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« C'est précisément le renvoi explicite à une attente imprévue qui constitue le point d'honneur de toute théorie politique refusant la bienveillance du souverain. » Paolo Virno
- 1er septembre / Avec une grosse photo en haut, 2En 1991, Paolo Virno - philosophe et linguiste, professeur à l'université de Rome, animateur de la revue Luogo Comune et, soit dit en passant, ancien membre présumé des Brigades Rouges, ex-captif d'État et penseur opéraïste - publia Mondanità. L'idea di « mondo » tra esperienza sensibile e sfera pubblica. L'ouvrage, réédité aux Éditions de l'Éclat et traduit en français sous le titre Miracle, virtuosité et "déjà vu". Trois essais sur l'idée de "monde" par Michel Valenti en 1996, contient un texte intitulé Virtuosité et Révolution dont la splendeur hypnotique, trente ans après, ne s'est pas dissipée. Le livre étant en libre accès ici, nous nous permettons, dans le contexte de l'attente du 10 septembre 2025, d'en republier un extrait. À lire jusqu'à la fin.
[...]
6.2. La démocratie de la Multitude prend au sérieux le diagnostic que proposa, non sans quelque amertume, Carl Schmitt dans les dernières années de sa vie : « L'ère de l'État est à son déclin [...]. L'État, modèle de l'unité politique, et investi d'un monopole étonnant entre tous, celui de la décision politique, est détrôné. » Avec un additif d'importance : le monopole de la décision n'est véritablement soustrait à l'État qu'à la seule condition qu'il cesse une fois pour toutes d'être un monopole. La sphère publique de l'Intellect, c'est-à-dire la « république de la multitude », est une force centrifuge : elle exclut non seulement la permanence, mais aussi la reconstitution, sous quelque forme que ce soit, d'un « corps politique » unitaire. La conspiration républicaine, pour donner une suite durable à l'impulsion antimonopoliste, s'incarne dans ces organismes démocratiques qui, étant non représentatifs, empêchent justement toute répétition de l'« unité politique ».
Le mépris de Hobbes pour les « systèmes politiques irréguliers » est bien connu. Leur caractéristique la plus gênante est d'abriter la Multitude au sein du Peuple : « Rien d'autre que ligues ou quelquefois de simples regroupements de personnes, privées d'une union finalisée en vue de quelque dessein particulier ou déterminée par des obligations réciproques. » Eh bien, la République de la Multitude consiste précisément en structures de ce genre : ligues, conseils, soviets. À la seule différence qu'il ne s'agit certainement pas de regroupements éphémères dont le développement ne perturbe nullement les rites de la souveraineté, contrairement au jugement malveillant de Hobbes. Les ligues, les conseils, les soviets – en somme les organes de la démocratie non représentative – confèrent plutôt une expression politique à l'action-de-concert qui, ayant pour trame le general intellect, jouit toujours plus d'une publicité très différente de celle qui est concentrée dans la personne du souverain. La sphère publique que dessinent les « rassemblements » débarrassés des « obligations réciproques » détermine la solitude du roi, c'est-à-dire réduit la Compagnie de l'État à une bande de banlieue des plus fermées, imbue de pouvoir mais marginale.
Les soviets de la Multitude entrent en conflit avec l'appareil administratif de l'État, afin d'en consumer les prérogatives et d'en absorber les compétences. Ils traduisent en praxis républicaine, c'est-à-dire en attention aux affaires communes, ces mêmes ressources de base – savoir, communication, rapport avec la « présence d'autrui » – qui tiennent boutique dans la production postfordiste. Ils libèrent la coopération virtuose des liens actuels avec le travail salarié, montrant par des actions positives à quel point l'une excède et contredit l'autre.
À la représentation et à la délégation, les Soviets opposent un style opérationnel bien plus complexe, concentré sur l'Exemple et sur la reproductibilité politique. Est exemplaire l'initiative pratique qui, en montrant dans un cas particulier l'alliance possible entre general intellect et République, acquiert l'autorité du prototype et non la normativité de l'ordre. À propos de la distribution du revenu ou de l'organisation scolaire, du fonctionnement des médias ou de l'agencement urbain, les soviets élaborent des actions paradigmatiques, capables de révéler un nouvel agencement des savoirs, des propensions éthiques, des techniques et des désirs. L'exemple n'est pas l'application empirique d'un concept universel, mais la singularité et le caractère accompli que, d'ordinaire, en parlant de la « vie de l'esprit », nous attribuons à une idée. C'est en somme une « espèce » constituée d'un seul individu. Par ce fait, l'Exemple peut être politiquement reproduit, mais jamais intégré dans un « programme général » omnivore.
7. Droit de résistance.
L'atrophie de l'action politique a pour corollaire la conviction qu'il n'y a plus d'« ennemi », mais simplement des interlocuteurs incohérents, séduits par l'équivoque et non encore éclairés. L'abandon de la notion d'« inimitié », jugée trop forte et en tout cas déplacée, trahit un optimisme considérable. On considère « qu'il faut nager dans le sens du courant » (c'est le reproche que faisait Walter Benjamin à la social-démocratie allemande dans les années trente), et peu importe si le « courant » bienveillant prend des noms différents : le progrès, le développement des forces productives, l'identification d'une forme de vie qui échappe à l'inauthenticité, le general intellect. Naturellement, la possibilité de ne pas parvenir à nager du tout, c'est-à-dire de ne pas savoir définir en termes clairs et distincts en quoi consiste la politique adéquate pour notre temps, peut être prise en considération. Toutefois, cette précaution n'élimine pas, mais corrobore la persuasion fondamentale : pour autant que l'on veuille bien apprendre à « nager », donc pour autant que l'on pense bel et bien à la liberté possible, le « courant » nous poussera irrésistiblement en avant. On ne tient nullement compte, au contraire, de l'interdiction que les institutions, les intérêts, les forces matérielles opposent au nageur averti ; on ignore précisément la catastrophe qui frappe souvent et seulement celui qui a vu juste. Mais il y a pis : celui qui ne se préoccupe pas de définir la nature spécifique de l'ennemi, ni les lieux dans lesquels s'ancre son pouvoir et les liens de plus en plus serrés qu'il impose, n'est pas véritablement en mesure d'indiquer l'instance positive pour laquelle il faut se battre, le mode d'être alternatif qui mérite qu'on espère.
