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11.10.2024 à 19:20
Un rêve de Han Kang, Prix Nobel de littérature 2024
Matheo Malik
Dans l’incipit de son roman Impossibles adieux, la narratrice raconte un rêve angoissant — celui d’une marée qui monte dans un cimetière enneigé.
Introduction fulgurante à la prose poétique de Han Kang, Prix Nobel de littérature 2024.
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Texte intégral (512 mots)
La neige tombe, éparse.
Le champ où je me trouve s’étend sur une colline hérissée de milliers d’arbres noirs sans cimes ni branches, de troncs nus. Ils sont de taille légèrement variée, comme des personnes d’âges différents. Ils ne sont guère plus épais qu’une traverse de voie ferrée mais courbés, tordus, l’ensemble évoquant une frise composée de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants maigres qui se tiendraient sous la neige, épaules voûtées.
Suis-je dans un cimetière ? me demandé‑je.
Tous ces arbres sont-ils des pierres tombales ?
Je marche entre les troncs noirs sur lesquels se sont posés des flocons de neige semblables à des cristaux de sel, et derrière chaque arbre s’élève un tumulus. Si je m’arrête soudain, c’est que je sens sous mes baskets comme des petits clapotis. C’est bizarre, me dis‑je, alors que l’eau monte jusqu’au‑dessus de mon pied. Je me retourne. Je n’en crois pas mes yeux. L’autre extrémité du champ que je prenais pour une terre s’étirant vers
l’horizon est en réalité une mer. Et la marée continue de monter.
Sans le vouloir, c’est à haute voix que je lance :
Quelle idée d’installer des tombes dans un tel endroit ?
La mer monte de plus en plus vite. La marée fait‑elle vraiment cet aller‑retour deux fois par jour ? Les ossements des tombeaux au pied de la colline sont‑ils tous emportés par le reflux, qui ne laisse subsister que les tumuli ?
Le temps presse. Il est trop tard pour les sépultures déjà immergées, mais il est encore possible de déplacer les ossements des tombes en amont. Avant que la mer ne les atteigne, maintenant, tout de suite.
Mais comment faire ? Je suis seule, il n’y a personne. Je n’ai même pas de bêche. Comment sauver tous les morts enterrés ? Désemparée, je m’enfuis à travers les fûts noirs des arbres, chassant devant moi l’eau qui a atteint mes genoux.
J’ouvre les yeux. L’aube n’est pas encore là. Dans la pièce sombre, il n’y a plus de champ sous la neige, plus d’arbres noirs, plus de marée montante. Je regarde un moment la fenêtre, avant de refermer mes paupières. J’ai à nouveau rêvé de cette ville. Je reste allongée, mes paumes froides couvrant mes yeux.
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30.09.2024 à 12:42
20 livres à lire en octobre 2024
Matheo Malik
Des antipapes à la french theory, du réformisme en Chine à une histoire du mistral en passant par San Gennaro — comme chaque mois, nous sélectionnons les principales sorties en sciences sociales.
On se retrouve en librairie ?
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Texte intégral (7469 mots)
Michele Bernardini et Roberto Tottoli (dir.), Mondi islamici, Einaudi
« Consacré aux « mondes islamiques », ce recueil vise à donner une vue d’ensemble d’une communauté religieuse qui rassemble près de deux milliards de personnes et est divisée en sociétés qui diffèrent en termes d’ethnies, de langues, de pratiques culturelles et de structures sociales. À partir d’un récit des origines du phénomène islamique et de son insertion dans les civilisations anciennes au travers d’une perspective religieuse nouvelle et originale, le volume esquisse un développement historique qui a connu des moments de confrontation, mais aussi d’échanges et de coexistence très significatifs avec l’ensemble de l’Europe, et qui est aujourd’hui présent sur tous les continents.
Les spécificités des principales réalités islamiques sont retracées, en commençant par l’Arabie, lieu de naissance de Muhammad, à partir duquel sa foi s’est répandue, avant d’aborder les vicissitudes séculaires des deux époques califales, celle des Omeyyades et celle, beaucoup plus longue, des Abbassides. D’autres chapitres décrivent successivement ces différentes réalités : l’Iran qui, de l’Antiquité à l’époque contemporaine, a joué un rôle fondamental dans l’histoire de l’Islam ; l’Espagne et les Balkans musulmans, lieux de la première expansion en Europe ; les peuples turcs et la naissance de l’Empire ottoman ; l’Asie centrale ; le contexte méditerranéen, centre de conflits et d’échanges économiques intenses ; la Chine et l’Inde, avec leurs spécificités et leurs complexités ; l’Afrique subsaharienne et la côte orientale de l’Afrique ; jusqu’aux développements les plus récents de l’Islam en Europe occidentale et aux États-Unis d’Amérique. »
Parution le 1er octobre
Adeline Blaszkiewicz-Maison, Albert Thomas. Une histoire du réformisme social, PUF
« Homme politique majeur de la IIIe République, Albert Thomas (1878 1932) est resté dans l’ombre de personnalités comme Jean Jaurès ou Léon Blum. Il faut dire que l’homme a des positions qui le placent en marge du mouvement socialiste, dont il se revendique pourtant jusqu’à son dernier souffle.
Ouvertement réformiste quand le marxisme révolutionnaire s’impose dans la gauche française, ministre de l’Armement pendant la Première Guerre mondiale au moment où la gauche européenne renoue avec le pacifisme, il devient aux yeux des socialistes et des communistes le « ministre des obus » et le fossoyeur de l’idéal de paix. Opposé à la Révolution russe de 1917, il défend un socialisme républicain, convaincu de l’importance de la voie législative et du dialogue social pour changer le monde. Premier directeur du Bureau international du travail, il est un ardent défenseur de la régulation du capitalisme par l’instauration d’un code du travail mondial.
Appuyé sur des archives inédites et variées, cet ouvrage retrace le parcours de ce précurseur de la social-démocratie à la française, et offre une plongée passionnante dans l’histoire de la IIIe République et dans celle des internationalismes du début du XXe siècle. »
Parution le 2 octobre
Xosé Fortes, En la piel de los héroes. Una conspiración democrática en el ejército franquista, Tusquets
« Au début des années 1970, l’armée espagnole était imperméable à l’aspiration à la liberté et à la démocratie qui s’exprimait déjà dans de larges pans de la société et apparaissait comme un bastion invincible de la dictature et de la répression. Malgré cela, une petite minorité d’officiers, dont le capitaine d’infanterie Xosé Fortes, ont défié leurs supérieurs en fondant l’Unión Militar Democrática (UMD) en septembre 1974.
Ce livre raconte comment ce groupe de soldats, encouragé par le triomphe, quelques mois plus tôt, de la révolution des œillets au Portugal, a risqué sa carrière et sa liberté pour introduire les idéaux démocratiques dans les forces armées et défendre les principes de la souveraineté populaire et les valeurs d’une société progressiste.
Dénoncés, arrêtés et condamnés à de lourdes peines pour incitation à la rébellion, les membres de l’UMD ont encore eu la force de dénoncer et de mettre en garde contre la menace grandissante d’un coup d’État militaire au début de la Transition. Ce n’est qu’avec le temps que ces véritables héros ont été un tant soit peu réhabilités et honorés à juste titre par la démocratie espagnole qu’ils ont tant contribué à consolider. »
Parution le 2 octobre
Alain Ruscio, La première guerre d’Algérie. Une histoire de conquête et de résistance, 1830-1852, La Découverte
« La « première guerre d’Algérie » commença le 14 juin 1830 à 4 heures du matin, lorsque le premier soldat français posa le pied à Sidi-Ferruch. Les conquérants furent d’emblée confrontés à une force de résistance qu’ils n’avaient pas imaginée, dont la figure emblématique reste l’émir Abd el-Kader. S’ensuivirent deux décennies d’affrontements d’une intensité et d’une violence extrêmes.
Le maréchal Bugeaud et bien d’autres officiers appliquèrent et souvent amplifièrent sur le terrain la politique répressive décidée à Paris par François Guizot, Adolphe Thiers, Jean-de-Dieu Soult, etc. Par milliers, les Algériennes et les Algériens furent humiliés, spoliés, déplacés, enfumés, massacrés, décapités… En 1852, Hugo décrivait cette armée française, « faite féroce par l’Algérie ». Pourtant, cette politique de terreur fut approuvée et même justifiée par de grands intellectuels de l’époque, comme Tocqueville et Lamartine. D’autres, très minoritaires, dénoncèrent la conquête, au nom de critères plus pragmatiques qu’éthiques ou politiques.
Prélude à cent trente-deux années de présence française, la conquête de l’Algérie constitue un moment décisif dans l’émergence de l’esprit colonial – et racial – qui marqua durablement la société hexagonale, et produit encore aujourd’hui ses effets délétères. »
Parution le 3 octobre
Mario Prignano, Antipapi. Una storia della Chiesa, Laterza
« Du IIIe siècle après J.-C. à la fin du Moyen Âge, l’élection du pape s’est souvent déroulée dans un climat très conflictuel, qui a donné lieu à des oppositions et à des querelles. Le plus souvent, celles-ci aboutissaient à la présence simultanée de deux pontifes, dont l’un était qualifié d’antipape. Dans notre imaginaire, ces personnages sont souvent présentés comme des individus corrompus, avides de pouvoir, ennemis de l’Église et de l’unité des chrétiens. En réalité, loin d’être des créatures obscures complotant dans l’ombre, nombre d’entre eux sont des ecclésiastiques dévoués qui sont devenus antipapes parce qu’ils défendaient des positions théologiques qui ont été rejetées par la suite ou pour une série de raisons fortuites.
Cette histoire des « perdants » de la tradition officielle de l’Église nous fera ainsi découvrir que sur la trentaine d’antipapes, l’un est vénéré comme saint et martyr et que d’autres sont morts en odeur de sainteté. Que pendant de longs siècles, le Saint-Siège a préféré ne pas se prononcer sur nombre d’entre eux et que sur certains, il reste encore prudent, admettant qu’ils puissent être considérés comme des papes légitimes. On découvrira également que certains personnages que l’historiographie traditionnelle a considérés comme des marionnettes aux mains du pouvoir séculier, ont contribué de manière décisive à la définition des règles qui sous-tendent la papauté et, pour cette raison, de manière totalement inattendue, à l’histoire et à la conscience de soi de l’Église elle-même. »
Parution le 4 octobre.
Georges Didi-Huberman, Gestes critiques, Klincksieck
« La critique constitue sans doute l’activité primordiale de toute pensée émancipatrice. Or elle se doit d’être — philosophiquement — aussi délicate que radicale. Elle fera tout autre chose, par exemple, que seulement récriminer, dire du mal, chercher noise, vouer aux gémonies, exiger le dernier mot.
Ainsi nul ne saurait lui prescrire une forme unique. Comment pourrait-elle devenir conforme à un modèle unique, elle dont la tâche est justement de déconstruire tous les conformismes ? La critique sera donc plurielle, faite de différents gestes possibles. Il y a le geste socratique, que Platon nommait une « technique critique » ou discriminante. Il y a le geste de la lecture philologique, celle qui aura permis à Lorenzo Valla ou à Spinoza de mettre en question, de façon aussi incisive que minutieuse, l’autorité religieuse attachée à certains dogmes. Il y a l’invention de la critique sensuelle par Diderot et, naturellement, ce geste des Lumières effectué par Kant qui, cependant, distinguait bien la critique de tout système. Il y a, chez les Romantiques allemands, cette façon de critiquer en poètes et, chez Marx, le grand combat critique destiné à transformer le monde. Il y a chez Walter Benjamin un geste critique destiné à nous faire saisir tout à la fois le « courage du poète » et, sur le plan politique, une certaine « organisation du pessimisme ». Il y a le geste d’inservitude selon Michel Foucault : le geste à faire pour n’être pas gouverné.
En reprenant il y a cinquante ans la formule de Marx — « critique de la politique » —, Miguel Abensour n’a-t-il pas créé une collection exemplaire de ces gestes critiques ? Or son pluralisme n’a rien d’éclectique : c’est bien plutôt un éventail ouvert sur l’extraordinaire fécondité de l’activité critique dans la longue durée de l’histoire. Toute une bibliothèque de la liberté, en somme. Une ouverture aux mille façons possibles de mettre en pièces les conformismes de la pensée, politique notamment. Ayant introduit en France les textes majeurs de la Théorie critique, cette collection a également réuni, sous sa fameuse couverture rouge, des lignes de pensées qui vont d’Étienne de La Boétie à Ernst Bloch, de Karl Marx et Pierre Leroux aux surréalistes, de Hegel à Simmel, Benjamin, Arendt ou Kracauer… Elle n’a pas craint non plus de toujours donner la parole à de patients et radicaux chercheurs contemporains.
Il fallait s’interroger, ce que tente ce livre, sur la cohérence et l’exigence propres à Miguel Abensour, tant dans sa politique éditoriale que dans son œuvre personnelle, car les deux sont indissolublement liées. On découvre alors que ce défenseur des « guetteurs de rêves », qui a repensé la notion d’utopie — donc d’espérance politique —, n’a cheminé en tous sens que pour éprouver la fécondité de ce qu’on devra, en fin de compte, nommer une constellation de l’imagination critique. »
Parution le 4 octobre
Pierre Rosanvallon, Les Institutions invisibles, Le Seuil
« Autorité, confiance, légitimité. Le sentiment spontané de leur centralité dans le fonctionnement des sociétés voisine avec le flou de leur caractérisation. En retraçant l’histoire longue de leur appréhension, ce livre propose de les comprendre comme des institutions invisibles. Institutions, car elles ont une fonction de production du commun et
d’inscription dans la durée des rapports économiques, sociaux et politiques. Mais invisibles, car elles ne sont pas définies par des règles et des statuts ni dotées d’une capacité de contrainte. Elles sont en effet constituées par la nature et la qualité des relations entre individus, ou entre individus et organisations. Autorité, confiance et légitimité s’entrelacent sur ce mode pour faire système.
