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29.09.2025 à 10:04

Fabrique du nazisme

F.G.

■ Johann CHAPOUTOT LES IRRESPONSABLES Qui a porté Hitler au pouvoir ? Gallimard, 2025, 304 p. Sur le site de Radio France, l'auditeur ronchon a la possibilité de saisir une médiatrice pour exprimer son indignation. À titre d'illustration, on peut lire ce commentaire outré suite à la diffusion de l'émission « d'actualité, d'analyse et d'humour » « Zoom Zoom Zen » du 13 mars 2025 accusée d'avoir déroulé le « tapis rouge » à un « pseudo-historien racont[ant] qu'être centriste c'est être (…)

- Recensions et études critiques
Texte intégral (2904 mots)


■ Johann CHAPOUTOT
LES IRRESPONSABLES
Qui a porté Hitler au pouvoir ?

Gallimard, 2025, 304 p.


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Sur le site de Radio France, l'auditeur ronchon a la possibilité de saisir une médiatrice pour exprimer son indignation. À titre d'illustration, on peut lire ce commentaire outré suite à la diffusion de l'émission « d'actualité, d'analyse et d'humour » « Zoom Zoom Zen » du 13 mars 2025 accusée d'avoir déroulé le « tapis rouge » à un « pseudo-historien racont[ant] qu'être centriste c'est être extrême » : « Choquants et violents, les propos répétés de l'invité du jour, “historien” semble-t-il, et LFIste certainement. Tous les centristes sont de droite, socialement et fiscalement et “un peu moins racistes, sexistes et homophobes que l'extrême droite”. C'est honteux sur une radio publique. Le sujet de la tempérance, des positions réfléchies et posées calmement ainsi que la recherche du consensus méritaient mieux. »

La raison de l'énervement de ce bayrouiste chafouin ? L'émission a ouvert son micro à Johann Chapoutot, historien spécialiste du nazisme. Or le chercheur, loin de congeler la période nazie en la ramenant à une séquence à jamais close, ne cesse, dans ses travaux, de la scruter non plus seulement comme une sorte d'anomalie historique, mais comme s'inscrivant dans un processus pensé et porté par le Zentrum à la faveur d'une division entre une social-démocratie gagnée à la respectabilité et un Parti communiste (KPD) en voie de stalinisation. Éclairante, cette approche nous offre indubitablement un nouvel angle pour interroger notre présent à l'aune de ce passé. Si les années 1930 ne sont certes pas devant nous (l'Histoire ne repasse pas les plats), il se pourrait bien que leur cycle ne soit pas pour autant achevé. Répétons-le : le nazisme n'est pas plus un accident historique qu'un raptus génocidaire né dans la tronche de quelques Teutons dégénérés. Visitant les ruines d'Oradour-sur-Glane, on se souvient de cette Française manifestant son effroi : « Mais comment ont-ils pu faire ça ? ». Peut-être parce que tes ancêtres, ingénue mangeuse de grenouilles, avaient fait la même chose en d'autres temps et d'autres lieux. En gros : parce que la voie leur avait été ouverte, notamment par des nations qui se piquaient, alors, d'appartenir au gratin civilisationnel. Colonisation, eugénisme, darwinisme social, industrialisme, etc. : Enzo Traverso a tout dit de la généalogie européenne de la violence nazie [1]. Et donc s'il y eut une longue période pré-nazie, quid d'un post-nazisme ? Des décennies plus tard, quelles vesses lâchées par le cul de la bête immonde continuent à empuantir notre Zeitgeist libéral et démocratique ?

En 2020, Chapoutot publiait déjà l'étonnant et passionnant Libres d'obéir [2], essai dans lequel il démontait avec brio la vision faussement étatiste et hyper-administrée du « totalitarisme nazi ». Bien au contraire, les années 1930 allemandes ont été ce laboratoire où ont été pensés et mis en œuvre bon nombre de dogmes managériaux ayant percolé, dès l'après-guerre, l'entreprise et des États du monde libre.

Prenons ces taules modernes cherchant par tous les moyens à gommer leur infâme hiérarchie interne en nommant leurs salariés « collaborateurs », soit autant d'agents prétendument autonomes et prêts à toutes les initiatives pour que la boîte gagne en efficience. Eh bien ! les nazis, « frères de race », kiffaient l'efficience horizontale où « tous, chefs et subordonnés, travaill[ai]ent librement et joyeusement au bien commun, celui de la communauté du peuple, de la race germanique et du Reich ». De fait, il se pourrait bien que la contre-révolution néolibérale des années 1980 n'ait fait que recycler ce vieux tropisme nazi où l'État était vu comme une machine à « entraver et étouffer les “forces vives” par une réglementation tatillonne, mise en œuvre par tous les ronds-de-cuir sans imagination et tous les eunuques serviles qui peuplent la fonction publique ». Bien entendu, les « forces vives » de l'époque hitlérienne étaient tout entières contenues dans l'hystérie dominatrice de la race aryenne alors qu'aujourd'hui le schème s'est étendu à l'ensemble des agents d'un Marché planétaire.

« Bolchevisme culturel »

En décembre 2023, le Sénat français a adopté définitivement une énième loi « immigration ». Chapoutot explique que le déclic pour s'atteler aux Irresponsables s'est fait à ce moment-là : quand la Macronie poussait à l'ignition un énième point de surchauffe commun avec le RN. Avec cette intuition que l'engrenage politicard auquel on était confronté, soit la tripartition de la représentation nationale en blocs de gauche, du centre et d'extrême droite n'avait rien d'inédit. Surtout, il confirmait une vérité historique cent fois révélée : délégitimé, le bloc bourgeois n'a d'autre choix pour continuer à accroître sa capacité d'extorsion que de faire grossir et de s'adosser à une extrême droite hégémonique ; un travail de balancier qui implique une fracture sans cesse rejouée de la gauche entre sa partie molle, prête à toutes les fumisteries pour gouverner, et sa partie dure, objet de tous les ostracismes et évictions du prétendu « arc républicain ». Des dernières années de Weimar à la lente agonie de la Ve République – dont les fondements, nous apprend l'historien dans l'épilogue, ont beaucoup puisé à la Constitution weimarienne, la démocratie libérale n'en finit plus de tomber ce masque où le cœur du Pouvoir apparaît tel qu'il est réellement : grossier, goinfre et (souvent mauvais) calculateur. Chez les éditocrates, le virage autoritaire se commente à hue et à dia, alimentant une fièvre sécuritaire et xénophobe sans borne, bénissant le coffrage des libertés dites « publiques », relativisant la surpuissance d'un exécutif shooté à une présidentialisation toujours plus décomplexée de l'exercice du pouvoir.

