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18.10.2024 à 11:12

La modération de contenu est un travail traumatisant

Hubert Guillaud

Fascia Berhane Gebrekidan dans un rapport pour Data Workers Inquiry constate les effets dévastateurs de la modération de contenus sur la santé mentale des personnels qui en ont la charge, alors qu’ils sont employés selon des contrats qui ne leur permettent d’accéder à aucun soin adaptés. Les entreprises de la Tech font accomplir leur travail […]

Fascia Berhane Gebrekidan dans un rapport pour Data Workers Inquiry constate les effets dévastateurs de la modération de contenus sur la santé mentale des personnels qui en ont la charge, alors qu’ils sont employés selon des contrats qui ne leur permettent d’accéder à aucun soin adaptés. Les entreprises de la Tech font accomplir leur travail de modération psychologique sans en assumer les conséquences.

18.10.2024 à 07:30

Acculés dans les stéréotypes

Hubert Guillaud

Les images produites par l'IA sont la somme de toutes nos représentations qu'elles renforcent. Alors que beaucoup d'entre nous souhaiteraient mettre fin aux stéréotypes, les machinent les ravivent comme nulles autres. Reste à savoir si cela va nous servir à mieux identifier les clichés ou à nous submerger sous le conformisme.
Texte intégral (2465 mots)

Les émulations d’images produites par l’IA sont en passe de ne plus pouvoir être distinguées de celles prises depuis un appareil photo d’autant que ceux-ci permettent également de tronquer la réalité qu’ils sont sensés saisir , explique le photographe et historien de l’art Julian Stallabrass dans un saisissant article pour la New Left Review

Des images pour produire le monde tel qu’il devrait être

Dans le domaine culturel, le capitalisme encourage depuis longtemps un fort conformisme, allant de formats standards à des représentations avec des variations mineures. Nous sommes cernés par une uniformité de contenus et de tons, une « faible entropie », une forme de grande « prévisibilité culturelle », qui consacre le cliché, le stéréotype, la narration sur la réalité. Les photographies numériques que nous prenons sont déjà très largement régies par des processus intégrant de l’IA. L’image ressemble de plus en plus à une fusion d’images et d’effets. Le théoricien des médias, Lev Manovich parlait très justement d’une « manipulation des surfaces » qui ressemble aux portraits de l’ère soviétique, mi-photographies mi-peintures, comme un effet de débruitage réalisés par les algorithmes pour adapter les images, la netteté, les couleurs… mais également les motifs et le sens. Dans les « améliorations » des images que produit l’IA, il n’y a pas que la forme qui est altérée, le fond aussi. Dans les innombrables couches de traitements des réseaux neuronaux, l’adaptation de la luminosité ou des couleurs ne se distingue pas des représentations, du sens ou des signifiants. « Puisqu’ils sont entraînés à prédire ce qui est probable dans une vaste base de données d’images photographiques, les IA sont en effet des machines anti-entropiques, supprimant le « bruit » ou la complexité du matériel source, lissant les surfaces et cultivant le cliché. Les images qui en résultent ressemblent à ce que la plupart des gens pensent que la photographie devrait être. » A ce que le monde devrait être. 

Quand on passe une image dans les assistants d’IA, il les corrigent, les nettoient, les rendent plus « à la mode »… Mais pas seulement : par nature, l’IA ajoute du sens, issu de la moyennisation de toutes les représentations qu’elle intègre. De même, quand on demande à une IA de produire une image dans le style d’un photographe, elle parvient à produire une forme d’archétype, une forme de moyennisation du style comme de la représentation, dans des arrangements souvent prévisibles. 

Dans un livre consacré à l’esthétique artificielle qu’il signe avec Manovich, le philosophe Emanuele Arielli parle très justement de « maniérisme informatique » pour évoquer les effets très conventionnels, exagérés et étrangement similaires de ces productions. Pour Julian Stallabrass, ces outils produisent des formes de clichés, de déjà-vu, neutralisés, « dépolitisés »… comme s’ils parvenaient à capturer nos préjugés et représentations, tout en les neutralisant imparfaitement, en les rendant partout très semblables. Un peu comme si nous étions coincés quelque part entre le réel et la fiction. 

