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03.05.2024 à 06:00

20 livres à lire en mai 2024

celianmartin

De Nietzsche à Matteotti en passant par Charlie Chaplin, notre sélection des nouvelles parutions en sciences sociales pour le mois de mai vous fait voyager en cinq langues. De l’Asie centrale du « Grand jeu » à l’importance des épices venues des îles Moluques — et de celle de la poésie à l’âge du désenchantement.

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Texte intégral (7172 mots)

Lire — à l’échelle pertinente : chaque mois, le Grand Continent vous propose une sélection des dernières sorties en sociale en plusieurs langues. Pour ne rien rater, abonnez-vous

Barbara Emerson, The First Cold War. Anglo-Russian Relations in the 19th Century, Hurst

« La Grande-Bretagne et la Russie ont maintenu une civilité glaciale pendant quelques années après la défaite de Napoléon en 1815. Mais dès les années 1820, leurs relations ont dégénéré en une rivalité acrimonieuse et constante autour de la Perse, de l’Empire ottoman, de l’Asie centrale — le Grand Jeu — et, vers la fin du siècle, de l’Asie de l’Est.

The First Cold War restitue le point de vue russe sur ce « jeu », en s’appuyant sur les archives tsaristes. Chacune des deux puissances mondiales est alors convaincue des visées expansionnistes de l’autre, qu’elle considèrent comme s’exerçant à ses dépens. Quand l’une réussit, l’autre fait monter les enchères, et c’est ainsi que les choses s’enveniment. Londres et Saint-Pétersbourg n’ont certes été en guerre ouverte qu’une seule fois, lors de la guerre de Crimée. Mais la russophobie et l’anglophobie se sont enracinées de part et d’autre tandis que ces deux grands empires restaient au bord des hostilités pendant près d’un siècle.

Ce n’est que lorsque la Grande-Bretagne et la Russie ont reconnu qu’elles avaient plus à craindre de l’Allemagne wilhelminienne qu’elles ont largement mis de côté leurs rivalités par la convention anglo-russe de 1907, qui a également eu des répercussions majeures sur l’équilibre des pouvoirs en Europe. »

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Roger Crowley, Spice. The 16th-Century Contest that Shaped the Modern World, Yale University Press

« Les épices ont été le moteur de l’économie mondiale au début des temps modernes et, pour les Européens, elles représentaient une richesse sans précédent. Les clous de girofle et les noix de muscade ne pouvaient atteindre l’Europe qu’en empruntant un réseau complexe de routes commerciales et, pendant des décennies, les explorateurs espagnols et portugais ont rivalisé pour trouver leur source insaisissable. Mais lorsque les Portugais ont finalement atteint les îles à épices des Moluques en 1511, ils ont déclenché une compétition féroce pour leur contrôle.

Roger Crowley montre comment cette lutte a façonné le monde moderne. De 1511 à 1571, les puissances européennes ont relié les océans, établi de vastes empires maritimes et donné naissance au commerce mondial, tout cela dans le but de contrôler l’approvisionnement en épices. Nous emmenant en voyage depuis les chantiers navals de Séville jusqu’à l’immensité du Pacifique, en passant par les îles volcaniques aux épices d’Indonésie, le cercle arctique et les côtes chinoises, cette histoire est riche en témoignages vivants des aventures, des naufrages et des sièges qui ont marqué les premières rencontres coloniales – et remodelé l’économie mondiale pour les siècles à venir. »

Parution le 14 mai

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Fanny Bugnon, L’Élection interdite. Itinéraire de Joséphine Pencalet, ouvrière bretonne (1886-1972), Seuil

« En 1925, des femmes se présentent aux élections municipales sous la bannière communiste, alors même qu’elles n’ont pas le droit de vote, et encore moins celui d’être élues. Parmi elles, Joséphine Pencalet à Douarnenez, en Bretagne. Fille de marin, elle fait partie de ces sardinières, les Penn Sardin, qui quelques mois plus tôt ont défrayé la chronique pour avoir mené une grève dure, longue et victorieuse. Elle est élue. C’est une première dans la vie politique française. Mais la victoire est de courte durée. L’élection est invalidée et Joséphine Pencalet tombe dans l’oubli jusqu’à sa redécouverte progressive à la faveur des initiatives de passeurs de la mémoire locale et du renouveau féministe. Mais qui était vraiment Joséphine Pencalet ? Une Louise Michel bretonne ? Une féministe avant l’heure ?

Pour répondre à ces questions, Fanny Bugnon se penche sur les archives, les traces et les silences laissés par cette femme au destin tout à la fois ordinaire et remarquable. Retraçant son itinéraire, elle dévoile les enjeux sociaux, politiques et économiques qui ont traversé la condition féminine au cours du XXe siècle, bien au-delà du port breton. »

Parution le 10 mai

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Irad Malkin et Josine Blok, Drawing Lots. From Egalitarianism to Democracy in Ancient Greece, Oxford University Press

« Cet ouvrage rédigé par deux historiens de renom propose une étude complète du tirage au sort en tant qu’institution centrale de la société grecque antique. Les auteurs explorent l’état d’esprit égalitaire, « horizontal », exprimé par le recours au tirage au sort, qui s’oppose à une vision descendante de l’autorité et de la souveraineté. Le tirage au sort présuppose l’égalité entre ceux qui y prennent part. Il était utilisé pour distribuer des terres, des héritages, du butin, de la viande sacrificielle, sélectionner des individus, fixer des tours, mélanger et réorganiser des groupes, ou encore connaître la volonté des dieux. 

Le tirage au sort cristallisait les frontières de la communauté et soulignait sa souveraineté. Le livre étudie ensuite la transposition du tirage au sort au gouvernement de la polis. L’égalitarisme implicite du tirage au sort est souvent en conflit avec les perceptions descendantes de la société et les valeurs d’inégalité, de statut et de mérite. Le tirage au sort a été introduit dans les oligarchies et les démocraties à un rythme et à une échelle inégaux. »

Parution le 21 mai 

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Juan Francisco Fuentes, Bienvenido Mister Chaplin. La americanización del ocio y la cultura en la España de entreguerras, Taurus

« Après la Première Guerre mondiale, l’influence américaine se répand dans le monde entier, et l’Espagne n’y échappe pas. À une époque de modernisation intense de la société, l’irruption de la culture de masse américaine y suscite une passion soudaine. Pour de nombreux Espagnols nés avec le siècle, la « Yanquilandia », comme Unamuno appelait le vieil ennemi de 98, devient un modèle de civilisation et façonne de manière décisive leur vision du monde. Les émigrants transmettent dans leurs lettres et leurs photographies l’image des États-Unis comme une terre promise, pleine de progrès techniques et sociaux, et les architectes construisent des gratte-ciel — ou « rascacielitos » — qui tentent d’imiter ceux de New York et de Chicago.

Juan Francisco Fuentes décrit l’esprit des « happy twenties » espagnoles, une époque marquée, malgré le nationalisme et le puritanisme officiels, par l’hédonisme, la liberté et la fascination pour l’American way of life. En Espagne, on danse le fox-trot et le charleston, le jazz et les marques américaines triomphent, les stars du cinéma muet comme Charles Chaplin et Buster Keaton font fureur et inspirent l’avant-garde artistique et littéraire et, en particulier, la Génération de 27. Cette idylle avec les États-Unis, qui touche aussi la gauche, même en pleine guerre de Sécession, est un phénomène aussi révélateur que méconnu. »

Parution le 23 mai

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Dagmar Herzog, Eugenische Phantasmen. Eine deutsche Geschichte, Suhrkamp

« Ce livre tente d’élaborer une histoire intellectuelle de la déficience mentale en retraçant les débats sur la valeur de la vie handicapée tels qu’ils ont été menés au cours des 150 dernières années. L’abîme de cette époque a été un projet de meurtre de masse presque inimaginable, qui a une histoire complexe et une postérité étonnamment longue. Désapprendre l’eugénisme s’est avéré être un processus extraordinairement tenace en Allemagne, qui n’est toujours pas terminé aujourd’hui.

Dagmar Herzog décrit les conflits récurrents sur l’interprétation des faits et les conséquences pratiques à en tirer. Dans ces débats à forte charge tant politique qu’émotionnelle, des concepts issus de la médecine et de la pédagogie se sont mêlés à des conceptions théologiques, mais aussi à celles concernant le travail et la sexualité, la vulnérabilité humaine et l’interdépendance. Comment penser et ressentir les concitoyens atteints de troubles cognitifs et de diagnostics psychiatriques les plus divers ? Comment les traiter ? En débattant de ces questions, les Allemands se sont toujours interrogés sur l’image qu’ils avaient d’eux-mêmes en tant que nation. »

Parution le 20 mai

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Pierre Haroche, Dans la forge du monde. Comment l’Europe est façonnée par le choc des puissances, Fayard

« Les Européens ont été les premiers à faire le tour du globe, en 1522. Ils ont donné à la mondialisation son impulsion par les voyages, le commerce et la colonisation, unifiant le monde comme leur vaste empire. Ils n’étaient pas une civilisation, ils étaient la civilisation. 

Aujourd’hui, ils assistent au retour du balancier : désormais, l’histoire, c’est les autres. La rivalité entre les États-Unis et la Chine relègue au second plan un Vieux Continent confronté à nouveau à la guerre contre la Russie. Voilà le phénomène que Pierre Haroche met en lumière : le rôle de plus en plus crucial de la nouvelle compétition mondiale entre puissances dans le destin européen. Sous l’effet des dernières crises, dont l’électrochoc ukrainien, les Européens sont contraints d’innover, de se repenser, pour surmonter leurs faiblesses. Une nouvelle Europe est en train de sortir de la forge du monde. Explorer cette boucle inattendue, cette valse séculaire entre deux entités titanesques — l’Europe et le monde —, tel est le projet de ce livre. Car nous sommes à la croisée des chemins. »

Parution le 2 mai

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Fabio Fiore, L’affaire Matteotti. Storia di un delitto, Laterza

« Le 10 juin 1924, à 16h30, à Rome, sur le lungotevere Arnaldo da Brescia, un homme est embarqué de force dans une voiture. Il s’agit de Giacomo Matteotti, opposant indomptable au fascisme et à Benito Mussolini. Le « crime de Matteotti », dont on commémore cette année le centenaire, est sans doute la plus grande « affaire » de l’histoire italienne. 

Fabio Fiore commence par analyser la scène et décrire les mécanismes du crime. Ensuite, il en débusque les auteurs et leurs commanditaires — le Duce et son entourage — et raconte la formidable lutte pour le pouvoir et la survie d’hommes divisés sur tout, mais unis par le mensonge et par la certitude que pour se sauver, ils doivent sauver Benito Mussolini à tout prix. Il s’interroge ensuite sur les motivations possibles du crime. Enfin, comme dans tout crime, il y a un « après », les multiples « issues de secours » de l’affaire : des procès de 1926 et 1947 au sort de chaque protagoniste dans les décennies suivantes. Mais il y a surtout Giacomo Matteotti. Jusqu’à présent, cette figure était comme un fantôme : une absence, un corps, la victime. L’auteur nous invite à nous demander : qui est Matteotti, qui était-il ? Et pourquoi lui ? »

Parution le 17 mai

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Michael A. Cook, A History of the Muslim World : From Its Origins to the Dawn of Modernity, Princeton University Press

« Ce livre décrit et explique les principaux événements, personnalités, conflits et convergences qui ont façonné l’histoire du monde musulman. Le corps de l’ouvrage conduit le lecteur des origines de l’islam à la veille du XIXe siècle, et un épilogue poursuit l’histoire jusqu’à nos jours. Michael Cook propose ainsi une vaste histoire d’une civilisation remarquable à la fois par son unité et sa diversité.

Après avoir planté le décor dans le Moyen-Orient de la fin de l’Antiquité, le livre dépeint la montée de l’islam comme l’un des grands cygnes noirs de l’histoire. Il présente ensuite l’essor spectaculaire du califat, un empire qui, au moment de son éclatement, a favorisé la formation d’une nouvelle civilisation. Il couvre ensuite les diverses histoires des principales régions du monde musulman, en fournissant un compte rendu détaillé des principaux développements militaires, politiques et culturels qui ont accompagné l’expansion de l’islam vers l’est et vers l’ouest, du Moyen-Orient aux rives de l’Atlantique et du Pacifique. »

Parution le 7 mai

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Sarah Rey, Manus. Une autre histoire de Rome, Albin Michel

« Le corps est un langage à Rome, dont Sarah Rey propose d’étudier la grammaire à travers le prisme riche et original de la main. Que nous apprend-t-elle du monde romain, de sa symbolique et de ses usages, des plus traditionnels aux plus surprenants ?

La main prête serment à Rome, scelle les contrats, pratique les rituels, soigne, commande, exécute, affranchit, est aussi éloquente que la voix…, mais elle peut encore se montrer impie, défaillante ou disgracieuse, et être frappée d’interdit. Dextra ou sinistra, célébrée ou crainte, et parfois même mutilée, la main se révèle un outil essentiel dans l’élaboration des codes moraux, sociaux et religieux des débuts de la République à l’avènement de l’Empire. Sarah Rey montre combien son importance est manifeste au sein de toutes les couches de la population romaine, des élites dirigeantes aux travailleurs manuels, artisans comme paysans, en passant par les soldats, les prêtres et les médecins. On explore ainsi, à travers la main, toute une série d’expressions de ce qui fait au quotidien la romanité. »

Parution le 2 mai

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Gilles Vergnon, Changer la vie ?. Le temps du socialisme en Europe de 1875 à nos jours, Gallimard

« Le mouvement socialiste plonge ses racines dans les idées révolutionnaires internationalistes du XIXe siècle, se développe dans les pays industrialisés d’Europe au long du XXe et façonne le visage politique, social et culturel du Vieux Continent — à la différence de son « frère ennemi », le communisme, qui se déploie dans le même temps à l’échelle mondiale.

Gilles Vergnon élargit la focale au-delà de la France, met l’accent sur les temps forts du socialisme européen, ses combats, ses principales figures, ses controverses et ses échecs. Il suit son accommodation progressive aux contraintes de l’exercice gouvernemental et ses transformations au contact du réel.

Tout à la fois idée, formalisée en doctrine, tendance partisane et culture politique le socialisme semble affaibli cent cinquante ans après son émergence, et traverse dans certains pays une crise identitaire majeure. Il n’en reste pas moins un mouvement omniprésent et un acteur essentiel de la scène politique et sociale européenne. »

Parution le 30 mai

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Michel Foucault, Nietzsche. Cours, conférences et travaux, Seuil

« Les Cours, conférences et travaux sont des témoignages inédits du « travail » de Foucault avec Nietzsche. Ces textes datent des deux grandes périodes de sa vie intellectuelle : d’abord le début des années 1950, quand il s’intéresse à Hegel et à la phénoménologie, ainsi qu’au marxisme. Le jeune Foucault expérimente alors de nouvelles approches pour développer une philosophie fondée sur l’expérience et l’analyse du discours. Ensuite, après la publication des Mots et les Choses en 1966, lorsque Foucault revient avec élan à Nietzsche pour élaborer sa propre méthode généalogique, relançant ainsi son projet d’une histoire de la vérité et du dire vrai.

C’est à travers la confrontation avec Nietzsche que Foucault aura construit sa propre manière de philosopher. Ces Cours, conférences et travaux sont indispensables pour comprendre comment Foucault a lu Nietzsche, en particulier au moment décisif où il le découvre. Ils sont essentiels pour saisir le Nietzsche de Foucault. »

Parution le 31 mai.

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Sabrina Pisu, Il mio silenzio è una stella. Vita di Francesca Morvillo, giudice innamorata di giustizia, Einaudi

« Depuis le 23 mai 1992, date du massacre de Capaci, Francesca Morvillo a été enfermée et invisibilisée, réduite au statut de « femme de » Giovanni Falcone, morte d’une tragique fatalité. Au contraire, elle fut une magistrate d’une extrême valeur, pendant plus de seize ans substitut du procureur au Tribunal des mineurs de Palerme où, avec une approche avant-gardiste, elle a tenté de réhabiliter des mineurs qui s’étaient retrouvés en prison. Plus tard, à la Cour d’appel, elle a suivi des procès cruciaux contre la mafia, dont celui contre Vito Ciancimino. À partir de témoignages exclusifs, comme celui de son frère Alfredo, et de documents inédits, Sabrina Pisu esquisse un portrait profond de Francesca Morvillo : une femme libre et réservée, éprise d’un idéal de justice, qui préférait aux mots l’engagement silencieux et le devoir quotidien. »

Paru le 30 avril

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Arnau Fernández Pasalodos, Hasta su total extermino. La guerra antipartisana en España (1936-1952), Galaxia Gutenberg

« La guerre civile espagnole, traditionnellement délimitée entre 1936 et 1939, a eu un autre visage : celui de la guerre irrégulière, un affrontement aux caractéristiques très différentes qui a d’ailleurs duré jusqu’en 1952. Dans ce livre, Arnau Fernández Pasalodos se penche sur cette guerre et sur les dynamiques qui ont déterminé le fonctionnement de la Garde civile au début du régime franquiste. Il en ressort un portrait à multiples facettes de la brutalité et de la répression exercées à tous les niveaux à l’encontre des partisans, de leurs collaborateurs, de leurs familles et même des civils en dehors du conflit. Mais en même temps, ce livre met en lumière un autre aspect que l’historiographie a négligé : la réalité de l’action de la garde civile dans la lutte anti-guérilla. De nombreux membres de ce corps n’étaient pas là pour des raisons idéologiques, mais par nécessité. Ils recevaient l’un des salaires les plus bas en échange d’une vie de misère. Ils avaient peur et évitaient souvent d’obéir aux ordres qu’ils recevaient. »

Parution le 8 mai

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Charles Taylor, Cosmic Connections. Poetry in the Age of Disenchantment, Harvard University Press

« Réagissant à la chute des ordres cosmiques à la fois métaphysiques et moraux, les romantiques ont eu recours à la poésie pour reprendre contact avec la réalité placée au-delà de leur existence fragmentée. Ils ont cherché à surmonter le désenchantement et ont tâtonné vers un nouveau sens de la vie. Leurs réalisations ont été prolongées par les générations post-romantiques. Charles Taylor nous emmène de Hölderlin, Novalis, Keats et Shelley à Hopkins, Rilke, Baudelaire et Mallarmé, puis à Eliot, Miłosz et au-delà.

En recherchant une compréhension plus profonde et une orientation différente de la vie, le langage de la poésie n’est pas simplement une présentation agréable de doctrines déjà élaborées ailleurs. Au contraire, insiste Taylor, la poésie nous persuade par l’expérience de la connexion. La conviction qui en résulte est très différente de celle obtenue par la force de l’argumentation. Par sa nature même, le raisonnement de la poésie est souvent incomplet, provisoire et énigmatique. Mais en même temps, sa perspicacité est trop émouvante — trop manifestement vraie — pour être ignorée. »

Parution le 21 mai

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W. Daniel Wilson, Goethe und die Juden. Faszination und Feindschaft, C.H. Beck

« Les relations de Goethe avec les juifs de son temps étaient plus qu’ambiguës. À côté d’une certaine fascination, il y avait des préjugés et — surtout dans les dernières années de Goethe — une véritable hostilité, qu’il n’exprimait toutefois qu’en privé. Sur la base de sources jusqu’ici inexploitées, W. Daniel Wilson dévoile cet aspect difficile de l’œuvre et de l’activité de Goethe.

« Selon les anciennes lois, aucun juif ne peut passer la nuit à Iéna. Cette louable disposition devrait certainement être mieux maintenue à l’avenir que jusqu’à présent ». C’est ce qu’écrivait Goethe dans une lettre de 1816. Dans ses déclarations et activités publiques, il se présentait le plus souvent comme un ami des juifs, afin de ne pas perdre ses nombreux admirateurs et admiratrices juifs. Mais c’est surtout à partir de 1796 qu’il s’opposa fermement à l’émancipation des juifs. Cette attitude n’était d’ailleurs qu’en contradiction apparente avec ses contacts amicaux avec certains juifs cultivés. »

Parution le 16 mai

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Eugene Rogan, The Damascus Events. The 1860 Massacre and the Destruction of the Old Ottoman World, Basic Books.

« Le 9 juillet 1860, une foule en colère déferle sur les quartiers chrétiens de Damas. Pendant huit jours, la violence fait rage, causant la mort de cinq mille chrétiens, le pillage de milliers de magasins et la destruction d’églises, de maisons et de monastères. Cette flambée soudaine et féroce a choqué le monde entier, laissant les chrétiens syriens vulnérables.

S’appuyant sur des témoignages inédits, Eugene Rogan raconte comment une ville multiculturelle paisible a été engloutie par les massacres. Il retrace la manière dont les tensions croissantes entre les communautés musulmanes et chrétiennes ont conduit certains à considérer l’extermination comme une solution raisonnable. Il raconte également la suite de ce désastre, et comment le gouvernement ottoman s’est empressé de reprendre le contrôle de la ville, de mettre fin à la violence et de réintégrer les chrétiens dans la communauté. Ces efforts de reconstruction de Damas ont été couronnés de succès et ont permis de préserver la paix pendant les 150 années suivantes, jusqu’en 2011. »

Parution le 7 mai

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Isaac Nakhimovsky, The Holy Alliance : Liberalism and the Politics of Federation, Princeton University Press

« La Sainte-Alliance est aujourd’hui associée à une conspiration réactionnaire. Dans ce livre, Isaac Nakhimovsky montre qu’elle puise ses origines dans la pensée des Lumières, expliquant pourquoi de nombreux contemporains libéraux l’ont d’abord accueillie comme la naissance d’une Europe fédérale et l’aube d’une ère de paix et de prospérité pour le monde. En examinant comment la Sainte-Alliance a pu représenter à la fois une idée de progrès et un emblème de réaction, Isaac Nakhimovsky offre un nouveau point de vue sur l’histoire des alternatives fédératives à l’État-nation. Il en résulte une meilleure compréhension de l’attrait récurrent de ces alternatives et des raisons pour lesquelles la politique de fédération a également été associée à une résistance bien ancrée aux objectifs émancipateurs du libéralisme.

