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02.10.2024 à 16:27

Réflexions sur un oxymore

F.G.

■ Jacques LUZI CE QUE L'INTELLIGENCE ARTIFICIELLE NE PEUT PAS FAIRE La Lenteur, 2024, 128 p. Rodolphe est un drôle de zigue. Blogueur de son état, le gars est une anguille politique navigant entre Front de gauche et RN, un bouffeur de « wokes » et de politicards mous du bulbe, un gouailleur aussi inspiré que balourd. Bref, Rodolphe est un personnage « clivant » comme on dit aujourd'hui. Une figure urticante impossible à caser. On l'aime ou on le déteste. Surtout il souffre, pour un gars de (…)

- Recensions et études critiques
Texte intégral (2538 mots)

■ Jacques LUZI
CE QUE L’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE NE PEUT PAS FAIRE
La Lenteur, 2024, 128 p.

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Rodolphe est un drôle de zigue. Blogueur de son état, le gars est une anguille politique navigant entre Front de gauche et RN, un bouffeur de « wokes » et de politicards mous du bulbe, un gouailleur aussi inspiré que balourd. Bref, Rodolphe est un personnage « clivant » comme on dit aujourd’hui. Une figure urticante impossible à caser. On l’aime ou on le déteste. Surtout il souffre, pour un gars de la plume, d’un handicap qui aurait pu lui être rédhibitoire : il est autant fâché avec l’orthographe qu’avec la grammaire. Jusqu’à peu, ses épanchements politiques étaient encore truffés d’accords méchamment désaccordés, de mots écrits à la barbare et de phrases aussi sinueuses qu’un alambic à repasse. Et puis un beau jour, subito presto, ses écrits changèrent du tout au tout : visuellement déjà, tout paraissait en paragraphes harmonieux et joliment chapotés, la rigueur des mots était celle d’un petit écolier arrimé à son Bescherelle et les phrases aussi simplettes qu’une rédac de 4e. Bref, la prose de Rodolphe était devenue aussi lisible que conventionnelle. Avec comme fatal corollaire que tout y était chiant et scolaire, aussi creux qu’une carie en phase terminale.

Un jour que nous ripaillions ensemble, je lui fis part de ma perplexité et lui demandai dans quelle mesure il pouvait prendre ses lecteurs pour des cons en leur offrant une prose aussi insipide. La réponse, bien évidemment, je la connaissais. Et le coquin de m’avouer qu’il s’était récemment entiché de ChatGPT : devant alimenter son blog en contenus selon un rythme qui ne saurait faiblir, il avait trouvé dans cet outil des ressources inespérées.

« Outil », le mot m’avait fait bondir de ma chaise et, comme souvent avec Rodolphe, nous nous engueulâmes à gros décibels, le reste du restau profitant de nos fleuries objurgations. Pendant quelques minutes, j’essayais – en vain – de faire comprendre au blogueur que l’intelligence artificielle était tout sauf un énième gadget numérique, qu’il y avait là un nouveau bond en avant de l’hydre industrialiste dans la course effrénée de nos dépossessions et des saccages terrestres. Et puis, merde, à quoi bon publier des textes écrits par et pour un robot, à moins de les destiner à un public lui-même robotisé à l’extrême ? M’écoutant avec patience, le sourire ambigu de Rodolphe ne cessait d’enfler ses joues replètes ; j’y devinais la piètre estime dans laquelle il considérait son lectorat et sa joie renouvelée de me foutre en rogne. Nous nous quittâmes sur ce froid grêlé de cynisme et de sourde colère.

