Aujourd’hui, vendredi 14 mars, le vice-ministre iranien des Affaires étrangères Kazem Gharibabadi prend part à une réunion à Pékin avec des hauts responsables chinois et russe portant sur le programme nucléaire de Téhéran. Alors que le guide suprême iranien Ali Khamenei rejette toute négociation avec Trump, le président américain cherche à engager des discussions avec Pékin et Moscou sur la réduction des arsenaux nucléaires.
Si l’Iran semble occuper une place secondaire dans l’agenda géopolitique de Trump, le président américain multiplie les tentatives de contact avec Téhéran depuis son retour au pouvoir.
Mardi 12 mars, son envoyé pour le Moyen-Orient, Steve Witkoff, a confié au président émirati Mohammed ben Zayed Al Nahyane une lettre destinée au guide suprême iranien Ali Khamenei dans laquelle Trump a réitéré sa volonté de convaincre l’Iran de mettre fin à son programme nucléaire militaire. Cette lettre a été apportée à Téhéran par Anwar Gargash, conseiller diplomatique du président émirati.
Il s’agit de la deuxième lettre envoyée par le président américain à Khamenei depuis le 20 janvier. Le ministère des Affaires étrangères iranien Abbas Araqchi – négociateur historique du JCPOA – avait fait savoir la semaine dernière qu’il n’avait « pas reçu » un premier courrier vraisemblablement envoyé par Trump vendredi 7 mars 1.
Le guide suprême iranien a publiquement réagi au second courrier qualifiant la tentative de négociation de « tromperie », ajoutant que Washington ne lèverait pas les sanctions mais « les rendrait encore plus sévères » 2.
Les déclarations des dirigeants iraniens doivent toutefois être interprétées avec prudence, car les représentants de l’État expriment parfois des positions contradictoires.
Le ministre des Affaires étrangères Abbas Araqchi a déclaré dans un entretien paru le 12 mars, que « Des négociations directes pourraient être envisagées lorsque les parties concernées se considèrent sur un pied d’égalité, sans coercition ni intimidation ».
Le vice-président iranien Mohammad Javad Zarif avait publié une tribune dans Foreign Affaires pendant la période de transition, invitant à la reprise de négociations 3.
Le guide suprême Ali Khamenei reste la personne qui décide de la position iranienne, mais il est possible que, s’il s’oppose aux négociations au niveau déclaratif, il accepte que l’administration de la République islamique y participe.
Ainsi, rien n’exclut la possibilité que des négociations secrètes aient lieu entre les Iraniens et l’administration républicaine.
En effet, alors même que l’Iran était alors présidé par Mahmoud Ahmadinejad (2005-2013) et visé par un régime de sanctions internationales extrêmement sévère, l’administration Obama avait mis en place, à Oman, un canal de négociation porté notamment par William Burns et Jake Sullivan. Celui-ci avait notamment permis une accélération des négociations lors de l’élection de Hassan Rouhani en 2013.
Ces déclarations ont lieu dans un contexte où les sanctions internationales à l’encontre de Téhéran, levées par l’Accord de Vienne, pourraient être rétablies, et où les inquiétudes à l’égard du programme nucléaire iranien sont extrêmement vives.
Fin février, l’AIEA notait que « l’augmentation significative de la production et de l’accumulation d’uranium hautement enrichi par l’Iran, seul État non doté d’armes nucléaires à produire de telles matières nucléaires, est très préoccupante » 4.
Le 12 mars, le Conseil de sécurité des Nations unies a tenu une réunion non publique sur l’Iran 5.
Lors du Conseil des gouverneurs de l’AIEA du 9 juin, les membres de l’Agence devraient examiner un rapport complet commandé au directeur général, Rafael Grossi. Sur la base de celui-ci, ils décideront de transférer ou non le dossier au Conseil de sécurité de l’ONU. Si ce dernier est saisi, l’administration américaine, comme les autres membres permanents, pourra rétablir l’intégralité des sanctions contre l’Iran.
