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Institut La Boétie - [Publications]

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03.03.2025 à 18:02

Faut-il se passer du numérique pour sauver la planète ? – Livre de Cédric Durand

Una Jullien
« Faut-il se passer du numérique pour sauver la planète ? » de Cédric Durand est le deuxième livre de la collection de l'Institut La Boétie aux éditions Amsterdam.
Ce livre s'attaque à un sujet d'actualité : le capitalisme numérique et son caractère à la fois dominant et prédateur qu'incarne Elon Musk. Il nous invite à dépasser l’anxiété provoquée par ces nouveaux maîtres du numérique pour leur opposer une alternative : une lutte rude mais nécessaire, car il est possible de mobiliser ces technologies pour construire une société émancipée et résoudre la crise écologique.
Texte intégral (540 mots)

Le 14 mars 2025, l’Institut La Boétie publiera le deuxième ouvrage de sa collection aux éditions Amsterdam : Faut-il se passer du numérique pour sauver la planète ? de Cédric Durand. Vous pouvez d’ores et déjà le précommander ici.

Ce livre est issu des conférences données par Cédric Durand, économiste et spécialiste de renommée internationale des mutations du capitalisme contemporain, pour l’Institut La Boétie.

Il s’attaque à un sujet d’actualité : le capitalisme numérique et son caractère à la fois dominant et prédateur, qu’Elon Musk incarne bien aujourd’hui. Il s’agit de montrer comment, au-delà du personnage, il y a bien un système – le « techno-féodalisme » – que Cédric Durand décrit et décortique avec beaucoup de pédagogie.

L’enjeu est de taille au moment où s’engage une course entre les géants de la tech à propos de « l’intelligence artificielle », une course de laquelle la France et l’Europe semblent être hors-jeu. Le livre aborde ainsi l’enjeu crucial de la souveraineté numérique, c’est-à-dire de la capacité à rester autonome vis-à-vis de grands groupes états-uniens ou chinois, à la fois sur les plans théoriques et des propositions concrètes.

Mais l’originalité de cet ouvrage réside aussi dans le fait qu’il défend un usage progressiste du numérique. Sans ignorer la critique écologique des technologies de l’information et de la communication, l’auteur tente de dessiner les contours de ce qu’il qualifie lui-même comme une « voie étroite » : le « cyber-écosocialisme ».

Faut-il en finir avec le numérique pour sauver la planète ? est donc à la fois une analyse critique du capitalisme numérique, mais aussi une base pour construire un projet de réappropriation démocratique de la technologie.

C’est le premier livre en français consacré au capitalisme numérique accessible, facile à lire, court (168 pages) et d’une écriture fluide et directe. Ainsi, il met à la disposition du grand public les secrets de la puissance des seigneurs de la tech.

À retrouvez dès maintenant en pré-commande et dès le 14 mars 2025 en librairies.

Et notez nos événements autour du livre et du thème de l’IA et du numérique :

08.01.2025 à 19:16

Quand les fonds d’investissement font la loi

Manuel Menal
Les fonds d’investissements font-ils désormais la loi ? Le livre de Benjamin Lemoine nous montre qu’en tout cas, ils savent particulièrement bien s’en servir à leur avantage pour générer des profits sur le dos des États. C'est particulièrement le cas des « fonds vautours », ou fonds procéduriers, une catégorie spécifique de fonds d’investissements privés. Apparus dans les années 1980, ces fonds entendent tirer profit des États endettés en défaut de paiement en rachetant leurs créances à bas coût avant d’entamer des poursuites judiciaires pour leur soutirer un remboursement au prix fort.
Texte intégral (4719 mots)
Note de lecture du livre de Benjamin Lemoine, Chasseurs d’États : les fonds vautours et la loi de New York à l’assaut de la souveraineté, Éditions La Découverte, 2024.
Benjamin Lemoine est chercheur en sociologie politique au CNRS, affecté au Centre Maurice Halbwachs (ENS). Médaillé de bronze du CNRS (2018), il a enquêté sur la financiarisation des États à travers le cas de la dette publique et des transactions auxquelles celle-ci donne lieu. Son travail actuel porte sur le pouvoir de la finance privée, l’extraterritorialité du droit des États-Unis et les dettes du Sud global.

Il a publié aux Éditions La Découverte L’ordre de la dette. Enquête sur les infortunes de l’État et la prospérité du marché (2016, réédité en 2022) et La démocratie disciplinée par la dette (2022). Il est membre du conseil scientifique de l’Institut La Boétie.

Les fonds d’investissements font-ils désormais la loi ? Le livre de Benjamin Lemoine nous montre qu’en tout cas, ils savent particulièrement bien s’en servir à leur avantage pour générer des profits sur le dos des États.

C’est particulièrement le cas des « fonds vautours », ou fonds procéduriers, une catégorie spécifique de fonds d’investissements privés. Apparus dans les années 1980, ces fonds entendent tirer profit des États endettés en défaut de paiement en rachetant leurs créances à bas coût avant d’entamer des poursuites judiciaires pour leur soutirer un remboursement au prix fort. Ils agissent particulièrement auprès des États du Sud – en Amérique latine et/ou issus de la décolonisation –, car ils ont pour particularité d’émettre leur dette en droit américain.

Dans Chasseurs d’États : les fonds vautours et la loi de New York à l’assaut de la souveraineté, Benjamin Lemoine décrypte les mécanismes qui ont mené à l’essor de ces fonds, notamment l’évolution du droit américain en faveur des intérêts de la finance privée. Il remonte minutieusement le fil des événements pour montrer comment des États souverains sont devenus vulnérables face au pouvoir de la finance new-yorkaise. On y découvre ainsi la manière dont les États sont poursuivis par les créanciers et la variété de leurs tactiques pour les soumettre à la discipline de marché.

Le département de sociologie de l’Institut La Boétie vous propose un aperçu de cette enquête sociologique.

I. La dette, un champ de bataille : du règne des États au règne des Contrats

Depuis les années 1950, la restriction progressive de l’immunité souveraine, principe selon lequel un État ne peut être poursuivi devant les tribunaux d’un autre État sans son consentement, est à l’origine de l’essor des fonds vautours. Leur développement s’inscrit dans le cadre d’un ordre juridique international de plus en plus dominé par le droit américain, lequel privilégie les droits des créanciers sur la souveraineté des États.

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Immunité souveraine.
© Nick Youngson, CC BY-SA 3.0/Pix4Free

La longue bataille pour la levée de l’immunité souveraine

Plutôt réticente initialement à rendre justiciables les États étrangers devant les tribunaux américains, l’administration américaine a progressivement revu sa position sous la pression des financiers privés et à mesure que les intérêts financiers étatsuniens se heurtaient aux expropriations étrangères. À partir des années 1950-1960, le département d’État, l’équivalent du ministère des Affaires étrangères, et le Trésor américain, tous deux favorables à ce que le pouvoir exécutif conserve le droit de juger de l’immunité souveraine des États étrangers, vont être confrontés à la pression des associations de financiers privés, telles que le Rule of Law Committee, lobby juridique extra-puissant soutenu par l’industrie pétrolière. Celles-ci défendent ardemment la possibilité de soumettre les États étrangers souverains au droit des contrats américain, afin de protéger, voire d’augmenter, leurs profits.

La Cour suprême étatsunienne va progressivement adopter une théorie restrictive de l’immunité des États, dans le sillon du département d’État en 1952. Elle va décider de séparer les « actes publics » d’un État de ses « actes privés », dont les actes commerciaux. L’immunité souveraine s’appliquerait ainsi pour les actes publics, mais pas pour les actes privés. Une distinction aux frontières pas toujours très claire entre « souverain » et « commercial » qui sera critiquée par certaines voix dissonantes à l’international[1], sans beaucoup d’écho.

Le premier électrochoc intervient en 1960, lorsque le dirigeant de la république de Cuba, Fidel Castro, nationalise 36 sucreries, raffineries de pétrole, compagnies d’électricité et de téléphone, trois banques et 19 entreprises américaines. À la surprise générale, en 1964, la Cour suprême statue en faveur de Cuba au motif dela « doctrine de l’acte de l’État », principe de droit international selon lequel les actes d’un État, accomplis sur son propre territoire, ne peuvent être contestés par les juridictions nationales d’un autre État – dans la même logique que l’immunité souveraineté.

La décision va enflammer la scène judiciaire, financière et politique américaine. La bataille pour décider qui des États ou des juridictions américaines auront le dernier mot s’intensifie, d’autant que l’enjeu devient de plus en plus important face à la multiplication des expropriations décidées par des États au Pérou, au Venezuela, au Congo, en Zambie ou en Libye…

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Nationalisation des banques et des entreprises par le gouvernement de Fidel Castro en 1960.
© Granma Archives

Vers la fin des années 1960, le quasi-monopole des États-Unis sur le pétrole s’effondre suite aux vagues de nationalisations et à la constitution de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP)[2]. Les administrations Nixon (1969-1974) puis Ford (1974-1977) veulent mettre un coup d’arrêt à ces nations émergentes, souvent issues de la décolonisation, qui décident de reprendre en main leurs actifs stratégiques et revendiquent même un « nouvel ordre économique international ». Elles vont ainsi s’atteler à modifier profondément le cadre juridique en place.

