L’Allemagne est-elle en passe de sortir enfin de l’interrègne ?
Aujourd’hui, vendredi 14 mars, Friedrich Merz, le futur chancelier allemand, a reçu l’accord du groupe des Verts à l’actuel Bundestag pour la réforme constitutionnelle qui lui permettra de faire passer son ambitieux plan d’investissement avant la fin de la législature.
Débloqué in extremis, il s’accompagne de garanties fortes en matière de transition écologique.
Nous le traduisons et le commentons ligne à ligne.
Au prix de concessions et d’assurances fermes sur le financement de la transition écologique, le futur chancelier chrétien-démocrate a reçu in extremis l’accord des Verts pour une réforme de la Loi fondamentale. Une majorité parlementaire des deux tiers permettra donc de libérer les dépenses de défense et d’investissement des limites fixées par le frein à l’endettement.
L’accord atteint ce vendredi 14 mars n’allait pas de soi.
Certes, un refus clair et net des Verts d’approuver une réforme du frein à l’endettement aurait semblé en contradiction avec les positions historiques et l’image du parti comme celui du climat et de l’Europe. Mais la récente campagne électorale a renforcé l’antagonisme entre les écologistes et les conservateurs. Le président du parti chrétien-social bavarois (CSU) Markus Söder a notamment été très virulent à l’encontre les Verts, excluant même d’emblée toute coalition avec le parti. Le samedi 22 février lors d’un événement à Munich à la veille de l’élection, Friedrich Merz versait à son tour dans l’invective, en promettant au public qu’il mènerait « une politique pour l’Allemagne, et non pas pour je ne sais quels cinglés verts ou gauchistes ». Cette réaction à la présence de manifestants hostiles à son vote en commun avec l’AfD sur l’immigration aux abords de la salle où il s’exprimait avait été commentée avec consternation par les représentants des Verts.
Pour autant, les ponts n’ont jamais été véritablement coupés entre les conservateurs et les écologistes qui gouvernent par ailleurs ensemble dans trois Länder (Bade-Württemberg, Schleswig-Holstein, Rhénanie-du-Nord-Westphalie). Les deux dirigeantes du groupe parlementaire Bündnis 90/Die Grünen au Bundestag, Katharina Dröge et Britta Hasselmann ont ainsi à la fois laissé entendre qu’elle n’hésiteraient pas à faire échouer la réforme constitutionnelle proposée par la CDU/CSU et le SPD, tout en continuant à négocier pour l’amender en direction des priorités des Verts. Hier encore, le ton adopté à la tribune du Bundestag par Katharina Dröge était très critique. Mais plusieurs voix se sont faites entendre pour trouver un accord, à la fois des ministres-présidents et de personnalités écologistes historiques comme l’ancien ministre des affaires étrangères Joschka Fischer (1998-2005).
Malgré cette volonté d’arriver à un accord satisfaisant, Friedrich Merz représente toujours pour les Verts un partenaire politique imprévisible et peu fiable. En janvier 2024, alors chef de l’opposition, il s’était en effet opposé à la proposition de réforme du frein à l’endettement formulée par le ministre de l’Économie de la coalition en feu tricolore Robert Habeck. À la suite du rejet par le tribunal constitutionnel fédéral d’un arrangement budgétaire sur la réutilisation de crédits du fonds de relance post-pandémie, la coalition souhaitait en effet assouplir les règles autour de l’endettement pour se redonner une marge de manœuvre. Robert Habeck en veut encore manifestement au chef de la CDU d’avoir opportunément retourné sa veste sur le sujet du frein à l’endettement maintenant qu’il est assuré d’accéder à la chancellerie.
Si Robert Habeck a annoncé vouloir se retirer de la politique active, il a cependant encore une grande influence au sein de Bündnis 90/Die Grünen qui voit encore en lui son leader naturel. Le ministre sortant — discret depuis l’élection du 23 février — s’est ainsi fendu d’un message sur le réseau X 1 :
La voie est désormais dégagée pour une modification de la Loi fondamentale à la majorité des deux tiers lors de la toute dernière semaine de session de la vingtième législature du Bundestag — avant que la vingt-et-unième ne commence le 25 mars prochain. Le groupe parlementaire CDU/CSU a déjà approuvé à l’unanimité l’accord négocié ce vendredi.
Document d’information pour les députés des 20e et 21e législatures. Accord sur les modifications prévues de la Loi fondamentale.
Pour nous les Verts, il est clair depuis toujours que nous devons réformer le frein à l’endettement pour renforcer les investissements d’avenir et la protection du climat, et pour augmenter les dépenses pour notre sécurité. Nous trouvons également juste que les Länder aient plus de marge de manœuvre — car, comme l’État fédéral, ils font face à de grands défis.
Nous avons conduit des discussions sérieuses avec la CDU/CSU et le SPD sur trois modifications possibles de la Loi fondamentale. Pour nous, il était clair depuis le début que nous étions prêts à prendre des décisions rapides pour la paix et la sécurité — avec l’Ukraine et l’Europe à l’esprit.
Les propositions que la CDU/CSU et le SPD ont faites cette semaine au Bundestag n’étaient, à nos yeux, ni suffisantes ni adaptées à la situation.
Voici un aperçu des améliorations :
Accord sur “l’additionnalité”. Le principe selon lequel toutes les dépenses issues du fonds spécial nouvellement créé doivent être des investissements additionnels dans la protection du climat, l’infrastructure et l’économie, sera désormais ancré dans la Loi fondamentale. Le fonds spécial ne servira donc pas de voie de report pour des baisses d’impôts.