Outre la tentative de mise en place d’un canal de négociation direct entre l’Iran et les États-Unis, une médiation russo-chinoise se met en place.
Aujourd’hui, vendredi 14 mars, le vice-ministre iranien des Affaires étrangères, Kazem Gharibabadi, prend part à une réunion à Pékin sur le programme nucléaire de Téhéran en présence de ses homologues chinois Ma Zhaoxu et russe Sergei Ryabkov – négociateur historique des accords pour la Russie.
Les discussions porteront notamment sur la proposition de « dénucléarisation » ou, du moins, de réduction de la taille des arsenaux atomiques, formulée par Trump il y a un mois. Le weekend dernier, la mission de l’Iran auprès des Nations unies a signalé être ouverte à des discussions portant uniquement sur « les aspects militaires » du programme nucléaire et de son « éventuelle » militarisation 6.
Cette réunion trilatérale a lieu quelques jours seulement après l’organisation d’un exercice militaire naval d’ampleur entre la marine chinoise, russe et iranienne dans le golfe d’Oman, à proximité du détroit d’Ormuz. Pékin a continué d’acheter du pétrole iranien malgré les sanctions occidentales, tandis que la Russie continue de développer son alliance militaro-industrielle avec le pays, notamment sur la production de drones Shahed.
Les discussions directes, tout comme l’utilisation de la Russie comme intermédiaire, reviennent à marginaliser les Européens, qui ont pourtant joué pendant 20 ans un rôle crucial de médiation dans les négociations, lancées en octobre 2003 par la France, le Royaume-Uni et l’Allemagne avec le haut représentant de l’Union qui avait réussi, depuis 2015, à se positionner comme le garant de la pérennité du JCPOA.
Un quatrième tour de négociations est prévu entre la France, l’Allemagne, le Royaume-Uni et l’Iran la semaine prochaine.
Sur le plan de la politique interne américaine, le contrôle que Donald Trump exerce sur son parti, sa proximité avec Benjamin Netanyahu et sa réputation de grande dureté à l’encontre de l’Iran pourraient paradoxalement lui permettre de faire accepter par le Congrès un accord avec l’Iran – ce qui serait impossible pour un président démocrate.
Que faire quand Trump semble vouloir casser l’Alliance et que la Maison-Blanche assomme l’Europe à coups de tarifs ?
Pendant vingt ans, Javier Solana a pratiqué la diplomatie au cœur d’une relation transatlantique parfois houleuse.
Pour lui, même sous les insultes de J.D. Vance, il existe une voie constructive entre la confrontation brutale et la complaisance à l’égard de Washington.
Pour moi, cela a été une grande surprise. Je pense que la diplomatie, la raison et le dialogue entre égaux — et non la suprématie du plus fort — doivent toujours prévaloir. Le fait d’assister à une sorte de bagarre — verbale, du moins — dans le Bureau ovale est surprenant.
Nous sommes en train de vivre en quelques jours un changement très profond dans le monde. Le monde avant le jour où le président Trump a pris ses fonctions et le monde d’aujourd’hui sont très différents. Et il est plus complexe de naviguer dans cette nouvelle réalité. Nous sommes engagés dans un chemin très difficile, et le plus tôt nous nous mettrons au travail de manière constructive pour construire des solutions, le mieux ce sera.
Comment sortir de ce chemin ?
Nous nous trouvons dans une situation où le pays le plus important du monde, le grand allié de l’Union européenne, le grand pays de la Seconde Guerre mondiale, a actuellement un président dont la position en matière de coopération et de diplomatie est très différente de celle de ses prédécesseurs. Cela ne doit pas être pris à la légère, mais nous ne pouvons pas non plus être défaitistes : l’Europe a une marge de manœuvre.