Images : En haut, Stallabrass convoque l’étrange déréalité produite par les productions de dall-e en convoquant un SDF, d’un homme d’affaires et d’un amateur de livres assis sur un banc. En bas, l’image d’un Mexicain dans Midjourney est forcément un homme avec sombrero, explique le magazine Rest of the World qui montre comment l’IA réduit nos représentations culturelles à des stéréotypes.

Stéréotypes partout

En psychologie, le déjà-vu correspond à l’impression de se souvenir d’un événement tout en pensant que ce souvenir est peut-être une illusion. Dans le domaine culturel, il évoque l’idée de mèmes avec des variations mineures… comme une forme de défaillance de la mémoire source. Ce n’est pas un hasard d’ailleurs si le déjà-vu culturel est né avec la reproduction mécanique des médias de masse. « Le sentiment de familiarité n’est pas une illusion – on l’a probablement déjà vu, peut-être plus d’une fois. Malgré tout, l’incapacité à situer le souvenir peut être dérangeante, produisant cette étrange familiarité qui est la qualité déterminante de l’étrange. » Pour le philosophe Paolo Virno, le déjà-vu est lié au cynisme, notamment à ceux qui, comme les habitués des médias sociaux, sont à la fois acteurs et spectateurs d’un état de déjà-vu collectif. 

« Les images générées par le débruitage de l’IA, en particulier lorsqu’elles imitent la photographie, produisent trois types d’effets étranges : il y a l’impression de déjà-vu, ou de familiarité excessive, combinée au sentiment de douceur excessive ou de propreté excessive qui accompagne la réduction de l’entropie ; il y a des juxtapositions socialement bizarres, comme avec les nazis racialement divers de Google ; et enfin, il y a des problèmes flagrants, particulièrement marqués dans le rendu des visages et des mains. » À propos de ces problèmes, Manovich a suggéré que ce que l’on appelle IA à un moment donné est simplement une technologie inconnue. Une fois qu’elle s’installe dans une utilisation régulière et fiable, ce que l’on appelait autrefois IA sort de cette catégorie. L’un de ses exemples est l’outil de sélection automatique de Photoshop, la baguette magique, qui permet de sélectionner ou détourer des éléments le plus simplement du monde. La génération d’images par IA est actuellement nouvelle, étrange, en évolution et souvent défectueuse dans son fonctionnement anti-entropique et antibruit. Malgré tout, la trajectoire générale de l’élimination de l’entropie, et avec elle de la non-conformité culturelle, est claire. 

Pour l’IA, la photographie ne semble qu’un ensemble de paramètres de « styles » obtenus par un entraînement statistique depuis des bases de données colossales d’images que les appareils photo produisent. Dans la gestion par une IA de champs statistiques aussi vastes, il n’existe pas de séparation nette entre les médias, le style et le contenu, explique encore Manovich. Le philosophe Willem Flusser, lui, était très préoccupé par ce qu’il considérait comme une tendance à l’augmentation de l’entropie dans la culture numérique, bien qu’il utilisait le terme dans le sens physique, pour exprimer sa profonde crainte de l’affaiblissement de la complexité dans une forme de mort thermique culturelle. Le danger, pensait-il, était que les entités commerciales, aidées par l’IA, réduisent la complexité des messages culturels, de sorte que « les images montreront toujours la même chose, et les gens verront toujours la même chose », et qu’un « ennui éternel et sans fin se répandra dans la société ». Pour lui, il faudrait qu’on évalue les images pour éliminer celles qui ne répondent pas à une norme de complexité minimale. C’est peut-être là où nous sommes rendus finalement : écartelés entre une culture de plus en plus normative et normalisée et ceux qui désespèrent de s’en échapper. Et il est intéressant que cette saturation des représentations se fasse au même moment où toutes les représentations dans lesquelles nous baignons sont profondément interrogées, questionnées politiquement… que ce soit à travers les enjeux de genre ou de racisme. 

Avec l’IA, toutes les modifications sont activables

Nous nous dissolvons dans des archétypes, une moyennisation généralisée. Mais une moyennisation qui n’est pas sans effets concrets, comme l’expliquait dans un tweet la designer Elizabeth Laraki montrant que dans une image retouchée par l’IA pour que la taille de l’image soit plus adaptée aux spécificités requises, l’IA n’avait pas retouché l’image d’une manière neutre, mais élargi l’échancrure de son décolleté. Avec l’utilisation de l’IA, toutes les couches possibles de modifications sont activées. 