Vue depuis les berges du continent libertaire, la révélation n'a rien d'un scoop. Elle prend cependant un sel particulier quand, sous la plume de Chapoutot, elle s'attache à nous révéler les minables coulisses de ces trois années ayant précédé l'accession d'Hitler et de sa clique de psychopathes au pouvoir en janvier 1933. Quelque chose de terriblement familier et de contemporain se hume au fil de ces 300 pages, même si, répétons-le, il ne s'agit pas ici de poser quelque équivalence entre les duettistes Le Pen/Bardella et Hitler. L'enjeu est ailleurs : dans un contexte charriant ses invariants historiques : ambiance de guerre et de crise, instabilité parlementaire, politique austéritaire pour les uns et orgie de dividendes pour les autres, peur d'un « bolchevisme culturel » (promouvant l'homosexualité et l'art moderne, peuplant la débauche des nuits berlinoises – soit le péril « woke » des années 1930 allemandes), éternelles figures de boucs émissaires, flambée brune, etc. L'enjeu est aussi dans le sous-titre des Irresponsables : « qui a porté Hitler au pouvoir ? ». Une question à laquelle l'historien répond dès l'introduction : « L'arrivée des nazis au pouvoir procéda d'un choix, d'un calcul et d'un pari. Choix des élites économiques (industriels, financiers, assureurs) et patrimoniales (rentiers, actionnaires, Besitzbürgertum – bourgeoisie possédante, en allemand). Calcul d'une rationalité froide : face aux gains continus du Parti communiste qui ambitionnait de faire advenir, à court ou moyen terme, une “Allemagne soviétique” (Sowjetdeutschland), la force militante du NSDAP et les rangs fournis de ses milices […] offraient un contrepoids rassurant, qu'il fallait à tout prix mettre au service d'une défense résolue de l'ordre social et économique. Pari, enfin : les nazis étant inexpérimentés, les flanquer de politiciens madrés et éprouvés permettait de les domestiquer dans le cadre d'un pouvoir partagé dans un gouvernement de coalition. » Une coalition que jamais l'aboyeur autrichien n'accepta, son goût pour le pouvoir étant à l'image de son eschatologie raciale : totale et absolue, étant entendu que « seule la violence est l'accoucheuse de l'histoire ».

Sur Wikipédia, la gueule de Hindenburg parle d'elle-même : le barbon replet fixe l'objectif d'un œil matois, ses cheveux blancs en brosse et ses moustaches à l'impériale témoignent d'une immuable martialité. Président du Reich depuis 1925, Hindenburg est aussi général d'infanterie à la retraite. Pétri de valeurs prussiennes, il déteste les sociaux-démocrates du SPD, sans parler des syndicats qu'il « abomine » et des communistes qu'il a « en horreur ». Le 30 janvier 1933, c'est lui qui nommera Hitler chancelier – contrairement à une idée tenace voulant qu'Hitler aurait été élu. « Jamais » insiste Chapoutot. Pendant les trois années précédant ce sinistre épilogue, Hindenburg verra se succéder plusieurs chanceliers : Brüning (Zentrum) bandant secrètement pour une restauration monarchiste, Von Papen (Zentrum), libéral proche des barons de l'industrie et des grands agrariens pour qui les douceurs fiscales sont un devoir et, enfin, Von Schleicher, militaire d'extrême droite et fin stratège, animateur de la « camarilla », soit un groupe de conseillers du prince censé guider la main, parfois coléreuse et imprévisible, de Hindenburg. Von Schleicher sera l'homme de la dernière chance : ultime chancelier du Reich (de décembre 1932 à janvier 1933), il pèsera de tout son poids pour impulser une division du parti nazi alors en perte de vitesse électorale. Un échec qui jouera sûrement dans sa liquidation lors de la Nuit des longs couteaux.

De nos ancêtres castors électoraux

Face à une telle instabilité politique et sociale, le président Hindenburg se radicalise. Outre-Rhin, l'ancêtre du 49-3 se nomme 48-2, ça ne s'invente pas. Grâce à cet article, le président peut gouverner en se passant de l'avis du Reichstag. Il ne s'en prive pas. Le célèbre juriste nazi Carl Schmitt méprise la démocratie représentative et prône sa propre vision de la démocratie directe : le peuple élit son chef qui, résume Chapoutot, sera « l'homme de la totalité alors que les partis sont les fourriers du fractionnement ». Le libéralisme-autoritaire assoit ses bases. Il n'a rien à craindre du SPD qui, allié au Zentrum dans la « coalition de Weimar », a permis la réélection de Hindenburg face à Hitler en 1932 – taquin et inspiré, Chapoutot voit dans ces appareillages politicards nos « ancêtres castors électoraux » appelés régulièrement à « faire barrage ». Surtout et plus sérieusement, on n'oublie pas que le SPD a fourni des gages de respectabilité à la bourgeoisie grâce à la figure de Gustav Noske, ancien ministre de la Défense ayant piloté l'écrasement des spartakistes berlinois. C'était en janvier 1919, autant dire hier [3].

Le Zentrum est une baudruche capitaliste et catholique qui, attentive au vent, vire de plus en plus à droite. De Brüning à Von Papen, il fournit ces chanceliers qui vont réfléchir à toutes les combinaisons possibles pour stabiliser le Reichstag et neutraliser les nazis en tentant vainement de se les acoquiner ou de les battre dans d'incessantes élections. Impossible équation surtout quand, dans le même élan, il faut permettre aux possédants de continuer à engranger des profits tout en saignant la plèbe. L'élection de Von Papen en 1932 est à ce sujet révélatrice au plus haut point. Son cabinet ministériel, vrai « cabinet de barons », « est en effet un assemblage, inédit depuis 1918, de tout ce que les élites patrimoniales du capital industriel, bancaire, agrarien, aristocratique et militaire offrent de plus caricatural. Dans la France actuelle, compare l'historien, on parlerait de gouvernement hors-sol, de gouvernement de millionnaires, de ministres déconnectés et dépourvus de toute légitimité ».

En embuscade au fond du bois, le NSDAP attend son heure. Son acronyme (Parti national-socialiste des travailleurs allemands) ne trompe que les imbéciles. Les travailleurs désireux d'améliorer leur condition pourront aller se brosser, l'adjectif « socialiste » du parti n'étant là que pour séduire des masses essorées et les détourner des communistes du KPD : « antimarxiste, le NSDAP prône le respect de la propriété privée, l'adhésion à l'économie de marché et la dérégulation sociale », rappelle Chapoutot. Invité à maintes reprises à discourir dans des clubs patronaux, Hitler a fait les comptes : « Nous avons en Allemagne 15 millions de gens qui ont une orientation antinationale et, aussi longtemps que ces 15 millions […] ne seront pas ramenés dans le giron du sentiment national commun, tout ce que l'on dit à propos du relèvement économique et du relèvement national n'est que du bavardage sans intérêt. » La lutte des races plutôt que la lutte des classes. L'opération séduction lancée par Hitler à l'attention du patronat est un succès : « la solution nazie est privilégiée par le monde des affaires après les élections du 6 novembre 1932 ». Trop instable, la démocratie parlementaire de Weimar n'est plus ce cadre permettant au capitalisme d'outre-Rhin de turbiner plein gaz. Il faut purger le corps social de ses éléments parasites.

