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25.04.2025 à 14:44

Du navire négrier à la Tour Eiffel : 200 ans de la dette imposée par la France à Haïti

Nadim Fevrier

Haïti. L’Insoumission et le média espagnol Diario Red (Canal Red) s’associent pour proposer à leurs lecteurs des contenus sur les résistances et les luttes en cours en France, en Espagne et en Amérique du Sud. À retrouver sur tous les réseaux de l’Insoumission et de Diario Red.

Le 17 avril 1825, la France monarchiste, esclavagiste et impériale infligea à Haïti, son ancienne colonie, la première politique néocoloniale de l’histoire, destinée à la soumettre non plus par les armes et l’occupation, mais par la dette. L’Insoumission et Diario Red revient sur cet épisode particulièrement tragique de la sombre histoire du colonialisme français, dont les conséquences délétères se manifestent encore aujourd’hui dans une nation haïtienne toujours asphyxiée financièrement.

« Il n’est pas de document de civilisation qui ne soit en même temps un document de barbarie ». Cette citation, bien connue, est extraite de Sur le concept d’histoire du philosophe allemand Walter Benjamin. Il serait difficile de trouver une synthèse plus appropriée pour évoquer l’anniversaire des évènements les plus infâmes de l’histoire de l’humanité : le bicentenaire de l’imposition par la France à Haïti de la prétendue « dette d’indépendance ». De même, il serait ardu de dénicher un « document de civilisation et de barbarie » plus symbolique et controversé.

Nous faisons référence à ce qui est peut-être le monument européen le plus emblématique : la Tour Eiffel, universellement connue, omniprésente sur les cartes postales, dans les films, les porte-clés, les recueils de poésie et les manuels de français, visitée chaque année par 5 à 7 millions de touristes du monde entier. Mais quel lien existe-t-il entre ce symbole par excellence de la bohème et de la Belle Époque et la tragique histoire de l’esclavage, des plantations, de la traite négrière et du colonialisme ? Notre article.

Haïti : une histoire révolutionnaire et internationaliste

Tout commence à la fin du XVIIIe siècle, dans la colonie la plus riche de la planète – alors appelée Saint-Domingue, à l’ouest de l’île d’Hispaniola, en plein cœur de la mer des Caraïbes –, lorsqu’éclate une révolte de mulâtres propriétaires. Ces derniers, inspirés par la Révolution française, y voient une occasion de réclamer l’égalité des droits face aux propriétaires blancs, ainsi que de négocier une certaine autonomie locale et leur propre représentation devant la Convention nationale.

Jusqu’alors, le sort des centaines de milliers d’Afro-descendants réduits en esclavage sous le joug brutal des plantations – principalement sucrières, mais pas exclusivement –, où un esclave survivait en moyenne sept ans dans des conditions infernales, ne trouvait aucun défenseur. La « Perle des Antilles » ne brillait pas pour tous.

Mais dans un enchaînement d’événements catastrophiques, tant en France qu’à Saint-Domingue, cette révolte finit par réveiller les forces endormies des « damnés de la terre », prenant la forme d’une révolution anti-esclavagiste et anticoloniale (sous la direction du précurseur Toussaint Louverture), puis celle d’une révolution anti-plantationniste, nationale, culturelle et indépendantiste (menée par le véritable père de la nation haïtienne, le général Jean-Jacques Dessalines, méprisé – quand il n’est pas tout simplement ignoré – par l’historiographie occidentale, y compris progressiste).

La Révolution haïtienne se conçoit même comme une révolution universelle et internationaliste, donnant naissance à la première intelligentsia anticoloniale du continent et qui œuvra activement à combattre l’esclavage, la traite et la déshumanisation dans tout l’hémisphère, du Brésil aux États-Unis. Tout moun se moun, « tous les êtres humains sont des êtres humains » en créole haïtien, devient dès lors la devise de l’humanisme anticolonial avancé né au sein du « Black Atlantic ».

« La Révolution haïtienne se conçoit même comme une révolution universelle et internationaliste, donnant naissance à la première intelligentsia anticoloniale du continent et œuvrant activement à combattre l’esclavage, la traite et la déshumanisation dans tout l’hémisphère »

Après treize ans d’une guerre colossale qui dévasta l’économie et l’écosystème de l’île (les plantations, souvenirs traumatiques, furent en grande partie détruites), les anciens esclaves finirent par vaincre les esclavagistes organisés dans l’armée la plus puissante du monde : celle de Napoléon.