Image : en modifiant la taille de l’image, il n’y a pas que la taille qui a été modifiée… 

Aux effets statistiques sont ancrés des représentations que l’IA comme nous-mêmes prenons pour les choses elles-mêmes. Emile Durkheim parlait de « prénotions » pour parler de ces représentations schématiques et sommaires qui « défigurent le véritable aspect des choses et que nous prenons pourtant pour les choses elles-mêmes », rappelle le sociologue Denis Colombi dans son dernier livre. Ces représentations encombrant nos façons de penser, nous empêchent de percevoir le monde tel qu’il est. Bourdieu en appelait même à se détacher de ces prénotions, à nous éloigner des discours et des habitudes de pensées, à changer de regard, à nous doter de « nouveaux yeux ». Pour cela, encore nous faudrait-il pouvoir représenter le monde autrement. Mais nous n’avons pas de nouveaux yeux, nous avons désormais la somme de tous les yeux. C’est donc tout l’inverse que produisent ces images répétées à l’infini, saturées de signifiants et de significations. Dans La trahison des images, célèbre tableau de Magritte, le peintre nous invitait à nous rappeler que les représentations ne sont que des représentations. Dans la gestion par l’IA de nos représentations, il n’y a plus d’échappatoire ou d’innocence. Tout est sens. Modifier la taille de l’image, c’est accepter la modification de tous les autres éléments de sens. Le moindre détail est politique, car il est désormais la moyenne de tout le sens que nous y avons mis. Comme le disait pertinemment le spécialiste des images André Gunthert, les images générées par l’IA sont dans les clous des pratiques, elles les renforcent plus qu’elles les dénaturent ou les transforment. Dans une forme de saturation des sens. Comme si l’IA parvenait à exacerber le sens tout en l’atrophiant. Notre hypersensibilisation aux représentations risque surtout de devenir encore plus extrême à mesure que ces images se déploient. Le problème n’est pas tant la falsification du réel que ces images promettent, mais l’hypertrophie du sens qu’elles produisent. Le réel doit correspondre à sa fiction et la fiction au réel. 

Dans l’excellent documentaire sur IA et cinéma de Mario Sixtus disponible sur Arte, on peut voir nombre de productions d’IA vidéo, toutes assez étranges, puissamment hallucinantes (comme celle de NiceAunties, les déstabilisant Heidi de Patrick Karpiczenko ou Alice de Justin Hackney…), mais qui derrière leurs déformations grotesques et étranges, semblent se jouer des signifiants que nous mettons dans nos images. C’est un peu comme si les clichés que les IA produisent amplifiaient surtout les nôtres, les déformant pour mieux les révéler. « L’IA est comme un outil qui permet d’explorer le subconscient de l’humanité », y explique l’artiste IA Melody Bossan. C’est un peu comme si l’IA nous plongeait dans la profondeur de nos raccourcis culturels pour mieux les révéler. Le risque, c’est qu’ils les exacerbent plus qu’ils nous permettent d’y remédier. A l’heure où nous voudrions justement les combattre, il semble paradoxal qu’émerge une machine à amplifier nos stéréotypes… A moins qu’elle ne nous serve à mieux les voir, partout où ils se glissent.

17.10.2024 à 11:15

Vers des systèmes qui connaissent le salaire que vous être prêts à accepter

Hubert Guillaud

Avec des systèmes de calcul basés sur l’IA, il est probable que votre salaire ne soit plus assuré ! Il y a 9 ans, un chauffeur Uber pouvait gagner 60 à 85 dollars pour une course dans la banlieue de Los Angeles, quand la même course aujourd’hui ne lui rapporte que 25 à 35 dollars, […]
Texte intégral (779 mots)