Soumettre la raison diplomatique à la raison financière : l’adoption du Foreign Sovereign Immunities Act en 1976

L’objectif des acteurs financiers américains est clair : il faut faciliter la poursuite devant la justice des États étrangers pour que cesse l’hémorragie. Pour les milieux de pouvoir étatsuniens, où se mêlent professionnels du droit, de la finance et bureaucrates de haut niveau, il faut absolument déposséder la puissance diplomatique du droit d’interférer dans les affaires commerciales entre États étrangers et créanciers privés.

En 1976, sous l’influence des lobbys financiers et mû par la volonté de préserver l’hégémonie américaine, le président Ford consacre la protection de la propriété privée des investisseurs en adoptant le Foreign Sovereign Immunities Act (FSIA), en français « loi sur les immunités des États étrangers ».

Dorénavant, le département d’État n’a plus son mot à dire sur la décision d’attribution de l’immunité à un souverain étranger : c’est au Tribunal fédéral du district Sud de New York de statuer. Cela signifie qu’il devient formellement possible pour une personne de droit privé (par exemple, un fonds d’investissement) de poursuivre un État devant le tribunal pour exiger le recouvrement de ses créances.

C’est l’exact inverse du « droit absolu de de nationaliser des pays décolonisés » proclamé par l’Assemblée générale des Nations Unies le 1er mai 1974 à l’instigation des pays non-alignés.

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Déclaration concernant l’instauration d’un nouvel ordre économique international, Assemblée générale de l’ONU, 1er mai 1974.
© UN Photo/x

Le Sud global face au dilemme de la dette

Contrairement aux principaux États de la finance mondiale (France, Allemagne, États-Unis…), les États du Sud global contractent en grande majorité leurs emprunts en droit new-yorkais. Ils sont donc visés en première ligne par ce changement de paradigme.

Pour résister à cette nouvelle réalité juridique, il faudrait s’extraire du système bancaire et financier international. À l’heure du libéralisme triomphant des années 1980, le prix à payer pour contester ces les impéralistes du droit international est trop important : mieux vaut désormais s’y soumettre.

Exit la souveraineté populaire et la raison diplomatique : l’enjeu pour les États doit être désormais de sécuriser coûte que coûte l’accès aux marchés de capitaux privés et se conformer aux attentes des riches créanciers mondiaux. C’est l’heure de la chasse aux actifs.

« Le modèle d’État-souverain dominant – au centre comme à la périphérie – se donne pour devoir prioritaire de sécuriser la finance, d’en être la terre d’accueil, de lui fournir des actifs sans risques, de lui garantir la Rule of Law et d’exécuter ses contrats à domicile comme à l’étranger, au détriment du reste de la population et des engagements sociaux, qui laissent peu de recours judiciaires aux bénéficiaires. » (p. 329)

Les conséquences de ce nouvel ordre juridico-financier : le cas de l’Argentine

Les conséquences du nouveau cadre juridique instauré par le FSIA sont immédiates. Au début des années 1980, l’Argentine est fortement touchée par l’augmentation des taux d’intérêts américains. En difficulté pour rembourser ses dettes en dollars, le Trésor argentin émet des obligations, libellées en dollars, pour permettre le paiement de créanciers étrangers. En 1986, face à une nouvelle pénurie de dollars, l’État argentin décide de prolonger unilatéralement l’échéance de remboursement. Trois créanciers étrangers refusent cette modification et portent plainte auprès du Tribunal fédéral du district sud de New York pour exiger le remboursement complet et immédiat. L’affaire marquera un tournant en matière de justiciabilité des États.

C’est finalement la Cour suprême des États-Unis qui tranche le litige. Elle est confrontée à une question capitale, qui se retrouve en filigrane dans toutes les affaires liées aux fonds vautours : les activités de la Banque centrale d’Argentine, destinées à soutenir la politique monétaire du pays, relèvent-elles d’une fonction régalienne ou d’un acte commercial ? L’Argentine plaide, logiquement, pour une activité souveraine. Le juge Antonin Scalia choisira, lui, de regarder plutôt la nature commerciale des instruments financiers utilisés, écartant les arguments fondés sur la finalité politique.

En affirmant que les États qui agissent avec des outils de marché doivent être considérés comme des acteurs commerciaux, conformément à la loi FSIA, la Cour consacre la justiciabilité des dettes souveraines et élargit la portée extraterritoriale de la juridiction de New York.

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« 40 ANS. NI OUBLI NI PARDON ».

Sur les murs de Buenos Aires, le président Macri, critiqué pour ses positions trop indulgentes vis-à-vis du régime militaire qui avait pris le pouvoir 40 ans plus tôt, est figuré en marionnette manipulée par les vautours et les grands groupes industriels, bancaires et médiatiques (Clarín, Barrick, Shell, JP Morgan et Monsanto).

La fresque est signée par les syndicats des travailleurs de l’État (ATE).

II) L’offensive des vautours. Une chasse mondiale aux actifs souverains

En étendant son règne au-delà de ses frontières nationales, le droit des contrats américain a donc révolutionné le rapport des États à leurs créances. Désormais, tous les États endettés vivent sous le risque permanent de se voir attaqués en justice par des fonds d’investissements qui jugeraient leur solvabilité défaillante. Cette évolution a permis aux fonds vautours de développer leur activité de façon exponentielle à partir des années 1990. Résultat : une aggravation des difficultés des pays du Sud endettés, et une érosion certaine de leur souveraineté.

Plan Brady : la chasse aux actifs est ouverte

Le phénomène des fonds vautours prend toute son ampleur à partir de 1989, grâce aux opportunités ouvertes par l’adoption du Plan Brady. Initié par le secrétaire du Trésor des États-Unis, Nicholas Brady, le plan consiste en un allègement partiel de la dette des États emprunteurs du Sud afin d’éviter qu’ils fassent totalement défaut. Pour cela, les États-Unis émettent des obligations garanties par le Trésor américain, qui sont censées stabiliser la valeur des actifs financiers du pays emprunteur, et lui permettre ainsi de continuer à se financer sur les marchés de capitaux. Mais pour pouvoir bénéficier de cet « allègement », les pays du Sud (Mexique, Pérou…) sont contraints de privatiser des pans entiers de l’économie et de réduire les déficits publics.

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“The best bonds were Brady bonds”
© Wallpaperflare. Montage Financial Times

Le plan Brady va stimuler d’une manière inouïe le marché secondaire de la dette des pays en voie de développement, qui augmente de 4 000 % entre 1989 et 1995. Concrètement, cela signifie que la structure de la dette souveraine devient plus diffuse : autrefois détenue par une dizaine de grandes banques et une centaine d’autres plus petites, on passe maintenant à une centaine de milliers de créanciers qui peuvent à tout moment se débarrasser de leurs titres de dette en les revendant sur le marché. Un véritable business s’ouvre alors pour les fonds vautours : ils vont pouvoir spéculer sur ce marché secondaire et traquer les États déficients.

À noter : Depuis 2010, la part de la dette publique extérieure détenue par des créanciers privés a augmenté dans toutes les régions du monde : elle représentait 61 % de la dette extérieure totale des pays dits en développement en 2022.

Ces nouveaux acteurs excellent dans l’art des procès et des pressions sur les gouvernements. Plus question de soutenir des procédures de conciliation entre États emprunteurs et créanciers : la volonté de profit maximal est pleinement assumée.

Plus largement, le directeur de l’association des marchés de dette secondaires des pays émergents (EMTA), Michael Chamberlin, résume les exigences de ces oiseaux de proie : « Le maintien de la stabilité dans les marchés émergents nécessitera une dose régulière de discipline de marché, ainsi que le soutien du secteur public ». Entendre : si vous refusez de vous soumettre à cette « discipline de marché », alors les marchés de capitaux ne voudront plus vous prêter. Si vous n’avez plus de capitaux, vous faites faillite, et le gouvernement en place perd le pouvoir.

Pour ces États dits émergents, c’est la possibilité pour la population de se soigner, d’étudier et de bien vivre qui est menacée en cas de non-respect de ces injonctions. La nouvelle logique des marchés secondaires, co-construite par les pouvoirs publics des États-Unis, est semblable à celle du FMI ou de la Troïka dans le cas de la Grèce : imposer l’austérité en conditionnant systématiquement toute aide à des plans d’austérité. L’âge de la prospérité des vautours est déclaré : le consensus de Wall Street[3] est né.

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Fonds vautours
© Radio France – Giv Anquetil

Dépouiller le Pérou pour une plus-value de 400 % : la recette magique des fonds vautours

L’exemple péruvien illustre la voracité de ces fonds d’investissements. En 1983, le Pérou fait face à l’incapacité de payer sa dette extérieure. Le pays entame alors des négociations infructueuses, accumulant des dettes auprès d’institutions internationales et de créanciers privés. En 1995, sous la présidence d’Alberto Fujimori, le pays applique le plan Brady pour restructurer sa dette, émettant des obligations dont la valeur se déprécie progressivement.

Profitant de la situation, le fonds spéculatif Elliott Associates rachète, pour 11,4 millions de dollars, des obligations valant initialement 20,7 millions. Faisant preuve d’une capacité d’agressivité hors pair, en 2000, Elliott Associates attaque le Pérou en justice à New York pour exiger le remboursement intégral de la dette, des intérêts et des frais de justice. En usant de saisies ciblées, le fonds bloque ainsi les paiements internationaux destinés aux créanciers ayant accepté la restructuration de la dette. Acculé, le Pérou finit par accepter un règlement à l’amiable pour 58,45 millions de dollars, offrant à Elliott une plus-value de 400 % par rapport au prix d’achat initial des obligations en défaut !