Bien avant sa défaite à Waterloo en 1815, comme on l’enseigne encore aujourd’hui aux enfants européens et américains, Le futur Empereur mordit la poussière sur les champs de Vertières, dans le nord d’Haïti, en novembre 1803. Ce revers humiliant pour ceux qui considéraient les Haïtiens comme des sous-hommes marqua aussi la fin du rêve impérial français dans l’hémisphère américain.

Le ressentiment de Napoléon fut tel qu’il ordonna d’effacer le nom d’Haïti – un mot taïno fièrement repris par les révolutionnaires noirs – des archives de l’État français, ce qui explique peut-être l’ignorance généralisée des Français, encore aujourd’hui, à l’égard de ce pays et de l’histoire coloniale brutale qui les propulsa au rang de puissance économique mondiale.

Mais la France ne fut pas la seule puissance humiliée : en intervenant avec intelligence et audace dans les rivalités inter-impérialistes du début du siècle, les Haïtiens défirent aussi les ambitions britanniques et espagnoles. Seul un autre peuple, les Vietnamiens, reproduirait plus d’un siècle et demi plus tard cet exploit singulier : vaincre trois armées coloniales. De même, Vietnamiens et Haïtiens arrachèrent à leurs colonisateurs la reconnaissance de leur pleine humanité uniquement par l’exercice méthodique – et parfois chaotique – de la violence révolutionnaire.

Ainsi, le 1er janvier 1804, le monde vit naître, issue de l’une des révolutions des plus radicales de l’histoire humaine, une République noire fière et souveraine, la première nation indépendante au sud de l’hémisphère, précurseur incontournable des révolutions hispano-américaines de 1809-1825, toutes redevables à cette première révolution.

« Après treize ans d’une guerre colossale qui dévasta l’économie et l’écologie de l’île (les plantations, souvenirs traumatiques, furent en grande partie détruites), les anciens esclaves finirent par vaincre les esclavagistes organisés dans l’armée la plus puissante du monde : celle de Napoléon ».

https://x.com/L_insoumission/status/1859596222878646335

La dette comme arme de la contre révolution coloniale

Mais, annonçant le sort des révolutions du XXe siècle, la révolution haïtienne fut encerclée, exclue et agressée. Le patriote états-unien Thomas Jefferson, illustre esclavagiste, donna le ton de la politique occidentale envers la jeune république : « Tant que nous empêcherons les Noirs de posséder des navires, nous pourrons tolérer leur existence et continuer à commercer avec eux de manière très lucrative […] Haïti peut exister comme un grand marronnage, un Quilombo ou un Palenque. Mais il est hors de question de l’accepter dans le concert des nations. » Toute ressemblance avec la politique des « armées blanches » contre la Révolution bolchevique de 1917 ou celle des États-Unis contre Cuba sous Fidel Castro n’est évidemment pas une simple coïncidence.

À cette approche, qui entraîna des années d’isolement diplomatique et commercial pour Haïti, s’ajouta la position française. Rapidement, les anciens colons survivants, certains rentrés en métropole, d’autres réfugiés dans les îles voisines avec leurs « biens meubles humains », se regroupèrent pour exiger la revendication la plus insensée et immorale : que les anciens esclaves paient à leurs anciens maîtres le prix de leur liberté, en les « dédommageant » pour la perte de leurs terres et plantations – et, dans le cas de l’État français, pour ses navires et équipements militaires.

Comme cet argument ne convainquit guère les patriotes et les masses haïtiennes qui avaient combattu sous la devise « la liberté ou la mort », la France dut appuyer sa « demande » en déployant une escadre de 14 navires de guerre dans la baie de Port-au-Prince, prête à envahir le pays, le recoloniser et rétablir l’odieux esclavage, comme elle le fit clairement savoir. Ainsi, sous la contrainte militaire, l’État haïtien fut forcé d’accepter sa « dette » : la première politique néocoloniale de l’histoire était née.