Isaac Nakhimovsky relie l’histoire de la Sainte-Alliance à l’histoire transatlantique mieux connue du constitutionnalisme du XVIIIe siècle et des efforts déployés au XIXe siècle pour abolir l’esclavage et la guerre. Il montre également comment la Sainte-Alliance a été intégrée dans divers récits libéraux de progrès. De la Société des Nations à la guerre froide, des analogies historiques avec la Sainte-Alliance ont continué à être établies tout au long du XXe siècle, et Isaac Nakhimovsky montre comment certains des problèmes politiques fondamentaux soulevés par la Sainte-Alliance ont continué à réapparaître sous de nouvelles formes et dans de nouvelles circonstances. »

Parution le 28 mai

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Bastien Cabot, La gauche et les migrations. Une histoire de l’internationalisme (XIXe – XXIe siècle), PUF

« Depuis plus de quarante ans que le sujet migratoire s’est imposé dans le débat public, la presse n’a pas cessé de souligner le tabou qu’il représenterait pour les formations se réclamant, de façon très large, du socialisme. Pourtant, pendant près d’un siècle et demi, celui-ci a mobilisé l’imaginaire de l’« internationalisme » comme un moyen d’expier les effets mortifères des frontières. Cette aspiration a-t-elle été à la hauteur de ses ambitions, et peut-elle l’être encore ? Ou bien était-elle déterminée par un contexte historique et des expériences individuelles aujourd’hui périmées ? 

Cet ouvrage de synthèse historique propose un tour d’horizon mondial du rapport des gauches aux migrations, depuis la fin du XVIIIe siècle jusqu’à nos jours. Nous y croisons des adeptes de Jakob Frank pris dans le tourbillon révolutionnaire français, des travailleurs chinois chassés de Californie à la fin du XIXe siècle, des ouvriers vietnamiens employés dans les usines est-allemandes puis engagés comme experts en Angola… Par-delà leur diversité, ces trajectoires interrogent la tension constitutive de la modernité socialiste, entre un horizon mondial et des réalités nationales ou locales qui lui résistent. »

Parution le 22 mai

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Guillaume Sacriste, Le Parlement européen contre la démocratie ? Repenser le parlementarisme transnational, Presses de Sciences-Po

« Le continent européen fait face à une série de crises sans précédent dont la guerre en Ukraine, la crise climatique et la montée du populisme sont les plus saillantes à ce jour. Sous-équipée par rapport à la Chine et aux États-Unis pour y répondre et incapable d’investir massivement au même titre que ses concurrents, l’Europe décroche.

Cette faiblesse de l’Union trouve son origine dans l’illégitimité congénitale du Parlement européen. Les nombreuses tentatives des parlementaires fédéralistes pour l’imposer comme le garant de la démocratie européenne ont échoué : impuissante à mobiliser les ressources collectives des sociétés, l’institution semble jouer contre elle-même. D’autres voies sont pourtant possibles pour permettre à l’Union d’agir démocratiquement, comme la création, à côté du Parlement européen, d’une seconde chambre constituée de représentants des parlements des États membres, dont la légitimité, notamment en matière fiscale, ne fait pas question. »

Parution le 17 mai

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21.04.2024 à 17:30

« Tout commence avec le feu », une conversation avec Hélène Cixous

Matheo Malik

Incendire, le dernier livre d'Hélène Cixous, part de l’expérience vécue d’un méga-feu pour remonter le fil de ses vies.

Dans une conversation fleuve avec le critique d’art Hans Ulrich Obrist, elle jette des ponts entre la permanence d’un ailleurs très ancien et le motif tout proche de la fin du monde pour penser son rapport à la langue et à l’inachevé — accompagnée par Montaigne, Kafka, Rilke, Ronsard, Moïse et la Méduse.

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Texte intégral (9864 mots)

La traduction est au cœur du projet de la revue. Depuis notre lancement, nous avons ouvert nos pages aux plus grandes voix de la littérature mondiale — des Prix Nobel Wole Soyinka ou Mario Vargas Llosa à la romancière Scholastique Mukasonga ou au poète Philippe Jaccottet. Premier prix qui reconnaît chaque année un grand récit européen et dont la dotation est sa traduction dans les autres langues continentales, le Prix Grand Continent a été remis l’année dernière au polonais Tomasz Różycki.

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Dans une précédente conversation avec Olivier Zam et Donatien Grau, interrogée sur votre enfance en Algérie, vous avez répondu que vous étiez « un amas de continents, de contradictions, de compatibles incompatibilités », « le résultat de l’histoire du monde au milieu du XXe siècle, une époque marquée par la violence, les promesses, l’espoir et le désespoir ». Pourriez-vous commencer par aborder ce thème ?

Je commencerai par dire que, lorsqu’on m’a posé cette question, une pensée m’a directement traversé l’esprit : en réalité, l’espoir est quelque chose que je ne connais pas. D’ailleurs, vous utilisez le mot espoir et non celui d’espérance. Au fond, on se confronte déjà à un problème linguistique. L’espérance ne renvoie pas à la même chose que l’espoir. Je pense qu’en allemand, il n’existe qu’un seul et unique mot pour exprimer ces deux réalités. En français, nous en avons deux ; quelque chose s’introduit, qui distingue et affirme que l’espoir et l’espérance, ce n’est pas du tout la même chose. En français, l’espérance renvoie à une vertu. On dit que c’est une liberté théologale : l’espérance, la foi, la charité, ce sont des émotions chrétiennes. 

L’espoir, c’est tout à fait autre chose. À y réfléchir, je me dis qu’en Algérie, quand j’étais petite, j’ai abandonné tout espoir. Je n’attendais ni n’espérais rien de ce pays, dévoré par les démons, par les haines et par les racismes. Et toute jeune, je me suis dit que c’était un pays qu’il fallait fuir — ce que j’ai fait. Je n’ai pensé qu’à ça, et dès que j’ai eu dix-huit ans, j’ai fui, parce que je n’avais pas d’espoir. Ça, c’est très important.

L’espérance, au fond, c’est un état. Par la suite, je me suis demandé dans ma vie : ai-je espéré ? Et si oui, quoi ? A alors émergé une question très importante : celle de l’attente. Car en français et, plus généralement, dans les langues romanes, nous fonctionnons avec le mot esperanza qui renvoie à l’idée d’attente — idée beaucoup moins présente dans Hoffnung où il n’y a pas d’attente, où l’on est déjà dans un autre monde.

Dans les langues romanes, nous fonctionnons avec le mot esperanza qui renvoie à l’idée d’attente — idée beaucoup moins présente dans Hoffnung où il n’y a pas d’attente, où l’on est déjà dans un autre monde.

Hélène Cixous

Pourtant, en allemand, Hofnung et Zuversicht renvoient à deux idées distinctes…

Zuversicht, c’est autre chose : c’est ce qui va, c’est le moteur de l’espoir. On ne peut imaginer d’espoir vivant sans Zuversicht. Il faut qu’il y ait un acte de foi, c’est-à-dire qu’il faut croire, et qu’il faut qu’il y ait de la confiance. Rétrospectivement, je suis arrivé à la conclusion que quand j’étais enfant, je ne croyais pas. Je ne croyais pas que l’Algérie puisse un jour avoir la chance d’atteindre une forme d’idéal, qui aurait reposé sur la liberté de penser, le désir de progresser, voire même l’écologie, ce genre de choses. Quand je regarde mon existence, qui est très ancienne, je me dis que je ne crois pas avoir véritablement exercé beaucoup d’espoir — de l’urgence peut-être, à la limite.

D’un autre côté, je ne peux pas nier le fait de connaître l’espoir, d’abord puisque c’est une idée qui infuse la langue courante. On l’invoque constamment, par exemple lorsqu’on dit « j’espère bien ». Au fond, cela signifie que les humains n’existent pas sans cette dimension temporelle ; un avenir doit impérativement se dessiner. Mais dans ce cas-là, est-ce de l’espoir ou une simple rationalité ? J’ai la ferme conviction que l’humanité va poursuivre sa route. Bien que le risque qu’elle s’auto-détruise totalement soit réel, je ne crois pas que cela arrivera — ce qui ne doit pas nous empêcher de faire mieux. Mais il y a bel et bien des menaces, et je les prends très au sérieux ; je reviens longuement là-dessus dans Incendire

Il y a des moments où on peut légitimement se dire, par exemple en Algérie, qu’on ne peut pas faire mieux, qu’il n’y a rien à faire. Quand je vois la situation entre l’Ukraine et la Russie, je me dis que pour le moment et pour longtemps — peut-être un siècle, peut-être deux — on ne peut pas espérer mieux. Tout ça, ce sont des raffinements, des nuances que l’on place et entasse dans l’image globale de l’espérance. En tant qu’individu, en tant que singularité absolue, il y a des moments où on peut s’autoriser à espérer ; mais ce n’est pas du tout mon genre.

Il y a des moments où on peut s’autoriser à espérer ; mais ce n’est pas du tout mon genre. 

Hélène Cixous

Avant de parler d’Incendire plus en détail, pourriez-vous parler du feu, puisque ce livre s’ouvre là-dessus. Vous me disiez que la littérature commençait avec la guerre et que la guerre commençait avec le feu. Je me rappelle d’ailleurs de ma dernière conversation avec Agnès Varda où je lui avais posé une question sur ses projets qui n’avaient pas aboutis. Elle m’a répondu qu’elle aurait aimé monter une installation qui se serait appelée « Feu Madame Cinéma ». Elle disait qu’au fond, le cinéma aussi commence par le feu. Qu’en pensez-vous ?

C’est une évidence, je n’invente rien quand j’affirme que littérature, feu et guerre sont parties prenantes. J’observe et je me dis que tout commence avec l’incendie. C’est lui qui inaugure l’histoire de mon livre. Je suis convaincu que l’histoire, l’historicisation, l’historicité de notre mémoire et de nos vies commencent avec le feu, c’est-à-dire avec quelque chose qui détruit et qu’on appréhende comme une force radicale qui annihile. Sauf qu’après le feu, il y a parfois quelque chose.

Venons-en à la littérature. En Occident — je ne peux pas rendre compte de ce qui se passe littérairement ailleurs —, la littérature constitue notre héritage. Alors prenons le feu, celui qui nous guide dans notre esprit mythologique. Troie tombe et est détruite par le feu. Il y a des textes tellement beaux qui racontent cet épisode, et ils ne sont pas dans l’œuvre d’Homère mais dans celle de Virgile, qui nous donne à penser la morale publique dans sa totalité et représente dans ses vers l’allégorie, la métaphore et la prophétie de toutes les pestes. Pour moi, le nazisme constitue son incarnation la plus totale.

Troie brûle. La plupart des gens ont péri comme les Juifs avec les nazis. C’est un peuple détruit par une force maléfique. Ceux qui survivent — ils sont très peu — assistent à la dévoration par le feu de leur ville, c’est-à-dire leur pays, leurs racines et leur sol. Et puis le personnage qui va incarner l’espoir dort : c’est Énée. Il dort à poings fermés et, comme le dit Virgile avec une expression absolument admirable : « Jam proximus ardet Ucalegon » (« déjà, tout proche, la demeure d’Ucalégon s’embrase »). La demeure de son voisin brûle déjà. Et Énée dort.

Ce motif de l’homme qui dort alors que l’incendie ravage son monde s’est transmis et continue de structurer notre époque, en étant par exemple mobilisé par les chefs d’État au XXe siècle : « vous dormez ? ça brûle ! mais vous ne voyez pas que ça brûle ? ». Freud l’a quant à lui identifié dans des rêves archétypiques où le rêveur rêve que « tu ne vois pas que ça brûle ? Tu ne vois pas que… », « non, je dors ! ». C’est un thème qui illustre la nécessité d’être éveillé, de voir la catastrophe, de la voir revenir. Quant au réveil, au réveil dans les flammes, il s’agit de la grande question des Juifs en Allemagne : « Toi-même, tu te livres au feu, réveille-toi ! Mais si tu es réveillé, qu’est-ce que tu vas faire ? » La même question revient à chaque fois — je l’ai vécue personnellement dans ma maison du Sud-Ouest. 

Le motif de l’homme qui dort alors que l’incendie ravage son monde s’est transmis et continue de structurer notre époque.

Hélène Cixous

C’est cette expérience cauchemardesque qui ouvre Incendire. 

Ce cauchemar était bien réel et a eu lieu dans ma région du Sud-Ouest qui a été ravagée par le feu. On pourrait tenir le même discours sur le Canada qui a été en proie aux flammes l’été dernier et de tous les endroits dans l’univers qui ont flambé, qui sont d’ailleurs de plus en plus nombreux — je pense à la Californie qui en est constamment victime.

Ça s’est passé autour de ma maison, dans cette région qui est habituellement paisible. Le Sud-Ouest n’est pas central — il est par exemple épargné par la politique. Il dispose d’une forêt, la forêt des Landes. Ma maison est à cent mètres de la forêt, je vis avec elle depuis maintenant soixante ans. Tout d’un coup, quelque chose que j’ai toujours aperçu comme une sorte de fantôme lointain, m’en estimant préservée s’est brusquement imposé. Le feu était là.

Il dévore la forêt de la manière la plus spectaculaire, la plus terrifiante possible. Il approche. Ce n’est qu’à ce moment-là que j’ai véritablement fait l’expérience de l’incendie. J’y avais déjà été confrontée à plusieurs reprises par le passé. Mais celui des Landes était différent : il a commencé à tout détruire. Je me suis interrogé en me demandant comment nommer cette chose. Le mot qui m’est venu à l’esprit, qui m’a accueilli, c’était « biblique ». Je n’avais jamais vu une chose pareille, aussi destructrice, aussi meurtrière.

Le feu a détruit et a dévoré. Mais comment celui qui voit approcher le feu réagit-il ? C’est la question des Juifs qui m’occupent très souvent et que ma famille a vécu très directement. Le nazisme est déjà là en 1929. En 1933, il est au pouvoir, ma mère est alors partie depuis trois ans. Pourquoi vivre dans un pays en proie aux flammes ? C’est une jeune femme qui va donc voir s’il existe sur terre des pays qui sont moins menaçants et effrayants que l’Allemagne qui commence déjà à souffrir de la peste.

Le feu a détruit et a dévoré. Mais comment celui qui voit approcher le feu réagit-il ?

Hélène Cixous

Les dates sont instructives car l’histoire nous apprend beaucoup de choses, par exemple qu’en 1929, on peut déjà être réveillé à l’image de ma mère qui n’avait que 19 ans mais qui était suffisamment alerte pour savoir qu’il fallait partir — sans savoir qu’elle ne reviendrait jamais. Elle est de fait revenue très souvent, en particulier à Osnabrück, pour chercher ma grand-mère qui y vivait avec une grande partie de sa famille. Elle lui disait, « viens, sors, suis-moi, on va ailleurs ! ». Et celle-ci lui répondait « Non ». Ce « non » m’a beaucoup occupée lorsque j’étais petite. Je me demandais constamment pourquoi ma grand-mère n’était pas partie, tout comme le reste de ma famille, mes oncles et mes tantes, mes cousins et mes cousines.

Certains sont partis, la moitié peut-être, tous à une date différente, en 1932, 1933, 1934, 1935… À chaque fois, ce sont d’autres personnes, quelque chose d’autre s’est réveillé, ou ne s’est pas réveillé. Et voilà. Lorsque j’examine cela, je me dis que je reviens à ce qui m’arrivait du temps de l’incendie, au moment où je découvrais ce que c’était un grand incendie, un incendie meurtrier, destructeur et radical. 

Quels étaient les premiers signes de l’incendie ? C’était l’odeur ?

J’ai justement été surprise, je pensais qu’un incendie se percevait d’abord par la vue, comme dans l’Énéide et dans l’Iliade, mais en réalité, la première expérience physique qui s’est abattue sur nous — si on ne l’a jamais ressenti, on ne peut l’imaginer — c’est d’abord l’odeur. Et l’odeur s’apparente à des sons de trompette, à une attaque, une sorte de rafale de mitraillette, comme un bombardement. On sent des choses qu’on n’a jamais senties dans la vie et qui ne sont pas stables, on demande alors aux gens s’ils ont sentis la même chose,  tout le monde s’interroge sur l’odeur et seulement après, dans un second temps, la fumée apparaît. 

On pense souvent qu’elle prend la forme de colonnes verticales qui montent, mais cette représentation n’est pas exacte. Je me suis rendu au bord de la mer pour l’observer et elle m’a davantage fait penser à une sorte de train monstrueux, horizontal et homogène. La fumée de l’incendie s’apparente à une colonne de blindés au ras de la terre qui envahit tout l’horizon, et est tous les jours d’une autre couleur. Contempler ce spectacle suscite un questionnement profond. J’ai demandé au feu et à l’odeur quand tout cela cessera. 

On entendait aussi un bruit terrible dans la maison. Je ne peux même pas le décrire, c’est absolument indescriptible de violence et d’archaïsme. Ce fracas était causé par les avions bombardiers, volant vingt mètres au-dessus du sol.

Lorsque les pompiers et la police sont venus réveiller les habitants de Cazaux en pleine nuit et leur ont donné un quart d’heure pour partir, j’ai ressenti que j’avais accompli une forme de cycle. La petite localité allait brûler. On n’a pas donné aux gens qui habitaient ici la liberté de rester isolés. Seulement, à trois heures du matin, ils n’ont pas pu réunir leurs animaux. Il y avait de tout : des chats, des chiens, des poules… Cent cinquante animaux domestiques ont brûlé vif. J’ai eu la conviction que la vie n’était plus ici mais là-bas, loin.

L’odeur du feu s’apparente à des sons de trompette, à une attaque, une sorte de rafale de mitraillette, comme un bombardement.

Hélène Cixous

Par hasard, j’avais la chance d’être accompagnée par une amie qui avait une voiture très performante. Je l’ai réveillée le matin pour lui dire qu’on embarquait les chats et qu’on s’en allait immédiatement. En face de nous, il y avait Arcachon et l’océan : on ne pouvait pas aller plus avant. Nous nous sommes donc lancés sur une route qui pénétrait dans les terres pour fuir et avons emprunté des tunnels complètement enfumés sur des kilomètres, sans lumière. Sur le côté de l’autoroute se trouvaient des centaines de camions immobilisés à qui on avait donné l’ordre de s’arrêter. Ils ne pouvaient pas rebrousser chemin. C’était une vision de fin du monde. La route derrière nous était coupée : on ne pouvait plus sortir ni revenir, ce qui m’a profondément marqué et m’a rendu physiquement malade. Au fur et à mesure que j’examinais la situation et rentrais dans une forme d’introspection en me demandant ce qu’il m’arrivait, je me suis rendu compte que j’étais confrontée à une sorte de terreur pure mais concrétisée, qui correspondait exactement au contenu du mot « traumatisme », qui a toujours été un mot abstrait pour moi, mais qui là, touchait, hantait et animait tous mes membres et tout mon corps.

Plus tard, quand je suis revenue — j’étais partie sans rien, en laissant la maison telle quelle — je me suis dit que tout était perdu. J’avais des amis résiniers, qui sont nés et vivent dans la forêt — ce sont en quelque sorte des indigènes de la forêt. Leurs vies sont complètement parties en fumée sous leurs yeux : leur univers a disparu d’un seul coup. Je les entendais pleurer et je ne m’en suis jamais remise. J’étais angoissé pour l’éternité, convaincue que ça allait recommencer, que ça ne pouvait pas ne pas recommencer. Il y avait déjà des signes avant-coureur. Quand, après des semaines et des semaines, les feux ont fini par se stabiliser, les pompiers — dont on apprend progressivement le vocabulaire — ont affirmé que l’incendie était maîtrisé, ce qui ne veut pas du tout dire que le feu est éteint mais simplement encerclé. L’incendie s’est éteint bien plus tard, ce qui constitue du reste une illusion, car le sol et la terre en dessous continuent de brûler.

Et là, plongée dans l’histoire des êtres humains, je me suis aperçue que l’humanité s’auto-détruisait sans cesse. Il était évident que le désastre allait recommencer. Par exemple, à peine trois mois après la fin de ces incendies géants, des gens recommençaient à fumer dans la forêt, le long des sentiers forestiers parcourus par ces espèces de crayons géants que forment le tronc des pins calcinés.

Plongée dans l’histoire des êtres humains, je me suis aperçue que l’humanité s’auto-détruisait sans cesse. Il était évident que le désastre allait recommencer.

Hélène Cixous

Quelque temps auparavant, un autre feu brûlait à Paris, celui de Notre-Dame. En parallèle, d’énormes feux ont ravagé l’Amazonie. Ce qui m’a frappé, c’est que le feu de Notre Dame a bien plus retenu l’attention que les feux amazoniens. Le différentiel dans l’attention portée à ces deux feux était très important. 