Cette conceptualisation permet d’élargir le cadre d’analyse des sociétés contemporaines tout en l’inscrivant dans une histoire comparative renouvelée. Elle ouvre simultanément des perspectives pour agir en vue de surmonter la perplexité des intelligences et l’assèchement des imaginations qui nourrissent aujourd’hui le fatalisme résigné à l’ombre duquel prospèrent les mirages populistes. »
Parution le 4 octobre
Denis Crouzet, Paris criminel, 1572, Les Belles Lettres
« Lorsque, le 24 août 1572, Charlotte Arbaleste se réveille vers 5h00 du matin et regarde à sa fenêtre, que voit-elle ? Les rues avoisinantes sont remplies de gens qui vont et viennent. Le massacre de la Saint-Barthélemy a en effet commencé depuis deux ou trois heures avec l’assassinat de l’Amiral de Coligny et la tuerie des capitaines huguenots présents dans la capitale. Sans doute s’étend-il déjà à la population protestante de la ville.
Les Parisiens sont sortis de chez eux pour se faire les spectateurs-acteurs d’une immense tragédie, dont Denis Crouzet réévalue le nombre des victimes : au moins 4 000, peut-être plus. Il démontre que cette tragédie n’a été possible que parce que le « peuple » a pris part, tant activement que passivement, à une grande euphorie collective aspirant à réitérer le massacre biblique des adorateurs du Veau d’or. C’est toute une ville qui a tué ou laissé tuer les « hérétiques » dans le cours d’un atroce crime de masse que l’on peut rapprocher des grands pogroms de l’histoire passée.
Comprendre comment le pouvoir royal, à contre-sens du rêve de paix civile qui l’animait, a pu être pris au piège d’un imaginaire eschatologique commandant à chaque « bon catholique » de prendre part à un grand massacre qui exprimait une intense foi en Dieu, tel est le projet de ce livre qui s’apparente à une enquête policière oeuvrant dans l’obscurité des jours et des nuits d’épouvante. »
Parution le 4 octobre
Fredric Jameson, The Years of Theory. Postwar French Thought to the Present, Verso
« Fredric Jameson présente ici les grands thèmes de la French Theory : existentialisme, structuralisme, poststructuralisme, sémiotique, féminisme, psychanalyse et marxisme.
Il replace cette période effervescente de la pensée dans le contexte de ses conjonctures politiques les plus significatives, notamment la Libération de Paris, la guerre d’Algérie, les soulèvements de mai 68 et la création de l’Union européenne.
Les débats philosophiques de l’époque prennent vie à travers des anecdotes et des lectures approfondies d’ouvrages de Sartre, Beauvoir, Fanon, Barthes, Foucault, Althusser, Derrida, Deleuze, de groupes comme Tel Quel et les Cahiers du Cinéma, et de penseurs contemporains comme Rancière et Badiou. Éclectiques, perspicaces et inspirés, les séminaires de Jameson fournissent un aperçu essentiel d’un moment intellectuel comparable en importance à l’âge d’or d’Athènes, historiquement fascinant et d’une pertinence persistante. »
Parution le 8 octobre
Brice Gruet, Le saint, le sang et le volcan. Se protéger des désastres à Naples, CNRS Éditions
« Les Napolitains, face au danger, se tournent depuis des siècles vers Saint Janvier (San Gennaro), patron de la ville. Ses reliques seraient capables de repousser les éruptions du Vésuve et d’autres calamités. Son sang en particulier, contenu dans deux petites fioles de verre, est paré de vertus miraculeuses : il se liquéfie au moins deux fois par an à l’occasion de fêtes consacrées au saint.
Si tout ceci peut sembler relever de la superstition, cela fait pourtant sens pour toute une population, y compris hors de Naples, puisque des millions de fidèles dans le monde entier continuent à révérer saint Janvier. Au fil des ans, des relations très étroites se sont nouées entre les habitants, le Vésuve et leur saint protecteur.
Ce livre s’attache à comprendre la nature de ces relations, et pose ainsi la question de notre rapport au danger et à ce qui peut nous en protéger. »
Parution le 10 octobre
Gabriele Ranzato, Eroi pericolosi. La lotta armata dei comunisti nella Resistenza, Laterza
« Dans de nombreux écrits sur la Résistance, les « partisans » sont désignés comme les auteurs d’attentats contre les Allemands ou les victimes de leurs rafles, sans autre précision. Mais dans la plupart des cas, il s’agit de partisans communistes, dont la connotation politique est souvent restée secrète par la suite. Après la guerre, c’est leur propre parti qui les a intégrés dans sa vision de la guerre de libération comme une « guerre populaire » menée par un large front antifasciste, presque indifférencié. Et ce, encore plus après l’effondrement de l’URSS, lorsque la forte empreinte communiste sur la lutte armée anti-allemande est apparue comme une tâche capable d’en effacer les mérites.
Ce livre n’est pas un simple plaidoyer en faveur de ces mérites. Il en illustre quelques-uns, dont surtout la création ex nihilo du noyau essentiel de l’« armée de partisans », les Brigades Garibaldi, œuvre de quelques militants, capables cependant d’attirer de nombreux volontaires désireux de se battre contre les nazi-fascistes. A côté de leurs exploits, il faut cependant considérer leurs limites, qui tiennent aux objectifs politiques de leur groupe dirigeant, déterminé à leur attribuer, malgré leur caractère de guérilla, les tâches d’une véritable armée régulière capable de tenir des garnisons dans de vastes « zones libres ». Mais après les dures épreuves du dernier hiver de la guerre, les formations communistes ont apporté la principale contribution à la libération des villes du Nord avant l’arrivée des Alliés, un objectif symbolique important partagé par toutes les forces de la Résistance. »
Parution le 18 octobre
Tatjana Tönsmeyer, Unter deutscher Besatzung. Europa 1939-1945, C. H. Beck
« Au plus fort de la montée en puissance de l’Allemagne pendant la Seconde Guerre mondiale, 230 millions de personnes vivaient sous la domination allemande, de la Norvège à la Grèce et de la France à l’Union soviétique. Tous ont dû s’accommoder de l’occupant et ont fait des expériences dont les effets se font encore sentir aujourd’hui. Dans leur vie quotidienne, sur leur lieu de travail, dans leurs relations avec les autorités et les militaires. Et chaque contact avec l’occupant pouvait se transformer en violence. Tatjana Tönsmeyer a écrit la première histoire de l’Europe occupée par l’Allemagne qui adopte le point de vue de l’occupé et non celui de l’occupant – et met ainsi à jour un sombre héritage qui est toujours présent de manière subliminale dans les relations entre les voisins européens et l’Allemagne.
L’Europe occupée par l’Allemagne s’étendait du nord de la Norvège aux îles grecques de la Méditerranée et de la côte atlantique française aux régions situées loin à l’intérieur de l’Union soviétique. Dans ces frontières, des millions de personnes ont vécu des bouleversements profonds dans leur vie quotidienne, leurs conditions de logement, leur approvisionnement et sur leur lieu de travail. Les occupants allemands édictèrent de nouvelles règles, divisèrent les sociétés et créèrent une atmosphère dans laquelle le recours à la violence était toujours une option – surtout pour les Juifs, qui étaient en outre exposés à une persécution génocidaire. Dans les territoires occupés, les victimes civiles dépassaient le nombre de soldats morts. Dans le même temps, ces populations occupées n’étaient pas une masse homogène de victimes passives. Ils avaient des options d’action qu’ils pouvaient utiliser pour refuser, pour s’opposer ou au contraire se mettre au service des occupants. Tatjana Tönsmeyer montre comment l’occupation allemande a changé la vie de millions d’Européens et ce que cela signifie de vivre sous un régime d’occupation. »
Parution le 10 octobre
Bastian Matteo Scianna, Sonderzug nach Moskau. Geschichte der deutschen Russlandpolitik seit 1990, C.H. Beck
« Depuis le 24 février 2022, la politique allemande à l’égard de la Russie est en lambeaux. Ses stratégies ont échoué. Ses convictions fondamentales sont ébranlées. Elle fait l’objet de vives controverses en Allemagne et sur la scène internationale. A-t-elle été ratée dès le départ ? Jusqu’où s’étendait l’influence de la Russie et de ses réseaux ? Quel rôle ont joué les intérêts économiques ?
Bastian Matteo Scianna a eu accès à des archives inédites en Allemagne et à l’étranger, notamment aux dossiers de la chancellerie sous Helmut Kohl, aux procès-verbaux du groupe parlementaire CDU/CSU au Bundestag ou à des transcriptions de conversations provenant de sources britanniques et américaines. Son analyse montre que l’histoire est bien plus complexe que ce qui est parfois présenté. Grâce à une approche comparative et contextualisée, il apparaît clairement que l’Allemagne était loin d’être seule à suivre sa voie en Europe et qu’elle n’était pas « aveugle et naïve », comme le prétendent certains critiques.
D’autres pays croyaient également au « changement par le commerce » et voulaient coopérer avec la Russie. Ailleurs aussi, on suivait ses propres intérêts tout en reconnaissant les limites de sa propre influence. Le fait que l’Allemagne soit traitée comme un souffre-douleur est malgré tout partiellement justifié : car elle ne s’est jamais préparée à une situation d’urgence. L’armée allemande a dépéri. L’Ukraine n’a pas été réarmée. Le dialogue, la détente et l’intégration ont été de nobles tentatives, mais sans dissuasion et en raison d’errements en matière de politique énergétique, elles ont mis en danger la sécurité de l’Europe. »
Parution le 12 octobre
Arnaud Macé et Paulin Ismard, La cité et le nombre. Clisthène d’Athènes, l’arithmétique et l’avènement de la démocratie, Les Belles Lettres
« Ce livre entreprend d’examiner à nouveau l’acte fondateur de la démocratie athénienne, à savoir la réforme de Clisthène. Mise en œuvre en 508/507 avant notre ère, celle-ci frappe encore l’imagination contemporaine par la sophistication de l’organisation de la vie communautaire qu’elle instaure, reposant sur le principe d’un brassage continu de la population.
Qu’une transformation aussi radicale de la vie civique se soit déroulée sans rencontrer de grandes difficultés demeure en partie mystérieux. Pour comprendre l’avènement de cette oeuvre collective, il faut porter l’attention sur un savoir traditionnellement négligé, un savoir du nombre, celui dont font preuve ceux qui comptent les hommes sur le champ de bataille, les moutons dans la colline ou les jetons des jeux dont la clameur emplit les tavernes. Ce savoir se distingue des spéculations mathématiques savantes que la tradition a attribuées à un Pythagore ou un Thalès.
Transmises de générations en générations par le biais d’un apprentissage collectif, ces mathématiques concrètes, dont les opérations étaient maîtrisées par une grande partie de la population offrent l’arrière-plan de la réforme de Clisthène. Celle-ci consistait en effet avant tout dans la maîtrise des processus de division et de recomposition de collectifs, soit un art du rangement et du classement des choses et des hommes, attesté dès l’époque d’Homère et appliqué à la résolution des crises politiques et sociales dans les cités grecques. Une autre histoire de la raison démocratique en Grèce ancienne s’en trouve éclairée. »
Parution le 18 octobre
Catherine Tatiana Dunlop, The Mistral A Windswept. History of Modern France, University of Chicago Press
« Chaque année, le mistral glacial souffle dans la vallée du Rhône, dans le sud de la France, à travers les zones humides de Camargue et jusqu’à la mer Méditerranée. Plus fort lorsque l’hiver se transforme en printemps, le vent renverse les arbres, fait dérailler les trains et détruit les récoltes. Pourtant, le mistral rend le ciel clair et bleu, tel qu’il apparaît souvent dans les représentations de la Provence. Ce vent légendaire est au cœur de l’identité régionale et a inspiré les artistes et les écrivains d’ici et d’ailleurs pendant des siècles.
Cette force de la nature est au cœur de l’ouvrage de Catherine Dunlop qui se penche sur le pouvoir du mistral et, en particulier, sur la manière dont il a remis en question les principes fondamentaux de la société européenne du XIXe siècle : l’ordre, la maîtrise et la prévisibilité. Alors que l’État en voie de modernisation cherchait à se libérer des réalités environnementales grâce aux progrès scientifiques, à l’aménagement territorial et à d’autres solutions technologiques, le vent a continué à souffler, écrasant littéralement les tentatives de contrôle et devenant de plus en plus partie intégrante des sentiments régionaux d’appartenance à un lieu et à une communauté. »
Parution le 22 octobre
Alessandro Aresu, Geopolitica dell’intelligenza artificiale, Feltrinelli
« L’intelligence artificielle est l’ultime invention de l’homme. Son apparition évoque le risque d’extinction de son créateur, car sa diffusion conduira peut-être à son dépassement. Ces visions apocalyptiques imprègnent désormais le discours public sur la technologie, dans un monde où le terme même d’« intelligence artificielle » est devenu omniprésent et obsessionnel. Ces thèmes sont loin d’être nouveaux en raison de leurs racines philosophiques profondes et des pionniers qui, dans divers domaines, les ont nourris tout au long du XXe siècle ; cependant, quelque chose d’important s’est déjà produit et nous sommes les spectateurs de connexions dont nous ne saisissons pas pleinement la signification.