La principale critique formulée par les Verts envers le fonds spécial pour l’investissement de 500 milliards d’euros annoncé le 4 mars au soir par la future coalition était qu’il était simplement un moyen de sortir des dépenses d’investissement déjà prévues du budget courant afin de financer de coûteux cadeaux électoraux des deux partis pour sa clientèle électorale comme la retraite pour les mères au foyer, le retour de la ristourne sur le diesel agricole ou la hausse de l’indemnité kilométrique. En imposant un fléchage vers des investissements additionnels, les Verts veulent s’assurer que le fonds ne servira pas à défalquer des projets existants mais à soutenir des projets supplémentaires.
La neutralité climatique d’ici 2045 est l’objectif des investissements. Pour la première fois, le concept de neutralité climatique fait expressément son entrée dans la Loi fondamentale. Le fonds spécial est défini précisément comme un fonds spécial pour l’infrastructure et d’investissement pour atteindre la neutralité climatique d’ici 2045.
100 milliards pour le fonds pour le climat et la transformation. 100 milliards du fonds spécial seront dédiés à la protection du climat et transférés au fonds pour le climat et la transformation (Klima- und Transformationsfonds, KTF). Ainsi, au moins un quart des moyens du fonds spécial iront directement à des projets dédiés à la protection du climat. Les coûts liés à la contribution de soutien aux énergies renouvelables électriques (EEG-Umlage) seront portés par le budget conventionnel de l’État et pas par le fonds pour le climat et la transformation. Cela est décisif pour que l’argent soit réellement utilisé pour des investissements pour la protection du climat.
Le fonds pour le climat et la transformation (Klima- und Transformationsfonds) qui doit contribuer à assurer les objectifs climatiques allemands a été créé par une loi de 2010. Il repose sur les recettes du marché des droits d’émission de CO2 et sur les subventions de l’État fédéral.
La contribution de soutien à la production d’énergie renouvelable est une surtaxe allemande sur l’électricité instaurée par la loi sur les énergies renouvelables (Erneuerbare-Energien-Gesetz ou EEG), adoptée en 2000, et réformée plusieurs fois jusqu’à la version actuelle adoptée en 2023. Depuis 2022, cette surtaxe a été transférée du consommateur au budget de l’État. Le régime propose des contrats à long terme aux producteurs d’énergie renouvelable, sur la base du coût de production de la technologie en question. Les tarifs (Einspeisevergütungen) sont eux-mêmes financés par un prélèvement ou une surtaxe (EEG-Umlage). Les industriels à forte consommation d’électricité en sont toutefois largement exemptés.
Une définition large de la sécurité. Avec cet accord, nous investissons pour la paix, pour la sécurité et dans notre défense — pas seulement dans la Bundeswehr. Un résultat important des négociations est l’utilisation d’un concept élargi de la sécurité pour le calcul des dépenses pour la défense. Celui-ci comprend non seulement la défense militaire, mais aussi des domaines comme la protection civile, la protection de la population, la cybersécurité, les services de renseignement et le soutien à des pays attaqués en violation du droit international.
La définition élargie de la sécurité exprimée ici est un élément rhétorique important de la conception de la politique étrangère des Verts. Elle trouve son expression dans la stratégie de sécurité nationale élaborée à l’initiative de la ministre des affaires étrangères Annalena Baerbock en juin 2023. Dans son discours de politique étrangère prononcé en janvier 2025 à l’invitation de la Körber-Stiftung à Berlin, Friedrich Merz critiquait cependant le caractère trop ambitieux et fouillis de ce document de 74 pagesNous sommes en effet pour tout ce qui est bon dans le monde : pour le multilatéralisme, pour un ordre international fondé sur des règles, pour l’élimination de la famine, la réalisation des objectifs de développement durable, la réforme des Nations unies, et ainsi de suite. Tous ces objectifs sont justes, sans aucun doute. Mais ils ne sont pas mis dans un ordre de priorité. Or nous n’en atteindrons aucun avec nos moyens diplomatiques, financiers et militaires limités. »
L’aide à l’Ukraine est élargie : la semaine prochaine, le Bundestag débloquera enfin une aide rapide de 3 milliards d’euros supplémentaires pour l’Ukraine.
Participation des Länder : L’inclusion des Länder dans les stratégies d’investissement a été fermement adoptée. Comme c’est à leur niveau que sera mise en place une grande partie des investissements, il est indispensable que leur dotation financière soit appropriée. Ainsi pourront-ils remplir leurs fonctions avec plus d’efficacité et contribuer à la modernisation de l’infrastructure. En particulier, les réseaux de chauffage et les autres réseaux énergétiques, qui sont décisifs pour la neutralité climatique future de notre pays, seront financés par des moyens issus du fonds spécial.
Nous aurions préféré, pour ces questions centrales pour l’avenir de notre pays, qu’une décision soit trouvée avec de larges majorités démocratiques au sein du 21e Bundestag. La CDU/CSU et le SPD portent seuls la responsabilité de cette procédure. Nous avons obtenu beaucoup mais beaucoup de choses sont encore devant nous. Des investissements supplémentaires pour l’avenir de notre pays nécessitent une réforme fondamentale du frein à l’endettement. C’est pourquoi nous soumettons une motion au Bundestag qui mettra en place une commission d’experts et qui fixe l’objectif d’une réforme d’ici fin 2025.
