25.04.2025 à 14:44
Du navire négrier à la Tour Eiffel : 200 ans de la dette imposée par la France à Haïti
Haïti. L’Insoumission et le média espagnol Diario Red (Canal Red) s’associent pour proposer à leurs lecteurs des contenus sur les résistances et les luttes en cours en France, en Espagne et en Amérique du Sud. À retrouver sur tous les réseaux de l’Insoumission et de Diario Red.
Le 17 avril 1825, la France monarchiste, esclavagiste et impériale infligea à Haïti, son ancienne colonie, la première politique néocoloniale de l’histoire, destinée à la soumettre non plus par les armes et l’occupation, mais par la dette. L’Insoumission et Diario Red revient sur cet épisode particulièrement tragique de la sombre histoire du colonialisme français, dont les conséquences délétères se manifestent encore aujourd’hui dans une nation haïtienne toujours asphyxiée financièrement.
« Il n’est pas de document de civilisation qui ne soit en même temps un document de barbarie ». Cette citation, bien connue, est extraite de Sur le concept d’histoire du philosophe allemand Walter Benjamin. Il serait difficile de trouver une synthèse plus appropriée pour évoquer l’anniversaire des évènements les plus infâmes de l’histoire de l’humanité : le bicentenaire de l’imposition par la France à Haïti de la prétendue « dette d’indépendance ». De même, il serait ardu de dénicher un « document de civilisation et de barbarie » plus symbolique et controversé.
Nous faisons référence à ce qui est peut-être le monument européen le plus emblématique : la Tour Eiffel, universellement connue, omniprésente sur les cartes postales, dans les films, les porte-clés, les recueils de poésie et les manuels de français, visitée chaque année par 5 à 7 millions de touristes du monde entier. Mais quel lien existe-t-il entre ce symbole par excellence de la bohème et de la Belle Époque et la tragique histoire de l’esclavage, des plantations, de la traite négrière et du colonialisme ? Notre article.
Tout commence à la fin du XVIIIe siècle, dans la colonie la plus riche de la planète – alors appelée Saint-Domingue, à l’ouest de l’île d’Hispaniola, en plein cœur de la mer des Caraïbes –, lorsqu’éclate une révolte de mulâtres propriétaires. Ces derniers, inspirés par la Révolution française, y voient une occasion de réclamer l’égalité des droits face aux propriétaires blancs, ainsi que de négocier une certaine autonomie locale et leur propre représentation devant la Convention nationale.
Jusqu’alors, le sort des centaines de milliers d’Afro-descendants réduits en esclavage sous le joug brutal des plantations – principalement sucrières, mais pas exclusivement –, où un esclave survivait en moyenne sept ans dans des conditions infernales, ne trouvait aucun défenseur. La « Perle des Antilles » ne brillait pas pour tous.
Mais dans un enchaînement d’événements catastrophiques, tant en France qu’à Saint-Domingue, cette révolte finit par réveiller les forces endormies des « damnés de la terre », prenant la forme d’une révolution anti-esclavagiste et anticoloniale (sous la direction du précurseur Toussaint Louverture), puis celle d’une révolution anti-plantationniste, nationale, culturelle et indépendantiste (menée par le véritable père de la nation haïtienne, le général Jean-Jacques Dessalines, méprisé – quand il n’est pas tout simplement ignoré – par l’historiographie occidentale, y compris progressiste).
La Révolution haïtienne se conçoit même comme une révolution universelle et internationaliste, donnant naissance à la première intelligentsia anticoloniale du continent et qui œuvra activement à combattre l’esclavage, la traite et la déshumanisation dans tout l’hémisphère, du Brésil aux États-Unis. Tout moun se moun, « tous les êtres humains sont des êtres humains » en créole haïtien, devient dès lors la devise de l’humanisme anticolonial avancé né au sein du « Black Atlantic ».
« La Révolution haïtienne se conçoit même comme une révolution universelle et internationaliste, donnant naissance à la première intelligentsia anticoloniale du continent et œuvrant activement à combattre l’esclavage, la traite et la déshumanisation dans tout l’hémisphère »
Après treize ans d’une guerre colossale qui dévasta l’économie et l’écosystème de l’île (les plantations, souvenirs traumatiques, furent en grande partie détruites), les anciens esclaves finirent par vaincre les esclavagistes organisés dans l’armée la plus puissante du monde : celle de Napoléon.
Bien avant sa défaite à Waterloo en 1815, comme on l’enseigne encore aujourd’hui aux enfants européens et américains, Le futur Empereur mordit la poussière sur les champs de Vertières, dans le nord d’Haïti, en novembre 1803. Ce revers humiliant pour ceux qui considéraient les Haïtiens comme des sous-hommes marqua aussi la fin du rêve impérial français dans l’hémisphère américain.
Le ressentiment de Napoléon fut tel qu’il ordonna d’effacer le nom d’Haïti – un mot taïno fièrement repris par les révolutionnaires noirs – des archives de l’État français, ce qui explique peut-être l’ignorance généralisée des Français, encore aujourd’hui, à l’égard de ce pays et de l’histoire coloniale brutale qui les propulsa au rang de puissance économique mondiale.
Mais la France ne fut pas la seule puissance humiliée : en intervenant avec intelligence et audace dans les rivalités inter-impérialistes du début du siècle, les Haïtiens défirent aussi les ambitions britanniques et espagnoles. Seul un autre peuple, les Vietnamiens, reproduirait plus d’un siècle et demi plus tard cet exploit singulier : vaincre trois armées coloniales. De même, Vietnamiens et Haïtiens arrachèrent à leurs colonisateurs la reconnaissance de leur pleine humanité uniquement par l’exercice méthodique – et parfois chaotique – de la violence révolutionnaire.
Ainsi, le 1er janvier 1804, le monde vit naître, issue de l’une des révolutions des plus radicales de l’histoire humaine, une République noire fière et souveraine, la première nation indépendante au sud de l’hémisphère, précurseur incontournable des révolutions hispano-américaines de 1809-1825, toutes redevables à cette première révolution.
« Après treize ans d’une guerre colossale qui dévasta l’économie et l’écologie de l’île (les plantations, souvenirs traumatiques, furent en grande partie détruites), les anciens esclaves finirent par vaincre les esclavagistes organisés dans l’armée la plus puissante du monde : celle de Napoléon ».
Mais, annonçant le sort des révolutions du XXe siècle, la révolution haïtienne fut encerclée, exclue et agressée. Le patriote états-unien Thomas Jefferson, illustre esclavagiste, donna le ton de la politique occidentale envers la jeune république : « Tant que nous empêcherons les Noirs de posséder des navires, nous pourrons tolérer leur existence et continuer à commercer avec eux de manière très lucrative […] Haïti peut exister comme un grand marronnage, un Quilombo ou un Palenque. Mais il est hors de question de l’accepter dans le concert des nations. » Toute ressemblance avec la politique des « armées blanches » contre la Révolution bolchevique de 1917 ou celle des États-Unis contre Cuba sous Fidel Castro n’est évidemment pas une simple coïncidence.
À cette approche, qui entraîna des années d’isolement diplomatique et commercial pour Haïti, s’ajouta la position française. Rapidement, les anciens colons survivants, certains rentrés en métropole, d’autres réfugiés dans les îles voisines avec leurs « biens meubles humains », se regroupèrent pour exiger la revendication la plus insensée et immorale : que les anciens esclaves paient à leurs anciens maîtres le prix de leur liberté, en les « dédommageant » pour la perte de leurs terres et plantations – et, dans le cas de l’État français, pour ses navires et équipements militaires.
Comme cet argument ne convainquit guère les patriotes et les masses haïtiennes qui avaient combattu sous la devise « la liberté ou la mort », la France dut appuyer sa « demande » en déployant une escadre de 14 navires de guerre dans la baie de Port-au-Prince, prête à envahir le pays, le recoloniser et rétablir l’odieux esclavage, comme elle le fit clairement savoir. Ainsi, sous la contrainte militaire, l’État haïtien fut forcé d’accepter sa « dette » : la première politique néocoloniale de l’histoire était née.
Le montant exigé, exorbitant, s’élevait alors à 150 millions de francs. Tout au long du XIXe siècle, Haïti dut contracter des prêts successifs auprès de la France et des États-Unis pour refinancer, à des taux usuriers, une dette impayable qui, entre 1825 et 1883, étrangla son économie et siphonna une grande partie de ses richesses, malgré le boom international du prix du café (toute similitude avec les méthodes actuelles de la Banque mondiale ou du FMI n’est évidemment pas fortuite).
« Tout au long du XIXe siècle, Haïti dut contracter des prêts successifs auprès de la France et des États-Unis pour refinancer, à des taux usuriers, une dette impayable qui, entre 1825 et 1883, étrangla son économie et siphonna une grande partie de ses richesses. »
Certaines estimations indiquent que sur chaque dollar produit par le pays, seuls 6 cents restaient sur place : le reste partait dans les poches sans fond des usuriers, principalement du CIC, la banque « Crédit Industriel et Commercial ». Ainsi, cet acronyme anodin devint le nom infâme du nouveau colonisateur, et le pays se retrouva piégé, comme sous l’Ancien Régime, dans une nouvelle Bastille : la prison néocoloniale de la dette.
