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18.07.2025 à 15:09

Syrie : le préoccupant affaiblissement du gouvernement intérimaire syrien

Coline Laroche              

Depuis le 13 juillet dernier, le Sud de la Syrie fait face à de violentes tensions intercommunautaires. L’enlèvement, puis l’exécution d’un marchand druze par des membres de la communauté bédouine, a déclenché de violents affrontements dans le gouvernorat de Souweïda. Dans ce contexte qui s’inscrit dans la continuité de la guerre civile syrienne, Israël a lancé des frappes aériennes ciblant des chars de l’armée syrienne afin d’apporter son soutien à la communauté druze. Quelles sont les origines des tensions intercommunautaires entre les druzes et les Bédouins ? Dans quelle mesure l’ingérence israélienne s’inscrit-elle dans la continuité de la politique extérieure de Tel-Aviv ? Quelles en sont les conséquences ? Dans quelle mesure cette escalade des violences est-elle révélatrice de l’état de santé du gouvernement syrien ? Le point avec Didier Billion, directeur adjoint de l’IRIS et spécialiste du Moyen-Orient. Comment expliquer la récente escalade des violences entre les groupes bédouin et druze survenue ce weekend ? Dans quelle mesure les affrontements intercommunautaires dans le Sud de la Syrie sont-ils révélateurs de la situation du nouveau gouvernement de Damas ? Comme souvent dans ce type de situation instable, c’est un incident apparemment mineur qui est à l’origine des affrontements récents. Il s’agirait de l’enlèvement et de l’élimination, pour des raisons qui restent obscures, d’un commerçant druze par des membres d’une tribu bédouine. Nous savons néanmoins que la cohabitation entre les communautés druze et bédouine est depuis très longtemps conflictuelle pour des raisons de rivalités foncières ancestrales et de différends religieux exacerbés par les années de guerre civile qui ont ensanglanté la Syrie ces dernières années. Pour mémoire, les druzes sont les fidèles d’une croyance apparue au XIe siècle, issue d’un schisme de l’islam chiite dont elle s’est depuis lors autonomisée. Elle est caractérisée par un fort ésotérisme, le refus de toute forme […]

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Texte intégral 1813 mots

Comment expliquer la récente escalade des violences entre les groupes bédouin et druze survenue ce weekend ? Dans quelle mesure les affrontements intercommunautaires dans le Sud de la Syrie sont-ils révélateurs de la situation du nouveau gouvernement de Damas ?

Comme souvent dans ce type de situation instable, c’est un incident apparemment mineur qui est à l’origine des affrontements récents. Il s’agirait de l’enlèvement et de l’élimination, pour des raisons qui restent obscures, d’un commerçant druze par des membres d’une tribu bédouine. Nous savons néanmoins que la cohabitation entre les communautés druze et bédouine est depuis très longtemps conflictuelle pour des raisons de rivalités foncières ancestrales et de différends religieux exacerbés par les années de guerre civile qui ont ensanglanté la Syrie ces dernières années.

Pour mémoire, les druzes sont les fidèles d’une croyance apparue au XIe siècle, issue d’un schisme de l’islam chiite dont elle s’est depuis lors autonomisée. Elle est caractérisée par un fort ésotérisme, le refus de toute forme de prosélytisme et l’impossibilité de s’y convertir. Ainsi, on nait druze, mais on ne peut le devenir. La doctrine est préservée par un groupe restreint d’initiés influencés par les philosophies grecque et hindoue ce qui en fait un syncrétisme original. En Syrie la communauté druze est estimée à environ 3 % de la population totale, on trouve en outre des communautés de fidèles au Liban et en Israël.

Mais l’essentiel n’est pas de nature religieuse. Les affrontements de ces derniers jours renvoient plus fondamentalement à la situation générale de la Syrie. Le pays a été littéralement broyé par la guerre civile qui a libéré toutes les tendances centrifuges d’un pays qui reste une véritable mosaïque ethnique et confessionnelle. Le projet fondamental du gouvernement intérimaire, présidé par Ahmed Al-Charaa, est de reconstruire une Syrie stable et souveraine. Si le passé djihadiste des nouveaux dirigeants de Damas est connu, leur évolution politique ne l’est pas moins. Incarnant une forme d’islamo-nationalisme, ils ne renient pas leur appartenance à la mouvance islamiste dont ils se réclament, mais, dans le même mouvement, ils sont profondément syriens et leur principale préoccupation est de reconstruire et de préserver l’unité du pays.