Ce n’est certes pas facile : pour moi, l’exemple le plus surprenant est le fait que des membres du gouvernement américain aient fait campagne en Allemagne en faveur de l’AfD — qui est un parti, selon les Allemands eux-mêmes, antidémocratique. Ce moment de la conférence de Munich a marqué un tournant pour l’Europe : lorsque J.D. Vance a soutenu un parti d’extrême droite, opposé aux valeurs démocratiques, sous le prétexte paradoxal de la tolérance. Il ne faudra pas oublier que le président Trump a fait campagne pour l’AfD.
Trump ne doit pas être pris à la légère, mais nous ne pouvons pas non plus être défaitistes : l’Europe a une marge de manœuvre.
Javier Solana
C’est un changement fondamental, que l’on retrouve également dans la conception de l’ordre mondial fondé sur des règles. L’Europe doit être un acteur guidé par la raison, le dialogue constructif et la diplomatie sérieuse. Nous devons agir rapidement et ensemble pour offrir des solutions au monde — et non des problèmes ou des discours antidémocratiques.
Von der Leyen a annoncé une ère de réarmement en Europe. L’Union peut-elle remplacer les États-Unis dans la guerre en Ukraine — malgré ce que J.D. Vance a dit sur les armées européennes ?
L’Union est en train de mettre des bottes. Elle entame une nouvelle étape de notre histoire. Car pour la première fois, nous avons des relations de politique étrangère avec les États-Unis qui sont clairement différentes de celles que nous avions auparavant — avec en plus la situation en Ukraine.
Il est difficile d’accepter que le président Trump adopte pratiquement mot pour mot les positions du président Poutine ; entendre Trump dire au président ukrainien que c’est lui qui a déclenché la guerre est une preuve de révisionnisme, qui n’est pas sans rappeler le discours de Poutine. Et avec ce principe, nous, Européens, devons vraiment réfléchir très sérieusement à la manière d’avancer de manière constructive au cours des quatre prochaines années du mandat de Trump. Nous devons réfléchir très sérieusement à nos capacités de défense pour l’avenir.
Nous pensions depuis longtemps que la question de la sécurité était un sujet que l’Europe devait envisager, plus en plus intensément. Nous devons maintenant faire un effort pour renforcer la coopération en matière de sécurité et de défense. Tous les pays ne sont peut-être pas prêts à le faire maintenant, mais il doit y avoir au moins une coalition de ceux qui sont prêts à le faire dès aujourd’hui. C’est vraiment fondamental à mon sens.
C’est d’ailleurs ainsi qu’a été créé l’euro : d’abord avec une coalition qui a pris l’initiative de mettre en commun ses monnaies — mais tous les pays ne l’ont pas fait en même temps. Certains l’ont fait immédiatement, d’autres se sont joints au fur et à mesure qu’ils constataient que cette décision avait du sens et portait ses fruits. C’est ce que nous devrions faire en matière de sécurité et de défense. Si tous ne peuvent pas le faire, ceux qui le peuvent doivent s’unir avec détermination et rapidité.
Il ne faudra pas oublier que le président Trump a fait campagne pour l’AfD.
Javier Solana
La situation est un peu plus difficile aujourd’hui qu’à l’époque de l’euro où la France et l’Allemagne étaient dans une situation plus stable que celle que nous connaissons aujourd’hui. En Allemagne, nous venons d’avoir des élections et la situation pourrait se stabiliser dès qu’un accord de coalition, encore en discussion, sera conclu. En France, la situation est plus complexe, mais la capacité de réaction de l’Union ces jours-ci a été très importante et il y a des raisons d’être optimiste au niveau interne.
Immédiatement après l’échange dans le Bureau ovale avec Zelensky, un grand nombre de pays de l’Union européenne se sont réunis à Londres. C’était une excellente nouvelle. Et le fait que Paris et Londres aient plus ou moins dirigé la réunion m’a fait très plaisir. C’est bien de voir à nouveau que le Royaume-Uni a toujours un sentiment d’appartenance européenne. Après tout, la France et le Royaume-Uni sont les deux pays européens qui ont un droit de veto aux Nations Unies — et j’aime les voir ensemble dans une opération aussi importante que celle de la sécurité européenne.