Il faut aussi lire avec attention le solide épilogue qui vient clore la magistrale démonstration opérée par Johann Chapoutot. Il y explique tout : sa démarche, sa « philosophie », ses audaces patiemment étayées. Il sait le point Godwin qu'on va lui fourrer sous le nez, le sempiternel « comparaison n'est pas raison » qu'on va lui opposer. L'historien rappelle qu'en sciences sociales l'objectivité, vue comme gage de neutralité et donc d'impartialité, n'existe pas. Une fumisterie de planqué ou de courtisan. À l'« objectivité », l'historien préfère l'« honnêteté ». Notamment celle de démontrer, faits à l'appui, que les « centristes », mais pas qu'eux, ont été ces idiots utiles grâce auquel le fascisme a gangrené la vieille Europe.

Tout comme le nazisme, l'extrême-centre, fief des « libéraux autoritaires » a une histoire plus ancienne qu'il n'y paraît. L'historien Pierre Serna la fait remonter aux premières années du Directoire qui viennent clore, brutalement, la séquence émancipatrice de la Révolution française. Régime censitaire, spéculation, appétit guerrier : sous son apparente bienveillance et tempérance, le bloc bourgeois nous tond la laine sur le dos depuis plus de deux siècles. N'en déplaise aux amnésiques anémiés de France Inter, on a le droit d'être lassés et légèrement énervés.

Sébastien NAVARRO


[1] Enzo Traverso, La Violence nazie, une généalogie européenne, La Fabrique, 2002.

[2] Johann Chapoutot, Libres d'obéir : le management, du nazisme à aujourd'hui, Gallimard, 2020.

[3] Gustav Noske (1868-1949), député de l'aile droite de la social-démocratie allemande, fut en charge de mater, fin octobre 1918, la révolte des marins de la ville de Kiel dont il était gouverneur. Au vu de sa réussite et alors qu'il était devenu, en récompense, ministre de la Défense, le chancelier social-démocrate Ebert lui renouvela, en janvier 1919, son contrat avec pour mission, cette fois, d'écraser l'insurrection spartakiste berlinoise, tâche à laquelle Noske se livra avec zèle. C'est à son crédit qu'il faut mettre la traque et l'assassinat de Karl Liebknecht et de Rosa Luxemburg, justifiés par avance par cette déclaration : « Si l'un d'entre nous doit être le chien sanglant, je ne crains pas la responsabilité. » Dans la mémoire de la gauche révolutionnaire allemande, cette mare de sang fit tache indélébile.

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23.09.2025 à 10:36

L'ombre haute de Carlo Cafiero

F.G.

Ce texte d'Emile Carme fut initialement publié sur le site « Ballast » sous le titre original de « Carlo Cafiero : chacun pour tous, tous pour chacun ». Paris porte le deuil depuis six ans : la République a sabré la Commune. Certains de ses survivants croupissent en Nouvelle-Calédonie et Karl Marx, de Londres, commentait : « Après chaque révolution, qui marque un progrès de la lutte des classes, le caractère purement répressif du pouvoir d'État apparaît de façon de plus en plus ouverte (…)

- Odradek
Texte intégral (798 mots)


Ce texte d'Emile Carme fut initialement publié sur le site « Ballast »
sous le titre original de « Carlo Cafiero : chacun pour tous, tous pour chacun ».


Paris porte le deuil depuis six ans : la République a sabré la Commune. Certains de ses survivants croupissent en Nouvelle-Calédonie et Karl Marx, de Londres, commentait : « Après chaque révolution, qui marque un progrès de la lutte des classes, le caractère purement répressif du pouvoir d'État apparaît de façon de plus en plus ouverte [1]. » La Première Internationale a éclaté sous les coups de boutoir des gouvernements européens et les dissensions en son sein. Le mouvement ouvrier est exsangue. Bakounine est mort il y a peu et Blanqui purge sa peine derrière les barreaux de Clairvaux, dans l'Aube. Le décor, ainsi planté, n'augure que peu d'espoirs émancipateurs ; un groupe d'hommes tente pourtant, ce 8 avril 1877, de contrarier l'air du temps. Le village de Letino, situé à 180 kilomètres au sud de Rome, compte un peu plus d'un millier d'âmes ; trente révolutionnaires environ [2] y pénètrent un dimanche matin.

Carlo Cafiero et Errico Malatesta, moins de soixante ans à eux deux, avaient élaboré ce projet de concert. La région est connue pour ses soulèvements populaires, son brigandage et son hostilité à l'État unificateur du Padre della Patria, le roi Victor-Emmanuel II. Un espace clé pour lancer un soulèvement révolutionnaire, d'autant que ses reliefs montagneux entraveront les forces militaro-étatiques dans la guérilla que leur opération ne manquera pas de déclencher. Les discours ne suffisent plus ; les analyses s'entassent sous les bonnes intentions ; les réunions et les livres végètent en vase clos : il faut agir, pensent-ils, incarner le socialisme, le matérialiser par une pratique insurrectionnelle. Non plus la promesse d'un Paradis sur terre, tombé d'on ne sait quelle grâce dialectique, mais la mise en œuvre hic et nunc des intuitions ou des programmes révolutionnaires. Les révolutionnaires annoncent aux paysans rassemblés qu'ils sont en train de libérer leur village de la tutelle monarchique : le socialisme s'apprête enfin à prendre ses quartiers ! « Vive l'Internationale ! Vive la République communiste de Letino ! » Les habitants, déroutés mais enthousiastes les écoutent parler de l'abolition des impôts et de la conscription. Cafiero s'exprime en dialecte et promet une nouvelle société, sans militaires ni propriétaires, sans esclaves ni maîtres (tous ses autres compagnons, à l'exception de Malatesta, n'entendent goutte de la langue des locaux). Le communisme libertaire, en somme, auquel Cafiero œuvre depuis sa rupture avec les deux auteurs du Manifeste du parti communiste et sa rencontre avec l'anarchiste russe Bakounine.

La suite est à lire ici

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[1] Karl Marx, La Commune de Paris, Le Temps des cerises, 2013, p. 42.

[2] Selon les sources, on compte vingt-six, vingt-sept ou trente personnes. Certaines se montrent plus approximatives — à l'instar de Daniel Guérin qui, dans Ni Dieu ni maître, parle d'environ trente personnes. Dans La Fédération jurassienne (Canevas éditeur, p. 186.), Marianne Enckell évoque une « petite bande armée ».

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17.09.2025 à 08:04

Bilan d'étape

F.G.