C’est une question de médiatisation et d’idéologie. La perception de l’incendie de Notre-Dame était structurée par l’histoire de l’Église et de la géopolitique française, tandis que celle de la forêt est relative à une forme d’humanité primitive éternelle. Qu’on ne s’intéresse pas aux habitants de Cazaux, aux poulets ou aux chats qui ont brûlé n’est pas très étonnant. En revanche, l’argent a afflué dans le cas de Notre-Dame. Il n’était pas donné par des millionnaires, mais par des catholiques ordinaires. C’est une toute autre histoire, un tout autre rapport au feu.

Mais moi, ce qui m’accompagne sans cesse, c’est l’histoire d’un peuple qui va inévitablement être réduit en cendres. Le sort des juifs livrés au nazisme — ceux qui ont fui, ceux qui n’ont pas fui — c’est une histoire, une tragédie, des millions de tragédies tout à fait singulières.

Une autre chose qui m’a toujours accompagnée depuis que je suis toute petite — je suis une littéraire et j’ai la chance d’être angliciste — c’est le merveilleux Journal de l’Année de la Peste, de Daniel Defoe. C’est un chef d’œuvre inimaginable, il est même incroyable qu’un tel ouvrage existe. Ce faux journal qui est en réalité un roman constitue la matrice de toute la littérature anglaise, et de la nôtre également. Defoe se met dans la peau d’un archiviste et décrit la grande peste de Londres et d’autres épisodes de peste qui ont secoué l’histoire européenne. Il faut garder à l’esprit que ces épidémies pouvaient détruire une population en quelques mois, des millions de gens étaient anéantis. Chaque paroisse envoie chaque jour le bilan de ses morts : certaines en ont trois ou quatre, d’autres déjà cinquante et le lendemain, le bilan atteint la centaine. Le nombre de morts est exponentiel et se pose encore et toujours la question du départ et de la fuite. La seule différence est que lorsque je me trouvais à Arcachon et que le feu gagnait, l’unité de décompte n’était pas le nombre de morts mais le nombre d’hectares partis en fumée. Mais à l’image de la peste de Defoe, je voyais la mort avancer tous les jours. 

C’est la même chose dans la Bible, où l’histoire de l’exode trouve un fort écho chez moi : les Juifs ne veulent plus être esclaves, ils décident de partir, mais ils ne partent pas. Les pourparlers entre Moïse et Dieu sont incessants. Dieu lui dit qu’il va envoyer tel fléau et que Pharaon cédera. Sauf qu’économiquement et politiquement, un temps incroyable est nécessaire avant de pouvoir passer à l’acte. Mais qu’attendent-ils ? On pourrait commenter à l’infini. Pour moi, cet épisode de la Bible est riche d’enseignement et résonne avec notre époque. Nous tous, maintenant, qu’attendons-nous ? Nous savons pertinemment que l’incendie est là et que les gouvernements agissent comme Pharaon, comme le peuple juif qui attend et diffère son départ : « Non, mais ce sera plus tard ! Mais plus tard, c’est déjà maintenant ! ».

Nous tous, maintenant, qu’attendons-nous ?

Hélène Cixous

En parlant d’Incendire, vous avez pu dire que ce livre « contenait tout ». 

Pendant le confinement, le temps s’est arrêté. Dès lors, comment et pourquoi écrire ? Après tout, on écrit toujours pour l’avenir. On n’écrit pas pour maintenant. S’il n’y a plus de futur, que faire ? Que devient l’écriture ? Le sentiment qui m’habite, c’est que quand j’écris en 2023, j’écris en et pour 2033, mais également en 1033. On écrit pour tous les siècles passés, mais aussi pour ceux qui vont venir. On est déjà dans un là-bas qu’on ne connaît pas.

Pendant le confinement, je me suis dit qu’il y avait peu de temps. Or  quand il n’y a plus de temps, on ne fait plus rien. On est dans un autre univers et l’une des premières choses que j’ai remarqué, c’est que je ne pouvais rien dire. Les gens autour de moi m’incitaient à écrire et à dire quelque chose. Et quand mon pays a brûlé, je me suis dit que quelque chose touchait le vital, c’est-à-dire l’écriture. Il me faut faire un effort absolument colossal pour me dire qu’il y a à vivre. Même si ce qu’on vit, c’est la mort.

Je reviens à pourquoi Incendire « contient tout ». Peut être tout d’abord parce que l’âge joue. Je n’ai plus beaucoup de temps devant moi : c’est quelque chose qui m’accompagne comme une sorte de fantôme quotidien. C’est objectif et c’est une question qu’il faut toujours se poser. Combien de temps a-t-on devant soi ? Quand on écrit, on a en général dix, vingt, trente, quarante ans devant soi. Mais moi, j’ai cinq ans maximum. Dès lors, que fait-on quand la vie dure cinq ans ? Ce sont des questions importantes, énormes.

Quand j’écris en 2023, j’écris en et pour 2033, mais également en 1033.

Hélène Cixous

Avec ce livre, je devais d’abord réussir à nommer quelque chose qui m’arrivait, que je n’avais jamais vécu mais qui dans le même temps avait eu lieu je ne sais combien de fois dans l’histoire de l’humanité sans que j’y assiste directement. Cette fois-là, cela m’arrivait. Tout d’un coup, voilà la destruction, la faim, l’incendie et la mort. Tout ce qu’on  éprouve, c’est quelque chose qu’on n’a jamais éprouvé, qu’on n’éprouvera jamais. Cela a battu le rappel d’expérience de mon archive à moi, de mes mémoires qui m’ont toujours accompagné, comme ce qui me détermine dans ma vision du monde, donc l’expérience du nazisme et de la destruction du peuple juif et l’expérience du colonialisme, ce qui se passait en Algérie, et comment on a réduit les peuples en esclavage. 

Tout cela est constamment avec moi. Cela me constitue. Observant ma vie comme si elle était une pièce jouée au théâtre de mon existence, j’ai trouvé que les mots venaient naturellement, m’aidant à comprendre. Chaque fois que je trouvais le mot juste, une révélation se produisait : tout se déroulait « exactement comme la peste ». Ces réflexions m’ont amené à contempler mes origines et mes racines, empreintes d’un héritage de destruction et de survie.

Quant à mes recherches généalogiques, elles sont principalement axées sur ma lignée allemande, en partie parce qu’elle est plus facilement accessible. Néanmoins, il existe une autre branche familiale, distincte et éloignée, mais tout aussi essentielle pour comprendre qui je suis. Est-il approprié de la qualifier d’algérienne ? Pas tout à fait. Le parcours commence en réalité en Espagne avec les Juifs d’Espagne, et par un hasard providentiel, je détiens des archives anciennes de cette partie de ma famille. Ces archives, qui sont de véritables joyaux historiques, révèlent qu’un de mes ancêtres est né à Gibraltar en 1820. Ce personnage, bien qu’anglais de naissance, a rejoint l’armée française en tant qu’interprète à l’âge de quinze ans, une singularité en soi. Cette période coïncide avec le début de la conquête de l’Algérie en 1830, un tournant qui s’inscrit dans une histoire s’étendant sur deux ou trois siècles.

Tout d’un coup, voilà la destruction, la faim, l’incendie et la mort.

Hélène Cixous

Tout commence là. 

Et après, je me suis souvent interrogée : « Qu’est-ce qu’un interprète de quinze ans, britannique, qui se retrouve à travailler pour l’armée française ? En 1835 ? » Cette réflexion m’emmenait à 1835, une époque où je vivais, pour ainsi dire, en France. À cette époque, j’avais un témoin exceptionnel, Victor Hugo, qui documentait ces années dans les moindres détails. Je savais donc précisément ce qui se passait en France en 1835. Je pensais à ce petit Jonas, débarqué en Algérie avec l’armée française, une armée de conquête. Qu’est-ce qu’il savait, lui, à quinze ans ? Je ne sais même pas quelle langue il parlait. Il était affilié au bureau arabe de l’armée française, probablement un organisme de communication et d’échange. Ce jeune homme, à seulement quinze ans, devait maîtriser plusieurs langues, se débrouiller. Savait-il qui était le roi de France à cette époque ? Je ne pouvais le deviner, et je pense que lui-même s’en moquait éperdument. Nous ne pouvons qu’émettre des hypothèses, mais j’ai en ma possession tous les documents très précis de cette période.

Tandis qu’en France se déroulait le long chemin vers la République, l’Algérie et l’Afrique du Nord étaient en pleine transformation. Ce processus marque le continent africain jusqu’à aujourd’hui.

Durant ce temps, je pouvais aussi me tourner vers l’Allemagne, suivant l’impact de la Révolution française et de Napoléon dans l’imaginaire germanophone. C’est incroyable de voir Napoléon observé par Hegel, suivi par le fantasme allemand à travers la littérature, la musique. Beethoven, par exemple, est omniprésent. Tout cela se déroulait alors que mon petit personnage, lui, naviguait entre les langues et les continents. C’est mon histoire. Et pendant ce temps, je me demandais quelles archives j’avais à ma disposition. 

D’un côté, il y avait l’Afrique, européanisée, et de l’autre, les archives allemandes. Je me concentrais sur ce que je connaissais — les archives de ma famille, un mélange entre l’Autriche et l’Allemagne, dominées par cette dernière. Et je me demandais qui avait laissé des traces. Il y en avait une qui était extraordinaire. Il s’agissait d’un autre Jonas : Horst Jonas. C’est un cousin de ma mère, le seul de la famille à avoir survécu à trois, quatre camps de concentration successifs, et à en être sorti vivant. La question juive s’imposait alors.

Je me suis demandé quelles archives étaient à ma disposition.

Hélène Cixous

C’est un résistant né en 1914, mort assez jeune en 1967. Il a aussi été membre du parti communiste allemand.

Tout à fait, c’était un communiste. Je me demandais pourquoi on ne parlait pas tellement de Horst Jonas dans la famille ? Qu’avait-il fait ? Et bien il n’avait pas été déporté en tant que juif, mais comme résistant. C’est une autre histoire. De plus, il adhérait complètement à l’idéologie communiste. Il était en RDA. Je me rappelle toujours du regard un peu gêné de ma mère qui me disait : « Oui, mais Horst, c’est Horst ».

Toutes ces lignes qui plongent dans le passé posent immanquablement la question du futur. Comment l’avez-vous envisagé ? 

Ce livre est une sorte de recueil complet — une démarche peu courante — qui rassemble deux ou trois siècles sous un tout petit volume. C’est donc très théâtral et cela conserve tous ces mystères. Peut-être que, dans le futur, il y aura des réponses, je n’en sais rien, un certain mystère demeure.

Surtout du côté, justement, des archives d’Afrique du Nord, qui sont bien plus courtes que celles d’Allemagne. Pour moi, c’est tout à fait passionnant. Mais je me dis aussi qu’il a fallu du temps. En effet, être l’archiviste de ces familles innombrables, c’est un rôle pour lequel je semble être née. Et je me demande pourquoi. Parce que c’est comme si j’étais perchée, là, en haut d’un arbre, observant ces mouvements de l’humanité. C’est un peu comme un cadeau que m’a offert le temps qui passe. Quand je suis arrivée à Osnabrück, j’étais déjà riche de connaissances : le traité de Westphalie, la fondation de la ville par Charlemagne 1500 ans plus tôt — toutes ces traces historiques qui sont là, immenses et vivantes. Ce que je ne savais pas, c’était la proximité avec Osnabrück de la forêt de Teutoburger Wald, à seulement dix kilomètres, où s’est déroulée la bataille d’Arminius en 9 ap. J-C, la Hermannsschlacht. Cet événement, fondateur pour l’Allemagne, a longtemps été recherché dans les régions de Hanovre et de Westphalie. On savait qu’il devait se trouver là, mais il est resté introuvable jusqu’à il y a deux ou trois ans.

À Osnabrück, ils ont immédiatement érigé deux musées extraordinaires. Le musée Nussbaum, qui raconte un autre univers, et le musée de la Hermannsschlacht, construit récemment, très beau d’ailleurs, où ils accumulent progressivement tout ce qu’ils ont trouvé sur le champ de bataille. Et ils en trouvent sans cesse. Ce sont des signes, des mondes qui émettent constamment des signes, des signes qui semblent raconter le passé, mais en même temps désignent précisément ce qui nous attend, comme la fin du monde, par exemple ! 

Lors d’une précédente conversation, vous m’aviez dit que les gens étaient fascinés par l’Apocalypse. Pour vous, face à l’abysse, la recette serait de lire ? 

C’est de lire et donc d’écrire. En tant qu’écrivain de notre époque, une époque révolutionnaire marquée par un changement complet des médiums, je me dis souvent que j’écris les dernières lettres au monde. J’écris encore des lettres, mais de moins en moins. Il y a des problèmes avec la Poste, des soucis de timbres. Toutes ces petites choses que j’observe me fascinent. Souvent, j’entends mes éditeurs dire que c’est fini, que les gens ne liront plus. Mais moi, je persiste à dire non. La littérature ne s’est jamais éteinte, tout comme la musique, même interdite, car c’est essentiel, c’est l’air que nous respirons. Les hommes en ont besoin, même s’ils essaient de le minimiser. Même aujourd’hui, alors qu’on nous menace avec l’IA, l’intelligence artificielle, je garde confiance. Je me dis que c’est structurel. On ne peut pas dire à un homme qu’il va vivre sans cœur, sans poumons.

Je me dis souvent que j’écris les dernières lettres au monde. J’écris encore des lettres, mais de moins en moins. Il y a des problèmes avec la Poste, des soucis de timbres.

Hélène Cixous

D’où vient le titre, Incendire  ? 

Incendire, c’est parce que cet incendie parle. Et comment exprimer l’incendie ? Comment décrire cette force qui nous dépasse totalement ? C’est un défi, et il faut le relever. La question qui se pose est : qu’emportons nous ? C’est ce que je me demandais lors de mes premiers incendies. Mon tout premier incendie, c’était ici, là où nous sommes. L’immeuble a pris feu en pleine nuit, les flammes se propageant rapidement. Les pompiers sont intervenus, montant jusqu’au septième étage, mais pas plus haut. Or je vis au dixième. Chez moi, j’avais des trésors : mes chats, mes manuscrits, de nombreux écrits précieux. Alors, je me suis interrogée : « Si les pompiers atteignent mon étage, que dois-je sauver en priorité ? » La pensée qui s’est imposée à moi était que, même si mes manuscrits, destinés à la Bibliothèque nationale, disparaissaient, je ne pourrais pas supporter la perte de mes chats. Mais comment choisir ? J’en ai deux. À chaque fois, cette question biblique ressurgit : qui sauver, qui sera sauvé ? On ne peut en choisir qu’un, et je n’ai jamais trouvé de réponse à cette question. Heureusement, l’incendie a été maîtrisé, mais cette interrogation m’a hantée. C’était pareil là bas, j’ai revécu cette question cruciale de l’incendie à une échelle titanesque : qui vas-tu sauver ?

On revient aux animaux de compagnie. Vous avez inventé le néologisme « animot ». D’où vous est-il venu ?

J’étais en train d’écrire un texte intitulé « Écrire aveugle ». Justement, je tentais d’explorer ce qu’est l’acte d’écrire. En français, quand on dit « écrire aveugle », cela peut se comprendre de deux manières : soit écrire en étant aveugle, soit écrire rend aveugle. Cette ambivalence, tu ne peux pas la trancher, c’est indécidable. En anglais, ça devient « writing blind », mais cela perd une partie du sens, et c’est là que réside la complexité de l’interprétation. J’essayais de décrire, de capturer ce geste étrange qu’est l’écriture, où on devient un aveugle qui voit, avançant à tâtons, presque comme un animal. Ce n’est pas une question de maîtrise, de rationalisation, ou de construction délibérée. C’est plutôt ce qui vient naturellement. Et cela m’arrive constamment, dans tous mes textes. Ils regorgent de néologismes.

Ce serait une jolie idée de faire un livre de tous les néologismes. 

Bien sûr, il y en a qui essaient, des chercheurs par exemple, et cela demande un travail colossal. Pour moi, si le mot n’est pas là, il finit par venir. Je ne vais pas me contraindre simplement parce qu’un mot n’existe pas encore. J’ai rapidement adopté l’usage de plusieurs langues. Ce n’est pas seulement parler plusieurs langues en français, mais un dialogue entre les langues. Souvent, je puise dans l’anglais, l’allemand, ou d’autres langues, parce que parfois le mot que je cherche n’existe pas dans une langue mais dans une autre. Et cela fonctionne ainsi. Au début, il y avait des lecteurs qui disaient : « Mais on ne comprend pas. Ça veut dire quoi ? » Puis, je me suis demandé pourquoi je devrais me limiter, ou limiter mon livre, à un lecteur qui ne veut pas s’aventurer au-delà de sa propre langue, qui est limitée, alors que nous sommes européens — mondiaux, même.  On peut jouer avec à l’infini, avec les langues. Les mots ont leur propre vie : ils apportent toutes sortes de choses, comme des chats, des chiens. Ils sont vivants, ces mots. Ils se cachent et réapparaissent, travaillant sans cesse.

À chaque fois, cette question biblique ressurgit : qui sauver, qui sera sauvé ?

Hélène Cixous

Dans un texte paru en 2019, « Max und Moritz, et Ma Mère », vous revenez sur les origines de la notion d’écriture féminine. 

Il s’agit d’expériences primitives, que j’ai couchées sur le papier. Je raconte ma rencontre avec Max und Moritz, qui sont des compagnons de toujours. C’est par eux que j’ai découvert Wilhelm Busch, un écrivain génial qui manque en France. 

Personne ne devrait ignorer Max und Moritz — même Freud en parle. Je les ai vraiment rencontrés à l’âge de sept ans, bien que je devais déjà les connaître. Mais c’est ma mère qui nous a présenté Max und Moritz, à mon frère et à moi. Nous avions ces personnages et elle a commencé à nous les lire, puis à nous les traduire. Et quelle traduction ! Je n’ai jamais vu une traduction aussi remarquable, faite spécialement pour nous, pendant que nous jouions. Ces histoires étaient des airs de mirlitons. Je peux écrire à la manière de Max und Moritz, et d’ailleurs, j’utilise beaucoup leur style dans ce texte. C’est une langue très « Max und Moritz ». J’ai vécu avec Max et Moritz : tous ces personnages sont réels, ils sont vivants…

C’était pendant la guerre que ma mère nous les lisait — ce motif de la mère qui lit à son enfant est présent dans toute la littérature. On se rend compte que c’est un thème récurrent, à commencer par la mère du narrateur dans À la recherche du temps perdu. Sans oublier Rousseau, initié à la littérature par sa mère, qui, à sa mort, lui a légué sa bibliothèque. On constate un lien profond entre la littérature et le maternel.

Lorsque l’on vous interroge sur l’écriture qui vous accompagne depuis toujours, vous répondez Montaigne. 

Montaigne est une présence constante dans ma vie, je ne fais rien sans lui : il est comme une sorte de grand-oncle. Il occupe une place très spéciale, incarnant ce que je considère comme le plus noble et le plus merveilleux en France. Du reste, je trouve extraordinaire que Shakespeare ait lu Montaigne. 

Mais, ces derniers temps, je me rends compte que la figure avec laquelle j’entretiens un lien permanent, aussi durable que celui avec Montaigne, c’est Kafka. À chaque fois que je rencontre un problème, je sens la présence des deux, quand bien même ils ne relèveraient pas du tout des mêmes univers.

Montaigne est une présence constante dans ma vie, je ne fais rien sans lui.

Hélène Cixous

Et Kafka, sur quel territoire se trouve-t-il ?

Je pense que c’est la perfection même. 

Montaigne est un raffiné, c’est un aristocrate et son écriture est aristocratique, elle est tellement belle, elle est tellement riche, elle est tellement… Et puis il est tellement noble, noble moralement, c’est incroyable à quel point… Il est contre la peine de mort, contre le racisme. C’est inouï, sa modernité, alors je me dis qu’on est béni avec un ancêtre comme Montaigne. 

Mais avec Kafka, je ressens une compréhension totale. Je pense que le judaïsme de Kafka, qui n’était pas valorisé initialement, a été grandement minimisé dans les premières éditions de ses œuvres ici. On n’en a peut-être pas toujours conscience, mais Kafka a été présenté et traduit avec une réduction incroyable de tout ce qui était essentiel à son identité. Ce n’est que récemment, avec l’apparition de nouvelles traductions et la nouvelle édition de Kafka en Allemagne, que quelque chose d’immense a émergé : la présence constante et complexe de son héritage juif. Je pense que l’aventure de Kafka se situe aussi, ou a pu se situer, dans cette exploration non destinée à la publication, mais qui était la sienne, dans sa recherche au sein des mondes contradictoires où il a forgé son être.

Mais il voulait que tous ses travaux de recherche soient détruits. Il ne voulait pas que cela lui survive.

Je pense que la marginalisation de ce gigantesque fleuve souterrain que Kafka traverse et analyse, un fleuve sans limites ni interdits, a été l’œuvre de Max Brod. Et je crois qu’il l’a fait par amitié, en se disant : « Si je révèle toute la dimension juive de Kafka, il ne sera pas bien accueilli ». Cette décision de Max Brod, pensant protéger l’œuvre et l’héritage de Kafka, a en quelque sorte occulté une part essentielle de son identité et de son écriture.