Parcourant les pages du dernier bouquin de Jacques Luzi, Ce que l’intelligence artificielle ne peut pas faire, je repensais furtivement à cette anecdote. Me disant que Rodolphe était de ceux qui pensaient que la technologie était caractérisée par sa fondamentale neutralité. À l’instar d’une louche pouvant servir la soupe ou assommer un mioche insupportable, l’IA ne serait qu’un ustensile, une coquetterie d’une remarquable vélocité qui, sciemment utilisée, irait s’acquittant des tâches rébarbatives pour nous livrer un produit fini d’une remarquable tenue et homogénéité. Une fascination que ne partage pas, loin s’en faut, l’enseignant en économie et essayiste Jacques Luzi. Du sieur Luzi, j’avais lu avec intérêt le numéro 65 de la revue Écologie et Politique qu’il avait coordonné avec Mathias Lefèvre, numéro intitulé « Les enfants de la machine ». Dans la ligne de mire du numéro : eugénisme, PMA, féminisme queer, bio-ingénierie ; autant dire un panel de sujets hautement explosifs dans les rangs fragmentés de la gauche dite radicale. Dans un article inaugural de cette livraison, Jacques Luzi prônait une « émancipation de l’ensemble du genre humain de la cage d’acier formée par les macro-systèmes technologiques aliénants et destructeurs, plutôt que l’égalité des identités (nationale ou genrée ou ethnique ou…) au sein de ce cauchemar climatisé. » De quoi s’exposer aux habituelles accusations de transphobie, homophobie, sexisme et tutti quanti. Pas étonnant donc que les éditions La Lenteur, bien connues pour leur conservatisme paraffinophile [1], lui ouvrent leur catalogue.

Intelligence artificielle, donc. Soit l’oxymore plein de promesses du moment. Le calcul supersonique capable de ringardiser ces carnes trop humaines de Proust, Einstein et Bach. Le cancer bientôt vaincu, des bagnoles autonomes et des textes akkadiens cunéiformes vieux de 5 000 ans enfin traduits ! Tout ça désormais possible grâce à la machine des machines. Si, comme le dit Internet, notre bulbe rachidien agit à la manière d’« un petit ordinateur qui régule [nos] fonctions vitales comme le rythme cardiaque, la respiration et la pression artérielle », alors l’IA serait ce grand ordinateur partagé, cette bécane divinisée, capable d’upgrader notre mortelle condition vers les sommités d’un savoir et d’un avoir encore insoupçonnables. C’est plus du rêve qu’on nous vend mais une métaphysique touchant à l’immortalité. Lucide, Luzi semble vacciné contre cette démiurgique promo : « La technologie n’est pas neutre, s’obstine-t-il. Ses origines et ses conséquences dépassent de loin les bonnes intentions individuelles, car ce sont les maîtres, et non les esclaves, qui décident de son intention politique et de ses usages prioritaires, dont aucun ne relève de la bienveillance et du divertissement. Et ces maîtres, technoprophètes débitant leur mystique extraterrestre, font la guerre à la nature pour construire et alimenter leurs superintelligences machinales, approfondissant l’amollissement physique et moral de leurs travailleurs-consommateurs pour mieux les engoncer dans les arcanes électroniques de l’Organisation totale. »

Connerie oxymorique

« Mystique extraterrestre », Luzi balance ça page 106 de son opus, soit dans ses dernières pages, alors que, dès l’entame de son bouquin, c’est lui-même qui se prend pour un alien, un martien pour être exact. Pourquoi donc une telle déshumanisation ? Tout simplement pour se donner du champ et tutoyer l’homme le plus influent et riche du moment : Elon Musk. En 2015, Musk a eu une vision : celle de la planète Mars colonisée par des « post-humains ». Homme de tous les challenges, Luzi le prend au mot et lui adresse une missive depuis l’espace. Et de lui demander si, à force de planer dans les limbes de la « religion cyborg », le milliardaire sud-africain n’aurait pas grillé une partie de sa masse neuronale dans le cloud de sa fumerie futuriste. « Toi et tes amis, le taquine Luzi, ne niez pas que l’intelligence artificielle puisse être dangereuse. Mais pour en tirer des bénéfices supérieurs à ses coûts, il suffirait selon vous de l’enchâsser dans l’éthique, notamment celle du développement durable. » « Développement durable »…, encore une connerie oxymorique destinée à nous persuader que l’humanité ne saurait trouver son salut ailleurs que dans la surenchère technologique. Quant au fait de savoir si une autre intelligence artificielle que celle née de la matrice militaire est possible, le lecteur pourra toujours consulter l’article éponyme d’Evgeny Morozov paru dans le Diplo d’août 2024 : il aura ainsi tout le loisir de peser au trébuchet de son esprit critique la subtile différence entre une dangereuse IA visant l’« augmentation » de l’humain et sa version vertueuse ambitionnant notre « amélioration ». Quelle que soit l’hypothèse retenue, la leçon reste la même : si l’humain reste perfectible, c’est toujours par la grâce de la technologie. Mais qu’implique cette troublante notion de perfectibilité pour les bipèdes sociaux que nous sommes ? N’a-t-on pas toutes les raisons de voir là un énième argument visant à enfoncer le coin toujours plus aiguisé de notre atomisation à grand renfort d’hybridation avec la machine ?

