28.01.2025 à 10:00
La colère monte au Sénégal contre Eramet et ses activités minières
Le groupe français Eramet extrait du zircon et d'autres minéraux à usage industriel sur la côte du Sénégal, détruisant au passage des écosystèmes uniques et provoquant la colère des riverains. Mais le vent est peut-être en train de tourner pour cette entreprise héritière des intérêts coloniaux français.
Depuis plus de dix ans, l'entreprise minière Eramet s'est lancée dans l'exploitation des sables minéralisés du Sénégal, sur la côte Atlantique, à quelques dizaines de kilomètres au nord de (…)
Le groupe français Eramet extrait du zircon et d'autres minéraux à usage industriel sur la côte du Sénégal, détruisant au passage des écosystèmes uniques et provoquant la colère des riverains. Mais le vent est peut-être en train de tourner pour cette entreprise héritière des intérêts coloniaux français. Depuis plus de dix ans, l'entreprise minière Eramet s'est lancée dans l'exploitation des sables minéralisés du Sénégal, sur la côte Atlantique, à quelques dizaines de kilomètres au nord de Dakar. Sa filiale locale, Grande Côte Opération ou GCO, propriété à 10% de l'État sénégalais, en extrait divers minéraux à usage industriel comme le zircon, le rutile et l'ilménite. Le zircon, en particulier, est hautement stratégique car il est utilisé dans la construction des réacteurs nucléaires ainsi que des sarcophages censés isoler les déchets radioactifs. L'État français détient plus d'un quart du capital d'Eramet, qu'il contrôle conjointement avec la famille Duval et qui a été constitué à partir de sociétés minières coloniales comme la SLN (Nouvelle-Calédonie), la Comilog (Gabon) et les actifs miniers détenus par Elf-Aquitaine en Afrique. Depuis dix ans, les opérations de dragage menées par Eramet avancent petit à petit vers le nord de sa concession de près de 4500 kilomètres carrés. Et détruisent tout ou presque au passage. Les impacts de ce projet et les doléances des communautés locales ont été documentés il y a quelques mois dans un rapport de l'ONG FIAN dont le titre – « Extractivisme et dépossession au Sénégal » – résume bien les conclusions. Il y est question de déplacement des populations dans des villages dits de « recasement », de destruction d'écosystèmes uniques et de zones traditionnelles d'agriculture maraîchère, les Niayes, essentielles pour l'alimentation du pays, de surexploitation des ressources en eau, de pollution, de négation des droits traditionnels liés à la terre, notamment ceux des femmes, au profit de l'État sénégalais et des leaders locaux – et aussi de compensations financières ridiculement basses pour les personnes affectées. Autant d'accusations balayées par l'entreprise, qui met en avant sa contribution à l'emploi et aux revenus fiscaux du pays. Depuis dix ans, la colère gronde sur le terrain, sans trop d'écho jusqu'ici. Mais la situation est en train de changer. Depuis des semaines les manifestations sur place se multiplient, derrière le slogan GCO, dafa doy ! (« GCO, ça suffit ! » en wolof). Plusieurs titres de presse français – Reporterre et Le Monde notamment – se sont fait l'écho du mouvement ces derniers jours. Plusieurs raisons expliquent l'ampleur prise par les protestations. D'abord, Eramet a fini par atteindre le désert de Lompoul, une région emblématique de dunes brunes prisées des réalisateurs de cinéma et des éco-touristes. Exploité au moyen de la « plus grosse drague au monde », le site est en train de disparaître à vue d'œil. Le Monde s'attarde sur le rôle d'un expatrié français, vendeur de pompes à eau photovoltaïques, qui a découvert l'ampleur des dégâts causés par l'activité minière chez l'un de ses clients et qui depuis se démène avec succès sur le réseau social Linkedin pour alerter l'opinion. Le mouvement s'inscrit aussi dans le nouveau contexte politique sénégalais, avec un gouvernement élu sur la base d'un programme d'affirmation de la souveraineté sénégalaise aux dépens, notamment, de l'ancienne puissance coloniale française. Les habitants de Lampoul et de la région espèrent beaucoup du régime emmené par le président, Bassirou Diomaye Faye et le Premier ministre Ousmane Sonko. Des députés du parti présidentiel Pastef, qui a remporté les élections législatives de novembre dernier, ont déjà annoncé la création d'une commission