Parmi bien d’autres, un test crucial concerne donc la gestion des communautés confessionnelles et/ou ethniques, au premier rang d’entre elles celle constituée par les Kurdes. Le protocole d’accord signé entre les autorités intérimaires du pays et les Forces démocratiques syriennes (FDS), le 10 mars 2025, trace la perspective de l’intégration des institutions civiles et militaires de la région autonome kurde au sein de l’État. La gestion de la communauté druze s’avère plus complexe en raison de l’interférence patente d’acteurs extérieurs.

Face à la montée des tensions, le gouvernement israélien a lancé des frappes aériennes ciblant des chars de l’armée syrienne, en dépit du cessez-le-feu annoncé plus tôt par le ministre de la Défense. Comment interpréter cette ingérence ? Avec quelles conséquences pour la Syrie ?

Depuis des mois, la politique israélienne constitue en effet un élément perturbateur en attisant les rivalités identitaires et en tentant en l’occurrence d’instrumentaliser la communauté druze, notamment située dans le gouvernorat de Souweïda au sud de la Syrie. Ladite communauté est elle-même divisée, certaines de ses composantes privilégiant le dialogue avec Damas alors que d’autres – surtout à la suite des affrontements de la fin du mois d’avril entre des composantes kurdes et des milices proches de Damas qui ont fait plus de 130 morts – ne font plus confiance aux autorités syriennes et optent assez clairement pour une coopération avec Tel-Aviv qui n’hésite pas à s’autodésigner comme leur protecteur.

Les dirigeants israéliens ont parfaitement saisi l’intérêt d’une telle situation pour empêcher que l’unité de la Syrie ne puisse se reconstituer sous la direction d’anciens djihadistes dont ils se méfient. Ils peuvent d’une part s’appuyer sur les dirigeants communautaires druzes d’Israël qui dès 1948 ont soutenu la création de l’État hébreu et ont, pour certains d’entre eux, participé au nettoyage ethnique des Palestiniens de la Galilée. Il existe depuis lors en Israël un lobby druze non dénué d’influence. Récemment, le dirigeant religieux druze israélien, Mouwafaq Tarif, n’a d’ailleurs pas hésité à conseiller à l’armée israélienne de bombarder la Syrie après les violences du mois d’avril.

Mais surtout, Israël procède à une agression de la Syrie s’inscrivant dans l’escalade militaire régionale mise en œuvre par Tel-Aviv. Profitant de la période de flottement consécutive à la fuite de Bachar Al-Assad, début décembre 2024, Israël a ainsi multiplié les frappes : 300 bombardements sur des objectifs militaires syriens sont recensés en quelques semaines. L’armée israélienne a aussi profité de la situation pour occuper le versant syrien du mont Hermon, violant l’accord de cessez-le-feu de 1974 supervisé par l’Organisation des Nations unies, mais considéré unilatéralement comme caduc par Benyamin Netanyahou. Depuis, plus de 800 nouvelles frappes ont visé des infrastructures et capacités stratégiques syriennes et des unités militaires israéliennes se sont donc durablement installées sur le territoire d’un État souverain. Degré supplémentaire dans l’escalade israélienne, les bâtiments du quartier général de l’armée syrienne et le ministère de la Défense ont été bombardés à Damas le 16 juillet. Les événements de ces derniers jours confirment que la guerre préventive et le mépris du droit international sont décidément les normes de fonctionnement de l’État d’Israël.

Au vu de l’asymétrie des forces en présence, les opérations militaires de Tel-Aviv, se soldant au total par au moins 300 morts en trois jours, ont contraint les dirigeants syriens à retirer leurs troupes de la ville de Suweïda et de ses alentours. La faiblesse structurelle de l’État syrien ne laissait probablement guère le choix à Ahmed Al-Charaa, mais l’hubris des dirigeants israéliens impose sa force brutale au détriment de toute perspective politique négociée.

Finalement, quel bilan pouvons-nous dresser des 6 premiers mois du gouvernement de Ahmed al-Charaa ? Quels sont les résultats des démarches engagées pour la réhabilitation internationale de la Syrie ? L’affaiblissement des sanctions occidentales porte-t-il ses fruits pour l’économie syrienne ?

