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23.07.2025 à 11:14

Histoire de la mafia : Au-delà des préjugés

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L’histoire de la mafia ne peut dans bien des cas n’être autre qu’une histoire de l’antimafia, celle-ci permettant de définir par défaut la mafia. L’ouvrage de Jean-Yves Frétigné n’échappe pas à cette difficulté et son histoire de la mafia est aussi l’histoire du préfet César Mori pendant le fascisme, du préfet Dalla Chiesa pendant les cent jours à Palerme qui précéderont son assassinat, des collectifs antimafia issus de la société civile ou encore celle de la construction complexe et progressive de la législation antimafia.L’originalité de l’ouvrage réside dans son sous-titre. L’auteur ne veut pas se livrer à un simple narratif chronologique. Il souhaite aller « au-delà des préjugés », déconstruire des idées reçues sur Cosa nostra. Dans cette note de lecture, Clotilde Champeyrache, maître de conférences au Conservatoire National des Arts et Métiers, membre du conseil d’orientation scientifique de l’Observatoire des criminalités internationales (ObsCi), nous offre une analyse de l’ouvrage Histoire de la mafia : Au-delà des préjugés de Jean-Yves Frétigné

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L’histoire de la mafia ne peut dans bien des cas n’être autre qu’une histoire de l’antimafia, celle-ci permettant de définir par défaut la mafia. L’ouvrage de Jean-Yves Frétigné n’échappe pas à cette difficulté et son histoire de la mafia est aussi l’histoire du préfet César Mori pendant le fascisme, du préfet Dalla Chiesa pendant les cent jours à Palerme qui précéderont son assassinat, des collectifs antimafia issus de la société civile ou encore celle de la construction complexe et progressive de la législation antimafia.
L’originalité de l’ouvrage réside dans son sous-titre. L’auteur ne veut pas se livrer à un simple narratif chronologique. Il souhaite aller « au-delà des préjugés », déconstruire des idées reçues sur Cosa nostra.

Dans cette note de lecture, Clotilde Champeyrache, maître de conférences au Conservatoire National des Arts et Métiers, membre du conseil d’orientation scientifique de l’Observatoire des criminalités internationales (ObsCi), nous offre une analyse de l’ouvrage Histoire de la mafia : Au-delà des préjugés de Jean-Yves Frétigné

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22.07.2025 à 14:35

L’été indopacifique français : une actualisation de la stratégie indopacifique et un projet « d’État de la Nouvelle-Calédonie »

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Le 12 juillet 2025, contre toute attente et après dix jours d’intenses discussions, les représentants indépendantistes et non-indépendantistes de Nouvelle-Calédonie réunis à Bougival, dans les Yvelines, ont accepté de s’engager en faveur de la création d’un « État de la Nouvelle-Calédonie ». Cet État sui generis et le statut pérenne proposé aux citoyens calédoniens ouvrent des perspectives au territoire et à ses proches voisins australiens et mélanésiens, inquiets devant le climat de tensions persistantes dans lequel semblaits’enfoncer l’archipel au fil du temps. D’aucuns espèrent que l’important volet économique que contient le projet d’accord permettra d’arrêter son lent délitement, alors que beaucoup reste à reconstruire après les émeutes de mai 2024. Si, comme s’est plu à le répéter Emmanuel Macron, la « France serait moins belle sans la Nouvelle-Calédonie », force est de constater que l’Indo-Pacifique français serait fortement amoindri sans l’archipel océanien et que la stratégie éponyme portée par le chef de l’État pour la région en subirait le contrecoup. Dans l’immédiat, les discussions apaisées autour de la création possible de ce « nouvel État » ont permis au gouvernement de publier la mise à jour de sa stratégie Indo-Pacifique promise depuis de longs mois. La large place qui y est consacrée aux sept territoires ultramarins français, et qui répare l’oubli des premiers textes, aurait pâti d’une situation de tensions trop vives en Nouvelle-Calédonie, même si rien n’est encore réglé. Les efforts du gouvernement français en direction de l’archipel et son investissement notable lui assurent une relative marge de manœuvre tout en rassurant sur la crédibilité de l’engagement de la France dans la région.

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Le 12 juillet 2025, contre toute attente et après dix jours d’intenses discussions, les représentants indépendantistes et non-indépendantistes de Nouvelle-Calédonie réunis à Bougival, dans les Yvelines, ont accepté de s’engager en faveur de la création d’un « État de la Nouvelle-Calédonie ». Cet État sui generis et le statut pérenne proposé aux citoyens calédoniens ouvrent des perspectives au territoire et à ses proches voisins australiens et mélanésiens, inquiets devant le climat de tensions persistantes dans lequel semblait
s’enfoncer l’archipel au fil du temps. D’aucuns espèrent que l’important volet économique que contient le projet d’accord permettra d’arrêter son lent délitement, alors que beaucoup reste à reconstruire après les émeutes de mai 2024. Si, comme s’est plu à le répéter Emmanuel Macron, la « France serait moins belle sans la Nouvelle-Calédonie », force est de constater que l’Indo-Pacifique français serait fortement amoindri sans l’archipel océanien et que la stratégie éponyme portée par le chef de l’État pour la région en subirait le contrecoup. Dans l’immédiat, les discussions apaisées autour de la création possible de ce « nouvel État » ont permis au gouvernement de publier la mise à jour de sa stratégie Indo-Pacifique promise depuis de longs mois. La large place qui y est consacrée aux sept territoires ultramarins français, et qui répare l’oubli des premiers textes, aurait pâti d’une situation de tensions trop vives en Nouvelle-Calédonie, même si rien n’est encore réglé. Les efforts du gouvernement français en direction de l’archipel et son investissement notable lui assurent une relative marge de manœuvre tout en rassurant sur la crédibilité de l’engagement de la France dans la région.

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21.07.2025 à 20:20

Cryptoactifs et financement de l’économie du crime : les liaisons dangereuses ?

Coline Laroche              

Les cryptomonnaies sont un paradis virtuel. Initialement circonscrite à une petite sphère d’experts (codeurs, mineurs), l’utilisation de ces cryptoactifs devient rapidement « un nouveau terreau pour le blanchiment de capitaux» (Clément et Lelieur 2021). Cette évolution s’explique par les caractéristiques inhérentes à ces nouveaux instruments d’échange et de spéculation, notamment le pseudonymat (la protection de l’identité des utilisateurs par des clés cryptographiques), leur accessibilité quasi mondiale, la rapidité à laquelle les échanges sont effectués et le faible coût de transaction. En 2023, l’entreprise dédiée aux activités de traçage de Bitcoin estimait la valeur totale reçue par les adresses de cryptoactifs impliquées dans des activités illicites[1] était selon de 24,2 milliards de dollars[2]. Leur utilisation a permis aux criminels d’explorer de nouvelles opportunités, comme mode de paiement sur le dark web (matériel d’abus sexuel sur enfants, ransomware), dans la mise en œuvre de procédés criminels (escroqueries et fonds volés), le blanchiment d’argent et la fraude fiscale ainsi que le financement d’organisations criminelles et terroristes. Un moyen de blanchiment facilité Divers outils et techniques renforcent la confidentialité des transactions en cryptoctifs, compliquant ainsi le traçage des flux financiers. Parmi ceux-ci, on trouve : Volume en circulation en milliards de dollars en 2018 sur Binance  Évolution de la part de transactions en bitcoins réalisées à l’aide du protocole CoinJoin (fin 2011- début 2018) Sources : zkSNACKs, entreprise créatrice du portefeuille Wasabi Wallet. Un mode de paiement sur le dark web : Silk Road et au-delà Les cryptoactifs, en particulier le Bitcoin, ont trouvé une application notable en tant que moyen de paiement sur le dark web. La fermeture en 2013 par le FBI de Silk Road, une des premières plateformes à utiliser le Bitcoin comme moyen de paiement pour des activités criminelles, a fait de prendre conscience aux autorités des possibilités offertes par ces nouveaux […]