Alors que le nombre de naissances et de mariages connaît une baisse drastique en Chine, la jeunesse urbaine des classes moyennes adopte de plus en plus d’animaux de compagnie. En rupture avec la politique du Parti des dernières décennies vis-à-vis de la possession de chiens, rejetés pour des considérations sanitaires, ce mouvement est un indicateur des transformations sociales que traverse la Chine.
L’adoption d’un nombre croissant de chiens fait par ailleurs l’objet d’un rejet par certains nationalistes chinois, qui y voient poindre une « cinquième colonne » occidentale — dont la prise en compte croissante du bien-être animal serait le fer de lance.
Les politiques liées à la possession d’animaux de compagnie, et notamment de chiens, ont connu des transformations majeures en Chine depuis la fondation de la République populaire en 1949.
Initialement considérés comme représentant un danger de santé publique et, plus marginalement, comme allant à l’encontre des valeurs socialistes de la RPC — incarnant un mode de vie bourgeois visé par les Gardes rouges de Mao durant la Révolution culturelle —, les chiens domestiqués sont de plus en plus courants dans les grandes villes chinoises.
Au début du siècle, 85 à 95 % du nombre de cas de rage détectés chez l’humain étaient dus à des morsures de chiens 1. Encore aujourd’hui, la Chine est le 5e pays au monde le plus touché par la rage : 610 personnes en sont mortes en 2021.
Afin de stopper la propagation de la maladie, les autorités chinoises ont mené de grandes campagnes de traque de chiens errants au cours de la seconde moitié du XXe siècle. À Pékin, il était ainsi interdit de posséder des chiens de 1983 à 1995 2.
Le 1er mai 1995, les autorités municipales de la capitale chinoise ont levé l’interdiction mais exigeaient que tous les chiens soient enregistrés et vaccinés contre la rage. Seules les personnes habitant dans des logements individuels étaient par ailleurs autorisées à posséder un chien, qu’ils étaient interdits de sortir dans certains quartiers de 20h à 7h du matin.
Encore aujourd’hui, la politique du chien unique implémentée en 2006 interdit aux habitants de Pékin de posséder des chiens dont la taille au garrot est supérieure à 35 cm. En 2016, le Gouvernement populaire de la municipalité de Pékin a lancé une campagne incitant les propriétaires de chiens à « être des Pékinois civilisés et polis » et à « élever leurs chiens de manière civique ». Si la politique des grandes villes chinoises en matière de possession d’animaux de compagnie s’est assouplie ces dernières décennies, celle-ci demeure strictement encadrée.
Depuis quelques années, on assiste en Chine à une explosion du nombre d’animaux de compagnie. Goldman Sachs anticipe que leur nombre devrait atteindre le double du nombre d’enfants en bas âge d’ici 2030. Plusieurs facteurs sont susceptibles d’expliquer ce phénomène.
Tout d’abord, l’économie. Le revenu moyen par habitant a été multiplié par 10 en Chine au cours des deux dernières décennies, dépassant les 9 000 dollars en 2021. Le développement d’une importante classe moyenne, majoritairement urbaine et qui dispose d’un pouvoir d’achat important a conduit à la formation d’un marché centré autour des animaux domestiques qui pourrait dépasser les 100 milliards d’euros cette année (811 milliards de yuans) 3.
Une étude de 2024 de chercheurs des universités de Shenzhen et du Zhejiang indique que la possession d’animaux de compagnie est directement liée au statut socio-économique en Chine 4. Posséder un chien — ou un chat — témoigne d’un niveau de vie confortable, mais est également valorisé comme étant un signe extérieur de richesse.
La possession de chiens et de chats est par ailleurs visée par certains nationalistes chinois qui dénoncent une « influence néo-impériale ». L’ancien professeur à l’université de Tsinghua, Zhao Nanyuan, considérait l’augmentation du nombre d’animaux de compagnie et la prise en compte croissante de leur bien-être comme étant liée à la diffusion en Chine d’un mouvement occidental en faveur du droit des animaux.
Pour Nanyuan, l’importation de ces « théories » en Chine serait susceptible de contribuer à des attentats terroristes « qui ont provoqué une série d’incidents en Occident, tels que des incendies de laboratoires animaliers, ce qui est devenu un obstacle majeur à la recherche scientifique en Europe et aux États-Unis » 5.
Dans son essai « Le cœur de la théorie des droits des animaux est anti-humain » (動物權利論的要害是反人類), Nanyuan écrit :
Afin de prouver que les autres cultures sont “barbares”, la théorie des droits des animaux est devenue une excellente base théorique pour le nouvel impérialisme. Les “amis des animaux” de mon pays entretiennent également des liens étroits avec les puissances étrangères. Ils s’acharnent à prouver la “barbarie” et la “cruauté” de la culture chinoise, à collecter, exagérer, voire inventer divers “crimes” de maltraitance animale commise par des Chinois, à vilipender la culture chinoise, à alimenter l’opinion publique en agressions culturelles et militaires du néo-impérialisme et à agir, consciemment ou inconsciemment, comme la cinquième colonne de ce dernier6.
Au-delà de ces facteurs, l’adoption massive de chiens — et le niveau de soins qui leur est apporté, parfois à grand frais, comme en témoignent les différents services qui se sont développés ces dernières années (poussettes pour animaux, cours de fitness, séances de médecine traditionnelle…) 7 — coïncide également avec une baisse drastique du nombre de naissances et de mariages.