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Le milliardaire américain Paul Singer, fondateur du fonds Elliott Management, ici le 11 décembre 2014 à New York.
© afp.com/THOS ROBINSON

Une recette encore plus sophistiquée est pourtant en train d’être concoctée dans les arrière-cuisines des chasseurs de dette souveraine pour augmenter encore la plus-value possible :

  1. Acheter la dette d’un pays près du défaut de paiement à bas prix.
  2. Attendre le plan de restructuration : malgré la garantie des obligations par le Trésor, il est certain qu’alors la valeur des actifs se dépreciera.
  3. Exiger alors que le pays rembourse intégralement sa dette en le poursuivant en justice !

Si l’opération est complexe et risquée, la plus-value attendue en vaut la chandelle : le montant total inclut non seulement la somme qui aurait dû être remboursée, mais aussi, les intérêts dus sur cette somme et les « intérêts sur les intérêts », c’est-à-dire ceux représentant la valeur des gains potentiels perdus du fait du retard de paiement.

L’extension des techniques des fonds vautours

Progressivement, les fonds vautours vont développer des techniques toujours plus pernicieuses. Ainsi, en pleine crise de la dette argentine dans les années 2010, les fonds vautours, comme NML ou Elliott Associates (toujours) s’illustrent par une nouvelle tactique de harcèlement envers l’État argentin : ils obtiennent en 2014, grâce à une nouvelle décision de la Cour suprême des États-Unis, l’autorisation d’une procédure dite de « discovery » qui permet aux créanciers de demander des informations sur les actifs souverains à l’étranger. Ainsi, il devient possible de localiser facilement les biens de l’Argentine pour mieux les saisir.

Cette décision donne un puissant levier aux créanciers du monde entier. Surtout, elle transforme les tribunaux américains en de grands intermédiaires financiers mondiaux pour les groupes financiers américains, localisant et saisissant pour leur compte les actifs d’États souverains.

Ainsi, de 2017 à 2019, les enquêteurs de la société américaine Kroll, spécialisée dans le renseignement privé, vont cibler la compagnie pétrolière nationale du Venezuela, Petrо́leos de Venezuela SA (PDVSA) pour récupérer des créances via l’identification de ses biens saisissables – notamment des ports commerciaux. Le Venezuela, la République du Congo, l’Équateur et la Tanzanie – pour ne citer qu’eux – subiront ensuite les mêmes traques sans relâche.

Conclusion

Les fonds vautours ont ainsi pu se développer grâce à la transformation du système juridique étatsunien opérée à partir des années 1970. Celui-ci a progressivement priorisé, sous la pression des lobbys financiers et des politiques, les intérêts des créanciers privés face à ceux des États souverains, en leur permettant de poursuivre judiciairement des États endettés pour exiger remboursement.

Alors que la majorité des États du Sud contractent leurs emprunts en devises et en droit américain, ces évolutions juridiques ont très fortement contribué à renforcer l’hégémonie étasunienne sur la finance internationale. Jusqu’à mettre en péril la souveraineté de ces États, ou du moins à redéfinir profondément les contours de cette notion.

Ce qu’il faut également retenir de cette longue enquête que nous propose Benjamin Lemoine, c’est le caractère contingent du développement des fonds vautours. Car les États ne sont pas des entités monolithiques, pas plus que le milieu de la finance ne constitue un bloc homogène. Ces espaces sont des champs de bataille, travaillés par des contradictions entre des fractions de la classe dominante, dont les intérêts ne s’harmonisent pas automatiquement. Ce sont ainsi les compromis trouvés entre les acteurs de l’hégémonie étatsunienne (le Trésor américain, le département d’État, le Tribunal fédéral du district sud de New York et les fonds vautours), au cas par cas, avec les États endettés, qui participent à redéfinir les règles de la finance globale.

La construction globale du droit hégémonique des États-Unis s’est ainsi faite au détriment d’une régulation internationale des dettes publiques. Mais les choses auraient pu être différentes, et des visions distinctes s’affrontent au cœur même de l’appareil d’État américain quant à la meilleure façon de défendre les intérêts du pays autour de cette question financière. D’ailleurs, c’est aujourd’hui à New York que des voix dissidentes s’élèvent pour tenter de réajuster les règles du jeu de la finance globale au profit des États du Sud[4].

Enfin, il ne s’agit pas d’affirmer que les États-Unis et ses créanciers privés sont les seuls maîtres de la finance globale ad vitam aeternam. La Chine devient aujourd’hui un concurrent de taille : elle est désormais le premier créancier bilatéral des pays en développement. Au point de modifier en profondeur les règles du jeu au niveau mondial ? Rien n’est moins sûr pour l’instant. Car pour en finir réellement avec la « loi de New York », nous aurons surtout besoin du retour de l’outil diplomatique et d’un renforcement des prérogatives d’institutions internationales, comme l’ONU, essentielles pour encadrer les procédures de restructuration des dettes des États du Sud.

On comprend ainsi, grâce à l’ouvrage de Benjamin Lemoine, que désarmer les chasseurs d’États et réguler la finance globale seront des passages indispensables à la réalisation des grandes bifurcations politiques nécessaires à notre époque. Avec pour horizon la construction d’un ordre de la dette juste, écologique et résolument non-aligné.


13.12.2024 à 17:30

La bataille des prix : quand les travailleurs perdent le combat de l’inflation

Zoé Pebay
Alors que l’idée d’une droitisation généralisée de la société est omniprésente dans la parole médiatique et politique, l’ouvrage de Vincent Tiberj, La droitisation française. Mythe et réalités défend une toute autre thèse : non, les Français ne se sont pas droitisés. Ils sont même de plus en plus tolérants et alignés sur les valeurs de la gauche. En revanche, il y a bien une droitisation à l’œuvre dans la société : celle des élites politiques, intellectuelles et médiatiques. Si cette droitisation « par en haut » ne reflète pas les aspirations « d’en bas », elle se traduit pourtant dans une certaine mesure dans les urnes, avec la progression du Rassemblement national. C’est ce que Vincent Tiberj appelle le « paradoxe français », qu’il explique notamment par la prégnance de l’abstention et son inégale répartition dans la société.
Texte intégral (4488 mots)
Note de lecture du livre d’Éric Berr, Sylvain Billot et Jonathan Marie, Inflation. Qui perd ? Qui gagne ? Pourquoi ? Que faire ?, Paris, Éditions du Seuil, 2024.
Éric Berr est co-animateur du département d’économie de l’Institut La Boétie et maître de conférences à l’Université de Bordeaux, spécialiste des politiques macroéconomiques. Sylvain Billot est statisticien-économiste et a contribué à plusieurs notes de l’Institut La Boétie, dont récemment la 4e note de conjoncture de l’Institut La Boétie. Jonathan Marie est maître de conférences à l’Université Sorbonne-Paris-Nord et travaille sur les dynamiques inflationnistes et l’efficacité des politiques macroéconomiques.

Les trois sont notamment co-auteurs de la note de l’Institut La Boétie « Inflation : la lutte des classes par les prix », publiée en décembre 2022, et collaborent régulièrement aux travaux du département d’économie de l’Institut La Boétie.

Alors que l’inflation semble refluer en cette fin d’année 2024, Éric Berr, Sylvain Billot et Jonathan Marie se proposent dans leur livre de tirer un bilan de l’épisode inflationniste qui a suivi le déclenchement de la guerre en Ukraine, mais aussi d’interroger le rôle et les perspectives de l’inflation sur le long terme.

Contrairement aux discours dominants dans les sphères médiatique et économique, les auteurs soutiennent que l’inflation est avant tout le produit d’un conflit dans le partage de la valeur ajoutée. En un mot, l’inflation est politique avant d’être économique.

Cette recension du département d’économie de l’Institut La Boétie rend compte des principales thèses des trois économistes qui permettent d’éclairer sous un autre jour les débats omniprésents sur l’inflation.

Rappels sur l’inflation

La notion d’inflation est à la fois très claire, dans la mesure où elle évoque instantanément une hausse des prix, mais aussi brouillée par les nombreuses représentations qu’elle charrie. Il faut donc dans un premier temps balayer les idées reçues à son sujet pour mieux comprendre de quoi il s’agit.   En tant qu’augmentation des prix à la consommation, l’inflation semble au premier abord forcément négative, puisqu’elle entraîne une baisse du pouvoir d’achat. Or, cela n’est vrai que si les revenus n’augmentent pas au même rythme. De même, l’inflation n’est pas un indicateur de la santé d’une économie. Ainsi a-t-elle été parfois élevée pendant les Trente Glorieuses, mais aussi durant des moments de crise.

La déflation, c’est-à-dire la baisse généralisée des prix à la consommation, n’est en revanche, elle, jamais souhaitable. Elle implique que les entreprises ne parviennent pas à trouver des clients et donc que l’économie se porte mal.   En ce qui concerne la mesure de l’inflation, les auteurs expriment leur préférence pour l’IPCH (indice des prix à la consommation harmonisé) utilisé pour les comparaisons européennes. Il permet notamment d’intégrer les prestations de santé ou d’éducation qui font défaut à l’IPC (indice des prix à la consommation), l’indicateur de référence publié par l’Insee, qui a en conséquence tendance à sous-estimer l’inflation réelle.