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Texte intégral 1873 mots

Divers outils et techniques renforcent la confidentialité des transactions en cryptoctifs, compliquant ainsi le traçage des flux financiers. Parmi ceux-ci, on trouve :

  • Des cryptoactifs axés sur la confidentialité comme Monero (XMR), Dash (DASH) et ZCash (ZEC). Ceux-ci intègrent by design des fonctionnalités de confidentialité avancées rendantde fait le traçage des transactions particulièrement ardu. Ces « privacy coins » utilisent en effet des techniques telles que les signatures de cercle, les transactions confidentielles et les adresses furtives pour masquer l’origine, le montant et la destination des fonds. La part des principales cryptomonnaies pseudomisée (Monero) ou semi-pseudomisée en circulation (Dash et ZCash) sur Binance en 2018 est estimée à 42 milliards USD, soit 8,8 % du total en circulation (Cf. Graphique).
Volume en circulation en milliards de dollars en 2018 sur Binance 
  • Des protocoles d’anonymisation tels que CoinJoin qui regroupent les transactions de plusieurs utilisateurs en une seule transaction de plus grande taille, rendant ainsi plus complexe l’identification des liens entre les entrées et les sorties de fonds. Cette technique à l’avantage d’anonymiser des flux pour des transactions des cryptoactifs qui, à l’instar de Bitcoin, n’intègrent pas by design des fonctionnalités de confidentialité avancées. La part de transactions en Bitcoins réalisées à l’aide du protocole CoinJoin, se situe entre 2011 et 2018 entre 2 % et 7,5 %. L’ensemble de ces échanges réalisés sur Bitcoins sont anonymes et peuvent être – ou non – d’origines frauduleuses.
Évolution de la part de transactions en bitcoins réalisées à l’aide du protocole CoinJoin (fin 2011- début 2018)

Sources : zkSNACKs, entreprise créatrice du portefeuille Wasabi Wallet.

  • Des plateformes d’échange instantané (instant exchangers) qui ne requièrent pas de vérification d’identité de type Know Your Custumer (KYC), offrent également un environnement propice aux transactions anonymes. 

Les cryptoactifs, en particulier le Bitcoin, ont trouvé une application notable en tant que moyen de paiement sur le dark web. La fermeture en 2013 par le FBI de Silk Road, une des premières plateformes à utiliser le Bitcoin comme moyen de paiement pour des activités criminelles, a fait de prendre conscience aux autorités des possibilités offertes par ces nouveaux moyens de paiement. Un an plus tard, en 2014 le Groupe d’action financière (GAFI), organisme international de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, organisait son premier sommet consacré aux risques liés aux cryptoactifs en matière de Lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme (LBC/FT). Malgré la prise de conscience des autorités, l’utilisation de cryptoactifs comme moyen de paiement illégal persiste et a conquis d’autres champs de la criminalité : désormais, 60 % des rançongiciels exigeaient un paiement en cryptoctifs (2021). Ainsi, en 2023, les paiements de rançons ont connu une recrudescence significative, dépassant le milliard de dollars à l’échelle mondiale (Chainalysis 2024). Cette augmentation est attribuée au développement de rançongiciels de plus en plus sophistiqués et à l’émergence de groupes criminels spécialisés (LockBit, ALPHV/BlackCat) qui n’hésitent pas à cibler leurs victimes (administrations publiques dans le secteur de la santé ou de l’éducation) qui n’hésitent à payer les rançons pour récupérer rapidement leurs données.

En 2023, le paysage de la criminalité liée aux cryptoactifs a connu une évolution notable (Chainalysis, 2024). En effet, bien que les plateformes de cryptoactifs aient réussi à mieux protéger les fonds – avec une diminution de plus de 50 % des montants dérobés -, le nombre de tentatives de piratage a paradoxalement augmenté, montrant que la menace reste bien présente. Ainsi, en mai 2024, la plateforme d’échange japonaise DMM Bitcoin a subi une violation de sécurité majeure qui a entraîné le vol d’environ 305 millions de dollars en Bitcoin.

Du côté des escroqueries, une tendance similaire se dessine. Bien que les revenus globaux générés par les escroqueries aient diminué, certaines formes spécifiques, telles que les escroqueries d’« approval phishing » (hameçonnage par approbation) et les escroqueries romantiques, ont gagné en importance. Les escroqueries par hameçonnage d’approbation ciblent principalement les jetons ERC-20 populaires sur Ethereum, qui nécessitent une approbation pour interagir avec les contrats intelligents.

Les montants impliqués dans le financement du terrorisme via les cryptomonnaies sont relativement faibles par rapport aux méthodes de financement traditionnelles (dons en espèces, transferts via des systèmes bancaires informels), en raison notamment des difficultés que peuvent rentrer les donateurs pour anonymiser les transactions. Les cryptoactifs offrent plusieurs avantages : elles permettent de solliciter des dons à l’échelle mondiale, de transférer des fonds vers des zones isolées où les systèmes bancaires classiques sont inopérants, et d’acquérir discrètement des armes, du matériel de communication, ou d’autres ressources illicites. Ainsi, en octobre 2024, l’Office of Foreign Assets Control (OFAC) du Trésor américain a sanctionné Abd al-Muhsin Abdallah Ibrahim al-Sharikh, un individu basé en Syrie qui fournissait un soutien financier à Hayet Tahrir al-Sham (HTS), une organisation terroriste. Al-Sharikh collectait des dons auprès de sympathisants via les médias sociaux et des plateformes de messagerie cryptées, puis utilisait des plateformes d’échange décentralisées (DEX) et des services de mixage pour dissimuler l’origine et la destination des fonds. Il convertissait ensuite les cryptomonnaies en espèces et les acheminait vers HTS via des canaux de financement illicites traditionnels. Cette action de l’OFAC souligne la menace persistante du financement du terrorisme via les cryptomonnaies et la nécessité d’une vigilance accrue et d’une coopération entre les secteurs public et privé pour contrer ces activités.

L’Union européenne (UE), a mis en place la réglementation MiCA (Markets in Crypto-Assets), qui marque une avancée significative en exigeant une plus grande transparence des plateformes de cryptoactifs. Cette réglementation s’attaque directement au processus d’anonymisation en imposant des obligations d’identification des clients (KYC) et de diligence raisonnable (CDD) aux fournisseurs de services de cryptoactifs. Ces mesures visent à rendre plus difficile l’utilisation de cryptomonnaies à des fins criminelles en obligeant les plateformes à vérifier l’identité de leurs utilisateurs et à signaler les transactions suspectes.