Bien sûr, il y eut du monde partout en France. Bien sûr, la jeunesse était au rendez-vous. Bien sûr, il y eut des grévistes en nombre relativement important. Bien sûr, au soir de cette journée du 10 septembre 2025, il y avait des motifs de se réjouir. Ou de se rassurer. Même si, il faut bien en convenir, sur bien des visages on pouvait lire un sentiment de déception. Loin de nous l'idée de contester le caractère massif de la mobilisation, et ce malgré les annonces du psychopathe de (…)

- Odradek
Texte intégral (676 mots)


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Bien sûr, il y eut du monde partout en France. Bien sûr, la jeunesse était au rendez-vous. Bien sûr, il y eut des grévistes en nombre relativement important. Bien sûr, au soir de cette journée du 10 septembre 2025, il y avait des motifs de se réjouir. Ou de se rassurer. Même si, il faut bien en convenir, sur bien des visages on pouvait lire un sentiment de déception.

Loin de nous l'idée de contester le caractère massif de la mobilisation, et ce malgré les annonces du psychopathe de l'Intérieur qui annonça la veille que 80 000 flics seraient sur le pied de guerre et visiblement prêts à en découdre. Et ils l'étaient, dopés à la haine du rouge, jouissant de leurs méfaits, calculant leurs putains de primes. Une meute, une vraie, celle-là. En face, des cortèges certes combatifs mais peu préparés, comme égarés parfois, sans vraie stratégie. Les points de blocage s'en sont ressentis. Pour l'essentiel, ils ont été vite débloqués, en tout cas inexistants sur la durée.

L'appel à « tout bloquer » nous avait été présenté, par les journaleux mais pas seulement, comme un retour des Gilets jaunes sur la scène offensive, ce qui annonçait un mouvement social prometteur. Mais il faut bien reconnaître que, si des Gilets jaunes étaient bien là, ils n'ont pas fait le plein, ce qui, entre nous, ne devrait étonner personne tant ils en ont pris plein la gueule, en 2018-2019, sans obtenir de réel soutien, à quelques rares exceptions près, des syndicalistes et des gauchistes. Ce sont là des blessures qui laissent des traces.

Au bout du compte, si la journée du 10 fut un succès en nombre, elle n'ouvrit aucun espace à une perpétuation, sous une forme ou sous une autre, des actions de réappropriation d'espaces et de blocage de lieux stratégiques. En clair, elle se termina dans un flou étrange. Comme une manifestation syndicale quand l'heure est venue de rentrer au bercail. On sait, cela dit, qu'ici et là, nombreuses furent les très vivantes assemblées générales qui se réunirent, que des contacts à la base ont été pris pour radicaliser, tant que faire se peut, le mouvement syndical de grève (générale ?) du 18 septembre et les actions qui la ponctueront. On verra bien, car là encore le nombre ne suffira pas, même s'il est majestueux.

Le pouvoir, ou ce qu'il en reste, n'est pas tranquille, ça se sent. Il en faudra plus, cela dit, beaucoup plus, pour qu'il se sente menacé, voire cerné. C'est ce mouvement insaisissable qu'il faut construire ou renforcer. D'où l'importance d'un saut qualitatif dans l'action. On sait que bien des bases syndicales, et au-delà, en ressentent la nécessité. Reste à s'en donner les moyens en faisant preuve d'imagination et d'irrespect. Le vieux mouvement ouvrier en avait à revendre. Il suffit de se reporter à ses belles heures pour en remplir sa besace à idées. Et de les remettre au goût du jour. Dans le même esprit de résistance déterminée.

Freddy GOMEZ

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15.09.2025 à 10:29

Curée vers l'or

F.G.

■ Nicolas ROUILLÉ L'OR ET L'ARSENIC Historie orale d'une vallée minière Anacharsis, 2024, 318 p. Fabriquer un bouquin avec des témoignages est une prise de risque. Les gens se confient ; sur un bloc ou via un dictaphone, leur voix est captée, voire capturée ; plus tard l'auteur devra s'adonner à l'exercice fastidieux de la retranscription. Mais le plus dur reste à venir : trahir la voix pour mieux la restituer, car rarement le témoignage est reproduit in extenso. Dans son passage à l'écrit, (…)

- Recensions et études critiques
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■ Nicolas ROUILLÉ
L'OR ET L'ARSENIC
Historie orale d'une vallée minière

Anacharsis, 2024, 318 p.


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Fabriquer un bouquin avec des témoignages est une prise de risque. Les gens se confient ; sur un bloc ou via un dictaphone, leur voix est captée, voire capturée ; plus tard l'auteur devra s'adonner à l'exercice fastidieux de la retranscription. Mais le plus dur reste à venir : trahir la voix pour mieux la restituer, car rarement le témoignage est reproduit in extenso. Dans son passage à l'écrit, la matière orale subit une véritable transformation. J'ai appris à faire sur le tas, lors de ma collaboration avec le mensuel de critique sociale CQFD. Au début je n'osais pas toucher aux mots de mes interlocuteurs. De quel droit aurais-je modifié leur expression ? Et puis on m'a fait comprendre que ça ne fonctionnait pas comme ça. L'entretien est un matériau brut destiné à étayer un argumentaire. Il faut le sabrer, le découper en morceaux modulables, reformuler parfois. L'art du journaliste/écrivain – son éthique – consiste à travailler la susdite matière sans l'altérer, avec comme unique boussole celle de ne pas trahir la pensée du causeur. Autant dire que l'exercice est casse-gueule.

Fin 2019, la sortie de Panchot, mon premier bouquin [1], fut cuisante. Sur un socle fictionnel, une myriade d'entretiens (notamment avec des historiens) constituait l'ossature conflictuelle du bouquin. Une poignée d'interviewés encolérés me reprochèrent de ne pas avoir fait valider leurs propos [2]. Faut dire que certains d'entre eux s'étaient exprimés avec un franc-parler qui avait fait mon miel. J'ai toujours aimé ça la provoc, les gros mots, les coups de sang. La langue de bois passée à la cognée. Mes contempteurs étaient d'un tout autre avis. Ils tenaient à maîtriser leur expression, réflexe tout à fait compréhensible. Mais le mal était fait, le bouquin circulait et révélait, en creux, que l'histoire n'avait rien d'une discipline apaisée.

Mais il y eut pire : un historien me reprocha vertement d'avoir fait paraître son témoignage sans son accord explicite. Il avait en partie raison, notre échange étant resté dans un flou jamais éclairci. Moralement, je m'effondrai et compris qu'à force de brouiller les frontières entre fiction et récit, j'avais « déréalisé » mon bonhomme pour les besoins de l'histoire que je tenais à raconter. Les menaces de procès s'accumulèrent et je passai mon premier Noël sous anxiolytiques. Les semaines s'écoulèrent, tout se tassa. Des années plus tard, la faute morale demeure ; tache sur le plastron d'un plumitif provincial. Abordant L'Or et l'Arsenic de Nicolas Rouillé, je repensais à cet épisode douloureux ; à ceci près que chez Rouillé, les témoignages ne sont pas là pour faire gazer un auteur mais pour s'y substituer. L'Or et l'Arsenic, joliment sous-titré « Histoire orale d'une vallée minière », est pur dialogue – ou plutôt purs dialogues. À rebours des Narcisse de la chose romanesque, Rouillé s'est éclipsé dans les coulisses de son œuvre. Souffleur ? Surtout pas. Plutôt humble porte-voix. Un choix qui l'honore.