« Une banque sans mémoire », selon Nicolas Stoskopf, le CIC, une institution financière qui existe encore aujourd’hui, appartenant désormais au Crédit Mutuel de Vincent Bolloré, a effacé Haïti de ses comptes, tout comme Napoléon avait ordonné d’effacer le nom du pays – une amnésie planifiée qui se répète jusqu’à nos jours.
Une partie de la dette fut finalement reprise par les banques états-uniennes lorsque les États-Unis envahirent Haïti et prirent le contrôle de ses finances, lors d’une occupation militaire qui dura près de deux décennies, entre 1915 et 1934. Le dernier dollar de cette dette transférée ne fut remboursé qu’en 1947, 122 ans après son imposition !
Revenons à la France : il est crucial de rappeler que c’est notamment l’argent des paysans et des travailleurs haïtiens qui finança plusieurs des merveilles de la Belle Époque – parmi elles, rien de moins que la Tour Eiffel, en partie construite grâce aux fonds détournés d’Haïti par le CIC. Chaque année, les millions de touristes qui la visitent génèrent environ 112 millions de dollars de revenus. Ironie grotesque de l’histoire, cette somme représente le double du budget annuel de l’État haïtien pour la santé de ses 11 millions d’habitants.
En parlant de chiffres, il est nécessaire de se demander quelle serait aujourd’hui la valeur de cette dette odieuse. Pour ne donner qu’un exemple frappant, les estimations actuelles s’élèvent à 115 milliards de dollars, soit près de six fois le PIB actuel d’Haïti. Cette somme pourrait soulager la situation économique, humanitaire et sécuritaire critique du pays le plus pauvre de la région – et, depuis la militarisation de son territoire par les États-Unis, l’un des plus violents.
Les institutions financières internationales qualifient Haïti d’un autre acronyme pervers : « PPTE », un « pays pauvre très endetté », avec une dette d’environ 6 milliards de dollars. Pourtant, l’histoire démontre clairement qu’Haïti est un créancier légitime de son ancienne puissance coloniale, sans même compter les réparations morales et matérielles dues pour les crimes de la traite, de l’esclavage et des plantations – une revendication largement soutenue dans les Caraïbes.
Alors que l’Occident se lamente hypocritement sur le sort malheureux d’Haïti, il ignore que la dette que la France doit payer pourrait financer, par exemple, un réseau national d’eau potable pour éradiquer le choléra introduit par l’ONU en 2010, ou améliorer les infrastructures routières d’un pays où les deux principales villes, Port-au-Prince et Cap-Haïtien, distantes de seulement 200 km, ne sont pas reliées par une route goudronnée. Elle pourrait aussi équiper et former une police nationale démunie, seul corps sécuritaire face aux groupes paramilitaires armés et financés par le narcotrafic et des mercenaires états-uniens. La liste est interminable.
La France peut refuser cette revendication, mais elle ne peut feindre l’ignorance. Le remboursement de la « dette d’indépendance » fut publiquement exigé par le dernier président pleinement démocratique d’Haïti, le prêtre progressiste Jean-Bertrand Aristide, qui réclama 21 milliards de dollars au début des années 2000. La réponse à cette demande fut une intervention militaire franco-américano-canadienne qui le renversa – coïncidence cruelle, cette occupation eut lieu en 2004, année du bicentenaire de la révolution haïtienne.
*Le remboursement de la « dette d’indépendance » fut publiquement exigé par le dernier président pleinement démocratique d’Haïti, le prêtre progressiste Jean-Bertrand Aristide.*
Rappelons aussi que la France accueillit l’ex-dictateur Jean-Claude Duvalier, fils de François Duvalier (Papa Doc), dont les régimes sanglants durèrent 29 ans. Soutenue par les États-Unis pendant la Guerre froide, cette dictature appliqua précocement la doctrine contre-insurrectionnelle française développée en Algérie et au Vietnam, avec ses escadrons de la mort, ses disparitions et ses centres de torture. Papa Doc et Baby Doc volèrent au moins 900 millions de dollars au Trésor haïtien.
Peu se souviennent de cet épisode, tout comme peu savent que les « gazages » de Napoléon contre les esclaves rebelles en Haïti préfigurèrent les enfumades lors de la colonisation de l’Algérie..Seuls deux présidents français ont visité Haïti en deux siècles. En 2010, le « socialiste » François Hollande déclara avant son arrivée : « Quand j’arriverai à Haïti, je paierai la dette que nous avons. » Hélas, il ne parlait que d’une dette morale – de celles qui ne construisent ni routes, ni écoles, ne soignent pas le choléra et ne garantissent aucun droit. Mais Haïti n’a pas besoin de symboles : elle exige ce qu’on lui doit, les milliards qui pourraient, 200 ans après cette dette infâme, financer sa reconstruction.
Par Lautaro Rivara
Sociologue, docteur en histoire et étudiant postdoctoral à l’UNAM. Journaliste et analyste international spécialisé dans la géopolitique et l’histoire de l’Amérique latine et des Caraïbes. Il a couvert Haïti, la Colombie, l’Équateur, le Paraguay et d’autres pays de la région. Coordinateur des livres « El nuevo Plan Condor » et « Internacionalistas ».
Crédits photo : « Earthquake survivors sing and dance on Toussant Boulevard to gospel music being played in Port-au-Prince », Haiti, Jan. 26, 2010., Justin E. Stumberg, Flickr, CC0 1.0, pas de modifications apportées.
25.04.2025 à 11:46
Pourquoi Israël doit être exclu de l’Eurovision
Israël doit être exclu de l’Eurovision. C’est le sens de la pétition lancée par les insoumis Thomas Portes et Rima Hassan. « Aujourd’hui, une question grave se pose à l’Europe : le concours européen de la chanson va-t-elle devenir la scène d’un art-washing du premier génocide filmé de l’histoire de l’humanité ? ». Car oui, l’art n’est pas neutre et ne le sera jamais.
L’Eurovision, « haut lieu de diplomatie internationale », visionné par 163 millions de téléspectateurs en 2024, offre une tribune à tout pays y participant. Hors, comment laisser l’État d’Israël y participer, alors que le génocide en Palestine est toujours en cours ? Comment accepter un tel état de fait, alors que la Russie a été exclue en 2022 et la Biélorussie en 2012 ? Le deux poids, deux mesures, toujours.
« Nous lançons un appel solennel à l’UER et à ses représentantes françaises : ne fermez pas les yeux sur le génocide en cours. N’offrez pas une scène à un État qui bombarde, affame et détruit le vivant. Refusez la participation d’Israël à l’Eurovision 2025. […] Il en va de la mémoire des victimes et de la dignité des peuples. », écrivent Thomas Portes et Rima Hassan. L’insoumission relaie dans ses colonnes leur pétition.
Pour aller plus loin : « Éliminer Gaza […] et ne pas y laisser âme qui vive » – LFI appelle à la mobilisation pour empêcher le concert à Paris du chanteur génocidaire Eyal Golan
L’art n’a jamais été neutre et l’Eurovision est depuis toujours un haut lieu de diplomatie internationale. Aujourd’hui, une question grave se pose à l’Europe : le concours européen de la chanson va-t-elle devenir la scène d’un art-washing du premier génocide filmé de l’histoire de l’humanité ?
Depuis plus de 17 mois, les autorités israéliennes mènent une politique d’extermination assumée. Peu après la rupture du cessez-le-feu, le ministre israélien de la défense déclarait que les Gazaouis n’avaient d’autre choix que « partir ou mourir ». Une déclaration glaçante, sans précédent dans l’histoire contemporaine : jamais un haut responsable militaire n’avait aussi clairement appelé à la destruction d’un peuple.
Amnesty International a recensé 102 déclarations similaires entre octobre 2023 et juin 2024 émanant de responsables israéliens. Des propos qui, mis bout à bout, dessinent la trame d’une politique d’extermination assumée.
La Cour internationale de justice a, depuis plus d’un an, multiplié les alertes sur un risque de génocide à Gaza. Les rapports d’experts internationaux indépendants, accablants, attestent de la multiplication des crimes de guerre. Le chiffre officiel, largement sous-estimé, approche aujourd’hui les 52 000 morts, depuis le 8 octobre 2023.
Dans la seule semaine qui a suivi la violation du cessez-le-feu, plus de 1000 enfants ont été tués ou blessés, un triste record sur l’année écoulée. À cela s’ajoutent 400 000 nouveaux déplacés depuis la rupture du cessez-le-feu, selon l’ONU. Un chiffre d’autant plus tragique que la quasi-totalité des 2,4 millions d’habitants de Gaza avait déjà été contrainte à fuir au moins une fois entre octobre 2023 et janvier 2025.
Les Gazaouis sont pris au piège, bombardés, affamés, privés de soins. Les convois humanitaires restent bloqués aux frontières, bloqués par Israël, tandis que les frappes ciblent délibérément soignants, humanitaires et journalistes, plus de 200 ayant été assassinés.