Jacques Luzi reste à l’écart de ces fausses alternatives, convaincu qu’il est qu’une vie « bonne », compatible avec la sauvegarde d’un environnement préservé des ravages industriels, ne saurait s’envisager sans la mise au rebut des prothèses interconnectées qui nous cernent. Plus globalement, c’est notre façon de « faire société » qui pose question alors que se consolident, le temps passant, les bases autoritaires d’une gouvernance technocratique de plus en plus violente et cynique. « La fonction de l’intelligence artificielle est de substituer la rétroaction à la réflexion collective, déjà sérieusement érodée par la colonisation des écrans, assène encore Luzi. Elle s’appuie sur l’hétéronomie digitale et menace de la radicaliser. » Traduction : en dotant les machines d’algorithmes leur permettant d’« apprendre » par elles-mêmes, en les gavant de milliards de données touchant jusqu’à nos plus extrêmes intimités, on s’expose au risque que les machines évoluent pour leur propre compte (ou celui de quelque caste cybernétique, ce qui revient au même), ravalant les mammifères dotés de parole que nous sommes au statut de sacs à données numérisables. Un avenir, on s’en doute, totalement incompatible avec « une société démocratique, qui devrait se construire sur l’éducation à l’autonomie individuelle et collective, ainsi que sur la prudence et l’autolimitation. »

On pourrait dire de Ce que l’intelligence artificielle ne peut pas faire qu’il est un livre d’une remarquable sobriété alors que son sujet ne l’est point. Mise à part sa souriante mise en bouche muskophobe et son épilogue en forme de dialogue nourri entre Luzi le « scribouillard » et un créateur d’intelligences artificielles, l’auteur reste fidèle à une certaine tradition de la critique de l’industrialisme : pas de concepts ronflants ni de circonvolutions démonstratives. Le cap reste tenu sur la critique d’une trajectoire historique qui conduit les Homo industrialis à ne plus pouvoir se représenter autrement que « dans le miroir de leurs machines : mécaniques, énergétiques, puis computationnelles. Sans surprise, l’intelligence artificielle prolonge cette croyance industrielle que le monde, la nature, les êtres vivants, les humains, leurs organisations sont des machines qu’il est possible et souhaitable de décomposer, analyser et reproduire dans des artéfacts améliorés ». Si les Lumières ont pesé de tous leurs poids pour liquider l’hypothèse Dieu, le vide laissé a permis aux apôtres de la technoscience de récupérer « son aura religieuse » et d’y inscrire « ses propres cultes » et « martyrs ». La foi dans le Progrès est une transcendance comme les autres. Sa rationnelle irrationalité (et vice versa) pousse ses sectateurs à toutes les surenchères pour arriver à faire tenir ensemble un cheptel humain toujours plus brutalisé, morcelé et désorienté par le déchaînement néolibéral sur fond de dévastations écosystémiques. Et Luzi de citer un article de 1992 signé Bruce J. Berman (1942-2024), ancien professeur de l’Université Queen’s en Ontario (Canada) : « L’IA constitue un discours idéologique sur le pouvoir, axé sur les problèmes d’ordre et de contrôle dans les organisations sociales complexes. Que ce soit dans l’usine automatisée, sur le champ de bataille automatisé ou dans le bureau automatisé, l’IA représente l’apothéose de deux cent ans d’efforts pour placer la gestion des bureaucraties de l’État-nation et du capital sous la maîtrise infaillible et prévisible de la science. Le programme politique contenu dans l’IA – d’autant plus séduisant que de nombreux spécialistes de l’IA semblent réellement inconscients de sa présence et aveugles à ses implications – vise à dépolitiser la prise de décision dans les organisations en faveur d’un calcul rationnel objectif. » Si la société devient ingouvernable, elle reste néanmoins modélisable et pilotable par quelque insondable puissance de calcul.