I) Les gagnants et perdants de la dernière période d’inflation

L’épisode inflationniste de 2021-2023 a marqué la résurgence d’une forte inflation, disparue depuis une quarantaine d’années. En s’appuyant sur les données de la statistique nationale, les auteurs en détaillent l’impact précis. En deux ans, les prix ont grimpé de 12 %, cela principalement dans le sillage de l’énergie (+ 29 %) et de l’alimentaire (+ 20 %). Le pouvoir d’achat a dans le même temps subi une baisse de 1 %. L’ouvrage permet ici de rappeler que l’inflation n’a pas le même effet sur l’ensemble de la population : la moyenne cache en réalité des disparités importantes.

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Graphique issu du livre, page 34.

Depuis l’arrivée d’Emmanuel Macron au pouvoir, le salaire moyen par tête corrigé de l’inflation a chuté de 3,5 % en moyenne. Les auteurs reviennent notamment sur le mythe de la protection du SMIC face à l’inflation : oui, le mécanisme d’indexation permet de limiter la perte de pouvoir d’achat par rapport à d’autres salaires, mais il se fait sur des bases d’inflation sous-estimées, et de manière décalée dans le temps.

Sur la même période, les revenus du patrimoine corrigés de l’inflation ont, eux, crû de 19 %, et même de 85 % pour les dividendes ! Conséquence directe : les salariés se sont appauvris, quand les détenteurs de capital se sont enrichis. Les 10 % les plus riches ont été ainsi protégés de l’inflation : ils ont gagné 1,2 % de pouvoir d’achat sur la période.

« Les disparités importantes entre ménages comme entre entreprises permettent de désigner des perdants (les catégories populaires), des gagnants (les détenteurs du capital), et des profiteurs de crise (les grands groupes de l’énergie, du raffinage, et de l’industrie agroalimentaire). » (p. 33)

Du côté des entreprises, là encore, il serait faux de croire que l’inflation bénéficie uniformément à l’ensemble d’entre elles. Les conséquences de l’inflation sur les entreprises dépendent principalement de deux facteurs.

Le premier est leur sensibilité à la hausse du coût des intrants : ainsi, une entreprise qui produit de la farine est par exemple très sensible à une hausse du cours du blé, tandis qu’un cabinet de conseil est peu exposé à l’augmentation du coût des intrants.

Le second est la capacité à répercuter cette hausse dans les prix de vente. Par exemple, une boulangerie de quartier ne va pas pouvoir drastiquement augmenter ses prix sous peine de voir sa clientèle s’en détourner, et elle va donc être contrainte à rogner sa marge. Au contraire, une grande entreprise de l’agroalimentaire sera capable d’imposer des hausses de prix à la grande distribution qui a besoin d’avoir ses produits en magasin.

Par conséquent, un grand nombre de secteurs, et en particulier de petites entreprises, ont subi l’inflation, et la perte de pouvoir d’achat des ménages qui en a découlé. S’est opérée une redistribution des richesses au sein des entreprises vers quelques secteurs et entreprises bénéficiaires. Les auteurs citent ainsi les domaines de l’énergie, du raffinage et de l’agroalimentaire comme les grands gagnants de l’épisode.

L’étude précise des causes de l’inflation dans ces domaines fait apparaître que sur 2021-2023, la part de la hausse des prix due aux profits est de près d’un tiers dans l’énergie, et de 20 % dans le raffinage et l’agroalimentaire. Néanmoins, il faut distinguer deux périodes : une première, dans le sillage immédiat de la guerre en Ukraine, où les prix sont effectivement tirés par la hausse du coût des matières premières auxquelles ces secteurs sont sensibles ; puis une seconde, en 2022-2023, où ce sont les profits qui mènent la danse.

Sur la seconde période de 2022-2023, les profits représentent 41 % de la hausse des prix sur l’ensemble du secteur marchand ! Plus frappant encore, « dans le secteur de l’énergie, la totalité de la hausse des prix est expliquée par les profits », notent les auteurs.

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Vue aérienne du siège du géant français de l’énergie Total, prise le 11 juillet 2019.
© Kenzo Tribouillard, AFP

Mais comment ces entreprises ont-elles pu augmenter les prix sans subir une baisse de leurs ventes ? En effet, si une entreprise augmente fortement ses prix, elle devrait, selon la théorie libérale, voir ses consommateurs s’en détourner vers d’autres qui les augmenteraient moins.

Isabella Weber et Evan Wasner[1] suggèrent que certaines entreprises ont profité du choc de l’inflation, qui prépare les esprits des consommateurs à des hausses de prix, pour augmenter leur prix plus que nécessaire. Cela fonctionne particulièrement bien dans les secteurs où peu d’acteurs se partagent la plupart du marché, et peuvent donc tous en profiter pour faire passer de fortes hausses en même temps.

De ce point de vue, l’évolution de la gouvernance des entreprises joue un rôle important. Ainsi, la généralisation des phénomènes de « common ownership », c’est-à-dire quand plusieurs grandes entreprises d’un même secteur partagent les mêmes actionnaires – notamment des grands gestionnaires d’actifs comme Blackrock –, contribue fortement à la généralisation de l’inflation. En effet, les grands actionnaires vont avoir intérêt à ce que la hausse des prix soit suivie par l’ensemble des entreprises du secteur, sans quoi elle ne serait pas viable.

L’épisode inflationniste que nous avons connu est donc avant tout une inflation tirée par des profits.

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Lors d’une manifestation contre la réforme des retraites, le 31 janvier 2023 à Paris.
© Sipa/Chang Martin

II) La protection des riches par la Banque centrale européenne

Pour comprendre l’attitude des responsables politiques actuels face à l’inflation, les auteurs retracent les différentes influences théoriques qui ont nourri leur action. La fameuse « relation de Phillips » d’abord, selon laquelle la baisse du chômage induirait une augmentation de l’inflation car les salaires augmentent. Les travaux de Milton Friedman ensuite, qui expliquent que la priorité doit être donnée à la lutte contre l’inflation, car il existerait un taux de chômage naturel qui assure l’équilibre de l’économie et ne peut donc pas être réduit durablement.

C’est cet héritage idéologique qui a inspiré la réaction de la BCE consistant à augmenter brusquement les taux d’intérêt. Dans cette logique, la hausse des taux, en freinant l’économie, devrait faire augmenter le chômage et donc faire baisser à la fois les salaires et l’inflation.

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Banque centrale européenne à Francfort.
© Jay Eldy

Or, cette politique est contreproductive, expliquent les auteurs. En effet, l’inflation ne provenait pas, comme montré plus tôt, d’une surchauffe de l’activité ou d’une boucle prix-salaires. Ce cas de figure relève d’ailleurs avant tout de l’exception : il intervient seulement dans trois cas sur 22 épisodes d’inflation analysés par le FMI[2].

En revanche, il est clair que le choix de la réponse de la BCE revient à choisir les gagnants et les perdants de la séquence d’inflation. En effet, si l’inflation s’était accompagnée d’une hausse des revenus à la même hauteur, ce ne sont pas les salariés qui en auraient payé le prix, mais bien les rentiers, car l’épargne aurait alors perdu de sa valeur. En faisant en sorte de réduire les salaires et de casser l’économie, la BCE a fait le choix de faire payer les travailleurs plutôt que les rentiers.

« Les politiques de hausse des taux d’intérêt menées par les banques centrales manifestent un aveuglement idéologique et mettent en œuvre une logique de classe brutale. » (p. 111)

Les placements financiers des épargnants et les dettes détenues par les créanciers ont, en revanche, été protégés par la hausse des taux nominaux, qui se rapprochent du niveau de l’inflation. La « lutte contre l’inflation » mise en place par la BCE a en fait pour but de préserver les détenteurs de capital et l’épargne des plus riches. Elle le fait dans l’optique du « ruissellement » : préserver le capital et l’épargne est ainsi censé permettre l’investissement. Mais ce « ruissellement » n’est que théorique : pendant l’épisode inflationniste, les entreprises ont en effet privilégié la spéculation plutôt que l’investissement productif.

Cette politique de lutte contre l’inflation au détriment des travailleurs n’est pas uniquement le fait de la BCE : c’est la même politique qui est menée par Emmanuel Macron depuis son arrivée au pouvoir. Son objectif est la « modération salariale », c’est-à-dire le ralentissement de la croissance des salaires réels. Elle passe par l’augmentation de la concurrence sur le marché du travail à travers les réformes de l’assurance chômage ; par l’afflux de nouvelles personnes sur le marché avec la réforme des retraites ; et par le fait de favoriser les revenus qui contournent le salaire (primes, chèques).

La politique macroniste utilise donc la lutte contre l’inflation comme prétexte au service d’une politique générale de baisse de la rémunération du travail.

III) Perspectives de la bataille de l’inflation

Ce que les trois économistes nous montrent, c’est que l’inflation, au-delà de contingences de court terme, est le fruit d’un conflit sur la répartition de la richesse créée. Les auteurs expliquent que quatre facteurs agissent sur la hausse des prix : les actionnaires et les dirigeants ; les travailleurs, lorsqu’ils réclament collectivement des hausses de salaires ; l’État, par la fiscalité et les réglementations ; et enfin des causes extérieures telles que les guerres ou les phénomènes climatiques.