Alors que les coûts liés à l’éducation des enfants sont jugés trop élevés par une grande partie de la jeunesse urbaine, celle-ci se tourne de plus en plus vers des animaux. Ce courant s’accompagne par ailleurs d’une utilisation plus fréquente du terme « animal compagnon » (dòngwù bànlǚ, 动物伴侣) plutôt que du traditionnel « animal de compagnie » (chǒngwù, 宠物) — ce qui revient à considérer les animaux comme faisant partie de la famille.
Un an seulement après la crise politique qui avait conduit à la démission d’António Costa, le Portugal est de nouveau dans l’interrègne.
Après une nouvelle dissolution, une séquence électorale s’ouvre sous très haute tension avec des législatives, des municipales et une présidentielle en janvier prochain.
Le pays, qui entre en campagne permanente, pourrait devenir la cible des tentatives de changement de régime que le Kremlin et la Maison-Blanche orchestrent en Europe depuis l’élection de Trump.
L’annonce faite jeudi 13 mars par le président de la République portugaise de convoquer de nouvelles élections législatives anticipées le 18 mai prochain est la suite logique de la crise ouverte le 11 mars par le rejet d’une motion de confiance sollicitée à l’Assemblée par le Premier ministre Luís Montenegro après la révélation quelques jours plus tôt d’une ténébreuse affaire de conflit d’intérêts le mettant en cause avec son épouse et ses enfants.
Logique au regard des institutions, cette annonce sonne toutefois comme un constat d’échec, sinon un aveu d’impuissance. Elle ouvre une nouvelle période d’incertitude, sur fond de crise politique. Troisième dissolution en trois ans — un record depuis l’adoption de la Constitution en 1976 —, elle est un nouvel avatar de cet interrègne ouvert par la démission surprise d’António Costa en novembre 2023 et la décision surprenante du président Marcelo Rebelo de Sousa de dissoudre l’Assemblée. « Une étape se clôt », avait alors déclaré le Premier ministre démissionnaire, nommé depuis président du Conseil européen.
Avec des législatives en mai 2025, des municipales fin septembre et la présidentielle en janvier 2026 — le Portugal entre en campagne permanente.
Anatomie d’une chute
Les élections législatives du 10 mars 2024, marquées par une hausse du taux de participation — 66 %, en hausse de 15 points par rapport à celles de janvier 2022 —, par une forte croissance de l’extrême-droite et une courte victoire de la coalition de centre-droit, s’étaient soldées par la formation d’un gouvernement dirigé par le président du PSD — parti social-démocrate — qui avait devancé de deux sièges au parlement le parti socialiste détenteur de la majorité absolue dans la précédente législature. Le nouveau Premier ministre, Luís Montenegro, avait repoussé toute idée d’alliance avec Chega, le parti d’extrême-droite, troisième des élections avec 18 % des suffrages et 50 députés. « Non, c’est non ! » avait-il martelé.
Le pari que semble avoir fait le Premier ministre démissionnaire serait celui d’une re-légitimation via ces élections.
Yves Léonard
Ce gouvernement minoritaire avait tant bien que mal franchi les premiers écueils qui menaçaient sa survie, principalement le vote du budget, finalement adopté fin novembre grâce à l’abstention du parti socialiste. Si la chute du gouvernement était dans tous les esprits, celle-ci aurait dû avoir lieu lors de la discussion budgétaire. Le budget voté, le risque semblait écarté pour quelque temps. Autant dire que la décision prise par le Premier ministre de solliciter la confiance à l’Assemblée de la République a surpris, plus encore que le rejet de celle-ci le 11 mars au soir.
Au commencement, le 15 février dernier, il y a cette révélation par le journal Correio da Manhã — un tabloïd proche de la droite radicale populiste — qui rapporte que l’épouse et les enfants du Premier ministre sont associés dans Spinumviva, une « société d’achat et de vente de propriétés », conseil en affaires et gestion, créée par Luís Montenegro début 2021. Compte tenu de ses activités, cette société pourrait bénéficier de la modification de la loi foncière en discussion au Parlement. Le Secrétaire général du Parti socialiste, Pedro Nuno Santos, demande à Luís Montenegro de « donner des explications au pays » sur d’éventuels conflits d’intérêts. Celui-ci réfute toute idée de conflits d’intérêts, déclarant que l’activité de cette entreprise « n’a jamais été, n’est pas et ne fera pas l’objet d’une quelconque affaire immobilière » liée au changement de droit foncier. Il précise que si la société avait bien son siège social dans leur maison familiale à Espinho et que, lors de sa création, il en était l’associé gérant détenteur du plus grand nombre de parts, il avait quitté l’entreprise à l’été 2022 lorsqu’il était devenu président du PSD, sa participation étant alors répartie entre son épouse devenue actionnaire majoritaire et leurs deux enfants.
L’affaire rebondit rapidement.
Dès le 18 février, le président de Chega, André Ventura, annonce la présentation d’une motion de censure contre le Gouvernement. Trois jours plus tard, celle-ci est rejetée à l’Assemblée de la République. Seuls les députés de Chega votent tandis que les élus communistes s’abstiennent.
