir. Ce n’est pas non plus un film sur la rue d’Aubagne, mais c’est son centre de gravité. Les personnages tournent autour de cet effondrement et de l’espace vide et blanc comme un linceul tels des électrons autour d’un noyau qui, coïncidence, est occupé par une statue d’Homère, le père de tous les récits… »
C’est l’histoire d’Edgardo Mortara, un jeune enfant juif né à Bologne en 1851, baptisé en secret, bébé, par sa servante, enlevé à sa famille à six ans, sur ordre du pape, et placé dans un institut à Rome. Il sera élevé dans la foi catholique jusqu’à l’âge adulte. Une histoire qui est loin d’être un cas isolé, et qui a secoué l’Italie du XIXe siècle, une pratique répandue à l’époque, exercée au nom de Dieu pour « sauver l’âme » des juifs. Il y eut des centaines de cas depuis les années 1500. La seule manière de récupérer leur enfant était ces conversions secrètes, qui étaient utilisées par les autorités comme levier pour pousser les familles juives à épouser la religion catholique. La famille Mortara, elle, n’a jamais accepté de choisir entre son enfant et sa religion et devient un symbole de la résistance face à l’inquisition.
Au nord-est du Royaume-Uni, à Murton, marquée par le chômage la mine a fermé, le pub local, « The Old Oak », lieu social de la solidarité des mineurs autrefois syndiqués contre la violence thatchérienne est le dernier endroit où les habitants se retrouvent… des habitués, d’anciens collègues de la mine, qui font passer le temps devant une bière. L’arrivée de migrants syriens fuyant la guerre et la torture devient pour eux un acte de guerre. II est aussi l’histoire d’un lien qui se noue peu à peu entre une jeune fille qui regarde le monde et les gens à travers son appareil photo, et le propriétaire du pub, qui va faire revivre les vieux rêves de fraternité et de résistance collective, l’accueil et le partage.
« Si on ne se bat pas, qu’est-ce qui reste ? », dit Ken Loach
Wim Wenders et Anselm Kiefer, sont nés la même année (1945) pas très loin l’un de l’autre. L’un a préféré tourner la page du passé de l’Allemagne et la fuir, l’autre en est resté obsédé et a construit tout autour une œuvre noire…
Ce film de Wim Wenders à travers les personnalités qui ont compté pour lui, notamment le poète Paul Celan et le plasticien Joseph Beuys, nous immerge dans l’œuvre monumentale de l’un des plus grands artistes contemporains.
La quiétude dans l’obscurité et parfois la lumière qui surgit plus intensément encore qu’en plein jour. Né dans la dévastation qui trouve la beauté enfouie sous la cendre, son errance silencieuse dans ses hangars et l’eau qui cicatrise le feu.
Anselm Kiefer questionne la notion de destruction comme personne.
À la fin, Kiefer en funambule, puis le petit garçon qui descend de l’échelle (son double enfant – le petit neveu de Wim Wenders), il finira par le porter sur ses épaules… comme les ailes d’un ange…
01.12.2023 à 14:32
NOIR DIMANCHE
L’image est tragique. Les conséquences politiques le sont encore plus. Dimanche 12 novembre 2023 est à marquer d’une pierre noire dans l’histoire politique de notre pays. Le jour où l’alliance allant de la macronie à l’extrême droite s’est affichée sans complexe dans les rues de Paris. Le jour où les droites macronistes et LR ont fini de rendre respectable le Rassemblement National. Cet évènement politique majeur marque un franchissement de seuil dans la recomposition politique que les insoumis·es dénoncent depuis des mois. En France, en Europe, le même paysage politique s’installe avec la constitution d’un bloc alliant les droites à l’extrême droite, installant un climat xénophobe de plus en plus présent. Un climat non pas issu de la population mais de la classe politique et médiatique.