Le débat sur l’intelligence artificielle remet alors en question un certain nombre de concepts clés, parmi lesquels l’origine de l’intelligence elle-même, ce que nous savons et ignorons du cerveau et de la pensée ; l’idée d’une intelligence « générale » appliquée aux machines ; les limites quantitatives et qualitatives du calcul ; le problème de l’adéquation de la technologie à nos besoins et à nos valeurs. Mais quelles sont les entreprises qui alimentent ces processus ? Et quelles sont leurs implications dans un monde radicalement divisé, déchiré par la guerre technologique entre les États-Unis et la Chine sur les infrastructures et les usages de l’intelligence artificielle, et par la course aux ressources, tant économiques que matérielles, nécessaires à son développement continu ? »
Parution le 22 octobre
Jocelyne Dakhlia, Harems et Sultans. Genre et despotisme au Maroc et ailleurs, XIVe-XXe siècle, 3 volumes, Anacharsis
« Sitôt prononcé le mot « harem », surgissent des images de femmes lascives, cloîtrées dans la pénombre en attente du bon vouloir du prince. C’est aussi l’expression exemplaire du gouvernement de sultans réputés exercer leur pouvoir sous l’emprise de pulsions quasi pathologiques. Ces poncifs, que l’on pourrait croire éculés, entrent aujourd’hui encore en résonance avec la conception d’un monde islamique figé et politiquement inepte, fatalement voué au despotisme et à l’oppression des femmes.
Jocelyne Dakhlia entreprend dans cet ouvrage une archéologie de ces motifs à partir de l’histoire du Maroc, de la fin du Moyen Âge au XXe siècle. Il s’agit ici de mobiliser à nouveaux frais l’ensemble de la documentation disponible, tant picturale que textuelle, afin de procéder à une histoire fine du genre et du politique en Islam, de remettre en mouvement des logiques historiques là où l’historiographie se faisait plus sommairement culturaliste. »
Parution le 25 octobre
Odd Arne Westad et Jian Chen, The Great Transformation. China’s Road from Revolution to Reform, Yale UP
« Odd Arne Westad et Chen Jian racontent comment une Chine appauvrie et terrorisée a connu des changements politiques radicaux au cours des longues années 1970 et comment les gens ordinaires se sont libérés des croyances qui avaient façonné leur vie pendant la révolution culturelle de Mao. Ces changements, ainsi que la croissance économique soutenue et sans précédent qui a suivi, ont transformé la Chine et le monde.
Ils dressent un panorama des catastrophes et des progrès en Chine et décrivent l’ouverture progressive du pays au monde, les jeux de pouvoir à une époque où les dirigeants étaient âgés et malades, la rébellion du peuple contre l’ancien système gouvernemental et le rôle de personnages improbables : les capitalistes chinois d’outre-mer, les ingénieurs américains, les professeurs japonais et les designers allemands. C’est l’histoire d’un changement révolutionnaire que ni les étrangers ni les Chinois eux-mêmes n’auraient pu prédire. »
Parution le 29 octobre
Eric Storm, Nationalism : A World History, Princeton University Press
« La recrudescence actuelle du nationalisme à travers le monde nous rappelle que nous ne vivons pas dans un monde sans frontières. Eric Storm éclaire les mouvements nationalistes contemporains en explorant l’évolution globale du nationalisme, depuis la naissance de l’État-nation au XVIIIe siècle jusqu’au renouveau des idées nationalistes à l’heure actuelle.
Il montre comment le nationalisme influence les arts et les sciences humaines, en cartographiant sa diffusion par le biais des journaux, de la télévision et des médias sociaux. Le sport et le tourisme ont également contribué à façonner un monde de nations distinctes, chacune ayant son propre caractère, ses propres héros et ses propres faits marquants. Le nationalisme sature l’environnement physique, non seulement sous la forme de musées nationaux et de statues patriotiques, mais aussi dans les efforts déployés pour préserver le patrimoine culturel, créer des parcs nationaux, inventer des plats et des boissons ethniques, promouvoir des pratiques de construction traditionnelles et cultiver des plantes indigènes. Le nationalisme a même été utilisé pour vendre des voitures, des meubles et des articles de mode.
En retraçant ces tendances d’un pays à l’autre, Eric Storm montre que les moments décisifs du nationalisme ont eu lieu à l’échelle mondiale. Il affirme que l’émergence de nouveaux États-nations a été largement déterminée par des changements dans le contexte international, que les relations entre les États-nations et leurs citoyens se sont largement développées selon des modèles mondiaux et que les tendances intellectuelles mondiales ont influencé la nationalisation de la culture et de l’environnement. »
Parution le 29 octobre
H. E. Chehabi et David Motadel (dir.), Unconquered States : Non-European Powers in the Imperial Age, Oxford University Press
« À l’apogée des impérialismes, la majeure partie du monde était gouvernée, directement ou indirectement, par les puissances européennes. Unconquered States explore les luttes pour la souveraineté des quelques États non occidentaux nominalement indépendants à l’époque impériale. Il examine la manière dont des pays comme la Chine, l’Éthiopie, le Japon, l’Empire ottoman, la Perse et le Siam ont réussi à tenir l’impérialisme européen à distance, tandis que d’autres, comme Hawaï, la Corée, Madagascar, le Maroc et les Tonga, ont longtemps lutté, mais finalement échoué, à maintenir leur souveraineté.
Les chapitres de ce livre abordent quatre aspects majeurs des relations que ces pays ont entretenues avec les puissances impériales occidentales : les conflits armés et les réformes militaires, les traités inégaux et les capitulations, les rencontres et la diplomatie. Réunissant des chercheurs des cinq continents, cet ouvrage constitue la première histoire globale complète de l’engagement des États indépendants non européens avec les empires européens, ce qui modifie notre compréhension de la souveraineté, de la territorialité et de la hiérarchie dans l’ordre mondial moderne. »
Parution le 31 octobre
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24.09.2024 à 09:27
Comment finit-on une guerre ? 16 lectures
Matheo Malik
Aujourd’hui, une intense semaine diplomatique s’ouvre à New York.
Alors que Volodymyr Zelensky doit annoncer un très attendu « plan de paix », le Liban s’embrase. Le multilatéralisme est en crise — mais quand la guerre est là, comment faire taire les armes pour de bon ?
Nous avons sélectionné 16 ouvrages utiles pour penser la question de la fin des conflits.
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Texte intégral (5567 mots)
Le « débat général » s’ouvre à l’ONU : quels chefs d’État sont présents à New York cette semaine ? Dans quel ordre se feront les prises de parole à la tribune de marbre vert ? Nous faisons le point dans une brève et une carte synthétiques. Si vous nous lisez et que vous en avez les moyens, nous vous demandons de penser à vous abonner au Grand Continent
Jérôme Gautheret et Thomas Wieder, Faire la paix. De Waterloo à la Bosnie, six façons de mettre fin à une guerre, Novice, 2024
« Lorsque les dernières voies diplomatiques sont rompues, que la violence est exacerbée par la haine, que les combats font rage, il est difficile d’imaginer que cette mécanique guerrière puisse s’arrêter. Pourtant, un jour, les armes se taisent. Reste alors le plus complexe : bâtir la paix, ou du moins, surmonter, un temps, les rivalités et les ressentiments.
Tandis que les conflits oubliés se ravivent et que partout dans le monde les tensions se multiplient, Jérôme Gautheret et Thomas Wieder se penchent dans cet essai historique sur la manière dont les grands affrontements ont pris fin.
À travers six exemples qui ont marqué la mémoire européenne, de la plaine de Waterloo aux montagnes du Haut-Adige, du chaos des champs de bataille au calme feutré des chancelleries, les auteurs dévoilent les ressorts fragiles et précieux qui ont permis aux hommes, après l’horreur, de faire la paix. »
Holger Afflerbach et Hew Strachan (dir.), How Fighting Ends : A History of Surrender, Oxford University Press, 2012
« Il existe de nombreuses histoires sur la façon dont les guerres ont commencé, mais très peu traitent de la façon dont elles se sont terminées. Ce livre comble cette lacune. Commençant à l’âge de pierre et se terminant avec le terrorisme mondialisé, il aborde la question spécifique de la reddition, plutôt que l’établissement ultérieur de la paix. Le guerrier ou le soldat, et sa décision de déposer les armes, sont au cœur de ce livre.
Dans l’Antiquité, la reddition conduisait dans la plupart des cas à l’esclavage, mais l’esclave vivait plutôt qu’il ne mourait. Dans le monde moderne, le droit international confère aux soldats des droits en tant que prisonniers de guerre, et ces droits incluent la perspective d’un éventuel retour dans leur pays. Mais les individus peuvent se rendre à n’importe quel moment d’une guerre, sans que cela ait pour effet de mettre fin à la guerre. La fin des hostilités dépend d’un acte collectif pour que ses conséquences soient décisives. Elle suppose également que l’ennemi accepte l’offre de reddition en plein combat. En d’autres termes, comme beaucoup d’autres aspects de la guerre, la reddition dépend de la réciprocité — de la volonté d’un camp de cesser le combat et de celle de l’autre d’accepter cette volonté.
Cet ouvrage affirme que la reddition est le plus grand facteur de maîtrise de la violence en temps de guerre, car elle offre au vaincu la possibilité de survivre et au vainqueur celle de faire preuve de modération et de magnanimité. Comme les règles de la reddition se sont développées au fil du temps, elles constituent un élément clé pour comprendre l’histoire culturelle de la guerre. »
Jörn Leonhard, Über Kriege und wie man sie beendet. Zehn Thesen, C.H. Beck, 2023
« Faire la paix — mais comment ? Peu de questions sont à la fois aussi urgentes et aussi controversées aujourd’hui. Quand commence-t-on à sortir d’une guerre ? Et comment peut-on y parvenir : avec ou sans armes, par des négociations ou par la victoire d’un camp ? À partir de quand sait-on s’il s’agit d’une paix solide ou d’un simple répit tactique ? Jörn Leonhard jette un regard rétrospectif sur les guerres du passé, qui ont toutes pris fin un jour ou l’autre.
L’histoire ne se répète pas et ne fournit pas de plans pour les problèmes du présent. Mais elle offre un réservoir inépuisable de conflits et permet, grâce à un regard sur ce qui est lointain, de prendre ce recul qui nous permet de voir plus clairement ce qui est proche. Cela vaut notamment pour la question de savoir comment la guerre en Ukraine pourrait se terminer.
Qu’est-ce qui a poussé les acteurs à poursuivre les guerres ? Pourquoi la phase finale des guerres est-elle souvent particulièrement sanglante ? Et quand des fenêtres se sont-elles ouvertes pour la diplomatie ? La plupart des transitions de la guerre à la paix étaient tortueuses, pouvaient toujours être retardées et interrompues. Plus une guerre durait longtemps et plus elle accumulait de victimes, plus son issue était compliquée et contradictoire. Car l’histoire montre que le travail pour la paix ne commence vraiment qu’une fois le traité mettant fin à la guerre signé. »
Ian Kershaw, La Fin. Allemagne (1944-1945), Seuil, 2012
« De l’attentat manqué contre Hitler, le 20 juillet 1944, à la capitulation du 8 mai 1945, l’Allemagne tombe peu à peu dans la folie meurtrière et la destruction. C’est un pays tout entier qui se transforme en immense charnier. Les morts — civils tués sous les bombardements alliés, rescapés des camps victimes des « marches de la mort », soldats sacrifiés dans des batailles perdues d’avance… — se comptent par milliers. Malgré tout, la guerre dure, le régime tient. La Wehrmacht continue d’envoyer des soldats combattre sur le front.
Pourquoi la guerre a-t-elle duré si longtemps ? Comment expliquer l’incroyable résistance du régime nazi au milieu des décombres ? C’est pour répondre à ces questions que le grand historien britannique Ian Kershaw a entrepris ce vaste récit des derniers mois de la Seconde Guerre mondiale. L’obstination fanatique du Führer, l’emprise du parti nazi sur la population, la peur viscérale de l’armée Rouge, mais aussi les choix stratégiques et militaires des Alliés sont quelques-unes des hypothèses explorées dans ce livre, qui est aussi une réflexion brillante sur les rouages du régime nazi au moment de son agonie. »
Dan Reiter, How Wars End, Princeton University Press, 2009
« Pourquoi certains pays choisissent-ils de mettre fin à leurs guerres sans avoir remporté une victoire totale, alors que d’autres continuent à se battre, parfois face à des adversaires redoutables ? How Wars End soutient que deux facteurs essentiels influencent la décision de mettre fin à une guerre : les informations relatives à l’équilibre des forces en présence et à la détermination de l’ennemi d’une part ; la crainte que l’engagement de l’autre partie à respecter un accord de paix à la fin de la guerre ne soit pas crédible.
Dan Reiter explique comment les informations sur les résultats des combats et d’autres facteurs peuvent persuader un pays en guerre d’exiger plus ou moins lors des négociations de paix, et pourquoi un pays peut refuser de négocier des conditions limitées et au contraire rechercher avec ténacité la victoire absolue s’il craint que son ennemi ne revienne sur un accord de paix. Après avoir exposé sa théorie, il la teste sur plus de vingt cas de de fin de guerre. Dan Reiter aide à résoudre certaines des énigmes les plus persistantes de l’histoire militaire, comme la raison pour laquelle Abraham Lincoln a publié la Proclamation d’émancipation, la raison pour laquelle l’Allemagne en 1918 a renouvelé son attaque à l’Ouest après avoir obtenu la paix avec la Russie à l’Est, ou la raison pour laquelle la Grande-Bretagne a refusé de rechercher des conditions de paix avec l’Allemagne après la chute de la France en 1940. »
Isabelle Davion et Stanislas Jeannesson (dir.), Les traités de paix (1918-1923). La paix les uns contre les autres, Sorbonne Université Presses, 2023
« Considérer comme un tout l’ensemble des traités conclus de 1918 à 1923, envisager de façon globale l’espace européo-méditerranéen, affecté dans sa totalité par une « guerre sans fin », interroger les premières années d’application des traités, lesquelles opèrent la bascule entre la sortie de guerre et l’entrée en paix, tels sont les objectifs de cet ouvrage, issu du renouvellement historiographique occasionné par le centenaire de la Grande Guerre.