Un des éléments que j’affectionne particulièrement chez Kafka, et qui le distingue de Montaigne — car, dans sa prodigieuse richesse, Montaigne demeure ancré dans la raison — c’est cette présence constante de la fable. Pour Kafka, la fable n’est pas une simple narration ; elle est une expérience vécue. Prenons l’exemple du texte sur l’Unmacht — un terme allemand que je trouve fascinant. En français, cela équivaut à une syncope, qui évoque « une défaillance, un évanouissement ». Quand Kafka évoque la visite de l’Unmacht, il le vit authentiquement. De la même manière, je perçois des événements qui ne se manifestent pour moi qu’à travers des figures, des allégories.

Pour Kafka, la fable n’est pas une simple narration ; elle est une expérience vécue.

Hélène Cixous

Considérons cela : est-ce une impuissance, une paralysie ? Ces concepts prennent une dimension fabuleuse chez Kafka. Son écriture est constamment imprégnée de ce caractère. Dans un de ses textes, il décrit la visite de Madame Unmacht. Pour Kafka, c’est un concept colossal car l’Unmacht lui rend visite jour et nuit. Elle apparaît, haletante et plaintive : « Que c’est haut chez vous ! J’ai mal partout, mais ça suffit. Oh là là ! » Elle se présente avec sa longue robe et son chapeau orné de longues plumes. S’effondrant sur un fauteuil, elle est désagréable et se plaint continuellement. Elle demande à Kafka : « C’est haut chez vous, n’est-ce pas ? ». Il engage avec elle une longue conversation, une connaissance de longue date qu’il n’avait pas revue depuis longtemps. Je l’appelle « Madame » car elle se présente ainsi. À la lecture, on s’imagine : « Ah oui, c’est une dame, une vieille un peu excentrique ».

Cela renvoie aussi à l’époque de Montaigne, dont l’objectif était de philosopher. Montaigne se positionne en transformateur, capable d’interroger, de décrire, de recueillir toutes les anecdotes et incidents de ses voyages. Il observe minutieusement les détails de la vie quotidienne et les soumet à une analyse profonde. Il les pèse, dans le sens où l’on pèse un jugement. C’est un sage qui cherche à démêler les contradictions et les périls de la nature humaine. Kafka, en revanche, est un artiste, alors que Montaigne ne se voit pas comme un artiste, mais plutôt comme un philosophe.

Avez-vous déjà entendu parler d’Alice Hertz ? C’était une femme exceptionnelle, décédée à 107 ans. Je l’ai rencontrée quand elle en avait 103, dans le cadre de mon projet d’archive d’interviews de centenaires, intitulé « Le Témoin d’un Siècle ». Parmi les personnes interviewées, il y avait Annie Mayer et Hans-Georg Gadamer. Finalement, beaucoup de mes amis m’ont conseillé de rencontrer Alice Hertz.

Elle jouait du piano, non ?

Exactement, dans un camp de concentration. Alice est née dans une famille très littéraire à Prague, proche de Kafka. Elle m’a raconté que Kafka venait chez eux chaque semaine. Quand elle était petite fille, Kafka lui lisait des histoires avant qu’elle s’endorme. Plus tard, devenue une pianiste prodige, sa famille, n’ayant pu fuir, a été déportée dans un camp de concentration. Alice a survécu en partie grâce au piano, car ils avaient besoin d’elle pour jouer. Elle avait une photo de son fils, récemment décédé à 80 ans, dans son appartement. Elle m’a donné le livre écrit par son fils, qui était très émouvant. Il racontait comment elle a réussi à le protéger pendant cette période, en lui offrant une enfance inimaginable dans un tel contexte. Dans l’entretien, elle parlait de toute sa vie — elle a continué à nager jusqu’à 104 ans. C’est la seule personne que j’ai jamais rencontrée qui ait connu Kafka.

C’est en effet incroyable, il n’y a plus personne aujourd’hui qui a connu Kafka. Quand j’étais petite, j’étais fascinée par Kafka, je le percevais presque comme un membre de ma famille. J’ai toujours cru qu’il était de petite taille, mais j’ai été surprise d’apprendre plus tard qu’il était en réalité très grand, mesurant au moins 1 mètre 85.

Vous m’aviez confié que les plus belles choses ne peuvent pas être écrites. Il faudrait pouvoir écrire avec les yeux, avec les larmes. Ces projets non réalisés, c’est peut-être aussi cela. À Londres, vous aviez évoqué dans une précédente conversation un projet inabouti : créer quelque chose de plus digne pour les cimetières, en réaction à leur architecture souvent horrible. Cela me semble très actuel. Y a-t-il d’autres projets inaboutis, des nouveautés ?

Il y en a sûrement beaucoup, mais je ne les connais pas tous. Quand je vous dis qu’il me reste cinq ans, je le pense vraiment. Mais cinq ans, cela peut être très peu ou beaucoup. Je le dis en me résignant au sort, au destin humain. C’est une question d’âge. Et puis, autour de moi, mes amis approchant ou ayant 90 ans, je constate qu’aucun créateur n’est plus créatif à partir d’un certain âge. Je calcule, en me disant « attention », et je me rappelle ma mère qui aimait tant les dictons : « Qui veut voyager loin, ménage sa monture ».

J’ai été surprise d’apprendre que Kafka mesurait 1 mètre 85.

Hélène Cixous

Je ne sais pas exactement quels sont ces projets, car il y en a constamment, et j’écris toujours quelque chose auquel je n’avais pas pensé. Il y a des projets auxquels j’ai pensé toute ma vie, et maintenant, je commence à me dire que certains ne verront jamais le jour. Ils étaient peut-être destinés à rester non réalisés.

Pourriez-vous me parler de l’un d’entre eux ?

Non.

C’est secret ?

Vous savez, à plus de 80 ans, tout devient imprévu. Avec ma mère, qui a vécu jusqu’à 103 ans, chaque jour était une surprise. Pour moi, c’est la même chose. Je suspecte que ce que je me racontais ne se réalisera jamais, et c’est peut-être mieux ainsi.

À la manière de Rilke, quel conseil, en 2024, donneriez-vous à de jeunes poètes, à des jeunes écrivains, et à des jeunes artistes ? 

Cela ne m’est jamais venu à l’esprit : je ne suis pas conseillère.

Votre mère vous a dit de toujours penser au dieu du kaïros

Oui, mais cela, c’est ma mère. Je ne peux pas imaginer avoir un rôle de conseiller, cela ne peut être universel. Ce n’est pas que je ne peux pas, mais pour moi, ce n’est pas juste. Et puis, savez-vous, avec les jeunes poètes, par exemple, il y a quelque chose que je n’aime pas et qui me fait bien rire — c’est juste un aparté — : on parle d’une époque où le mot « poète » avait un sens. Je mentionne cela parce qu’on m’a récemment demandé d’intervenir sur Cocteau. Et j’ai répondu : pourquoi Cocteau ? Je ne le connais pas bien, je ne peux pas vraiment en parler. Pour le travail, j’ai quand même regardé Orphée. Le film a des qualités, certes, mais aussi des défauts gigantesques. Et je me disais tout le temps que cela m’amusait, car pour Cocteau, il y avait une profession, une position qui était celle de « poète ». Et c’est presque comique, c’est comme dire « informaticien » ou quelque chose du genre… Mais lui y croyait, et les autres aussi. Et même quand Rilke écrit à un jeune poète, il y croit aussi. Il croit vraiment qu’on peut donner des conseils à un jeune poète. En réalité, il se donne des conseils à lui-même — et c’est très bien.

Justement, à propos de la nouvelle génération, beaucoup se penchent à nouveau sur Le Rire de la Méduse. Il y a quelques années, quatre ou cinq ans, vous avez parlé du combat contre la phallocratie et de la construction de la féminité à travers cette œuvre. Je voulais vous demander votre avis sur la relecture actuelle du Rire de la Méduse, et sur cette idée que le genre n’est pas une limite mais une liberté, un concept souvent cité en lien avec votre travail. C’est un peu un voyage pour la nouvelle génération.

Ah oui, bien sûr, mais cela me semble évident. Il y a un moment où l’on peut exprimer ces évidences. Mais pour moi, cela implique par exemple de toujours franchir les frontières. Ce qui est magnifique, c’est ce va-et-vient, cette absence de fixation, de définition stricte. C’est ce que j’appelle une « nidentité », pas des identités, mais des « ni identités » ou des ni d’entités. C’est ce que je disais à mes contemporains. Mais si l’on remonte, chez Shakespeare, par exemple, on ne trouve que cela. Partout, il y a des personnages qui glissent d’une identité à l’autre, comme dans As You Like It, c’est incroyable. Le seul conseil, c’est « As You Like It », mais c’est un conseil dangereux car il s’adresse à la vie affective. Si on le dit à des bandits, on autorise aussi le vol, l’escroquerie, l’assassinat… 

Vous souscrivez à cette idée que l’identité est une prison. 

Oui complètement ! L’identité, c’est l’horreur ! C’est le « ni d’entités » qui est intéressant, car cela conserve quelque chose de l’identité. Et il y a même du « nid ». Vous pouvez avoir un nid avec plein d’identités et faire tout ce que vous voulez !

La grande littérature l’a toujours fait. Elle ne s’est jamais limitée. Pensez à la Renaissance avec Ronsard : tout est rose. Il n’y a pas que Rilke, il y a déjà Ronsard avant. On peut très bien être Rose ou tout ce que l’on veut. Ensuite, on a confiné toutes ces capacités de fluidité, de transfiguration permanente dans Ovide, où l’on passe son temps à changer d’espèce.

L’identité, c’est l’horreur ! C’est le « ni d’entités » qui est intéressant, car cela conserve quelque chose de l’identité. Et il y a même du « nid ».

Hélène Cixous

C’est une très belle conclusion ce « nid d’entités ».

Le Rire de la Méduse c’était cela. Cela touche aussi au récit, au mythe que l’on fabrique tout le temps et certains sont tenaces pour l’éternité. J’ai choisi la méduse, mais il y a d’autres personnages féminins négatifs — et ce sont des constructions. Qui a écrit ? Si on essaie de trouver des autrices aux origines de l’écriture, il n’y en a pas beaucoup.

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07.04.2024 à 15:44

Le génocide des Tutsi au Rwanda : une liste de lectures

Matheo Malik

Trente ans après, par où commencer pour aborder la question du génocide des Tutsi au Rwanda ? Comment articuler les faits et les archives au travail mémoriel ? Comment étudier la question de la justice et de la réparation post-génocide ? En ce jour de commémoration, nous vous proposons 33 pistes pour s’orienter.

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Texte intégral (11449 mots)

Ouvrages généraux et synthèses 

Florent Piton, Le génocide des Tutsi du Rwanda, La Découverte, 2018

Florent Piton, Le génocide des Tutsi du Rwanda, La Découverte, « Grands Repères Manuels », août 2018

« D’avril à juillet 1994, entre 800 000 et 1 million de Tutsi sont exterminés au Rwanda. Le dernier génocide du XXe siècle ne s’inscrit pourtant pas dans une histoire séculaire d’antagonisme ethnique. Il est le produit d’un racisme importé des sciences coloniales et réapproprié par une partie des acteurs politiques rwandais et de la population. Cet ouvrage analyse l’émergence et les évolutions de ce racisme, et la manière dont il conduisit au génocide et fut mis en actes par les pratiques de violence.

Il montre ainsi que l’extermination des Tutsi, quoique n’étant pas inéluctable, ne fut ni un accident ni une réaction spontanée. En évoquant aussi bien les tueries au plus près de leurs conditions d’exécution que le rôle des acteurs de l’État et de la communauté internationale, tout particulièrement l’ONU et la France, l’auteur inscrit cet événement au cœur de notre XXe siècle et des enjeux contemporains. L’analyse des questions mémorielles et judiciaires, et de la sortie du génocide, permet enfin de comprendre que ses conséquences se font ressentir aujourd’hui encore dans tous les aspects de la vie sociale. »

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Vincent Duclert (dir.), Le Genre humain, n° 62. Le Génocide des Tutsi au Rwanda (1959-2023). Devoir de recherche et droit à la vérité, Seuil, 2023

« Les responsabilités internationales, et françaises tout particulièrement, qui ont rendu possible ce génocide « prévisible », selon les mots du rapport Muse de 2021, ont été objectivées. Les recherches récentes montrent que l’entreprise criminelle aurait pu être stoppée, même au début de la phase paroxystique engagée quelques heures après l’attentat contre l’avion présidentiel le 6 avril 1994. Cet engrenage vers l’extermination planifiée des Tutsi a été dans le même temps – on le sait avec le rapport Duclert –, combattu par des agents de l’État de la République française, par des chercheurs, journalistes, citoyens. Leurs engagements sont ici appréhendés à travers des portraits, des analyses en profondeur et des documents d’époque.

Il importe de réfléchir au sens de l’événement incommensurable qu’est le génocide des Tutsi, de rechercher les traces insondables qu’il dépose dans les sociétés, de penser l’impératif de prévention pour éviter la répétition de l’histoire tragique, de s’interroger enfin sur les raisons de la faillite collective de n’avoir pu empêcher la catastrophe. Malgré les connaissances acquises sur le génocide des Arméniens et sur la Shoah, malgré les alertes nombreuses, la France et la communauté internationale ont laissé le processus génocidaire aller jusqu’à son terme au Rwanda.

Des chercheurs français, rwandais, d’Europe et d’Afrique, se sont réunis pour composer ce volume du Genre humain. Ils se reconnaissent dans le devoir de recherche exigeant une quête déterminée, implacable, de la vérité historique. Des sources nouvelles, des sujets renouvelés, des faits démontrés livrent un important savoir, qui paraît un an avant la trentième commémoration du génocide, fragment d’une histoire commune désormais possible. »

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Stéphane Audoin-Rouzeau, Annette Becker, Samuel Kuhn et Jean-Philippe Schreiber (dir.),  Le choc. Rwanda 1994 : le génocide des Tutsi, Gallimard, 2024

« Le Rwanda a sombré au printemps 1994 dans un drame historique majeur : un génocide décimant la plus grande partie de la population tutsi et dévastant le pays. C’est le choc qu’a provoqué cet événement que les auteurs et autrices du présent ouvrage, originaires du Rwanda, de Belgique, de France, entendent explorer : leur propre saisissement d’abord et la manière dont il a pu orienter leur travail d’investigation, d’écriture ou de création. Puis les racines culturelles, idéologiques, sociales et politiques de l’accomplissement du génocide.

Car ce crime de masse systématique, prémédité et planifié, est toujours le fruit d’un enchaînement complexe de causalités. Interroger le génocide des Tutsi, c’est tenter de comprendre les ressorts de notre regard sur les violences extrêmes, de notre morale, de nos lâchetés, de nos collusions. De comprendre aussi les contours de notre commune humanité. »

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Récits, témoignages, romans

Charles Habonimana, Moi, le dernier Tutsi, Plon, 2019

« Il a vu ce que des yeux ne devraient jamais voir. L’extermination des siens.

Son père et son oncle, assassinés devant lui. Sa mère, ses frères, ses sœurs, jetés vivants dans des fosses pleines d’excréments pour y mourir comme des bêtes. Ses grands-mères, ses tantes, abandonnées sans vie au hasard des fossés.

Il n’a que douze ans, mais il a vu ce que des yeux ne devraient jamais voir.

Charles Habonimana est un survivant.  En avril 1994, lorsque son pays, le Rwanda, bascule dans l’horreur et la folie criminelle, il est condamné. Comme tous les autres Tutsi de Mayunzwe, son village. Comme tous les autres Tutsi du pays.

Ses bourreaux vont en décider autrement et faire de lui le symbole du génocide en marche. Il sera « le dernier Tutsi », celui que l’on tuera lorsque tous les autres, ceux du village, auront été éliminés. Placé sous ce terrible statut de mort en sursis, il voit tomber les siens, les uns après les autres. Hommes, femmes, enfants, vieillards. Peu importe.

Son témoignage revient sur ce qui fut l’une des plus terribles tragédies du siècle passé, en l’inscrivant dans l’Histoire des génocides du XXème siècle. Il se veut aussi un chant d’espérance pour l’avenir de son pays. »

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Jean Hatzfeld, Récits des marais rwandais, Seuil, 2014

« En trois livres, Jean Hatzfeld a écrit un triptyque du génocide tutsi perpétré au Rwanda en 1994, et cet ensemble est proposé ici en un seul volume, afin de faire apparaître l’ampleur et l’articulation de cette œuvre d’écoute et d’interrogation.

Le premier tome (Dans le nu de la vie), paru en 2000, s’intéresse aux rescapés tutsis, le deuxième (Une saison de machettes, 2003) aux tueurs hutus, et le troisième (La stratégie des antilopes, 2007) raconte le vertigineux voisinage, aujourd’hui, des uns et des autres revenus sur leurs collines.

Récits des marais rwandais est issu de nombreux séjours, effectués au cours d’une dizaine d’années, dans une seule et même bourgade, Nyamata, et ses hameaux bordés de marais et de forêts, lieux des massacres. En tissant au fil des ans un lien patient, jamais rompu, avec vingt-six interlocutrices et interlocuteurs appartenant aux deux communautés, en multipliant non sans obstination ses interrogations avec eux, et en réalisant un travail d’écriture sur la langue et le souvenir à partir de ces récits, Jean Hatzfeld a constitué un univers génocidaire d’une dimension exceptionnelle, dont l’écho nous habite durablement. »

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Stéphane Audoin-Rouzeau, Une initiation. Rwanda (1994-2016), Seuil, 2017

« Après trois décennies d’un parcours de recherche entièrement consacré, dès l’origine, à la violence de guerre, un « objet » imprévu a coupé ma route. On aura compris qu’il s’agit du génocide perpétré contre les Tutsi rwandais entre avril et juillet 1994, au cours duquel huit cent mille victimes au moins ont été tuées, en trois mois.

Ce qui se joue ou peut se jouer chez un chercheur, dans l’instant tout d’abord, dans l’après-coup ensuite, constitue l’axe du livre qui va suivre. Car l’objet qui a croisé ma route ne s’est pas contenté de m’arrêter pour un moment : il a subverti, rétroactivement en quelque sorte, toute la gamme de mes intérêts antérieurs. »

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Jean-Pierre Chrétien, Combattre un génocide. Un historien face à l’extermination des Tutsi du Rwanda (1990-2024), Le Bord de l’eau, 2024

« Face au génocide des Tutsi (1994) et à sa préparation systématique avec la caution de la France (sans intention de s’associer à l’entreprise criminelle du régime allié contre les minorités tutsi et hutu d’opposition), Jean-Pierre Chrétien se dresse contre la catastrophe.

Il le fait par une production de connaissance, laquelle est transmise par des conférences, des articles dans la presse, des alertes dans la presse – autant d’écrits décisifs, mais épars et que ce livre décide de réunir.

La 30e commémoration du génocide des Tutsi doit relever et saluer, preuves en main, le courage d’un historien qui a été très attaqué pour son engagement alors que ses analyses étaient fondées et que son combat était juste. Ce livre est aussi une réhabilitation et une leçon pour les générations présentes et futures. »

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Guillaume Ancel, Rwanda, la fin du silence. Témoignage d’un officier français, Belles Lettres, 2022

« Au lourd secret qui entoure le véritable rôle de la France et de son armée lors du génocide des Tutsi au Rwanda, Guillaume Ancel oppose la vérité de ses carnets de terrain, témoignage des missions auxquelles il a participé durant l’opération Turquoise. La fin du silence est aussi le récit du combat mené par cet ancien officier pour faire savoir ce qui s’est réellement passé durant cet été 1994 et « rendre hommage, dignement, aux centaines de milliers de victimes rwandaises que nous n’avons pas su empêcher. »

Officier de la Force d’action rapide, détaché au sein d’une unité de la Légion étrangère, le capitaine Ancel mène avec ses hommes des opérations d’extraction de personnes menacées. Sous couvert d’une opération humanitaire destinée à mettre fin aux massacres, cet officier comprend vite que la France soutient le gouvernement génocidaire rwandais dont elle a formé l’armée. Il décrit les errements de l’armée française, ballotée au gré de décisions politiques dont les motivations sont toujours tenues secrètes, les archives officielles restant inaccessibles. Ce témoignage dévoile également certains épisodes méconnus de cette opération « humanitaire » durant laquelle l’armée française a tué. Parfois pour défendre, parfois pour des raisons moins avouables. »

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Scholastique Mukasonga, Inyenzi ou les Cafards, Gallimard, 2006

« Quiconque visite le Rwanda est saisi par la beauté de son paysage, mais il est aussi effaré par la violence de son histoire postcoloniale. Tout se passe comme si le bien et le mal irrémédiablement inséparables avaient scellé sous ses mille et une collines un pacte d’amitié. Il y a d’un côté les collines ; il y a, de l’autre, le million de crânes qui les jonchent. Mais ce qui prédomine, dans ce récit, c’est le remords des survivants, qui se traduit par les multiples cauchemars de l’auteur. D’où ce désir manifeste de donner aux disparus une digne sépulture de mots à la fois pour apaiser les vivants et sanctifier les morts.