Que pensez-vous de la proposition d’envoyer des troupes européennes en Ukraine, formulée initialement par le président français ? Quel devrait être le rôle de l’Espagne dans cette séquence ?
Je ne sais pas comment se termineront ces négociations mais si, dans le cadre du processus de paix, il est nécessaire de déployer des troupes en Ukraine pour faire en sorte que Poutine ne puisse plus attaquer l’Ukraine, les pays de l’Union doivent le faire. L’Espagne doit y réfléchir très sérieusement et y participer.
Des voix se sont élevées au sein de la nouvelle administration américaine pour sous-entendre qu’elles souhaitaient que les États-Unis se retirent des Nations unies et de l’OTAN. Pensez-vous que cela soit possible ? Qu’est-ce que cela impliquerait ?
C’est une situation choquante. J’ai eu une longue vie dans la politique européenne et internationale, dans toutes les institutions. J’ai été membre du gouvernement espagnol pendant 15 ans, j’ai été ministre des Affaires étrangères. La position avancée par la nouvelle administration est très préoccupante.
Mais pour répondre à la question : je ne pense pas. Les États-Unis ne quitteront ni les Nations unies ni l’OTAN mais nous pouvons connaître des moments de tension. Nous l’avons vu avec les dernières résolutions des Nations unies, dans la façon dont certains pays ont voté et en particulier, les États-Unis. Leur façon de voter sur les résolutions montre des tendances révisionnistes, s’alignant sur des pays comme la Russie, la Chine, la Corée du Nord et l’Iran, pour censurer un fait évident : c’est Poutine qui a attaqué l’Ukraine.
C’est un changement si radical que nous devons suivre de près l’évolution des États-Unis pendant la législature de Trump et agir avec une certaine rapidité.
L’Espagne doit participer à un éventuel déploiement de troupes en Ukraine dans le cadre du processus de paix.
Javier Solana
Compte tenu de la façon dont Trump considère l’Alliance atlantique — et Vance, qui parle de « random countries » en référence aux Européens — l’OTAN pourrait-elle se transformer en une sorte de Pacte de Varsovie ?
Je ne veux pas imaginer des choses qui pourraient arriver. Ce qui se passe déjà — et qui est, à mon avis, très grave — ne peut être réglé sans une réflexion sérieuse et, en même temps, sans prendre rapidement des décisions. Dans ce moment, il est très important d’être unis et, lorsque ce n’est pas possible, de créer une coalition au sein de l’Union sur les questions qui ne peuvent pas être abordées ensemble mais qui sont nécessaires pour faire face aux problèmes actuels, en particulier l’évolution de la guerre en Ukraine.
Je plaide en faveur d’une coopération renforcée car je pense qu’il est très important que les pays qui le peuvent et le veulent prennent la décision de s’unir et de travailler ensemble sur les questions de sécurité et de défense.
Au-delà de Trump lui-même, ses idées et sa remise en question des alliances semblent gagner du terrain dans le reste du Parti républicain, en particulier chez J.D. Vance. Assistons-nous à une remise en question plus large de l’alliance transatlantique, qui avait été plus ou moins considérée comme acquise au cours des 80 dernières années ?
Malgré tout ce que nous avons vu et continuons de voir ces dernières semaines, je ne pense pas que Donald Trump va rompre l’Alliance atlantique. J’ai été Secrétaire général de l’OTAN pendant quatre ans — j’étais en fonction lorsque nous avons célébré le cinquantième anniversaire de l’Alliance. C’est pourquoi je suis convaincu que, malgré le discours actuel, les États-Unis resteront dans l’alliance. Ce serait en tout cas la chose la plus rationnelle à faire.
Il faut créer une coalition de pays au sein de l’Union qui veulent continuer à travailler de manière plus efficace, plus solide, plus rapide et plus approfondie sur les questions de sécurité.
Javier Solana
L’Europe s’était construite avec les États-Unis. Depuis plusieurs années, elle aurait dû se construire sans les États-Unis. Doit-elle maintenant se construire contre les États-Unis ?