De Brest-Litovsk à Lausanne, en passant par Versailles ou Trianon, la vingtaine de traités qui se succèdent en cinq années, dans des contextes très différents, ont pour point commun de mettre un terme, parfois de façon très provisoire, à un état de guerre qui, pour nombre de peuples d’Europe centre-orientale et du Moyen-Orient, se prolonge sous diverses formes bien au-delà de 1918. Ils s’efforcent en outre, avec plus ou moins de réussite, de mettre en place un nouveau système international, en mobilisant des acteurs multiples – dirigeants, diplomates, experts, opinions publiques – et des principes nouveaux, dont le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et la sécurité collective, contribuant ainsi à façonner en grande partie l’Europe et le monde contemporains. »
Michèle Battesti et Jacques Frémeaux (dir.), Sortir de la guerre, PUPS, 2014
« Comment les populations, les armées, les sociétés et les économies passent-elles de l’état de guerre à l’état de paix ? Cette problématique longtemps circonscrite à la notion d’après-guerre — apanage de l’histoire diplomatique — a été largement négligée par l’historiographie jusqu’à une dizaine d’années.
Le moment où la guerre se termine peut être extrêmement difficile à cerner dans la mesure où il peut correspondre à un paroxysme de violence, se poursuivre dans l’incapacité à définir la date d’une commémoration ou dans la quête de droits à réparation. La fin de la guerre ne signifie jamais la fin des souffrances physiques – et surtout psychiques – des femmes et des hommes broyés par des forces qui les dépassent. Sortir de la guerre signifie en effet : démobiliser les soldats ; reconvertir l’appareil productif et ranimer le commerce ; chercher à satisfaire les revendications des peuples à plus de bien-être, après des mois ou des années de sacrifices ; veiller au sort des blessés, des mutilés, des veuves et des orphelins ; faire justice des crimes commis, chez soi et chez les autres ; envisager une paix durable, ou au contraire, en considérant la fin des combats comme une simple trêve, prendre des garanties pour l’avenir ; vivre avec les traumatismes vécus par les populations ou/et les individus.
À partir d’exemples tirés du Moyen Âge, des guerres coloniales, des deux guerres mondiales, de la Shoah, des guerres de décolonisation, du génocide rwandais, cet ouvrage explore ces problématiques complexes avec une focale particulière sur le « retour des hommes » (soldats démobilisés, déportés de retour des camps, civils déplacés, etc.) »
Gaïdz Minassian, Les sentiers de la victoire. Peut-on encore gagner une guerre ?, Passés composés, 2020
« Que signifie « gagner une guerre » aujourd’hui ? Et comment définir la victoire au cours de l’histoire ? Si la question de la victoire est au centre de la réflexion stratégique actuelle, elle n’en demeure pas moins sans réponse. C’est dans cet esprit que Gaïdz Minassian propose une réflexion sur la longue durée.
Cet essai s’ouvre sur un dialogue entre Achille, incarnation de la force, et Ulysse, personnalisation de la ruse, en présence d’Hector venu en observateur les voir s’invectiver sur les ambivalences de la victoire du Néolithique à nos jours. Puis, après avoir proposé une grille d’analyse, l’auteur revisite les trois dernières décennies d’hubris et ses impossibles victoires lors des interventions onusiennes ou des « guerres contre le terrorisme ». Enfin, et c’est toute l’originalité de ce livre, il se demande si, pour mieux comprendre cette disparition de la victoire telle que nous la concevons, il ne convient pas d’abord de renoncer à la puissance et à la ruse, pour endosser une éthique d’humilité. En somme, abandonner Achille et Ulysse pour retrouver Hector. »
Graham Parsons et Mark Wilson (dir.), How to End a War : Essays on Justice, Peace, and Repair, Cambridge University Press, 2023
« Comment et quand doit-on mettre fin à une guerre ? Quelle place les voies menant à la fin d’une guerre devraient-elles occuper dans la planification de la guerre et la prise de décision ? Cet ouvrage aborde la question de la fin de la guerre comme faisant partie intégrante de la manière dont les guerres commencent et sont menées. Les contributions rédigées par des penseurs et des praticiens dans les domaines de l’éthique philosophique, des relations internationales et du droit militaire réfléchissent au problème et montrent qu’il est impératif que nous nous penchions non seulement sur la résolution de la guerre, mais aussi sur la question de savoir si et comment une guerre telle qu’elle est menée peut s’accommoder d’une paix future. L’ensemble des essais souligne son importance pour l’avenir de l’éthique militaire, de la stratégie et de la guerre. »
Richard Holbrooke, To End A War, Random House, 1998
Lorsque Bill Clinton a envoyé Richard Holbrooke en Bosnie en tant que négociateur en chef des États-Unis à la fin de 1995, il a pris un pari qui allait redéfinir sa présidence. Mais rien ne disait alors, au plus fort de la guerre, que la mission d’Holbrooke serait couronnée de succès. Les chances de succès étaient très faibles.
Aussi passionné que controversé, Holbrooke pensait que le seul moyen de ramener la paix dans les Balkans était un mélange complexe de leadership américain, de diplomatie agressive et créative, et de volonté d’utiliser la force, si nécessaire, pour la cause de la paix. Ce point de vue n’était pas universellement populaire. La résistance était féroce au sein des Nations unies et du Groupe de contact, chroniquement divisé, ainsi qu’à Washington, où beaucoup soutenaient que les États-Unis ne devaient pas s’impliquer davantage. Ce livre est le récit captivant de Holbrooke sur sa mission, sur les mois décisifs où — tardivement et à contrecœur, mais finalement de manière décisive — les États-Unis ont réaffirmé leur autorité morale et leur leadership et ont mis fin à la pire guerre que l’Europe ait connue depuis plus d’un demi-siècle. To End a War révèle de nombreux détails nouveaux et importants sur la manière dont Washington a pris cette décision historique.
Ce que George F. Kennan a appelé les « efforts héroïques » de Holbrooke ont été façonnés par l’immense tragédie qui a marqué le début de la mission, lorsque trois des quatre membres de son équipe ont été tués lors de leur première tentative pour atteindre Sarajevo. À Belgrade, Sarajevo, Zagreb, Paris, Athènes et Ankara, et tout au long des montagnes russes dramatiques de Dayton, il a inlassablement imposé, cajolé et menacé dans le but d’arrêter les massacres et de forger un accord de paix. Les portraits que Holbrooke dresse des principaux acteurs, des fonctionnaires de la Maison Blanche et de l’Élysée aux dirigeants des Balkans, sont incisifs et impitoyables. Son explication de la manière dont les États-Unis ont finalement été contraints d’intervenir ouvre de nouvelles perspectives, tout comme son analyse du quasi-désastre qui a marqué les débuts de la mise en œuvre de l’accord de Dayton.
To End a War est une description brillante de la diplomatie de haut vol et des enjeux élevés de l’une des négociations les plus difficiles des temps modernes. Il s’agit d’un récit historique sur les usages et les abus de la puissance américaine, dont les enseignements dépassent largement les frontières des Balkans et constituent un argument de poids en faveur du maintien du leadership américain dans le monde moderne.
Feargal Cochrane, Ending Wars, Polity, 2008
« De nombreux ouvrages ont été écrits sur la guerre, mais peu se sont intéressés à la manière dont on peut y mettre fin. Les guerres sont pourtant rarement inévitables et ce livre vise à comprendre comment les conflits violents peuvent être clos par l’intervention, la médiation et la négociation politique.
Ce livre part du principe que les guerres entre États et les guerres à l’intérieur des États sont généralement le fait de personnes rationnelles qui poursuivent des objectifs politiques particuliers ou des intérêts perçus comme tels. Il est préférable de comprendre la guerre comme une méthodologie plutôt que comme une idéologie. Lorsque le contexte, les enjeux et les acteurs de ces conflits armés changent, il est souvent possible de contrôler, voire de transformer cette violence.
Ce livre examine les dynamiques qui sont à l’origine de la fin des guerres et la manière dont elles ont évolué au fil du temps. Les efforts d’intervention d’une tierce partie, de médiation et de négociation politique dans toute une série de zones de conflit, de l’Europe à l’Afrique subsaharienne, sont examinés en détail. »
Pierre Grosser, Traiter avec le diable ? Les vrais enjeux de la diplomatie au XXIe siècle, Odile Jacob, 2013
« Parler avec l’ennemi, comprendre ses perceptions et ses objectifs, chercher à résoudre des conflits, telles sont les raisons d’être de la diplomatie. Mais à quoi sert-elle encore quand l’ennemi a pris les traits du diable, à l’instar d’un Ben Laden, d’un Saddam Hussein ou, plus récemment, d’un Bachar el-Assad ? Comment expliquer le succès de cette rhétorique du bien et du mal depuis quelques décennies ? Et peut-on penser autrement les relations internationales aujourd’hui ?
Dans cet essai ambitieux et foisonnant, Pierre Grosser puise dans l’histoire, l’actualité internationale et même la psychologie pour mettre au jour les impasses du processus de diabolisation. Il montre comment celui-ci se nourrit des « leçons de l’histoire » — de la « capitulation » de Munich à la guerre froide — légitimant ainsi toutes les danses de la guerre juste. Il analyse aussi les prismes cognitifs qui rendent difficiles les interactions avec l’adversaire, une fois celui-ci diabolisé. Enfin, dénonçant les mythes d’une sécurité totale et d’une stratégie parfaite, Pierre Grosser rappelle la complexité des choix qui s’offrent à nos dirigeants et redonne ainsi tout son sens à l’action diplomatique. »
David Fitzgerald, David Ryan et John M. Thompson (dir.), Not Even Past : How the United States Ends Wars, Berghahn Books, 2020
« Ce volume permet de mieux comprendre l’une des grandes énigmes de notre époque : pourquoi les États-Unis ont si souvent échoué à sortir des guerres selon leurs propres termes ?
Vietnam, Irak, Afghanistan : pris ensemble, ces conflits sont la clé pour comprendre plus d’un demi-siècle d’histoire militaire américaine. En outre, ils ont profondément façonné la culture et la politique des États-Unis, ainsi que les nations dans lesquelles ils se sont déroulés. Cet ouvrage réunit des experts internationaux de l’histoire américaine et des affaires étrangères afin d’évaluer l’impact cumulatif des tentatives souvent hésitantes et conflictuelles des États-Unis pour mettre fin aux guerres. »
Megan MacKenzie et Nicole Wegner (dir.), Feminist Solutions for Ending War, Pluto Press, 2021
« ’La guerre est un jeu d’hommes’ », dit le proverbe. Que cela soit vrai ou non, le capitalisme patriarcal est certainement l’une des forces motrices de la guerre à l’ère moderne. Le féminisme peut-il donc mettre fin à la guerre ? Ce livre affirme que c’est possible, et que c’est en fait déjà le cas.
Chaque chapitre propose une solution à la guerre en s’appuyant sur des exemples novateurs de la manière dont la théorie et la pratique féministes et queer informent les traités, les mouvements et les méthodes pacifistes, de la sphère internationale à la sphère domestique. Les auteurs proposent une série de solutions qui incluent l’abolition des armes, la centralisation des connaissances autochtones, la restructuration économique et la transformation de la manière dont nous « comptons » les morts civiles.
Pour mettre fin à la guerre, il faut remettre en question des structures complexes, mais les solutions présentées dans ce volume sont à la hauteur de ce défi. En pensant au-delà de la violence du patriarcat capitaliste, ce livre démontre avec force que la possibilité d’une vie sans guerre est bien réelle. »
Eric D. Patterson, Ending Wars Well : Order, Justice, and Conciliation in Contemporary Post-Conflict, Yale University Press, 2012
« Bien que les spécialistes des sciences politiques et de la philosophie morale analysent depuis longtemps les justifications pour et contre la guerre, ainsi que l’éthique de la guerre elle-même, le problème de la fin des guerres a reçu moins d’attention.
Dans cet ouvrage, le premier à appliquer la théorie de la guerre juste à cette phase du conflit, Eric Patterson présente une vision tripartite de la justice dans les situations de fin de guerre, à savoir l’ordre, la justice et la réconciliation. Les études de cas d’Eric Patterson vont des applications réussies du jus post bellum, telles que la guerre civile américaine ou le Kosovo, aux défis d’aujourd’hui. »
Escola de cultura de pau, Negociaciones de paz. Análisis de tendencias y escenarios, Icaria, 2023
« En examinant l’évolution et la dynamique des négociations dans le monde entier, cet ouvrage fournit une vue d’ensemble des processus de paix, identifie les tendances et facilite l’analyse comparative des différents scénarios. La publication analyse également l’évolution des processus de paix dans une perspective de genre. L’un des principaux objectifs du rapport est de mettre les informations et les analyses au service des acteurs qui, à différents niveaux, participent à la résolution pacifique des conflits, notamment les parties en litige, les médiateurs et la société civile. »
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03.09.2024 à 11:02
La rentrée des essais. 27 livres à lire en septembre
henrigasquet
« Si j’étais à la rue, affamé et démuni, je ne quémanderais pas un pain : je réclamerais la moitié d’un pain, et un livre. »
C'est la rentrée et les librairies peaufinent leurs rayonnages. De l'écologie de guerre à l'Inde antique, de Moscou à Madrid en passant par le Golfe persique, nous avons sélectionné les immanquables des nouveaux essais en cinq langues — classés par date de parution.
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Texte intégral (9777 mots)
Lire à l’échelle pertinente. Que ce soit avec nos sélections mensuelles d’essais ou notre Prix Grand Continent, les dernières parutions sont au cœur de la revue, dans les principales langues du débat européen. Pour ne rien rater, abonnez-vous
Thomas Kaufmann, Der Bauernkrieg. Ein Medienereignis, Herder, 2024
« La guerre des paysans constitue, avec la Réforme, le seuil de l’ère moderne. Mais contrairement aux réformateurs, ses protagonistes ne parviennent pas à imposer leurs revendications, qui peuvent parfois sembler modernes.
Le soulèvement des paysans est réprimé dans le sang. La guerre des paysans a toujours été interprétée de manière idéologique — déjà à l’époque, elle était, selon Thomas Kaufmann, surtout un événement médiatique.