La théorie de l'Exode redonne toute sa prégnance au concept d'« inimitié », tout en soulignant ses traits caractéristiques, alors que « l'ère de l'État est à son déclin ». Comment se manifeste le rapport ami/ennemi pour la Multitude postfordiste, qui, si elle tend certainement à désagréger le « suprême empire », n'est pas pour autant disposée à devenir à son tour État ?
7.1. Il faut reconnaître, en premier lieu, un changement dans la géométrie de l'hostilité. L'« ennemi » n'apparaît plus comme la droite parallèle, ou l'interface spéculaire qui s'oppose point par point à la tranchée ou aux casemates occupées par les « amis », mais comme le segment qui croise en plusieurs endroits une ligne de fuite sinusoïdale. Ce qui donne lieu, surtout parce que les amis désertent les positions prévisibles, à une séquence de défections constructives. En termes militaires, l'« ennemi » contemporain ne cesse d'imiter l'armée du pharaon : il pourchasse les fuyards, les déserteurs, mais ne parvient jamais à les précéder ou à les affronter. Or, le fait même que l'hostilité devient asymétrique, oblige à attribuer un statut autonome au concept d'« amitié », l'affranchissant de celui, subalterne et parasite, que lui confère Carl Schmitt. Loin de n'avoir pour seule caractéristique que celle de partager le même ennemi, l'ami est défini par les relations de solidarité qui s'établissent au cours de la fuite, par la nécessité d'inventer ensemble des opportunités jusqu'alors non comptabilisées, par la participation commune à la République. L'« amitié » a toujours une extension plus ample du « front » le long duquel le pharaon multiplie ses coups de force. Mais cette extension n'implique nullement une douce indifférence sur la ligne de feu. Au contraire, l'asymétrie permet de prendre à revers l'« ennemi », en le trompant et en aveuglant celui qui veut se perdre.
En second lieu, il faut définir avec la plus grande précision quelle est, aujourd'hui, la gradation de l'hostilité. Pour obtenir un effet de contraste, la distinction proverbiale que fait Schmitt entre inimitié relative et inimitié absolue nous sera utile. Au xviiie siècle, les guerres européennes entre états furent circonscrites et réglées par des critères agonistiques, selon lesquels chaque belligérant reconnaissait l'autre comme le titulaire légitime de la souveraineté, et donc comme un sujet de prérogatives semblables. Heureux temps, dit Schmitt, mais irrévocablement passés. Dans notre siècle, les révolutions prolétariennes ont lâché le frein de l'hostilité, élevant la guerre civile au rang de modèle implicite de tout conflit. Lorsque la mise en jeu est le pouvoir d'état, c'est-à-dire la souveraineté, l'inimitié devient absolue. Mais l'« échelle de Richter » élaborée par Schmitt est-elle encore valable ? Il y a de fortes raisons d'en douter, dans la mesure où elle ignore le mouvement tellurique vraiment décisif : un genre d'hostilité qui n'aspire pas à assurer à de nouvelles mains le monopole de la décision politique, mais qui en revendique l'abrogation.
Le modèle de l'inimitié « absolue » est caduc, non pas parce qu'il est extrêmiste ou cruel, mais, paradoxalement parce qu'il est bien trop peu radical. La Multitude républicaine, en effet, tend à détruire ce qui constitue le prix convoité du vainqueur. La guerre civile convient parfaitement aux vengeances ethniques, dans lesquelles on décide encore de qui sera le souverain, mais elle semble tout à fait incongrue aux conflits qui, en minant l'ordre économico-juridique de l'État capitaliste, révoquent la souveraineté comme telle. Les différentes « minorités agissantes » multiplient les centres non étatiques de décision politique, sans pour autant projeter la formation d'une nouvelle volonté générale (et même en la destituant de tout fondement). Ceci comporte la priorité établie d'un état intermédiaire entre guerre et paix. Si, pour se garantir « le plus extraordinaire de tous les monopoles », le conflit ne prévoit d'autre conclusion qu'une victoire absolue ou une défaite absolue, inversement, l'instance de plus grande radicalité, c'est-à-dire celle antimonopole, alterne la rupture avec la tractation, l'intransigeance n'excluant aucun moyen avec le compromis nécessaire pour découper des zones franches et des cadres neutres. Ni « relative » au sens du jus publicum europaeum qui jadis tempéra les conflits entre les Etats souverains, ni « absolue » à la manière des guerres civiles, l'inimitié de la Multitude peut se dire tout au plus réactive de manière illimitée.
7.2. La nouvelle géométrie et la nouvelle gradation de l'hostilité, loin d'inciter à l'inaction, exigent une très précise redéfinition du rôle tenu par la violence dans l'action politique. Puisque l'Exode est une soustraction entreprenante, le recours à la force ne sera plus mesuré à l'aune de la conquête du pouvoir d'État dans le pays du pharaon, mais à celle de la sauvegarde des formes de vie et des relations communautaires expérimentées tout au long du chemin. Ce sont les œuvres de l'amitié qui méritent d'être défendues coûte que coûte. La violence n'est pas tendue vers des lendemains qui chantent, mais elle assure respect et persistance à ce qui a été entrepris hier. Elle n'innove pas, mais prolonge quelque chose qui est déjà là : expressions autonomes de l'« action-de-concert » fondée sur le general intellect, organismes de démocratie non représentative, formes d'assistance et de protection réciproques (de welfare, en somme) sorties en dehors et contre l'administration de l'État. Il s'agit donc d'une violence conservatrice.
Il est une catégorie politique prémoderne qui s'adapte parfaitement aux conflits extrêmes de la métropole postfordiste : le jus resistentiae, le « droit de résistance ». Par une telle expression, on n'entendait certes pas la simple faculté de réagir en cas d'agression. Mais pas non plus un soulèvement général contre le pouvoir constitué : la différence par rapport à la seditio et à la rebellio est nette. Le « droit de résistance » a une signification très spécifique et très subtile. Il permet l'exercice de la violence chaque fois qu'une corporation d'artisans, ou toute la communauté, ou même les différents individus, considèrent que certaines de leurs prérogatives positives, acquises de fait ou admises par tradition, sont altérées par le pouvoir central. Le point fort réside, donc, dans le fait de préserver une transformation déjà advenue, de sanctionner un comportement commun déjà attesté. Étroitement lié à la Désobéissance radicale et à la vertu de l'intempérance, le jus resistentiae résonne aujourd'hui comme l'expression ultime et la plus à jour sur le thème de la légalité ou de l'illégalité. La fondation de la République, si elle écarte la perspective de la guerre civile, suppose pourtant un droit de résistance illimité.