Avec des systèmes de calcul basés sur l’IA, il est probable que votre salaire ne soit plus assuré ! Il y a 9 ans, un chauffeur Uber pouvait gagner 60 à 85 dollars pour une course dans la banlieue de Los Angeles, quand la même course aujourd’hui ne lui rapporte que 25 à 35 dollars, explique Slate. Depuis 2022, Uber et Lyft ont renforcé leurs algorithmes pour intégrer des données individualisées pour déterminer le montant de chaque course, ce qui expliquerait l’amplification des variations de paiements entre les conducteurs, rapporte le média vidéo de défense des travailleurs More Perfect Union. Les algorithmes semblent apprendre les montants les plus bas qu’acceptent les chauffeurs pour les transformer en normes individuelles. Le prix des courses n’est plus seulement déterminé par la tension entre l’offre et la demande ou la localisation, mais de plus en plus par le comportement individuel des chauffeurs et livreurs. Le risque, c’est que « le système ne s’arrête pas aux travailleurs indépendants. Les experts affirment que la discrimination salariale algorithmique et la rémunération influencée par l’IA de manière plus générale s’infiltrent dans un nombre croissant de domaines, tels que les soins de santé, la logistique et la technologie, et pourraient bouleverser le travail tel que nous le connaissons ». Grâce aux données, les systèmes peuvent calculer la rémunération la plus basse possible que les travailleurs de chaque secteur toléreront et suggérer des incitations pour contrôler leur comportement. Les systèmes de calculs peuvent optimiser les rémunérations variables pour les réduire, mais également utiliser des données comportementales pour les ajuster plus encore, tout comme on le constate dans la tarification dynamique.

D’autres travailleurs indépendants sont soumis à cette personalisation, estime la chercheuse Veena Dubal qui parle de discrimination salariale algorithmique. Les lieux de travail adoptent de plus en plus de logiciels de gestion basés sur l’IA, qui pourraient influencer indirectement les salaires en attribuant des projets et des équipes en fonction des données des employés, explique le chercheur Antonio Aloisi, co-auteur du livre Your boss is an algorithm. Plusieurs entreprises – comme Praisidio, HRBRain, Beqom ou HR Soft – proposent déjà des solutions pour évaluer les salaires, les avantages sociaux et les primes afin de les optimiser. La surveillance de la productivité des employés en temps réel se déploie, constatait déjà en 2022 le New York Times. Elle se complexifie d’outils de planning automatisés, d’outils de suivis du personnels… dans les secteurs de la santé, de la vente au détail, de l’hôtellerie… qui produisent une hyperpersonnalisation du traitement des travailleurs. 

Le risque, c’est que les algorithmes décident de qui obtiendra le travail le mieux rémunéré, les meilleurs horaires, voir des horaires pleins. Le modèle dystopique du travail à la tâche à la Uber est en train de pénétrer l’économie du travail conventionnelle, estime Aloisi. Le salaire algorithmique personnalisé pourrait devenir la norme, explique la chercheuse Zephyr Teachout.

Le risque, c’est que ces calculs invisibilisent les discriminations salariales pourtant interdites, notamment en utilisant des données qui serviront de variables de substitutions aux discriminations, par exemple en favorisant les employés qui disposent de peu d’épargne pour plus mal les payer. 

La résistance à ces nouvelles méthodes risque d’être compliquée. Au Japon, les avocats d’un syndicat ont obtenu que la direction d’IBM documente les données utilisées par son système d’IA pour évaluer les employés. Le système devra également expliquer sa pertinence par rapport aux règles salariales et, pour les travailleurs ayant de faibles notes, devra expliquer les raisons de ces notations aux salariés.

17.10.2024 à 10:15

Contestations automatisées

Hubert Guillaud

Aux Etats-Unis, il est courant que les assurances maladies refusent les demandes d’indemnisation de leurs clients. Les clients ont certes le droit de faire appel, mais les procédures sont compliquées ce qui fait qu’ils sont très peu nombreux à remplir une demande. Fight Health Assurance propose un outil d’IA générative pour aider les clients à […]
Lire + (198 mots)

Aux Etats-Unis, il est courant que les assurances maladies refusent les demandes d’indemnisation de leurs clients. Les clients ont certes le droit de faire appel, mais les procédures sont compliquées ce qui fait qu’ils sont très peu nombreux à remplir une demande. Fight Health Assurance propose un outil d’IA générative pour aider les clients à faire appel depuis la lettre de refus et certaines de leurs données médicales, explique Fast Company. L’outil aide les patients à surmonter le premier obstacle : ne pas savoir par où commencer. Rien n’assure que les recours soient efficaces, prévient le développeur. Mais, « à l’heure actuelle, lorsque la compagnie d’assurance maladie refuse quelque chose, la plupart du temps, elle n’a rien à payer, donc c’est une victoire pour elle. Mais je pense que si la plupart du temps, lorsqu’elle fait un refus, elle doit payer et traiter également des documents supplémentaires, elle ne refuserait peut-être pas autant de choses. »  

Pas sûr que tous les services clients soient prêts !