Grâce à une étude approfondie des sources, Thomas Kaufmann démasque ces distorsions idéologiques et présente une réinterprétation de cet événement majeur. Il ouvre aux lecteurs un tout nouveau regard sur la guerre des paysans. »
Paru le 12 août
Luke Stegemann, Madrid : A New Biography, Yale University Press, 2024
« Pendant des siècles, Madrid a été une petite ville insignifiante sur le plateau central ibérique. Sous les souverains musulmans, la ville a été fortifiée et agrandie, mais même après la Reconquista, elle est restée secondaire par rapport à sa voisine Tolède. Le destin de Madrid a basculé au XVIe siècle, lorsqu’elle est devenue le centre d’un vaste empire mondial.
Luke Stegemann raconte l’histoire surprenante de l’essor de Madrid et de son influence considérable dans le monde entier. De Cervantès et Quevedo à Velázquez et Goya, la capitale espagnole a accueilli certains des artistes et penseurs les plus influents d’Europe. Elle a constitué un lien vital entre l’Europe et les Amériques et est devenue un foyer de dissensions politiques, notamment pendant la guerre civile espagnole, lorsque la ville était en première ligne dans la lutte contre le fascisme.
Luke Stegemann replace Madrid et ses habitants dans un contexte mondial, montrant comment la ville, qui a rapidement dépassé Barcelone en tant que centre de la finance internationale et du tourisme culturel, devenant un creuset au cœur de l’Europe et du monde hispanique. »
Paru le 13 août
Pierre Charbonnier, Vers l’écologie de guerre. Une histoire environnementale de la paix, La Découverte, 2024
« L’étrange hypothèse qui structure ce livre est que la seule chose plus dangereuse que la guerre pour la nature et le climat, c’est la paix. Nous sommes en effet les héritiers d’une histoire intellectuelle et politique qui a constamment répété l’axiome selon lequel créer les conditions de la paix entre les hommes nécessitait d’exploiter la nature, d’échanger des ressources et de fournir à tous et toutes la prospérité suffisante. Dans cette logique, pour que jalousie, conflit et désir de guerre s’effacent, il fallait d’abord lutter contre la rareté des ressources naturelles. Il fallait aussi un langage universel à l’humanité, qui sera celui des sciences, des techniques, du développement.
Ces idées, que l’on peut faire remonter au XVIIIe siècle, ont trouvé au milieu du XXe une concrétisation tout à fait frappante. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le développement des infrastructures fossiles a été jumelé à un discours pacifiste et universaliste qui entendait saper les causes de la guerre en libérant la productivité. Ainsi, la paix, ou l’équilibre des grandes puissances mis en place par les États-Unis, est en large partie un don des fossiles, notamment du pétrole.
Au XXIe siècle, ce paradigme est devenu obsolète puisque nous devons à la fois garantir la paix et la sécurité et intégrer les limites planétaires : soit apprendre à faire la paix sans détruire la planète. C’est dans ce contexte qu’émerge la possibilité de l’écologie de guerre, selon laquelle soutenabilité et sécurité doivent désormais s’aligner pour aiguiller vers une réduction des émissions de gaz à effet de serre. Ce livre est un appel lancé aux écologistes pour qu’ils apprennent à parler le langage de la géopolitique. »
Paru le 29 août
Angelo Panebianco, Principati e repubbliche. Azioni individuali e forme di governo, Il Mulino, 2024
« Est-il possible d’étudier les formes de gouvernement qui se sont succédé dans l’histoire de l’humanité sans se limiter à une description érudite des règles et des institutions et sans supposer que seuls les princes, les rois, les empereurs, les dirigeants, les chefs de parti comptent et donnent vie à ces formes de gouvernement ? Qu’est-ce qui relie les actions des gens ordinaires à l’apparition et à l’évolution d’innombrables formes de gouvernement au cours de l’histoire ?
À partir de sources archéologiques, anthropologiques et historiographiques relues à la lumière d’un schéma interprétatif qui considère les formes de gouvernement comme le produit d’une pluralité d’actions humaines, le livre traite des États, empires et républiques anciens (antiques, médiévaux et de la Renaissance) ainsi que de leurs descendants directs, les despotismes et les démocraties contemporaines. L’étude des formes de gouvernement montre combien est grande la capacité des êtres humains à donner naissance à des modes complexes et différenciés d’organisation de la vie sociale. Elle montre aussi que si les élites, et parfois certains dirigeants dotés de qualités particulières, ont un pouvoir conditionnant dans la formation et l’évolution des États et des régimes politiques, ceux qui ne font pas partie des élites ne sont jamais de simples figurants de cette histoire. »
Paru le 30 août
Serhii Plokhy, Chernobyl Roulette : War in the Nuclear Disaster Zone, Norton, 2024
« Le 24 février 2022, premier jour de l’attaque totale de la Russie contre l’Ukraine, des véhicules blindés s’approchent de la centrale nucléaire de Tchernobyl, dans le nord de l’Ukraine. L’occupation russe de la centrale, qui durera trente-cinq jours, a commencé. Seuls le dévouement et la détermination du personnel ukrainien, pris en otage et travaillant par roulement pendant des semaines, ont permis d’éviter au monde un nouvel accident à Tchernobyl. Ils ont dû prendre des décisions de vie ou de mort en matière de coopération ou de résistance, en mettant en balance leur loyauté envers leurs familles, leur patrie et les civils innocents d’Ukraine et d’ailleurs qui subiraient les conséquences d’un accident nucléaire s’il se produisait. Les choix qu’ils ont faits ont permis de sauver le monde d’une nouvelle catastrophe de Tchernobyl.
Pendant ce temps, une situation bien plus dangereuse s’est développée à la centrale nucléaire de Zaporizhia, dans le sud de l’Ukraine, la plus grande installation de ce type en Europe. À la suite d’une attaque en mars 2022, l’armée russe en garde le contrôle et les services de renseignement ukrainiens mettent en garde contre le risque de terrorisme nucléaire. Nous devons faire face à une nouvelle réalité : deux sites nucléaires ont déjà fait l’objet d’une guerre et d’autres sont vulnérables.
Il existe aujourd’hui 440 sites de ce type dans le monde, et l’agression de la Russie contre l’Ukraine ne sera pas la dernière guerre de l’histoire de l’humanité. L’histoire des hommes et des femmes de Tchernobyl est plus qu’une histoire récente : c’est aussi un aperçu d’un avenir pas si lointain. »
Parution le 3 septembre
Francesco Filippi, Cinquecento anni di rabbia : Rivolte e mezzi di comunicazione da Gutenberg a Capitol Hill, Bollati Boringhieri, 2024
« Au XVIe siècle, l’invention de Gutenberg — l’imprimerie à caractères mobiles — a été le moteur involontaire d’une révolution. La diffusion à grande échelle de feuilles imprimées grâce à la nouvelle technologie à bas prix a permis à ceux qui n’avaient jamais eu accès au pouvoir de prendre conscience pour la première fois de revendications communes. La colère sociale qui en résulte prend une forme nouvelle et organisée, qui débouche sur la guerre des paysans, finalement réprimée dans le sang en 1525. Dès lors, le monde n’a plus jamais été le même ; à partir de ce moment, le pouvoir a commencé à s’occuper des médias pour les maîtriser et les rendre inoffensifs.
Cinq siècles plus tard, il s’est passé quelque chose de très similaire. Nous sommes le 6 janvier 2021 lorsque le rêve de la « plus grande démocratie du monde », incroyablement, s’écroule. Une foule en colère, composée essentiellement d’hommes blancs, prend d’assaut le Congrès américain au Capitole. La colère populaire de ce jour-là est canalisée et organisée par les réseaux sociaux.
Dans les deux cas, un nouveau média, échappant aux filtres du pouvoir, fait remonter à la surface la colère de ceux qui se sentent exclus du récit dominant. Dans Cinquecento anni di rabbia, Francesco Filippi évoque une thèse fascinante : il existe une relation étroite entre les soulèvements et les médias du XVIe siècle à nos jours, et il ne fait aucun doute que ce à quoi nous assistons ces dernières années est une révolution dont nous sommes les protagonistes. Jamais auparavant nous n’avons eu besoin de faire bon usage de l’histoire pour comprendre plus en profondeur le monde dans lequel nous vivons. »
Parution le 3 septembre
David Lay Williams, The Greatest of All Plagues : How Economic Inequality Shaped Political Thought from Plato to Marx, Princeton University Press, 2024
« L’inégalité économique est l’un des défis les plus redoutables de notre époque. Le débat public porte souvent sur la question de savoir s’il s’agit d’une conséquence inévitable des systèmes économiques et, le cas échéant, sur ce qu’il est possible de faire pour y remédier. Mais pourquoi, exactement, l’inégalité devrait-elle nous inquiéter ? The Greatest of All Plagues démontre que cette question a été au cœur des préoccupations de certains des plus éminents penseurs politiques de la tradition intellectuelle occidentale.
David Lay Williams présente de nouvelles perspectives audacieuses sur les écrits et les idées de Platon, Jésus, Thomas Hobbes, Jean-Jacques Rousseau, Adam Smith, John Stuart Mill et Karl Marx. Il montre comment ils décrivent l’inégalité économique comme une source d’instabilité politique et un corrupteur du caractère et de l’âme, et comment ils considèrent l’inégalité non maîtrisée comme une menace pour leurs valeurs les plus chères, telles que la justice, la foi, l’harmonie civique, la paix, la démocratie et la liberté. David Lay Williams apporte un éclairage sur les problèmes sociétaux engendrés par ce que Platon appelait « le plus grand de tous les fléaux » et examine les solutions mises en œuvre au fil des siècles pour y remédier. Ce faisant, il révèle comment l’inégalité économique a été un problème primordial tout au long de l’histoire de la pensée politique. »
Parution le 3 septembre
Sabino Cassese, Varcare le frontiere. Un’autobiografia intellettuale, Mondadori, 2024
« Interroger la mémoire est un exercice difficile, un défi, parfois un pari. C’est certainement l’occasion de tirer des enseignements précieux, comme le montrent ces pages où Sabino Cassese, l’un des juristes les plus connus d’Italie, retrace sa longue carrière d’érudit. Il ne s’agit pas d’une « recherche du temps perdu », mais plutôt d’une autobiographie intellectuelle, d’un retour « sur soi », pour renouer les fils du passé et recomposer la fresque des idées, des débats et des protagonistes qui ont animé non seulement les sciences juridiques, mais aussi la vie académique, culturelle et politique du pays.
On peut y lire les expériences d’une vie passée avec humilité et curiosité. De sa jeunesse sous le fascisme à ses souvenirs familiaux, de ses études à l’École normale supérieure de Pise à ses années au bureau d’études Enrico Mattei, de ses missions dans les plus prestigieuses universités italiennes et étrangères à ses engagements dans le secteur bancaire et judiciaire, Cassese peint un tableau fait d’intérêts et de passions, de voyages et de rencontres — avant tout avec les grands auteurs du passé, grâce à ses livres les plus aimés, étudiés et médités —, de réflexions et d’analyses. Et puis la politique au sommet des institutions, la recherche internationale, la collaboration avec des journaux, des revues et des maisons d’édition comme forme d’engagement civil, l’éthique du travail, la participation informée et responsable au débat public en tant qu’observateur attentif des faits sociaux. Il en ressort un examen perspicace de l’Italie d’aujourd’hui et un jugement sur l’état de sa République. »
Parution le 3 septembre
Allen James Fromherz, The Center of the World : A Global History of the Persian Gulf from the Stone Age to the Present, University of California Press, 2024
« L’histoire du monde a commencé dans le golfe Persique. Les anciennes villes portuaires qui jalonnaient ses côtes ont créé la première façade maritime mondiale, un lieu à partir duquel les religions et les cultures venues de larges horizons ont pris la mer et sont entrées en contact. Pendant plus de quatre mille ans, le Golfe — parfois qualifié de Persique, parfois d’Arabe — a été un carrefour mondial tout en réussissant à éviter de tomber sous la coupe des plus grands empires du monde. L’histoire du Golfe est celle d’un univers en mutation rapide, de centres commerciaux fluctuants, d’une dépendance à l’égard de marchés mondiaux incertains et de rencontres interculturelles intenses qui sont le reflet du monde contemporain. En consacrant chaque chapitre à un port différent du Golfe, The Center of the World montre comment les habitants du Golfe se sont adaptés aux grands changements de l’histoire mondiale, en créant un système de libre-échange, de domination marchande et de commerce qui continue à définir la région aujourd’hui. »
Parution le 3 septembre
Violaine Sebillote-Cuchet (dir.), Histoire de l’Europe. Volume 1 : Origines et héritages (de la préhistoire au Ve siècle), Passés composés, 2024
« Quand naît l’idée d’Europe ? À quelle période apparaissent les valeurs et les structures considérées aujourd’hui comme ses fondements politiques, économiques, culturels et religieux ? L’Antiquité, le Moyen Âge ou l’époque moderne nous ont-ils légué le libéralisme, la démocratie, l’égalité entre les peuples et les individus ? Pour répondre à ces questions, cette série d’ouvrages se penche sur l’émergence, la construction et l’évolution de l’Europe vue aujourd’hui comme un ensemble homogène, voire intangible et uniforme. Elle offre une lecture originale et pertinente de la manière dont cet espace a été perçu par les peuples qui l’ont occupé au travers des âges et sur lequel ils ont projeté progressivement un substrat religieux, politique, et parfois civilisationnel.