Parallèlement à ces initiatives nationales et régionales, des organisations comme Interpol et Europol jouent un rôle essentiel dans la coopération internationale. Interpol facilite l’échange d’informations et la coordination des enquêtes entre les forces de l’ordre du monde entier, tandis qu’Europol soutient les États membres de l’UE dans la lutte contre la criminalité organisée et la cybercriminalité, en fournissant une expertise technique et opérationnelle pour traquer les criminels qui tentent d’exploiter les failles des systèmes financiers.


[1] Rappelons qu’un flux financier peut être classé comme illicite en fonction de son origine (source), de la méthode utilisée pour le faire passer une frontière (canal), ou de son utilisation finale.

[2]  The 2024 CryptoCrime Report, The latest trends in ransomware, scams, hacking, and more, Chainalysis, february 2024,

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18.07.2025 à 15:09

Syrie : le préoccupant affaiblissement du gouvernement intérimaire syrien

Coline Laroche              

Depuis le 13 juillet dernier, le Sud de la Syrie fait face à de violentes tensions intercommunautaires. L’enlèvement, puis l’exécution d’un marchand druze par des membres de la communauté bédouine, a déclenché de violents affrontements dans le gouvernorat de Souweïda. Dans ce contexte qui s’inscrit dans la continuité de la guerre civile syrienne, Israël a lancé des frappes aériennes ciblant des chars de l’armée syrienne afin d’apporter son soutien à la communauté druze. Quelles sont les origines des tensions intercommunautaires entre les druzes et les Bédouins ? Dans quelle mesure l’ingérence israélienne s’inscrit-elle dans la continuité de la politique extérieure de Tel-Aviv ? Quelles en sont les conséquences ? Dans quelle mesure cette escalade des violences est-elle révélatrice de l’état de santé du gouvernement syrien ? Le point avec Didier Billion, directeur adjoint de l’IRIS et spécialiste du Moyen-Orient. Comment expliquer la récente escalade des violences entre les groupes bédouin et druze survenue ce weekend ? Dans quelle mesure les affrontements intercommunautaires dans le Sud de la Syrie sont-ils révélateurs de la situation du nouveau gouvernement de Damas ? Comme souvent dans ce type de situation instable, c’est un incident apparemment mineur qui est à l’origine des affrontements récents. Il s’agirait de l’enlèvement et de l’élimination, pour des raisons qui restent obscures, d’un commerçant druze par des membres d’une tribu bédouine. Nous savons néanmoins que la cohabitation entre les communautés druze et bédouine est depuis très longtemps conflictuelle pour des raisons de rivalités foncières ancestrales et de différends religieux exacerbés par les années de guerre civile qui ont ensanglanté la Syrie ces dernières années. Pour mémoire, les druzes sont les fidèles d’une croyance apparue au XIe siècle, issue d’un schisme de l’islam chiite dont elle s’est depuis lors autonomisée. Elle est caractérisée par un fort ésotérisme, le refus de toute forme […]

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Texte intégral 1813 mots

Comment expliquer la récente escalade des violences entre les groupes bédouin et druze survenue ce weekend ? Dans quelle mesure les affrontements intercommunautaires dans le Sud de la Syrie sont-ils révélateurs de la situation du nouveau gouvernement de Damas ?

Comme souvent dans ce type de situation instable, c’est un incident apparemment mineur qui est à l’origine des affrontements récents. Il s’agirait de l’enlèvement et de l’élimination, pour des raisons qui restent obscures, d’un commerçant druze par des membres d’une tribu bédouine. Nous savons néanmoins que la cohabitation entre les communautés druze et bédouine est depuis très longtemps conflictuelle pour des raisons de rivalités foncières ancestrales et de différends religieux exacerbés par les années de guerre civile qui ont ensanglanté la Syrie ces dernières années.

Pour mémoire, les druzes sont les fidèles d’une croyance apparue au XIe siècle, issue d’un schisme de l’islam chiite dont elle s’est depuis lors autonomisée. Elle est caractérisée par un fort ésotérisme, le refus de toute forme de prosélytisme et l’impossibilité de s’y convertir. Ainsi, on nait druze, mais on ne peut le devenir. La doctrine est préservée par un groupe restreint d’initiés influencés par les philosophies grecque et hindoue ce qui en fait un syncrétisme original. En Syrie la communauté druze est estimée à environ 3 % de la population totale, on trouve en outre des communautés de fidèles au Liban et en Israël.

Mais l’essentiel n’est pas de nature religieuse. Les affrontements de ces derniers jours renvoient plus fondamentalement à la situation générale de la Syrie. Le pays a été littéralement broyé par la guerre civile qui a libéré toutes les tendances centrifuges d’un pays qui reste une véritable mosaïque ethnique et confessionnelle. Le projet fondamental du gouvernement intérimaire, présidé par Ahmed Al-Charaa, est de reconstruire une Syrie stable et souveraine. Si le passé djihadiste des nouveaux dirigeants de Damas est connu, leur évolution politique ne l’est pas moins. Incarnant une forme d’islamo-nationalisme, ils ne renient pas leur appartenance à la mouvance islamiste dont ils se réclament, mais, dans le même mouvement, ils sont profondément syriens et leur principale préoccupation est de reconstruire et de préserver l’unité du pays.

Parmi bien d’autres, un test crucial concerne donc la gestion des communautés confessionnelles et/ou ethniques, au premier rang d’entre elles celle constituée par les Kurdes. Le protocole d’accord signé entre les autorités intérimaires du pays et les Forces démocratiques syriennes (FDS), le 10 mars 2025, trace la perspective de l’intégration des institutions civiles et militaires de la région autonome kurde au sein de l’État. La gestion de la communauté druze s’avère plus complexe en raison de l’interférence patente d’acteurs extérieurs.

Face à la montée des tensions, le gouvernement israélien a lancé des frappes aériennes ciblant des chars de l’armée syrienne, en dépit du cessez-le-feu annoncé plus tôt par le ministre de la Défense. Comment interpréter cette ingérence ? Avec quelles conséquences pour la Syrie ?

Depuis des mois, la politique israélienne constitue en effet un élément perturbateur en attisant les rivalités identitaires et en tentant en l’occurrence d’instrumentaliser la communauté druze, notamment située dans le gouvernorat de Souweïda au sud de la Syrie. Ladite communauté est elle-même divisée, certaines de ses composantes privilégiant le dialogue avec Damas alors que d’autres – surtout à la suite des affrontements de la fin du mois d’avril entre des composantes kurdes et des milices proches de Damas qui ont fait plus de 130 morts – ne font plus confiance aux autorités syriennes et optent assez clairement pour une coopération avec Tel-Aviv qui n’hésite pas à s’autodésigner comme leur protecteur.

Les dirigeants israéliens ont parfaitement saisi l’intérêt d’une telle situation pour empêcher que l’unité de la Syrie ne puisse se reconstituer sous la direction d’anciens djihadistes dont ils se méfient. Ils peuvent d’une part s’appuyer sur les dirigeants communautaires druzes d’Israël qui dès 1948 ont soutenu la création de l’État hébreu et ont, pour certains d’entre eux, participé au nettoyage ethnique des Palestiniens de la Galilée. Il existe depuis lors en Israël un lobby druze non dénué d’influence. Récemment, le dirigeant religieux druze israélien, Mouwafaq Tarif, n’a d’ailleurs pas hésité à conseiller à l’armée israélienne de bombarder la Syrie après les violences du mois d’avril.