Il faut tout d’abord rappeler la situation catastrophique dans laquelle se trouve le pays au moment de la fuite de Bachar Al-Assad, le 8 décembre 2024 : saignée humaine – plus de 400 000 morts –, économie exsangue – le produit intérieur brut a été divisé par plus de la moitié –, les infrastructures et les services publics souvent réduits à néant… La liste pourrait être longue pour évoquer le désastre syrien.

Les défis à relever sont immenses et il est compréhensible que les résultats ne soient pas à ce stade au niveau des espoirs imprudemment conçus par des observateurs empressés. L’enjeu est triple pour les nouveaux responsables du pays : instaurer un régime plus inclusif, reconstituer de solides relations avec le maximum d’États et parvenir à la levée des sanctions qui continuent d’affecter le pays. Jusqu’ici, on doit reconnaitre que les nouvelles autorités politiques syriennes n’ont guère commis d’erreurs rédhibitoires. Il apparait assez clairement que Ahmed Al-Charaa a choisi de cultiver ses relations avec les puissances occidentales pour tenter de stabiliser le pays. Réception à l’Élysée par Emmanuel Macron le 7 mai, puis rencontre, en présence du président turc Recep Tayyip Erdoğan, avec Donald Trump, en Arabie saoudite le 14 mai qui confirmait l’annonce faite la veille de la suspension des sanctions à l’encontre de la Syrie par les États-Unis pour une durée de six mois. L’Union européenne, pour sa part, levait à son tour les sanctions le 20 mai.

Pour l’équipe dirigeante de Damas, ces mesures s’inscrivent dans une dynamique positive, sans pour autant qu’elles soient capables de régler rapidement les innombrables dossiers à résoudre pour stabiliser le pays. En outre, la contrepartie de ces promesses d’engagements réside dans la contrainte pour Damas de taire ses critiques à l’égard de la politique israélienne dans la région. Ainsi, le silence a été assourdissant lors de l’agression israélienne de l’Iran, le 13 juin.

La situation qui prévaut depuis quelques jours, attisée par l’intervention israélienne, affaiblit indubitablement le gouvernement intérimaire syrien. Si l’on considère que sa stabilisation est un enjeu majeur pour la région, il serait alors temps que ladite communauté internationale réagisse sans ambigüité et prenne enfin les mesures pour que le droit international soit, enfin, respecté.

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18.07.2025 à 12:46

Délocalisation des demandes d’asile

stagiaire-comm@iris-france.org

« D’où venons-nous ? À la frontière soudano-libyenne, il y a les Rapid Support Forces soudanaises – émanation des janjawid pilleurs du Darfour – qui participent à un filtrage violent pour dissuader les migrations vers le nord sous couvert du « Khartoum Process », un accord entre pays européens et africains dont l’objectif est de réduire les départs vers l’Europe. Ces détentions sont souvent menées sans surveillance, avec impunité, et cachent fréquemment des pratiques corruptions et violences. Puis en Méditerranée, les garde-côtes libyens commandés par un criminel notoire qui agissent en mer en « agent » de l’Union européenne, interceptent les embarcations, participent à des refoulements collectifs, et orientent les migrants vers des camps où sévissent extorsions, maladies, violences et exploitation. Avec son « Pacific Solution » lancé en 2001, l’Australie envoie les demandeurs d’asile arrivés par voie maritime vers des centres offshore à Nauru ou sur l’île de Manus (Papouasie-Nouvelle-Guinée) pour dissuader les traversées et affirmer un contrôle total sur l’accès à son territoire. Une politique dénoncée par l’Organisation des Nations unies (ONU) qui a rapporté ces de nombreuses violations des droits humains (détention illimitée, suicides, violences) dans les centres d’accueil…»

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« D’où venons-nous ? À la frontière soudano-libyenne, il y a les Rapid Support Forces soudanaises – émanation des janjawid pilleurs du Darfour – qui participent à un filtrage violent pour dissuader les migrations vers le nord sous couvert du « Khartoum Process », un accord entre pays européens et africains dont l’objectif est de réduire les départs vers l’Europe. Ces détentions sont souvent menées sans surveillance, avec impunité, et cachent fréquemment des pratiques corruptions et violences. Puis en Méditerranée, les garde-côtes libyens commandés par un criminel notoire qui agissent en mer en « agent » de l’Union européenne, interceptent les embarcations, participent à des refoulements collectifs, et orientent les migrants vers des camps où sévissent extorsions, maladies, violences et exploitation.