Le montant exigé, exorbitant, s’élevait alors à 150 millions de francs. Tout au long du XIXe siècle, Haïti dut contracter des prêts successifs auprès de la France et des États-Unis pour refinancer, à des taux usuriers, une dette impayable qui, entre 1825 et 1883, étrangla son économie et siphonna une grande partie de ses richesses, malgré le boom international du prix du café (toute similitude avec les méthodes actuelles de la Banque mondiale ou du FMI n’est évidemment pas fortuite).

« Tout au long du XIXe siècle, Haïti dut contracter des prêts successifs auprès de la France et des États-Unis pour refinancer, à des taux usuriers, une dette impayable qui, entre 1825 et 1883, étrangla son économie et siphonna une grande partie de ses richesses. »

Certaines estimations indiquent que sur chaque dollar produit par le pays, seuls 6 cents restaient sur place : le reste partait dans les poches sans fond des usuriers, principalement du CIC, la banque « Crédit Industriel et Commercial ». Ainsi, cet acronyme anodin devint le nom infâme du nouveau colonisateur, et le pays se retrouva piégé, comme sous l’Ancien Régime, dans une nouvelle Bastille : la prison néocoloniale de la dette.

« Une banque sans mémoire », selon Nicolas Stoskopf, le CIC, une institution financière qui existe encore aujourd’hui, appartenant désormais au Crédit Mutuel de Vincent Bolloré, a effacé Haïti de ses comptes, tout comme Napoléon avait ordonné d’effacer le nom du pays – une amnésie planifiée qui se répète jusqu’à nos jours.

Une partie de la dette fut finalement reprise par les banques états-uniennes lorsque les États-Unis envahirent Haïti et prirent le contrôle de ses finances, lors d’une occupation militaire qui dura près de deux décennies, entre 1915 et 1934. Le dernier dollar de cette dette transférée ne fut remboursé qu’en 1947, 122 ans après son imposition !

Revenons à la France : il est crucial de rappeler que c’est notamment l’argent des paysans et des travailleurs haïtiens qui finança plusieurs des merveilles de la Belle Époque – parmi elles, rien de moins que la Tour Eiffel, en partie construite grâce aux fonds détournés d’Haïti par le CIC. Chaque année, les millions de touristes qui la visitent génèrent environ 112 millions de dollars de revenus. Ironie grotesque de l’histoire, cette somme représente le double du budget annuel de l’État haïtien pour la santé de ses 11 millions d’habitants.

Un pays toujours étranglé 

En parlant de chiffres, il est nécessaire de se demander quelle serait aujourd’hui la valeur de cette dette odieuse. Pour ne donner qu’un exemple frappant, les estimations actuelles s’élèvent à 115 milliards de dollars, soit près de six fois le PIB actuel d’Haïti. Cette somme pourrait soulager la situation économique, humanitaire et sécuritaire critique du pays le plus pauvre de la région – et, depuis la militarisation de son territoire par les États-Unis, l’un des plus violents.

Les institutions financières internationales qualifient Haïti d’un autre acronyme pervers : « PPTE », un « pays pauvre très endetté », avec une dette d’environ 6 milliards de dollars. Pourtant, l’histoire démontre clairement qu’Haïti est un créancier légitime de son ancienne puissance coloniale, sans même compter les réparations morales et matérielles dues pour les crimes de la traite, de l’esclavage et des plantations – une revendication largement soutenue dans les Caraïbes.

Alors que l’Occident se lamente hypocritement sur le sort malheureux d’Haïti, il ignore que la dette que la France doit payer pourrait financer, par exemple, un réseau national d’eau potable pour éradiquer le choléra introduit par l’ONU en 2010, ou améliorer les infrastructures routières d’un pays où les deux principales villes, Port-au-Prince et Cap-Haïtien, distantes de seulement 200 km, ne sont pas reliées par une route goudronnée. Elle pourrait aussi équiper et former une police nationale démunie, seul corps sécuritaire face aux groupes paramilitaires armés et financés par le narcotrafic et des mercenaires états-uniens. La liste est interminable.