« Des truands, des gardes-chiourmes et des putes ! »

Au-dessus de Carcassonne, dans ce département de l'Aude sinistré cet été par un mégafeu, se niche la vallée de l'Orbiel – du nom de la rivière qui la traverse. Entre les villages de Lastours, Villanière et Salsigne furent exploitées la plus grande mine d'or d'Europe et la plus grande mine d'arsenic du monde. Voilà pour le palmarès hors norme d'un département plutôt connu pour son héritage cathare, son pinard et son 37,2° le matin. Après plus d'un siècle d'activité, l'extraction minière cesse en 2004. L'affaire aurait pu en rester là et s'inscrire dans le récit de l'irrésistible déclin industriel français. Mais en 2018, suite à de sévères inondations, des tonnes de matières issues de l'activité minière (arsenic, plomb, aluminium, etc.) filent dans la nature et accouchent d'une contamination des sols et des cours d'eau alarmante. Affolées, des familles de riverains font analyser les cheveux de leurs mouflets. 58 bambins sont reconnus surexposés à l'arsenic. Échantillon non exhaustif. Humant le scandale et le sensationnel à peu de frais, la presse déboule et déclare que sous ses faux airs de carte postale, la vallée de l'Orbiel est une cuvette chimique. Le fait div' provoque des émois, l'Agence régionale de santé (ARS) multiplie les rapports, l'État est condamné à réparer le « préjudice écologique constaté ». Si la situation est catastrophique, elle est surtout documentée et commentée. C'est beau une démocratie sanitaire qui fonctionne.

Quand Nicolas Rouillé débarque dans la vallée, ce n'est pas pour se lancer dans un micro-trottoir racoleur. Il vient de publier Timika, western papou, fiction polareuse qui se déroule en Papouasie occidentale sur fond de sauvage exploitation aurifère. Résidant à Toulouse, Rouillé est tombé de haut en découvrant le passé minier du département voisin de l'Aude. Il décroche son premier entretien avec un ancien délégué mineur. Qui sera le début d'une longue série. Au final, entre novembre 2020 et mai 2023, il s'entretient avec 140 personnes, parmi lesquelles des métallos du site industriel (où étaient traités les minerais), des anciens mineurs, des historiens, un préfet, des riverains, des ingénieurs, un orpailleur, une apicultrice, un chasseur, un paysan-boulanger, etc. À l'arrivée, 200 heures d'enregistrement qu'il a fallu restituer sous la forme digeste et dynamique d'un livre. Le résultat est tout simplement épatant. L'Or et l'Arsenic est, à part quelques propos liminaires de l'auteur, un dispositif choral où ça cause du début à la fin. Avec cette idée de raconter une vallée paysanne soudain dynamitée par la fièvre extractiviste. Dans ce canevas logorrhéique, les propos se complètent, se choquent, se relativisent, se contredisent. Bref, ça cause comme au café du coin, le BAC + 4 avec son vocabulaire compassé, l'ouvrier avec sa jactance imagée. Bien évidemment, c'est le parler « populaire » qui enfièvre la lecture. Exemple : en 1992, les Australiens mettent la main sur la mine d'or :

« Qu'est-ce que c'est un Australien ? C'est un type qui a réussi à faire disparaître globalement tout ce qui était natif de cette putain d'île.
Ils sont un peu cow-boys, au début ils nous prenaient pour des kangourous !
À l'origine, c'est des truands, des gardes-chiourmes et des putes ! Tu parles d'une population !
Ce sont les meilleurs pour l'or, avec les Canadiens et les Russes. Vous les retrouvez partout dans le monde, ils ont la compétence technique.
Ils étaient venus faire du fric, pas pour rester. (…)
Ils étaient venus un peu en colonialistes, en disant : “On va vous montrer ce qu'on sait faire”.
Ils se sont conduits comme les Français en Afrique. Ils venaient en colons. C'est malheureusement la mentalité dans les mines. »

Internationale du macabre

Nicolas Rouillé a peut-être un blaze prédestiné, en tout cas il a senti le filon. Non seulement il s'est effacé de son texte mais il fait causer les témoins sans préciser leur identité. Seul un tiret annonce une nouvelle voix et au lecteur de deviner qui cause. En résulte une lecture dynamique, vivante où les paroles se répondent en écho, formant à l'arrivée un puzzle instable – à l'image de cette terre de l'Orbiel soudain industrialisée, peuplée, communautarisée, soudée et arrimée au topos ouvriériste mais aussi défoncée, creusée, explosée, noyée, gazée puis finalement stérilisée sous l'égide du progrès. En débarquant dans la vallée, Rouillé sait que l'histoire finit mal mais il n'est pas là pour faire la leçon, ni dire au lecteur quoi penser. Si les faits ne parlent pas suffisamment d'eux-mêmes alors ça sera aux premiers concernés de raconter leur condition passée et présente entre déni, fierté, colère, fatigue, lucidité et relativisme déculpabilisant. Une des forces de L'Or et l'Arsenic est de nous permettre de toucher du doigt cette communauté qui fut tissée autour de la mine. C'est que le mineur d'or jouit d'une réputation ambivalente par rapport à l'aura zolienne du mineur de charbon. « Il y a le côté doré des choses, le merveilleux, la couleur du soleil, la bijouterie, la beauté. (…) Mais l'or évoque aussi la cupidité, ça évoque des magouilles, l'appât de l'or, résume Pierre-Christian, historien des sciences et des techniques. Et puis quand on regarde comment il est extrait, là ça commence à devenir dérangeant. Il ne faut pas nier les pollutions au mercure, les accidents qu'il y a eu avec le cyanure, notamment en Roumanie. »