Mais surtout, Israël procède à une agression de la Syrie s’inscrivant dans l’escalade militaire régionale mise en œuvre par Tel-Aviv. Profitant de la période de flottement consécutive à la fuite de Bachar Al-Assad, début décembre 2024, Israël a ainsi multiplié les frappes : 300 bombardements sur des objectifs militaires syriens sont recensés en quelques semaines. L’armée israélienne a aussi profité de la situation pour occuper le versant syrien du mont Hermon, violant l’accord de cessez-le-feu de 1974 supervisé par l’Organisation des Nations unies, mais considéré unilatéralement comme caduc par Benyamin Netanyahou. Depuis, plus de 800 nouvelles frappes ont visé des infrastructures et capacités stratégiques syriennes et des unités militaires israéliennes se sont donc durablement installées sur le territoire d’un État souverain. Degré supplémentaire dans l’escalade israélienne, les bâtiments du quartier général de l’armée syrienne et le ministère de la Défense ont été bombardés à Damas le 16 juillet. Les événements de ces derniers jours confirment que la guerre préventive et le mépris du droit international sont décidément les normes de fonctionnement de l’État d’Israël.

Au vu de l’asymétrie des forces en présence, les opérations militaires de Tel-Aviv, se soldant au total par au moins 300 morts en trois jours, ont contraint les dirigeants syriens à retirer leurs troupes de la ville de Suweïda et de ses alentours. La faiblesse structurelle de l’État syrien ne laissait probablement guère le choix à Ahmed Al-Charaa, mais l’hubris des dirigeants israéliens impose sa force brutale au détriment de toute perspective politique négociée.

Finalement, quel bilan pouvons-nous dresser des 6 premiers mois du gouvernement de Ahmed al-Charaa ? Quels sont les résultats des démarches engagées pour la réhabilitation internationale de la Syrie ? L’affaiblissement des sanctions occidentales porte-t-il ses fruits pour l’économie syrienne ?

Il faut tout d’abord rappeler la situation catastrophique dans laquelle se trouve le pays au moment de la fuite de Bachar Al-Assad, le 8 décembre 2024 : saignée humaine – plus de 400 000 morts –, économie exsangue – le produit intérieur brut a été divisé par plus de la moitié –, les infrastructures et les services publics souvent réduits à néant… La liste pourrait être longue pour évoquer le désastre syrien.

Les défis à relever sont immenses et il est compréhensible que les résultats ne soient pas à ce stade au niveau des espoirs imprudemment conçus par des observateurs empressés. L’enjeu est triple pour les nouveaux responsables du pays : instaurer un régime plus inclusif, reconstituer de solides relations avec le maximum d’États et parvenir à la levée des sanctions qui continuent d’affecter le pays. Jusqu’ici, on doit reconnaitre que les nouvelles autorités politiques syriennes n’ont guère commis d’erreurs rédhibitoires. Il apparait assez clairement que Ahmed Al-Charaa a choisi de cultiver ses relations avec les puissances occidentales pour tenter de stabiliser le pays. Réception à l’Élysée par Emmanuel Macron le 7 mai, puis rencontre, en présence du président turc Recep Tayyip Erdoğan, avec Donald Trump, en Arabie saoudite le 14 mai qui confirmait l’annonce faite la veille de la suspension des sanctions à l’encontre de la Syrie par les États-Unis pour une durée de six mois. L’Union européenne, pour sa part, levait à son tour les sanctions le 20 mai.

Pour l’équipe dirigeante de Damas, ces mesures s’inscrivent dans une dynamique positive, sans pour autant qu’elles soient capables de régler rapidement les innombrables dossiers à résoudre pour stabiliser le pays. En outre, la contrepartie de ces promesses d’engagements réside dans la contrainte pour Damas de taire ses critiques à l’égard de la politique israélienne dans la région. Ainsi, le silence a été assourdissant lors de l’agression israélienne de l’Iran, le 13 juin.

La situation qui prévaut depuis quelques jours, attisée par l’intervention israélienne, affaiblit indubitablement le gouvernement intérimaire syrien. Si l’on considère que sa stabilisation est un enjeu majeur pour la région, il serait alors temps que ladite communauté internationale réagisse sans ambigüité et prenne enfin les mesures pour que le droit international soit, enfin, respecté.

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18.07.2025 à 12:46

Délocalisation des demandes d’asile

stagiaire-comm@iris-france.org

« D’où venons-nous ? À la frontière soudano-libyenne, il y a les Rapid Support Forces soudanaises – émanation des janjawid pilleurs du Darfour – qui participent à un filtrage violent pour dissuader les migrations vers le nord sous couvert du « Khartoum Process », un accord entre pays européens et africains dont l’objectif est de réduire les départs vers l’Europe. Ces détentions sont souvent menées sans surveillance, avec impunité, et cachent fréquemment des pratiques corruptions et violences. Puis en Méditerranée, les garde-côtes libyens commandés par un criminel notoire qui agissent en mer en « agent » de l’Union européenne, interceptent les embarcations, participent à des refoulements collectifs, et orientent les migrants vers des camps où sévissent extorsions, maladies, violences et exploitation. Avec son « Pacific Solution » lancé en 2001, l’Australie envoie les demandeurs d’asile arrivés par voie maritime vers des centres offshore à Nauru ou sur l’île de Manus (Papouasie-Nouvelle-Guinée) pour dissuader les traversées et affirmer un contrôle total sur l’accès à son territoire. Une politique dénoncée par l’Organisation des Nations unies (ONU) qui a rapporté ces de nombreuses violations des droits humains (détention illimitée, suicides, violences) dans les centres d’accueil…»

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« D’où venons-nous ? À la frontière soudano-libyenne, il y a les Rapid Support Forces soudanaises – émanation des janjawid pilleurs du Darfour – qui participent à un filtrage violent pour dissuader les migrations vers le nord sous couvert du « Khartoum Process », un accord entre pays européens et africains dont l’objectif est de réduire les départs vers l’Europe. Ces détentions sont souvent menées sans surveillance, avec impunité, et cachent fréquemment des pratiques corruptions et violences. Puis en Méditerranée, les garde-côtes libyens commandés par un criminel notoire qui agissent en mer en « agent » de l’Union européenne, interceptent les embarcations, participent à des refoulements collectifs, et orientent les migrants vers des camps où sévissent extorsions, maladies, violences et exploitation.