Le 27 février, l’hebdomadaire Expresso rapporte que la société d’exploitation d’hôtels et de casinos Solverde, basée à Espinho, dispose d’un contrat de prestation de services avec la société Spinumviva d’une valeur de 4 500 euros par mois. Solverde est un groupe dont les affaires sont pourtant soumises à ces concessions accordées par l’État. Dès le lendemain, en marge de la visite d’État à Porto du président de la République française, le Premier ministre contre-attaque en annonçant la tenue d’un Conseil des ministres extraordinaire samedi 1er mars et en publiant un communiqué où les figurent les noms des clients permanents et domaines d’activité de la société familiale Spinumviva. Sa déclaration au pays le 1er mars où il annonce que l’entreprise familiale Spinumviva sera dorénavant « entièrement détenue et gérée par les enfants », sa femme cessant d’être la gérante de la société, dont le siège social sera changé. Avant d’ajouter que si les partis politiques ne se satisfont pas de ces précisions, il envisage de présenter une motion de confiance au Parlement.
Alors que le Parti communiste décide de présenter à son tour une motion de censure, le Bloc de Gauche pose par écrit une série de questions au Premier ministre afin de clarifier plusieurs points concernant son entreprise familiale.
Au Portugal, aucun gouvernement n’est parvenu à tenir sur l’ensemble de la législature depuis octobre 2019.
Yves Léonard
Le 3 mars, le Secrétaire général du PS, Pedro Nuno Santos annonce qu’il va demander la création d’une Commission d’enquête parlementaire. Le 5 mars, le débat sur la motion de censure présentée par le PC ne clarifie pas la situation et les explications fournies par le chef du gouvernement ne convainquent pas. Si cette motion de censure est finalement rejetée — PC, Bloc de Gauche (BE), Livre et PAN votant pour, le PS s’abstenant — le Premier ministre annonce alors le dépôt d’une motion de confiance. Le président de la République promet d’agir « au plus vite » en cas de rejet de la motion de confiance, en indiquant deux dates possibles pour des élections législatives anticipées, le 11 ou le 18 mai.
Le compte-à-rebours est enclenché. Les principaux protagonistes semblent marcher vers le danger comme des somnambules. Chacun jure tout faire pour empêcher de nouvelles élections, perçues comme impopulaires, mais en suspectant l’adversaire de vouloir profiter de la situation.
Le 8 mars, Luís Montenegro considère qu’il n’y a pas d’alternative aux élections anticipées, garantissant qu’il est de sa responsabilité « d’empêcher le Portugal de s’embourber ». Pedro Nuno Santos lui rétorque qu’il est déjà « dans la boue » où il a entraîné « le PSD, le gouvernement et désormais le pays ».
Le 11 mars, après trois heures trente de débats houleux et une longue suspension de séance pour une « négociation de la dernière chance » entre le PSD et le PS, seuls les députés de l’Alliance démocratique (PSD-CDS) et d’Initiative libérale (IL) votent la confiance. Les autres formations se prononcent contre, entraînant la chute du gouvernement, moins d’un an après sa formation.
Le Portugal en campagne permanente
Comme la Constitution le prévoit, c’est après avoir consulté les partis représentés au Parlement et recueilli l’avis, consultatif, du Conseil d’État que le président de la République Marcelo Rebelo de Sousa a annoncé sa décision de convoquer de nouvelles élections législatives anticipées le 18 mai.
Avec cette troisième dissolution, le chef de l’État bat un record qu’il sera difficile de dépasser : trois dissolutions en un mandat présidentiel, la troisième depuis celle de novembre 2021 consécutive au rejet du budget 2022 présenté par le gouvernement d’António Costa. Le pays semble être dans cette « campagne permanente » dont Sidney Blumenthal avait inventé l’expression il y a plus de quarante ans. Si le scrutin de janvier 2022 avait semblé clarifier la situation avec la majorité absolue obtenue par le PS, celui de mars 2024 n’a pas permis de dégager de majorité. Au contraire, il a conduit à l’émergence d’une troisième force, Chega, désireuse d’en finir avec « le système PSD/PS ». C’est la première fois depuis le début des années 1980 et le PRD, ce parti rassemblé autour du président de la République, le général Ramalho Eanes (1976-1986).
Si le système politique portugais d’alternance du centre-gauche au centre-droit s’est montré l’un des plus résilients en Europe — 60 % de l’électorat lui a encore apporté ses suffrages au printemps 2024 — aucun gouvernement n’est parvenu à tenir sur l’ensemble de la législature depuis octobre 2019 avec celui qu’António Costa dirigeait depuis novembre 2015 — pourtant brocardé comme un objet politique non identifié, un « bidule » (geringonça) associant PS, PC et Bloc de Gauche, sans participation gouvernementale pour ces deux partis.
PSD et PS semblent miser sur un recul du parti d’extrême-droite Chega qui pourrait avoir déçu une partie de l’électorat ces derniers mois.
Yves Léonard
Alors que personne n’a semblé vouloir assumer clairement la responsabilité de la situation actuelle, rejetant au besoin la faute sur l’autre, au point même de se poser en victime comme le chef du gouvernement, quelles sont les stratégies perceptibles à l’orée de cette nouvelle campagne électorale ?
Le pari que semble avoir fait le Premier ministre démissionnaire serait celui d’une re-légitimation via ces élections, en misant sur un désir de stabilité dans un contexte international très incertain et en comptant sur le bilan économique de l’année écoulée, conscient que le temps qui passe et l’usure du pouvoir sont finalement le principal ennemi des gouvernants. Mais il parie aussi sur la relative innocuité d’une suspicion pour fautes éthiques et affairisme auprès de l’opinion : plusieurs études en science politique en ont montré les effets ambivalents, tout comme l’élection de Donald Trump aux États-Unis en novembre dernier. Si un manquement à l’éthique n’aide pas à se faire élire, il ne pénalise pas nécessairement 1.