8. Attendu imprévu.
Travail, Action, Intellect : sur le modèle d'une tradition qui remonte à Aristote et qui fut valable encore comme common sense pour la génération qui eut accès à la politique dans les années soixante, Hannah Arendt établit une séparation nette entre ces trois sphères de l'expérience humaine, en montrant leur incommensurabilité réciproque. Bien qu'adjacents et même se superposant, ces différents cadres sont essentiellement non reliés. Ils s'excluent même l'un l'autre : si on fait de la politique, on ne produit pas et on ne se consacre pas à la contemplation intellectuelle ; quand on travaille, on n'agit pas politiquement en s'exposant à la présence des autres, et on ne participe pas à la « vie de l'esprit » ; celui qui se consacre à la réflexion pure se soustrait provisoirement du monde des apparences et donc ni n'agit, ni ne produit. Chacun son lot, semble dire l'auteur de la Vie active, et chacun pour soi. Pourtant, alors qu'elle revendique avec une passion admirable la valeur spécifique de l'Action politique, se battant contre sa récupération dans la société de masse, Arendt suppose préalablement que les deux autres sphères fondamentales, Travail et Intellect, sont restées inchangées sur le plan de leur structure qualitative. Certes, le travail s'est étendu outre mesure ; certes, la pensée connaît une situation de pénurie et d'échec : mais il ne s'agit que d'un simple changement organique avec la nature, un métabolisme social, une production de nouveaux objets, et c'est encore une activité solitaire, étrangère en soi à l'attention portée aux affaires communes.
Il apparaît évidemment que ce que nous avons voulu développer ici s'oppose radicalement au schéma conceptuel proposé par Arendt et à la tradition dont elle s'inspire. Récapitulons brièvement. La décadence de l'Action politique dépend des modifications qualitatives intervenues tant dans la sphère du travail que dans celle de l'intellect, dès lors que l'on a établi une intimité étroite entre l'une et l'autre. Lié au travail, l'Intellect (comme aptitude ou faculté, et non pas en tant que répertoire de connaissances spéciales) devient public, apparent, mondain, c'est-à-dire que sa nature de ressource partagée ou de bien commun passe au premier plan. Réciproquement, quand la puissance du general intellect constitue le « maître pilier de la production sociale », le Travail prend l'aspect d'une activité-sans-œuvre, ressemblant en tout point à ces exécutions de virtuose fondées sur une relation nécessaire avec la « présence d'autrui ». Mais qu'est-ce que la virtuosité, sinon le trait caractéristique de l'action politique ? Il faut conclure, pourtant, que la production postfordiste a absorbé en soi les modalités typiques de l'Action et, de fait, en a décrété l'éclipse. Naturellement, cette métamorphose n'a rien d'une émancipation : dans le cadre du travail salarié, la relation virtuose avec la présence d'autrui se traduit en dépendance personnelle ; l'activité sans œuvre, qui rappelle de près la pratique politique, est réduite à une prestation servile des plus moderne.
Dans la seconde partie de cet essai, nous avons soutenu que l'Action politique est rachetée lorsqu'elle s'allie à l'Intellect public (lorsque, donc, un tel Intellect est séparé du travail salarié et, même, en entreprend la critique avec la délicatesse d'un acide corrosif). L'Action consiste, enfin, dans le fait d'articuler le general intellect avec la sphère publique non étatique, le cadre des affaires communes, la République. L'Exode, dans le cours duquel se réalise la nouvelle alliance entre Intellect et Action a certaines étoiles fixes dans son ciel : Désobéissance radicale, Intempérance, Multitude, Soviet, Exemple, Droit de résistance. Ces catégories désignent une théorie politique à venir qui saurait affronter la crise européenne de notre fin de siècle, en proposant une solution radicalement antihobbesienne.
8.1. L'Action politique, affirme Arendt, est un nouveau commencement qui interrompt et contredit des processus automatiques désormais consolidés. L'Action tient, donc, d'une certaine manière, du miracle, puisque, tout comme celui-ci, elle est inattendue et surprenante. Aussi, pour conclure, faut-il maintenant se demander si le thème du Miracle n'appartient pas à la théorie de l'Exode, quant au reste inconciliable avec la position arendtienne.
Il s'agit, bien entendu, d'un thème récurrent dans la grande pensée politique, et surtout dans la pensée réactionnaire. Pour Hobbes, c'est le souverain qui décide quels événements méritent le statut de miracle, c'est-à-dire transcendent les règles ordinaires. Inversement, les miracles cessent aussitôt que le souverain les interdit. Schmitt se place sur la même ligne, comme on le sait, quand il identifie le noyau du pouvoir dans la faculté de proclamer l'état d'exception en suspendant l'ordre constitutionnel : « L'état d'exception a pour la jurisprudence une signification analogue au miracle pour la théologie. » Le radicalisme démocratique de Spinoza réfute, au contraire, la valeur théologico-politique de l'exception miraculeuse. Il y a toutefois un aspect ambivalent dans son argumentation. En effet, selon Spinoza, le miracle, à la différence des lois universelles de la nature avec lesquelles Dieu se confond, exprime seulement un « pouvoir limité », c'est-à-dire qu'il est quelque chose de spécifiquement humain : plutôt que de consolider la foi, il nous fait « douter de Dieu et de toute chose », nous prédisposant ainsi à l'athéisme. Mais ne sont-ce pas justement – puissance seulement humaine, doute radical sur le pouvoir constitué, athéisme politique – quelques-uns des caractères qui définissent l'Action antiétatique de la Multitude ?
D'un point de vue général, le fait que Hobbes et Schmitt réservent le miracle au souverain ne dépose d'aucune manière contre la connexion entre Action et Miracle et, d'une certaine manière, la confirme même ; pour ces auteurs, en effet, seul le souverain agit politiquement. Le point ne consiste donc pas à nier l'importance de l'état d'exception au nom d'une critique de la souveraineté, mais à comprendre quelle forme il peut assumer une fois que l'Action politique est passée dans les mains de la Multitude. Insurrection, désertion, invention de nouveaux organismes démocratiques, application du principe du tertium datur ; tels sont les Miracles de la multitude, qui ne cessent pas quand le souverain les interdit.