16.10.2024 à 07:30

Uber : le grand contournement continue

Hubert Guillaud

A New-York, la loi oblige les VTC a rémunérer les temps d’attente des chauffeurs. Uber et Lyft ont déjà trouvé la parade : ils déconnectent les chauffeurs dès qu’ils ont fini une course, effaçant ainsi leurs attentes des données enregistrées. Dans une enquête, Bloomberg montre que les blocages n’ont pas lieu seulement lors des périodes […]
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A New-York, la loi oblige les VTC a rémunérer les temps d’attente des chauffeurs. Uber et Lyft ont déjà trouvé la parade : ils déconnectent les chauffeurs dès qu’ils ont fini une course, effaçant ainsi leurs attentes des données enregistrées. Dans une enquête, Bloomberg montre que les blocages n’ont pas lieu seulement lors des périodes de faibles demandes, mais tout le temps, même lors des tensions. Un nouvel exemple (après l’augmentation des tarifs pour les livreurs en France qui a conduit à les réduire) qui montre que la caractéristique principale de l’ubérisation est le contournement de la règle.

16.10.2024 à 07:30

IA Lock-in

Hubert Guillaud

Pour comprendre l'engouement à vendre de l'IA générative, il faut comprendre le modèle économique des entreprises de la tech, explique, toujours cinglant, Ed Zitron.
Texte intégral (1248 mots)

« Mais pourquoi les Gafams veulent-ils intégrer l’IA générative partout, alors que les produits proposés jusqu’à présent, se sont révélés plutôt très décevants ? », questionne avec sa pertinence habituelle Ed Zitron. Pour comprendre cet enthousiasme pour ces technologies qui se révèlent souvent médiocres, il faut comprendre comment les entreprises de la tech gagnent de l’argent. Le modèle économique de nombreuses entreprises technologiques repose sur celui du logiciel en tant que service (SaaS, software as a service), où l’on vous facture un montant mensuel par utilisateur « pour un logiciel que vous ne possédez pas et ne contrôlez pas ». Si la proposition a plein d’avantages pour les entreprises qui y ont recours, cela conduit à une forme d’externalisation où les fonctionnalités de votre entreprise sont accomplies par d’autres, avec le risque d’un lock-in problématique, c’est-à-dire d’un verrouillage du client, un « enfermement propriétaire » qui rend le client totalement dépendant de la solution qu’il achète. Et Zitron de comparer le SaaS a un parasite qui devient d’autant plus puissant que votre entreprise grandit et qui finit par limiter votre capacité d’innovation à celle du fournisseur auquel vous êtes lié. 

Outre l’infrastructure de calcul et de logiciels, les entreprises de la tech vendent d’innombrables services liés pour permettre aux entreprises de faire tourner leurs services. « Plus vous dépensez d’argent, plus il devient coûteux de partir, et ce coût devient d’autant plus lourd que votre organisation devient grande ». Quant aux cris d’exaspération et les récriminations à l’encontre de ces gammes logicielles, elles sont d’autant plus ignorées qu’elles proviennent de « personnes totalement différentes de celles qui prennent les décisions d’achats ». La seule force de ces solutions médiocres c’est d’être très utilisées et de faciliter une « conformité » qui rend la concurrence quasiment impossible pour les petites entreprises du logiciel d’autant que l’interopérabilité reste la grande absente de toutes ces solutions. Ce fonctionnement explique que les logiciels d’entreprises soient « si nuls » et pourquoi le modèle d’abonnement s’est imposé pour assurer des revenus récurrents. 