Ce n’est pas d’aujourd’hui que les rapprochements ont commencé. De Sarkozy à Ciotti, la droite LR, au gré de ses déconvenues électorales a cru trouver la solution de son salut dans une radicalisation droitière chassant l’électeur sur le terrain de l’extrême droite. Abandonnant au passage la construction de tout projet idéologique, LR navigue à vue depuis plusieurs années. Après la « droite forte » de N. Sarkozy, « la droite décomplexée » de J-F. Copé, « Pour que la France reste la France » de L. Wauquiez, c’est avec le slogan « Autorité, liberté, identité » qu’Eric Ciotti ravit la présidence LR en 2022. Une élection qui parachève un basculement dans le rapport de force interne au profit de celleux qui pensent sauver LR en braconnant à l’extrême droite. Les résultats de cette stratégie ont été ceux que l’on connaît, la droite LR n’en finit pas de s’effondrer, littéralement siphonnée par le RN. Et pourtant, ils continuent de creuser, en témoignent les débats au Sénat sur le vote de la loi immigration, avec l’adoption d’amendements tout droit sortis du programme du RN : suppression de l’AME (aide médicale de l’État), remise en cause du droit du sol, conditionnement des aides sociales, attaque sur le regroupement familial, renforcement de l’arbitraire préfectoral dans l’attribution des titres de séjour…
De son côté, la macronie au pouvoir depuis 2017, élue par deux fois au nom du barrage républicain, est en vérité un viaduc pour l’accession au pouvoir de l’extrême droite. Depuis juin 2022, les rapprochements sont criants avec une complaisance croissante des macronistes vis-à-vis de l’extrême droite (élection de deux vices-présidences RN à l’Assemblée nationale grâce à leurs voix, des votes en commun contre des mesures de justice sociale à l’Assemblée…) et un ministre de l’Intérieur extrême droitisé. En point d’orgue, cette initiative conjointe de marche de Yaël Braun-Pivet et de Gérard Larcher, à laquelle le RN est conviée. Une marche contre l’antisémitisme avec des antisémites. Réaffirmons-le de toutes nos forces, il ne peut y avoir d’union nationale avec un parti fondé par des nazis, dont les statuts ont été déposés en 1972 par J-M. Le Pen et Bousquet, ancien Waffen-SS.
Dès lors cette marche était vouée à l’échec, sauf pour le RN ou Reconquête. Une marche de la haine en vérité, durant laquelle les violences verbales et physiques de l’extrême droite ont pu s’exprimer librement, à Paris mais aussi dans toute la France lorsque cette initiative était reprise. Une violence allant jusqu’à des menaces de mort envers Jean-Luc Mélenchon et tous les insoumis.es ou envers E. Macron. Une initiative à laquelle la gauche d’avant a participé, sous les huées des présent.es, cédant ainsi au diktat ambiant.
À force d’être invités à la table, les chiens sautent dessus et renversent tout sur leur passage. Partout où les droites et la gauche d’avant ont mené des politiques de casse sociale, la misère se répand, nourrissant un ressentiment dangereux envers les dirigeants politiques. Un processus dégagiste qui peut profiter comme en Argentine dernièrement à des candidat.es d’extrême droite. Javier Milei est arrivé au pouvoir à la faveur d’une situation sociale désastreuse (inflation à 140%, 40% de pauvres…), sur un agenda ultra-libéral sur le plan économique et ultra-réactionnaire sur le plan des libertés publiques et sur les questions sociétales. Un fou furieux qui a fait campagne une tronçonneuse à la main pour imager sa volonté de détruire l’État et ses services publics… Un candidat soutenu par la droite argentine au second tour. On pensait avoir connu le pire avec Trump ou Bolsonaro, la bête immonde est féconde. Détruisons-la avant qu’elle ne nous détruise.
22.11.2023 à 20:15
DOSSIER - Palestine - Israël Une paix juste et durable
Arnaud Le Gall - Le Journal de l'insoumission n°1779 (Novembre 2023)
Situation au Proche-Orient - Le point avec Arnaud Le Gall, député LFI-NUPES du Val-d’Oise, membre de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale. Nous vous proposons un dossier sous forme d’entretien.
Depuis des années le conflit entre la Palestine et Israël s’enlise, quelle est votre observation sur cette situation géopolitique inquiétante ?
Penser que l’abandon de toute perspective de règlement politique du conflit aboutirait à sa mise en sommeil définitive a été gravissime. Les conséquences de ce déni vont au-delà de l’intensification de la guerre entre Israël et la Palestine débutée avec le massacre perpétré par le Hamas contre les civils israéliens le 7 octobre, à laquelle Israël a répondu par une vengeance collective contre les civils de Gaza. Les nombreuses tensions et fractures d’une région extrêmement instable se sont immédiatement réveillées, avec des conséquences imprévisibles.
Comment qualifiez-vous ce qui se passe depuis le 7 octobre en Israël et à Gaza ?