Je ne pense pas que nous nous retrouverons dans cette situation. De l’autre côté de l’Atlantique, le peuple américain sera capable de rectifier le tir. J’espère vivement qu’il y aura une réaction lors des prochaines élections ; je pense que lors des midterms le peuple américain enverra un message.
La ligne que les États-Unis sont en train de suivre est très complexe à tenir. Mais pour moi, ce que l’Europe doit faire, c’est continuer ce qu’elle fait avec rapidité et sérénité : créer de facto une coalition de pays au sein de l’Union qui veulent continuer à travailler de manière plus efficace, plus solide, plus rapide et plus approfondie sur les questions de sécurité.
L’Europe doit privilégier le dialogue rationnel plutôt que les confrontations sans avenir. Cette méthode est la base de la construction européenne, ses fondations, indépendamment de l’époque.
Je ne pense pas qu’il soit productif de penser que les États-Unis peuvent être nos adversaires ou nos ennemis. Le pays montrera à nouveau la sagesse dont il a fait preuve à de nombreux moments de son histoire, il reviendra à des positions dans lesquelles la coopération avec l’Union sera la ligne de conduite claire.
On a l’impression que Trump pense qu’il peut peut-être amener la Russie à se rapprocher des positions américaines face à la Chine. Il est évident que les relations de ce triangle Russie-États-Unis-Chine se sont réunies dans des coopérations différentes au cours de l’histoire. Il y a eu différents épisodes dans l’histoire de ces vecteurs. Nixon, par exemple, s’est allié à la Chine pour la séparer de la Russie parce que nous étions en guerre froide avec l’Union soviétique. À d’autres moments de l’histoire, il y a eu des coalitions différentes.
On a l’impression que Trump pense qu’il peut peut-être amener la Russie à se rapprocher des positions américaines face à la Chine. Cela n’est pas envisageable.
Javier Solana
Mais je ne pense pas que ces trois pays vont maintenant faire front. Et il n’est pas non plus envisageable que la Russie s’allie avec les États-Unis contre la Chine. Je pense que quiconque penserait cela serait vraiment dans une ligne de réflexion très erronée. Ce petit jeu ne mène en réalité à rien.
En accusant l’Ukraine d’être responsable de l’invasion russe, Trump a brusquement fait basculer les États-Unis dans le camp des puissances révisionnistes, aux côtés notamment de la Chine, de la Russie et de l’Iran. Cette nouvelle position adoptée par la première puissance mondiale pourrait-elle encourager d’autres pays à donner libre cours à leurs pulsions bellicistes et irrédentistes ?
La situation actuelle peut évoluer de différentes manières. Et cela peut se faire rapidement. La temporalité est un élément clef dans cette séquence. C’est pourquoi il faut réagir rapidement, maintenir une position européenne rapide et claire, présenter un front uni pour éviter les débâcles qui nous divisent sur la scène internationale comme celles que vous mentionnez.
Trump l’a très bien dit — ou plutôt très mal — en affirmant que l’Union était née pour « entuber » les États-Unis. C’est une contrevérité historique du même ordre que celles qui pourraient sortir de la bouche de Vladimir Poutine, mais l’Union européenne ne doit pas se laisser entraîner par ce type de discours. Les fondements de l’Union sont la coopération, le dialogue et la diplomatie plutôt que la confrontation. C’est l’ordre international et la politique même que nous devons promouvoir.
Mais si Trump croit cela, quelle position adopter ?
Il faut rechercher le dialogue et revenir à la diplomatie pour trouver des solutions. Il ne faut pas penser à la confrontation ; nous ne pouvons pas entrer dans une situation de confrontation car elle ne serait pas constructive et ne nous apporterait pas les solutions dont nous avons besoin. Nous devons agir en sachant que les problèmes doivent être résolus par la négociation, et qu’une campagne d’insultes serait une erreur contraire aux intérêts de tous. Le monde n’a pas besoin de cela en ce moment : le monde a besoin de certitude et de tranquillité.