Avec son « Pacific Solution » lancé en 2001, l’Australie envoie les demandeurs d’asile arrivés par voie maritime vers des centres offshore à Nauru ou sur l’île de Manus (Papouasie-Nouvelle-Guinée) pour dissuader les traversées et affirmer un contrôle total sur l’accès à son territoire. Une politique dénoncée par l’Organisation des Nations unies (ONU) qui a rapporté ces de nombreuses violations des droits humains (détention illimitée, suicides, violences) dans les centres d’accueil…»

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17.07.2025 à 17:03

Union européenne : le projet de futur budget sème le doute et récolte une colère agricole

Coline Laroche              

Ce mercredi 16 juillet, la Commission européenne a dévoilé les grandes lignes de son cadre financier pluriannuel, ouvrant une séquence de débat sur l’avenir de l’Union. Si le budget global affiche une hausse ambitieuse, l’inquiétude gagne les agriculteurs face à la proposition d’une nouvelle architecture du financement de l’appareil productif européen. Dans un contexte déjà tendu, marqué par l’impact de la guerre en Ukraine sur le marché céréalier et la colère montante des collectivités territoriales, la politique agricole commune subit une profonde refonte. En quoi ces propositions suscitent-elles de fortes réactions parmi les acteurs du secteur ? Et quelles pourraient être les conséquences d’une telle orientation de la politique économique européenne ? Le point avec Sébastien Abis, chercheur associé à l’IRIS et directeur du Club DEMETER La Commission européenne a présenté le 16 juillet sa proposition de budget pour la période 2028-2034. Pourquoi a-t-elle suscité de telles réactions dans la foulée ? Reconduite à la présidence de la Commission à l’été 2024, Ursula von der Leyen avait annoncé son souhait de revoir en profondeur l’architecture du budget européen, qui s’organise traditionnellement sur une période de 7 ans, d’où le terme de « cadre financier pluriannuel » (CFP). Ces derniers mois, elle a avancé dans cette direction, non sans susciter déjà des remous à ce sujet de la part de parlementaires européens, et des interrogations à Bruxelles, où de nombreux observateurs de la vie communautaire ont noté une tendance plus ferme et plus dirigiste de la part de l’Allemande. La présentation faite hier, au-delà d’une certaine confusion logistique n’ayant rien arrangé à l’affaire, n’est donc pas une surprise. Cela fait des mois que Ursula von der Leyen entend revoir pleinement le CFP. Or en termes de communication, elle a beau dire qu’il s’agit du projet de budget le plus ambitieux de l’histoire de l’UE, […]

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Texte intégral 2135 mots

La Commission européenne a présenté le 16 juillet sa proposition de budget pour la période 2028-2034. Pourquoi a-t-elle suscité de telles réactions dans la foulée ?

Reconduite à la présidence de la Commission à l’été 2024, Ursula von der Leyen avait annoncé son souhait de revoir en profondeur l’architecture du budget européen, qui s’organise traditionnellement sur une période de 7 ans, d’où le terme de « cadre financier pluriannuel » (CFP). Ces derniers mois, elle a avancé dans cette direction, non sans susciter déjà des remous à ce sujet de la part de parlementaires européens, et des interrogations à Bruxelles, où de nombreux observateurs de la vie communautaire ont noté une tendance plus ferme et plus dirigiste de la part de l’Allemande. La présentation faite hier, au-delà d’une certaine confusion logistique n’ayant rien arrangé à l’affaire, n’est donc pas une surprise. Cela fait des mois que Ursula von der Leyen entend revoir pleinement le CFP. Or en termes de communication, elle a beau dire qu’il s’agit du projet de budget le plus ambitieux de l’histoire de l’UE, il s’avère qu’il est aussi le plus confus et potentiellement le plus controversé ! Les réactions se multiplient et les 18 à 24 mois qui viennent pour le négocier vont être assurément animés, sachant qu’il doit in fine être adopté à l’unanimité par le Conseil européen, après approbation du Parlement européen. Un processus long, démarré hier, par des coups de canon !

Pourquoi cela ? Que devons-nous comprendre pour le moment ?

Rien n’est définitif et nous devons donc nous étonner de conclusions trop hâtives. Néanmoins, la copie proposée annonce des tendances et augure de discussions musclées. À ce stade, faisons donc trois grands commentaires pour tenter de les cartographier.

Premièrement, sur l’enveloppe générale. La présidente de la Commission a indiqué un CFP à près de 2 000 milliards d’euros pour 2028-2034, là où il est de 1 210 milliards en prix courants pour la période 2021-2027. Une hausse conséquente donc, mais qui comporte une nuance de taille. Le CFP actuel a été complété, en raison de la pandémie de Covid-19, par un instrument financier dit NextGenerationEU, doté de 750 milliards, soit optiquement plus de 2 000 milliards d’euros. Or il faut rappeler que cet instrument est une dette. Le projet présenté par Ursula von der Leyen indique qu’il faudra mobiliser 168 milliards d’euros entre 2028 et 2034 comme première tranche de remboursement, soit 24 milliards par an. Dit autrement, la Commission annonce une hausse du futur CFP, qui pèserait 1,26 % du revenu national brut (RNB) de l’Union européenne (UE) contre 1,13 % actuellement, mais une fois déduits les remboursements liés au plan de relance post-Covid, le taux effectif retombe à 1,15 %. Or de deux choses l’une : d’un côté des besoins qui s’amplifient pour l’UE au regard des défis contemporains et d’une reconquête de compétitivité comme l’a préconisé le Rapport Draghi ; de l’autre certains États membres (Allemagne, Pays-Bas, Suède, Danemark) qui refusent de telles hausses budgétaires du CFP, les jugeant irréalistes, et qui craignent de nouvelles dettes par ailleurs, là où l’Espagne plaide actuellement pour monter le CFP à 2 % du PIB européen et à la création d’un mécanisme permanent de dette commune…

Ensuite, la grande différence réside dans la structure, les priorités politiques et les modalités de gestion budgétaire, avec des ruptures notables par rapport au CFP 2021–2027, au nom d’une flexibilité accrue et d’une adaptation aux nouveaux enjeux selon Ursula von der Leyen. En effet, la Commission propose de regrouper plusieurs politiques de l’UE (notamment la PAC, les cohésions régionales/sociales, les pêches) dans un Fonds de partenariat national et régional (NRP) de 865 milliards d’euro, rompant avec la logique des enveloppes séparées. Cela réduit l’autonomie institutionnelle de la politique agricole commune (PAC), en la fondant dans une logique multifonds gérée plus directement par les 27 États membres et en réduisant donc la dimension commune de cette politique historique de l’UE. En outre, sur la PAC, le montant chuterait à 294 milliards, soit une diminution d’environ 20 % par rapport au montant actuellement à l’œuvre. La PAC, qui a toujours été dominante dans la répartition des fonds européens, accaparant un tiers des ressources budgétaires du CFP 2021-2027, verrait donc se poursuivre la progressive dégradation de cette dotation, comme lors des exercices précédents. Elle représentait deux tiers du budget de l’UE jusqu’aux années 1980 et encore la moitié dans les décennies 1990 et 2000. Là, le projet de la Commission pour le CFP à venir, situerait la PAC à 15 %. Pour contraster ce propos, mentionnons toutefois que le budget de la PAC a été multiplié par 5 depuis le début des années 1980, en raison de l’inflation, de l’élargissement de l’UE (et donc des contributions des nouveaux États membres) ainsi que par l’évolution des priorités agricoles et rurales.

Enfin, autre constat à ce stade, les choix effectués de renforcer en revanche le montant des fonds dédiés aux technologies et au numérique, aux politiques de sécurité et de défense et aux enjeux migratoires. Malgré un narratif d’un flou artistique majeur autour du pacte vert, cœur stratégique de la Commission précédente (2019-2024), qui en avait fait son leitmotiv pour la neutralité carbone dans l’UE en 2050, l’environnement et l’écologie restent prioritaires dans les orientations envisagées du CFP à venir. En agrégeant les chiffres, nous avons un gros tiers de ces 2000 milliards fléchés vers les financements pour le climat, soit davantage que dans le budget actuel. Nous n’avons donc pas de freins, a priori, en matière de verdissement, de décarbonation et de préservation de la biodiversité. Cela ne veut pas dire que les négociations, dans les prochains mois, ne seront pas vives à ce sujet, car d’aucuns réclameront un équilibre avec le social et l’économique. D’ailleurs, notons volontiers que le mot clef de l’actuelle Commission, c’est la « compétitivité durable », formule intelligente car cela combine les enjeux du développement et des transitions sans sous-estimer l’importance des moyens à avoir pour les relever. Pour faire simple et court, l’UE, les États membres et l’ensemble des acteurs ne peuvent pas durablement (ou massivement) investir dans le vert s’ils sont dans le rouge économiquement et dans le dur géopolitiquement. Or c’est hélas un peu la situation actuelle, si on schématise.