Avec son « Pacific Solution » lancé en 2001, l’Australie envoie les demandeurs d’asile arrivés par voie maritime vers des centres offshore à Nauru ou sur l’île de Manus (Papouasie-Nouvelle-Guinée) pour dissuader les traversées et affirmer un contrôle total sur l’accès à son territoire. Une politique dénoncée par l’Organisation des Nations unies (ONU) qui a rapporté ces de nombreuses violations des droits humains (détention illimitée, suicides, violences) dans les centres d’accueil…»

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17.07.2025 à 17:03

Union européenne : le projet de futur budget sème le doute et récolte une colère agricole

Coline Laroche              

Ce mercredi 16 juillet, la Commission européenne a dévoilé les grandes lignes de son cadre financier pluriannuel, ouvrant une séquence de débat sur l’avenir de l’Union. Si le budget global affiche une hausse ambitieuse, l’inquiétude gagne les agriculteurs face à la proposition d’une nouvelle architecture du financement de l’appareil productif européen. Dans un contexte déjà tendu, marqué par l’impact de la guerre en Ukraine sur le marché céréalier et la colère montante des collectivités territoriales, la politique agricole commune subit une profonde refonte. En quoi ces propositions suscitent-elles de fortes réactions parmi les acteurs du secteur ? Et quelles pourraient être les conséquences d’une telle orientation de la politique économique européenne ? Le point avec Sébastien Abis, chercheur associé à l’IRIS et directeur du Club DEMETER La Commission européenne a présenté le 16 juillet sa proposition de budget pour la période 2028-2034. Pourquoi a-t-elle suscité de telles réactions dans la foulée ? Reconduite à la présidence de la Commission à l’été 2024, Ursula von der Leyen avait annoncé son souhait de revoir en profondeur l’architecture du budget européen, qui s’organise traditionnellement sur une période de 7 ans, d’où le terme de « cadre financier pluriannuel » (CFP). Ces derniers mois, elle a avancé dans cette direction, non sans susciter déjà des remous à ce sujet de la part de parlementaires européens, et des interrogations à Bruxelles, où de nombreux observateurs de la vie communautaire ont noté une tendance plus ferme et plus dirigiste de la part de l’Allemande. La présentation faite hier, au-delà d’une certaine confusion logistique n’ayant rien arrangé à l’affaire, n’est donc pas une surprise. Cela fait des mois que Ursula von der Leyen entend revoir pleinement le CFP. Or en termes de communication, elle a beau dire qu’il s’agit du projet de budget le plus ambitieux de l’histoire de l’UE, […]

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Texte intégral 2135 mots

La Commission européenne a présenté le 16 juillet sa proposition de budget pour la période 2028-2034. Pourquoi a-t-elle suscité de telles réactions dans la foulée ?

Reconduite à la présidence de la Commission à l’été 2024, Ursula von der Leyen avait annoncé son souhait de revoir en profondeur l’architecture du budget européen, qui s’organise traditionnellement sur une période de 7 ans, d’où le terme de « cadre financier pluriannuel » (CFP). Ces derniers mois, elle a avancé dans cette direction, non sans susciter déjà des remous à ce sujet de la part de parlementaires européens, et des interrogations à Bruxelles, où de nombreux observateurs de la vie communautaire ont noté une tendance plus ferme et plus dirigiste de la part de l’Allemande. La présentation faite hier, au-delà d’une certaine confusion logistique n’ayant rien arrangé à l’affaire, n’est donc pas une surprise. Cela fait des mois que Ursula von der Leyen entend revoir pleinement le CFP. Or en termes de communication, elle a beau dire qu’il s’agit du projet de budget le plus ambitieux de l’histoire de l’UE, il s’avère qu’il est aussi le plus confus et potentiellement le plus controversé ! Les réactions se multiplient et les 18 à 24 mois qui viennent pour le négocier vont être assurément animés, sachant qu’il doit in fine être adopté à l’unanimité par le Conseil européen, après approbation du Parlement européen. Un processus long, démarré hier, par des coups de canon !

Pourquoi cela ? Que devons-nous comprendre pour le moment ?

Rien n’est définitif et nous devons donc nous étonner de conclusions trop hâtives. Néanmoins, la copie proposée annonce des tendances et augure de discussions musclées. À ce stade, faisons donc trois grands commentaires pour tenter de les cartographier.