Ce premier volume s’ouvre sur la préhistoire pour se conclure à la fin de la période antique, au Ve siècle. L’Europe des institutions étatiques et du droit, de la science et des techniques, de l’alphabet et du plurilinguisme, de la psychanalyse et de la philosophie, des fêtes et des plaisirs, et de tant d’autres choses encore, doit en effet beaucoup à l’Antiquité. Les parois peintes de Lascaux, les mégalithes de Stonehenge, l’Acropole d’Athènes et le Colisée de Rome, Spartacus et Astérix font bien partie intégrante de l’imaginaire des Européens du XXIe siècle, et plus encore, de tous ceux qui s’affirment comme des Occidentaux. C’est pourquoi les auteurs, à travers un récit d’une richesse exceptionnelle, interrogent la géographie même de l’Europe, racontent les grandes évolutions humaines et politiques depuis les temps les plus anciens et explorent la richesse culturelle et sociale du legs antique. »
Parution le 4 septembre
William Dalrymple, The Golden Road : How Ancient India Transformed the World, Bloomsbury, 2024
« L’Inde est le cœur oublié du monde antique. Pendant un millénaire et demi, elle a exporté sa civilisation diversifiée, créant autour d’elle un vaste empire d’idées : l’art, les religions, la technologie, l’astronomie, la musique, la danse, la littérature, les mathématiques et la mythologie de l’Inde ont tracé une voie à travers le monde, le long d’une « route dorée » qui s’étendait de la mer Rouge au Pacifique.
William Dalrymple met en lumière la position souvent oubliée de l’Inde en tant que cœur de l’Eurasie ancienne et donne un nom à cette diffusion des idées indiennes qui a transformé le monde. Du plus grand temple hindou du monde à Angkor Vat au bouddhisme chinois, du commerce qui a contribué à financer l’Empire romain à la création des chiffres que nous utilisons aujourd’hui (y compris le zéro), l’Inde a transformé la culture et la technologie mondiales. »
Parution le 5 septembre
Catherine Mayeur-Jaouen, Le culte des saints musulmans. Des débuts de l’islam à nos jours, Gallimard, 2024
« Souvent considéré comme marginal, le culte des saints musulmans est aujourd’hui un sujet brûlant, au cœur de l’histoire de l’islam, de sa culture et de son imaginaire. Raconter ce « creux le plus douloureux » des sociétés musulmanes revient à écrire l’histoire religieuse de l’islam sous un nouvel angle.
Né dans le riche terreau de l’Antiquité tardive, lié au culte des morts et au processus d’islamisation, le culte des saints musulmans puise dans la mémoire des prophètes antéislamiques, du djihad et de la vénération du Prophète et de ses descendants. Tout un ensemble de croyances et de pratiques adressées aux saints et à des lieux sacrés apparaît en pleine lumière au IXe siècle. Il unit les dévots aux saints toujours présents dans une mystérieuse absence, à travers l’espace et le temps. Visites pieuses, pèlerinages aux sanctuaires et fêtes patronales réclament une intercession ici-bas et dans l’au-delà, aux hommes de Dieu et à de rares femmes. Du Maroc à l’Indonésie, le culte des saints s’ancre aussi dans celui des ancêtres et dans la fréquentation de lieux sacrés anonymes. En rattachant un paysage à l’islam, il affirme une identité désormais musulmane et participe à la compétition entre chiisme et sunnisme. Le phénomène, légitimé par des écrits hagiographiques et encouragé par les dynasties successives, devient massif aux XIIe et XIIIe siècles, avec l’essor des confréries soufies, le culte du Prophète, et de nouvelles vagues d’islamisation. Le culte des saints domine le paysage dévotionnel musulman jusqu’aux attaques du wahhabisme au XVIIIe siècle, puis jusqu’à celles du réformisme et enfin du salafisme actuel.
Au XXe siècle, les États indépendants privent confréries et descendants des saints de leur pouvoir, et tentent de déplacer le culte vers celui des héros et des martyrs. D’impressionnants renouveaux s’affirment pourtant à la fin du XXe siècle, avant de nouvelles ruptures au XXIe siècle, imposées par l’urbanisation et les migrations, par Internet et le règne de l’image, par la mondialisation et la sécularisation. »
Parution le 5 septembre
Luigino Bruni, Il campo dei miracoli Viaggio economico nei capolavori della letteratura, Marsilio, 2024
Quel est le rapport entre Verga et le « fétichisme de la marchandise » de Marx ? Pourquoi le personnage de Geppetto préfigure-t-il les « travailleurs pauvres » d’aujourd’hui ? Comment le droit de Pinocchio à être nourri et soigné reflète-t-il les théories d’Amartya Sen et le Sisyphe de Camus sur l’aliénation du travailleur ? Alors que l’économie n’est certainement pas ce que l’on associerait immédiatement à la littérature, l’économiste hétérodoxe Luigino Bruno nous guide à travers les pages de certains des plus grands chefs-d’œuvre de tous les temps, jetant ainsi les bases d’une petite histoire littéraire de l’économie. Dans un dialogue fructueux avec les textes, Luigino Bruni retrace les phénomènes et les concepts qui révèlent l’évolution de notre rapport à l’argent et au travail.
Il décrit les débuts du nouveau cours européen à travers le regard de Dante, critique sévère de la rente issue du pouvoir et non du travail, tandis que quelques décennies plus tard, Boccace, fils de marchands, racontera la comédie humaine du capital. Il relit Shakespeare, « prophète » du système naissant qui, dans le Londres de la fin du XVIe siècle, substitue le profit aux passions. Il interprète les miracles économiques et sociaux du XXe siècle italien comme le résultat de l’action de tant de Mazzarò, précurseurs de ce capitalisme qui aujourd’hui « emporte dans sa tombe les mers, les fleuves et les glaciers, parce qu’il ne voit rien de valable à laisser aux jeunes ».
En montrant le visage humain de ce que l’on a appelé « la triste science » dans un récit vivant et passionnant, Bruni nous invite à réfléchir sur la délicate transition de l’âge du travail à l’âge de la consommation, et nous place ainsi devant un choix, car — écrit-il — « chaque génération doit décider quelles sont les vertus d’hier qu’elle veut conserver et quelles sont celles qu’elle veut oublier ».
Parution le 6 septembre
Nicolas Lebourg et Olivier Schmitt, Paris-Moscou. Un siècle d’extrême droite, Le Seuil, 2024
« Les liens entre l’extrême droite française et la Russie font désormais souvent la Une, mais cet ouvrage est le premier à les mettre en perspective sur un siècle. Entre 1917 et 1945, la France a été une base arrière essentielle des Russes antisoviétiques, qui se sont greffés aux soubresauts de l’extrême droite hexagonale. Relier Paris, Berlin et Moscou est devenu une utopie mais aussi une pratique. Avec la Guerre froide, l’anticommunisme a redéfini les positionnements, mais certaines extrêmes droites ont vu Moscou comme un rempart contre Washington et sa société du melting-pot. La chute de l’Union soviétique et l’ère Poutine ont dessiné un nouvel arc : la Russie devient un modèle politique, et exerce une influence directe sur les formations françaises. Toutes les dynamiques mises en place pendant un siècle convergent lors de l’invasion de l’Ukraine. L’enjeu dépasse ainsi la question des forces partisanes : il s’agit de définir les zones entre guerre et paix. Observer les relations nationalistes entre France et Russie, c’est comprendre comment la diffusion patiente de discours permet de façonner les politiques étrangères et les rivalités géopolitiques. »
Parution le 6 septembre
Sebastian Moll, Das Würfelhaus. Mein Vater und die Architektur der Verdrängung, Insel, 2024
« Lorsque le père de Sebastian Moll a construit une maison pour sa famille dans les années 1960, il avait un espoir : oublier le passé. En effet, il avait subi l’endoctrinement nazi, le traumatisme de la guerre ainsi que les mutilations psychologiques du culte fasciste de la virilité. En construisant une maison mitoyenne de banlieue dans le sud de Francfort, il a accompli ce nouveau départ sur le plan architectural.
De plus, en tant qu’urbaniste d’une société de construction de logements de Francfort, il a marqué la reconstruction de sa patrie et a ainsi fait avancer une architecture de refoulement qui marque encore aujourd’hui les villes allemandes. Mais dans la vie privée comme dans la vie urbaine, le refoulé a fait son retour.
Das Würfelhaus est une mise à nu architecturale de l’Allemagne d’après-guerre. Sebastian Moll raconte, à travers l’histoire de sa famille, la tentative difficile et douloureuse de sa génération et, avec elle, de l’Allemagne contemporaine, d’effacer l’héritage du national-socialisme. »
Parution le 9 septembre
Sean McMeekin, To Overthrow the World : The Rise and Fall and Rise of Communism, Hurst, 2024
« Trois décennies après l’effondrement de l’Union soviétique, qui a incité Francis Fukuyama à proclamer la « fin de l’histoire », les choses semblent avoir changé. La Russie n’est peut-être plus communiste, mais Staline y est plus admiré que jamais depuis sa mort en 1953. Les États-Unis ont perdu leur pouvoir et leur prestige, parallèlement à la montée en puissance économique et à l’influence mondiale de la Chine, notamment aux États-Unis eux-mêmes. Le capitalisme démocratique libéral semble moribond, tandis que le communisme chinois assimile le monde. Comment et pourquoi cela s’est-il produit ?
Dans cette vaste histoire, Sean McMeekin étudie l’évolution du communisme, de l’idéal séduisant d’une société sans classes à la doctrine dominante des régimes tyranniques. Des écrits de Marx à la résurgence mondiale du communisme au XXIe siècle, McMeekin affirme que, malgré l’endurance de ce système politique, il reste profondément impopulaire. Là où il est apparu, il l’a toujours fait par la force. »
Parution le 10 septembre
Aaron Reeves et Sam Friedman, Born to Rule ; The Making and Remaking of the British Elite, Harvard University Press, 2024
« Quand on pense à l’élite britannique, des caricatures familières viennent à l’esprit. Aaron Reeves et Sam Friedman ont passé au peigne fin une multitude de données en examinant minutieusement les profils, les intérêts et les carrières de plus de 125 000 membres de l’élite britannique, de la fin des années 1890 à aujourd’hui. La base de données historique du Who’s Who est au cœur de cette étude méticuleuse, mais Reeves et Friedman ont également exploité des registres généalogiques, examiné des données d’homologation et interrogé plus de 200 personnalités issues d’un large éventail de milieux et de professions afin de découvrir qui dirige la Grande-Bretagne, comment ils pensent et ce qu’ils veulent. Ce qu’ils ont découvert, c’est qu’il y a moins de mouvement au sommet qu’on ne le pense. Certes, des progrès ont été accomplis en ce qui concerne l’intégration des femmes et des Britanniques noirs et asiatiques, mais les personnes nées dans le 1 % supérieur ont autant de chances d’accéder à l’élite aujourd’hui qu’il y a 125 ans. Ce qui a changé, c’est la manière dont les élites se présentent. Les élites d’aujourd’hui travaillent dur pour nous convaincre qu’elles sont parfaitement ordinaires. »
Parution le 10 septembre
Emmanuel de Waresquiel, Il nous fallait des mythes ! La Révolution et ses imaginaires de 1789 à nos jours, Tallandier, 2024
« Emmanuel de Waresquiel se penche sur les mémoires et les héritages de la Révolution française. Il en explique les raisons, les continuités, les déformations jusqu’à nos jours, à travers deux siècles de notre histoire. Il a choisi quelques moments « fondateurs » de 1789 et de la Terreur. On a glorifié le serment du Jeu de paume alors qu’il avait été prêté sous l’emprise de la peur. On a fait de la prise de la Bastille la première grande victoire du peuple quand la Bastille s’est rendue aux insurgés, on a célébré Valmy et Valmy était à peine une bataille. On a chanté la liberté et la fraternité sur tous les tons et on les a un peu oubliées, on a sanctifié la guillotine avant d’en mesurer toute l’horreur. Que nous dit la Révolution d’elle et de nous-mêmes, dans l’épaisseur de ses mémoires ? Les événements, les lieux, les symboles qu’elle a retenus à la construction d’un monde nouveau, leur célébration — ou leur diabolisation — par les régimes qui ont suivi n’ont souvent pas grand-chose à voir avec la perception que les révolutionnaires en avaient sur le moment. »
Parution le 12 septembre
Jérémie Foa, Survivre. Une histoire des guerres de religion, Le Seuil, 2024
« Dans le monde incertain des guerres de Religion (1562-1598), survivre est tout un art. Comment mentir, se déguiser, s’échapper, simuler ou dissimuler sa confession religieuse ? Comment se faufiler, tromper ou surprendre son adversaire ? Quelles sont, en somme, les tactiques pour tenir dans un monde soudain hostile, dans lequel le voisin peut dénoncer, le boucher empoisonner, votre accent vous trahir, le fils égorger, le mari mentir et la rue naguère familière devenir guet-apens ? « Car en matière de guerres intestines, écrit Montaigne, votre valet peut être du parti que vous craignez. Et lorsque la religion sert de prétexte, les parentés mêmes deviennent peu fiables ».
En s’appuyant sur des chroniques contemporaines et sur un matériau archivistique exceptionnel, cette enquête entend rendre sensible ce que fut l’expérience concrète des « tristes hommes d’après 1560 ». Parce que la guerre civile rend incertain ce qui semblait le mieux établi — l’identité des êtres et des choses, le statut des lieux, le langage lui-même —, Survivre entreprend de mettre en lumière les savoir-faire et les savoir-vivre avec le trouble. Mais ce livre n’entend pas seulement restituer au plus près des documents ce que fut l’épreuve de la guerre intestine. Il propose une relecture ambitieuse de l’ensemble des guerres de Religion, laboratoire de notre modernité, désormais envisagées au prisme de la condition d’incertitude. »
Parution le 13 septembre
Terrence G. Peterson, Revolutionary Warfare : How the Algerian War Made Modern Counterinsurgency, Cornell University Press, 2024
Revolutionary Warfare montre comment les efforts déployés pour contrer une révolution peuvent également s’avérer révolutionnaires. La guerre d’Algérie a fracturé l’Empire français, détruit la légitimité de la domination coloniale et contribué à lancer le mouvement tiers-mondiste pour la libération du Sud. En retraçant la manière dont les généraux, les officiers et les fonctionnaires français ont cherché à contrer l’indépendance algérienne par leur propre projet de transformation sociale radicale, Terrence G. Peterson révèle que le conflit a également contribué à transformer la nature de la guerre moderne.