Ce sont les conflits entre ces acteurs qui modifient la répartition des revenus. Aujourd’hui, où en est le rapport de force dans le partage de la valeur ajoutée ? Le constat dressé par les auteurs est celui d’une inversion du rapport de forces, auparavant favorable aux salariés, en faveur du capital. La part des salaires dans la valeur ajoutée a en effet diminué de près de 10 points depuis le pic des années 1980.

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Graphique extrait du livre, page 70.

Dans la configuration actuelle, la défaite des travailleurs pourrait se prolonger dans la mesure où la bataille autour de l’inflation va monter en intensité. Les auteurs identifient comme facteur clé de l’inflation présente et à venir le contexte de baisse des gains de productivité. En effet, en l’absence de gain de productivité, les entreprises sont obligées soit d’augmenter leurs prix, soit de freiner les salaires, soit de baisser leur marge. Pour maintenir à tout prix leurs profits, elles profitent donc de l’inflation pour augmenter les prix et freiner les salaires discrètement.

Jusqu’ici, depuis 2008, les États ont évité ce phénomène en subventionnant toujours plus les entreprises : les taux de marge ont été ainsi artificiellement maintenus avec de l’argent public, au détriment des déficits publics et du financement des services publics.

Les auteurs observent que, si l’inflation globale diminue aujourd’hui grâce à l’énergie et l’alimentaire, l’inflation structurelle reste élevée, notamment dans les services. L’inflation résultant de rapports sociaux, elle « s’accroît dans les périodes de remise en cause du compromis social en vigueur[3] » : une remise en cause rendue inévitable par la baisse des gains de productivité.

D’autres facteurs vont dans le sens d’un retour de l’inflation sur le long terme. D’abord, celui de la montée en puissance de l’inflation due aux dysfonctionnements de la mondialisation, ce que les auteurs nomment la « mondialisation inflationniste ». L’interdépendance croissante des économies est en effet source de fragilité : cela s’observe d’ailleurs déjà lorsque des tensions géopolitiques concernent des zones cruciales pour l’économie mondiale, ou lorsque le prix du transport flambe par exemple.

Mais c’est aussi le cas lorsqu’un phénomène comme une pandémie, ou des conditions climatiques particulières, viennent bloquer ou ralentir à un endroit de la planète une chaîne d’approvisionnement. C’est ce que l’on a vu dans la période des confinements, avec ces « goulets d’étranglement » qui ont créé des pénuries et donc des hausses de prix.

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Mondialisation et libre-échangisme
© L’insoumission

La crise climatique créera donc de l’inflation. D’une part, par les conséquences sur le système économique des dysfonctionnements climatiques, mais aussi parce que la bifurcation écologique implique de se priver de certaines méthodes de production, certes plus efficaces mais néfastes pour l’environnement. Cette bifurcation implique de « pouvoir compter sur une politique budgétaire ambitieuse, qui peut être source d’inflation » (p. 90).

IV) Que faire ?

En partant du constat que l’inflation pourrait s’installer durablement, les auteurs se demandent donc quelles politiques économiques et monétaires doivent être mises en œuvre. Celles-ci doivent permettre une augmentation des salaires plus rapide que l’inflation pour que ce soient les rentiers qui en paient le prix – et non plus les travailleurs – mais aussi pour rendre possible la bifurcation écologique.

En termes de politique monétaire, le mandat de la BCE doit être profondément élargi au-delà de la stabilité des prix pour intégrer des objectifs de plein emploi et de financement des déficits à coûts maîtrisés.

Pour mener à bien la bifurcation écologique, il apparaît essentiel de créer un pôle public bancaire car les investissements nécessaires ne sont pas les plus rentables dans un premier temps. Les auteurs estiment qu’il faut a minima augmenter la cible d’inflation, aujourd’hui à 2 %, pour permettre une hausse des salaires dans la livraison et les métiers de première ligne. Cette cible n’est que la face émergée de la politique d’austérité budgétaire prônée par Bruxelles, qu’il faut revoir de fond en comble.

« Une chose est sûre : conserver une cible d’inflation à 2 % est incompatible avec la réalisation de la bifurcation écologique. » (p. 91)

Ensuite, les auteurs prônent, dans le sillage d’Isabella Weber, une forme de contrôle stratégique des prix, « outil qui a fait ses preuves à plusieurs reprises dans l’histoire ». Cela consiste à bloquer certains prix, par exemple lorsqu’il existe une trop forte demande pour une certaine quantité d’offre, ou bien quand des entreprises profitent d’une position de force sur le marché. L’indexation des salaires sur l’inflation permettrait dans l’autre sens de garantir le niveau des salaires réels.

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Affiches de la France insoumise, 2023.

Les auteurs inscrivent ces mesures dans le cadre d’une transformation globale du système économique : réforme des régimes de propriété et de gestion des entreprises, nationalisation d’entreprises dont le but n’est pas l’accumulation de profits, augmentation des droits des salariés ou encore extension du champ de la Sécurité sociale pour satisfaire les besoins fondamentaux.

Conclusion

La lecture de ce court ouvrage apporte à la fois des rappels salutaires et des enseignements précieux. D’abord, l’inflation est politique et non pas une simple affaire de paramètres économiques neutres. Non seulement ses causes dépendent d’un rapport de force, mais les réponses qui lui sont apportées également.

Il ne faut pas craindre l’inflation en elle-même mais, puisqu’elle est inévitable sur le long terme, mais bien plutôt de modifier les politiques économiques pour que cette inflation soit adossée à une progression des salaires et à l’avancée de la bifurcation écologique, sans nourrir de comportements opportunistes de la part des entreprises.

Les auteurs appellent ainsi à affronter rationnellement l’inflation. Cela nécessite de sortir des politiques dogmatiques actuelles pour « réfléchir à la hiérarchisation des objectifs de la politique économique et aux moyens à mobiliser pour les atteindre » (p. 112). En somme, gouverner par les besoins.

Pour aller plus loin :

14.11.2024 à 15:39

Point de conjoncture #4 – Novembre 2024

Émilien Cabiran
Notre département d'économie publie sa quatrième note de conjoncture économique. Un décryptage précieux de la situation économique et sociale qui montre une économie au ralenti, où tous les voyants passent désormais au rouge. La note analyse également la cure d’austérité proposée par Michel Barnier, historique en France et similaire à celles qu’a connues l’Europe du Sud, qui risque d’encore aggraver la situation.
Texte intégral (6873 mots)

Cette note est la quatrième édition du « point de conjoncture » de l’Institut La Boétie.

Le département d’économie vous propose régulièrement, dans ces points de conjoncture, une lecture critique pour décrypter et mettre en perspective l’actualité économique. Dans chaque note, vous découvrirez un focus spécifique sur une question économique d’actualité.

Vue d’ensemble : une économie mondiale toujours déprimée

L’économie française est engluée dans une profonde dépression, avec une croissance de la richesse produite faible : autour de 1 % en rythme annuel depuis début 2022. Elle peine à dégager des gains de productivité[1]. La consommation des ménages et l’investissement des entreprises, c’est-à-dire la demande nationale privée[2], sont atones. C’est le commerce extérieur et la dépense publique qui expliquent le reste de croissance que l’on observe depuis deux ans.

Les perspectives se dégradent encore pour les trimestres à venir. Après un léger effet JO pendant l’été, l’indice qui suit l’évolution de la production dans le secteur privé (PMI Flash HCOB[3]), s’est dégradé nettement en septembre, puis en octobre. Le « climat des affaires », qui synthétise tout ce qui pousse ou retient des décisions d’investissement ou d’embauche de la part des patrons, s’est effondré dans l’industrie en octobre. C’est même la plus forte baisse mensuelle depuis novembre 2008[4]. Le discours gouvernemental sur la réindustrialisation paraît ainsi plus que jamais en décalage avec la réalité. Les perspectives sont particulièrement sombres pour le secteur de l’automobile et des moyens de transport en général. Elles sont aussi fortement dégradées pour la production de biens d’équipement (les machines notamment), puisque l’investissement des entreprises continuerait à se dégrader dans les mois qui viennent.

Au niveau mondial, le Fonds monétaire international (FMI) anticipe la persistance à court et moyen termes d’une croissance « médiocre » autour de 3 %[5]. Depuis la fin du Covid, les pays de l’Europe du Sud (notamment l’Espagne) prennent leur « revanche » sur les pays de l’Europe du Nord : l’Allemagne connaîtra ainsi en 2024 une nouvelle récession (– 0,2 %), après celle de 2023 (– 0,3 %).

En 2025, la croissance ralentirait là où elle a été la plus forte (aux États-Unis, en Espagne ou en Chine). Elle se redresserait légèrement dans les pays qui ont connu la stagnation ou la récession (en Allemagne ou au Japon).

L’économie mondiale n’est pas sortie de la dépression qui a fait suite à la crise de 2008. Tout cela dessine le tableau général d’un capitalisme morbide où les entreprises tirent avant tout leurs profits des aides publiques et du blocage, voire de la baisse, des salaires réels.

Croissance : une faible croissance tirée par le commerce extérieur et les dépenses publiques

Sur ces deux dernières années (entre le 3e trimestre 2022 et le 3e trimestre 2024), le produit intérieur brut français a augmenté de 2,1 %. La consommation des ménages et l’investissement des entreprises y ont contribué négativement pour – 1,3 point, alors que le commerce extérieur y a contribué positivement pour 2,2 points, et les dépenses publiques pour 1,2 point.