Qu'importe puisque les mineurs de Salsigne se voyaient comme une petite aristocratie ouvrière mieux payée que les fonctionnaires de la ville. Des intrépides, durs au mal, solidaires. Tout autour s'organisait la cité ouvrière avec ses baraques, ses bars, ses grèves, ses fêtes de Sainte-Barbe, patronne (non pas des hipsters, mais des mineurs) ; un monde hiérarchisé avec ses autochtones, ses immigrés et sa chefferie plus ou moins lointaine. Sans oublier le boucan récurrent de la dynamite, la guerre au paysage avec ces chevalements à gueule d'interminable potence et ses béances sans fond. La mine est une dialectique difficile à dépasser : à la fois escarre terrestre et cœur de vie économique. Entre les pages dialoguées, le livre propose une série d'autoportraits où des gens de tous horizons (Paulette la sténodactylo, Yves le mécano croate, Peter le banquier anglais, Fabienne la secrétaire de la sécu minière, etc.) se racontent en quelques lignes. D'origine kabyle, Lachemi est de la troisième génération d'hommes de sa famille à ramper dans les boyaux de Salsigne. Dans un élan lucide, il résume le calcul racial de la mine : « Et pourquoi ils prenaient des Kabyles ? Parce que c'étaient des bosseurs et qu'ils fermaient leur gueule ! »

Les mineurs ? Un boulot éreintant où le corps se compresse en lombric et les poumons empoussiérés se défont en silicose. La règle du jeu est connue. Chercheuse en santé publique et en santé au travail, Annie résume le deal : « Mieux vaut un travail et un cancer à la clé, mais dans longtemps, que pas de travail du tout. ». Une gueule noire fait les comptes : « J'en ai connu un, deux, trois qui sont morts. Éboulement tous les trois. Un Polonais, un Algérien et un Espagnol. C'est la destinée de chacun. » Internationale du macabre.

Midas juché sur ses lingots

On finit par la toucher du doigt cette infernale aliénation. En régime capitaliste, les mineurs sont des travailleurs aliénés comme les autres. Stigmate retourné, la fierté ouvrière est cette ressource morale qui permet de tenir dans une vie du pire. Après avoir rampé dans la nuit des boyaux, on se redresse et on bombe le torse. La dignité est d'abord affaire de tenue et de vertèbres à la verticale. « Prolétaire » est une condition objectivable et une métaphysique aux angles vaseux. Les valeureux se sont construits une éthique ; faut bien vivre putain – quitte à en crever. Tout le monde sait que l'arsenic fout de l'eczéma et bouffe les cloisons nasales mais qui savait qu'en pleine guerre du Vietnam des tonnes de ce poison sorties de Salsigne filaient dans les usines amerloques pour fabriquer l'agent orange ?

Inusable antienne : on ne mord pas la main qui vous nourrit. Même si la main en question appartient à un Midas juché sur ses lingots.

« Moi, de toute façon, je peux rien dire contre la mine. Rien du tout ! Au contraire, je peux en dire que du bien, parce que la mine elle a fait du bien à tout le monde. Quand elle a fermé, il y en a beaucoup qui ont pleuré, dans l'Aude.
La mine, je le dis clairement, elle m'a fait bouffer donc je ne cracherai pas dans la soupe. Je n'étais pas obligé d'y aller. Je pense qu'on a travaillé correctement, la direction n'était pas malsaine, il y avait un syndicat qui était important et les gens pouvaient travailler dans de bonnes conditions. Bon, après, c'est une mine. C'est sûr que j'aime la nature, vous voyez où je vis. Il faut trouver le juste équilibre. »

Le juste équilibre. Pourquoi pas la mine équitable ou écoresponsable tant qu'on y est ? Et puis bientôt des smartphones en fibre végétale et la Tour Eiffel en pisé. Tous résilients, tous biodégradables, tous recyclés. En attendant ce futur vertueux, quand la mine de Salsigne a fermé, la préfectance n'a rien trouvé de mieux que de projeter la construction d'un centre d'enfouissement d'ordures ménagères sur le domaine de Lassac. Face à une bronca générale et à une procédure judiciaire révélant les magouilles habituelles, les mercenaires de l'État ont dû renoncer à leur idée de faire de l'Orbiel un dépotoir définitif. Un indigène autant énervé qu'inspiré commente : « La vallée de l'Orbiel, c'est la pute du département ! J'ai entendu ça à une réunion pour Lassac. J'avais trouvé l'image pas mal, parce qu'après la pollution de la mine avoir le toupet de vouloir y déposer les ordures ménagères de tout le département… c'est vraiment la pute : maintenant qu'elle a été souillée, allons-y gaiement ! C'est l'éjaculation de tous les Audois sur la vallée ! J'avais trouvé l'image crue mais vraie : une vieille pute de l'ère primaire avec sa rivière. »

Plaisir de la provoc, des gros mots, des coups de sang, disais-je plus haut. Langue de bois passée à la cognée. Ça soulage et ça maintient les nerfs à vif. Car qui sait d'où viendra la prochaine fumisterie ?

Récemment le cours de l'or a dépassé son niveau record de 3 500 dollars l'once. Salsigne, telle un phénix, prête à renaître de ses cendres contaminées ? La question se pose : « Au fond de la mine, on a un potentiel de vingt ans d'exploitation. Seulement c'est toujours pareil, c'est une question financière. »

Gageons que les saccageurs sauront trouver l'oseille.

Sébastien NAVARRO


[1] Sébastien Navarro, Panchot, Alter Ego Éditions, 2019.

[2] La validation des propos est à la discrétion de l'auteur. Aucun texte légal ne l'y oblige.

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10.09.2025 à 09:46

De l'huile sur le feu

F.G.

L'État est un bon gestionnaire. Il dilapide l'argent qu'il extorque aux salariés, et quand les caisses sont vides, il les maltraite davantage. Les maigres compensations des services publics ne l'intéressent plus. Ce qui compte, c'est gorger les propriétaires d'argent public, de gaver cette classe qui, au lieu de payer des impôts, les captent sous forme de contrats d'État ou d'« aides aux entreprises ». Aucun gouvernement ne s'embarrasse plus d'acheter la paix sociale. Il faut que la phynance (…)

- Odradek
Texte intégral (538 mots)


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L'État est un bon gestionnaire. Il dilapide l'argent qu'il extorque aux salariés, et quand les caisses sont vides, il les maltraite davantage. Les maigres compensations des services publics ne l'intéressent plus. Ce qui compte, c'est gorger les propriétaires d'argent public, de gaver cette classe qui, au lieu de payer des impôts, les captent sous forme de contrats d'État ou d'« aides aux entreprises ». Aucun gouvernement ne s'embarrasse plus d'acheter la paix sociale. Il faut que la phynance publique devienne richesse privée, et voilà tout.

De là tous les déficits qui, par un étrange retournement des lois économiques, permettent au débiteur qu'est l'État de saigner davantage ses véritables créanciers. Ceux qui vivent de son argent accusent la population de vivre au-dessus de ses moyens. Il faut bien que quelqu'un paie la vaisselle de l'Élysée, les garden-parties, le faste du pouvoir, les intérêts des banques et, pourquoi pas, une guerre à venir.

Si la masse des travailleurs se révolte, l'État doit avoir de quoi faire rentrer dans le rang la plèbe pour qu'elle charbonne et consomme, crache à nouveau ses impôts. Magie de l'aliénation : c'est encore son argent qui lui revient, sous forme de matraque, gaz et grenade, et qui sert à payer les porcs qui la passe à tabac.