Par ailleurs, en Cisjordanie, le droit international le rappelle sans cesse : l’occupation israélienne des territoires palestiniens est illégale, et la colonisation constitue un crime de guerre. L’Assemblée générale des Nations Unies a d’ailleurs exigé explicitement qu’Israël y mette fin avant le 18 septembre 2025.
C’est dans ce contexte qu’une Europe complice semble prête à dérouler le tapis rouge à Israël pour la 69e édition du concours Eurovision de la chanson, prévue en Suisse à partir du 13 mai prochain.
Trente-sept pays y sont représentés, dont Israël. Le concours européen de la chanson attire un engouement mondial, avec des centaines de millions de téléspectateurs : 163 millions pour l’édition 2024, et des votes en provenance de 156 pays. Dans certains des pays participants, le show fait près de 70% d’audience.
Permettre à Israël de monter sur scène en ces circonstances, c’est fermer les yeux sur des crimes contre l’Humanité et le piétinement du droit international. C’est légitimer le fait qu’on puisse raser des hôpitaux, affamer des populations et tuer des enfants tout en chantant l’amour et la paix sous des projecteurs. C’est offrir à un État colonisateur et expansionniste une tribune de blanchiment moral, un « art-washing » d’une redoutable efficacité.
L’Eurovision est une plateforme politique convoitée. À ce titre, ce terrain d’arts et de culture est aussi un champ de bataille pour la justice. L’Union européenne de radio-télévision (UER) en est bien consciente. En 2022, elle avait exclu la Russie. En 2012, la Biélorussie avait été écartée pour non-respect de la liberté de la presse.
Pourquoi ce deux poids, deux mesures ? Pourquoi ce silence aujourd’hui ? Pourquoi cette complaisance face à un génocide en cours ?
Nous lançons un appel solennel à l’UER et à ses représentantes françaises : ne fermez pas les yeux sur le génocide en cours. N’offrez pas une scène à un État qui bombarde, affame et détruit le vivant. Refusez la participation d’Israël à l’Eurovision 2025.
Il en va de la mémoire des victimes et de la dignité des peuples.
Cliquer ici pour signer la pétition
24.04.2025 à 17:54
La fabrique du mensonge : quand l’extrême droite se cherche une légitimité scientifique
Extrême droite. N’est pas chercheur qui veut. Le monde universitaire français, malgré les attaques des gouvernements successifs et son sous-investissement chronique, reste une fierté par son travail et son sérieux reconnu à l’international. Il est justement fréquent pour les forces de gauche de construire leurs programmes politiques en collaboration avec des chercheurs ou experts de leurs domaines.
Mais du côté de l’extrême droite, la dynamique est tout autre. Historiquement abonnée aux théories fumeuses et au révisionnisme opportuniste, elle recycle les pires poncifs racistes et sexistes, inspirés souvent d’essayistes à la probité douteuse. Cependant, répéter les mêmes idées sans aucune source pour les vérifier, leur donner du poids, même le spectateur moyen de CNEWS peut commencer à douter. Les droites identitaires ont trouvé la parade : créer, via l’aide de milliardaires, leurs propres « instituts de recherche ». Des coquilles vides, sans chercheurs ni méthode, mais très utiles pour nourrir les plateaux télé et blanchir les pires idées.
C’est ce que révèle un dossier d’enquête de BLAST, en quatre volets, consacré à ces « observatoires » et « centres d’études » au service de la pensée d’extrême droite. L’objectif est clair : influencer l’opinion publique, produire de la « doxa » qui résonne avec les discours des réactionnaires. On vous résume l’enquête, en vous présentant ces quatre officines. Notre article.
Fondé en 2012, l’Observatoire du journalisme (OJIM) se présente comme un outil de « veille critique » des médias. Dans les faits, c’est surtout un fichier politique qui compile des portraits de journalistes jugés trop à gauche, trop antiracistes, ou trop critiques envers les idées d’extrême droite. Derrière une apparente neutralité, l’OJIM reprend les éléments de langage de la fachosphère pour discréditer la presse d’investigation. Rien de surprenant alors de les voir sur leur site, accabler ARCOM pour son supposé acharnement envers les médias Bolloré, ou encore d’être en première ligne pour défendre le torchon xénophobe « Frontières » (ex « Livre noir »), lors de leur exfiltration de l’Assemblée nationale.
BLAST révèle que ces fiches circulent parfois dans les cercles d’extrême droite pour alimenter les campagnes de harcèlement contre les journalistes ciblés. Leur directeur, Claude Chollet, proche de longue date des milieux identitaires, n’a rien d’un expert neutre du paysage médiatique.
Ce deuxième « observatoire » se donne pour mission de surveiller l’éthique dans l’enseignement supérieur. Il est rapide de faire le lien avec la vieille critique de la droite réactionnaire, consistant à asséner que les vils universitaires démontant leurs lubies, sont en fait de dangereux « wokistes » gangrenant les universités. Théories postcoloniales, études de genre, sociologie de l’immigration : tout est rangé sous l’étiquette d’endoctrinement gauchiste.
BLAST démontre dans son dossier que cet observatoire ne mène pas de véritables enquêtes. Il ne produit pas de données ni d’analyses scientifiques. Il se contente de monter en épingle des cours, des colloques ou des déclarations d’universitaires pour alimenter l’idée d’une université en décadence, rongée par le soi-disant « marxisme culturel ». La ficelle est grosse, mais elle fonctionne : ces éléments se retrouvent repris dans les discours de l’extrême droite institutionnelle, au Parlement comme sur CNEWS.
Le pompon dans tout cela ? Cet observatoire est financé en partie par Pierre-Édouard Stérin, le fameux milliardaire à l’origine du projet « PERICLES », visant à soutenir financièrement l’extrême-droitisation du débat politique. Les membres de l’Observatoire n’étant pas en reste, nombre d’entre eux font partie du collectif d’auteurs ayant pondu « Face à l’obscurantisme woke », aux éditions PUF, dont la promo a été vivement nourrie par les médias Bolloré. Entre milliardaires, il faut bien s’arranger.
L’Observatoire de l’immigration et de la démographie (OID), sous couvert de produire des études statistiques sur les flux migratoires, construit une vision tronquée, alarmiste et idéologiquement orientée des phénomènes migratoires. Cela n’empêche pas de nombreux médias de citer les notes de l’organisme comme des références fiables. Ceux de la fachosphère bien sûr, dont ceux de Bolloré, mais aussi Le Figaro, Marianne, Challenges, Le Point, et pour l’audiovisuel BFM et même France Culture, où Alain Finkielkraut a complaisamment tendu le micro au directeur de l’OID.
Comme le révèle l’enquête, les productions de l’OID n’ont rien de scientifique. Pas de méthodologie transparente, pas de comité de lecture, encore moins de confrontation avec les travaux démographiques reconnus. Rien d’étonnant puisque parmi ses membres, « on ne compte aucun chercheur spécialiste de la démographie et de l’immigration », excepté un, connu pour ses positions polémiques depuis longtemps.
L’OID recycle systématiquement les thématiques chères à la droite identitaire : coût prétendument exorbitant de l’immigration, incompatibilité culturelle, surreprésentation dans la délinquance. Ces chiffres sont souvent sortis de leur contexte ou appuyés sur des sources contestables. Cumulé à une faiblesse méthodologique constatée par BLAST, les résultats n’ont rien pour eux : « pour un think tank qui se veut sérieux et dépassionné, il lui arrive de faire des erreurs de débutants dont les notions mathématiques et statistiques n’ont pas dépassé le stade de la classe 3ᵉ ».
L’OID n’est pas un laboratoire de recherche, c’est une fabrique d’éléments de langage pour les Zemmour, Bardella et consorts. Un instrument stratégique dans une guerre culturelle où la donnée statistique devient une arme de persuasion massive.
Le Centre européen de recherches et d’information sur le frérisme (CÉRIF) est le dernier-né de ces think tanks ricolés à la hâte. Sa cible : les Frères musulmans, mais à travers eux, une obsession plus large de l’extrême droite pour toute forme d’islam politique, voire l’islam tout court. Ce centre se prétend « scientifique », mais ne produit aucune étude référencée. Il se contente de publier des dossiers à charge, sans rigueur méthodologique, visant à accréditer l’idée que les musulmans organiseraient secrètement la subversion de la République.
BLAST pointe aussi les liens financiers et idéologiques du CÉRIF avec des fondations ultra-conservatrices proches de la droite radicale européenne. Le « frérisme » devient un mot-valise, utilisé pour disqualifier tout acteur musulman dans la vie publique. C’est une stratégie bien rodée de stigmatisation, qui habille le racisme d’une prétendue rationalité scientifique. Le CÉRIF n’est pas un centre de recherche : c’est un instrument de guerre culturelle.
Derrière ces structures se cache une mécanique bien huilée. Des ultra-riches financent ces instituts bidons à coups de millions. Objectif : faire basculer le débat public à droite toute. Comme l’analyse BLAST, ces think tanks ne sont pas des centres d’idées, mais des usines à propagande, déguisées en laboratoires scientifiques. Ces mouvements de l’extrême droite ne sont pas anodins, ils font partie d’un projet d’influence structuré et financé, comme pour le réseau Atlas.