Avec Inyenzi, Scholastique Mukasonga a écrit un récit autobiographique précieux, un document qui nous éclaire de l’intérieur sur le Rwanda postcolonial, un livre que je rangerais à côté du Suicide d’une république de Peter Gay : l’un et l’autre nous montrent à partir d’une succession de faits pourquoi le génocide était hélas, trois fois hélas, inévitable. » 

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Scholastique Mukasonga,  L’Iguifou. Nouvelles rwandaises, Gallimard, 2010

« L’Iguifou (« igifu » selon la graphie rwandaise), c’est le ventre insatiable, la faim, qui tenaille les déplacés tutsi de Nyamata en proie à la famine et conduit Colomba aux portes lumineuses de la mort… Mais à Nyamata, il y a aussi la peur qui accompagne les enfants jusque sur les bancs de l’école et qui, bien loin du Rwanda, s’attache encore aux pas de l’exilée comme une ombre maléfique… Kalisa, lui, conduit ses fantômes de vaches dans les prairies du souvenir et des regrets, là où autrefois les bergers poètes célébraient la gloire des généreux mammifères… 

Or, en ces temps de malheur, il n’y avait pas de plus grand malheur pour une jeune fille tutsi que d’être belle, c’est sa beauté qui vouera Helena à son tragique destin… Après le génocide, ne reste que la quête du deuil impossible, deuil désiré et refusé, car c’est auprès des morts qu’il faut puiser la force de survivre. L’écriture sereine de Scholastique Mukasonga, empreinte de poésie et d’humour, gravite inlassablement autour de l’indicible, l’astre noir du génocide. »

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Scholastique Mukasonga,  Notre-Dame du Nil, Gallimard, 2012

« Au Rwanda, un lycée de jeunes filles perché sur la crête Congo-Nil, à 2 500 mètres d’altitude, près des sources du grand fleuve égyptien. Les familles espèrent que dans ce havre religieusement baptisé Notre-Dame du Nil, isolé, d’accès difficile, loin des tentations de la capitale, leurs filles parviendront vierges au mariage négocié pour elles dans l’intérêt du lignage. Les transgressions menacent au cœur de cette puissante et belle nature où par ailleurs un rigoureux quota « ethnique » limite à 10 % le nombre des élèves tutsi.

Sur le même sommet montagneux, dans une plantation à demi abandonnée, un « vieux Blanc », peintre et anthropologue excentrique, assure que les Tutsi descendent des pharaons noirs de Méroé. Avec passion, il peint à fresque les lycéennes dont les traits rappellent ceux de la déesse Isis et d’insoumises reines Candace sculptées sur les stèles, au bord du Nil, il y a trois millénaires. Non sans risques pour sa jeune vie, et pour bien d’autres filles du lycée, la déesse est intronisée dans le temple qu’il a bâti pour elle.

Le huis clos où doivent vivre ces lycéennes bientôt encerclées par les nervis du pouvoir hutu, les amitiés, les désirs et les haines qui traversent ces vies en fleur, les luttes politiques, les complots, les incitations aux meurtres raciaux, les persécutions sournoises puis ouvertes, les rêves et les désillusions, les espoirs de survie, c’est, dans ce microcosme existentiel, un prélude exemplaire au génocide rwandais, fascinant de vérité, d’une écriture directe et sans faille. »

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Gaël Faye, Petit pays, Grasset, 2016

« En 1992, Gabriel, dix ans, vit au Burundi avec son père français, entrepreneur, sa mère rwandaise et sa petite sœur, Ana, dans un confortable quartier d’expatriés. Gabriel passe le plus clair de son temps avec ses copains, une joyeuse bande occupée à faire les quatre cents coups. Un quotidien paisible, une enfance douce qui vont se disloquer en même temps que ce « petit pays » d’Afrique brutalement malmené par l’Histoire. Gabriel   voit avec inquiétude ses parents se séparer, puis la guerre civile se profiler, suivie du drame rwandais. Le quartier est bouleversé. Par vagues successives, la violence l’envahit, l’imprègne, et tout bascule. Gabriel se croyait un enfant, il va se découvrir métis, Tutsi, Français…

Gaël Faye évoque les tourments et les interrogations d’un enfant pris dans une Histoire qui le fait grandir plus vite que prévu. Nourri d’un drame que l’auteur connaît bien, un premier roman d’une ampleur exceptionnelle, parcouru d’ombres et de lumière, de tragique et d’humour, de personnages qui tentent de survivre à la tragédie. »

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Lire notre entretien avec Gaël Faye dans la revue

Beata Umubyeyi Mairesse, Le convoi, Flammarion, 2024

« Le 18 juin 1994, quelques semaines avant la fin du génocide des Tutsi au Rwanda, Beata Umubyeyi Mairesse, alors adolescente, a eu la vie sauve grâce à un convoi humanitaire suisse. Treize ans après les faits, elle entre en contact avec l’équipe de la BBC qui a filmé et photographié ce convoi. Commence alors une enquête acharnée (entre le Rwanda, le Royaume-Uni, la Suisse, la France, l’Italie et l’Afrique du Sud) pour recomposer les événements auprès des témoins encore vivants : rescapés, humanitaires, journalistes.

Le génocide des Tutsi, comme d’autres faits historiques africains, a été principalement raconté au monde à travers des images et des interprétations occidentales, faisant parfois des victimes les figurants de leur propre histoire.

Nourri de réflexions sur l’acte de témoigner et la valeur des traces, entre recherche d’archives et écriture de soi, Le convoi est un livre sobre et bouleversant : il offre une contribution essentielle à la réappropriation et à la transmission de cette mémoire collective. »

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Robert Stockhammer, Ruanda. Über einen anderen Genozid schreiben, Suhrkamp, 2005

« Au Rwanda, au moins 800 000 personnes ont été assassinées en 1994. Dans cet essai, Robert Stockhammer se confronte à l’aporie selon laquelle les comparaisons entre le génocide rwandais et la Shoah sont aussi problématiques qu’inévitables. 

Il explore donc la pression comparative qui pèse sur l’écriture de cet « autre » génocide au Rwanda, examinant les ouvrages que les Africains et les Européens ont écrits depuis lors sur le sujet, dont de nombreux textes littéraires, mais aussi des témoignages de survivants et des reportages.

Au lieu de répéter le discours de « l’indicible », cette étude philologique décrit les conditions de la dicibilité. »

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Motivations et modalités des violences génocidaires

Sarah E. Brown, Gender and the Genocide in Rwanda. Women as Rescuers and Perpetrators, Routledge, 2018

« Ce livre examine la mobilisation, le rôle et la trajectoire des femmes secouristes et auteurs de crimes pendant le génocide de 1994 au Rwanda.

Si l’on a beaucoup écrit sur la victimisation des femmes pendant le génocide de 1994 au Rwanda, on a très peu parlé des femmes qui ont secouru des victimes ciblées ou perpétré des crimes contre l’humanité. Ce livre explore et analyse le rôle joué par les femmes qui ont exercé leur pouvoir en tant que sauveteuses et en tant qu’auteurs de crimes pendant le génocide au Rwanda. En tant que femmes, elles ont agi et pris des décisions dans le contexte d’un système patriarcal profondément enraciné qui limitait leurs choix.

Ce travail se penche sur les deux voies divergentes empruntées par les femmes au cours de cette période : sauver du génocide ou perpétrer le génocide. Il cherche à répondre à trois questions. Premièrement, comment certaines femmes rwandaises ont-elles été mobilisées pour participer au génocide, et par qui ? Ensuite, quelles ont été les actions spécifiques des femmes pendant cette période de violence et de bouleversements ? Enfin, quelles ont été les trajectoires des femmes sauveteuses et des femmes auteurs après le génocide ? En comparant et en opposant la façon dont les femmes sauveteuses et perpétratrices ont été mobilisées, les actions qu’elles ont entreprises et leurs trajectoires après le génocide, et en concluant par une discussion plus large sur l’impact à long terme de l’ignorance de ces femmes, ce livre développe une vision plus nuancée et holistique de l’action des femmes et du génocide au Rwanda. »

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Jean-Pierre Chrétien et Marcel Kabanda, Rwanda. Racisme et génocide. L’idéologie hamitique, Belin, 2013

« Le génocide des Tutsi du Rwanda en 1994 est emblématique de la catastrophe qui a frappé toute l’Afrique des Grands Lacs depuis une vingtaine d’années. Il n’a été le fruit ni d’une fureur conjoncturelle, ni d’une fatalité ethnographique ou biologique, mais il est le produit très moderne d’une option extrémiste, jouant du racisme comme arme de contrôle du pouvoir. En effet, cette mise en condition de tout un pays aurait été impossible sans l’inscription durable dans la culture de cette région d’Afrique d’une idéologie racialiste, discriminant, sous les étiquettes hutu et tutsi, des autochtones et des envahisseurs, le « vrai peuple » rwandais majoritaire et une « race de féodaux ».

Ce livre décrypte la construction de cette idéologie, trop méconnue, qui oppose les « vrais Africains » à des « faux nègres », ceux qu’on a appelés les Hamites depuis les années 1860 dans la littérature africaniste. Le schéma racial dit « hamitique » est né de la même matrice intellectuelle que celui opposant Aryens et Sémites, qui a embrasé l’Europe dans les années 1930-1940. »

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Jean-Pierre Chrétien (dir.), Rwanda. Les médias du génocide, Karthala, 2002

« Il manquait à la connaissance du génocide rwandais une étude de la propagande qui l’a rendu possible. Plus d’une année de travail aura été nécessaire aux auteurs pour retrouver et traduire des collections presque complètes des journaux extrémistes et des enregistrements de la Radio-télévision libre des Mille Collines. Cette étude démontre comment, entre 1990 et 1994, à côté d’une floraison de journaux rassemblant des démocrates hutu et tutsi, l’État rwandais a ouvertement encouragé un réseau de médias extrémistes faisant l’apologie de la haine et de l’intégrisme ethnique.

Les extraits les plus significatifs de cette propagande de la haine sont ici présentés et restitués dans leur contexte. Après la description des acteurs et de l’organisation des médias rwandais proches du régime au tournant des années 90, l’étude fait apparaître, textes et images à l’appui, leurs grandes orientations.

Cette enquête a été lancée par Reporters sans frontières avec les auteurs dès septembre 1994. Cette nouvelle édition 2002 est complétée par un index. Un ouvrage dirigé par Jean-Pierre Chrétien avec les contributions de Jean-François Dupaquier, Marcel Kabanda et Joseph Ngarambe. »

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Hélène Dumas, Le Génocide au village. Le massacre des Tutsi au Rwanda, Seuil, 2014

« Fruit d’une enquête d’une dizaine d’années dans une commune du Rwanda, cette histoire « à la loupe » reconstitue, à travers ses lieux, ses acteurs et ses rescapés, l’exécution à l’échelle locale du dernier génocide du XXe siècle, concentré sur quelques mois (avril-mi-juillet 1994), et révèle la très grande proximité géographique, sociale, familiale des bourreaux et de leurs victimes. Nourri des témoignages aux procès, ceux des survivants, des tueurs et des témoins, mais aussi de déambulations sur les lieux de l’extermination, le récit met en lumière les mécanismes de ces massacres de proximité et la créativité meurtrière des bourreaux qui ont assuré la redoutable efficacité du génocide des Tutsi. Il éclaire l’ampleur de la participation populaire, ainsi que le rôle des imaginaires de guerre défensive et d’animalisation des victimes qui ont animé les tueurs.

Ce texte est aussi l’histoire de la confrontation d’un chercheur à la violence inouïe d’une parole et de la commotion produite par les traces physiques de l’extermination. À ce titre, il invite à une réflexion sur les manières de faire l’histoire d’un événement dont tant de dimensions demeurent inédites au regard des autres configurations de violence extrême. »

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Lee Ann Fujii, Killing Neighbors ; Webs of Violence in Rwanda, Cornell University Press, 2009

« Lors des terribles événements survenus au Rwanda au milieu des années 1990, des dizaines de milliers de Hutus ont tué leurs amis Tutsis, leurs voisins et même des membres de leur famille. Cette violence effroyable a éclipsé un fait presque aussi remarquable : des centaines de milliers de Hutus n’ont tué personne. En revisitant les motivations et les contextes spécifiques du génocide rwandais, Lee Ann Fujii se concentre sur les actions individuelles plutôt que sur des catégories générales.

Elle montre que la haine et la peur ethniques n’expliquent pas de manière satisfaisante la mobilisation des Rwandais les uns contre les autres. Les entretiens approfondis qu’elle a menés dans les prisons rwandaises et dans deux communautés rurales constituent la base de sa thèse selon laquelle la participation massive au génocide n’était pas le seul résultat d’antagonismes ethniques. C’est plutôt le contexte social de l’action qui a été déterminant. Une forte dynamique de groupe a façonné la participation au génocide. Les individus se sont joints au génocide et ont continué à y participer au fil du temps parce que le fait de tuer en groupes conférait une identité à ceux qui agissaient de manière destructrice. Les auteurs du génocide ont créé de nouveaux groupes centrés sur la destruction des liens antérieurs en tuant les membres de leur famille. »

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Jean-Paul Kimonyo, Rwanda. Un génocide populaire, Karthala, 2008

« D’avril à juillet 1994, le Rwanda a connu un génocide qui a fait environ un million de victimes. La plupart des Tutsi qui vivaient à l’intérieur du pays ont été exterminés. Des milliers de Hutu, considérés comme des « complices » de ces derniers parce qu’ils n’adhéraient pas à l’idéologie raciste et au projet d’éradication mené par les extrémistes, y ont également péri.

Ce génocide, reconnu dès le lendemain de sa perpétration par la communauté internationale qui, auparavant, avait feint de n’y voir qu’une banale guerre « interethnique », a suscité une masse de publications, portant notamment sur la préparation politique et médiatique des tueries, sur le déroulement et la cruauté de celles-ci, sur le traitement judiciaire de ces crimes contre l’humanité, enfin sur les enjeux internationaux, en particulier sur le rôle de la France. Mais les raisons et les conditions de sa mise en œuvre sur le plan local restent peu étudiées.

L’étude de Jean-Paul Kimonyo vient combler cette lacune en portant l’attention sur la société rwandaise elle-même, dans laquelle a mûri la haine et a fonctionné le conditionnement, rendant possible ce massacre de masse, où des gens ont tué ou laissé tuer leurs voisins. L’auteur s’appuie sur deux exemples précis, les préfectures de Butare et de Kibuye, des régions où les Tutsi étaient nombreux et qui étaient éloignées du front de la guerre civile opposant l’armée officielle et les maquisards du FPR. Il observe plus précisément encore deux communes au sein de ces préfectures. Pour la première fois, nous avons une étude locale du génocide fondée sur de réelles enquêtes de terrain et sur des sources de première main trouvées sur place.

Cette enquête montre un génocide « populaire », où les petits cadres locaux jouent un rôle décisif, où les frustrations sociales face à l’État sont mobilisées contre le bouc émissaire tutsi, où même les aspirations démocratiques sont dévoyées en haine raciste selon la logique totalitaire dite du « Hutu-power ». Cette analyse n’exonère en rien les tireurs de ficelles, politiques ou militaires, mais elle montre la profondeur du mal qui rongeait la société rwandaise depuis des décennies. »

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Scott Straus, The Order of Genocide ; Race, Power, and War in Rwanda, Cornell University Press, 2006

« Le génocide des Tutsis rwandais est devenu la pierre de touche des débats sur les causes de la violence de masse et les responsabilités de la communauté internationale. Pourtant, un certain nombre de questions essentielles sur cette tragédie restent sans réponse : Comment la violence s’est-elle propagée d’une communauté à l’autre et a-t-elle si rapidement englouti la nation ? Pourquoi des individus ont-ils pris des décisions qui les ont amenés à prendre des machettes contre leurs voisins ? Et quelle était la logique qui a présidé à la campagne d’extermination ?

Selon Scott Straus, bon nombre des idées largement répandues sur les causes et le déroulement du génocide des Tutsis sont incomplètes. Elles se concentrent en grande partie sur les actions de l’élite dirigeante ou sur l’inaction de la communauté internationale. Beaucoup moins sur la manière dont les décisions de l’élite se sont transformées en violence exterminatrice généralisée. Les interprétations actuelles mettent l’accent sur trois causes principales du génocide : l’identité ethnique, l’idéologie et l’endoctrinement par les médias de masse (en particulier l’influence des radios haineuses). Les recherches de Scott Straus ne nient pas l’importance de l’ethnicité, mais il constate qu’elle a plutôt fonctionné comme un arrière-plan. Il insiste plutôt sur la peur et l’intimidation intra-ethnique comme principaux moteurs de la violence. »

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Violaine Baraduc, Tout les oblige à mourir. L’infanticide génocidaire au Rwanda en 1994, CNRS Éditions, 2024

« En 1994, le génocide perpétré contre les Tutsi du Rwanda n’épargne pas les relations les plus intimes. Dans certaines familles « mixtes », des grands-parents, des oncles, des tantes, des cousins, des maris, et même des pères ou des mères, s’en prennent à leurs proches. Ainsi de Béata Nyirankoko et Patricie Mukamana. Après plusieurs semaines de massacres sur tout le territoire, ces deux paysannes hutu se résignent à tuer les enfants qu’elles ont eus avec leur maris tutsi.

À partir d’entretiens, d’archives judiciaires et d’observations, cette enquête donne à entendre les voix des deux mères et celles de différents membres de leur famille, accusés ou rescapés. Interrogeant le rôle des femmes et des rapports de genre dans les tueries, elle dévoile certains rouages essentiels du retournement des liens affectifs et sociaux à l’œuvre durant un génocide commandité par l’État, mais massivement exécuté par la population. »

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Hélène Dumas, Sans ciel ni terre. Paroles orphelines du génocide des Tutsi (1994-2006), La Découverte, 2019

« Dans l’amas des archives de la principale institution chargée de l’histoire et de la mémoire du génocide au Rwanda, plusieurs liasses de fragiles petits cahiers d’écoliers renfermaient dans le silence de la poussière accumulée les récits d’une centaine d’enfants survivants.

Rédigés en 2006 à l’initiative d’une association rwandaise de rescapés, dans une perspective testimoniale et de catharsis psychologique, ces témoignages d’enfants devenus entre-temps des jeunes hommes et des jeunes femmes, racontent en trois scansions chronologiques souvent subverties ce que fut leur expérience du génocide, de la « vie d’avant » puis de la « vie d’après ». Leurs mots, le cruel réalisme des scènes décrites, la puissance des affects exprimés, livrent à l’historien une entrée incomparable dans les subjectivités survivantes et permettent, aussi, d’investir le discours et la gestuelle meurtrière de ceux qui éradiquèrent à jamais leur monde de l’enfance.

Le livre tente une écriture de l’histoire du génocide des Tutsi à hauteur d’enfant. Il donne à voir et à entendre l’expression singulière d’une expérience collective, au plus près des mots des enfants, au plus près du grain de la source. Tentative historiographique qui est aussi une mise à l’épreuve affective et morale pour l’historienne face à une source saturée de violence et de douleur. Loin des postulats abstraits sur « l’indicible », le livre propose une réflexion sur les conditions rendant audibles les récits terribles d’une telle expérience de déréliction au crépuscule de notre tragique XXe siècle. »

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Sandrine Ricci, Avant de tuer les femmes, vous devez les violer ! Rwanda, rapports de sexe et génocide ds Tutsi, Syllepse, 2019

« En 1994, le Rwanda devient tristement célèbre : un génocide d’une intensité inouïe fauche près d’un million de vies en cent jours. Le groupe minoritaire identifié comme Tutsi est la principale cible des massacres. Les femmes, quant à elles, connaissent un sort particulier. Violées et tuées, violées et réduites en esclavage sexuel par les soldats, les miliciens, les politiciens ou par de simples quidams. 

En adoptant une perspective féministe, l’auteure prend la mesure des soubassements culturels, sociaux et politiques sur lesquels repose la systématisation du viol en temps de guerre. Elle nous permet de comprendre comment ces hommes et ces femmes du Rwanda, minuscule territoire culturellement et linguistiquement homogène, ont pu en arriver à commettre des actes si monstrueux. 

Au Rwanda, l’endoctrinement des foules a encouragé la stigmatisation de l’« Autre », les médias de la haine propageant la représentation des femmes tutsi comme des êtres dotés d’un charme maléfique et d’une sexualité dévorante au service de leur « race ». L’ennemi « femme » apparaît toujours différent de l’ennemi-tout-court. »

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Les acteurs internationaux 

Linda Melvern, A People Betrayed ; The Role of the West in Rwanda’s Genocide, Zed, 2024 (4e édition)

« Après trente ans de recherches, notamment dans des archives gouvernementales récemment déclassifiées, cette nouvelle édition révisée et augmentée du classique de Linda Melvern révèle comment les décideurs politiques continuent de refuser de reconnaître leurs responsabilités en vertu du droit international.

Elle comprend de nombreux éléments nouveaux qui tiennent compte des informations révélées lors du procès de Félicien Kabuga, le financier présumé du génocide, qui s’est tenu en 2022. Ces nouveaux éléments alimentent non seulement une chronologie révisée et une section entièrement nouvelle sur la préparation du génocide.

Tout au long de l’ouvrage, Linda Melvern révèle avec une précision inégalée l’ampleur, la rapidité et l’intensité du génocide et dénonce les gouvernements et les individus occidentaux qui auraient pu empêcher ce qui se passait s’ils avaient choisi d’agir. Il en ressort un réquisitoire choquant sur la façon dont le Rwanda a été ignoré en 1994 et sur la façon dont l’Occident s’en souvient mal aujourd’hui. Un réquisitoire qui rend d’autant plus poignants les récits de Linda Melvern sur l’héroïsme méconnu des Occidentaux qui sont restés sur place pendant les violences, qu’il s’agisse des volontaires engagés dans le maintien de la paix ou des travailleurs des ONG. »

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Vincent Duclert, La France face au génocide des Tutsi. Le grand scandale de la Ve République, Tallandier, 2024

« Entre le 7 avril et le 4 juillet 1994, en moins de cent jours, plus d’un million de Tutsi, ainsi que des opposants politiques, sont exterminés à l’instigation du régime extrémiste hutu. La France est alors un soutien majeur du gouvernement rwandais. Malgré les alertes sur l’ampleur des persécutions et massacres de Tutsi, les autorités françaises interviennent tardivement, avec l’opération militaro-humanitaire Turquoise. Le rôle de la présidence de François Mitterrand est pointé du doigt mais sa reconnaissance se heurte à un déni indépassable durant près de trente ans. En 2021, les « responsabilités lourdes et accablantes » de la France dans le génocide des Tutsi sont établies par une commission de chercheurs présidée par Vincent Duclert.