d'enquête et demandent en attendant un gel des activités extractives d'Eramet. Est-ce le début de la fin pour le groupe minier français au Sénégal ? Rien n'est moins sûr, car l'entreprise garde des soutiens politiques – sur place avec les autorités préfectorales et coutumières, mais aussi au sein même du parti au pouvoir. L'ancien ministre des Transports et nouveau président de l'Assemblée nationale est un ancien cadre d'Eramet. Le groupe français, de son côté, a dénoncé par le biais d'un communiqué de sa filiale GCO une « campagne de déstabilisation ». Un élément de langage lui aussi tout droit hérité de l'époque coloniale. Texte intégral 911 mots
Nouveau gouvernement
28.01.2025 à 10:00
Les grandes marques de prêt-à-porter enfoncent les ouvrières du Bangladesh dans la crise
Après un mouvement social massif il y a un an pour des augmentations de salaires, et après la révolte de l'été 2024 qui a conduit au départ de la Première ministre en place, l'industrie textile du Bangladesh sort difficilement de la crise. Quant aux ouvriers et aux ouvrières du secteur, ils ne voient pas leur condition s'améliorer et restent vulnérables à la répression, avec le silence complice des donneurs d'ordre occidentaux.
Les usines textiles du Bangladesh font rarement la une des (…)
Après un mouvement social massif il y a un an pour des augmentations de salaires, et après la révolte de l'été 2024 qui a conduit au départ de la Première ministre en place, l'industrie textile du Bangladesh sort difficilement de la crise. Quant aux ouvriers et aux ouvrières du secteur, ils ne voient pas leur condition s'améliorer et restent vulnérables à la répression, avec le silence complice des donneurs d'ordre occidentaux. Les usines textiles du Bangladesh font rarement la une des médias... sauf lorsqu'il y survient un accident mortel comme celui du Rana Plaza en avril 2013. Pourtant, le pays continue à approvisionner massivement en vêtements bon marché les enseignes de prêt-à-porter et les supermarchés européens et nord-américains. Aujourd'hui, le secteur textile bangladais est en crise. Selon les chiffres officiels, au moins 76 usines ont fermé leurs portes ces derniers mois, entraînant le licenciement de plusieurs dizaines de milliers d'ouvriers, majoritairement des jeunes femmes. Cette mauvaise passe s'explique par des facteurs économiques, comme la dépréciation du taka, la monnaie nationale, face au dollar, et la hausse du prix des matières premières. Les patrons d'ateliers textiles accusent aussi les grandes marques qui achètent leur production d'avoir poussé les prix à la baisse, de 5% pour celles basées dans l'Union européenne, et de 8% pour celles des États-Unis. Ces mêmes donneurs d'ordre auraient redirigé une partie de leurs commandes vers d'autres pays comme l'Inde, le Vietnam et le Cambodge. Durant l'été 2024, les employés du secteur du vêtement ont souvent été en première ligne, avec les étudiants, des manifestations qui ont mené à la chute de la Première ministre Sheikh Hasina. Des usines appartenant à des patrons réputés proches du régime ont été ciblées et endommagées, et certains de ces hommes d'affaires ont passé du temps en prison. Quand bien même les établissements concernés ont fini par rouvrir leurs portes, ils n'ont pas forcément réembauché tous leurs anciens employés, et – à en croire certains témoignages – en auraient profité pour imposer des conditions pires qu'avant. L'instabilité politique a ralenti les commandes des acheteurs occidentaux et les a sans doute incités à aller voir ailleurs. Quelques mois avant les événements de l'été 2024, les ouvriers et ouvrières du textile avaient déjà déclenché un vaste mouvement social à l'occasion de la renégociation des salaires du secteur – renégociation qui n'a lieu que tous les cinq ans. Plusieurs semaines de manifestations massives et de répression avaient entraîné le décès d'au moins trois ouvriers du fait des violences policières, l'emprisonnement de plusieurs dizaines d'entre eux et des licenciements par dizaines de milliers. Au final, les travailleurs du textile étaient retournés au travail en n'ayant obtenu qu'une augmentation modeste par rapport à leurs revendications : +56% pour atteindre à peu près 100 euros mensuels, alors qu'ils demandaient quasiment le double en raison de l'explosion du coût de