Délire sécuritaire de la smart-city

Et tandis que s’ingénient les ingénieurs et que s’ébaubissent les technophiles, sur le terrain prime la guerre : guerres « conventionnelles » pour assurer ou accroître une emprise territoriale, guerres d’appropriation des matières premières, guerres sociales pour contenir colères populaires et masses surnuméraires (autochtones ou migrantes), guerres à la nature. « La course mondiale au profit économique et à la puissance militaire interdit aux états industriels d’en finir avec la guerre et avec les préparatifs technologiques de la guerre », relève Luzi. Qui se révèle être, au fil des pages, un fin scrutateur de notre époque, désentravé, de surcroît, d’œillères idéologiques puisqu’il est capable de citer dans un même ouvrage les travaux du sociologue Mathieu Rigouste, de l’unité d’enquête grenobloise Pièces et Main-d’œuvre, Foucault et Charbonneau ! Un éclectisme qui lui permet de ne négliger aucun angle mort résultant de l’extension guerrière de l’ « empire scientifico-militaro-industriel » : de l’infâme gestion migratoire aux portes de l’Europe-forteresse à celle des quartiers populaires : « Aux frontières intérieures des nations-citadelles industrielles, les citoyens mis au rebut par l’automatisation du travail sont confinés dans les banlieues, les ghettos et les bidonvilles, voués à la violence anomique, au militantisme néo-religieux et à une gestion “endocoloniale” militarisée. À cet ennemi, complète Luzi, dont les explosions de rage sont inévitables, il faut ajouter tous ceux, des gilets jaunes aux zadistes, qui expriment régulièrement leur rejet du cynisme et de l’irresponsabilité présidant à la fuite en avant industrialiste. » Pour contenir ces poussées émeutières, la ville se fait alors elle-aussi « intelligente ». Scanners corporels, caméras de surveillance, armada de drones, police prédictive : les terrains d’expérimentation de l’IA ne manquent pas. Ils fleurissent sur les ruines de nos derniers espaces de vie commune.

Sébastien NAVARRO

01.10.2024 à 22:24

Digression sur un refus

F.G.

« À un certain moment, face aux événements publics, nous savons que nous devons refuser […]. Les hommes qui refusent et qui sont liés par la force du refus, savent qu'ils ne sont pas encore ensemble. Le temps de l'affirmation commune leur a précisément été enlevé. Ce qui leur reste, c'est l'irréductible refus, l'amitié de ce Non certain, inébranlable, rigoureux, qui les rend unis et solidaires. » Maurice Blanchot Quiconque a arpenté la rue parisienne, plus précisément du côté de (…)

- Digressions...
Texte intégral (2064 mots)

« À un certain moment, face aux événements publics, nous savons que nous devons refuser […]. Les hommes qui refusent et qui sont liés par la force du refus, savent qu’ils ne sont pas encore ensemble. Le temps de l’affirmation commune leur a précisément été enlevé. Ce qui leur reste, c’est l’irréductible refus, l’amitié de ce Non certain, inébranlable, rigoureux, qui les rend unis et solidaires. » Maurice Blanchot

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Quiconque a arpenté la rue parisienne, plus précisément du côté de République ou de Stalingrad, au soir du second tour des législatives du 7 juillet, se souvient des visages du peuple de gauche, de ses larmes de joie à l’annonce de l’incroyable nouvelle : l’effondrement des droites « républicaines » et de la Macronie et le recul du FN-RN, que vingt-sept instituts de sondage donnaient vainqueur, et avec qui l’Élyséen dissolvant s’apprêtait à cohabiter. On précisera, par nécessité, que l’inattendue victoire du Nouveau Front populaire nous soulagea immensément, mais sans que cela implique pour autant de communier avec les illusions citoyennes qui, déjà, semblaient animer la foule. Non parce que nous aurions été plus malins qu’elle, mais parce que, par culture, nous avons appris à nous méfier des lendemains électoraux qui chantent. Et sûrs qu’il en faudrait beaucoup plus – un puissant mouvement social légitimant cette victoire dans les urnes – pour que notre avenir en commun ait quelque chance de devenir plus léger.

On ne se doutait pas alors, mais pas une seconde, que, deux mois plus tard, à l’été finissant, l’olympien Macron, sans même se préoccuper de compromettre le NFP en lui savonnant la planche de la cohabitation, comme Mitterrand le renard l’avait à Chirac, nous sorte du chapeau du « vice-président » Alexis Kolher, expert en basses œuvres élyséennes, le nom de Michel Barnier comme Premier ministre. Dire qu’il y eut surprise est peut dire, surtout pour moi qui pensait que le Barnier était déjà mort (de honte) après sa pathétique campagne de 2021 lors des primaires LR pour la présidentielle de 2022.