Pour aller plus loin : Influenceurs réacs, millions d’euros, liens avec Marine Le Pen : Pierre-Édouard Stérin, le parrain invisible d’une extrême droite en croisade
Ce sont des groupuscules réactionnaires formés pour prendre le pouvoir culturel. Face à cette offensive, il est urgent de réaffirmer l’importance d’une recherche libre, d’un journalisme rigoureux et d’un débat démocratique fondé sur les faits. Nul besoin de microscope pour voir que ces instituts ne produisent pas de science. Ils produisent de l’idéologie. Et comme toujours, quand la science recule, le fascisme avance.
24.04.2025 à 16:26
OTAN. En France, oser toute critique des attitudes militaristes revient à être assimilé à un relai de la « propagande russe », comme en témoigne l’attaque de l’eurodéputée macroniste Nathalie Loiseau à l’égard de Jean-Luc Mélenchon, après que ce dernier ait rappelé des faits historiques sur l’expansion de l’OTAN. Pourtant, l’Organisation du traité de l’Atlantique nord a un lourd historique que les chaînes d’info en continu se gardent bien de dévoiler. Un historique à l’image de celui des États-Unis, fait d’opérations militaires permanentes pour assurer une domination politique et militaire sur le reste du monde, coûte que coûte. Notre article.
L’histoire de la confrontation entre la Russie et l’OTAN ne commence pas en 2022. Pour comprendre la situation actuelle, il faut revenir aux promesses faites entre les forces atlantistes et soviétiques.
En 1989/90, alors que la guerre froide touche à sa fin, l’OTAN souhaite intégrer l’Allemagne réunifiée. Elle assure alors qu’elle n’attendra pas son rayon d’action, notamment en raison du Pacte de Varsovie (alliance militaire des pays soviétiques) qui ne sera dissous qu’en 1991. La promesse orale de ce non-élargissement est un fait historique, attestée par des acteurs de plusieurs statuts.
L’ancien secrétaire d’État américain Antony Blinken sous Biden, et l’ambassadeur américain à Moscou à l’époque de la chute de l’URSS Jack Matlock, confirment cette promesse de non-extension de l’OTAN faite aux russes. Des mémos déclassifiés en attestent également. Plusieurs dirigeants occidentaux auraient donné à Mikhaïl Gorbatchev l’assurance que l’OTAN ne s’étendrait pas aux anciens pays du bloc soviétique.
L’AFP récapitule bien la portée de ces « mémorandums », entre les Soviétiques et plusieurs interlocuteurs occidentaux de premier plan comme le président américain George H.W. Bush, le chancelier ouest-allemand Helmut Kohl, le président français François Mitterrand, la Première ministre britannique Margaret Thatcher, ou encore le secrétaire général de l’OTAN Woerner, Leurs échanges sont sans équivoques :
« Je veux que l’OTAN affirme sans équivoque que peu importe ce qu’il adviendra au sein du Pacte de Varsovie, il n’y aura pas d’expansion du territoire de l’OTAN vers l’Est, c’est-à-dire plus près des frontières de l’Union soviétique », aurait par exemple déclaré le ministre allemand des Affaires étrangères, Hans-Dietrich Genscher, lors d’un discours prononcé en janvier 1990, selon ces retranscriptions.
L’ex-dirigeant de l’URSS indiquait le 9 février 1990, que le secrétaire d’État américain, James Baker, invité au Kremlin, lui aurait demandé : « En supposant que la réunification ait lieu, qu’est-ce qui est préférable pour vous : une Allemagne unifiée en dehors de l’OTAN, entièrement indépendante, sans troupes américaines, ou bien une Allemagne unie, qui maintient les liens avec l’OTAN, mais avec la garantie que ni la juridiction ni les troupes de l’OTAN ne s’étendront à l’est de la ligne actuelle ? »
Gorbatchev aurait déclaré : « Il est entendu, c’est clair que l’élargissement de la zone de l’OTAN est inacceptable ». Ce à quoi Baker aurait répondu : « Nous sommes d’accord là-dessus ».
Pour aller plus loin : Ukraine/Russie : Macron prépare la France à l’économie de guerre et aux sacrifices sociaux
Ces engagements, bien que verbaux, ont nourri un ressentiment profond du côté russe lorsque, dans les décennies suivantes, l’OTAN a accueilli, au nom de sa politique de la “porte ouverte”, de nouveaux membres issus de l’Est, jusqu’à toucher directement les frontières russes. Il est indéniable que le rapprochement de l’OTAN avec des pays comme l’Ukraine et la Géorgie à partir des années 2005 et 2012, a marqué un nouveau palier dans l’escalade des tensions. L’OTAN a fait pencher la balance internationale en se rapprochant de ces pays qui, par leur positionnement géographique occupent traditionnellement un rôle de zone tampon. En parallèle, d’autres actes de provocation ont contribué à l’escalade guerrière, tels que l’installation de batteries anti-missiles en Pologne en 2013.
Cette analyse est loin d’être isolée. Il est pertinent d’évoquer les positions de John Mearsheimer, professeur de sciences politiques reconnu à l’université de Chicago. Dès le début des années 2010, Mearsheimer a averti que l’élargissement de l’OTAN à des pays comme l’Ukraine et la Géorgie provoquerait une réaction sévère de la part de la Russie. Il soutient que la politique occidentale a contribué à l’escalade des tensions, menant finalement à l’invasion de l’Ukraine par la Russie en 2022.
Selon lui, si l’Ukraine avait adopté une position de neutralité et renoncé à rejoindre l’OTAN, le pays aurait pu éviter le conflit actuel. Mearsheimer insiste sur cette responsabilité occidentale. Pour lui, les États-Unis ont systématiquement sous-estimé les conséquences de leur politique d’expansion de l’OTAN. Dès 2015, il avait prévenu que l’Ukraine se dirigeait vers un conflit majeur en raison de ses aspirations euro-atlantiques. En parallèle, d’autres actes de l’OTAN ont exacerbé les tensions avec la Russie, comme l’installation de batteries anti-missiles en Pologne en 2013.
Cette escalade guerrière perpétuelle a malheureusement franchi un nouveau palier avec l’invasion russe. Elle a eu pour effet pour des États comme la Suède et la Finlande, proches des frontières russes, d’alimenter une crainte envers une attaque potentielle. Ces deux pays, pourtant historiquement opposés à l’adhésion à l’OTAN (la Finlande ayant déjà un statut de neutralité durant la Guerre froide), sont depuis devenus membres de l’organisation atlantiste.
Mais comme le soulignait le député insoumis Aurélien Saintoul lors des débats de 2022 relatifs à leur adhésion : « Cette demande d’adhésion a été engagée hâtivement, sous le coup de l’émotion, voire de la peur. Elle nourrit un mécanisme de polarisation extrême des relations internationales qui n’est pas dans l’intérêt de la France, ni de la Suède, ni de la Finlande. Cette dynamique s’inscrit dans une logique de confrontation où chaque camp justifie ses actions par les menaces perçues de l’autre, contribuant ainsi à une spirale de tensions qui a culminé avec l’invasion de l’Ukraine. »
Dans ce contexte, une paix durable ne pourra être obtenue que par une négociation pour la paix fondée sur des garanties de sécurité mutuelles. Plutôt que de pousser la Russie à bout en acceptant l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN, il serait plus judicieux d’ouvrir des négociations visant à assurer des garanties de sécurité mutuelles. De la même manière qu’il était inconcevable pour Washington de voir des missiles soviétiques à Cuba en 1962, la Russie ne doit pas être cernée militairement par l’OTAN.
Par Emmanuel P.
Crédits photo : « Stock Vecteur De L’OTAN », Rob Meredith, Vector Portal, CC BY 4.0, pas de modifications apportées.
24.04.2025 à 15:04
Eyal Golan. Il faut « éliminer Gaza » et « ne pas y laisser âme qui vive ». Voilà ce que déclarait Eyal Golan, chanteur star de l’armée, de la droite et de l’extrême droite israélienne au lendemain du 7 octobre.
Il est désormais attendu le 20 mai prochain pour se produire sur la scène du Dôme de Paris où se tenait déjà, il y a moins d’un mois le gala du lobby génocidaire israélien ELNET.
Après qu’Emmanuel Macron ait refusé il y a quelques jours d’appliquer le mandat d’arrêt international à l’encontre du génocidaire Netanyahu alors que celui-ci survolait tranquillement le pays en violation de la condamnation de la Cour Pénale Internationale, la France ne peut tolérer cet énième affront à l’encontre des milliers de victimes gazaouies et de leurs proches. Le groupe de la France insoumise à l’Assemblée nationale a demandé l’interdiction immédiate de cet évènement et appelle à une large mobilisation. Notre article.