la vie depuis la dernière négociation salariale. Au pouvoir pendant deux décennies, Sheikh Hasina s'était résolument rangée du côté des patrons d'usines et avait supervisé la répression des manifestants. Ce qui explique que les ouvriers aient rejoint en masse quelques mois plus tard le mouvement initié par les étudiants. Depuis, le travail a repris dans les usines, et une nouvelle augmentation salariale de 9% a été décidée sous l'égide du gouvernement provisoire dirigé par Mohammed Yunus, pionnier du microcrédit et prix Nobel de la paix. Mais, à en croire les témoignages de certains ouvriers, ces dispositions ne sont pas forcément bien appliquées sur le terrain. Les grandes marques qui s'approvisionnement au Bangladesh n'ont pas fait le moindre geste pour soutenir le mouvement des ouvriers et ouvrières textiles et encore moins pour s'opposer à la répression dont ils ont fait l'objet. Les ONG qui soutiennent leur cause, regroupées en Europe au sein de la Clean Clothes Campaign, ont donc décidé de les interpeller directement pour qu'ils fassent pression auprès de leurs fournisseurs engagés dans la répression, notamment ceux qui ont déposé plainte contre leurs ouvriers suite aux violences. H&M, Zara, Lee, Primark ou C&A sont dans le viseur, de même que des enseignes françaises comme Carrefour, Kiabi ou Decathlon. Interrogées pour un article récent du Monde, ces dernières ont toutes assuré ne pas être concernées ou avoir engagé les démarches nécessaires pour que les plaintes soient abandonnées. Pourtant, pour l'ONG ActionAid France, qui relaie la campagne dans l'Hexagone, le compte n'y est pas. Texte intégral 962 mots
Une année de manifestations
Répression et intimidation
Plusieurs milliers d'ouvriers et ouvrières restent sous la menace, d'autant que la plupart des plaintes sont non nominatives, permettant ainsi à la police de cibler n'importe qui et d'intimider le mouvement syndical dans son ensemble. Et même une fois la menace de la répression levée, il restera aussi à trouver un modèle viable pour le secteur textile bangladais, assurant un salaire digne à ses ouvriers.
28.01.2025 à 09:59
Prenant prétexte de l'élection de Donald Trump et de ses menaces de guerre commerciale, le gouvernement français a remis à l'ordre du jour à Bruxelles toute une série de vieilles revendications patronales. En ligne de mire, notamment, la récente directive sur le devoir de vigilance des multinationales.
Dans un courrier rendu public par Politico, le gouvernement français, par la voix du ministre de l'Économie Éric Lombard, demande à Bruxelles « une pause réglementaire massive », ainsi que (…)
Prenant prétexte de l'élection de Donald Trump et de ses menaces de guerre commerciale, le gouvernement français a remis à l'ordre du jour à Bruxelles toute une série de vieilles revendications patronales. En ligne de mire, notamment, la récente directive sur le devoir de vigilance des multinationales. Dans un courrier rendu public par Politico et Mediapart, le gouvernement français, par la voix du ministre de l'Économie Éric Lombard, demande à Bruxelles « une pause réglementaire massive », ainsi que la « révision de législations, même adaptées récemment » qui ne seraient plus « adaptées au nouveau contexte de concurrence internationale exacerbée ». En ligne de mire, notamment : la directive adoptée il y a un peu moins d'un an, qui consacre au niveau européen le principe d'une responsabilité des grandes entreprises quant au respect de l'environnement et des droits humains sur toute leur chaîne de valeur à travers le monde. Ce principe est pourtant déjà en vigueur en France depuis 2017 avec la loi sur le devoir de vigilance des multinationales. Mise à l'agenda parlementaire dès 2012, cette loi avait finalement été adoptée dans les derniers jours de la présidence de François Hollande au bout d'une bataille de lobbying acharnée et malgré l'opposition des grands groupes représentés par l'Association française des entreprises privées (AFEP) et du ministre de l'Économie d'alors Emmanuel Macron (lire notre dossier Devoir de vigilance). L'AFEP avait ensuite mené l'offensive contre le projet de directive européenne. Il y a quelques jours, ce lobby, porte-parole du CAC 40, a réitéré sa revendication d'un gel de cette directive et d'autres au nom de « l'intensification de la concurrence