Dans cet ouvrage, Vincent Duclert amplifie le constat et affirme qu’il s’agit du plus grand scandale de la Ve République. Il reprend la longue histoire des relations franco-rwandaises, revisite l’intégralité des archives et les complète de documents et témoignages inédits. Il démontre la profondeur des liens entre le sommet de l’État et le régime d’Habyarimana. Il décrit des systèmes de commandement militaire et politique parallèles, leurs dérives, les tensions avec les hommes de terrain. Il souligne enfin que tous les éléments étaient à la disposition de la présidence française pour que le génocide soit anticipé, compris et arrêté. Pourtant, l’impensable s’est déroulé sous nos yeux incrédules. »

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Le rôle des églises

Timothy Longman, Christianity and Genocide in Rwanda, Cambridge University Press, 2010

« Bien que le Rwanda soit l’un des pays les plus chrétiens d’Afrique, lors du génocide de 1994, les édifices religieux sont devenus les principaux lieux de massacre. Pour expliquer pourquoi tant de chrétiens ont participé à la violence, ce livre examine l’histoire de l’engagement chrétien au Rwanda et se tourne ensuite vers un riche corpus de recherches originales au niveau national et local pour soutenir que les églises du Rwanda se sont constamment alliées à l’État et ont joué un rôle dans sa politique ethnique. 

La comparaison de deux paroisses presbytériennes locales à Kibuye avant le génocide démontre que des forces progressistes cherchaient à démocratiser les églises. Tout comme les politiciens hutus ont utilisé le génocide des Tutsis pour asseoir leur pouvoir politique et écraser les réformes démocratiques, les chefs religieux ont soutenu le génocide pour assurer leur propre pouvoir. Le fait que le christianisme ait incité certains Rwandais à s’opposer au génocide montre que l’opposition des églises était possible et qu’elle aurait pu freiner la violence. »

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Philippe Denis, The Genocide against the Tutsi, and the Rwandan Churches. Between Grief and Denial, 2022

« Pourquoi certains secteurs des églises rwandaises ont-ils adopté une attitude ambiguë à l’égard du génocide contre les Tutsi qui a coûté la vie à près de 800 000 personnes en trois mois, entre avril et juillet 1994 ? Qu’est-ce qui a empêché les églises d’admettre qu’elles pouvaient avoir une certaine responsabilité ? Et comment expliquer les efforts déployés par d’autres secteurs de l’Église pour se souvenir et commémorer le génocide ?

S’appuyant sur des entretiens avec des survivants du génocide, des Rwandais en exil, des missionnaires et des représentants du gouvernement, ainsi que sur les archives de l’Église, ce livre est la première étude universitaire sur le christianisme et le génocide des Tutsi à explorer en profondeur ces questions controversées. Il révèle une plus grande diversité interne au sein des églises chrétiennes qu’on ne le pense souvent. Alors que des chrétiens, protestants comme catholiques, ont pris des risques pour abriter des Tutsi, d’autres ont adhéré sans esprit critique au point de vue du gouvernement intérimaire selon lequel les Tutsi étaient des ennemis du peuple et certains, même des prêtres et des pasteurs, ont prêté main forte aux tueurs. Les responsables ecclésiastiques se sont contentés de condamner la guerre mais n’ont jamais réellement dénoncé le génocide contre les Tutsi. En se concentrant sur la période du génocide en 1994 et les années suivantes (jusqu’en 2000), Philippe Denis examine en détail les réponses de deux églises, l’Église catholique, la plus grande et la plus complexe, et l’Église presbytérienne du Rwanda, qui a fait un aveu de culpabilité inconditionnel en décembre 1996. 

Une étude de cas est consacrée à la paroisse catholique La Crête Congo-Nil, dans l’ouest du Rwanda, dirigée à l’époque par le prêtre français Gabriel Maindron, un homme que les survivants accusent de ne pas s’être opposé publiquement au génocide et d’avoir entretenu des liens étroits avec les autorités et certains de ses auteurs. »

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Timothée Brunet-Lefèvre, Le père Seromba. Destructeur de l’Église de Nyange (Rwanda, 1994), Hoosh, 2021

« Le crime de génocide est imprescriptible, mais il n’est pas indélébile pour autant. Il est par excellence, dans les mots de Jean-Pierre Karegeye, le crime « qui ne porte pas toutes ses traces ».

Il ne suffit pas aujourd’hui de se rendre sur la scène de crime pour comprendre ce qui s’est produit dans la paroisse du père Seromba. 

Ce que l’on désigne comme Nyange est resté un souvenir : celui de la vie avant 1994 et celui de l’extermination. Ce livre fait le choix de restituer la parole des acteurs sociaux, d’écouter, au détour de leurs hésitations, dans leur désespoir et leur dignité, ces récits qui se sont fait entendre au cœur du Tribunal Pénal International pour le Rwanda. »

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Justice et mémoires

Timothy Longman, Memory and Justice in Post-Genocide Rwanda, Cambridge University Press, 2017

« Après des périodes de conflit et de tragédie, de nombreux pays mettent en œuvre des programmes et des politiques de justice transitionnelle, dont aucun n’est plus étendu que celui mis en oeuvre au Rwanda après le génocide. Replaçant les initiatives de justice transitionnelle du Rwanda dans leur contexte historique et politique, ce livre examine le projet entrepris par le gouvernement post-génocidaire pour façonner la mémoire collective de la population rwandaise, à la fois par des réformes politiques et judiciaires, mais aussi par des commémorations publiques et des monuments commémoratifs. 

S’appuyant sur plus de deux décennies de recherche sur le terrain au Rwanda, Timothy Longman explore la réponse du Rwanda à la fois au niveau gouvernemental et au niveau local. Il affirme qu’en dépit de bonnes intentions et d’innovations importantes, le contexte politique autoritaire du Rwanda a entravé la capacité de la justice transitionnelle à apporter les transformations sociales et politiques radicales que ses défenseurs espéraient. En outre, elle continue d’accentuer les inégalités politiques et économiques qui soulignent les divisions ethniques et constituent un obstacle important à la réconciliation. »

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Paul Christoph Bornkamm, Rwanda’s Gacaca Courts ; Between Retribution and Reparation, Oxford University Press

« Les tribunaux Gacaca du Rwanda constituent une réponse innovante au génocide de 1994. Intégrant à la fois des éléments de la résolution des conflits africains et des tribunaux pénaux de type occidental, les juridictions gacaca s’inscrivent dans la tendance récente à faire revivre les mécanismes traditionnels de base comme moyen de faire face à un passé violent. Conçus comme une approche holistique des poursuites et des sanctions, ainsi que de la guérison et de la réparation, ils reflètent également l’importance croissante de la participation des victimes dans la justice pénale internationale.

Cet ouvrage examine de manière critique les réalisations des tribunaux Gacaca en tant que mécanisme de justice pénale et outil de guérison, de réparation et de réconciliation des communautés brisées. Ayant poursuivi plus d’un million de personnes soupçonnées de crimes pendant le génocide de 1994, les tribunaux Gacaca ont été à la fois loués pour leur efficacité et condamnés pour leur manque de régularité. S’appuyant sur une analyse approfondie des procédures judiciaires, ce livre fournit une analyse détaillée de la législation Gacaca et de sa mise en œuvre pratique. Il examine les tribunaux Gacaca dans le cadre de la justice pénale transitionnelle et internationale. »

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Rafaëlle Maison, Pouvoir et génocide dans l’œuvre du Tribunal pénal international pour le Rwanda, Dalloz, 2017

« La majorité des analystes contemporains s’accordent pour présenter un récit historique du génocide, en analysant ses origines lointaines, le contexte du conflit, la radicalisation des forces politiques en opposition, puis le coup d’Etat, la prise de contrôle de l’appareil étatique et les massacres locaux, jusqu’à la défaite. Dans ce tableau, la question du soutien politique, diplomatique et matériel de la France qui aurait permis la mise en place de stratégies conduisant au génocide, jusqu’à l’opération Turquoise, a été récemment approfondie.

En quoi l’œuvre du Tribunal pénal international pour le Rwanda institué par le Conseil de sécurité approche-t-elle de cette description historique ? De quels moyens juridiques le Tribunal disposait-t-il pour saisir les principaux agents du génocide ? A quoi attribuer l’échec relatif, si l’on peut parler d’échec, de l’institution ? Cet essai ne prétend pas répondre définitivement à cette dernière question : il espère plutôt justifier qu’elle soit posée.

Cet ouvrage repose sur l’analyse de différentes sources : les travaux relatifs à l’histoire du génocide, afin de mesurer comment il fut judiciairement appréhendé ; les témoignages des acteurs des procès aussi utilisés, de même que les documents publics des Nations Unies. »

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Caroline Williamson Sinalo, Rwanda After Genocide ; Gender, Identity and Post-Traumatic Growth, Cambridge University Press, 2018

« Lors du génocide de 1994 au Rwanda, près d’un million de personnes ont été brutalement assassinées en l’espace de treize semaines seulement. 

Ce livre propose une étude approfondie de la reconstruction post-traumatique au travers des témoignages d’hommes et de femmes qui ont survécu, mettant en lumière les façons dont ils ont pu construire une nouvelle vie, souvent meilleure. Ce faisant, Caroline Williamson Sinalo préconise une nouvelle lecture du traumatisme : une lecture qui reconnaît non seulement les réponses négatives, mais aussi les réponses positives aux expériences traumatisantes. 

À travers une analyse des témoignages enregistrés en kinyarwanda par les archives du génocide au Rwanda, le livre offre une alternative aux paradigmes dominants sur le traumatisme, révélant que, malgré les innombrables récits d’horreur, de douleur et de perte au Rwanda, il existe également des récits de force, de rétablissement et de développement. »

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01.04.2024 à 13:00

19 livres à lire en avril 2024

Matheo Malik

Des commémorations de la Révolution des Œillets au paradigme de la croissance — en passant par l'invention de la Préhistoire ou les études animalières — notre sélection de nouvelles parutions en sciences sociales au mois d'avril est éclectique. Pourquoi ne pas profiter de l'arrivée du printemps pour flâner entre les rayonnages de vos libraires ?

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Texte intégral (6456 mots)

Lire — à l’échelle pertinente : chaque mois, le Grand Continent vous propose une sélection des dernières sorties en sociale en plusieurs langues. Pour ne rien rater, abonnez-vous

Bruno Maida, Sciuscià. Bambini e ragazzi di strada nell’Italia del dopoguerra (1943-1948), Einaudi

« Sciuscià est l’un des mots italiens les plus connus au monde. Rendu célèbre par le film éponyme de Vittorio De Sica, il en est venu à incarner la condition de l’enfance pauvre et abandonnée dans l’Italie de l’après-guerre. Depuis la libération de Naples en 1943 jusqu’à la fin de la décennie, les enfants et les gamins des rues sont le symbole du contraste entre l’enfance comme image positive de l’avenir et l’enfance « dangereuse » qui vit en marge de la société et est souvent contrainte de commettre des délits. De nombreuses initiatives d’aide sociale, religieuses et laïques, sont nées pour nourrir, vêtir et éduquer ces enfants des rues. Les « sciuscià » deviennent ainsi les protagonistes d’un projet de sauvetage de l’enfance et leurs histoires sont racontées au cinéma, dans la littérature, la photographie, les journaux intimes et les mémoires. 

Ce livre raconte l’histoire de ces enfants des rues appelés « sciuscià« . Pas seulement celle des cireurs de chaussures qui, au début de l’après-guerre, peuplaient les grandes villes italiennes, en particulier Rome et Naples, envahies par les soldats alliés. Car la « sciuscià » est une synecdoque : les cireurs de chaussures sont la partie visible d’une masse d’enfants et de jeunes orphelins, pauvres et réfugiés qui vivent et survivent dans les rues des villes italiennes de l’après-guerre ».

Parution le 2 avril

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Simona Cerutti, Thomas Glesener et Isabelle Grangaud (dir.), La Cité des choses. Une nouvelle histoire de la citoyenneté, Anacharsis

« À partir d’une pluralité d’enquêtes ancrées sur les deux rives de la Méditerranée, du XVIe siècle à nos jours, cet ouvrage entreprend de remettre en perspective l’histoire de la citoyenneté. Situant les « choses » au cœur de l’investigation – qu’il s’agisse d’une barque à Antibes, d’un coffre à Alger, d’un hôtel squatté à Turin, d’une mosquée à Tunis, de terres collectives à Naples, d’un mulet abandonné en Espagne –, il dévoile comment les prises en charge des biens distribuent les hiérarchies sociales et les statuts politiques. Ce livre révèle ainsi le pouvoir instituant des actions et des pratiques, par lesquelles les individus construisent leurs appartenances. Dès lors, La Cité des choses s’affranchit des seuls modèles politiques occidentaux pour mieux penser la citoyenneté comme un ensemble de droits forgés par des processus localisés échappant à tout déterminisme culturaliste : un enjeu d’une portée politique actuelle évidente. »

Parution le 19 avril

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Mimmo Franzinelli, Croce e il fascismo, Laterza

« Benedetto Croce n’a pas seulement été l’un des plus grands intellectuels italiens du XXe siècle, il a également joué un rôle fondamental pendant le Ventennio fasciste, en empêchant le régime d’obtenir une hégémonie culturelle absolue. Ce livre ne retrace pas seulement l’attitude de Croce face au fascisme – accueilli avec sympathie, puis combattu avec ténacité et inventivité – mais restitue le parcours du philosophe dans les vingt années les plus tourmentées du XXe siècle, reliant le savant libéral aux protagonistes de la culture italienne et européenne, de Thomas Mann à Stefan Zweig.

Grâce à une abondante documentation inédite, Mimmo Franzinelli illustre l’offensive des squadristes contre le philosophe dissident, son réseau de correspondants et le fichage policier de tous ceux qui le fréquentaient ou lui écrivaient. Le rôle de Croce apparaît dans la formation des jeunes qui, de Giorgio Amendola à Vittorio Foa, de Leone Ginzburg à Piero Gobetti, l’ont pris comme référence dans les moments décisifs de leur vie. Une attention particulière est accordée à la lutte de Croce contre le racisme : son opposition à la persécution des Juifs était bien connue, mais la continuité et la profondeur de son engagement en la matière apparaissent aujourd’hui. »

Parution le 19 avril

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David N. Livingstone, The Empire of Climate ; A History of an Idea, Princeton University Press

« Les scientifiques, les journalistes et les hommes politiques sont de plus en plus nombreux à nous dire que l’impact de l’homme sur le climat constitue la plus grande menace qui pèse sur notre planète et qu’il pourrait même entraîner l’extinction de notre espèce. Derrière ces inquiétudes, se cache une peur ancienne et profonde quant au pouvoir que le climat exerce sur nous. The Empire of Climate retrace l’histoire de cette idée et de son influence sur notre façon d’interpréter les événements mondiaux et de donner sens à la condition humaine.

De l’époque d’Hippocrate à la crise actuelle du réchauffement climatique, David Livingstone montre comment le climat a été impliqué de manière critique dans les politiques de contrôle impérial et les relations raciales, comment il a été utilisé pour expliquer le développement industriel, les performances du marché et l’effondrement de l’économie, et comment il a servi d’indicateur du caractère national. Il examine comment le climat a été mis en avant pour expliquer les guerres internationales et les conflits civils et comment il a été identifié comme un facteur critique dans les troubles corporels et les psychoses aiguës. The Empire of Climate retrace l’histoire enchevêtrée d’une idée qui hante notre imagination collective depuis des siècles, en jetant un éclairage critique sur l’idée que tout, de la richesse des nations à l’esprit humain lui-même, serait soumis à l’autorité impériale du climat. »

Parution le 16 avril

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Jérôme Baschet, Quand commence le capitalisme ? De la société féodale au monde de l’Économie, Crise et critique

« Objet d’intenses débats jusque dans les années 1970, la transition du féodalisme au capitalisme a paru sombrer dans l’oubli au cours des décennies suivantes. Néanmoins, depuis les années 2000, la question semble faire retour, selon des modalités en partie différentes et avec une insistance particulière sur le lien entre les origines du capitalisme et la domination coloniale imposée par l’Occident au reste du monde.

La question est si ample qu’on ne prétendra aucunement proposer un modèle historique et/ou théorique de la transition. Bien au contraire, on cherchera plutôt à prendre la mesure de tout ce qui nous en sépare. En effet, on ne voit guère que se déploient des efforts collectifs d’élaboration à la hauteur de l’enjeu, alors même qu’il s’agit de l’une des conditions de la compréhension du monde dans lequel nous vivons – et peut-être aussi de la saisie des possibles qui permettraient d’en sortir. En discutant les « modèles de la transition » et des auteurs et historiens du capitalisme aussi divers qu’Immanuel Wallerstein, Silvia Federici, Robert Brenner, Guy Bois, Henri Pirenne, Ellen Meiksins Wood, Jason Moore, Kenneth Pomeranz ou Alain Bihr, on constatera l’ampleur des divergences et des désaccords. Ainsi, il n’existe aucun consensus quant à la chronologie de la formation du capitalisme, quant à la nature des facteurs impliqués, il n’existe de plus aucun accord sur la définition même du capitalisme et, par conséquent, sur les traits distinctifs dont il s’agit de repérer l’émergence.

Sur les trois questions ainsi considérées – quand ? comment ? quoi ? –, ce qui suit n’a pas d’autre ambition que de tenter de clarifier les termes des débats à mener. Commencer à poser un peu moins mal les questions à affronter serait déjà un motif de satisfaction. »

Parution le 19 avril

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Guillaume Fondu, La naissance du marxisme. Allemagne, Russie, URSS, CNRS Éditions

« Comme la plupart des termes issus de noms propres, le « marxisme » a d’abord servi à stigmatiser les partisans des idées de Karl Marx, réduits à des adorateurs de sa personne. Le mot a aussi été beaucoup utilisé pour ouvrir la voie d’un retour possible à l’auteur du Capital contre le marxisme (défini alors comme un  » ensemble de contresens faits sur Marx « ). À la différence des multiples mobilisations qui cherchent à opposer la vitalité de la pensée individuelle de Marx à un propos nécessairement  » dogmatique « , cet ouvrage place au cœur de l’interrogation ce qui fait l’intérêt du marxisme en tant que tel : la poursuite et la concrétisation d’un discours inspiré de Marx dans des contextes tout à fait différents de celui qui a présidé à la genèse de son œuvre.

Trois moments constitutifs sont placés au centre de l’analyse : l’Allemagne du tournant des XIXe et XXe siècle, la Russie des premières années du XXe siècle et l’Union soviétique des années 1920. De Karl Kautsky à Isaak Roubine, en passant par Rosa Luxemburg, Gueorgui Plekhanov, Rudolf Hilferding, Lénine ou Alexander Bogdanov mais aussi divers romans russes qui mettent en scène les questionnements politiques, cette étude remobilise toute une littérature aujourd’hui ignorée. Reconstituant à chaque fois les contextes et les enjeux qui président aux différentes lectures de Marx, de sa pensée de l’histoire et de sa critique de l’économie politique, l’enquête prend pour fil conducteur la question de la performativité du discours, du lien entre réflexion et action, qui est un enjeu crucial pour toute science sociale. »

Parution le 25 avril

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Natalie Depraz, La Surprise. Crise dans la pensée, Le Seuil

« J’ai une surprise pour toi ! Le moment de stupéfaction passé, l’esprit se met en mouvement, rationalise. La surprise, cette inconnue des philosophes, cet instantané inassimilable, blanc d’antenne dans l’esprit, sursaut dans le corps, est rapatriée au pays des concepts, étonnement, admiration, événement, altérité, et des philosophes, Platon, Aristote, Descartes, Heidegger, Levinas. Au risque d’y disparaître ?

Que fait la surprise à la philosophie ? Il y a en elle de l’incongru. Prenant le sujet à revers, elle exerce une emprise, là où la philosophie veut interroger sereinement, à distance. La surprise est transformatrice. Elle suscite un autre récit, étranger à l’histoire des herméneutiques du sens. Tournée vers l’avenir, elle est créatrice d’attentes.