Michel Barnier, donc… Après tout ça, Michel Barnier, l’homme qui, à lui tout seul, incarne, costard néo-libéral compris, ce que la droite de ce pays a de plus conservateur. Le port de tête, la morgue, la suffisance, tout y est chez cet homme, plus une coupable complaisance avec les thématiques anti-immigrationnistes du FN-RN, qui, dit-on dans les gazettes, aurait assuré Macron, par la voix de sa cheftaine, qu’il ne déclencherait, dans l’immédiat, aucune motion de censure contre son gouvernement. Le reste est affaire de popote. Son directeur de cabinet, Jérôme Fournel, par exemple, est déjà impliqué dans une sale affaire d’optimisation fiscale lésant l’État au profit du Paris-Saint-Germain, et ce avec la complicité de l’inénarrable Darmanin, « Monsieur Casserolles ». Vive la République !

Donc, Barnier, bon peuple, et bientôt son gouvernement de vieilles canailles et de jeunes fripouilles, qu’on imagine connaître aussi bien que nous la partition qu’ils vont nous jouer : redressement, austérité, autorité, contrôle des flux migratoires, police partout, justice nulle part, éducation massacrée, santé publique ravagée, services publics paupérisés. Encore et toujours. Plus que jamais.

Toi qui, bon peuple, à défaut de rêver de révolution ou de têtes de rois à couper, ne voulait que l’abolition de l’infâme réforme des retraites, le SMIC à 1 600 balles, des RER qui partent et arrivent à l’heure, des trains idem, une école en état de marche pour tes mômes et une mise sous tutelle morale des racistes, on t’a niqué jusqu’à l’os ! Tel est ce monde de la caste politico-médiatique qui, peu importe ses variantes, se vautre quotidiennement dans l’obscène en s’asseyant sur les règles communément admises d’une démocratie parlementaire. Car c’est Macron qui a dissous quand personne ne lui demandait rien, et ce sont ses affidés du chaque fois plus crétinisant PAF qui, aujourd’hui, le présentent encore comme un stratège de génie quand il s’assoit sur la volonté majoritaire en procédant à un coup d’État institutionnel. Et ce, sans qu’aucun rentier du Conseil constitutionnel ou du Conseil d’État ne songe à lui dire que sa combinazione relève de l’infamie politique.

Le problème avec Macron, c’est que rien ne l’atteint au point de le faire vaciller dans ses coups fourrés. Ainsi, tout l’été, il a fait son théâtre, olympique et olympien, en consultant, mais tout cela relevait de la farce, de l’occupation de terrain, de l’obstruction démocratique. Le coup était joué d’avance dans sa petite caboche d’enfant-Roi. La Castets, on la dégage. Au bout du bout, la ligne était décidée : tout sauf le NFP, c’est-à-dire le vainqueur, le seul relativement majoritaire. Qu’à terme rien ne marche vraiment de ses entourloupes, il s’en fout. Pour l’instant, le dispositif médiatique fonctionnant à plein en sa faveur, il s’imagine que ça passera. Et ça peut passer, par lassitude, par repli, par paresse. On connaît ce phénomène et Macron aussi. Le moment raté fut celui des Gilets jaunes, ce mouvement apartidaire spontané qui portait en lui toutes les revendications essentielles. Sur la vie chère, sur la précarité, sur la réinvention démocratique. Là, et là seulement, la Macronie a senti le souffle du canon. Au point de prévoir son exfiltration vers un quelconque paradis fiscal où il aurait embauché chez BlackRock. Et, si ça n’a pas marché, c’est que, à quelques exceptions près, la gauche institutionnelle et syndicale, ses « élites » intellectuelles et le gauchisme de secte ont finalement trouvé que le peuple puait trop des pieds pour qu’on le suive dans ses aventures quand, par exemple, un charriot élévateur percuta jusqu’à le défoncer le portail d’entrée de l’hôtel de Rothelin-Charolais, siège du teigneux, mais péteux, porte-parole du gouvernement Macron 1, Benjamin Griveaux, qui s’enfuit en courant [1]. La question du « que faire ? », les Gilets jaunes l’avaient tranchée. Rentrer dans le lard des oppresseurs, sans vaciller et dans la joie. Il leur manqua – et comment ! – des forces d’appoint, mais ils sauvèrent l’honneur. Et pour longtemps. On ne le dira jamais assez. Car depuis cette levée en masse du petit peuple des villes et des campagnes, personne n’a fait mieux dans l’insubordination, puis dans l’insoumission sans logo. Si elles se sont colorées de jaune colère, toutes les luttes de masse, sous contrôle syndical ou politique de l’après-Gilets jaunes, ont fini par céder devant l’entêtement du pouvoir macronien et de sa police. <br/