Au contraire de ce que pense Arendt, l'exception miraculeuse n'est pas, pour autant, un événement ineffable, sans racines, absolument impondérable. Dans la mesure où il surgit à l'intérieur du champ magnétique défini par les relations changeantes de l'Action avec le Travail et l'Intellect, le Miracle est plutôt une attente imprévue. Comme il advient dans tout oximoron, les deux termes sont en tension réciproque, mais ne peuvent être disjoints. S'il ne s'agissait que d'un imprévu salvateur, ou seulement d'une attente clairvoyante, on aurait affaire, respectivement à la plus insignifiante causalité ou à un calcul banal du rapport entre moyens et fins. Au contraire, il s'agit d'une exception qui surprend particulièrement celui qui l'attendait ; il s'agit d'une anomalie si précise et puissante qu'elle met hors jeu la boussole conceptuelle qui en avait pourtant signalé le lieu de surgissement ; d'un désaccord entre causes et effets dont on peut toujours saisir la cause, sans que l'effet novateur ne s'avère pour autant.
Enfin, c'est précisément le renvoi explicite à une attente imprévue, c'est-à-dire l'exhibition d'un inachèvement nécessaire, qui constitue le point d'honneur de toute théorie politique qui refuse la bienveillance du souverain.
01.09.2025 à 19:24
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A l'approche du 10 septembre, entre enthousiasme ici, scepticisme là, et trouille croissante en face, la conscience d'une confrontation à venir ne cesse de croître. Quelle forme prendra-t-elle ? Pour en avoir une idée, dressons l'inventaire des armes dont vont disposer les deux camps appelés à se former et s'affronter.
D'un côté, il y a, il y aura l'impressionnant arsenal trop bien connu, des flashballs (24 yeux crevés lors du moment Gilets jaunes) aux véhicules blindés de la gendarmerie en passant par ces grenades spécialement conçues pour plonger un mouvement social et ses partisans dans le coma ; il y a, il y aura l'appareil de propagande des gouvernants de la presse oligarchique, et tout un personnel politique disposé à faire du Bardella pour lui faire barrage, et Bardella lui-même, qui crieront et crient déjà halte à la bordellisation (ce à quoi se résume la totalité de leur programme), il y a et il y aura aussi les techniques d'ingénierie sociale et les dispositifs d'acceptabilité, du tri sélectif entre bonnes et mauvaises pratiques, que mettront en œuvre les partisans de la domination molle dont le Monde est et restera l'organe central et les socialistes et assimilés, les exécutants, au dialogue : car ce qui nous menace autant que les armes soi-disant non létales, c'est cet esprit citoyenniste qui nous resservirait, sous une forme ou sous une autre, l'éteignoir d'un « grand débat national ». Cela devrait s'avérer difficile parce qu'on n'a pas oublié qu'outre les yeux crevés, ce qui a achevé de liquider les Gilets, ce sont ces groupes de paroles pilotés par un président-DRH en bras de chemise aboutissant à ces « cahiers citoyens » dont la pudeur nous interdit de dire ce qu'en firent les dirigeants (avant que des sociologues aillent les ramasser pour en faire un livre et une ligne de C.V.). S'il y a bien une leçon à retenir du plus grand mouvement social que la France ait connu depuis 68, c'est bien celui-là : sachons désigner l'ennemi, et surtout ne dialoguons pas avec lui !
D'un autre côté, le nôtre, il y a un dépôt d'armes dont nous pouvons d'ores et déjà nous emparer, c'est l'Histoire. L'Histoire passée, l'Histoire récente, l'Histoire en train de se faire. En 1905, à la suite du dimanche rouge au cours duquel l'armée tira à Saint-Pétersbourg sur une manifestation de 50 000 à 100 000 personnes, démarra la révolution de février qui contraignit le tsar à annoncer une série de réformes démocratiques et sociales, promesse qu'il ne tint pas, mais comme on sait, par la suite, ça ne lui a pas réussi. Les soviets, les conseils de travailleurs autoconvoqués, les A.G en général allaient s'affirmer, jusqu'au Mai rampant italien (1968-1978) comme la forme la plus efficace d'affirmation de l'action autonome des classes populaires. [1] Or, dans ce moment éminemment fondateur, à la tête de la manifestation et de tout le mouvement qui suivit, il y avait un homme, le pope Gueorgui Gapone, qui travaillait depuis des années pour la police. Que sa personnalité ait été plus complexe que celle d'un simple indic ne fait pas de doute, mais on peut quand même voir 1905, événement révolutionnaire majeur, comme l'aboutissement, qui a mal tourné pour ses initiateurs, d'une tentative policière de pilotage de la colère populaire montante. C'est donc depuis l'orée du 20e siècle qu'on devrait se méfier de la méfiance à l'égard des « provocateurs », des « manipulateurs » et autres « forces étrangères » qui seraient derrière un mouvement – et c'est particulièrement vrai de la colère populaire en train de se cristalliser autour de l'appel du 10 septembre : le fait que des milliers de faux comptes Facebook aient pu la relayer ? Et que la Russie, ignorant sa propre histoire, serait derrière ces comptes, comme France Inter le suggérait récemment tout en le démentant sur le mode « on ne peut pas le prouver » ? Qu'en penser ? Eh bien, on s'en fout ! Ce qui compte, c'est que la colère collective, elle, n'est pas fausse. Ce que chacun peut vérifier autour de soi, à condition de fréquenter d'autres milieux que les allées du pouvoir. Ce qui compte aussi, c'est qu'on soit assez nombreux et solidaires pour donner une voix propre et nullement téléguidée à cette colère, quelle que soit la manière dont elle a commencé à apparaître. A cet égard, l'impressionnante liste des A.G. et des groupes de discussion est de bon augure.