L’effort de guerre français n’a jamais été défini uniquement par la répression. Comme l’explique Peterson, il a également cherché à mettre au point de nouvelles formes de surveillance et de contrôle social susceptibles de capter la loyauté des Algériens et de transformer la société algérienne. Les efforts en matière d’hygiène et d’aide médicale, les programmes sportifs et éducatifs pour la jeunesse et les campagnes de guerre psychologique ont tous tenté de remodeler les structures sociales algériennes et de les lier plus étroitement à l’État français. En retraçant l’émergence de ces programmes, Terence G. Peterson recadre l’effort de guerre français comme un projet de réforme sociale armée qui cherchait non pas à préserver le pouvoir colonial inchangé, mais à le révolutionner afin de le faire perdurer face aux défis mondiaux de la décolonisation.
Revolutionary Warfare démontre comment les efforts des officiers français pour transformer la guerre en un exercice d’ingénierie sociale ont non seulement façonné le déroulement de la guerre d’Algérie dès ses premiers mois, mais ont également contribué à forger un paradigme de guerre qui a dominé la pensée stratégique pendant la guerre froide et après : la contre-insurrection. »
Parution le 15 septembre
Reyes Mate, Tierra de Babel. Más allá del nacionalismo, Trotta, 2024
« Le nationalisme a fait couler beaucoup d’encre : favorablement de la part de ceux qui aspirent à avoir leur propre État, défavorablement à l’encontre de ceux qui en ont déjà un. Ce livre traite du nationalisme, mais dans un sens différent, car il remet en question toutes les formes d’appartenance, qu’il s’agisse de l’État, de la patrie ou de la nation.
Il commence par une étude de la Tour de Babel. Ces gens voulaient construire une ville monolithique, mais ils ont échoué parce qu’ils ne pouvaient pas empêcher les gens de parler et de penser par eux-mêmes. Deux modèles de coexistence sont évoqués : celui de la ville fermée, attachée à la terre, ou celui de la dispersion qui a suivi l’expérience ratée.
L’humanité n’a pas retenu la leçon. Elle a pensé, avec Aristote, que seuls ceux qui appartiennent à une polis sont humains et que les apatrides sont inhumains. Tierra de Babel démonte ce malentendu originel en suivant la trace de la minorité qui a su lire ce qui s’est passé, faisant de la diaspora une forme d’existence. À une époque comme la nôtre, où l’État montre des signes d’épuisement, parce qu’il y a l’émigration et parce qu’il y a eu Auschwitz, la diaspora est présentée comme l’alternative post-nationale au nationalisme. »
Parution le 16 septembre
Timothy Snyder, On Freedom, Crown, 2024
« La liberté est le grand engagement américain mais, affirme Timothy Snyder, nous avons perdu de vue ce qu’elle signifie. Nous sommes trop nombreux à considérer la liberté comme l’absence de pouvoir de l’État. Nous pensons que nous sommes libres si nous pouvons faire et dire ce que nous voulons et nous protéger contre les excès du gouvernement. Mais la véritable liberté n’est pas tant la liberté de ne pas faire que la liberté de faire — la liberté de s’épanouir, de prendre des risques pour un avenir que nous choisissons en travaillant ensemble. La liberté est la valeur qui rend toutes les autres valeurs possibles.
S’appuyant sur les travaux de philosophes et de dissidents politiques, sur des conversations avec des penseurs contemporains et sur sa propre expérience de jeune adulte à l’époque de l’exceptionnalisme américain, Timothy Snyder identifie les pratiques et les attitudes qui nous permettront de concevoir un gouvernement dans lequel nous et les générations futures pourront nous épanouir. Il nous invite à apprécier l’importance des traditions (défendues par la droite), mais aussi le rôle des institutions (du ressort de la gauche). »
Parution le 17 septembre
Camille Mahé, La Seconde Guerre mondiale des enfants. France, Allemagne, Italie, 1943-1949, Puf, 2024
« Pour Germaine M., née en 1937, les années 1939-1945 ont été « ludiques », tandis que pour Karl-Hans W., jeune Allemand né en 1930, la période fut insouciante et heureuse. Si ces témoignages surprennent — durant la Seconde Guerre mondiale, jamais les enfants européens n’avaient autant été la cible de violences de guerre et souffert de ses conséquences (séparations familiales, déplacement, faim, froid, etc.) —, ils sont loin d’être des cas isolés.
Comment l’expliquer ? Quelles furent les expériences des enfants et de quelle manière le conflit les a-t-il affectés ? C’est à ces questions que l’auteure propose de répondre, en donnant voix à la fois aux enfants et aux adultes qui les encadrent, grâce à un corpus archivistique riche et varié (dessins, journaux intimes, enquêtes scientifiques, rapports institutionnels et humanitaires, etc.). À partir d’une étude comparant trois pays du front occidental — la France, l’Allemagne et l’Italie — et en se concentrant sur la période de sortie de guerre, c’est-à-dire lorsque les armes se taisent mais que les traces du conflit sont encore visibles et que s’élabore un premier bilan, l’historienne dévoile non seulement de nombreuses expériences juvéniles inédites, mais aussi les facteurs qui ont contribué à l’élaboration de la figure contemporaine de l’enfance victime de guerre et dont la décennie 1940 constitue un moment clef. »
Parution le 18 septembre
Andreas Kaplony (ed.), Geschichte der arabischen Welt, C.H. Beck, 2024
« Le monde arabe est plus que la somme des pays où l’on parle principalement l’arabe. Depuis l’expansion de l’islam, il constitue un espace de résonance religieuse et culturelle avec des tentatives d’unité politique sans cesse renouvelées. Ce livre décrit comment ce « monde » s’est formé depuis la fin de l’Antiquité, quelles sont les particularités de chacune de ses régions et comment la culture arabe s’est diffusée bien au-delà de cet espace.
Avec la péninsule arabique, l’Egypte, la Syrie-Palestine, l’Irak et le Maghreb nord-africain, cinq grandes régions marquent le monde arabe. Dans ce livre, une quarantaine d’experts de renommée internationale décrivent l’histoire de ces régions, de l’Antiquité tardive à nos jours, en passant par l’expansion de l’islam depuis le VIIe siècle et l’occupation par les États européens au XIXe siècle. Des aperçus culturels et historiques sur les quatre périodes les plus importantes mettent en évidence les évolutions communes qui ont été déterminantes dans l’immense espace entre l’Atlantique et le golfe Persique. Ce livre fait également la part belle au rayonnement mondial de la culture arabe — en Europe latine et à Byzance, en Perse et dans l’Empire ottoman, en Afrique subsaharienne et en Amérique. »
Parution le 19 septembre
Antonio Cazorla Sánchez, Los pueblos de Franco. Mito e historia de la colonización agraria en España, 1939-1975, Galaxia Gutenberg, 2024
« La dictature franquiste a construit près de trois cents villages et districts de colonisation. La propagande du régime a tenté d’inculquer aux Espagnols que c’était la preuve que Francisco Franco était un dirigeant réformateur et bienfaisant. Ce livre, basé sur deux piliers — le travail d’archives et les souvenirs des protagonistes — réfute cette idée. Il explique de manière accessible le mythe de la colonisation et la réalité qui se cache derrière : le passé de réformes et de révolutions violemment réprimées par le régime franquiste ; la misère socio-économique du monde agraire pendant la dictature ; l’idéologie qui a soutenu la colonisation ; les véritables intérêts, souvent cachés, derrière le projet et, surtout, la réalité quotidienne des nouveaux colons et de leurs villages. »
Parution le 25 septembre
Purificació Mascarell, Como anillo al cuello. La opresión matrimonial en la literatura femenina, Ariel, 2024
« Pour des millions de femmes, le petit anneau qui orne leur annulaire et qui symbolise traditionnellement l’amour, a été plus qu’un anneau : une chaîne symbole de l’’assujettissement imposé par le mariage sous forme d’esclavage sexuel, de captivité au foyer, d’aliénation en tant que mère-épouse et de toutes sortes de violences machistes, dans l’esprit et sur la peau.
Bien que le silence ait effacé la plupart des témoignages, de nombreuses femmes écrivains ont voulu raconter l’histoire de cette oppression dans leurs romans. George Sand, Mercè Rodoreda, Louisa May Alcott, Emilia Pardo Bazán, Edith Wharton, Elena Fortún et Alice Walker ont raconté les abus de l’institution du mariage. Purificació Mascarell retrace une constellation de femmes auteurs rebelles face au pouvoir patriarcal. Dans la main de penseuses telles que Mary Wollstonecraft, Emma Goldman, Virginia Woolf, Simone de Beauvoir et Kate Millett, qui ont affirmé que l’intime est politique, Como anillo al cuello parcourt la littérature et le féminisme à la recherche de l’envers de l’amour romantique. Un sauvetage des voix féminines qui ont osé remettre en question le destin réservé aux femmes : se marier et se taire. »
Parution le 25 septembre
Gisèle Sapiro, Qu’est-ce qu’un auteur mondial ? Le champ littéraire transnational, Gallimard/ EHESS / Le Seuil, 2024
« Longtemps, la notion de classique universel fut admise comme une évidence. Ce canon de la littérature mondiale est désormais contesté, en raison de la prédominance en son sein d’hommes blancs occidentaux. Mais par quels mécanismes s’est formée la « littérature mondiale » ? Comment se fabrique la gloire internationale ?
À partir d’archives, d’entretiens, d’observations et d’études quantitatives, ce livre analyse les conditions d’accès à la consécration littéraire par-delà les frontières nationales : les facteurs qui la favorisent ou l’entravent, et les acteurs et autrices qui y contribuent. Trois moments socio-historiques sont abordés : l’entre-deux-guerres, marqué par une internationalisation des échanges, d’abord en Europe puis avec les États-Unis ; l’ouverture géoculturelle après 1945, sur fond de guerre froide, avec une lente progression de la diversité linguistique, parallèlement à la féminisation ; et enfin leur intensification à l’heure de la mondialisation. Foires et festivals de livres se multiplient, mais la domination accrue de l’anglais et les concentrations éditoriales suscitent des résistances.
Gisèle Sapiro renouvelle les récits habituels de la fabrication des notoriétés littéraires et dévoile les coulisses d’un monde fait d’intermédiaires, éditeurs, médiateurs, traducteurs ou institutions de consécration (UNESCO, Nobel). »
Parution le 27 septembre
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26.07.2024 à 16:42
Crise politique : 14 livres sur le monde de la IVe République
Matheo Malik
Sommes-nous entrés dans une répétition de la IVe République ?
Quitte à faire des comparaisons, autant savoir de quoi l’on parle. Pour vos débats animés cet été — et parce que la politique ne prend jamais vraiment de vacances — nous avons préparé une liste de lectures historiques sur le grand contexte d’un mythe français.
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Texte intégral (4787 mots)
Chaque mois, vous êtes des centaines de milliers à venir dans ces pages pour essayer d’y voir plus clair, de prendre du recul dans le carambolage des événements, de s’orienter dans le vertige du contemporain. Si vous jugez notre travail utile et que vous en avez les moyens, nous vous demandons de penser à vous abonner au Grand Continent
Jenny Raflik, La République moderne. La IVe République (1946-1958), Seuil, Points, 2018
« Condamnée par la lecture gaulliste de l’histoire comme le « régime des partis », parfois devenue ensuite une sorte de modèle dont il fallait honorer la mémoire afin de mieux se démarquer de l’ombre du Général, la IVe République demeure la « mal aimée » des Français.
Fondée en partie sur l’ouverture progressive des archives et la multiplication des témoignages, cette étude se nourrit d’une approche à la fois compréhensive et connectée. Compréhensive car elle donne la parole aux acteurs. Connectée car elle met en relation des thématiques souvent séparées : dimensions internationale et nationale, réformes de structure et vie quotidienne, grands destins et vie des Français « ordinaires ».
Jenny Raflik propose ainsi une lecture profondément renouvelée de ces années où s’invente la modernité. »
Georgette Elgey, Histoire de la IVe République, Bouquins, 2 volumes, 2018 (édition originale : 1965-1997)
« Cette somme d’une ampleur sans équivalent pour la connaissance d’une période clef de notre histoire nationale est le fruit d’une enquête de près d’un demi-siècle. Georgette Elgey a eu accès à des documents d’archives exceptionnels, qu’elle n’a cessé d’explorer, et bénéficié des témoignages des principaux acteurs politiques. Son ouvrage mêle superbement analyse et récit, entraînant le lecteur dans les coulisses du pouvoir, au plus près des événements et des hommes qui les ont initiés et parfois subis.
Le premier volume couvre la période allant de la Libération et du premier gouvernement de Gaulle à ceux de Pierre Mendès France puis de Guy Mollet. Époque invraisemblable où les drames, les intrigues se succèdent. Des scandales politico-policiers éclaboussent les dignitaires du régime : l’affaire des vins met en cause un chef d’État, l’affaire des généraux incrimine le chef d’État-major général des armées. La France vit à l’heure de la fracture du monde en deux blocs. C’est le temps du rideau de fer entre Moscou et Washington, de la guerre froide qui menace de dégénérer en troisième conflit mondial. Le pays connaît en 1947 et 1948 des grèves d’une violence aujourd’hui inimaginable. Malgré les crises mondiales et l’instabilité ministérielle, la IVe République accomplit cependant une œuvre considérable. La France se modernise, elle jette les bases de la construction européenne, une initiative française. Mais le régime doit affronter le problème de la décolonisation en Indochine et en Afrique du Nord, qui précipitera sa chute. »
Herrick Chapman, France’s Long Reconstruction : In Search of the Modern Republic, Harvard University Press, 2018
« À la fin de la Seconde Guerre mondiale, le plus grand défi de la France était de réparer une société civile déchirée par l’occupation nazie et la guerre totale. Le redressement passe par une transformation économique et sociale complète de la nation. Mais la forme que devait prendre cette « nouvelle France » est restée la question brûlante au cœur du combat politique français jusqu’à la fin de la guerre d’Algérie, plus d’une décennie plus tard. Herrick Chapman retrace le cours de la longue reconstruction de la France de 1944 à 1962, offrant un nouvel éclairage sur la manière dont l’expansion du pouvoir de l’État, censée être le fer de lance du redressement, a engendré de vives controverses à l’intérieur du pays et des conséquences inattendues à l’étranger et dans l’empire français en ruine.