La fin de l’inflation ?

Étudier le poids de chaque composante de la croissance du PIB[6] permet d’invalider la thèse d’une explication de l’inflation par une surchauffe de la consommation dopée par les revenus et le surplus d’épargne après la fin des confinements. En effet, on ne constate pas d’envolée de la demande privée interne.  

L’inflation a d’abord été provoquée par une augmentation de certains coûts de production : hausse des prix de l’énergie, perturbations des chaînes d’approvisionnement liées au Covid.

Elle a ensuite perduré car les entreprises, en particulier les grandes, ont maintenu leurs marges à tout prix, alors que la productivité du travail baissait[7]. Puisqu’elles produisaient moins avec la même quantité de travail, les entreprises ont maintenu leurs marges en augmentant les prix.

Ceci s’est traduit par une baisse des salaires réels, puisque dans le même temps l’évolution des salaires nominaux[8] n’a pas suivi celle des prix.

Les grands groupes des secteurs du raffinage, de l’agroalimentaire[9], de l’énergie, du transport maritime ont même fortement augmenté leur taux de marge, et peuvent être caractérisés en tant que « profiteurs de crise » : dans ces secteurs en particulier, l’inflation a été directement alimentée par les profits.

L’inflation a fortement ralenti ces derniers mois, tirée à la baisse par la chute des prix de l’énergie et par la modération des prix industriels (en raison des surcapacités de production chinoises). Mais l’inflation dans les services est, elle, toujours au-dessus de 2 %.

D’autre part, la montée des tensions géopolitiques, menant à des tensions sur les prix et les circuits d’approvisionnement internationaux, ainsi que la faiblesse persistante de la productivité, nous font penser que l’inflation pourrait persister et rebondir, d’autant plus si le conflit de répartition entre salaires et profits s’intensifie en faveur des revenus du capital.

La contribution positive du commerce extérieur à la croissance ne signifie pas que la France dégage des excédents commerciaux. Elle signifie que le déficit de la balance des biens et services[10] diminue, non pas tant en raison d’exportations particulièrement dynamiques, mais en raison d’une baisse des importations à mettre en lien avec la faiblesse de la consommation interne des ménages et des entreprises.

L’autre contribution à la croissance, les dépenses publiques, est directement menacée par le tournant austéritaire. Dès la fin de l’année 2024, la consommation collective des administrations publiques (services publics qui bénéficient à la collectivité dans son ensemble) ralentirait fortement, et le projet de budget du gouvernement amputerait la croissance de 0,8 point en 2025 selon l’OFCE[11].

La situation est particulièrement critique dans le secteur de la construction, qui a été pénalisé en particulier par la hausse des taux d’intérêt des banques centrales pour lutter contre l’inflation. En effet, cette hausse a été à l’origine d’une diminution de la capacité des ménages à emprunter pour investir dans l’immobilier. La France n’a jamais produit aussi peu de logements neufs qu’au cours de la période allant de juillet 2023 à juillet 2024[12]. Avec 2,7 millions de ménages en attente d’un logement social, une construction toujours à l’arrêt et 330 000 personnes sans domicile fixe – deux fois plus qu’il y a dix ans –, tous les voyants ont viré au rouge écarlate.

Les JO ont permis une hausse de la croissance au 3e trimestre[13], mais elle est anticipée comme nulle au 4e trimestre par l’Insee ou l’OFCE. En 2025, la croissance sera très faible, la consommation des ménages étant pénalisée par le maintien d’un taux d’épargne[14] nettement supérieur à l’avant Covid (d’environ 2,5 points). Le niveau élevé du taux d’épargne s’explique notamment par deux facteurs. D’une part, les plus riches ont vu leurs revenus fortement augmenter avec l’envolée des revenus du patrimoine, et notamment des dividendes, tandis que les revenus des plus pauvres diminuaient : or, les revenus supplémentaires des plus riches vont davantage vers l’épargne que vers la consommation. D’autre part, les consommateurs sont (légitimement) pessimistes quant à l’évolution de la situation.

Investissement : une baisse importante de l’investissement des entreprises qui risque d’entretenir la baisse de la productivité du travail et la stagnation économique

Les entreprises devraient connaître au moins cinq trimestres consécutifs de baisse de leur investissement[15]. Entre le 3e trimestre 2023 et le 4e trimestre 2024, l’investissement diminuerait de plus de 3 %, et même de 8 % en ce qui concerne les produits manufacturés. Même l’investissement en logiciels informatiques, jusqu’ici plus dynamique, ralentirait fortement fin 2024. Selon l’OFCE, l’investissement continuerait de baisser début 2025 avant de stagner à la fin de l’année. Les ressorts d’un rebond de la croissance sont donc absents.

La baisse de l’investissement devrait entretenir le ralentissement des gains de productivité. La productivité du travail est aujourd’hui inférieure à ce qu’elle était en 2017[16] ! Alors que les gains de productivité sont ordinairement plus forts dans l’industrie, la baisse y est aujourd’hui plus forte encore. On peut discerner deux grandes explications à cette baisse :

1. La faiblesse de l’investissement, notamment dans les nouvelles technologies de l’information et de la communication (en comparaison avec les États-Unis).

2. L’essor des emplois à faible productivité[17], comme les contrats en alternance et les micro-entrepreneurs (dont le revenu moyen est de 800 € pour ceux qui ne sont pas salariés en complément). Or, ceux-ci constituent environ la moitié des créations d’emplois depuis 2019.

C’est une proportion énorme qui met à nu l’arnaque derrière le discours sur le retour à un quasi plein-emploi. Le taux de chômage officiel, qui est par ailleurs reparti à la hausse (il devrait atteindre 7,5 % fin 2024, puis 8 % fin 2025 selon l’OFCE), masque un sous-emploi massif.

Figure 1 : Évolution de la productivité horaire du travail

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Source : Insee, comptes nationaux.

Salaires : une baisse marquée en 2022 et 2023 qui ne sera pas rattrapée de sitôt

L’Insee a rendu son verdict sur l’évolution du salaire net moyen dans le secteur privé en 2023[18] : celui-ci diminue de 0,8 %, après une baisse de 1 % en 2022 quand on tient compte de l’inflation telle que mesurée par l’indice des prix à la consommation (IPC). Si on prend en compte l’indice des prix à la consommation harmonisé (IPCH)[19], plus approprié pour évaluer l’inflation réelle, la baisse du salaire est même presque deux fois plus forte : – 1,7 % en 2023 et – 1,6 % en 2022.

Le salaire net moyen a donc baissé de plus de 3 % en deux ans, quand, dans le même temps, les revenus réels du patrimoine, qui bénéficient très majoritairement aux plus riches, ont augmenté de près de 20 %. En 2024 et 2025, les salaires réels augmenteraient au mieux de 0,5 %, ce qui serait loin de compenser les pertes des années précédentes.

Selon l’OFCE, les destructions d’emplois ont commencé fin 2024. Elles devraient se poursuivre tout au long de l’année 2025. L’emploi total reculerait de plus de 200 000 postes entre le 3e trimestre 2024 et le 4e trimestre 2025. Seuls les emplois à faible productivité de micro-entrepreneurs continueraient à augmenter.

La nette dégradation du marché du travail devrait peser à la baisse sur les salaires. Récemment, les prévisions de hausse de salaires ont été révisées à la baisse. Aujourd’hui, on constate que les salaires nominaux refluent presque aussi vite que les prix.

La hausse annoncée des salaires réels en 2025 semble donc incertaine, et de toute façon insuffisante pour permettre une hausse du pouvoir d’achat moyen des ménages. Les coupes dans les prestations sociales planifiées par le gouvernement Barnier vont en effet plomber le pouvoir d’achat des ménages, qui baisserait de 0,2 % en 2025 selon l’OFCE.

Profits : un capitalisme sous perfusion d’aides publiques

Le patronat n’a de cesse de stigmatiser le poids des impôts et des dépenses publiques. Pourtant, depuis le début de la période dite « néolibérale », c’est-à-dire le début des années 1980, les politiques budgétaires se sont mises au service du capital. Cette période est celle des baisses d’impôts sur les entreprises et des hausses de leurs subventions. Ces politiques ont eu un impact massif sur la dette publique pour maintenir la rentabilité d’entreprises qui, sans elles, serait au plus bas.

Aux États-Unis, le taux de profit net (avant et après impôts) des sociétés non financières[20] a fortement chuté de la fin des années 1960 à la fin des années 1970[21]. Depuis cette période, le taux de profit net avant impôts est resté tendanciellement à un niveau bas, avec bien sûr des variations cycliques[22]. En revanche, le taux de profit net après impôts s’est fortement redressé, notamment après la crise de 2008, pour atteindre à nouveau les sommets atteints pendant les « Trente Glorieuses ».

Cette divergence entre taux de profit avant impôts et taux de profit après impôts montre que le redressement des taux de profit n’est pas dû à un redressement productif des entreprises, mais bien aux politiques de baisses d’impôts (et de hausses des subventions) des États envers les entreprises. C’est le signe d’un capitalisme au ralenti et sous perfusion.

Figure 2 : Évolution du taux de profit des sociétés non financières aux États-Unis

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Source : Bureau of Economic Analysis.