Le 26 mars dernier, le Dôme de Paris accueillait le gala du lobby ELNET France, porte-voix européen de la propagande du gouvernement d’extrême droite israélien. Grand-messe de l’islamophobie et de l’apologie de crimes contre l’humanité, émaillé par d’innombrables déclarations négationnistes de l’Histoire et de l’horreur en cours à Gaza, financé par le milliardaire d’extrême droite Pierre-Edouard Stérin, ce meeting comptait parmi les plus zélés soutiens de Benjamin Netanyahu et de son génocide.
Pour aller plus loin : Valls et Retailleau au grand gala des génocidaires, une centaine de parlementaires français invités tous frais payés en Israël : ELNET ou le lobbying pour un massacre
Le 20 mai prochain, voilà que l’on apprend que le Dôme de Paris doit maintenant réunir près de 4 500 personnes pour assister au concert d’Eyal Golan, star de la chanson israélienne, de l’armée et de l’extrême droite du pays en particulier.
Honoré par la Knesset – le Parlement israélien – en 2018, Eyal Golan participe aujourd’hui régulièrement à des évènements auprès de responsables politiques et des soldats de l’armée génocidaire israélienne dont il est devenu l’un des chanteurs les plus adorés.
Adoré, Eyal Golan l’est en dépit d’une condamnation pour évasion fiscale en 2014, et malgré avoir été arrêté l’année précédente car suspecté d’avoir eu des relations sexuelles avec des jeunes filles mineures, des faits qu’Eyal Golan a contesté tout en reconnaissant que son propre père avait en effet amené ces jeunes filles chez lui dans l’optique d’avoir des relations sexuelles avec son fils, des faits pour lesquels il a en effet été condamné et emprisonné pour avoir « recruté » des mineures à des fins de prostitution.
Au lendemain du 7 octobre 2023, voilà donc qu’Eyal Golan déclare vouloir « éliminer Gaza » et « ne pas y laisser âme qui vive », des propos confirmés dans des termes quasi-identiques une semaine plus tard, le 15 octobre, alors qu’il donnait un concert pour les soldats de Tsahal.
Après que le procureur général de l’État, Amit Isman, a annoncé quelques mois plus tard ouvrir une enquête criminelle contre ces propos d’Eyal Golan appelant au massacre des Gazaouis – des propos par ailleurs cités par l’Afrique du Sud en 2024 auprès de la Cour internationale de Justice comme preuve de la diffusion d’un discours génocidaire à la société israélienne – c’est tout naturellement que le chanteur a reçu le soutien public d’un certain Itamar Ben-Gvir, ministre israélien de la Sécurité depuis 2022, génocidaire et suprémaciste de la pire espèce, partisan assumé et condamné du terrorisme juif, inculpé plus de 50 fois pour incitation à la violence ou pour des discours de haine.
Alors qu’ils sont interdits dans de nombreux autres pays européens, les rassemblements politiques, économiques et culturels des promoteurs du génocide des Gazaouis se multiplient en France et particulièrement à Paris pendant qu’Emmanuel Macron foule aux pieds la Cour Pénale Internationale en permettant Benjamin Netanyahu de survoler le territoire nationale en dépit du mandat d’arrêt émis contre lui.
Le 20 mai prochain, la production d’Eylan Golan au Dôme de Paris serait un nouveau crachat des génocidaires sur la mort des dizaines de milliers, et sans doute beaucoup plus, de Gazaouis déjà massacrés, affamés, torturés par l’armée israélienne.
Un tel évènement serait intolérable. Le groupe parlementaire de la France insoumise appelle donc à son annulation préfectorale et à la plus large des mobilisations pour empêcher qu’il ne se tienne. Personne ne peut venir chanter à Paris les louanges du génocide du peuple palestinien.
— La France Insoumise #NFP à l'Assemblée (@FiAssemblee) April 23, 2025
Eyal Golan ne doit pas venir chanter les louanges du génocide à Paris
Nous demandons au préfet l’interdiction immédiate de cet événement.
Nous appelons à une large mobilisation pour empêcher que cet événement se tienne. pic.twitter.com/y0c8xBh7Gn
Par Eliot Martello-Hillmeyer
24.04.2025 à 14:40
ArcelorMittal : 600 licenciements, malgré 392 millions d’euros d’aides de l’État depuis 2013
La nouvelle est tombée ce 23 avril 2025. Le sidérurgiste ArcelorMittal va supprimer 600 emplois en France, avec de l’argent public. L’objectif de la multinationale ? Délocaliser l’activité en Inde. Les sept sites concernés dans le nord du pays sont Dunkerque, Florange, Basse-Indre, Mardyck, Mouzon, Desvres et Montataire. « Sarkozy, Hollande et Macron ont laissé Mittal piller notre industrie sidérurgique. Ils ont abandonné des centaines de familles laissées dans la précarité, dans le chômage, dans la souffrance », assène la députée Clémence Guetté sur Twitter.
Un comble, lorsqu’on a en tête les centaines de millions d’aides publiques dont s’est gavé le sidérurgiste depuis des années. Montant total : 392 millions d’euros d’aides de l’État depuis 2013. À ces subventions s’ajoutent des prêts de l’État à taux préférentiel, mais aussi 192 millions d’euros de crédits d’impôt ou encore 100 millions d’aides pour alléger la facture d’électricité. Pendant ce temps, les actionnaires d’ArcelorMittal se gavent : 10 milliards d’euros accumulés depuis 2021. Cette même année, Aditya Mittal, PDG de l’entreprise, s’était rémunéré à hauteur de 10 040 762 euros. Vous avez bien lu.
Une nationalisation de l’entreprise ? LFI s’y est dit favorable, comme pour l’entreprise stratégique Vencorex, abandonnée par Bayrou et Macron. Même le sénateur Horizons du Nord (le parti d’Édouard Philippe) est favorable à la nationalisation de la fabrication de l’acier en France. Les capitalistes n’ont eu que faire des « s’il vous plaît », des complaintes et autres pleurnicheries des gouvernements libéraux des dernières années. Ce n’est pas comme ça qu’il faut traiter avec eux. Les nationalisations, les interdictions par la loi des licenciements pour une entreprise lorsqu’elle verse des dividendes. Voilà des mesures concrètes que pourrait prendre le gouvernement, en reprenant une proposition de loi déposée par la présidente du groupe parlementaire insoumis, Mathilde Panot. Notre article.
Pour aller plus loin : Aditya Mittal : l’héritier d’une multinationale climaticide gavée d’argent public
Mi-novembre, ArcelorMittal annonce en CSE extraordinaire la « possible » fermeture de deux de ses huit sites. Le Géant de la sidérurgie vise les sites de Denain et Reims, soit respectivement 24 et 113 emplois.
Selon Gaëtan Lecoq, secrétaire général CGT à Dunkerque, la politique du groupe est simple : « se désengager du vieux continent ». Pour lui, à terme, les 18 000 emplois d’ArcelorMittal en France sont menacés. 18 000 vies possiblement brisées par le chômage, et des bassins de vie entiers ravagés.
En dix ans, l’économie française a perdu plus d’un million d’emplois industriels. La part de l’industrie dans le PIB est passée de 20 % à 10 %. C’est le bilan univoque de dix ans de Macron, dans un premier temps secrétaire général adjoint de l’Élysée, puis ministre de l’Économie et enfin président de la République.
Dans l’industrie, la crise s’accélère. La CGT a recensé 180 plans de licenciements entre septembre 2023 et septembre 2024. On parle de 47 272 emplois menacés ou supprimés, dont 21 191 pour la seule industrie. Pourtant, avec ses 97 milliards d’euros distribués aux entreprises du CAC 40, la France détient le record européen des dividendes. L’argent est là, il suffit de choisir dans quelles poches il tombe.
Les employés du site de Denain se sont mis en grève. Clément Thiery, membre de la CGT, signale que de janvier à octobre 2024, le site réalise 150 000 euros de bénéfices. Pourtant, la direction déroule « les salades habituelles : baisse de la demande des clients, concurrence déloyale de la Chine et d’autres pays hors Union européenne, absence totale de soutien de l’Union européenne… ». Le syndicaliste conclut : « En réalité, on ne fait pas assez d’argent pour l’actionnaire, donc on nous éjecte ».
Selon une enquête de Disclose, depuis 2013, Arcelor Mittal a reçu au moins 392 millions d’euros de fonds publics. À ces subventions s’ajoutent des prêts de l’État à taux préférentiel, mais aussi 192 millions d’euros de crédits d’impôt ou encore 100 millions d’aides pour alléger la facture d’électricité. En plus, en 2018, l’agence de l’environnement (ADEME) avait accordé une aide de 4,5 millions d’euros à ArcelorMittal Atlantique. Enfin, l’entreprise a été payée à hauteur de 56 millions d’euros par l’État et les collectivités locales pour l’aider à moderniser ses installations.
L’Union européenne finance également le géant de la sidérurgie, avec 4,7 milliards d’euros d’aides publiques versées depuis 2008. Il s’agit de subventions, mais aussi de prêts ou de programmes de développement. Lobbyfacts souligne que le fonds « Pour la recherche pour le charbon et l’acier » a versé 77 millions d’euros à ArcelorMittal depuis 2008, pour des projets qui n’ont parfois jamais abouti.