La France peut refuser cette revendication, mais elle ne peut feindre l’ignorance. Le remboursement de la « dette d’indépendance » fut publiquement exigé par le dernier président pleinement démocratique d’Haïti, le prêtre progressiste Jean-Bertrand Aristide, qui réclama 21 milliards de dollars au début des années 2000. La réponse à cette demande fut une intervention militaire franco-américano-canadienne qui le renversa – coïncidence cruelle, cette occupation eut lieu en 2004, année du bicentenaire de la révolution haïtienne.

*Le remboursement de la « dette d’indépendance » fut publiquement exigé par le dernier président pleinement démocratique d’Haïti, le prêtre progressiste Jean-Bertrand Aristide.*

Rappelons aussi que la France accueillit l’ex-dictateur Jean-Claude Duvalier, fils de François Duvalier (Papa Doc), dont les régimes sanglants durèrent 29 ans. Soutenue par les États-Unis pendant la Guerre froide, cette dictature appliqua précocement la doctrine contre-insurrectionnelle française développée en Algérie et au Vietnam, avec ses escadrons de la mort, ses disparitions et ses centres de torture. Papa Doc et Baby Doc volèrent au moins 900 millions de dollars au Trésor haïtien.

Peu se souviennent de cet épisode, tout comme peu savent que les « gazages » de Napoléon contre les esclaves rebelles en Haïti préfigurèrent les enfumades lors de la colonisation de l’Algérie..Seuls deux présidents français ont visité Haïti en deux siècles. En 2010, le « socialiste » François Hollande déclara avant son arrivée : « Quand j’arriverai à Haïti, je paierai la dette que nous avons. » Hélas, il ne parlait que d’une dette morale – de celles qui ne construisent ni routes, ni écoles, ne soignent pas le choléra et ne garantissent aucun droit. Mais Haïti n’a pas besoin de symboles : elle exige ce qu’on lui doit, les milliards qui pourraient, 200 ans après cette dette infâme, financer sa reconstruction.

Par Lautaro Rivara

Sociologue, docteur en histoire et étudiant postdoctoral à l’UNAM. Journaliste et analyste international spécialisé dans la géopolitique et l’histoire de l’Amérique latine et des Caraïbes. Il a couvert Haïti, la Colombie, l’Équateur, le Paraguay et d’autres pays de la région. Coordinateur des livres « El nuevo Plan Condor » et « Internacionalistas ».

Crédits photo : « Earthquake survivors sing and dance on Toussant Boulevard to gospel music being played in Port-au-Prince », Haiti, Jan. 26, 2010., Justin E. Stumberg, Flickr, CC0 1.0, pas de modifications apportées.

25.04.2025 à 11:46

Pourquoi Israël doit être exclu de l’Eurovision

Nadim Fevrier

Israël doit être exclu de l’Eurovision. C’est le sens de la pétition lancée par les insoumis Thomas Portes et Rima Hassan. « Aujourd’hui, une question grave se pose à l’Europe : le concours européen de la chanson va-t-elle devenir la scène d’un art-washing du premier génocide filmé de l’histoire de l’humanité ? ». Car oui, l’art n’est pas neutre et ne le sera jamais.

L’Eurovision, « haut lieu de diplomatie internationale », visionné par 163 millions de téléspectateurs en 2024, offre une tribune à tout pays y participant. Hors, comment laisser l’État d’Israël y participer, alors que le génocide en Palestine est toujours en cours ? Comment accepter un tel état de fait, alors que la Russie a été exclue en 2022 et la Biélorussie en 2012 ? Le deux poids, deux mesures, toujours.

« Nous lançons un appel solennel à l’UER et à ses représentantes françaises : ne fermez pas les yeux sur le génocide en cours. N’offrez pas une scène à un État qui bombarde, affame et détruit le vivant. Refusez la participation d’Israël à l’Eurovision 2025. […] Il en va de la mémoire des victimes et de la dignité des peuples. », écrivent Thomas Portes et Rima Hassan. L’insoumission relaie dans ses colonnes leur pétition.

Pour aller plus loin : « Éliminer Gaza […] et ne pas y laisser âme qui vive » – LFI appelle à la mobilisation pour empêcher le concert à Paris du chanteur génocidaire Eyal Golan

« Le concours européen de la chanson va-t-elle devenir la scène d’un art-washing du premier génocide filmé de l’histoire de l’humanité ? » : les insoumis Thomas Portes et Rima Hassan demandent l’exclusion d’Israël de l’Eurovision 

L’art n’a jamais été neutre et l’Eurovision est depuis toujours un haut lieu de diplomatie internationale. Aujourd’hui, une question grave se pose à l’Europe : le concours européen de la chanson va-t-elle devenir la scène d’un art-washing du premier génocide filmé de l’histoire de l’humanité ? 