Cet ouvrage propose ainsi une histoire de la philosophie ni dialectique ni élitaire. Une histoire des ébauches du sens, des incertitudes du soi. La surprise ouvre le sujet, le déplace au-delà, dans son ouverture politique, théologique, écologique. Aussi, les transcendances collectives, loin d’être des excroissances subjectives, sont la matière de l’ouverture du soi. La surprise est promesse d’horizons impensés, pourtant déjà là. Rendre compte de cette promesse, c’est faire le récit d’un futur présent sous nos yeux, pour qui sait voir. »

Parution le 19 avril

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Stefanos Geroulanos, The Invention of Prehistory ; Empire, Violence, and our Obsession with Human Origins, Liveright

« L’idée d’un passé humain antérieur à l’histoire enregistrée par l’écriture n’est apparue qu’avec le siècle des Lumières, lorsque les penseurs européens ont commencé à rejeter les notions d’humanité et d’histoire fondées sur la foi au profit de conceptions prétendument plus empiriques du monde et de son histoire. De l’ « état de nature » et des notions romantiques de « barbares » allemands vertueux, Stefanos Geroulanos saisit la variété et l’étrangeté des idées sur le sujet qui ont animé bon nombre des principaux penseurs des XVIIIe et XIXe siècles, dont Jean-Jacques Rousseau, Charles Darwin et Karl Marx. Ces idées sont devenues, pour la plupart, les fondements idéologiques de régimes répressifs et d’empires s’étendant à toute la planète. Le fait de considérer les autres peuples comme des « sauvages » a permis d’exercer une violence déculpabilisée à leur encontre. L’émergence de la science moderne n’a fait qu’accélérer l’impérialisme de l’Occident. L’obsession nazie pour la race trouve son origine dans les théories archéologiques sur les Indo-germains préhistoriques. Pour Stefanos Geroulanos, les récits de la préhistoire nous renseignent ainsi davantage sur le moment où ils furent proposés que sur le passé. Cette étude sur la manièren dont la quête des origines de l’humanité est devenue la servante de la guerre et de l’empire bouleverse notre façon de penser le passé lointain de l’humanité. »

Parution le 2 avril

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Stefano Salmi, La « lezione di Salazar ». Le relazioni tra il fascismo italiano e l’Estado Novo portoghese, Marsilio

« Dans cette étude sur les relations italo-portugaises au siècle dernier, Stefano Salmi déploie une analyse comparative entre le fascisme italien et l’Estado Novo portugais en même temps qu’il étudie les relations qu’entretinrent les deux régimes. La comparaison est menée à bien au travers de différents points de vue : le point de vue historiographique, avec lequel s’ouvre l’ouvrage, le point de vue politico-idéologique, le point de vue culturel, le point de vue des relations politico-diplomatiques et, enfin, le point de vue de la propagande. »

Parution le 19 avril

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Benjamin Bürbaumer, Le capitalisme contre la mondialisation. Comprendre la rivalité sino-américaine, La Découverte

« Tensions géopolitiques, guerre commerciale, Nouvelles Routes de la soie, course à l’armement dans l’Indopacifique, bataille des semi-conducteurs… La montée en puissance de la Chine inquiète, et sa rivalité avec les États-Unis atteint un point de bascule qui bouleverse les équilibres mondiaux. Comment en est-on arrivé là ? Pourquoi ? Si le constat est clair, l’analyse fait cruellement défaut. Tels des somnambules, nous avançons sans vraiment comprendre la déstabilisation du monde qui se joue pourtant sous nos yeux.

Par l’analyse économico-politique, ce livre élucide les ressorts profonds et les enjeux existentiels de l’affrontement entre les deux superpuissances : c’est le capitalisme lui-même qui mine la mondialisation et entraîne la fragmentation actuelle. En devenant capitaliste, la Chine s’est vue contrainte de défier ce qui a permis son essor, à savoir une mondialisation pensée, organisée, contrôlée par et pour les États-Unis. Cette contradiction l’a amenée à tailler des croupières aux multinationales américaines via une réorganisation sino-centrée du marché mondial, en créant de nouvelles infrastructures technologiques, monétaires et physiques qui court-circuitent la supervision américaine. Cette démarche place Pékin sur les rails d’une confrontation directe avec les États-Unis qui va redessiner notre monde. »

Parution le 18 avril

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Robert Menasse, Die Welt von morgen. Ein souveränes demokratisches Europa – und seine Feinde, Suhrkamp

« Dans Le monde d’hier, Stefan Zweig décrivait l’Europe cosmopolite d’avant 1914. Lorsqu’il écrit ses mémoires, elle n’existe plus, « emportée sans laisser de trace » par la barbarie fasciste. Zweig meurt en 1942, mais l’Europe obtient une seconde chance après 1945. Des visionnaires lancent un projet de paix qui fera date, les frontières tombent, le nationalisme cède la place à la coopération.

Mais ce projet aussi pourrait bientôt être de l’histoire ancienne. Ses déficits démocratiques génèrent des protestations. Les crises multiples font peur aux peuples. Dans de nombreux États membres, des hommes politiques ne veulent plus entendre parler de l’expérience des fondateurs et attisent un nouveau nationalisme. Aujourd’hui, l’Europe est à nouveau à la croisée des chemins. À quoi ressemblera le monde de demain ?

Robert Menasse explique et défend l’idée européenne, mais invite également à critiquer et à surmonter les contradictions systémiques de l’Union européenne. L’alternative à laquelle nous sommes confrontés n’est pas compliquée : soit nous réussissons ce qui est historiquement unique, à savoir la construction d’une démocratie post-nationale, soit nous risquons de retomber dans les périls d’une Europe des États-nations. Ce serait une nouvelle défaite de la raison – avec les dangers et les conséquences que l’histoire ne devrait que trop nous rappeler. »

Parution le 15 avril

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Daniel Susskind, Growth ; A History and a Reckoning, Harvard University Press

« Au cours des deux derniers siècles, la croissance économique a libéré des milliards de personnes de la lutte pour la subsistance et nous a permis de vivre beaucoup plus longtemps et en meilleure santé. Pourtant, la prospérité a eu un prix : la destruction de l’environnement, la désolation des cultures locales, la montée de vastes inégalités et des technologies déstabilisantes. Face à ces dégâts, nombreux sont ceux qui affirment aujourd’hui que la seule façon d’avancer est d’en passer par la décroissance, c’est-à-dire de réduire délibérément notre empreinte économique. Daniel Susskind affirme au contraire que nous devons maintenir la croissance mais la réorienter, afin qu’elle reflète mieux ce à quoi nous tenons vraiment. »

Parution le 16 avril

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 Jean Vioulac, Métaphysique de l’Anthropocène, 2. Raison et destruction, PUF

« Le concept d’Anthropocène s’est imposé pour définir une époque géologique caractérisée par un processus de destruction d’origine humaine. La généalogie et l’archéologie de l’Anthropocène mettent au jour les caractéristiques fondamentales de la rationalité occidentale à savoir la négation de la nature et finalement de la vie, la haine du monde et le culte de la mort. Notre époque déchaîne sa puissance de destruction dans une guerre mondiale contre le monde en tant que tel. L’urgente nécessité de contrecarrer ce processus impose d’identifier quelle est l’infrastructure de sa mise en œuvre : le dispositif industriel du machinisme, dont le capital est la logique. »

Parution le 10 avril

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La trilogie de Jean Vioulac dans le Grand Continent

Simon Schaupp, Stoffwechselpolitik. Arbeit, Natur und die Zukunft des Planeten, Suhrkamp

« Si nous voulons comprendre la crise écologique, nous devons comprendre le monde du travail. Car c’est par le travail que, selon Karl Marx, les sociétés réalisent leur métabolisme avec la nature. Pour Simon Schaupp, la politique du travail est donc toujours aussi une politique environnementale – ou « politique métabolique ». La nature elle-même joue un rôle actif : plus son exploitation est poussée, plus elle se répercute de manière drastique sur le monde du travail.

Le sociologue montre à quel point cette perspective est productive à l’aide de nombreux exemples historiques : Sans les moustiques, on ne peut comprendre ni l’essor ni le déclin de l’économie de plantation. La mise en place des syndicats a été rendue possible, entre autres, par les nouveaux leviers de pouvoir que les caractéristiques matérielles de la houille ont mis entre les mains des travailleurs. De même, la chaîne de montage a été introduite en grande partie parce que les cadavres d’animaux en décomposition s’accumulaient dans les premières usines d’abattage suite à des grèves. Pour Simon Schaupp, espérer ralentir le réchauffement de la planète implique une transformation du monde du travail : nous devons dépasser la logique de l’exploitation expansive et prendre au sérieux l’autonomie de la nature. »

Paru le 18 mars

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José Luis Rodríguez Jiménez, Bajo el manto del Caudillo. Nazis, fascistas y colaboracionistas en la España franquista, Alianza

« Après la Seconde Guerre mondiale, de nombreux fascistes, nazis et collaborationnistes ont fui les persécutions dans leur pays d’origine et ont trouvé refuge dans l’Espagne franquiste. Des hommes politiques, des religieux et des militaires espagnols ont proposé de les cacher temporairement ou définitivement et leur ont donné une nouvelle identité. Certains d’entre eux sont restés discrets jusqu’à la fin de leur vie, mais d’autres sont devenus les porte-voix de diverses causes fascistes et d’extrême droite : Léon Degrelle – le personnage principal de cet essai – Otto Skorzeny et Vjekoslav Luburic ont fait l’apologie du fascisme ; le général Raoul Salan et d’autres dirigeants de l’OAS ont tenté de renverser De Gaulle et d’empêcher l’indépendance de l’Algérie ; Perón a profité de son refuge espagnol pour tenter d’organiser son retour au pouvoir. D’autres encore ont été intégrés dans la structure franquiste, comme Walter Mosig et Karl Bömelburg, qui sont passés de postes de responsabilité au sein de la Gestapo à ceux de conseillers de la police politique franquiste. Dans Bajo el manto del Caudillo, José Luis Rodríguez Jiménez retrace les engagements politiques et les amitiés qui ont fait de l’Espagne le dernier bastion de la nuit noire de l’Europe. »

Paru le 28 mars

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Sten Rynning, NATO. From Cold War to Ukraine, a History of the World’s Most Powerful Alliance, Yale University Press

« Sten Rynning retrace l’histoire de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord, de ses origines à nos jours. Au cours de ses soixante-quinze années d’existence, l’OTAN a traversé les péripéties de la diplomatie de la Guerre froide et de la dissuasion nucléaire, et a vu le nombre de ses membres augmenter. L’alliance est devenue un garant de la paix, mais Sten Rynning explore la manière dont ses rouages complexes et l’opposition de la Russie et de la Chine façonnent aujourd’hui son orientation. À l’heure de la concurrence stratégique et des bouleversements géopolitiques, il offre une synthèse complète de l’histoire intrigante de l’alliance et s’interroge sur ses ambitions pour l’avenir ».

Parution le 9 avril

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Gianna Englert, Democracy Tamed ; French Liberalism and the Politics of Suffrage, Oxford University Press

« Un bon gouvernement démocratique exige-t-il des citoyens intelligents, moraux et productifs ? Nos institutions politiques peuvent-elles former le type de citoyens que nous souhaitons ou devons avoir ? Face aux critiques de la démocratie et aux craintes liées à la montée du populisme, le scepticisme grandit quant à la possibilité pour le libéralisme et la démocratie de continuer à vivre ensemble. Certains se demandent même si la démocratie mérite d’être sauvée.

Dans Democracy Tamed, Gianna Englert affirme que les dilemmes auxquels est confrontée la démocratie libérale ne sont pas propres à notre époque, mais qu’ils existent depuis la naissance de la pensée politique libérale dans la France du XIXe siècle. Combinant théorie politique et histoire intellectuelle, elle montre comment les libéraux français du XIXe siècle ont défendu l’idée de « capacité politique » comme alternative aux droits politiques démocratiques et ont soutenu que les droits de vote devaient être limités aux citoyens capables de préserver des institutions libres et stables contre les passions révolutionnaires et les revendications démocratiques. »

Parution le 27 avril

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Tereixa Constenla, Abril es un país. Los heroísmos desconocidos de la Revolución de los Claveles, Tusquets

« La révolution portugaise du 25 avril 1974 a mis fin pacifiquement à une longue dictature, un régime inefficace ancré dans la répression et les vieilles illusions impériales, grâce à l’action de trois cents capitaines idéalistes, qui cherchaient à démocratiser le Portugal et à mettre fin à ses guerres coloniales en Afrique. Les œillets dans la bouche des fusils ou la chanson Grândola, Vila morena, diffusée comme mot de passe pour initier le coup d’État, n’ont pas tardé à faire le tour du monde. Pourtant, nombreux sont ceux qui ignorent que cette matinée d’avril a été riche en moments épiques qui ont contribué à consolider le coup d’État en faveur des libertés. Ce livre ressuscite des histoires comme celle du jeune capitaine Salgueiro Maia, qui marcha les bras levés et une grenade dans la poche, prêt au sacrifice, vers une batterie de chars qui le visait, ou celle du soldat qui refusa d’obéir à l’ordre de l’abattre et qui resta anonyme pendant quarante ans. C’est sur des épisodes de ce genre que la démocratie portugaise a été fondée il y a cinquante ans ».

Parution le 3 avril

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Pierre Serna, Malik Mellah, Véronique Le Ru et Benedetta Piazzesi (dir.), Dictionnaire historique et critique des animaux, Champ Vallon

« Il n’existe pas de dictionnaire faisant la somme des connaissances sur les champs des études animalières en pleine expansion dans les domaines des savoirs des sciences humaines ou dures.  Résultat de quatre ans de séminaire à la Maison des Sciences de l’Homme, ce dictionnaire réunit quatre-vingts historiens et historiennes, historiens et historiennes de l’art, philosophes, anthropologues, juristes, vétérinaires, scientifiques qui font  le point en 120 notices sur une dimension désormais vitale de notre survie dans l’anthropocène : de quels savoirs disposons-nous sur le monde animal pour envisager un futur avec lui, avec tous les animaux pour former, dans la multitude des approches du savoir une communauté de vivants ensemble. Ce dictionnaire de façon non exhaustive mais de manière ciblée, propose une somme de savoirs à ce jour non réalisée, et permet, par un jeu de renvois dans les notices et de construction d’arborescences, de se transporter dans l’ouvrage selon un chemin intellectuel qui propose un parcours assumé, éclairé et citoyen dans la masse des savoirs présentés sur et avec les animaux ».

Parution le 19 avril

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04.03.2024 à 12:26

21 livres à lire en mars 2024

mariesalloum

Du génocide des Tutsis au corporatisme brésilien, en passant par les élites de la politique étrangère américaine et les archives du Vatican : notre sélection des parutions de mars 2024 en sciences sociales voyage entre les thèmes, les disciplines et les continents.

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Texte intégral (7475 mots)

Martin Thomas, The End of Empires and a World Remade ; A Global History of Decolonization, Princeton University Press

« Jusqu’à récemment, les empires étaient omniprésents. Ils façonnaient les frontières, attisaient les conflits et définissaient les conditions de la politique internationale. L’effondrement des empires a entraîné une réorganisation fondamentale de notre monde. La décolonisation s’est déployée à travers les territoires aussi bien qu’à l’intérieur de ceux-ci. Ses luttes se sont internationalisées et sont devenues transnationales. C’est pourquoi Martin Thomas raconte l’histoire du lien intrinsèque de la décolonisation avec la mondialisation. Il retrace les liens entre ces deux processus de transformation : la fin des empires formels et l’accélération de l’intégration mondiale, la réorganisation des marchés, les échanges culturels et les migrations.

The End of Empires and a World Remade montre à quel point la décolonisation a façonné le processus de mondialisation dans le sillage de l’effondrement des empires. Dans la seconde moitié du XXe siècle, la décolonisation a catalysé de nouvelles coalitions internationales ; elle a déclenché des partitions et des guerres ; et elle a remodelé la dynamique Nord-Sud. La mondialisation a promis aux décolonisés un meilleur accès aux ressources essentielles, à des réseaux d’influence plus larges et à des publics mondiaux, mais sa variante néolibérale a renforcé les inégalités économiques et les formes impériales d’influences politiques et culturelles. En passant en revue ces deux histoires interdépendantes à travers le monde, de l’Amérique latine à l’Asie, Martin Thomas explique pourquoi les nations nouvellement indépendantes ont été si lourdement pénalisées. »

Parution le 19 mars

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Ghassan Salamé, La tentation de Mars. Guerre et paix au XXIe siècle, Fayard

« Nous sommes entrés dans l’âge de la dérégulation de la force. À la fin de la guerre froide, les raisons de croire à l’effacement de Mars, sinon au triomphe de Vénus, s’accumulaient pourtant : la dissuasion nucléaire n’avait-elle pas apaisé les ardeurs des bellicistes  ? Les idéologies ne s’étaient-elles pas effondrées  ? Le « doux commerce » international ne devait-il pas garantir la paix  ?

Après leur floraison simultanée, les fondements d’une telle promesse se sont toutefois érodés les uns après les autres : la vague de démocratisation a atteint un plateau, la mondialisation a décéléré, la révolution technologique a brimé la liberté après l’avoir servie, la culture a été sollicitée pour fracturer plutôt que pour rapprocher, la question nucléaire a été rouverte et le multilatéralisme n’a cessé de s’étioler. Une occasion sans doute historique pour bâtir un système global équilibré et pacifié a été manquée. À présent, il s’agit de comprendre la « tentation de Mars » qui caractérise notre temps et l’urgence de la contrecarrer. »

Parution le 6 mars

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Sophie Baby, Juger Franco ? Impunité, réconciliation, mémoire, La Découverte

« Le général Franco, décédé le 20 novembre 1975 après avoir présidé pendant près de quarante ans au destin de l’Espagne, n’a pas été jugé et ne le sera jamais. Mais le legs du dictateur parvenu au pouvoir en 1939 à l’aide des avions de Hitler et des troupes de Mussolini, après trois ans de guerre civile, le sera-t-il un jour ? Comment peut-on refuser encore de condamner le franquisme dans un pays devenu depuis les années 1980 une démocratie consolidée, pleinement intégrée à l’Union européenne ?

Sophie Baby observe les impulsions et les obstacles à l’insertion de l’Espagne dans l’âge global de la mémoire, qui s’est emparé du monde occidental face aux traces irréductibles des violences de masse qui l’ont endeuillé. Elle remonte aux années d’après-guerre pour suivre la généalogie mondialisée du trouble des responsabilités criminelles franquistes, qui conduisit à brouiller les positions de victime et de perpétrateur. Elle resitue la péninsule au cœur d’un espace euro-américain de circulation des dispositifs de mémoire et de justice, tour à tour mauvaise conscience du monde libre, modèle de réconciliation démocratique, championne de la justice universelle ou modèle d’impunité. Par l’exploration de sources inédites, l’enquête exhume les projets alternatifs et marginalisés et s’ancre dans l’expérience vécue – un tribunal international, une ville emblématique, un prisonnier, une veuve de déporté incarnent le récit. »

Parution le 14 mars

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Sophie Wahnich, La Révolution des sentiments. Comment faire une cité. 1789-1794, Seuil

« Les révolutionnaires français n’ont jamais cessé de redouter le risque majeur de toute révolution : qu’elle bascule dans la guerre civile. Celle-ci advient lorsque les sentiments sociaux, les affects qui relient les humains entre eux ont été déniés, bafoués, ou empêchés. Au lendemain des mois terribles de l’hiver et du printemps 1794, Saint-Just constate ainsi, lucide, que « la révolution est glacée ».

Les révolutionnaires comprennent que ce ne sont pas « la machine à gouvernement » et ses lois de contraintes qui pourront réparer une société meurtrie ni instaurer l’harmonie espérée, mais bien l’ensemble des institutions civiles. Instituer des lieux où le peuple se rassemble fera renaître sa sensibilité comme faculté de juger.

L’amour, l’amitié, le courage, la confiance, la foi en l’impossible, tous ces sentiments républicains sont sollicités pour déjouer une économie cruelle, réduire la division sociale, faire cesser les conflits religieux, promouvoir le pouvoir politique de chacun des citoyens. Alors pourra se constituer un nouvel art de vivre plein d’humanité, seule garantie d’une nouvelle « communauté des affections ». En se tournant vers ce passé mal compris, Sophie Wahnich cherche aussi des outils pour faire face à ce qui peut advenir aujourd’hui. »

Parution le 29 mars

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M’hamed Oualdi, L’esclavage dans les mondes musulmans. Des premières traites aux traumatismes, Amsterdam

« Au cours de la dernière décennie, la présence de certaines formes d’« esclavage moderne » en Libye ou au Qatar a été fortement médiatisée, donnant matière à une série de controverses sur la traite d’esclaves au sein des mondes musulmans. Cet ouvrage de M’hamed Oualdi s’attache à ébranler les représentations erronées qui entourent ce phénomène historique. L’historien réfute le lieu commun qui voudrait que l’esclavage soit tabou au sein des sociétés musulmanes contemporaines. Il souligne la diversité des traites qui prennent place depuis la période médiévale au sein des mondes musulmans, loin de la vision homogénéisante d’un esclavage « islamique » unifié.

M’hamed Oualdi remet ainsi en cause les historiographies cherchant à comparer cette forme d’esclavage à la traite atlantique dans le but de relativiser la gravité historique de cette dernière. Pour ce faire, il décrit la pluralité des fonctions exercées par les esclaves au sein des mondes musulmans. En se concentrant ensuite sur la période moderne, M’hamed Oualdi analyse les processus d’affranchissement de ces esclaves. Il rend ainsi saillant le caractère ambivalent des politiques abolitionnistes alors mises en œuvre par les puissances européennes. En parallèle, il présente les pensées abolitionnistes musulmanes qui se sont développées dans l’ensemble de ces régions. Enfin, l’historien interroge la présence de l’esclavage dans les sociétés musulmanes. »

Parution le 1er mars

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Gerd Krumeich, Als Hitler den Ersten Weltkrieg gewann. Die Nazis und die Deutschen 1921–1940, Herder

« Comment un parti dissident et violent a-t-il pu devenir en quelques années un mouvement de masse dévastateur portant Adolf Hitler au pouvoir ? Quels facteurs ont été décisifs pour le succès des nazis ? Gerd Krumeich part en quête de réponses à ces questions en s’appuyant sur les recherches qu’il a menées pendant des décennies sur la Première Guerre mondiale et ses conséquences. Il constate que l’importance de la défaite de la Première Guerre mondiale dans la propagande nazie et dans les discours d’Hitler a été jusqu’à présent largement sous-estimée dans l’explication de l’attractivité du NSDAP et de la radicalisation d’un antisémitisme meurtrier, voire marginalisée avec le concept de « légende du coup de poignard dans le dos ».