L’Europe facilite aussi le business du groupe. Depuis 2006, l’Union européenne accorde des « permis de polluer » à chaque entreprise, c’est-à-dire un quota d’émission de CO2 autorisées. Les entreprises qui ne dépassent pas leur quota peuvent vendre le surplus à d’autres ; ce qui leur permet des profits parfois démentiels sans réduction de leurs émissions de CO2. C’est le cas d’Arcelor Mittal, qui a engrangé ainsi au moins 3,2 milliards d’euros jusqu’en 2021.
Mais alors où est cet argent ? C’est bien simple : dans les poches des patrons et des actionnaires. ArcelorMittal a versé à ses actionnaires 8,9 milliards d’euros, entre 2020 et 2022, selon son comité d’entreprise. Dans ces conditions, dur de maintenir ouverts les sites français, on comprend bien.
En 2021, Aditya Mittal, PDG de l’entreprise, s’est rémunéré à hauteur de 10 040 762 euros. Nous avions dressé le portrait de ce fils à papa dans nos colonnes. Comme d’habitude, l’État finance les actionnaires, et les entreprises ferment des usines. À la fin, l’argent des Français aura servi à engraisser les plus riches.
Emmanuel Macron met en péril la souveraineté de l’industrie française en menant une politique néo-libérale ; espérant naïvement que la main invisible du marché sauvera l’emploi. Problème : dans ce monde, l’argent ne va qu’à l’argent. Comme l’affirme Jean-Luc Mélenchon dans le plan de l’avenir en commun pour produire ce dont la France a besoin, « le marché, c’est le chaos ».
Face à cette situation, la France insoumise propose de mettre en place un protectionnisme écologique et solidaire pour développer les industries et productions locales. Dès lors, la protection des travailleuses et travailleurs français permettra une hausse des salaires et des droits sociaux.
Par l’établissement de plans de relocalisation, nous rééquilibrerons nos échanges commerciaux internationaux et diminuerons le chômage. L’État a les moyens de mettre en place les conditions nécessaires pour que les entreprises puissent produire en France, innover et nourrir la bifurcation écologique et sociale du pays.
Il est donc possible de sortir de l’impasse du marché, mais il faut s’en donner les moyens, arrêter de jeter l’argent par les fenêtres et contrôler les entreprises pour qu’elles servent les intérêts des Français. Il nous faut investir pour protéger notre pays et ses emplois.
24.04.2025 à 12:18
Trump et Kennedy Jr. : feindre l’idiocratie pour cacher l’eugénisme
Le « ministre » de la santé de Donald Trump, Robert F. Kennedy Jr a annoncé ce 10 Avril 2025 une « enquête internationale » sur une hypothétique « épidémie d’autisme », assurant des résultats « d’ici à Septembre » permettant d’en « éliminer les facteurs ». Propos accueillis chaleureusement par celui qui est connu pour sa détestation sincère des personnes handicapées, Donald Trump.
Autopsie d’une idiotie feinte, alors que la recherche scientifique a déjà tranché. Il n’y a pas d’épidémie. Trump n’est pas « fou », il a un projet. Et ce projet, cet « obscurantisme trumpiste » comme le qualifie justement Jean-Luc Mélenchon, se décline devant nos yeux.
Ni vaccins, ni alimentation ne « causent » l’autisme, rien ne peut « traiter » définitivement l’autisme, en l’état actuel de la science. La régression états-unienne est mal vécue, tant par les concernés que par les scientifiques. Pourquoi une telle prise de position ? Pour dénigrer les vaccins ou les avancées scientifiques ? Pour une raison plus profonde ?
Ces déclarations du 10 avril ont été suivies d’une conférence de Kennedy Jr, dont la teneur confirme nos pires craintes. Sous l’idiocratie, le fascisme. Sous la post-vérité, l’eugénisme.
En France, nous ne sommes pas parfaits. Entre clichés délétères, atténuation de responsabilité des parents infanticides, politiques publiques hors sol, diabolisation des enfants autistes, nous pourrions cesser les divisions et faire mieux. Beaucoup mieux. Les propos de Kennedy Jr. devraient toutes et tous nous glacer. Nous alerter. Ce n’est plus une mise en garde. L’eugénisme est en marche. Notre article.
Selon Robert R Kennedy Jr, les autorités sanitaires américaines seraient en mesure d’établir « d’ici à septembre » les causes …/…d’une« épidémie d’autisme ». « Nous avons lancé des travaux de recherche qui vont impliquer des centaines de scientifiques du monde entier. D’ici à septembre, nous saurons ce qui a causé l’épidémie d’autisme. Et nous serons en mesure d’éliminer ces facteurs ».
D’après Donald Trump : « Il y a quelque chose qui le cause »…/…« C’est possible qu’il faille qu’on arrête de prendre quelque chose, ou de manger quelque chose, ou peut-être que c’est un vaccin. »
Le raisonnement est donc biaisé dès l’énoncé, le résultat escompté est annoncé.
Ces hypothèses fantasques sont fausses, dangereuses et démenties depuis longtemps par la recherche. Les scientifiques sont d’ailleurs alarmés par les déclarations de Trump et Kennedy Jr.
Plus inquiétant encore, Kennedy Jr prétend donc que l’autisme serait évitable, que sa cause pourrait être éliminée. Propos glaçants, à bien y regarder.
Qu’est-ce qui se cache derrière cette chasse à la cause de l’autisme ? Une pensée uniquement antivax ou l’eugénisme le plus crasse ?
La confusion entre vaccination et survenance de l’autisme, entretenue par les propos de Trump et Kennedy Jr, trouve son origine dans un article d’Andrew Wakefield publié dans la revue The Lancet puis supprimé. Cette « étude » portait sur 12 enfants, âgés de 12 à 18 mois ayant reçu le vaccin ROR et dont le diagnostic d’autisme a été posé en suite ou en même temps que le vaccin. Il y avait coïncidence temporelle entre ces deux évènements et non causalité.
Depuis, de nombreuses études à grande échelle ont écarté tout lien entre vaccination et autisme :
– Taylor et al. (2014), méta-analyse sur plus d’un million d’enfants.
– Hviid et al. (2019), étude danoise sur 657 000 enfants.
– Position unanime des CDC, de l’OMS, de l’Inserm et de l’Académie de médecine.
La science est donc unanime, et rejette cette hypothèse.
La fraude de Wakefield a causé l’effondrement de la couverture vaccinale du ROR en Angleterre, la rougeole y est redevenue endémique en 2008, avec un décès pour 10 000 cas.
Wakefield a été radié en Angleterre mais poursuit ses activités depuis 2011… Aux états-unis !
Sont-ce donc tous ces diplômés déchus de leurs droits à exercer qui vont composer la cohorte des experts mandatés par l’administration de Trump ? Eux, les pro-packing, les mères anti gluten, les pires antivax ?
« Depuis 2003, grâce à l’équipe de Thomas Bourgeron à l’Institut Pasteur, on sait qu’il existe une part génétique dans l’autisme. Diverses mutations ont ensuite été identifiées comme des facteurs de prédisposition. »
Une part génétique, avec de multiples mutations en jeu, des facteurs épigénétiques variables, engendrent une très grande diversité de situations pour les personnes autistes. « Lorsque vous rencontrez une personne autiste, vous n’avez pas fait connaissance avec l’autisme, mais avec UNE forme d’autisme ». « Vous rencontrez avant tout une personne, qui a la particularité de ne pas avoir un cerveau qui fonctionne comme le vôtre, imaginez, c’est comme si la majorité des gens étaient des ordinateurs PC sous Windows et que les autistes, eux, étaient des Mac sous macOS. On peut tous utiliser le traitement de texte, mais on n’utilisera pas le même chemin d’accès pour écrire une lettre. Il existe aussi beaucoup plus de logiciels qui sont faits pour les utilisateurs de PC sous Windows que pour les utilisateurs de Mac avec macOS… » (Conversations croisées avec plusieurs personnes autistes). Ce n’est donc pas à proprement parler un « dysfonctionnement », c’est un fonctionnement différent. Un fonctionnement à comprendre. Pas à contraindre ou à supprimer.
Certains chercheurs, allistes, [en France et ailleurs] ont tendance à ne voir dans l’autisme qu’une anomalie à corriger, une maladie à éradiquer. Or, la posture états-unienne sur l’autisme pousse encore un peu plus vers cette tendance simpliste aux abords eugénistes : identifier une cause, traiter la cause, supprimer.
Mais il ne s’agit ni d’une maladie ni d’une anomalie, les autistes ne souffrent pas d’autisme mais des clichés, du charlatanisme, de jugements à l’emporte pièce et du validisme. Les populations autistes sont, malgré tous les écueils, sous-diagnostiquées, les attitudes de la maison blanche à leur égard ne va pas améliorer cette situation. Un diagnostic n’est pas une fin en soi, il peut être perçu comme une délivrance par l’adulte, il leur permet, parfois, d’obtenir un suivi. Parfois, seulement.