Que doit-on anticiper de la part du monde agricole si ces orientations se confirment ?

Beaucoup d’agriculteurs européens manifestaient hier à Bruxelles au moment de la présentation de ce projet de CFP 2028-2034. Beaucoup de commentaires depuis, en France, mais aussi dans d’autres États membres, sur ces dimensions agricoles revues dans la proposition de la Commission européenne. Nombreux sont ceux qui redoutaient de telles évolutions dans le projet porté par Ursula von der Leyen, tout en étant étonnés car celle-ci avait mis en place un dialogue stratégique sur l’agriculture au premier semestre 2024, pour répondre aux grandes vagues de protestations des milieux agricoles en janvier/février cette année-là, et ce avant les élections européennes et sa reconduite à la présidence de la Commission. Ces protestations, dans quasiment tous les pays membres, convergeaient vers une demande de cohérence accrue entre les politiques agricoles, environnementales et économiques, de simplification normative et de prévisibilité stratégique, tant sur le plan financier que des orientations de moyen-long terme. L’agriculture est une activité qui ne peut pas s’affranchir du temps long, qui se complexifie si les incohérences se multiplient, qui ne peut résister si les revenus des producteurs s’écroulent, qui ne peut s’adapter aux changements climatiques si l’innovation et la recherche patinent. Or ici, avec les annonces faites par la Commission, on se dirige droit vers une PAC affaiblie budgétairement, à la carte car fusionnant les politiques et renationalisant les politiques selon les propres desiderata des États membres. En somme une politique agricole toujours moins commune et toujours plus concurrentielle.

Il ne serait donc pas surprenant de voir au cours des prochains mois de nouvelles manifestations agricoles se mettre en place dans l’UE, car les questions de fond sont toujours sur la table et la première copie du projet de CFP post-2027 jette de l’huile sur un feu mal éteint. D’ailleurs, encore plus inflammable si l’on ajoute trois problématiques internationales : les taxes douanières des États-Unis qui pourraient sévèrement frapper les productions et les entreprises agroalimentaires européennes, l’accord de libre-échange de l’UE avec le Mercosur qui n’est ni signé ni écarté, mais Ursula comme Lula y tiennent et entendent avancer ces prochaines semaines, et enfin, l’Ukraine.

Pourquoi l’Ukraine pose question pour l’Union européenne et la politique agricole commune ?

La Commission propose d’allouer 100 milliards d’euros à ce pays dans le prochain CFP, soit 40 millions d’euros par jour et un tiers de ce qui serait donc octroyé à la PAC par ailleurs. D’ores et déjà l’UE et les États membres ont consacré environ 160 milliards en aides militaires, budgétaires et humanitaires à l’Ukraine de mars 2022 à mai 2025, soit 140 millions d’euros par jour. Et l’Ukraine a bénéficié pendant plusieurs mois d’un accès libre au marché européen pour ses produits agricoles, dispositif corrigé à partir de l’été 2023 pour contenir un tel afflux vers les États membres, sachant que cela a provoqué des distorsions considérables de concurrence pour les agriculteurs européens, notamment à l’Est de l’UE. Il faut évidemment aider l’Ukraine, qui souffre et se bat pour contrer l’invasion russe. Il faut bien entendu intégrer le fait que ce pays est désormais lancé dans un processus officiel d’adhésion à l’UE. Mais ces sommes ne sont pas neutres, au regard de l’état des finances européennes.

En outre, il faut ne jamais oublier qu’il s’agit d’une grande puissance agricole et que ce secteur pèsera fortement dans la suite des relations euro-ukrainiennes, quel que soit le scénario. Si l’Ukraine entre, les équilibres internes dans l’UE et pour la PAC en particulier seront significatifs. Si l’Ukraine n’entre pas, l’UE a un grand compétiteur dans son voisinage. D’où une question : le Kremlin pousse-t-il l’UE dans une course aux armements dont elle n’a pas les moyens et dans une division agricole grandissante qui servirait ses propres intérêts, la Russie étant un géant ambitieux en la matière ? Poutine a toujours dit qu’il refusait de voir l’Ukraine rejoindre l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN). Pas l’UE. Soit dit en passant, c’est aussi le même son de cloche aux États-Unis.

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17.07.2025 à 10:52

Quelle géopolitique de l’espace post-soviétique en 2025 ?

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Moscou qui expulse des dizaines de milliers de migrants d’Asie centrale s’attirant les foudres de ses cinq anciens sujets soviétiques centrasiatiques ; Tbilissi secouée par une loi « agents étrangers » controversée ; près de 100 000 Arméniens du Haut-Karabakh fuyant en exil ; l’Azerbaïdjan qui annule tous les événements culturels organisés avec des institutions russes en réponse à une rafle au sein de la diaspora azerbaïdjanaise à Iekaterinbourg ; l’Ukraine toujours embrasée par la guerre d’attrition menée par la Russie… Autant de soubresauts récents qui témoignent des profondes mutations à l’œuvre dans l’espace post-soviétique depuis 2022, a fortiori en 2025. Plus de trente ans après la chute de l’Union des républiques socialistes soviétiques (URSS), cet ensemble hétérogène est le théâtre de recompositions géopolitiques majeures, entre ruptures et continuités. Recomposition des alliances et des dépendances Depuis la fin de l’URSS, les jeux d’alliances dans l’ex-espace soviétique ont été bouleversés plusieurs fois : entre 1991 et 2014, entre 2014 et 2022, puis entre 2022 et aujourd’hui. Par étape, la Russie, puissance héritière de l’URSS, a eu recours à diverses stratégies en ex-URSS, oscillant entre soft et hard power. Pourtant, elle n’est plus le seul centre de gravité pour ses voisins. Il faut désormais compter sur la Chine, l’Union européenne, les États-Unis ou encore la Turquie. Certes, Moscou tente de maintenir son influence via des alliances formelles comme l’Organisation du traité de sécurité collective (alliance militaire dominée par la Russie) ou l’Union économique eurasienne. Toutefois, ces cadres peinent à contenir les tentatives d’émancipation progressive de plusieurs États. Depuis 2022 et l’invasion de l’Ukraine, les exemples sont légion. L’Arménie – pourtant alliée traditionnelle de Moscou – exprime son mécontentement envers l’inaction russe dans le conflit du Haut-Karabakh et a même refusé d’accueillir des manœuvres militaires russes en 2023. De son côté, le Kazakhstan affiche une politique étrangère « multivectorielle », ménageant la Russie […]

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Texte intégral 2695 mots

Moscou qui expulse des dizaines de milliers de migrants d’Asie centrale s’attirant les foudres de ses cinq anciens sujets soviétiques centrasiatiques ; Tbilissi secouée par une loi « agents étrangers » controversée ; près de 100 000 Arméniens du Haut-Karabakh fuyant en exil ; l’Azerbaïdjan qui annule tous les événements culturels organisés avec des institutions russes en réponse à une rafle au sein de la diaspora azerbaïdjanaise à Iekaterinbourg ; l’Ukraine toujours embrasée par la guerre d’attrition menée par la Russie… Autant de soubresauts récents qui témoignent des profondes mutations à l’œuvre dans l’espace post-soviétique depuis 2022, a fortiori en 2025. Plus de trente ans après la chute de l’Union des républiques socialistes soviétiques (URSS), cet ensemble hétérogène est le théâtre de recompositions géopolitiques majeures, entre ruptures et continuités.