Qu’on ne se trompe pas, cela dit. Il ne s’agit pas ici de verser dans la nostalgie d’un combat perdu – d’ailleurs, est-il vraiment perdu dans les mémoires de celles et ceux qui s’y sont engagés corps et âme ? Il est question de prendre la mesure de la majuscule offense que, en toute autosatisfaction et sans que rien ne bouge vraiment, Macron vient de nous faire. Cet inacceptable est inacceptable, car l’admettre serait céder sans broncher à une déclaration de guerre civile ouverte. Une guerre civile contre tous ceux, électoralistes ou anti-électoralistes, qui, d’une manière ou d’une autre, de près ou de loin, font obstacle au néo-libéralisme. Une guerre civile contre le peuple. Une guerre dont le Capital ne se déclarera vainqueur que, lorsque les damnés de la terre de toutes sortes auront capitulé face à toutes ses lois. Autrement dit, quand, après 64 ans, les retraités accepteront de passer à 67, puis à 70 ans ; quand les chômeurs low-costs d’aujourd’hui, se contenteront d’une aumône ; quand les milices armées en auront fini, dans un État policier parfait, avec les sécessions, les révoltes, les ZAD et les soulèvements de la terre et des usines ; quand les sans-dents n’auront plus à croquer que leur chagrin ; quand le FN-RN, la jambe de secours du néo-libéralisme le plus sauvage, sa variante pinochétienne, aura fait main basse sur un peuple désespéré d’avoir tout perdu sauf la triste gloire d’être devenu raciste.

Du TINA de la fille d’épicier et de couturière de Grantham – devenue baronne pour services rendus comme fossoyeuse des conquis de la classe ouvrière anglaise – au « en même temps » du théâtreux d’Amiens – devenu deux fois président de la République parce qu’un mandat ne lui suffisait pas pour marquer suffisamment le pays du sceau de ses infamies –, c’est la même guerre civile contre le peuple qui se rejoue. En pire, peut-être, car cet homme est le produit sans nom d’une hybridation presque parfaite entre la perfidie et l’idée fixe : soigner ses amis du CAC 40 et maltraiter tous les autres. Nous, donc, quelques que nous soyons et d’où que nous venions, à qui il crache à la gueule, et de la plus insultante manière : « J’ai gagné puisque j’ai compris que vous aviez perdu. » Enfoiré, va !

Ce qui s’annonce, désormais, devant nos yeux ébahis et nos estomacs retournés par une telle insolence, c’est un bras de fer entre la folie destructrice d’un seul homme, arrimé aux forces du Capital, et la raison passionnée qui nous anime de le pousser à se démettre. Il faut donc, de toute urgence, que, de partout et de nulle part, nous refassions nôtre, sous sa forme originelle ou une autre, ce cri de guerre sociale des Gilets jaunes : « Emmanuel Macron, oh tête de con, on vient te chercher chez toi ! » Car l’heure est bien à la « destitution », celle-là même que réclame, à juste titre, la bande à Méluche, mais qui ne passera pas par la voie institutionnelle. Il faudra pousser, et pousser fort dans la rue. Une fois encore, mais ce coup-ci sans céder aux atermoiements divers et variés qui viendront, sans doute, de notre « propre camp » qui déjà pense à 2027.

Nous sommes, j’en suis convaincu, ces hommes et ces femmes du refus, dont parlait, revenu de ses erreurs de jeunesse [2], Maurice Blanchot en 1958. Nous nous savons, nous aussi, liés par la force de notre refus même si nous ne sommes pas encore ensemble puisque tout est fait pour nous séparer, mais ce « non » qui nous anime doit être irréductible, certain, inébranlable, rigoureux et solidaire.

Car cette bataille qu’il faut mener contre l’Infâme sera dure.

Freddy GOMEZ

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