Toutes ces dépenses, tous ces efforts de l'État ne servent finalement qu'un but : entretenir la dynamique économique d'un capitalisme mourant qui, en plus de nous voler notre vie, est en train de tout détruire. Il faudrait qu'on lui sacrifie encore deux jours par an de notre existence, sans même être payés, qu'on le laisse accaparer l'eau des nappes phréatiques, polluer les champs, courtiser les incendies et les épidémies. La France des honnêtes gens peut être fière de trimer et de payer ses taxes : elle nourrit ses empoisonneurs, qui rient au nez des cancéreux.

Un pouvoir si cynique, si fascisant, capable de violer des élections qu'il a lui-même convoquées et de rester sourd à des manifestations massives, ne se combat pas à coups de pétition.

Les Gilets jaunes l'avaient compris.

Le 10 septembre est l'occasion de leur rendre hommage – et peut-être de faire mieux.

GROUPE LUDDITE INTERNATIONAL
10 septembre 2025.

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08.09.2025 à 10:39

Plaidoyer pour un révisionnisme de guerre

F.G.

■ Avec cette recension de Pierre Souyri , nous inaugurons une nouvelle sous-rubrique – « Pages d'hier ». Ces textes pourront indifféremment prendre leur place dans les rubriques « Recensions et études critiques » ou « Spanish Cockpit » au vu des thématiques qu'elles aborderont. Il s'agira, pour nous, de puiser aux archives de quelques « grandes plumes » pour redonner un peu de lumière à des traces de l'ancien temps qui n'ont rien perdu de leur pertinence. Cet article a été originellement (…)

- Pages d'hier
Texte intégral (2284 mots)
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■ Avec cette recension de Pierre Souyri [1], nous inaugurons une nouvelle sous-rubrique – « Pages d'hier ». Ces textes pourront indifféremment prendre leur place dans les rubriques « Recensions et études critiques » ou « Spanish Cockpit » au vu des thématiques qu'elles aborderont. Il s'agira, pour nous, de puiser aux archives de quelques « grandes plumes » pour redonner un peu de lumière à des traces de l'ancien temps qui n'ont rien perdu de leur pertinence. Cet article a été originellement publié, sous le titre « Un plaidoyer pour l'anarchisme espagnol », dans la revue Les Annales : économies, sociétés, civilisation, 25e année, n° 2, 1970, pp. 402-404. À propos de l'ouvrage de César Lorenzo dont il est question ici, nous renvoyons à la recension critique que nous lui avons consacrée, à l'occasion de sa réédition très augmentée, en 2006, sous le titre Le Mouvement anarchiste en Espagne : pouvoir et révolution sociale [2]. Bonne lecture et bonne reprise ! – À contretemps.



■ César M. LORENZO
LES ANARCHISTES ESPAGNOLS ET LE POUVOIR
(1868-1969)
Le Seuil, collection Esprit, 1969, 430 p.


L'histoire de l'anarchisme espagnol est encore mal connue en France : articles, brochures, mémoires de militants, polémiques sur ce qui se passa au cours de la guerre civile de 1936 se comptent par centaines, mais il n'existait pas encore, en langue française, à l'exception du livre de D. Guérin, d'ouvrage s'efforçant de donner une vue d'ensemble de la question.

Le livre de César M. Lorenzo, qui a utilisé une importante documentation, comble partiellement cette lacune, encore qu'on ne puisse pas le considérer tout à fait comme une étude historique : il s'agit d'un livre engagé, qui prend souvent la forme d'un plaidoyer en faveur des fractions de l'anarchisme qui, au cours de la guerre civile, s'engageront dans une politique de participation ministérielle au côté des autres formations antifascistes.

Pour С. M. Lorenzo, les organisations anarchistes abordaient 1936 dans un état dramatique d'impréparation aux tâches révolutionnaires qui allaient leur échoir. Imbus de vues utopiques davantage empruntées à Malatesta et aux théoriciens de l'« acratisme » qu'à Bakounine, enfermés dans un véritable fétichisme de l'idée pure et de l'apolitisme, ignorant à peu près tout des questions économiques et militaires, inconscients des problèmes internationaux, les anarchistes nourrissaient trop souvent leurs rêves de mythes simples : le communisme libertaire était conçu comme un âge d'or qui naîtrait d'un seul coup, d'une action directe et violente détruisant les institutions maléfiques. Des tentatives avaient pourtant été faites pour donner au mouvement des conceptions plus réalistes. Mais ni le « possibilisme » libertaire de Salvador Segui, ni l'« anarcho-bolchevisme » de García Oliver, ni les propositions faites par Angel Pestaña pour faire accepter l'idée d'un parti syndicaliste, n'étaient parvenus à triompher de l'intransigeance sectaire de la FAI (Fédération anarchiste ibérique), qui se claquemurait dans son univers de rêves.

Encore faudrait-il reconnaître que ces rêveurs avaient suscité et entretenu, dans le prolétariat et dans une partie de la paysannerie, un sens de l'action directe et une tradition de l'héroïsme dans le combat de rue qui ne furent pas sans efficacité en juillet 1936. Si les militants de la CNT (Confédération nationale du travail) et de la FAI, au lieu d'être animés par le mépris le plus total pour les ruses de l'action politicienne, avaient été, dès longtemps, intégrés à des organisations ayant l'habitude de la manœuvre, de la négociation et du compromis, auraient-ils eu l'audace de s'opposer, sans délai et presque sans armes, à la révolte des troupes franquistes, puis d'entamer, de leur propre initiative, en Catalogne et en Aragon, une des révolutions les plus radicales du siècle ? Mais il est aussi vrai que l'état d'esprit des libertaires constitua parfois un handicap pour la révolution. Non pas qu'il faille imputer à l'anarchisme toute la responsabilité du formidable émiettement des pouvoirs et des centres de décision qui se produisit après le 19 juillet 1936 et se traduisit par une foule d'initiatives locales, désordonnées, abusives et parfois meurtrières – la lutte contre les fascistes aboutit çà et là à des tueries aveugles et, plus rarement, à des actes de pillages. Cette situation résultait avant tout de l'écroulement soudain de toutes les autorités et, à travers cette « chaotisation » de la vie sociale, s'opérait aussi l'affirmation d'un nouveau pouvoir révolutionnaire issu de l'action des ouvriers et des paysans. Les anarchistes ne furent pas que des désorganisateurs : ces fanatiques de l'idée libertaire furent très vite amenés à exercer des pouvoirs de police, à organiser des tribunaux, à discipliner rudement les colonnes qui partaient pour le front et à user de la force pour imposer les décisions les plus urgentes. En Catalogne et en Aragon, surtout, ce furent souvent les patrouilles de contrôle de la CNT qui mirent un terme aux exécutions sommaires et entreprirent de faire respecter un ordre fort rigoureux au nom des comités qui se mirent rapidement à l'ouvrage pour permettre à l'économie collectivisée de fonctionner.