Depuis la fin de l’URSS, les jeux d’alliances dans l’ex-espace soviétique ont été bouleversés plusieurs fois : entre 1991 et 2014, entre 2014 et 2022, puis entre 2022 et aujourd’hui. Par étape, la Russie, puissance héritière de l’URSS, a eu recours à diverses stratégies en ex-URSS, oscillant entre soft et hard power. Pourtant, elle n’est plus le seul centre de gravité pour ses voisins. Il faut désormais compter sur la Chine, l’Union européenne, les États-Unis ou encore la Turquie. Certes, Moscou tente de maintenir son influence via des alliances formelles comme l’Organisation du traité de sécurité collective (alliance militaire dominée par la Russie) ou l’Union économique eurasienne. Toutefois, ces cadres peinent à contenir les tentatives d’émancipation progressive de plusieurs États.

Depuis 2022 et l’invasion de l’Ukraine, les exemples sont légion. L’Arménie – pourtant alliée traditionnelle de Moscou – exprime son mécontentement envers l’inaction russe dans le conflit du Haut-Karabakh et a même refusé d’accueillir des manœuvres militaires russes en 2023. De son côté, le Kazakhstan affiche une politique étrangère « multivectorielle », ménageant la Russie tout en renforçant ses liens avec la Chine, la Turquie et l’Occident. Les récentes tensions – comme la campagne russe de répression contre les travailleurs centrasiatiques (près de 85 000 expulsions au premier semestre 2024, un record) – suscitent des protestations diplomatiques prudentes de la part des États d’Asie centrale. Ces derniers réalisent que leur dépendance économique vis-à-vis de Moscou (migrants, commerce, énergie) peut se heurter à des comportements hostiles du Kremlin, les incitant à diversifier leurs partenariats.

En parallèle, de nouvelles puissances gagnent en importance dans la région. La Chine s’impose désormais comme un acteur clé : elle investit massivement en Asie centrale via ses Nouvelles routes de la soie, organise des sommets exclusifs avec les cinq républiques centrasiatiques et devient un partenaire commercial incontournable. La Turquie, forte de ses liens culturels turcophones, étend également son influence de la mer Noire aux steppes d’Asie centrale. Ankara soutient activement l’Azerbaïdjan – son allié historique et énergétique – et promeut l’Organisation des États turciques comme forum alternatif d’intégration régionale. De plus, l’Union européenne (UE) et les États-Unis intensifient leur engagement : l’UE a accordé récemment le statut de candidat à l’adhésion à l’Ukraine, à la Moldavie (et même à la Géorgie fin 2023, sous conditions) et joue un rôle de médiation dans le Caucase, tandis que Washington a tenu en 2023 un sommet inédit avec les cinq présidences d’Asie centrale. Ainsi, l’espace post-soviétique devient multipolaire, traversé par des influences concurrentes où la Russie doit rivaliser avec la Chine, la Turquie ou l’Occident pour conserver ses alliés.

Si l’on observe l’évolution des quinze États issus de l’Union soviétique, on constate que leurs trajectoires politiques et géopolitiques ont profondément divergé. À une extrémité, les pays baltes (Estonie, Lettonie, Lituanie) ont réussi une intégration rapide dans le giron occidental : démocraties membres de l’UE et de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) depuis 2004, elles figurent en 2025 à l’avant-garde du soutien à l’Ukraine et de la fermeté envers Moscou. À l’opposé, le Bélarus (Biélorussie) est resté le plus proche allié de la Russie, s’enfonçant depuis 2020 dans une dépendance quasi-fusionnelle – Minsk a même accepté le déploiement d’armes nucléaires russes sur son sol et sacrifie une part de sa souveraineté pour préserver le régime autoritaire d’Alexandre Loukachenko.

Entre ces deux pôles, on trouve une constellation de trajectoires hybrides. L’Ukraine symbolise la rupture la plus nette : après deux révolutions pro-démocratie (2004, 2014) et surtout depuis l’invasion russe de 2022, Kiev s’est irrémédiablement éloignée de l’orbite du Kremlin. En plein conflit pour sa survie, l’Ukraine s’est affirmée comme une nation résolument tournée vers l’Europe, obtenant le statut de candidat à l’UE et coopérant étroitement avec l’OTAN. La Moldavie voisine suit une voie comparable : longtemps tiraillée entre influence russe et aspiration européenne, elle a choisi le camp occidental sous la présidence réformatrice de Maia Sandu, malgré les pressions internes de régions pro-russes comme la Transnistrie ou la Gagaouzie.

Le Caucase du Sud offre un tableau plus contrasté. La Géorgie, précurseur dans les années 2000 d’une orientation pro-occidentale, se débat aujourd’hui avec des turbulences politiques internes. Si sa population aspire majoritairement à l’UE et proteste vigoureusement contre toute dérive autoritaire (comme l’a montré l’indignation face aux projets de loi inspirés du modèle russe sur les « agents étrangers »), le parti au pouvoir reste ambigu, entre rhétorique pro-européenne et gestes conciliants envers Moscou. L’Arménie, traditionnellement alignée sur la Russie pour des raisons sécuritaires, a vu ses certitudes ébranlées par l’abandon ressenti de Moscou dans le conflit du Haut-Karabakh. Après la défaite éclair de 2023 face à l’Azerbaïdjan (soutenu par la Turquie), Erevan prend ses distances vis-à-vis de son protecteur russe et cherche de nouvelles garanties auprès de l’Occident, tout en négociant un pénible accord de paix avec Bakou. L’Azerbaïdjan, triomphant, consolide son partenariat stratégique avec Ankara et se pose en puissance montante du Caucase, riche de son pétrole et fort de ses victoires militaires. Symbole fort, les deux États du Caucase du Sud procèdent actuellement à des négociations pour chercher un accord de paix… sans la Russie. Une situation inédite et un symbole du recul de l’influence russe dans la région.

En Asie centrale, les cinq ex-républiques soviétiques avancent chacune selon un équilibre subtil. Le Kazakhstan et l’Ouzbékistan, poids lourds de la région, cultivent une relative autonomie vis-à-vis de Moscou en multipliant les partenaires (Chine, Turquie, Occident) sans rompre ouvertement avec la Russie. Le Kirghizstan et le Tadjikistan, plus petits et dépendants (économiquement et militairement) du soutien russe, restent arrimés à l’alliance de Moscou, bien qu’ils accueillent favorablement les investissements chinois ou les aides internationales. Le Turkménistan, pays le plus isolé, poursuit son cap autarcique de « neutralité permanente », vendant son gaz à qui veut bien l’acheter (surtout à la Chine) tout en évitant toute alliance contraignante. Ainsi, trente ans après l’URSS, l’espace post-soviétique n’est plus monolithique : on y retrouve des démocraties pleinement occidentalisées, des régimes autoritaires inféodés à Moscou, et de nombreux États intermédiaires jouant sur plusieurs tableaux pour préserver leurs intérêts.