Depuis plus de 17 mois, les autorités israéliennes mènent une politique d’extermination assumée. Peu après la rupture du cessez-le-feu, le ministre israélien de la défense déclarait que les Gazaouis n’avaient d’autre choix que « partir ou mourir ». Une déclaration glaçante, sans précédent dans l’histoire contemporaine : jamais un haut responsable militaire n’avait aussi clairement appelé à la destruction d’un peuple. 

Amnesty International a recensé 102 déclarations similaires entre octobre 2023 et juin 2024 émanant de responsables israéliens. Des propos qui, mis bout à bout, dessinent la trame d’une politique d’extermination assumée. 

La Cour internationale de justice a, depuis plus d’un an, multiplié les alertes sur un risque de génocide à Gaza. Les rapports d’experts internationaux indépendants, accablants, attestent de la multiplication des crimes de guerre. Le chiffre officiel, largement sous-estimé, approche aujourd’hui les 52 000 morts, depuis le 8 octobre 2023. 

Dans la seule semaine qui a suivi la violation du cessez-le-feu, plus de 1000 enfants ont été tués ou blessés, un triste record sur l’année écoulée. À cela s’ajoutent 400 000 nouveaux déplacés depuis la rupture du cessez-le-feu, selon l’ONU. Un chiffre d’autant plus tragique que la quasi-totalité des 2,4 millions d’habitants de Gaza avait déjà été contrainte à fuir au moins une fois entre octobre 2023 et janvier 2025. 

Les Gazaouis sont pris au piège, bombardés, affamés, privés de soins. Les convois humanitaires restent bloqués aux frontières, bloqués par Israël, tandis que les frappes ciblent délibérément soignants, humanitaires et journalistes, plus de 200 ayant été assassinés. 

Par ailleurs, en Cisjordanie, le droit international le rappelle sans cesse : l’occupation israélienne des territoires palestiniens est illégale, et la colonisation constitue un crime de guerre. L’Assemblée générale des Nations Unies a d’ailleurs exigé explicitement qu’Israël y mette fin avant le 18 septembre 2025. 

C’est dans ce contexte qu’une Europe complice semble prête à dérouler le tapis rouge à Israël pour la 69e édition du concours Eurovision de la chanson, prévue en Suisse à partir du 13 mai prochain. 

Trente-sept pays y sont représentés, dont Israël. Le concours européen de la chanson attire un engouement mondial, avec des centaines de millions de téléspectateurs : 163 millions pour l’édition 2024, et des votes en provenance de 156 pays. Dans certains des pays participants, le show fait près de 70% d’audience. 

Permettre à Israël de monter sur scène en ces circonstances, c’est fermer les yeux sur des crimes contre l’Humanité et le piétinement du droit international. C’est légitimer le fait qu’on puisse raser des hôpitaux, affamer des populations et tuer des enfants tout en chantant l’amour et la paix sous des projecteurs. C’est offrir à un État colonisateur et expansionniste une tribune de blanchiment moral, un « art-washing » d’une redoutable efficacité. 

L’Eurovision est une plateforme politique convoitée. À ce titre, ce terrain d’arts et de culture est aussi un champ de bataille pour la justice. L’Union européenne de radio-télévision (UER) en est bien consciente. En 2022, elle avait exclu la Russie. En 2012, la Biélorussie avait été écartée pour non-respect de la liberté de la presse. 

Pourquoi ce deux poids, deux mesures ? Pourquoi ce silence aujourd’hui ? Pourquoi cette complaisance face à un génocide en cours ? 

Nous lançons un appel solennel à l’UER et à ses représentantes françaises : ne fermez pas les yeux sur le génocide en cours. N’offrez pas une scène à un État qui bombarde, affame et détruit le vivant. Refusez la participation d’Israël à l’Eurovision 2025. 

Il en va de la mémoire des victimes et de la dignité des peuples.