En France aussi, la part du profit « avant redistribution » dans la valeur ajoutée des sociétés non financières (SNF) décline depuis la crise de 2008[23]. Mais la politique budgétaire volontariste en faveur du capital conduit à l’inverse à une augmentation de la part du profit « après redistribution » ! Depuis 2012 (notamment grâce au CICE de François Hollande[24]), celle-ci augmente. Ce sont donc bien les politiques publiques qui permettent aux entreprises de sauver leurs marges, malgré la baisse de leur productivité.

Figure 3 : Évolution de la part représentée par le profit (avant et après redistribution) dans la valeur ajoutée des sociétés non financières

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Source : Insee, comptes nationaux.

Dette publique : l’instrumentalisation du déficit public pour couper dans les dépenses sociales

Le déficit public actuel a été créé par les baisses d’impôts en faveur des plus riches et des grandes entreprises. Ces mesures, supposées stimuler l’activité économique, ont en réalité eu pour unique résultat d’enrichir une poignée de fortunés et de priver l’État de recettes précieuses.

Les mêmes qui en ont bénéficié exigent aujourd’hui que le déficit soit au plus vite réduit en imposant une baisse drastique des dépenses pour la protection sociale et les services publics.

Pour cela, un discours catastrophiste martèle que les niveaux du déficit et de la dette publics seraient devenus « insoutenables ». Or, en réalité, si la charge d’intérêt sur la dette publique a certes augmenté en 2022 (en pourcentage du PIB), elle est deux fois moins élevée qu’elle ne l’était au milieu des années 1990.

Figure 4 : Évolution des charges d’intérêts de la dette publique, en pourcentage du PIB et en pourcentage des dépenses publiques

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Source : Insee, comptes nationaux.

On nous explique qu’une politique d’austérité doit être mise en place pour « rassurer » les marchés, sans quoi nous serions « punis » par une hausse des taux d’intérêt sur la dette publique qui rendrait la charge d’intérêts insoutenable. Il n’y a aucune raison d’accepter cette logique : avant le tournant néolibéral, le déficit public était financé par les avances directes de la banque centrale[25] ou par le « circuit du Trésor »[26]. Ce financement « administré » de la dette publique permettait d’avoir une maîtrise du taux d’intérêt sur la dette publique.

FOCUS – Le budget 2025 sera-t-il mortel pour l’économie française ?

Le 14 octobre, avec beaucoup de retard par rapport au calendrier parlementaire traditionnel, le gouvernement Barnier a présenté le projet de loi de finances (PLF) et le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour l’année 2025.

Selon le gouvernement, ce budget constitue une cure d’austérité de 60 milliards d’euros, même si le Haut Conseil des Finances Publiques (HCFP) suggère que l’ajustement budgétaire serait en réalité plutôt de 42 milliards d’euros (soit 1,4 point de PIB)[27].

Entre aveuglement idéologique et crainte sincère concernant la montée de l’écart entre le taux d’intérêt exigé pour les titres de la dette publique française et les titres allemands[28], le gouvernement souhaite envoyer des signaux à ses électeurs et aux marchés financiers concernant la crédibilité de son engagement austéritaire.

Or, on peut penser qu’un PLF bâclé, associé à une communication peu transparente[29], ne permettra de toute façon pas d’améliorer la crédibilité des comptes publics, mise à mal par la politique pratiquée depuis sept ans.

Le déficit actuel est la conséquence de la politique économique menée depuis 2017

Le manque de crédibilité des comptes publics français ne tombe pas du ciel. Il fait suite à sept années de gouvernements nommés par Emmanuel Macron. Durant cette période, les politiques publiques mises en place par les gouvernements Philippe, Castex, Borne et Attal ont creusé les soldes publics de façon permanente de 40 milliards d’euros[30], essentiellement du fait de baisses d’impôts non financées.

Les défenseurs du bilan de ces gouvernements mettent souvent en avant les dépenses et baisses de recettes dues à la crise du Covid-19 pour rendre compte de l’augmentation de la dette publique. Pourtant, près de la moitié de la dette supplémentaire peut être expliquée par leur mauvaise gestion budgétaire, à savoir des baisses d’impôts non financées. Le 26 mars 2024, déjà, l’Insee remarquait que son aggravation avait avant tout pour origine la baisse de recettes, puisque le poids de celles-ci dans le PIB avait diminué de 2,1 points en 2022-2023[31].

Après avoir « affamé la bête » en se coupant volontairement de recettes, la puissance publique se trouve exsangue. C’est d’autant plus grave au moment où il est nécessaire de se donner les moyens d’action pour faire la bifurcation écologique et répondre enfin aux besoins suscités par le vieillissement de la population (santé, dépendance), sans parler de la reconstruction des services publics.

Au-delà même des sept dernières années, depuis 2000 la dépense publique en subventions et transferts en capital aux entreprises a augmenté cinq fois plus vite que celle consacrée aux services publics. Alors que ces vingt-cinq dernières années ont vu une augmentation des besoins en services de la population du fait des conséquences du « baby boom » des années 2000 et du vieillissement de la population, la part des services publics dans la dépense publique a baissé de 5 à 6 points[32].

Des mesures fiscales qui vont peser sur la consommation populaire

Dans ce contexte, une hausse des prélèvements obligatoires peut sembler justifiée. Elle serait de 30 milliards d’euros selon le HCFP. Mais il faut faire la différence entre des mesures fiscales qui viseraient ceux qui ont profité le plus des baisses d’impôts depuis 2017, à savoir les ménages les plus aisés et les entreprises, et des mesures touchant l’ensemble des contribuables, qui constitueraient un danger pour le pouvoir d’achat des ménages populaires et de la classe moyenne, et donc pour la consommation et la croissance.

Parmi les nouvelles mesures incluses dans le projet de loi de finances, le gouvernement espère collecter 8 milliards d’euros grâce à la surtaxe sur l’impôt sur les sociétés des grands groupes ; 4 milliards avec la baisse des exonérations de cotisations sociales employeurs ; 2 milliards avec le taux plancher de 20 % pour les très hauts revenus ; mais aussi 7 milliards avec la hausse des taxes sur la consommation d’électricité (dont 4 milliards grâce au retour de la taxe intérieure sur la consommation finale d’électricité (TICFE)[33] à son niveau pré-crise énergétique).

Si certaines mesures dans cette liste constituent clairement un aveu d’échec de la stratégie fiscale mise en place depuis 2017, il faut relativiser leur portée. D’abord, la surtaxe sur l’impôt sur les sociétés des grands groupes et le taux plancher de 20 % pour les très hauts revenus sont annoncés comme exceptionnels et temporaires. À l’inverse, les baisses d’impôt sur les grands patrimoines mises en œuvre depuis 2017, notamment la transformation de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) en impôt sur la fortune immobilière (IFI)[34] ou la mise en place du prélèvement forfaitaire unique (PFU)[35] ne sont quant à elles pas remises en cause. Par ailleurs, concernant l’augmentation de l’impôt sur les sociétés des grands groupes, on peut être sceptique quant à la réalité des montants de recettes prévus dans le projet de loi de finances : la mesure apparaît très à contretemps, car, s’ils ne sont pas totalement dissipés, les superprofits ne sont plus au niveau historique de la période 2021-2022.

En revanche, la hausse des taxes sur l’électricité va peser sur le pouvoir d’achat des ménages en augmentant le prix d’une dépense de première nécessité, contrainte. Entre décembre 2019 et septembre 2024, le prix de l’électricité a bondi de 49 %, alors que l’inflation totale était de 13 %. Même si la baisse de 9 % du prix total annoncée par le gouvernement se matérialisait, la hausse du prix de l’électricité depuis le pré-Covid resterait de 35 % après la hausse des taxes. Ainsi, la hausse de taxes prévue par le gouvernement entérine et prolonge les prix anormalement élevés de l’énergie, ce qui aura un effet durable sur la consommation des ménages et sur les capacités d’investissement des entreprises.

Des coupes dans les services publics, les budgets sociaux et la transition écologique

À côté des mesures fiscales décrites ci-dessus, le gouvernement propose des coupes dans la dépense publique pour un montant de 12 milliards d’euros selon le HCFP, et jusqu’à 40 milliards d’euros selon Bercy (l’écart entre les deux chiffres suggère une présentation mensongère du budget par le ministère de l’Économie et des Finances)[36].

Parmi les principales mesures de réduction de dépenses, la restriction des dispositifs de subvention de l’apprentissage, les coupes dans les soins de ville remboursés par la Sécurité sociale, la hausse du nombre de jours de carence pour les fonctionnaires et la baisse de la prise en charge des arrêts maladie, ainsi que le report de six mois de l’indexation des pensions de retraite impliquant une baisse des pensions sur 6 mois. Le budget Barnier opère aussi des suppressions de postes dans l’Éducation nationale, des coupes budgétaires dans les dispositifs de soutien à la transition écologique (notamment en ce qui concerne la rénovation thermique des logements ou les primes pour l’acquisition de véhicules électriques), dans les crédits spécifiques pour les Outre-mer ou encore dans les achats des hôpitaux publics.

La diminution des aides à l’apprentissage est un aveu d’échec de la politique en matière d’emploi menée depuis 2017. La politique de soutien à l’apprentissage était en effet devenue, selon tous les rapports d’évaluation[37], un puits sans fond. Mal conçue, mal ciblée, elle servait de plus en plus à financer tous les acteurs de la chaîne, sauf les jeunes plus en difficulté[38]. Pour donner une idée, le nombre de jeunes hors formation et emploi est aujourd’hui plus élevé qu’au début des années 2000, malgré le million de postes d’apprentis créés.