Du côté du parti socialiste — auquel il n’avait manqué que deux sièges et quelques milliers de voix pour remporter une victoire inespérée en 2024 — l’occasion semble belle de rebondir en sortant d’une séquence délicate avec son abstention lors du vote du budget 2025, qui a permis l’adoption de celui-ci au prix de quelques compromis très mal perçus par une partie de l’électorat de gauche.
Cette dissolution ne survient-elle pas un peu trop tôt, avant les élections locales prévues au début de l’automne prochain ? Les municipales servent souvent de rampes de lancement pour le PS — à l’image de celles de 2014 — en lui permettant de conforter ses positions à gauche, au détriment notamment du PC. Cette inversion du calendrier électoral pourrait au contraire profiter au PSD, dont les dernières élections municipales avaient souligné la relative érosion au plan local.
PSD et PS semblent miser sur un recul du parti d’extrême-droite Chega qui pourrait avoir déçu une partie de l’électorat ces derniers mois. Les derniers sondages le créditent de 13 % des intentions de vote, soit 5 points de moins qu’aux législatives précédentes, mais trois points de plus qu’aux élections européennes du mois de juin dernier. Le parti qui entend « nettoyer le Portugal », à en croire son slogan en 2024 (« Limpar Portugal »), est embourbé dans plusieurs affaires révélant la probité douteuse de quelques-uns de ses élus, comme ce député — depuis exclu de son groupe à l’Assemblée — inculpé pour vol après avoir dérobé des valises dans des aéroports et revendu les vêtements sur une application en envoyant les colis directement depuis le Parlement… Mais l’onde de choc venue des États-Unis avec l’élection de Donald Trump, auquel André Ventura voue une grande admiration depuis des années, pourrait dynamiser la formation d’extrême-droite qui célébrait à Madrid il y a quelques semaines, aux côtés de Vox et de formations de la même famille politique, le MEGA (Make Europe Great Again) d’inspiration trumpienne. Un Elon Musk pourrait même être tenté d’interférer dans les élections portugaises, comme il l’a fait récemment en Allemagne avec l’AfD ou en Autriche notamment. D’autant que la dénonciation de la corruption est l’un des principaux carburants de Chega.
« Renforcer et ne pas affaiblir la démocratie »
Des stratégies se dessinent déjà autour de possibles coalitions électorales.
L’Alliance démocratique (PSD et CDS) pourrait être rejointe par l’Initiative libérale. D’aucuns se prennent également à rêver à une éventuelle reconstitution d’une alliance à gauche entre PS, PC et Bloc de Gauche — cette « geringonça » qui fait figure de repoussoir à droite, sinon d’épouvantail. Avec en toile de fond, une possible désaffection d’un électorat lassé de ces consultations électorales incessantes et fatigué d’être pris dans cette « spirale centrifuge si frénétique que les périodes électorales sont devenues indiscernables de la normalité du monde cassé » évoquée par Giuliano da Empoli 2. Une société en attente de réponses très concrètes sur des questions relatives au logement, à la santé et à l’éducation, notamment. En mars 2024, la proximité du 50e anniversaire de la Révolution des Œillets avait incité les électeurs à se mobiliser, d’autant plus qu’une forte progression de l’extrême-droite menaçait. Avec les sondages réalisés ces derniers jours qui font état d’une décrue de Chega, rien ne dit qu’il en ira de même cette fois-ci.
Un Elon Musk pourrait être tenté d’interférer dans les élections portugaises, comme il l’a fait récemment en Allemagne avec l’AfD ou en Autriche notamment.
Yves Léonard
Dans sa déclaration radiotélévisée jeudi 13 mars en début de soirée pour annoncer de nouvelles élections législatives anticipées, le chef de l’État Marcelo Rebelo de Sousa a appelé de ses vœux « un débat électoral clair, frontal, éclairant, mais serein, élevé, tolérant, qui renforce et n’affaiblisse pas la démocratie », avant d’ajouter : « n’ouvrez pas davantage la porte à des expériences dont on ne sait pas comment elles se terminent. » On sait depuis Hésiode que Pandore ouvrit une jarre laissée à sa garde qui contenait la maladie, la mort et plusieurs maux ainsi libérés dans le monde. Une fois refermée, une seule chose resta à l’intérieur — l’espoir.
Sources
American Political Science Review (2020) 114, 761-774, et de Catherine E. De Vries et Hector Solaz, « The Electoral Consequences of Corruption », Annual Review of Political Science (2017), 20 : 391-408.
Portrait d’un monde cassé. L’Europe dans l’année des grandes élections, Gallimard, Paris, 2024, p. 12.
Donald Trump, qui s’est présenté tout au long de la campagne présidentielle comme le candidat le plus favorable aux cryptomonnaies de l’histoire des États-Unis, n’a pas su convaincre les investisseurs de sa volonté de légitimer les actifs numériques : depuis son retour au pouvoir, le bitcoin a perdu 24,1 % de sa valeur.
Ces dernières semaines, le président américain a multiplié les initiatives pro-crypto, sans pour autant parvenir à enrayer la chute du cours du bitcoin.