Premièrement, sur l’enveloppe générale. La présidente de la Commission a indiqué un CFP à près de 2 000 milliards d’euros pour 2028-2034, là où il est de 1 210 milliards en prix courants pour la période 2021-2027. Une hausse conséquente donc, mais qui comporte une nuance de taille. Le CFP actuel a été complété, en raison de la pandémie de Covid-19, par un instrument financier dit NextGenerationEU, doté de 750 milliards, soit optiquement plus de 2 000 milliards d’euros. Or il faut rappeler que cet instrument est une dette. Le projet présenté par Ursula von der Leyen indique qu’il faudra mobiliser 168 milliards d’euros entre 2028 et 2034 comme première tranche de remboursement, soit 24 milliards par an. Dit autrement, la Commission annonce une hausse du futur CFP, qui pèserait 1,26 % du revenu national brut (RNB) de l’Union européenne (UE) contre 1,13 % actuellement, mais une fois déduits les remboursements liés au plan de relance post-Covid, le taux effectif retombe à 1,15 %. Or de deux choses l’une : d’un côté des besoins qui s’amplifient pour l’UE au regard des défis contemporains et d’une reconquête de compétitivité comme l’a préconisé le Rapport Draghi ; de l’autre certains États membres (Allemagne, Pays-Bas, Suède, Danemark) qui refusent de telles hausses budgétaires du CFP, les jugeant irréalistes, et qui craignent de nouvelles dettes par ailleurs, là où l’Espagne plaide actuellement pour monter le CFP à 2 % du PIB européen et à la création d’un mécanisme permanent de dette commune…

Ensuite, la grande différence réside dans la structure, les priorités politiques et les modalités de gestion budgétaire, avec des ruptures notables par rapport au CFP 2021–2027, au nom d’une flexibilité accrue et d’une adaptation aux nouveaux enjeux selon Ursula von der Leyen. En effet, la Commission propose de regrouper plusieurs politiques de l’UE (notamment la PAC, les cohésions régionales/sociales, les pêches) dans un Fonds de partenariat national et régional (NRP) de 865 milliards d’euro, rompant avec la logique des enveloppes séparées. Cela réduit l’autonomie institutionnelle de la politique agricole commune (PAC), en la fondant dans une logique multifonds gérée plus directement par les 27 États membres et en réduisant donc la dimension commune de cette politique historique de l’UE. En outre, sur la PAC, le montant chuterait à 294 milliards, soit une diminution d’environ 20 % par rapport au montant actuellement à l’œuvre. La PAC, qui a toujours été dominante dans la répartition des fonds européens, accaparant un tiers des ressources budgétaires du CFP 2021-2027, verrait donc se poursuivre la progressive dégradation de cette dotation, comme lors des exercices précédents. Elle représentait deux tiers du budget de l’UE jusqu’aux années 1980 et encore la moitié dans les décennies 1990 et 2000. Là, le projet de la Commission pour le CFP à venir, situerait la PAC à 15 %. Pour contraster ce propos, mentionnons toutefois que le budget de la PAC a été multiplié par 5 depuis le début des années 1980, en raison de l’inflation, de l’élargissement de l’UE (et donc des contributions des nouveaux États membres) ainsi que par l’évolution des priorités agricoles et rurales.

Enfin, autre constat à ce stade, les choix effectués de renforcer en revanche le montant des fonds dédiés aux technologies et au numérique, aux politiques de sécurité et de défense et aux enjeux migratoires. Malgré un narratif d’un flou artistique majeur autour du pacte vert, cœur stratégique de la Commission précédente (2019-2024), qui en avait fait son leitmotiv pour la neutralité carbone dans l’UE en 2050, l’environnement et l’écologie restent prioritaires dans les orientations envisagées du CFP à venir. En agrégeant les chiffres, nous avons un gros tiers de ces 2000 milliards fléchés vers les financements pour le climat, soit davantage que dans le budget actuel. Nous n’avons donc pas de freins, a priori, en matière de verdissement, de décarbonation et de préservation de la biodiversité. Cela ne veut pas dire que les négociations, dans les prochains mois, ne seront pas vives à ce sujet, car d’aucuns réclameront un équilibre avec le social et l’économique. D’ailleurs, notons volontiers que le mot clef de l’actuelle Commission, c’est la « compétitivité durable », formule intelligente car cela combine les enjeux du développement et des transitions sans sous-estimer l’importance des moyens à avoir pour les relever. Pour faire simple et court, l’UE, les États membres et l’ensemble des acteurs ne peuvent pas durablement (ou massivement) investir dans le vert s’ils sont dans le rouge économiquement et dans le dur géopolitiquement. Or c’est hélas un peu la situation actuelle, si on schématise.