Le problème estime Zitron, c’est que ce modèle pousse les entreprises qui fournissent des services à toujours en proposer de nouveaux. L’autre problème, c’est qu’elle crée des entreprises captives et favorise la concentration des activités des fournisseurs. On peut comprendre qu’une petite entreprise externalise ses besoins, mais il devient plus difficile de tout externaliser à mesure qu’elle grandit, surtout si cette externalisation passe par d’innombrables prestataires logiciels. La tendance à la concentration autour d’un seul prestataire logiciel grandit avec les clients et pousse les entreprises qui fournissent des services à proposer une gamme de plus en plus étendue de services (d’outils de visioconférence aux logiciels de paye…). 

« C’est le fondement de l’ensemble de l’industrie technologique et d’une grande partie de la valorisation des entreprises technologiques : des milliers de milliards de dollars de capitalisation boursière sont soutenus par le modèle économique qui consiste à externaliser votre infrastructure et vos logiciels et à les facturer mensuellement, et à inventer de nouvelles façons de vous faire « investir dans votre infrastructure » en acceptant de les payer un peu plus chaque mois. »

Le problème, estime Zitron, c’est que cette industrie du service logiciel n’a plus d’idée pour assurer sa croissance autre que de faire croître le parasite. En fait, ce revenu annuel récurrent ne progresse plus (enfin, il progresse encore de plus de 20% par an, mais c’est la moitié de son niveau de progression d’il y a 5 ans). Non seulement les revenus baissent, mais la satisfaction des clients baisse également alors que le coût d’acquisition de nouveaux clients est plus élevé. Récemment une étude a montré que le nombre d’applications SaaS par entreprise, pour la première fois, a baissé (passant de 130 applications par entreprise en moyenne à 112). « Il se pourrait bien qu’il ne reste plus grand chose à vendre ! », ironise Zitron. 

Dans ce paysage en berne, l’IA est une nouvelle promesse à vendre aux clients qui permet de renouveler le fond de services proposés. Tous les acteurs du SaaS ont donc produit des « gadgets IA ». « Il n’est pas évident de savoir ce que font ces produits alimentés par l’IA, et quand vous vous en rendez compte, ils ne semblent pas faire grand-chose », tance, cinglant, Zitron. « Presque toutes ces entreprises affirment que ces systèmes « réduisent la pénibilité » ou « améliorent la productivité », sans fournir d’explication réelle sur la manière dont cela pourrait se produire. » Pour l’instant, certains proposent de l’offrir gratuitement contre le renouvellement de leurs contrats premiums, d’autres la font payer assez cher, bien qu’il leur en coûte parfois plus cher encore, comme c’est le cas de Microsoft. Et Zitron d’évaluer par exemple que très peu des clients de Microsoft 365 semblent avoir opté pour l’option IA. Que le Github copilot de Microsoft semble coûter plus cher à l’entreprise que ce qu’il rapporte (alors qu’il est l’un des produits d’IA parmi les plus populaires et presque utile, bien qu’il semble générer beaucoup de bugs). En février, Microsoft annonçait 1,3 millions de comptes payants à Github copilot et 1,8 millions en septembre… La progression ralentit déjà ! 

L’IA générative semble le remède miracle pour facturer aux clients « ce qu’ils devraient déjà avoir ». « Au lieu de trouver un moyen d’organiser et de hiérarchiser intelligemment les messages, vous pouvez payer Slack (propriété de Salesforce) 10 $ de plus par utilisateur et par mois pour des résumés de fils de discussion et de canaux alimentés par l’IA »

Le problème du boom de l’IA en service, « c’est qu’on ne sait pas si ces logiciels seront utiles, si nous avons vraiment besoin que nos e-mails soient résumés ou si les utilisateurs veulent vraiment un chatbot pour répondre à leurs questions ». Pour Zitron, l’IA générative pour l’instant ne se vend pas et elle coûte plus d’argent qu’elle ne rapporte lorsqu’elle se vend. « Dans tous les cas, le problème le plus évident de tous est qu’il ne semble pas y avoir beaucoup de croissance des revenus attribuables à ces outils, ce qui signifie qu’ils doivent soit devenir moins chers (ce qui rendrait leurs coûts intenables), soit meilleurs, ce qui obligerait ces entreprises à trouver un moyen de les rendre plus utiles, ce qu’aucune d’entre elles ne semble être en mesure de faire, et qui est probablement impossible ».

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