L’annonce de la victoire de Donald Trump le 6 novembre dernier a conduit à une ruée sans précédent vers le Bitcoin. Au cours de la campagne, le candidat républicain a déclaré à plusieurs reprises qu’il serait le président le plus favorable aux cryptos, annonçant devant une foule d’enthousiastes réunis à la conférence de Nashville sur le bitcoin en juillet 2024 qu’il souhaitait faire des États-Unis « la capitale crypto de la planète ».
En décembre, le bitcoin dépassait pour la première fois la barre symbolique des 100 000 dollars, avant d’atteindre son all-time high le jour de l’investiture de Trump, le 20 janvier. Depuis, l’actif numérique a perdu près d’un quart de sa valeur.
Au vendredi 14 mars, dans la matinée, un bitcoin s’échange pour 82 895 $, soit 24,1 % de moins par rapport au pic atteint il y a près d’un mois (109 228 $).
Malgré les annonces de l’administration Trump visant à encourager les investissements dans les cryptomonnaies, le cours du bitcoin poursuit sa tendance à la baisse.
Cette tendance n’a pas été inversée par la signature par Trump le 6 mars d’un décret présidentiel établissant la création d’une « réserve stratégique » de cryptomonnaies, ni par l’organisation le lendemain du premier « Sommet de la Maison-Blanche sur les actifs numériques ».
Initialement appelé « Sommet sur les cryptos » (avant d’être renommé quelques jours plus tard 1), le grand événement de Trump qui visait à témoigner de la volonté de son administration à légitimer le bitcoin a eu l’effet inverse. Les investisseurs ont été déçus de la portée des annonces de la Maison-Blanche, qui n’a pas autorisé l’achat de nouvelles cryptomonnaies mais seulement le regroupement d’actifs déjà détenus par le gouvernement fédéral à la suite de saisies.
Le cofondateur d’Impossible Cloud Network, Kai Wawrzinek, a parlé d’un « exercice exemplaire en matière de relations publiques — alors qu’il promettait de grands changements pour la crypto, le président américain n’a pratiquement rien fait » 2.
Les acteurs du monde de la cryptomonnaie ont contribué au cours du premier semestre 2024 (soit durant la campagne présidentielle) à près de la moitié (43,5 %) du total des dons des entreprises aux plateformes de soutien aux candidats (PAC) : 119 millions de dollars, un chiffre sans précédent.
Si Trump a beaucoup œuvré pour ces acteurs depuis le 20 janvier, notamment en ordonnant à la Securities and Exchange Commission (SEC), l’organisme fédéral de réglementation et de contrôle des marchés financiers, d’interrompre voire d’abandonner ses enquêtes pesant sur Binance, Coinbase et d’autres grandes plateformes d’échange de cryptomonnaie, le marché n’a pas réagi aux annonces de l’administration Trump comme celle-ci espérait.
Le vol fin février de 1,5 milliard de dollars d’Ether — la deuxième cryptomonnaie la plus valorisée après le Bitcoin — stockés sur un portefeuille hors-ligne (cold wallet) par des hackers nord-coréens a également contribué à entretenir le cycle négatif débuté fin janvier.
Le président américain et sa famille ont largement bénéficié de l’engouement pour les crypto actifs suscité par l’élection de novembre. Au-delà du lancement en janvier de sa propre cryptomonnaie, capitalisée à plus de 2,3 milliards de dollars, Trump a également tenu des discussions via des intermédiaires avec le fondateur de la plateforme Binance, Changpeng Zhao (CZ), qui pourrait aboutir à l’octroi d’un pardon présidentiel ainsi qu’à un retour de la plateforme sur le marché américain.
CZ a plaidé coupable en novembre 2023 à des accusations de blanchiment d’argent et de violation des sanctions américaines. Il a servi une peine de prison de 4 mois de mai à septembre 2024, et vit désormais à Abou Dabi. Sa plateforme, Binance (dont il n’est plus PDG mais demeure l’actionnaire majoritaire), a également dû payer une amende de 4,3 milliards de dollars.
Depuis l’an dernier, des membres de la famille de Trump ont engagé des discussions avec Zhao sur un accord qui pourrait aboutir au retour de Binance aux États-Unis (où la plateforme ne peut plus opérer depuis 2019) et à une potentielle grâce de l’ex-PDG en échange d’une prise de participation par Trump dans l’entreprise 3.
Celle-ci pourrait passer par World Liberty Financial (WLF), une entreprise de crypto lancée en septembre 2024 qui compte parmi ses membres les 3 fils de Trump, Barron, Eric et Don Jr.
En novembre, quelques semaines après la victoire de Trump, le fondateur de la cryptomonnaie TRON, Justin Sun, avait investi 30 millions de dollars dans WLF alors qu’il faisait face à des accusations de la Securities and Exchange Commission (SEC). Fin février, la SEC annonçait demander à un juge fédéral la suspension de l’enquête pour fraude visant Sun.
Aujourd’hui, vendredi 14 mars, le vice-ministre iranien des Affaires étrangères Kazem Gharibabadi prend part à une réunion à Pékin avec des hauts responsables chinois et russe portant sur le programme nucléaire de Téhéran. Alors que le guide suprême iranien Ali Khamenei rejette toute négociation avec Trump, le président américain cherche à engager des discussions avec Pékin et Moscou sur la réduction des arsenaux nucléaires.
Si l’Iran semble occuper une place secondaire dans l’agenda géopolitique de Trump, le président américain multiplie les tentatives de contact avec Téhéran depuis son retour au pouvoir.