Krumeich propose une réinterprétation de la relation entre Hitler et les Allemands en dépassant la limite temporelle habituelle de 1933. Il en résulte une nouvelle histoire de la montée du national-socialisme courant de ses prémisses jusqu’au début de la Seconde Guerre mondiale. »

Parution le 11 mars

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Asaf Elia-Shalev, Israel’s Black Panthers ; The Radicals Who Punctured a Nation’s Founding Myth, University of California Press

« Israel’s Black Panthers raconte l’histoire des jeunes et pauvres juifs israéliens originaires du Maroc qui ont remis en question le statu quo politique de leur pays et se sont rebellés contre la hiérarchie ethnique de la vie israélienne dans les années 1970. Inspirés par le groupe américain du même nom, les Black Panthers ont organisé des manifestations et une campagne politique d’un an pour les droits des mizrahim, ou juifs d’origine moyen-orientale. Ils ont réussi à ébranler l’establishment du pays et à changer le cours de l’histoire d’Israël grâce à la mobilisation massive d’une classe inférieure juive.

S’appuyant sur des documents d’archives et des entretiens avec des militants pour retracer l’histoire du mouvement, Asaf Elia-Shalev explore les parallèles entre les Black Panthers israéliens et américains, offrant une perspective unique sur la lutte mondiale contre le racisme et l’oppression. »

Parution le 19 mars

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Hanno Hochmuth, Berlin. Das Rom der Zeitgeschichte, Ch. Links

« La ville de Berlin s’est trop souvent retrouvée au centre de l’actualité au cours du XXe siècle. Elle a été tour à tour une capitale monarchique, une capitale démocratique, une capitale fasciste et une capitale socialiste. C’est de là que sont parties deux guerres mondiales qui se sont répercutées avec force démesurée sur la ville. C’est à Berlin que la guerre froide a connu son apogée avant d’y trouver sa fin symbolique. La ville a été au centre de l’histoire mondiale comme Rome l’était il y a deux mille ans.

C’est pourquoi Berlin peut être considérée comme la Rome de l’histoire contemporaine. Hanno Hochmuth aborde l’histoire et le présent de Berlin de manière topographique et photographique. En partant des attributions populaires de la ville, il se rend dans 51 lieux historiques et raconte ainsi l’histoire de Berlin au XXe siècle. »

Parution le 14 mars

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Nina Valbousquet, Les âmes tièdes. Le Vatican face à la Shoah, La Découverte

« L’ouverture exceptionnelle des archives du pontificat de Pie XII (1939-1958), en 2020, n’a pas mis fin aux controverses autour des silences du pape face aux atrocités nazies. Mais, au-delà des polémiques, que révèlent ces nouvelles sources ? Qu’apportent-elles à notre compréhension de la Shoah, de la Seconde Guerre mondiale et du pouvoir religieux ? Permettent-elles de saisir plus finement les profondes ambivalences du Vatican, entre charité et préjugé, face aux persécutions antijuives ?

S’appuyant sur trois années de dépouillement de ces fonds considérables à Rome, Les Âmes tièdes restituent les motivations, réflexions et dilemmes des personnes impliquées dans cette histoire, leurs voix mais aussi leurs silences. Dépassant une approche classique focalisée sur le pape et sur la diplomatie, cet ouvrage éclaire les enjeux politiques, humanitaires, religieux et culturels des choix du Saint-Siège. Il resitue cette question dans la longue durée des relations entre l’Église et les Juifs, afin d’évaluer le poids d’une culture pluriséculaire d’hostilité dans les réponses du Vatican face aux persécutions antisémites, avant et pendant la guerre, mais aussi après la Shoah. Ce niveau de violence inédite contre une minorité a-t-il ébranlé le vieux substrat d’antijudaïsme chrétien ? Enfin, en faisant entendre la voix des acteurs de terrain et des persécutés, en particulier des familles mixtes judéo-chrétiennes, ce livre interroge plus largement la résilience du religieux face au génocide et la capacité de nos sociétés civiles à répondre aux violences de masse. »

Parution le le 14 mars

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Ilko-Sascha Kowalczuk, Walter Ulbricht. Der kommunistische Diktator (1945-1973), C.H. Beck

« Le deuxième volume de la monumentale biographie d’Ilko-Sascha Kowalczuk sur Walter Ulbricht montre comment le militant est devenu un dictateur. Il éclaire le parcours de Walter Ulbricht, mais aussi plus généralement l’histoire de la RDA et du communisme allemand. Dès le printemps 1945, Ulbricht a poursuivi son rêve de longue date de créer une Allemagne communiste et est devenu le véritable fondateur de la RDA en tant qu’homme le plus important de Staline en Allemagne, bien qu’il ne soit devenu formellement le plus haut fonctionnaire de la RDA qu’en 1960.

Il a toujours pu affirmer son pouvoir, notamment lors du soulèvement du 17 juin 1953, qui était dirigé contre son règne. Lorsque celui-ci fut à nouveau menacé en 1960/61, il construisit le mur. Ulbricht s’est ensuite réinventé et a tenté de changer la RDA dans un cadre limité en tant que « père de la nation ». Cela échoua à cause de ses adversaires conservateurs à la tête du SED. La chute d’Ulbricht, malade et âgé, en 1970/71 n’était toutefois pas uniquement due à ce puissant groupe soutenu par Moscou. »

Parution le 14 mars

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Luca Addante, Le Colonne della Democrazia. Giacobinismo e società segrete alle radici del Risorgimento, Laterza

« Durant la Révolution française, les Jacobins ont été les premiers, en France, à revendiquer la liberté et l’égalité, la justice sociale et la souveraineté populaire. Un programme auquel ont adhéré de nombreux Italiens, qui ont convergé dans un mouvement unitaire né pendant le Triennat républicain (1796-1799), animant la naissance de l’associationnisme politique et du journalisme. L’objectif principal du mouvement était l’unification de l’Italie en un seul État républicain, démocratique et constitutionnel. Cette première génération du Risorgimento a entamé sa longue lutte, dans le creuset politique et idéologique qui a vu se forger les principaux courants des deux siècles suivants : libéralisme, démocratie, républicanisme, socialisme, communisme, anti-colonialisme et féminisme.

Ce premier mouvement politique italien cachait en son sein une société secrète, « les Colonnes de la Démocratie », d’où naquit la mystérieuse Société des Rayons, première société secrète du Risorgimento sur le tronc de laquelle fleurirent d’autres, dont la plus célèbre fut la Charbonnerie. Le livre retrace la genèse de ce mouvement qui donna naissance au Risorgimento, poursuivant un programme politique très avancé qui n’a été que partiellement mis en œuvre avec l’unification de l’Italie et plus pleinement – mais pas entièrement – réalisé dans la résistance au nazisme et au fascisme. »

Parution le 1er mars

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Romain Bertrand, Les Grandes Déconvenues. La Renaissance, Sumatra, les frères Parmentier, Le Seuil

« On dit que la France, au XVIe siècle, a manqué son rendez-vous avec le Monde, puisqu’elle n’aurait pris aucune part à l’épopée de l’exploration des sociétés lointaines – flirtant avec le Brésil, mais boudant l’Asie. Pourtant, deux capitaines dieppois, Jean et Raoul Parmentier, conduisent jusqu’à l’île de Sumatra, en 1529, deux nefs de fort tonnage. Ils en ramènent des plaies, des bosses et un peu de poivre. Aujourd’hui oubliée, leur navigation fut érigée au XIXe siècle en preuve incontestable d’une contribution française glorieuse à la geste des Grandes découvertes. C’est toute la Renaissance occidentale qui aurait débarqué, sous pavillon tricolore, en Insulinde. La fable est flatteuse pour l’idée que nous nous sommes longtemps faite de nous-mêmes comme de pionniers, voire de missionnaires de la « modernité ».

Il n’est pas certain qu’elle résiste à l’examen. Menée en archives et dans les méandres des chroniques, l’enquête oblige à s’intéresser d’un même mouvement au monde des marins normands et à celui des négociants malais, à la cour de François Ier et à celle du sultan de Tiku, à la poésie mariale du « Puy » de Rouen et à celle des maîtres de mystique musulmans. Ce qui se joue alors le long du troisième parallèle, lorsque les Dieppois font relâche à Sumatra, ne se comprend qu’à condition de rouvrir les portes de la comparaison – entre l’Europe et l’Asie du Sud-Est aussi bien qu’entre le savoir des « gens de mer » et celui des érudits. En nous aidant à contempler, défardées, nos grandes déconvenues, cette traversée nous invite à penser la « modernité » au pluriel et la Renaissance au conditionnel. »

Parution le 1er mars

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Fernando del Rey et Manuel Álvarez Tardío, Fuego cruzado. La primavera de 1936, Galaxia Gutenberg

« Le long « printemps 1936 » a été le moment le plus important de l’histoire de l’Espagne au XXe siècle. Cinq mois entre les élections de février et le coup d’État de juillet ont décidé de l’avenir de la République. Pourquoi la démocratie n’a-t-elle pas été consolidée et la confrontation s’est-elle dangereusement intensifiée ? Y a-t-il vraiment eu beaucoup de violence politique ? Qui a miné le pluralisme et assiégé l’État de droit ? Qu’ont fait les gouvernements de la gauche républicaine ?

Fuego cruzado raconte l’histoire de cette période d’une manière inédite : en respectant le fait que ses protagonistes ne savaient pas ce qui allait se passer dans les mois suivants et que toutes les issues étaient possibles. Le livre explique avec précision comment le gouvernement a réagi au défi de la violence politique, en analysant le rôle de tous les acteurs. Il enquête de manière monographique sur toutes les victimes de cette violence – morts et blessés graves – et sur les responsables. Grâce à une base de données constituée au fil des ans à partir de nombreuses sources primaires, il offre une évaluation statistique précise pour comprendre ces mois. Fuego cruzado plonge le lecteur dans ce scénario qui a finalement débouché sur une issue peu glorieuse et permet de comprendre comment et pourquoi certaines des démocraties de l’entre-deux-guerres se sont effondrées. »

Parution le 20 mars

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Elizabeth N. Saunders, The Insiders’ Game : How Elites Make War and Peace, Princeton University Press

« L’une des opinions les plus répandues sur les dirigeants démocratiques est qu’ils hésitent à recourir à la force militaire parce que les électeurs peuvent leur demander des comptes, ce qui, en fin de compte, rend les démocraties plus pacifiques. Comment les dirigeants peuvent-ils alors faire la guerre face à l’opposition populaire ou mettre fin à des conflits lorsque l’opinion publique les soutient encore ? The Insiders’ Game fait la lumière sur cette énigme persistante, en soutenant que les principales contraintes qui pèsent sur les décisions de guerre et de paix proviennent des élites, et non du public.

Elizabeth Saunders se concentre sur trois groupes d’élites – les conseillers présidentiels, les législateurs et les responsables militaires – pour montrer comment la dynamique de ce jeu d’initiés est essentielle pour comprendre l’utilisation de la force dans la politique étrangère américaine. Elle étudie comment les préférences des élites diffèrent de celles des électeurs ordinaires et comment les dirigeants doivent négocier avec les élites pour s’assurer de leur soutien à la guerre. Elle explique pourquoi les dirigeants déclenchent et prolongent des conflits dont l’opinion publique ne veut pas, mais elle montre aussi comment les élites peuvent obliger les dirigeants à changer de cap et à mettre fin aux guerres. »

Parution le 26 mars

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Peter Longerich, Abrechnung. Hitler, Röhm und die Morde vom 30. Juni 1934, Molden

« En 1934, un an après la « prise de pouvoir », le régime nazi traverse une grave crise. Les succès politiques ne sont pas au rendez-vous, la première euphorie parmi les partisans est retombée. Ernst Röhm continue à développer sa « section d’assaut » et exige la poursuite de la « révolution nationale-socialiste », tandis que des forces ultraconservatrices se forment. En juin 1934, Hitler règle ses comptes dans le sang : il fait liquider Röhm et les dirigeants de la SA de sang-froid.

Mais les meurtres s’intensifient. Peter Longerich reconstitue les dessous complexes du « putsch de Röhm » et montre grâce à l’analyse approfondie de « rapports d’humeur » contemporains, comment la population a réagi aux meurtres. Sa conclusion : la « Nuit des longs couteaux » a été un événement central dans l’histoire du Troisième Reich, qui a ouvert la voie à la domination exclusive d’Hitler. »

Parution le 14 mars

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Melissa Teixeira, A Third Path ; Corporatism in Brazil and Portugal, Princeton University Press

« Après la Grande Dépression, alors que le monde cherchait de nouveaux modèles économiques, le Brésil et le Portugal ont expérimenté le corporatisme comme une « troisième voie » entre le capitalisme de laissez-faire et le communisme. Dans une société corporatiste, le gouvernement intègre verticalement les groupes économiques et sociaux dans l’État afin de pouvoir gérer le travail et la production économique. Dans les années 1930, les dictatures de Getúlio Vargas au Brésil et d’António de Oliveira Salazar dans l’Empire portugais se sont emparées des idées corporatistes pour relancer le développement économique dirigé par l’État.

Ce qui distingue le corporatisme portugais et brésilien des expériences d’économie mixte menées dans d’autres pays, c’est la manière dont Vargas et Salazar ont démantelé les institutions démocratiques libérales, célébrant leurs efforts pour limiter les libertés individuelles et la propriété dans le but de relancer l’économie et d’instaurer la paix sociale. En retraçant le mouvement des personnes et des idées à travers l’Atlantique Sud, Melissa Teixeira montre comment deux pays peu réputés pour leur créativité économique sont devenus des centres majeurs d’expérimentation politique. Les fonctionnaires portugais et brésiliens ont créé des lois et des agences pour contrôler les prix et la production, ce qui a généré de nouvelles frictions sociales et de nouveaux problèmes économiques, car les individus et les entreprises ont essayé de se soustraire aux règles. Pourtant, selon Teixeira, malgré les échecs et les frustrations des expériences corporatistes du Brésil et du Portugal, les idées et les institutions testées dans les années 1930 et 1940 ont constitué une nouvelle boîte à outils juridique et technique pour l’essor de la planification économique, façonnant la manière dont les gouvernements réglementent les relations de travail et de marché jusqu’à aujourd’hui. »

Parution le 19 mars

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Sante Lesti, Il mito delle radici cristiane dell’Europa. Dalla Rivoluzione francese ai giorni nostri, Einaudi

« La frontière entre le vrai et le faux est souvent ténue. C’est le cas s’agissant des « racines chrétiennes de l’Europe », qui peuvent être aussi bien une représentation objective, voire scientifique, de la réalité, qu’une représentation idéologique de celle-ci, c’est-à-dire un mythe. 

Depuis plus de deux siècles, en effet, s’affrontent deux manières apparemment proches, mais extrêmement différentes (voire opposées) de raconter l’histoire européenne et, en particulier, le rôle qu’y a joué la religion chrétienne. La première, qui trouve ses racines dans la redécouverte romantique de la religion, présente simplement le christianisme comme un élément fondamental du passé de l’Europe ; la seconde, qui remonte à la Contre-Révolution française et européenne de la dernière décennie du XVIIIe siècle, présente au contraire le christianisme comme l’élément clé de ce passé. Ce livre reconstruit la longue histoire de la seconde, depuis le siège de Lyon par l’armée révolutionnaire française (1793) jusqu’à l’actuel Premier ministre italien Giorgia Meloni, en passant par de nombreux autres lieux, acteurs (pratiquement tous masculins) et événements de l’histoire européenne des deux derniers siècles. »

Parution le 5 mars

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Stéphane Audoin-Rouzeau, Annette Becker, Samuel Kuhn et Jean-Philippe Schreiber (dir.),  Le choc. Rwanda 1994 : le génocide des Tutsi, Gallimard

« Le Rwanda a sombré au printemps 1994 dans un drame historique majeur : un génocide décimant la plus grande partie de la population tutsi et dévastant le pays. C’est le choc qu’a provoqué cet événement que les auteurs et autrices du présent ouvrage, originaires du Rwanda, de Belgique, de France, entendent explorer : leur propre saisissement d’abord et la manière dont il a pu orienter leur travail d’investigation, d’écriture ou de création. Puis les racines culturelles, idéologiques, sociales et politiques de l’accomplissement du génocide.

Car ce crime de masse systématique, prémédité et planifié, est toujours le fruit d’un enchaînement complexe de causalités. Interroger le génocide des Tutsi, c’est tenter de comprendre les ressorts de notre regard sur les violences extrêmes, de notre morale, de nos lâchetés, de nos collusions. De comprendre aussi les contours de notre commune humanité. »

Parution le 7 mars

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Paul R. Josephson, Hero Projects ; The Russian Empire and Big Technology from Lenin to Putin, Oxford University Press

« De Lénine et Staline à Poutine, le développement économique de la Russie s’est appuyé sur des technologies de grande échelle. Ces « mégaprojets » ont été au cœur de la croissance économique et de la puissance militaire du pays. Malgré leurs coûts environnementaux et sociaux considérables, ces technologies « héroïques » ont progressé au service des intérêts débridés des représentants de l’État, de l’orgueil démesuré des ingénieurs et de l’adhésion des masses à une idéologie nationale de réussite glorieuse et de grandeur militaire.

Dans Hero Projects, Paul R. Josephson retrace comment, au cours des cent dernières années, les tsars, commissaires et oligarques russes ont développé des mégaprojets pour créer le plus grand empire du monde. Construits par des paysans, des prisonniers du goulag et des volontaires communistes, ces projets de grande envergure – pipelines à travers la toundra, voies ferrées de l’Europe à l’océan Pacifique, centrales hydroélectriques et canaux du nord-ouest à l’Asie centrale aride, installations nucléaires – ont à jamais modifié le paysage, la politique et la société russes. Paul Josephson démontre que si ces projets ont été accueillis par le public comme des merveilles technologiques, ils ont toujours servi en fin de compte à enrichir le Kremlin et à démontrer les prouesses technologiques de la nation sur la scène mondiale. Et ils continuent d’être une caractéristique majeure du régime politique autoritaire russe au XXIe siècle ; exploitant les ressources de la Russie et encourageant une « renaissance » autoproclamée des armes et des réacteurs nucléaires, le gouvernement russe a décidé d’investir dans les technologies de l’information et de la communication. »

Parution le 5 mars

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Lire l’étude Paul Josephson dans nos pages sur les projets colossaux de Lénine à Poutine.

Susana Sueiro Seoane, El anarquista errante. La aventura transatlántica del tipógrafo Pedro Esteve (1865-1925), Marcial Pons

« La vie de l’imprimeur catalan Pedro Esteve, figure emblématique de l’internationalisme libertaire et ami proche d’Errico Malatesta, s’est déroulée pendant la période « glorieuse » du mouvement anarchiste, d’abord en Espagne, puis à Cuba et aux États-Unis, où il est mort prématurément en 1925. 

Parmi les travailleurs immigrés espagnols, italiens, cubains et portoricains de New York, Paterson (New Jersey), Tampa (Floride) et des camps miniers de l’Ouest, il accomplit un immense travail d’agitation et de propagande. Où qu’il vive, sa maison est un lieu de rencontre et de passage obligé pour des anarchistes d’horizons très divers. Les journaux qu’il a fondés avaient des lecteurs dans toute l’Europe, les Amériques et l’Afrique du Nord. Cette enquête révèle les raisons pour lesquelles il est devenu un personnage diffus, opaque et insaisissable, qui n’a pas reçu l’attention qu’il méritait jusqu’à présent. »

Parution le 1er mars

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Enric Juliana, España : el pacto y la furia, Arpa

« Pacte et fureur apparaissent dans le titre de ce livre comme une synthèse de la période longue et convulsive qui va des attentats du 11 mars 2004 à la législature de l’amnistie. En Espagne, on négocie et on lutte avec fureur. Une réforme très rapide de la Constitution a été décidée pour garantir le paiement de la dette, la loi d’abdication du roi Juan Carlos I a été décidée en quelques jours, un accord a été trouvé pour l’application de l’article 155 en Catalogne, et de nombreuses coalitions ont été négociées à différents niveaux de gouvernement. Depuis six ans, l’Espagne a un gouvernement de coalition soutenu par une majorité parlementaire très plurielle. L’Espagne est l’un des pays les plus polarisés après les États-Unis, l’Argentine, la Colombie et l’Afrique du Sud.

Après deux décennies de travail journalistique intense à Madrid, Enric Juliana nous offre sa vision de cette période, au cours de laquelle nous avons subi une grave crise économique et une autre crise territoriale sans précédent, nous avons été confinés chez nous par une pandémie, nous avons entendu de nouveaux tambours de guerre et nous nous sommes approchés de changements technologiques vertigineux. Les compétences reconnues d’Enric Juliana comme observateur et analyste de la réalité politique et sociale espagnole, et de ses liens avec la réalité internationale, atteint son apogée dans ce livre. Juliana tente d’expliquer ce qui s’est passé au cours des vingt dernières années et ce que pourrait être l’Espagne dans les années à venir. Un récit ambitieux qui part d’un constat que nous pouvons tous partager aujourd’hui : 2004 vit en 2024. »

Parution le 13 mars 

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