Nous devons encore faire face à de grands problèmes et à de très sérieux dilemmes mondiaux qui ont trait, par exemple, au changement climatique ou à l’intelligence artificielle.
Se perdre dans la prolifération d’insultes est une stratégie qui ne mène à rien. Nous devons défendre une politique cohérente qui valorise l’expérience, la vérité, la justice et l’histoire — et ne pas entrer dans des confrontations sans substance. Ce n’est pas le moment de jouer avec des questions sérieuses.
Se perdre dans la prolifération d’insultes est une stratégie qui ne mène à rien. Ce n’est pas le moment de jouer avec des questions sérieuses.
Javier Solana
Pensez-vous que nous pourrions bientôt voir des mouvements de la Chine vers Taïwan, par exemple ?
Je ne pense pas. J’espère que non. J’espère que nous réfléchirons ensemble, posément, à la situation que nous vivons — et aux difficultés auxquelles nous devons faire face, qui sont nombreuses. Mais il me semble compliqué de divaguer alors qu’il y a tant de questions sur ce qui se passe déjà.
Ce qui me préoccupe en ce moment, c’est sans aucun doute notre capacité à défendre les biens publics mondiaux. Chaque nation se réfère aux siens, mais les biens publics mondiaux doivent être défendus et ce sont les pays qui ont la capacité et le niveau de développement les plus élevés qui doivent le faire de manière responsable. C’est notre devoir.
Chercher qui fait la une la plus originale n’est pas constructif. Et je crois que l’Union européenne doit et peut prendre l’initiative pour favoriser le retour à la raison et au dialogue en faveur des biens publics mondiaux.
Vous avez dit que vous aviez été surpris par la réaction de l’Union européenne. Selon vous, quelle serait la première chose à faire en ce moment ? Quelles devraient être les priorités ?
Au sein de l’Union, nous avons eu un débat essentiel au moment de l’arrivée de cette nouvelle Commission avec deux documents très importants : le rapport Letta et le rapport Draghi. Ils apportent des réponses à de nombreuses questions que nous nous posons. Nous ne pouvons plus nous contenter de répondre aux questions : nous devons agir. Ce n’est pas le moment de rouvrir les tiroirs pour chercher des solutions.
Les solutions sont sur la table avec ces deux documents. Ce qu’il faut faire maintenant, c’est agir. Et ces derniers jours, nous assistons à une activité de l’Union européenne qui me semble très prometteuse : elle a été rapide, des ressources ont été allouées, des idées ont été proposées pour gérer ces ressources de manière planifiée. Et des plans détaillés sont déjà sur la table. Nous sommes déjà en train d’agir.
Nous ne pouvons plus nous contenter de répondre aux questions : nous devons agir.
Javier Solana
Je pense que c’est dans cette direction qu’il fallait avancer — et on avance. Il y a des raisons d’être optimiste quant à l’action de l’Union, car elle démontre qu’elle a la capacité d’agir et de réagir rapidement. Il faut parvenir à une coopération renforcée entre le plus grand nombre possible de pays, pour ne pas nous freiner et pouvoir aller plus vite en ce moment décisif. Je soutiendrai cela.
Et d’une manière générale, je dirais que l’on réagit, et que l’on réagit bien. Il est intéressant de voir le Premier ministre britannique renouer des relations beaucoup plus étroites avec l’Union. Je ne dis pas qu’il y aura un retour en arrière, mais au moins il y a une volonté de coopérer, et je trouve que c’est très positif. Encore une fois, il y a des raisons d’être optimiste malgré la gravité de la situation, à condition de continuer à réagir rapidement.
L’Europe doit rester un lieu de coopération, un lieu où nous partageons des valeurs et une vision du monde. Et nous nous soucions également des biens publics mondiaux. À cet égard, le fait que le président des États-Unis ait pour slogan « drill, baby, drill » me semble préoccupant, car nous ne sommes pas à un moment où nous pouvons nous permettre d’agir selon des conceptions démagogiques. Nous devons faire mieux.