Cliquer ici pour signer la pétition

Les Crayons de L’insoumission, par Azo.

24.04.2025 à 17:54

La fabrique du mensonge : quand l’extrême droite se cherche une légitimité scientifique

Nadim Fevrier

Extrême droite. N’est pas chercheur qui veut. Le monde universitaire français, malgré les attaques des gouvernements successifs et son sous-investissement chronique, reste une fierté par son travail et son sérieux reconnu à l’international. Il est justement fréquent pour les forces de gauche de construire leurs programmes politiques en collaboration avec des chercheurs ou experts de leurs domaines.

Mais du côté de l’extrême droite, la dynamique est tout autre. Historiquement abonnée aux théories fumeuses et au révisionnisme opportuniste, elle recycle les pires poncifs racistes et sexistes, inspirés souvent d’essayistes à la probité douteuse. Cependant, répéter les mêmes idées sans aucune source pour les vérifier, leur donner du poids, même le spectateur moyen de CNEWS peut commencer à douter. Les droites identitaires ont trouvé la parade : créer, via l’aide de milliardaires, leurs propres « instituts de recherche ». Des coquilles vides, sans chercheurs ni méthode, mais très utiles pour nourrir les plateaux télé et blanchir les pires idées.

C’est ce que révèle un dossier d’enquête de BLAST, en quatre volets, consacré à ces « observatoires » et « centres d’études » au service de la pensée d’extrême droite. L’objectif est clair : influencer l’opinion publique, produire de la « doxa » qui résonne avec les discours des réactionnaires. On vous résume l’enquête, en vous présentant ces quatre officines. Notre article.

L’OJIM : l’observatoire pourfendeur de l’ARCOM et attaquant les journalistes critiquant l’extrême droite

Fondé en 2012, l’Observatoire du journalisme (OJIM) se présente comme un outil de « veille critique » des médias. Dans les faits, c’est surtout un fichier politique qui compile des portraits de journalistes jugés trop à gauche, trop antiracistes, ou trop critiques envers les idées d’extrême droite. Derrière une apparente neutralité, l’OJIM reprend les éléments de langage de la fachosphère pour discréditer la presse d’investigation. Rien de surprenant alors de les voir sur leur site, accabler ARCOM pour son supposé acharnement envers les médias Bolloré, ou encore d’être en première ligne pour défendre le torchon xénophobe « Frontières » (ex « Livre noir »), lors de leur exfiltration de l’Assemblée nationale.

https://x.com/L_insoumission/status/1909943003742875676

BLAST révèle que ces fiches circulent parfois dans les cercles d’extrême droite pour alimenter les campagnes de harcèlement contre les journalistes ciblés. Leur directeur, Claude Chollet, proche de longue date des milieux identitaires, n’a rien d’un expert neutre du paysage médiatique.

L’Observatoire de l’éthique universitaire : le maccarthysme version académique

Ce deuxième « observatoire » se donne pour mission de surveiller l’éthique dans l’enseignement supérieur. Il est rapide de faire le lien avec la vieille critique de la droite réactionnaire, consistant à asséner que les vils universitaires démontant leurs lubies, sont en fait de dangereux « wokistes » gangrenant les universités. Théories postcoloniales, études de genre, sociologie de l’immigration : tout est rangé sous l’étiquette d’endoctrinement gauchiste.

BLAST démontre dans son dossier que cet observatoire ne mène pas de véritables enquêtes. Il ne produit pas de données ni d’analyses scientifiques. Il se contente de monter en épingle des cours, des colloques ou des déclarations d’universitaires pour alimenter l’idée d’une université en décadence, rongée par le soi-disant « marxisme culturel ». La ficelle est grosse, mais elle fonctionne : ces éléments se retrouvent repris dans les discours de l’extrême droite institutionnelle, au Parlement comme sur CNEWS.

Le pompon dans tout cela ? Cet observatoire est financé en partie par Pierre-Édouard Stérin, le fameux milliardaire à l’origine du projet « PERICLES », visant à soutenir financièrement l’extrême-droitisation du débat politique. Les membres de l’Observatoire n’étant pas en reste, nombre d’entre eux font partie du collectif d’auteurs ayant pondu « Face à l’obscurantisme woke », aux éditions PUF, dont la promo a été vivement nourrie par les médias Bolloré. Entre milliardaires, il faut bien s’arranger.