Soutenu après la Libération par une nouvelle élite d’experts technocrates, l’État français en plein essor s’est infiltré dans des domaines de la vie économique et sociale traditionnellement exempts d’intervention gouvernementale. Les hommes politiques et les intellectuels se sont efforcés de concilier la modernisation dirigée par l’État avec la nécessité de renouveler la participation démocratique et de renforcer la société civile après des années passées sous le joug des nazis et de Vichy. Mais plutôt que de résoudre les tensions, le conflit entre les technocrates du sommet et les démocrates de la base s’est institutionnalisé comme une manière de formuler les problèmes auxquels était confrontée la Ve République de Charles de Gaulle. »
Serge Berstein et Pierre Milza (dir.), L’année 1947, Presses de Sciences-Po, 1999
« L’année 1947 représente, dans l’histoire française, un moment privilégié permettant d’observer l’intersection de deux mouvements évolutifs.
Les blocages économiques, la rupture des alliances de guerre, les craquements dans l’empire colonial annoncent la fin d’un monde, celui de la Troisième République ; tandis que les nationalisations, la planification indicative, le primat des ingénieurs annoncent apparemment un renouveau et une modernisation de la France.
Mais ceux-ci se situent dans le contexte de la guerre froide qui aiguise la volonté de la France de maintenir une identité nationale menacée par un affrontement qui la dépasse. »
Romain Souillac, Le mouvement Poujade. De la défense professionnelle au populisme nationaliste (1953-1962), Presses de Sciences Po, 2007
« L’Union de défense des commerçants et artisans (UDCA) naît dans le département du Lot en 1953 avant d’étendre son organisation à l’ensemble de la France. D’abord antifiscale, l’action du mouvement Poujade évolue rapidement, pour revêtir un caractère politique à partir du mois de mars 1955, quand sont créées des unions parallèles visant à rassembler toutes les catégories sociales, dans la perspective d’une transformation institutionnelle majeure. Cinquante-deux députés poujadistes entrent au Palais-Bourbon lors des élections législatives du 2 janvier 1956.
L’histoire du poujadisme – de sa naissance en 1953 à sa transformation sous la Cinquième République en un groupuscule luttant par des voies légales en faveur de l’Algérie française, jusqu’à sa complète marginalisation au temps de l’OAS – est l’occasion de mettre à jour certains mécanismes du fonctionnement de l’appareil d’État de 1953 à 1962. Elle permet de donner des éclairages nouveaux sur la crise politique qui met fin à la Quatrième République, sur la guerre d’Algérie et sur l’antigaullisme de droite au début de la Cinquième République. »
Yves Benot, Massacres coloniaux (1944-1950). La IVe République et la mise au pas des colonies françaises, La Découverte, 1994
« Aux lendemains de la Seconde Guerre mondiale, de Sétif (mai-juin 1945) à Madagascar (1947), d’Haiphong (1946) à la Côte-d’Ivoire (1949-1950) et à Casablanca (1947), l’armée française a massacré des dizaines de milliers d’hommes et de femmes dont le seul tort était de revendiquer pour plus de libertés ou pour l’indépendance. Ce sont ces pages sanglantes de l’histoire de France, méconnues, voire effacées, qu’Yves Benot retrace dans ce livre.
Mobilisant l’ensemble des documents disponibles, il montre comment et pourquoi les gouvernements de la IVe République, bien peu soucieux du respect de la légalité républicaine, ont choisi la voie de la répression sauvage pour préserver la cohésion de l’Empire français. Il analyse aussi les débats auxquels cette politique a donné lieu en France marqués par l’opposition de certains intellectuels comme Jean-Paul Sartre ou Paul Ricoeur. »
Éric Roussel, Pierre Mendès-France, Gallimard, 2007
« Pierre Mendès France (1907-1982) est, avec le général de Gaulle, le seul grand acteur de la vie publique qui, dans la seconde moitié du XXe siècle, a suscité un mythe. Sa trace dans l’Histoire ne se limite pas à son bref passage au pouvoir de juin 1954 à février 1955, sept mois et dix-sept jours marqués par le règlement de la guerre d’Indochine et le début du processus d’indépendance de la Tunisie. Le rayonnement et l’influence de cet homme de gauche réaliste se sont exercés bien au-delà de sa famille politique d’origine. Pour plusieurs générations de hauts fonctionnaires, de cadres dirigeants, d’intellectuels et de citoyens anonymes, Mendès France a été une référence morale. Si de Gaulle avait une certaine idée de la France, lui incarnait une certaine idée de la République, avec pour principes le souci du bien commun, le respect de l’adversaire, la volonté de dire toujours la vérité.
S’écartant d’une légende simplificatrice, Éric Roussel est parti à la recherche de cet homme courageux, complexe, attachant, quelquefois paradoxal. De ses débuts de jeune élu radical en Normandie à ses relations passionnelles avec de Gaulle et compliquées avec François Mitterrand, maints épisodes que l’on croyait connus apparaissent sous un jour nouveau, tandis que se révèle un être sensible, très marqué par le procès inique que lui intenta le régime de Vichy, et plus d’une fois en proie au doute. Fondé sur une vaste enquête dans les archives françaises et étrangères, les témoignages de proches de Mendès France et ses écrits inédits les plus intimes, ce livre éclaire un destin d’exception profondément ancré dans la mémoire nationale. »
Céline Pessis, Sezin Topçu et Christophe Bonneuil (dir.), Une autre histoire des « Trente Glorieuses ». Modernisation, contestations et pollutions dans la France d’après-guerre, La Découverte, 2013
« Comme était doux le temps des « Trente Glorieuses » ! La démocratisation de la voiture et de la viande ! L’électroménager libérant la femme ! La mécanisation agricole éradiquant la famine ! La Troisième Guerre mondiale évitée et la grandeur nationale restaurée grâce à la dissuasion nucléaire ! Etc. Telle est aujourd’hui la vision dominante de cette période d' » expansion « , objet d’une profonde nostalgie passéiste… au risque de l’aveuglement sur les racines de la crise contemporaine.
À rebours d’une histoire consensuelle de la modernisation, cet ouvrage dévoile l’autre face, noire, du rouleau compresseur de la « modernité » et du « progrès », qui tout à la fois créa et rendit invisibles ses victimes : les irradié.e.s des essais nucléaires en Algérie et en Polynésie, les ouvrier.ère.s de l’amiante ou des mines d’uranium contaminé.e.s, les rivières irrémédiablement polluées, les cerveaux colonisés par les mots d’ordre de la « croissance » et de la publicité…
Les conséquences sociales et environnementales des prétendues « Trente Glorieuses », de leur mythologie savamment construite par les « modernisateurs » eux-mêmes, de leurs choix technico-économiques et de leurs modes de vie, se révèlent aujourd’hui très lourdes. Il nous faut donc réévaluer la période et faire resurgir la voix des vaincu.e.s et des critiques du « progrès » (de l’atome, des pollutions, du productivisme et du consumérisme) antérieures à 1968. L’enjeu est non seulement de démonter les stratégies qui permirent alors de les contourner, mais aussi de les réinscrire dans les combats politiques et écologiques contemporains. »
Éric Duhamel, L’UDSR ou la genèse de François Mitterrand, CNRS Éditions, 2007
« 1945. Jacques Baumel, René Capitant, Eugène Claudius-Petit, Michel Debré, Léo Ramon, André Malraux, René Pleven, Jacques Soustelle, Robert Verdier, puis François Mitterrand… L’Union Démocratique et Socialiste de la Résistance est le seul parti politique à être exclusivement issu de la Résistance.
L’Union répond au projet politique de créer une vaste formation travailliste. Présidée dans un premier temps par René Pleven, puis par François Mitterrand, elle joue le rôle de parti charnière de la Quatrième République en monnayant cher ses quelques voix. 1981. Au moment où François Mitterrand accède à la magistrature suprême, Claudius-Petit souligne ironiquement que l’UDSR est enfin arrivée au pouvoir… Ses fidèles parmi les fidèles jouent encore dans l’appareil d’État ou dans ses marges un rôle non négligeable. »
Michel Winock, L’agonie de la IVe République, Gallimard, 2008
« La tragédie algérienne a été la malédiction de la IVe République. C’est à Alger, le 13 mai 1958, que s’enclenche l’engrenage qui finira par emporter ce régime issu d’une guerre et défait par une autre. Son agonie n’aura duré que trois semaines.
Ce livre met au jour les protagonistes, les paroles, les arrière-pensées, les enjeux, les intrigues, les flottements, les audaces et les lâchetés qui rythment l’embrasement de ces quelques semaines haletantes. Il retrace la chaîne des événements et des affrontements, qui s’étend de l’insurrection d’Alger au retour du général de Gaulle au pouvoir. Il sonde, ce faisant, la profondeur des dissensions qui déchirent les Français jusqu’à menacer le tissu national.
Michel Winock s’interroge sur l’incurable vulnérabilité d’une République, créatrice pourtant, en maints domaines, d’un véritable « miracle français ». Ce n’est pas seulement à l’épreuve du conflit algérien que se meurt la IVe, c’est aussi en raison des tares intrinsèques d’un système politique réduit à l’impuissance et, par là même, discrédité.
Les faiblesses de ce régime, honni par l’élite militaire, entraînent l’intervention de l’armée dans la vie politique, pour la première fois depuis plus d’un siècle : c’est sous la menace des armes que se décidera l’issue de la crise, par le recours, une fois encore, à un homme providentiel. »
Jenny Raflik-Grenouilleau, La Quatrième République et l’Alliance atlantique Influence et dépendance, 1945-1958, PUR, 2013
« En raison de son engagement dans l’Alliance atlantique, la Quatrième République a souvent été présentée comme un régime faible, contrastant en cela avec la France du général de Gaulle.
Cet ouvrage propose une approche plus « compréhensive » en regardant de façon précise les processus de décision alors que la politique atlantique française est menée par des experts et des hauts fonctionnaires.
Leur quête d’influence, dans un contexte où tout semble conduire la France à la dépendance, ne fut peut-être pas l’échec que l’on imagine trop souvent. »
Philip Nord, France’s New Deal : From the Thirties to the Postwar Era, Princeton University Press, 2012
« France’s New Deal pose un regard approfondi sur la refonte de l’État français après la Seconde Guerre mondiale, une époque où la nation a été dotée de toutes nouvelles institutions pour gérer son économie et sa culture.
Pourtant, comme le révèle Philip Nord, l’important processus de reconstruction de l’État n’a pas commencé à la Libération. Il a plutôt commencé durant les dernières années de la Troisième République et sous le régime de Vichy. En suivant l’évolution de la nation depuis les années 1930 jusqu’à l’après-guerre, Philip Nord décrit la façon dont une variété d’acteurs politiques — socialistes, démocrates-chrétiens, technocrates et gaullistes — ont joué un rôle dans la construction de la France moderne. »
Michael Creswell, A Question of Balance : How France and the United States Created Cold War Europe, Harvard University Press, 2006
« Remettant en cause les interprétations habituelles de la domination américaine et de la faiblesse française dans l’Europe occidentale d’après-guerre, Michael Creswell affirme que la France a joué un rôle clé dans l’élaboration de la guerre froide. Au cours de la décennie d’après-guerre, l’objectif principal du gouvernement américain était de réarmer la République fédérale d’Allemagne dans le cadre d’une force de défense européenne, la Communauté européenne de défense. Les responsables américains et français divergent cependant sur la composition de la CED et sur les règles régissant son organisation et son utilisation.
Bien que les pressions américaines aient joué un rôle, des facteurs plus décisifs — à la fois dans la politique intérieure française et dans les préoccupations internationales de la France — ont finalement conduit la France à approuver le plan de réarmement de l’Allemagne de l’Ouest. Michael Creswell décrit le défi que la France a lancé avec succès aux États-Unis, en retraçant le débat sincère, parfois houleux, entre les deux nations, qui a finalement abouti à des accords de sécurité préférés par les Français, mais acceptables pour les Américains. »
Aaron Clift, Anticommunism in French Society and Politics, 1945-1953, Oxford University Press, 2023
« Anticommunism in French Society and Politics évalue la prévalence de l’anticommunisme au sein de la population française entre 1945 et 1953, et examine ses causes, son caractère et ses conséquences à travers une série d’études de cas portant sur différents segments de la société française. Ces études portent notamment sur le mouvement scout, les organisations familiales, les associations agricoles, les groupes de la classe moyenne, les syndicats et autres organisations de la classe ouvrière. Aaron Clift soutient que l’anticommunisme était plus répandu et plus profondément enraciné qu’on ne le pensait, et qu’il a eu un impact substantiel sur la politique nationale et sur ces groupes et organisations sociales. En outre, il affirme que l’étude de l’anticommunisme nous permet de mieux comprendre les valeurs qu’ils considéraient comme les plus importantes à défendre.
Bien que l’anticommunisme ait été un phénomène diversifié, cet ouvrage identifie des discours communs, notamment la représentation du communisme comme une menace pour la nation, l’empire colonial, la famille traditionnelle, la propriété privée, la religion, le monde rural et la civilisation occidentale. Il met également en évidence les objectifs (tels que la réhabilitation des collaborateurs de guerre) et les tactiques (telles que l’invocation de l’apolitisme) communs. Tout en reconnaissant l’importance de la guerre froide, il rejette l’hypothèse selon laquelle l’anticommunisme serait une importation américaine ou serait étranger à la société française. Il conclut que l’anticommunisme a tiré sa force du lien, voire de l’amalgame, entre le communisme et l’antiaméricanisme. »
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