Des parents désemparés, mal informés, mal pris en charge, sont régulièrement tentés par le pire. Le diagnostic d’un enfant peut aboutir à une exclusion accrue de la sphère sociale, tant de l’enfant que des parents, en raison des clichés, de raisonnements biaisés, et parce que notre société reste et demeure excessivement validiste, le capacitisme est en effet systémique.
L’autisme ne concernait-il que les petits garçons blancs ?
Les filles et les femmes ont été, pendant des décennies, très mal, voire très peu diagnostiquées, elles passaient au travers des mailles du filet. L’autisme ne pouvait concerner que la population masculine, fait alors acquis dans le milieu médical et le grand public. Les critères de diagnostics étaient taillés pour eux.
Comme dans de nombreux autres domaines de la science, c’est le corps et l’esprit de l’homme qui étaient étudiés, qui servaient de modèle, toute particularité féminine étant jugée comme une « pathologie ». Même l’expérience et les compétences des femmes sur les sujets les concernant, a été effacé ou mis de côté, patriarcat quand tu tiens la science.
« Il y a tout lieu de penser que ce biais androcentrique et l’effacement du genre comme catégorie d’analyse participent à l’invisibilité de l’expérience de ces femmes dans la production des connaissances les concernant (Eichler, [1988] 1991). »
Poser le diagnostic d’autisme en dépendance d’un sexe de naissance est par ailleurs problématique puisque cela efface le genre.
Les diagnostics d’autisme ne sont pas exempts des préjugés racistes. « Il existe également des différences raciales dans les taux de diagnostic de l’autisme » Aux Etats-Unis, alors que la tendance s’inversait et que les diagnostics concernaient enfin toute la population dans sa diversité, voilà que Kennedy Jr. vient, par son intervention, de mettre un frein aux démarches.
Les adultes, sexe et genre confondus, sont plus tardivement pris en charge.
Ce retard dans le diagnostic pourrait être dû au fait que les travaux des premiers scientifiques au sujet de l’autisme concernaient des enfants. Dans notre pays, une autre piste concerne la forte prévalence de la psychanalyse en France.
« La France est restée très (trop) longtemps ancrée dans une tradition psychanalytique forte qui pensait que l’autisme était le résultat d’un dysfonctionnement de la relation mère-enfant. Aujourd’hui, bien que ces théories aient été discréditées par l’avancée des connaissances scientifiques, il persiste de fausses croyances dans l’imaginaire collectif, y compris parmi certains professionnels de santé. » Enfin, l’inégalité territoriale et économique dans l’accès au diagnostic ne peut être ignorée.
Malgré tous ces facteurs (sous-diagnostics, défaut d’accès…), le nombre de diagnostics d’autisme ne cesse d’augmenter. C’est le nombre de diagnostics qui augmente, pas le nombre d’autistes.
La prévalence de l’autisme est aujourd’hui de « 60 à 70 pour 10 000, soit 0,6 à 0,7 % de la population mondiale ». Selon l’Institut Pasteur, jusqu’à 1 % de la population mondiale pourrait recevoir un diagnostic d’autisme.
Plusieurs facteurs expliquent l’augmentation du nombre de diagnostics.
La science évolue, et, avec elle, les façons de diagnostiquer (et ce, même s’il persiste des « trous dans la raquette »). D’une part, les diagnostics ne concernent plus que les petits garçons blancs, et d’autre part, les référentiels ont évolué. (élargissement des critères, outils de détection améliorés, reconnaissance accrue des formes moins visibles de l’autisme). Des politiques de santé publique plus inclusives ont également amélioré l’accès aux diagnostics.
De fait, l’entité que l’on nomme « autisme » (ou TSA depuis 2013) n’est pas stable dans le temps. De 1943 à 1990, l’autisme était considéré comme rare, et n’étaient diagnostiquées que des personnes dites « typiques » telles qu’envisagées par Léo Kaner. De 1990 à 2013, les critères s’élargissent avec des catégories additionnelles couvrant des formes dites atypiques. En 2013, apparaît dans le DSM-V la notion de « troubles du spectre autistique ».
Autrement dit, comparer le nombre de diagnostics de 1943 avec ceux de 2025, et crier à l’épidémie est alarmiste et mal venu. Faire croire que le nombre d’autistes a augmenté, alors que ce sont les diagnostics qui sont en hausse relève de la tromperie pure et simple.
La science a raison. Mais voilà. Kennedy Jr affirme à présent que la science est une idéologie, puisque la science n’est pas d’accord avec lui … « : L’une des choses dont je pense que nous devons nous éloigner aujourd’hui est cette idéologie selon laquelle l’augmentation incessante de la prévalence de l’autisme n’est que le résultat d’un meilleur diagnostic, d’une meilleure reconnaissance ou d’un changement des critères de diagnostic. » Le voici donc en train de rappeler aux commerciaux ayant répondu à son appel d’offres les limites tronquées du marché.
Il renie des évidences scientifiques largement documentées. A la télévision. Tout va bien (non). Le négationnisme scientifique, motivé par des intérêts idéologiques a conduit au pire. Au début du 20e siècle, certains rejetaient les avancées scientifiques sur la diversité humaine pour imposer des idéologies racistes et discriminatoires (Kevles, 1985).
Pathologiser l’autisme, le présenter comme une « tragédie évitable », est une rhétorique qui s’aligne avec des idées eugénistes qui cherchent à «éliminer» ou «prévenir» des conditions jugées indésirables. Et quoi de mieux pour éradiquer une condition indésirable qu’un ennemi identifié : un vaccin, une maman, le gluten, la couleur des slips du roi d’Angleterre… ? Ces approches irrationnelles ne sont pas l’exclusive des États-Unis, en France aussi, nous avons nos obsédés de l’éradication de l’autisme.
Contrairement au consensus scientifique international qui reconnaît une origine essentiellement génétique et multifactorielle, certains journalistes français ont soutenu une hypothèse environnementale récurrente — pesticides, bisphénol A, pollution (dont plomb), glyphosate — sans jamais ou très rarement citer la littérature scientifique sérieuse sur le sujet. Ce biais nourrit la suspicion et la peur, tout en marginalisant les personnes autistes.
En lien avec cette désinformation, certaines familles ont été attirées vers des traitements non validés, inefficaces et dangereux : régimes extrêmes, injections, thérapies non réglementées ou même violentes (chélations – retirer les métaux lourds du corps- , MMS, hyperbarie, etc.), alors même que les institutions de santé publique comme l’INSERM, l’OMS ou les NIH les proscrivent.
En France encore, la psychanalyse a provoqué des dégâts irréparables. Cette pseudo-science accusait les mamans d’être à l’origine de l’autisme de leur enfant. Pire encore : « Une enseignante psychanalyste nous a affirmé que l’autisme était lié au fait de vouloir inconsciemment coucher avec sa mère. Simplement, cela n’était plus possible de le dire selon elle, à cause des associations de parents ».
D’autres méthodes exécrables tels que le « packing », consistant à envelopper les enfants autistes dans des draps mouillés à l’eau glacée sont encore promues sur internet ou les réseaux sociaux. En dépit de tout bon sens.
Des mères affirment avoir « guéri » l’autisme de leur enfant via des régimes sans gluten ou des approches pseudo-scientifiques. Et d’autres affirment sans contradiction, sur des plateaux de télévision ou de radio que « les écrans » causeraient l’autisme. Tout va bien. (non)
Des familles non ou mal accompagnées, prêtes à tout pour débarrasser leur enfant de cette « chose », l’autisme, qu’on leur présente comme une condition horrible de souffrance dont il faut à tout prix se débarrasser quitte à ce que l’enfant meure… Voilà un axe d’amélioration à adopter sur le champ : accompagner les familles et les concernés, pour leur expliquer que l’autisme n’est pas une maladie, qu’on ne s’en débarrasse pas et encore moins avec un traitement miracle pseudo-scientifique, qu’on ne « souffre » pas de l’autisme mais du validisme quand on est autiste.
Aux termes d’une « conférence » datée du 16 Avril 2025, Kennedy junior confirme le projet eugéniste en ces termes : « Et ce sont des enfants qui ne paieront jamais d’impôts, qui n’auront jamais d’emploi, qui ne joueront jamais au baseball, qui n’écriront jamais de poème. Ils ne sortiront jamais avec quelqu’un. Beaucoup d’entre eux n’utiliseront jamais les toilettes sans assistance. »
Toute cette conférence est d’une atrocité sans nom. Comment de telles choses peuvent-elles être dites sans susciter l’émoi de toutes les communautés humaines et des politiques là-bas et outre atlantique ? L’Histoire ne nous apprend-elle pas à reconnaître le spectre du fascisme ?
En prétendant que les autistes « ne paieront jamais d’impôts » et « n’auront jamais d’emploi », Kennedy junior adopte une rhétorique qui mesure la valeur humaine en termes de productivité économique.
Ce discours rappelle les idéologies eugénistes qui considéraient les personnes handicapées comme des «fardeaux» pour la société. Les nazis utilisaient des arguments similaires dans leur programme Aktion T4, qui visait à euthanasier les personnes handicapées en les présentant comme «inutiles» pour l’économie.