Il reste que les principes de l'anarchisme supportèrent mal d'être confrontés avec les exigences de la pratique révolutionnaire. Les militants de la CNT et de la FAI durent souvent, pour agir, ruser avec leur propre idéologie et se dissimuler à eux-mêmes le sens effectif de leur action : en Aragon, la CNT devint, en dépit de tout ce qu'elle aurait voulu être, une sorte de parti unique exerçant vigoureusement la dictature révolutionnaire. Les impératifs de la lutte provoquèrent ainsi une dissociation entre l'idée et la pratique effective et, dès lors, les voies étaient ouvertes pour que l'anarchisme s'achemine par étapes, au nom du réalisme, vers une révision de ses propres principes.

Les anarchistes qui prétendaient se situer à gauche de tous les courants révolutionnaires s'orientèrent, non pas vers la formation d'un pouvoir s'appuyant sur les divers organismes de démocratie directe mis en place par les ouvriers et les paysans en juillet 1936, mais vers la participation ministérielle au gouvernement bourgeois. Dès le 27 septembre, en dépit des réticences de militants qui, comme García Oliver, s'étaient prononcés pour l'établissement d'une dictature révolutionnaire, les hommes de la CNT participent au gouvernement catalan. Le 4 novembre 1936, ils entrent au gouvernement de Madrid.

С. M. Lorenzo expose longuement leurs justifications telles qu'elles ont été, dès l'été 1936, formulées par des leaders « révisionnistes » comme Horacio Martínez. Les forces libertaires, qui ne se sont puissamment développées qu'en Catalogne et en Aragon, n'ont pas la possibilité de triompher, sans une deuxième guerre civile, des autres forces antifascistes hostiles à l'accomplissement, elle, d'une révolution sociale. Parviendrait- d'ailleurs, à s'imposer à l'intérieur de l'Espagne antifranquiste, que la révolution libertaire se trouverait de toute manière dans l'impasse : l'Europe capitaliste tout entière, qu'elle soit fasciste ou démocratique, agirait pour l'étouffer et la briser. Il ne reste aux anarchistes d'autre possibilité que de renoncer à l'impossible pour se consacrer entièrement à la lutte antifasciste.

Cependant, à l'automne 1936, les anarchistes ne sont pas encore, comme on le dira plus tard, « prêts à renoncer à tout, sauf à la victoire » sur le fascisme. Il est vrai qu'ils font alors valoir qu'en entrant au gouvernement et en s'incorporant aux divers rouages de l'appareil d'État, ils fourniront – bien mieux que les politiciens républicains et socialistes qui, après avoir participé aux pires opérations de répression contre les travailleurs dans les années 1930, n'ont cessé depuis juillet 1936 d'hésiter et de tergiverser – une direction résolue et efficace dans la lutte contre le franquisme. Mais surtout ils prétendent qu'en devenant eux-mêmes des représentants des pouvoirs publics, ils parviendront à paralyser les tentatives de réaction, qui déjà se dessinent contre les collectivisations, et à sauvegarder l'essentiel des conquêtes sociales de juillet 1936. Les journaux anarchistes vont alors jusqu'à prétendre que l'État est devenu une « force neutre » et qu'il sera possible d'utiliser sa puissance pour consolider le socialisme naissant. Le révisionnisme anarchiste aboutit à des conceptions qui paraissent largement apparentées à celles des marxistes réformistes.

En fait, ministres et fonctionnaires anarchistes ne sauveront à peu près rien. En Catalogne et en Aragon, les couches petites-bourgeoises, épaulées par les communistes et par l'Union générale du travail (UGT, syndicat socialiste), qui servira souvent d'élément organisateur aux petits propriétaires, reconstituent leurs forces et l'État bourgeois, à demi désagrégé par la révolution de juillet 1936, reprend de la vigueur. Dès les premiers mois de 1937, des collisions parfois sanglantes se produisent entre les militants de la CNT et les forces bourgeoises et communistes. Le 2 mai 1937, dans les rues de Barcelone, c'est l'affrontement armé opposant les communistes et leurs alliés bourgeois aux hommes de la CNT et du Parti ouvrier d'unification marxiste (POUM). Mais, redoutant une désorganisation des défenses antifascistes, les dirigeants anarchistes s'inclinent. Dès lors, les exigences de la bourgeoisie et des communistes se font sans cesse plus pressantes et, en août 1937, les divisions communistes et catalanistes écrasent les « collectivités ». Emprisonnés, destitués de leurs commandements et de leurs pouvoirs, les anarchistes sont mis au pas. Il est vrai que, en dépit des violences et des mesures de toutes sortes qui cherchent à les étouffer, les « collectivités » tiennent bon et même parfois se reconstituent. Mais, en tant que mouvement révolutionnaire, l'anarchisme est brisé. Ce sont désormais les éléments les plus conciliateurs qui détiennent le contrôle de ce qu'il reste des organisations libertaires, dont le glissement vers le réformisme se précise.

En mai 1938, la CNT donne son accord pour que soit garanties les « propriétés légitimement acquises » ; en août, elle entre, de concert avec les représentants de l'UGT, du patronat et du gouvernement, dans un Conseil du travail qui aura pour fonction d'arbitrer les conflits entre employeurs et ouvriers ; en décembre, elle se résigne à une restauration du catholicisme. Le syndicalisme anarchiste, qui, depuis 1937, s'est d'ailleurs réorganisé dans un sens centraliste et autoritaire, a perdu sa spécificité. Dominée par une bureaucratie qui a tout accepté pour pouvoir s'intégrer à l'État, elle n'est plus qu'une force d'appoint que républicains et socialistes utilisent désormais contre leurs alliés communistes devenus trop envahissants : ainsi, ce sont des troupes constituées par des militants de la CNT qui exécuteront, contre Negrín et les communistes, la tentative de coup d'État de mars 1939 en vue de mettre un terme à une guerre jugée perdue.

Les querelles, les déchirements, les scissions qui, après 1939, seront le lot des anarchistes contraints à l'émigration – C. M. Lorenzo en retrace longuement les péripéties – ne modifieront plus guère le visage d'un mouvement qui, hormis quelques groupuscules marginaux, continue à apparaître singulièrement assagi.

Pierre SOUYRI


[1] Sur Pierre Souyri, nous renvoyons à la notice que lui a consacrée « le Maitron », dictionnaire en ligne

[2] Cette nouvelle édition de 546 pages, en format 21 x 29,7 fut prise en charge par les vaillantes – au vu de la tâche ! – Éditions libertaires (Chaucre). La recension que Freddy Gomez lui a consacrée : « Trajectoires et mutations de l'anarchisme espagnol » – est consultable ici. [NdÉ.]

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