mondiale ». Reprenant ces demandes presque mot pour mot, le gouvernement français exige désormais lui aussi un report sine die de l'application de la directive, et la suppression de la possibilité de l'étendre au secteur financier. Durant l'examen du texte à Bruxelles, la France avait bataillé ferme pour éviter que les obligations de devoir de vigilance s'appliquent à ce secteur, pour protéger les intérêts des grandes banques tricolores mais aussi de BlackRock (lire notre enquête La boîte noire de la France à Bruxelles). Elle a largement obtenu gain de cause, mais a tout de même dû accepter une clause de revoyure prévoyant que la question serait réexaminée au bout de deux ans. Clause que Paris cherche aujourd'hui à faire sauter. Ce n'est pas tout. Le gouvernement français souhaite que soient réexaminées et assouplies d'autres législations, notamment la directive sur le reporting des entreprises en matière de soutenabilité (CSRD), mais aussi la taxonomie verte, les garde-fous en matière de stabilité financière, l'encadrement strict de de la « titrisation » mis en place suite à la crise de 2008, les règles environnementales de la politique agricole commune, la législation en matière de déchets ou encore le tout nouveau cadre législatif sur l'intelligence artificielle. Au final, c'est une litanie de revendications portées de longue date par les grands intérêts économiques français, en particulier les banques, que le gouvernement ne fait que reprendre en les présentant de manière opportuniste comme une réponse au nouveau contexte international. Ces demandes françaises s'inscrivent en effet dans une série d'initiatives lancées par la Commission européenne pour renforcer la « compétitivité » du vieux continent, dans la lignée du rapport Draghi publié en juin dernier. Cette nouvelle priorité doit se traduire en particulier par un texte de dérégulation tous azimuts – l'« Omnibus de simplication » – qui sera dévoilé le 26 février prochain et est piloté par le commissaire européen français Stéphane Séjourné. D'après les documents fuités à la presse européenne, la Commission envisage entre autres d'assouplir les règles de la concurrence pour permettre aux entreprises européennes d'absorber leurs concurrentes et de devenir plus grosses (une autre revendication française de longue date), de relancer l'union des marchés de capitaux, d'introduire une préférence européenne dans les marchés publics « stratégiques », de mettre en place un « fonds de compétitivité » et plus globalement d'assurer « un alignement plus étroit entre les secteurs public et privé » pour protéger l'économie européenne et ses infrastructures. Là encore, il s'agit pour beaucoup de mesures déjà sur la table depuis un certain temps et de revendications anciennes des milieux patronaux. Le raisonnement selon lequel la principale explication des difficultés de l'économie européenne serait l'excès de transparence et de « reporting » - et non, plutôt, la fin de l'accès à l'énergie russe bon marché, le comportement rentier des grands groupes ou la faiblesse de leurs investissements sur le vieux continent – paraît pourtant léger. Jusque récemment, la Commission présentait ces régulations et le « Green New Deal » lui-même comme un facteur de compétitivité. La position française est d'autant plus étrange que plusieurs grandes multinationales ont exprimé leur soutien à l'application de la directive sur le devoir de vigilance. Il y a quelques jours encore, Ferrero, Nestlé, Primark, Unilever et d'autres groupes ont co-signé une déclaration exprimant leur « inquiétude » quant à une éventuelle remise en débat de la directive, basée selon elles sur des « standards qui font autorité » en matière de soutenabilité. De quoi on peut sans doute conclure deux choses. D'abord, que ces textes ne sont pas si contraignants et si excessifs que ne le disent les milieux d'affaires français, actuellement très prompts à surfer sur la vague « anti-régulations » incarnée par Javier Milei et Elon Musk. Deuxièmement, que l'AFEP,, prétendant parler au nom de toutes les entreprises, tend toujours à s'aligner sur le plus petit dénominateur commun, entraînant souvent le gouvernement français à sa suite. Texte intégral 1192 mots
Dernier épisode en date dans une longue bataille
Dérégulation financière
Alignement par le bas