Kennedy junior déshumanise les autistes, en les présentant comme des personnes incapables de mener une vie autonome, en les réduisant à des stéréotypes d’incapacité, ce langage rappelle là aussi les discours eugénistes du début du vingtième siècle, où les personnes handicapées étaient considérées comme « inférieures » et « indignes de vivre ».
Dans la même vidéo, il prétend que l’autisme ne concernerait que des enfants, qu’il n’a jamais rencontré d’autistes de son âge, des asperger oui, « mais pas des autistes »… La désinformation bat son plein. Il restreint encore le cahier des charges de son appel d’offres : comprenez que pour lui, l’autisme, ce n’est que la définition de 1943. Il effectue un tri entre les « bons » autistes et les « mauvais » autistes… Eugénisme, une fois encore.
Les clichés sur l’autisme foisonnent, Kennedy junior nous en livre un condensé navrant.
Les représentations sociales des autistes sont totalement biaisées : associés à la violence, à l’agressivité, à l’absence d’empathie, « ils sont dans leur bulle », « ils ne parlent pas », « ils n’aiment pas leurs parents », « ils n’ont pas la posture d’élèves »… « Les IME, ce sera mieux pour eux »…
Tant et si bien que des syndicats de profs, en France, commandent un sondage biaisé pour réclamer des places supplémentaires en IME. Pour une meilleure inclusion scolaire des enfants, il faut des moyens supplémentaires DANS l’école, pas dans les IME, qui ne sont pas des écoles. Les emplois du temps pour les IME parlent d’eux-mêmes.
Ces clichés immondes expliquent-ils le traitement accordés aux parents auticides ? Dans les cas d’Anne Pasquiou ou le plus récent cas de Marseille, c’est la famille qu’on plaint, et non l’enfant assassiné. Des téléfilms diffusés en France, et notamment sur le service public, véhiculent en tout cas l’idée que la victime, c’est la famille. L’avis des concernés ? Le service public s’en moque.
Depuis 2005, plusieurs plans autisme ont été lancés en France. Le 4e plan (2018–2022), doté de 344 M€, a mis l’accent sur le diagnostic précoce et l’inclusion scolaire. Mais avec quels résultats tangibles ? Est-ce que tous les enfants diagnostiqués bénéficient des aménagements nécessaires à leur inclusion scolaire ? Non. L’État préfère ségréguer qu’inclure.
La cohorte Marianne, censée étudier les causes de l’autisme, est vivement critiquée par les autistes eux-mêmes, qui dénoncent une approche biomédicale déshumanisante, eugéniste, fondée sur une croyance plutôt que sur la science.
Et pour cause. Cette « cohorte », financée sur fonds publics, vise à suivre 1700 femmes « pour analyser les liens entre modes de vie des parents, exposition aux polluants chimiques du foetus et de l’enfant dans la survenue de l’autisme et d’autres troubles du neurodéveloppement ». Les déclarations de Claire Compagnon, alors déléguée interministérielle à l’autisme, sont sans appel : « On ne guérit pas aujourd’hui ces troubles. On accompagne mieux, on corrige les trajectoires développementales, mais on ne guérit pas. Alors il faut chercher. » (Claire Compagnon, déléguée interministérielle à l’autisme et au neurodéveloppement, Académie de Médecine, 29 mars 2023.)
La psychanalyse, pourtant disqualifiée scientifiquement, reste encore influente, de l’université au corps médical. Malgré les avis publiés par la HAS depuis 2012.
Le Conseil d’Etat avait jugé en 2014 (arrêt Association lacanienne internationale) : “les approches thérapeutiques faisant intervenir la psychanalyse et la psychothérapie institutionnelle dans le traitement de l’autisme et des troubles envahissants du comportement n’ont pas réuni, lors de l’élaboration de la recommandation attaquée, un accord suffisant des membres du groupe de cotation pour qu’elles soient qualifiées d’interventions recommandées ».
Le système scolaire reste hostile à l’inclusion : des syndicats enseignants plaident pour l’orientation en IME, tandis que la ministre déléguée au Handicap confond inclusion et placement en établissement spécialisé, en contradiction avec la Convention de l’ONU sur les droits des personnes handicapées.
Les « plans autisme » partaient mal. Le premier d’entre eux proposait comme mesure phare d’institutionnaliser les autistes. (« une disponibilité en établissement adapté aux personnes autistes »). Le CCNE avait eu un avis tranché sur la question : « L’absence de diagnostic précoce, de scolarisation en milieu ordinaire et de sociabilisation, conduisent à une perte de chances pour les enfants et à une « maltraitance » par défaut »[CCNE 5].
La pertinence de mettre en œuvre des « plans autisme » pourrait par ailleurs être interrogée : bien sûr, il manque des diagnostics. Mais il manque aussi de l’accompagnement et des mesures concrètes, et ce, pour toutes les personnes en situation de handicap. Toutes. C’est un « Plan Handicap » correspondant à la Convention ONU précitée qu’il faudrait mettre en œuvre !
« Une société incapable de reconnaître la dignité et la souffrance de la personne, enfant, adolescent ou adulte, la plus vulnérable et la plus démunie, et qui la retranche de la collectivité en raison même de son extrême vulnérabilité, est une société qui perd son humanité » (Conclusion du rapport du CCNE, 8 novembre 2007)
En France, on diagnostique, un peu plus qu’avant, on compte le nombre d’autistes mais on ne les accompagne pas correctement. Quelle est alors la pertinence d’entreprendre la démarche de diagnostic, quand on sait, notamment, la pauvreté de l’accompagnement qui va suivre ?
Aux États-Unis, la chasse aux autistes a commencé. Les concernés, à raison, paniquent.
Dans ce contexte mac carthysto-eugéniste, est-ce que les familles vont poursuivre les démarches de diagnostic et de suivi ? A quoi bon être signalé comme « un poids financier » à une administration qui cherche à faire des économies et qui vous perçoit d’une façon aussi déshumanisée ?
A qui le tour après les autistes et les autres handicapés ?
Faut-il rappeler enfin, que Trump a suspendu et interdit toutes les politiques DEI ? Qu’il a accusé les personnes handicapées d’être à l’origine d’un crash d’avion ? Que ses partisans trouvent que la traduction en LSF relève de la « gesticulation » inutile à l’écran, au point qu’elle est supprimée ?
La France va-t-elle devoir accueillir, après les chercheurs menacés par Trump, tous les enfants de la diversité pourchassés par ces eugénistes ?
Pour aller plus loin : Mélenchon et la délégation insoumise à Montréal, un déplacement historique
La science a tranché : l’autisme n’est ni causé par un vaccin, ni une mode, ni une maladie, ni curable. Quoi qu’en pensent l’administration trumpienne et les pseudo-scientifiques appelés au secours de ces inepties.
Les personnes autistes ont besoin de respect, d’adaptation, d’une société inclusive et non d’être traquées comme des anomalies à corriger. La vraie urgence est éducative, sociale et humaine.
L’attitude de Kennedy junior devrait avant tout nous alarmer, l’histoire nous a appris que la chasse aux divergences était l’apanage du fascisme. Le diagnostic d’autisme ou de tout autre handicap ne doit pas devenir le nouveau triangle noir, signe d’exclusion de sinistre mémoire.
Une telle campagne de désinformation va charrier à n’en point douter des horreurs dans son sillage : crainte de représailles, agressions des personnes autistes, délations, parents paniqués prêts au pire. Dans ces conditions, il est probable que le nombre de personnes prêtes à se faire diagnostiquer va chuter. L’administration Trump, en ayant cassé le thermomètre, pourra crier victoire, il n’y a plus de température… L’idiocratie aura triomphé de la science.
Il se dit que ce qui se passe aux Amériques arrive en France avec une dizaine d’années de retard. Cette fois, le train de l’eugénisme est sous stéroïdes, il est grand temps de le faire dérailler.
Au lieu de regarder ses chaussures, Emmanuel Macron devrait prendre exemple sur Jean-Luc Mélenchon ayant adressé un message d’avertissement à Donald Trump pour se porter solidaire des canadiens et des québecois menacés d’annexion. Comme le leader de LFI, Emmanuel Macron devrait prendre son courage à deux mains et lui lancer l’alerte : « Mr. President, I have a message for you. Unfortunately, you do not speak French.
So, I must beg your pardon, I am not able to speak English well enough.
Mr. Kennedy Jr. said there was an autism epidemic, that autistic people don’t pay taxes and are a financial burden, not even able to write a poem, that old autistic people does not exist. You said that autism was caused by something, maybe it’s a vaccin.
Mr. President, when the science says NO, it means NO, either in english or in french. »
Par Tiracooon
Champoux – Être et ne plus être autiste
Critiques de la cohorte Marianne
Podcast inclusion scolaire (10 avril 2024)
Déclaration ministérielle (avril 2024)
https://www.who.int/news-room/questions-and-answers/item/vaccines-and-autism
https://threadreaderapp.com/thread/1878461177115660647.html
https://threadreaderapp.com/thread/1911826724708319532.html
Kevles D.J., 1985, In the Name of Eugenics, Harvard University Press : https://www.hup.harvard.edu/books/9780674445574
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