L’invasion de l’Ukraine en 2022 a agi comme un véritable catalyseur des transformations géopolitiques dans tout l’espace post-soviétique. D’une part, ce conflit d’ampleur – le plus destructeur en Europe depuis 1945 – a brutalement ravivé l’attention mondiale sur cette région longtemps perçue comme périphérique. Les pays occidentaux, confrontés à l’agression russe, ont redoublé d’initiatives envers les autres États post-soviétiques pour les dissuader de soutenir Moscou et pour les arrimer à un ordre international fondé sur le droit. Les sanctions massives contre la Russie ont entraîné des répercussions en chaîne sur ses voisins, poussant ces derniers à rechercher des alternatives économiques (nouvelles routes commerciales contournant la Russie, sources d’énergie ou de débouchés diversifiés). Par exemple, le Kazakhstan et l’Ouzbékistan se sont coordonnés pour développer le corridor transcaspien vers l’Azerbaïdjan et la Turquie, réduisant leur dépendance au transit par le territoire russe. De même, l’Union européenne a intensifié ses offres de coopération énergétique à des pays comme l’Azerbaïdjan (pour compenser le gaz russe) ou le Turkménistan, redessinant les flux et les partenariats régionaux.

D’autre part, la guerre en Ukraine a profondément entamé le prestige stratégique de la Russie au sein de son ancien empire. L’armée russe, que l’on pensait toute-puissante, a montré ses limites sur le terrain ukrainien. Ce constat n’a pas échappé aux autres États post-soviétiques. Nombre d’entre eux ont pris acte de l’affaiblissement relatif de Moscou et de son absorption dans un conflit prolongé, ce qui la rend moins capable de projeter son pouvoir ailleurs. Cette nouvelle donne a encouragé certaines audaces : les dirigeants d’Asie centrale se permettent plus ouvertement de dialoguer avec Washington, Bruxelles ou Pékin sans craindre autant les représailles russes ; l’Arménie a osé organiser des exercices militaires avec les États-Unis ; la Géorgie, malgré son gouvernement prudent, voit sa société civile se tourner encore davantage vers l’Ouest. La neutralité bienveillante qu’affichaient traditionnellement plusieurs pays (comme le Kazakhstan ou l’Ouzbékistan) à l’égard de la Russie s’est muée en une forme de distance diplomatique : condamnation des annexions de territoire en Ukraine lors des votes à l’Organisation des Nations unies, discours affirmant le principe d’intégrité territoriale, et refus poli de participer aux contournements des sanctions internationales. En ce sens, le conflit ukrainien a accéléré la redéfinition des loyautés et des stratégies régionales. Il a souligné l’urgence pour chaque État de garantir sa sécurité de façon autonome, soit en renforçant ses propres capacités, soit en recherchant de nouveaux garants extérieurs (alliances avec d’autres puissances, demandes d’adhésion à l’UE ou à l’OTAN, etc.).

Malgré ces changements rapides, de nombreux héritages de l’époque soviétique continuent de façonner la géopolitique de la région. L’Union soviétique a laissé derrière elle un maillage serré d’infrastructures, de réseaux et de pratiques dont l’empreinte se fait encore sentir en 2025. Sur le plan énergétique, par exemple, les pipelines et les réseaux électriques construits avant 1991 lient encore entre eux plusieurs États post-soviétiques. Le gaz d’Asie centrale continue en partie de transiter par la Russie, les réseaux d’électricité du Belarus, de l’Ukraine ou des pays baltes étaient historiquement interconnectés à celui de Moscou (même si, symbole de la rupture, Ukraine et Moldavie se sont synchronisées au réseau européen en 2022, et les pays baltes s’en détachent progressivement). De même, les routes et les voies ferrées, pensées à l’échelle d’un empire unifié, contraignent les échanges régionaux : certaines républiques enclavées dépendent encore du transit par leurs voisins (par exemple, le Tadjikistan sans accès maritime reste tributaire des corridors via l’Ouzbékistan et le Kazakhstan pour commercer).

La langue russe constitue un autre héritage structurant. Trente ans après la fin de l’URSS, le russe demeure la lingua franca de communication entre de nombreux peuples de l’ex-Empire. Il reste langue officielle ou largement utilisée dans des pays comme le Kazakhstan, le Kirghizstan ou le Belarus, et continue d’ouvrir des débouchés professionnels (notamment pour les millions de migrants centrasiatiques en Russie). Bien que le prestige du russe décline au profit d’autres langues (anglais, chinois, turc, ou langues nationales renforcées), cet héritage linguistique maintient un certain espace culturel commun post-soviétique. De plus, les élites politiques et sécuritaires de plusieurs États sont encore en partie formées dans le moule soviétique ou russe. Les académies militaires de Moscou et Saint-Pétersbourg accueillent toujours de jeunes officiers d’Asie centrale ; les services de renseignement locaux sont souvent les descendants directs du KGB soviétique ; et l’équipement militaire de bon nombre d’armées post-soviétiques provient du stock russe ou soviétique, créant une interdépendance en matière de maintenance et de pièces détachées.

Enfin, des contentieux historiques non résolus depuis l’ère soviétique pèsent sur la stabilité régionale. Les frontières tracées arbitrairement à l’époque ont laissé des minorités en dehors de leur république d’origine, alimentant des conflits qui perdurent (comme en Moldavie avec la Transnistrie sécessionniste, en Géorgie avec l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud occupées par la Russie, ou en Asie centrale avec des différends frontaliers entre le Kirghizstan et le Tadjikistan dans la vallée du Ferghana). Ces conflits dits « gelés » ou intermittents rappellent que la fragmentation de l’URSS n’a pas effacé d’un coup les liens ni les lignes de fracture internes – ils constituent une continuité problématique, que la guerre en Ukraine a parfois ravivée ou, au contraire, contribuée à résoudre brutalement (comme dans le cas du Karabakh désormais repris en main par l’Azerbaïdjan).

En 2025, la géopolitique de l’espace post-soviétique oscille ainsi entre changements profonds et inerties tenaces. L’ordre régional n’y est plus dominé exclusivement par Moscou : de nouveaux équilibres se dessinent, portés par les choix souverains des États et les jeux d’influence des puissances émergentes. Les alliances se recomposent, entre une Russie affaiblie qui tente de garder son pré carré et des voisins explorant d’autres horizons (Chine, Turquie, Occident). Les trajectoires nationales n’ont jamais été aussi contrastées, du virage occidental de Kyiv et Chisinau à l’isolement de Minsk, en passant par les prudents équilibrismes de Bakou ou d’Astana. Dans le même temps, les continuités héritées de l’URSS – qu’elles soient infrastructurelles, linguistiques ou sociopolitiques – agissent comme des rappels que trente années sont peu de chose à l’échelle de l’Histoire. Le conflit ukrainien en cours a cristallisé ces dynamiques en accélérant les ruptures et en exacerbant les tensions, inaugurant peut-être une nouvelle ère où l’espace post-soviétique ne sera plus pensé comme une sphère homogène sous influence russe, mais comme un ensemble pluriel, définitivement entrouvert aux vents du multipolarisme mondial.

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