Se méfier de la méfiance s'est avéré pertinent aussi bien au 20e siècle (ah, les « provocateurs » chers à la CGT en 68 et après) qu'au 21e, dans les grands moments de soulèvement populaire tels que les « révolutions de couleur » (2000-2005 : Serbie, Ukraine, Géorgie, Kirghizistan) où l'influence supposée de la CIA et plus sûrement d'organisations financées par des fonds occidentaux n'invalide en rien (sauf aux yeux d'enragés campistes) le désir de dignité et de liberté qui animait les masses (et qui les a animées encore en Ukraine quand elles ont empêché Poutine de prendre le pays en trois jours), ou comme dans la séquence des insurrections arabes, où la présence d'islamistes inquiéta de bons esprits « révolutionnaires » mais n'empêcha pas que la sécurité des femmes et des chrétiens fut assurée sur la place Tahrir tant que le régime n'eut pas délégué des groupes de voyous pour attaquer le mouvement. On a eu beau vérifier l'inanité du purisme dans le moment Gilets jaunes, où les fachos étaient très présents au début mais ont été marginalisés grâce à l'arrivée de camarades conscients de la portée du mouvement, on se trouve de nouveau confronté à des réticents signalant que des souverainistes sont à la manœuvre. Un ami a même eu droit au marché d'Eymoutiers à un conspirationniste qui lui a expliqué que ce « truc c'était fait pour dresser les gens les uns contre les autres ». Chers révolutionnaires du clavier toujours prêts à appuyer sur la touche « méfiance », restez donc chez vous, vous avez raison, ne rien faire sera toujours la meilleure manière de ne pas se tromper.
Parmi les réticents, on trouve aussi les gens qui déplorent le manque de revendication unitaire comme il y en avait eu au départ chez les Gilets (la taxe sur l'essence). Faut-il ressortir une fois de plus la citation de Marx sur le « ticket d'entrée de la révolution », cette métaphore qui insiste sur le fait que les grandes secousses de l'histoire ont pu avoir un point de départ plus ou moins important, mais qui a en tout cas perdu toute importance dès que le mouvement a pris de l'ampleur ? En 1968, du droit à la mixité dans la résidence universitaire de Nanterre au rejet de tel petit chef dans les usines de Lyon et Caen, ce qui a précédé le retour des barricades et la plus grande grève de l'histoire peut toujours être qualifié de détail. Mais ces détails ont mis le feu aux poudres qui s'accumulaient. En 2010, le suicide par le feu de Mohamed Bouazizi à Sidi Bouzid était en effet un événement horrible mais ce n'était certes pas le premier des drames provoqués par l'arrogance et la corruption du gouvernement tunisien. Et pourtant celui-ci et pas un autre fut à l'origine d'un mouvement qui a ébranlé les pouvoirs du Maghreb au Golfe. Que des révoltes sectorielles puissent devenir universelles, c'est une constatation historique mais comment cette transmutation opère, on n'a pas encore trouvé la formule magique pour l'expliquer, malgré les marxistes scientistes et leur théorie du prolétariat. Même si divers mouvements qui ont adhéré au mot d'ordre du 10 septembre ont apporté leur catalogue de revendications (et on apprécie particulièrement celles des Soulèvements de la terre), la seule unité du mouvement, c'est le mot d'ordre « Bloquons Tout ». Et ce qui apparaît comme une faiblesse aux yeux de certains est en réalité sa plus grande force.
Parce qu'avancer une revendication unitaire comme ce fut le cas pour les Gilets jaunes, c'est courir le risque que le pouvoir la satisfasse, du moins en partie et provisoirement, faisant ainsi retomber l'élan et oublier tout ce qui s'était agrégé autour, qui souvent allait beaucoup plus loin. Des échos qu'on a sur les débats en ligne et en assemblée à propos de la journée du 10, il semble que le principal sujet soit non pas « que demander, exiger, réclamer ? » mais « comment allons-nous agir » ? Voilà un départ particulièrement heureux, car l'existences de pensées critiques construites avant le mouvement est certes importante, mais l'essentiel sera ensuite les pensées qui se construiront pendant celui-ci. La conscience naît de la pratique.
« Bloquons tout ? » Chiche ! mais c'est quoi, « tout » ? Définir ce qui le compose et en faire nos cibles, c'est dès à présent amorcer une critique de l'existant, en nous attaquant à ce qui, dans la vie concrète, emprisonne nos vies.
Et si ce mouvement faisait pschitt ? Une seule réponse possible pour qui, devant l'avilissement au travail, devant l'anéantissement des dernières protections acquises par un siècle de luttes, devant la destruction de la biosphère par l'industrie et de l'intelligence par l'Intelligence artificielle, devant Gaza, ne sera jamais sage :
« Essayez encore. Rater encore. Rater mieux » (Beckett)
Serge Quadruppani
[1] On notera au passage que c'est de ce moment que date la scission entre les révolutionnaires qui, telle Rosa Luxemburg, et toute l'ultra-gauche historique par la suite, tireront la leçon de cette démonstration de la spontanéité révolutionnaire des masses, et les léninistes dont l'obsession sera jusqu'à nos jours d'organiser cette spontanéité pour mieux la diriger.
01.09.2025 à 19:24
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Les Soulèvements de la terre contribueront à « tout bloquer » contre le plan Bayrou à partir du 10 septembre. Nous livrons à la discussion au sein du mouvement qui s'annonce quelques réflexions sur les luttes contre l'intoxication du monde et contre l'alliance des milliardaires réactionnaires.
Les Soulèvements de la terre contribueront à « tout bloquer » contre le plan Bayrou à partir du 10 septembre. De nombreux comités locaux et greniers des Soulèvements ont commencé à mettre à disposition leurs moyens matériels, réseaux et savoir-faire. Nous livrons à la discussion au sein du mouvement qui s'annonce quelques réflexions sur les luttes contre l'intoxication du monde et contre l'alliance des milliardaires réactionnaires. Réflexions qui peuvent donner des idées sur « quoi bloquer » au moment de « tout bloquer ».
L'été bruisse de rumeurs de révolte. De canaux Telegram en rendez-vous de préparation fixés dès la rentrée, de visuels en vidéos qui tournent et retournent de partout, de syndicats qui se lancent en groupes de gilets jaunes qui se relancent, une date est dans toutes les têtes : 10 septembre. Les Soulèvements de la terre partagent cette impatience à « tout bloquer » pour faire sauter l'austérité et sortir ensemble de la route qui semblait toute tracée de l'autoritarisme actuel vers un nouveau fascisme à venir.
Juste après que Macron ait annoncé le doublement du budget des armées d'ici 2027 (soit 43 milliards piqués dans les droits sociaux et directement injectés dans le complexe militaro-industriel), le premier ministre François Bayrou présentait le 15 juillet un « projet de budget » pour 2026.