Que doit-on anticiper de la part du monde agricole si ces orientations se confirment ?

Beaucoup d’agriculteurs européens manifestaient hier à Bruxelles au moment de la présentation de ce projet de CFP 2028-2034. Beaucoup de commentaires depuis, en France, mais aussi dans d’autres États membres, sur ces dimensions agricoles revues dans la proposition de la Commission européenne. Nombreux sont ceux qui redoutaient de telles évolutions dans le projet porté par Ursula von der Leyen, tout en étant étonnés car celle-ci avait mis en place un dialogue stratégique sur l’agriculture au premier semestre 2024, pour répondre aux grandes vagues de protestations des milieux agricoles en janvier/février cette année-là, et ce avant les élections européennes et sa reconduite à la présidence de la Commission. Ces protestations, dans quasiment tous les pays membres, convergeaient vers une demande de cohérence accrue entre les politiques agricoles, environnementales et économiques, de simplification normative et de prévisibilité stratégique, tant sur le plan financier que des orientations de moyen-long terme. L’agriculture est une activité qui ne peut pas s’affranchir du temps long, qui se complexifie si les incohérences se multiplient, qui ne peut résister si les revenus des producteurs s’écroulent, qui ne peut s’adapter aux changements climatiques si l’innovation et la recherche patinent. Or ici, avec les annonces faites par la Commission, on se dirige droit vers une PAC affaiblie budgétairement, à la carte car fusionnant les politiques et renationalisant les politiques selon les propres desiderata des États membres. En somme une politique agricole toujours moins commune et toujours plus concurrentielle.

Il ne serait donc pas surprenant de voir au cours des prochains mois de nouvelles manifestations agricoles se mettre en place dans l’UE, car les questions de fond sont toujours sur la table et la première copie du projet de CFP post-2027 jette de l’huile sur un feu mal éteint. D’ailleurs, encore plus inflammable si l’on ajoute trois problématiques internationales : les taxes douanières des États-Unis qui pourraient sévèrement frapper les productions et les entreprises agroalimentaires européennes, l’accord de libre-échange de l’UE avec le Mercosur qui n’est ni signé ni écarté, mais Ursula comme Lula y tiennent et entendent avancer ces prochaines semaines, et enfin, l’Ukraine.

Pourquoi l’Ukraine pose question pour l’Union européenne et la politique agricole commune ?

La Commission propose d’allouer 100 milliards d’euros à ce pays dans le prochain CFP, soit 40 millions d’euros par jour et un tiers de ce qui serait donc octroyé à la PAC par ailleurs. D’ores et déjà l’UE et les États membres ont consacré environ 160 milliards en aides militaires, budgétaires et humanitaires à l’Ukraine de mars 2022 à mai 2025, soit 140 millions d’euros par jour. Et l’Ukraine a bénéficié pendant plusieurs mois d’un accès libre au marché européen pour ses produits agricoles, dispositif corrigé à partir de l’été 2023 pour contenir un tel afflux vers les États membres, sachant que cela a provoqué des distorsions considérables de concurrence pour les agriculteurs européens, notamment à l’Est de l’UE. Il faut évidemment aider l’Ukraine, qui souffre et se bat pour contrer l’invasion russe. Il faut bien entendu intégrer le fait que ce pays est désormais lancé dans un processus officiel d’adhésion à l’UE. Mais ces sommes ne sont pas neutres, au regard de l’état des finances européennes.

En outre, il faut ne jamais oublier qu’il s’agit d’une grande puissance agricole et que ce secteur pèsera fortement dans la suite des relations euro-ukrainiennes, quel que soit le scénario. Si l’Ukraine entre, les équilibres internes dans l’UE et pour la PAC en particulier seront significatifs. Si l’Ukraine n’entre pas, l’UE a un grand compétiteur dans son voisinage. D’où une question : le Kremlin pousse-t-il l’UE dans une course aux armements dont elle n’a pas les moyens et dans une division agricole grandissante qui servirait ses propres intérêts, la Russie étant un géant ambitieux en la matière ? Poutine a toujours dit qu’il refusait de voir l’Ukraine rejoindre l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN). Pas l’UE. Soit dit en passant, c’est aussi le même son de cloche aux États-Unis.

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