Comme la nouvelle séquence d’une guerre, reconnue comme telle par l’ONU. Elle oppose d’un côté un État israélien dont le gouvernement a intensifié sa politique de colonisation illégale depuis des années, et formalisé son déni du droit des Palestiniens à disposer d’un État au terme de négociations sur la base des territoires de 1967, droit pourtant reconnu par l’ONU et l’essentiel de ses États membres ; de l’autre côté un peuple ayant, par la voix de l’Autorité palestinienne le représentant officiellement au yeux de la communauté internationale depuis 1993 et les accords d’Oslo, reconnu officiellement l’État d’Israël, sans rien obtenir en retour, ce qui a favorisé l’ascension du Hamas. Le massacre commis par le Hamas est ignoble et injustifiable, mais « ne tombe pas du ciel », pour reprendre les mots d’Hubert Védrine. C’est un acte de terreur, mais aussi un crime de guerre, voire un crime contre l’humanité, pour reprendre les catégories du droit international en la matière. La vengeance collective décidée en retour contre l’ensemble de la population de Gaza, bombardée et assiégée, est aussi une terreur exercée par un État, un crime de guerre, voire un crime contre l’humanité.
Après ces évènements dramatiques, la France insoumise a fait l’objet d’une cabale médiatico-politique et d’un déchaînement de haine. Pourquoi ?
Il y a plusieurs ingrédients à ce déferlement de propagande, de calomnie et de menaces de mort. De l’opportunisme cynique : c’est une occasion rêvée de tenter de détruire la seule grande force d’opposition populaire et sociale pouvant contrecarrer l’axe extrême centre-extrême droite. Une progression du néoconservatisme et d’une vision binaire d’un monde partagé entre forces du bien et forces du mal. Ici Israël incarne le bien, la « démocratie » face à une « barbarie », dont les propagandistes français ne rappellent jamais qu’elle inclut aux yeux du gouvernement Netanyahou tous les Palestiniens, qualifiés d’« animaux humains ». Cette propagande n’a rien à voir avec la défense légitime d’Israël, et tout à voir avec le racisme. Cela permet aussi de balayer tout questionnement sur les motivations politiques du conflit.
Aucun questionnement n’est plus possible. Par exemple aucun des contempteurs de la France insoumise n’a accepté de relever les citations authentiques de Netanyahou, pourtant commentées dans la presse israélienne, rappelant qu’il a soutenu le Hamas. Ainsi il disait en 2019 devant ses députés : « Quiconque veut contrecarrer la création d’un État palestinien doit soutenir le renforcement du Hamas et transférer de l’argent au Hamas. Cela fait partie de notre stratégie ». Pourquoi est-il si difficile de reconnaître que le gouvernement Netanyahou fait, comme le Hamas, partie du problème et non de la solution ? Parce que cela reviendrait à critiquer le gouvernement d’Israël. Et pour les « soutiens inconditionnels » de ce dernier, critiquer le gouvernement d’Israël c’est être antisémite, ce qui équivaut à une ostracisation du débat public. Il faut donc du courage pour dire la réalité.
Comment et dans quel cadre peut-on retrouver le chemin de la paix au Proche-Orient ? Quel rôle doit jouer la France et la communauté internationale selon vous ?
Jean-Luc Mélenchon, avec d’autres, a rappelé la position traditionnelle de la diplomatie française. De De Gaulle à Chirac en passant par Mitterrand. La France devrait retrouver la position de fer de lance des médiations et d’une solution politique susceptible d’aboutir à une paix juste et durable au Proche-Orient. Objectif inatteignable sans reprise des négociations sur la base des résolutions de l’ONU. Et ces négociations ne pourront pas reprendre sans pression internationale contraignant le gouvernement israélien à laisser ré-insuffler une légitimité et une capacité d’action à l’Autorité palestinienne, seul interlocuteur légitime pour négocier la paix. Seule, la France n’a pas le pouvoir de faire aboutir cela, mais elle a le pouvoir de mettre les mots sur les choses.
Mais on en est loin. La réponse politique du gouvernement a été désastreuse. Il a commencé par criminaliser toute expression de soutien à la Palestine, et n’a rien dit sur le traitement criminel infligé par Israël aux Palestiniens de Gaza, ni sur la nécessité d’un cessez-le-feu. Il a accrédité l’idée antihumaniste et désastreuse qu’une vie israélienne et une vie palestinienne ne se valent pas. Puis Emmanuel Macron a semé la confusion en reprenant à son compte une rhétorique de la « guerre au terrorisme » totalement inadaptée, avant d’être démenti… par les services de l’Élysée. Il a ensuite énoncé quelques généralités sur la nécessité d’une « solution politique » sans en préciser ni les contours ni le moyen d’y parvenir.