Il annonce la suppression de deux jours fériés, et le message est explicite : « Il faut travailler plus, il faut que toute la Nation travaille plus pour produire ». Cette fois sans aucun espoir de « gagner plus ». Produire plus ? En respectant les règles du marché mondial, ça veut dire extraire plus pour polluer plus. Étendre toujours plus le champ du ravage. Aggraver encore les écarts de richesses. Nous crevons déjà du productivisme et de la mise au travail généralisée. Comme en crèvent nos milieux de vie.
Il annonce une « année blanche » sur les prestations sociales, ce qui voudrait dire que les allocations familiales, la prime d'activité, le RSA ou les APL resteraient coincés à leur montant de 2025 alors que les prix et les loyers continueraient de monter. Bayrou annonce également des coupes de 5 milliards sur la santé : doublement à 100€ de la franchise annuelle sur les médicaments, fin du remboursement intégral des traitements hors affection longue durée…
D'une main Macron promulgue la loi Duplomb qui laisse le champ libre au modèle agro-industriel qui nous empoisonnent, de l'autre il se prépare à casser toujours plus les possibilités de se soigner et de vivre dignement.
L'idée de reprendre la rue était dans de nombreuses têtes depuis longtemps. Tout bloquer pour virer la clique de libéraux-autoritaires qui ravagent le pays ? Le pari est plus que tentant. « Nous ne voulons pas subir leur crise. Nous voulons changer de cap, pour de bon, avec et pour le peuple. » déclare l'appel du 10 septembre. Nous en sommes.
Depuis cinq ans les Soulèvements de la terre ont renforcé des luttes ancrées localement en cherchant comment agir directement : comment occuper, bloquer, désarmer ou démanteler les projets mortifères et les industries toxiques. Si nous avons pu emporter des victoires tactiques territorialement [1] situées et contribuer à faire reculer des projets d'artificialisation de terres, de méga-bassines ou de nouvelles autoroutes, nous savons aussi qu'il n'y aura pas de victoire plus profonde sans une dynamique, qui nous dépasse largement, d'insubordination contre le système capitaliste.
Le réseau de résistance que nous contribuons à faire vivre peut muer, grandir et évoluer au contact d'un mouvement comme celui qui semble s'annoncer. Au delà de nos propres actions, nous souhaitons apprendre à nous constituer en force d'initiative et d'intervention en mesure de participer lorsque se construisent des mouvements d'ampleur.
De nombreux comités locaux ont commencé à mettre à disposition leurs moyens matériels, réseaux et savoir-faire, notamment pour participer au ravitaillement, à l'enquête locale ou à l'organisation de blocages. Contribuer concrètement nous semble le meilleur point de départ. Être prêt
e à la rencontre, à l'imprévu et aux brouillages de certains codes « militants » nous paraît impératif. Nous pensons que ces dispositions n'empêchent pas d'assumer la vision du monde qui amènent les Soulèvements de la terre à vouloir participer activement au mouvement. Quitte à bloquer, nous appelons donc à viser directement les lobbys et infrastructures les plus nuisibles à tous et à toutes, au service desquels se met actuellement ce gouvernement.En vue des assemblées locales de préparation au mouvement qui commencent à s'organiser un peu partout pour décider des cibles qui auraient le plus de sens et le plus d'impact, nous proposons ici à la discussion deux pistes d'interventions possibles, au croisement des luttes auxquelles nous participons et des enjeux propres au 10 septembre.
Parallèlement à la colère sociale qui a conduit à l'appel du 10 septembre, un orage gronde contre le complexe agro-industriel, visibilisé par le combat contre la loi Duplomb. Manger, boire et respirer sans s'empoisonner c'est la base, et c'est fondamentalement lié à la manière dont est produite notre alimentation. Quelle place la question agricole peut-elle prendre dans un mouvement de colère populaire aujourd'hui ? Nous pensons qu'elle devrait être centrale et réaffirmer que l'agriculture paysanne fait partie de la solution et nécessite un soutien large. Si la fronde contre l'intoxication du monde [2] et la vague de colère contre l'austérité néolibérale se rencontrent, elles pourraient reprendre la main contre le complexe agro-industriel. De ce point de vue, comme le souligne la Confédération paysanne, « l'alimentation est une question hautement stratégique qui peut être un point de convergence important pour que cette rentrée sociale soit explosive ».
Garantie des revenus paysan, appui à l'installation, défense des jardins ouvriers, reprise de terres, soutien à l'accès de toutes et tous à une alimentation de qualité, opposition aux pesticides, généralisation de l'agriculture paysanne : les idées ne manquent pas pour aller vers une fabrique populaire de la subsistance et de l'alimentation. Mais pour que la « socialisation de l'alimentation » puisse devenir autre chose qu'une incantation utopique, nous disons que c'est la lutte pour l'agriculture paysanne qui doit elle même se « socialiser ». C'est à dire se laisser transformer par les rencontres permises par le combat social plus général pour la dignité des classes populaires.
Les sites de production et de vente emblématiques de l'agro-industrie et du libre-échange, les grandes infrastructures qui tuent les paysanpeuvent être bloqués efficacement. Les banquets populaires, actions de redistribution et blocages de grandes surfaces sont autant d'occasions de rencontres entre la lutte pour la défense des terres et celle contre le plan Bayrou.
nes comme les sols et intoxiquent la populationLes grands groupes capitalistes, comme celui de Bolloré, sont les premiers bénéficiaires des cadeaux fiscaux auxquels le gouvernement ne touche pas pendant qu'il attaque les jours fériés et la santé. 211 milliards, c'est le chiffre des subventions annuelles offert aux grandes entreprises sans aucune contre-partie. Les patrons les plus influents du pays, qui d'une main soutiennent le plan Bayrou, ne négligent par ailleurs aucun effort pour mettre l'extrême droite au pouvoir. C'est qu'ils savent que ce que font Retailleau et Bayrou aujourd'hui, le RN le ferait encore mieux demain : faire converger mesures ultra-libérales et liberticides, destruction des services publics et austerité pour les classes populaires, droit à tout polluer et extractivisme néo-colonial, exacerbation de l'islamophobie, instrumentalisation de l'antisémitisme et vente d'armes à Israel en plein génocide à Gaza... Telle est l'image du fascime qui vient. Leur stratégie est de détourner les affects de colère en sentiments mortifères de haine de l'autre. À l'instar de Musk ou Zuckerberg aux États-Unis, les Bolloré, Stérin, Arnault et consorts construisent un monde où seules règnent les règles de l'entreprise et du profit.