Mardi 12 mars, son envoyé pour le Moyen-Orient, Steve Witkoff, a confié au président émirati Mohammed ben Zayed Al Nahyane une lettre destinée au guide suprême iranien Ali Khamenei dans laquelle Trump a réitéré sa volonté de convaincre l’Iran de mettre fin à son programme nucléaire militaire. Cette lettre a été apportée à Téhéran par Anwar Gargash, conseiller diplomatique du président émirati.
Il s’agit de la deuxième lettre envoyée par le président américain à Khamenei depuis le 20 janvier. Le ministère des Affaires étrangères iranien Abbas Araqchi – négociateur historique du JCPOA – avait fait savoir la semaine dernière qu’il n’avait « pas reçu » un premier courrier vraisemblablement envoyé par Trump vendredi 7 mars 1.
Le guide suprême iranien a publiquement réagi au second courrier qualifiant la tentative de négociation de « tromperie », ajoutant que Washington ne lèverait pas les sanctions mais « les rendrait encore plus sévères » 2.
Les déclarations des dirigeants iraniens doivent toutefois être interprétées avec prudence, car les représentants de l’État expriment parfois des positions contradictoires.
Le ministre des Affaires étrangères Abbas Araqchi a déclaré dans un entretien paru le 12 mars, que « Des négociations directes pourraient être envisagées lorsque les parties concernées se considèrent sur un pied d’égalité, sans coercition ni intimidation ».
Le vice-président iranien Mohammad Javad Zarif avait publié une tribune dans Foreign Affaires pendant la période de transition, invitant à la reprise de négociations 3.
Le guide suprême Ali Khamenei reste la personne qui décide de la position iranienne, mais il est possible que, s’il s’oppose aux négociations au niveau déclaratif, il accepte que l’administration de la République islamique y participe.
Ainsi, rien n’exclut la possibilité que des négociations secrètes aient lieu entre les Iraniens et l’administration républicaine.
En effet, alors même que l’Iran était alors présidé par Mahmoud Ahmadinejad (2005-2013) et visé par un régime de sanctions internationales extrêmement sévère, l’administration Obama avait mis en place, à Oman, un canal de négociation porté notamment par William Burns et Jake Sullivan. Celui-ci avait notamment permis une accélération des négociations lors de l’élection de Hassan Rouhani en 2013.
Ces déclarations ont lieu dans un contexte où les sanctions internationales à l’encontre de Téhéran, levées par l’Accord de Vienne, pourraient être rétablies, et où les inquiétudes à l’égard du programme nucléaire iranien sont extrêmement vives.
Fin février, l’AIEA notait que « l’augmentation significative de la production et de l’accumulation d’uranium hautement enrichi par l’Iran, seul État non doté d’armes nucléaires à produire de telles matières nucléaires, est très préoccupante » 4.
Le 12 mars, le Conseil de sécurité des Nations unies a tenu une réunion non publique sur l’Iran 5.
Lors du Conseil des gouverneurs de l’AIEA du 9 juin, les membres de l’Agence devraient examiner un rapport complet commandé au directeur général, Rafael Grossi. Sur la base de celui-ci, ils décideront de transférer ou non le dossier au Conseil de sécurité de l’ONU. Si ce dernier est saisi, l’administration américaine, comme les autres membres permanents, pourra rétablir l’intégralité des sanctions contre l’Iran.
Outre la tentative de mise en place d’un canal de négociation direct entre l’Iran et les États-Unis, une médiation russo-chinoise se met en place.
Aujourd’hui, vendredi 14 mars, le vice-ministre iranien des Affaires étrangères, Kazem Gharibabadi, prend part à une réunion à Pékin sur le programme nucléaire de Téhéran en présence de ses homologues chinois Ma Zhaoxu et russe Sergei Ryabkov – négociateur historique des accords pour la Russie.
Les discussions porteront notamment sur la proposition de « dénucléarisation » ou, du moins, de réduction de la taille des arsenaux atomiques, formulée par Trump il y a un mois. Le weekend dernier, la mission de l’Iran auprès des Nations unies a signalé être ouverte à des discussions portant uniquement sur « les aspects militaires » du programme nucléaire et de son « éventuelle » militarisation 6.
Cette réunion trilatérale a lieu quelques jours seulement après l’organisation d’un exercice militaire naval d’ampleur entre la marine chinoise, russe et iranienne dans le golfe d’Oman, à proximité du détroit d’Ormuz. Pékin a continué d’acheter du pétrole iranien malgré les sanctions occidentales, tandis que la Russie continue de développer son alliance militaro-industrielle avec le pays, notamment sur la production de drones Shahed.
Les discussions directes, tout comme l’utilisation de la Russie comme intermédiaire, reviennent à marginaliser les Européens, qui ont pourtant joué pendant 20 ans un rôle crucial de médiation dans les négociations, lancées en octobre 2003 par la France, le Royaume-Uni et l’Allemagne avec le haut représentant de l’Union qui avait réussi, depuis 2015, à se positionner comme le garant de la pérennité du JCPOA.
Un quatrième tour de négociations est prévu entre la France, l’Allemagne, le Royaume-Uni et l’Iran la semaine prochaine.
Sur le plan de la politique interne américaine, le contrôle que Donald Trump exerce sur son parti, sa proximité avec Benjamin Netanyahu et sa réputation de grande dureté à l’encontre de l’Iran pourraient paradoxalement lui permettre de faire accepter par le Congrès un accord avec l’Iran – ce qui serait impossible pour un président démocrate.