L’Observatoire de l’immigration et de la démographie : la manipulation statistique préférée des médias

L’Observatoire de l’immigration et de la démographie (OID), sous couvert de produire des études statistiques sur les flux migratoires, construit une vision tronquée, alarmiste et idéologiquement orientée des phénomènes migratoires. Cela n’empêche pas de nombreux médias de citer les notes de l’organisme comme des références fiables. Ceux de la fachosphère bien sûr, dont ceux de Bolloré, mais aussi Le Figaro, Marianne, Challenges, Le Point, et pour l’audiovisuel BFM et même France Culture, où Alain Finkielkraut a complaisamment tendu le micro au directeur de l’OID.

Comme le révèle l’enquête, les productions de l’OID n’ont rien de scientifique. Pas de méthodologie transparente, pas de comité de lecture, encore moins de confrontation avec les travaux démographiques reconnus. Rien d’étonnant puisque parmi ses membres, « on ne compte aucun chercheur spécialiste de la démographie et de l’immigration », excepté un, connu pour ses positions polémiques depuis longtemps.

L’OID recycle systématiquement les thématiques chères à la droite identitaire : coût prétendument exorbitant de l’immigration, incompatibilité culturelle, surreprésentation dans la délinquance. Ces chiffres sont souvent sortis de leur contexte ou appuyés sur des sources contestables. Cumulé à une faiblesse méthodologique constatée par BLAST, les résultats n’ont rien pour eux : « pour un think tank qui se veut sérieux et dépassionné, il lui arrive de faire des erreurs de débutants dont les notions mathématiques et statistiques n’ont pas dépassé le stade de la classe 3ᵉ ».

L’OID n’est pas un laboratoire de recherche, c’est une fabrique d’éléments de langage pour les Zemmour, Bardella et consorts. Un instrument stratégique dans une guerre culturelle où la donnée statistique devient une arme de persuasion massive.

Le CÉRIF : Islamophobie sous couverture

Le Centre européen de recherches et d’information sur le frérisme (CÉRIF) est le dernier-né de ces think tanks ricolés à la hâte. Sa cible : les Frères musulmans, mais à travers eux, une obsession plus large de l’extrême droite pour toute forme d’islam politique, voire l’islam tout court. Ce centre se prétend « scientifique », mais ne produit aucune étude référencée. Il se contente de publier des dossiers à charge, sans rigueur méthodologique, visant à accréditer l’idée que les musulmans organiseraient secrètement la subversion de la République.

BLAST pointe aussi les liens financiers et idéologiques du CÉRIF avec des fondations ultra-conservatrices proches de la droite radicale européenne. Le « frérisme » devient un mot-valise, utilisé pour disqualifier tout acteur musulman dans la vie publique. C’est une stratégie bien rodée de stigmatisation, qui habille le racisme d’une prétendue rationalité scientifique. Le CÉRIF n’est pas un centre de recherche : c’est un instrument de guerre culturelle.

Conclusion : quand les milliardaires jouent aux idéologues

Derrière ces structures se cache une mécanique bien huilée. Des ultra-riches financent ces instituts bidons à coups de millions. Objectif : faire basculer le débat public à droite toute. Comme l’analyse BLAST, ces think tanks ne sont pas des centres d’idées, mais des usines à propagande, déguisées en laboratoires scientifiques. Ces mouvements de l’extrême droite ne sont pas anodins, ils font partie d’un projet d’influence structuré et financé, comme pour le réseau Atlas.

Pour aller plus loin : Influenceurs réacs, millions d’euros, liens avec Marine Le Pen : Pierre-Édouard Stérin, le parrain invisible d’une extrême droite en croisade

Ce sont des groupuscules réactionnaires formés pour prendre le pouvoir culturel. Face à cette offensive, il est urgent de réaffirmer l’importance d’une recherche libre, d’un journalisme rigoureux et d’un débat démocratique fondé sur les faits. Nul besoin de microscope pour voir que ces instituts ne produisent pas de science. Ils produisent de l’idéologie. Et comme toujours, quand la science recule, le fascisme avance.

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