Une proposition tactique pour le mouvement est de viser les milliardaires réactionnaires qui pillent, exploitent et sont les seuls à bénéficier des plans à la Bayrou. Bolloré en tête, car il détient une machine de propagande extrêmement puissante et toxique. Ces médias (Cnews, JDD, Europe 1…) ne manqueront pas de caricaturer le mouvement de septembre, de tenter de le détourner ou de le criminaliser pour l'éteindre à coups de mensonges et de désinformation.
Dans cette optique la campagne en cours contre l'empire Bolloré peut être un point d'appui et un outil. Les sites du groupe sont cartographiés, leur fonctionnement expliqué et de nombreux collectifs se sont déjà jetés dans la bataille.
Bolloré et les milliardaires réactionnaires possèdent partout des dépôts, des magasins, des usines. Ils font pour nous partie des cibles logiques à bloquer et autour desquels ouvrir des discussions avec les salarié
es. Face à leur travail de division des classes populaires, le 10 septembre et ses suites peuvent être l'occasion de rappeler que nos ennemis réels sont bien du côté de ces milliardaires et de leurs ambitions politiques.Il existe de nombreuses autres cibles et modalités d'intervention pertinentes et encore quelques semaines pour s'organiser. Depuis différentes manières de 'tout bloquer' et définitions de 'bien viser', il est grand temps d'éprouver de nouveau notre puissance commune dans la rue !
Les soulèvements de la Terre
[1] Pour ne citer que les victoires les plus récentes https://lessoulevementsdelaterre.org/blog/pertuis-rouen-gennevilliers-victoires-en-vueou encore https://lessoulevementsdelaterre.org/blog/victoire-a-la-clusaz
[2] Les 2 millions de signatures contre la loi dumplomb, mais aussi les actions concrètes mener par les Soulèveents de la terre (https://lessoulevementsdelaterre.org/blog/site-de-pesticide-mis-a-larret-balades-enquetes-et-retour-sur-le-blocage-phyteurop) et les faucheurs volontaires (https://basta.media/Pesticides-interdits-grace-aux-faucheurs-volontaires-Etat-epingle-multinationale-BASF), ou encore tout l'action de Cancer Colère (https://reporterre.net/Voter-la-loi-Duplomb-c-est-voter-pour-le-cancer-Fleur-Breteau-malade-et-en-colere)
01.09.2025 à 19:23
dev
10 septembre : « Les formes les plus explosives sont encore à inventer. »
- 1er septembre / Avec une grosse photo en haut, 2, MouvementLa mobilisation pour le 10 septembre arrive à grands pas. De nombreuses actions de sensibilisations et d'appels à ses journées de blocages voient déjà le jour. Bayrou tente le baroud d'honneur en mettant en jeu le gouvernement par un vote sur le budget le 8 septembre, replaçant l'attention sur la politique institutionnelle. La gauche hésite à son habitude, plus personne ne l'attend vraiment, alors qu'un grand nombre de bases syndicales sont déjà en mouvement. Le 10 est sur toutes les bouches, faisons en sorte qu'il soit le début de quelque chose.
De nombreuses idées émergent, de la grève générale au blocage des rocades. Si l'on souhaite un dépassement du mouvement des Gilets Jaunes, il semble important de se donner quelques pistes pour que la lutte dure, grandisse et ne meurt pas, que ce soit dans la répression, l'épuisement où le manque de perspectives révolutionnaires. Un moment de révolte est une expérience collective qui doit être un pas de côté vis à vis de la politique institutionnelle, celle qui décide pour nous et qui nous réprime. Ce pas de côté est notre capacité à créer autre chose, d'autres quotidiens en espérant qu'ils perdurent. Pour cela, il faut renforcer des réseaux de solidarité, il faut développer notre autonomie. Pour cela, il faut imaginer le coup d'après.
Si nous considérons cette mobilisation comme le début d'un mouvement, alors cela nécessite que chaque groupe et personne puisse agir en mutualisant ses moyens et que localement, on se retrouve pour lier nos forces, tout en restant vigilant.es à prendre soin de nous et du collectif. Concrètement, cela veut dire répondre aux besoins de base : manger et boire, se reposer, discuter, prendre soin, se défendre, attaquer et le faire dans un élan commun.
Manger : Le territoire abrite de nombreux et nombreuses personnes ayant des capacités matérielles de faire de la bouffe, en petites ou grandes quantités. Il nous semble important de s'organiser en amont pour prévoir des repas sur les points de blocages, mais aussi prévoir des banquets aux fins de manifestations pour que l'on se rencontre sans être pressé par l'agenda ou la répression, permettant aux personnes ne pouvant pas se pointer dans des actions de discuter et sentir le mouvement. Partageons nos plans récup, invitons les maraîchers, les magasins et restos à donner ou amener à manger sur les points de mobilisations proches, préparons des stocks de petits déj', du matériel de cantine et de quoi tout transporter. Déjà, de nombreuses cantines militantes se mettent en lien pour s'organiser. Rejoignons ce mouvement. Lorsqu'elles se mettent à plein régime, comme à Rennes ou à Nantes, cela change la situation. Ainsi le ventre plein, nous pourrons durer.
Le repos : la différence entre un blocage à là demi-journée et un mouvement sur le temps long est bien sur l'impact réel sur l'économie et la vie normale, mais aussi sur notre fatigue. Combien de piquets de grève finissent avec une négociation bâclée à cause d'une fatigue générale ? Il nous faut donc penser le rythme de cette mobilisation. Prévoir des relais, des matelas, des zones d'accueils pour les camarades fatigués ou blessés, des cuisines, des toilettes. De nombreuses personnes ont des ateliers, qui pourraient permettre de fabriquer en amont des cabanes, des structures ou des palais pour nous abriter, à vos outils ! Beaucoup de trésors traînent dans les greniers et dans les garages. Offrons-leur une seconde vie en les partageant pour rendre les occupations pérennes et rejoignables.
Discuter : la parole est au centre du mouvement. Des centaines de groupes Telegram, Signal, Facebook existent déjà et sont le lieu de débats, de partage et de débuts d'organisation. Bien que cela donne parfois l'impression d'une masse infinie de messages, de trolls et d'idées en tous sens, il va falloir qu'on trouve une langue commune, qu'on développe une manière de s'entendre sans que le pouvoir ne nous comprenne, qu'on puisse échanger pour le surprendre, pour toucher les endroits qui lui font mal. Cela passe par des diffusions de textes, de vidéos, de chants, d'idées, le tout sur des canaux qui nous rassurent, qui sont le plus possible sécurisés afin que cela échappe à la répression. Il faut qu'on s'apprenne à flouter les visages, à effacer les métadonnées, à chiffrer les communications, à sécuriser nos listes de contacts et nos comptes-rendus d'AG, à publier des appels, à revendiquer des actions. Signal, s'il est bien configuré, reste pour le moment la meilleur appli pour communiquer rapidement. Les sites Mutu sont des sites sécurisés, régionaux, gratuits et participatifs modérés par des gens participant aux luttes pour les gens participant aux luttes, idéals pour témoigner, appeler, revendiquer. Tout le monde peut se faire un compte, il est donc possible de se les réapproprier. Les GJ nous ont appris que le gouvernement ne ménage aucun moyen pour ficher, surveiller et réprimer. Au lieu d'en avoir peur, nous allons nous préparer. De nombreux guides existent déjà, partageons les !
Prendre soin : Les temps de repos sont aussi des occasions de prendre soin - de soi et des autres ; L'organisation de garderies autogérées et le soin des plus fragiles doivent être pris en compte pour permettre à chaque personne se sentant concernée par le mouvement d'être en capacité matérielle de le rejoindre. Les moments d'actions et de manifs doivent prendre en compte la santé de tous les participants. Médecins, infirmiers, étudiants, ainsi que toutes les personnes qui ont des connaissances ou qui veulent apprendre peuvent mutualiser leurs efforts et leurs matériels pour relancer des équipes de street medics, de moments et d'espaces d'écoute contre les violences psychologiques et physiques qui peuvent exister durant une lutte de longue haleine. Vivre le mouvement dans le soin, créer des confiances mutuelles qui nous donnent les moyens d'aller plus loin dans l'offensive, ne pas sous-estimer ces aspects permet au mouvement de ne pas faiblir face aux attaques du pouvoir.
Se défendre : les mobilisations passées nous ont apprises de nombreuses techniques de défense collectives. Des réseaux de défense juridiques avec leurs contacts d'avocats, jusqu'aux formations de bon conseils en manif et en garde à vue, nous avons de quoi prévoir la répression.
De nombreux collectifs (tels que le réseau de défense collective nationale Rajcol) et brochures (celle-ci ou celle-ci) référencent tout cela. Il est essentiel de prévoir comment payer les avocats, les frais juridiques, les amendes grâce à la création ou au renforcement de caisses de luttes ou chaque personne met ce qu'elle peut pour permettre de collectiviser l'argent pour se défendre. Nous avons besoin d'avocats réactifs pour donner de bons conseils en garde à vue, mais aussi pour attaquer les arrêtés préfectoraux qui se multiplient toujours plus illégitimement à chaque fois que des gens se réunissent. Il faut dés-à-présent se procurer du matériel défensif en nombre pour pouvoir le partager. Masques Ffp3, lunettes de protection, gants, casques, parapluies... Tout le monde doit pouvoir rentrer d'action en bonne santé. De nombreuses entreprises permettent « ces emprunts » de matériels pour la bonne cause.
Attaquer : faisons confiance à l'énergie et à l'intelligence collective pour cibler le pouvoir et ces ramifications. Depuis longtemps, des groupes informent par des articles, des cartes et des documentaires sur les espaces de pouvoirs (quels sont les médias main stream à la solde du pouvoir, quelles sont les entreprises et institutions stratégiques dans l'énergie, l'armement, les décisions, etc.). Nourrissons nous de tout ce travail pour taper là où ça fait mal tout en se protégeant. Dès maintenant, on peut mettre de côté et entreposer du matériel pour les manifs, pour les blocages, pour les actions de nuits. Méfions-nous des caméras, payons en liquide, mettons un peu de distance avec notre téléphone, sortont en amont de nos domiciles tout ce qui pourrait être mal interprétés par une perquisition de la police, tout un tas de bonnes attitudes qui vont nous être essentielles pour filer entre les mains du pouvoir. Une hygiène de la sécurité permet de penser les choses en grand et d'avoir confiance en nos paris collectifs. Que l'on sabote notre propre entreprise ou que l'on fasse fuiter des informations utiles, que l'on fasse de petites équipes de nuit ou de grandes manifestations, partout, tout le temps il y a des cibles intéressantes à viser. Toucher l'industrie de l'armement qui sème la mort et la famine dans le monde, malmener ceux qui participent à l'accaparement des ressources qui rend notre eau imbuvable et notre nourriture cancérigène, bloquer les flux de transport autoroutiers, ferroviaires, navales et aériens, soutenir les blocus des sites pétroliers, lutter contre le racisme, le fascisme et le patriarcat en tenant la rue face aux flics et aux fachos, la liste est presque infinie, il faut cependant que l'on décide de ce qui fait le plus sens selon nos forces et nos faiblesses. Ne prenons pas à la légère la répression, faisons des repérages dès maintenant pour identifier les accès, les caméras, les points de fuite et le matériel nécessaire à nos actions.
Pour cela, sortons de notre léthargie ou de notre attentisme. Ne soyons pas spectateur. N'attendons pas que le mouvement soit repris par les syndicats et les partis pour ensuite s'en plaindre. Le caractère flou et désorganisé des appels peut être notre force pour être surprenants, pour que surgissent partout sur le territoire de nouvelles formes de luttes combatives. Développons nos imaginaires. Partageons-les collectivement au contact des gens qui se mettent en mouvement. Laissons notre rage s'exprimer et nos stratégies s'affûter. Les formes les plus explosives sont encore à inventer. Nous devons d'ores et déjà se mettre en action afin de faire en sorte de se faire déborder et dépasser par la situation, afin qu'elle dure et aille bien plus loin qu'une simple journée de manifestation. Nous pouvons nous donner les moyens de penser en amont les besoins matériels et les stratégies d'attaque. Alors n'attendons pas, préparons-nous dès maintenant pour le coup d'après.