Un ajustement budgétaire historique : la France sur le chemin de l’Italie ?

L’ampleur de la consolidation budgétaire[39] est excessive même par rapport aux nouvelles règles européennes[40]. La France est en effet placée, depuis le 26 juillet 2024, sous une nouvelle procédure de déficit excessif[41] en raison de l’incurie des derniers gouvernements. La consolidation, évaluée à 1,4 point de PIB[42], dépasse largement les exigences du pacte de stabilité et de croissance. Celui-ci n’aurait nécessité qu’un ajustement de 0,6 point de PIB cette année, pour lequel les seules mesures fiscales proposées auraient suffi. L’ajustement exigé par les règles européennes était donc déjà assuré par les mesures fiscales prévues par le gouvernement pour l’année 2025. En réalité, quelques mesures fiscales ciblées sur les ménages les plus riches et les grands groupes auraient à elles seules suffi. Le gouvernement se veut donc « plus royaliste que le roi ».

Ceci est d’autant plus problématique que fournir un effort majeur en début de procédure de déficit excessif ne relâche en rien les exigences pour le futur. En effet, vu le niveau de sa dette publique, la France devrait théoriquement maintenir des efforts importants pendant de longues années après la réduction de son déficit, d’après la nouvelle version du pacte de stabilité et de croissance adoptée en 2024. Le gouvernement, qui a pris des mesures opportunistes, notamment en ce qui concerne une partie de la hausse de la taxation de l’énergie au moment où les prix reculent, ne sera donc pas forcément gagnant à se montrer excessivement dur.

L’ampleur de l’austérité atteint des niveaux historiques. Si l’on mesure l’orientation de la politique budgétaire à travers la variation du solde structurel primaire[43], alors une consolidation de 1,4 point de PIB n’avait été observée en France que pendant la moitié des années 1990 (la consolidation pendant la période 1992-1996 était très forte) ou en sortie du pic du « quoi qu’il en coûte » en 2022 (voir figure 5).

Figure 5 : Variation du solde structurel primaire, en points de PIB potentiel

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Source : OCDE.

Si l’on compare l’ampleur de la consolidation proposée pour la France en 2025 par rapport à celle qui a eu lieu dans les pays du Sud pendant la crise de la zone euro, on peut constater qu’elle est supérieure à celle mise en place par l’Italie pendant la période 2010-2012[44].

Au cours de cette période, selon l’OCDE, l’Italie aurait fait une « consolidation budgétaire » annuelle de 1,1 point de PIB. Cela a conduit à une décennie entière de stagnation économique : 2012, 2013 et 2014 ont été des années de récession en Italie, et il aura fallu attendre 2024 pour que le PIB italien retrouve son niveau d’avant la crise de 2008. Le taux de chômage, lui, est monté jusqu’à atteindre 13 % de la population active en 2014 et n’a actuellement toujours pas retrouvé son niveau antérieur à la crise de 2008. Quant à la dette publique italienne, alors qu’elle s’élevait à 114 % du PIB en 2010, elle est aujourd’hui passée à 139 % du PIB.

L’Espagne, autre pays du Sud de la zone euro fortement affecté par la crise, a connu un ajustement supérieur (1,9 point de PIB par an pendant la crise de la zone euro). La Grèce, soumise à une politique particulièrement brutale, se distingue de tous ces pays (4,9 points par an), avec les conséquences dramatiques que l’on connaît. La baisse de 30 % des dépenses publiques y a provoqué une explosion du chômage, qui a atteint jusqu’à 28 %, avec la destruction d’un emploi sur cinq. Un tiers de la population grecque est tombé sous le seuil de pauvreté, notamment les retraités. Livrées à elles-mêmes, 1 million de personnes ont fui le pays, essentiellement les jeunes. Et pourtant, la dette n’a jamais cessé d’augmenter, sous l’effet de la diminution drastique de la consommation populaire et de la perte de recettes pour l’État[45].

Certes, la comparaison a ses limites, puisque les pays du Sud de la zone euro ont tardé à bénéficier de l’action modératrice de la Banque centrale européenne (BCE) sur leurs taux d’intérêt et ont connu une pression des marchés financiers et de la troïka[46] sans commune mesure avec ce que connaît la France actuellement.

Mais il reste une réalité : le gouvernement Barnier envisage un ajustement dont l’ordre de grandeur correspond aux plans imposés à l’Europe du Sud au début des années 2010. Et cela alors même que la situation financière française ne s’approche pas du tout de celle de ces États à cette période (niveau du taux sur sa dette souveraine bien plus faible, écart modéré entre les taux français et allemand).

Un grave coup porté à la croissance française

Selon les évaluations de l’OFCE, l’application du budget 2025 devrait amputer la croissance du PIB français de 0,8 point.

Les seules mesures qui ne contribuent pas à l’effet récessif de l’ajustement sont les mesures fiscales en direction des grands groupes et des ménages les plus aisés. En excluant la fin des mesures d’urgence passées, le multiplicateur serait à 0,7, selon l’OFCE[47]. Cela signifie qu’en moyenne, chaque euro de la consolidation budgétaire engagée par le budget 2025 réduirait l’activité de 70 centimes. Cela le situe à la limite du niveau auquel la consolidation budgétaire devient contre-productive du point de vue de ses propres objectifs car les pertes de recettes liées à l’effet récessif des mesures dépassent les économies réalisées par ailleurs[48]. Le plan d’austérité pourrait donc conduire à une aggravation du déficit et de l’endettement public.

Ainsi, pour le moment rien n’est gagné ni du point de vue de l’activité ou de l’emploi ni même du côté du rétablissement des comptes publics. Avec le retour de l’inflation à la cible de la BCE, il n’y aura pas de bouffée d’air du côté de la politique monétaire, c’est-à-dire pas de nouvelles baisses significatives des taux d’intérêt.

Conclusion

Les principaux voyants économiques tournent au rouge. La politique de soutien inconditionnel au capital n’a pas eu pour effet de redresser l’investissement des entreprises qui est en berne. Elle a simplement permis aux grandes entreprises de garder leurs marges intactes, malgré la baisse de la productivité.

Les résultats négatifs de cette stratégie de redressement des profits sous perfusion publique apparaissent désormais clairement : dégradation des comptes publics, sous-financement massif des services publics, baisse des salaires réels et une économie engluée dans une profonde dépression.

Le choix par le gouvernement d’un plan d’austérité d’une ampleur inédite risque d’aggraver très sérieusement ces tendances négatives, notamment en ce qui concerne la consommation des ménages et l’investissement des entreprises. Le projet de loi de finances prévoit en effet une cure d’austérité estimée à 1,4 point de PIB : davantage que l’Italie en 2010. Pourtant, les conséquences de tels plans sont bien connues, s’étant vérifiées partout, et notamment dans les États d’Europe du Sud dans les années 2010 : récession économique, hausse du chômage, et, faute de recettes, creusement du déficit public.

Politique de l’offre et austérité apparaissent ainsi clairement comme les deux faces d’une même pièce : celle d’un logiciel néolibéral qui a besoin, pour maintenir les profits, d’attaquer en profondeur les services publics en plus de la classe travailleuse.

C’est la double peine pour les catégories populaires : déjà durablement affectées par la baisse de leurs salaires réels du fait d’une inflation dopée par les profits, elles seront aussi les premières victimes des coupes budgétaires dans les services publics.

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23.10.2024 à 17:23

Des élites réactionnaires contre un peuple de gauche ?

Zoé Pebay
Alors que l’idée d’une droitisation généralisée de la société est omniprésente dans la parole médiatique et politique, l’ouvrage de Vincent Tiberj, La droitisation française. Mythe et réalités défend une toute autre thèse : non, les Français ne se sont pas droitisés. Ils sont même de plus en plus tolérants et alignés sur les valeurs de la gauche. En revanche, il y a bien une droitisation à l’œuvre dans la société : celle des élites politiques, intellectuelles et médiatiques. Si cette droitisation « par en haut » ne reflète pas les aspirations « d’en bas », elle se traduit pourtant dans une certaine mesure dans les urnes, avec la progression du Rassemblement national. C’est ce que Vincent Tiberj appelle le « paradoxe français », qu’il explique notamment par la prégnance de l’abstention et son inégale répartition dans la société.
Texte intégral (4697 mots)
Recension de l’ouvrage de Vincent Tiberj, La droitisation française. Mythe et réalités, Paris, Éditions PUF, septembre 2024.
Vincent Tiberj est professeur en sociologie politique à Sciences Po Bordeaux et chercheur au Centre Émile Durkheim depuis 2015. Il est spécialiste des comportements électoraux et politiques, notamment des valeurs et de l’immigration et fait partie de l’équipe de recherche qui travaille au « baromètre racisme » de la Commission nationale consultative des droits de l’Homme.

Les Français sont-ils devenus de droite ? Prenant le contrepied de l’ensemble du discours politique et médiatique ambiant, Vincent Tiberj réfute cette analyse simpliste et erronée des préférences culturelles et politiques françaises. Comme le montre le sociologue, le peuple français est même bien plus ouvert et tolérant qu’auparavant. Ce phénomène est encore accentué par l’élévation du niveau de diplôme. En revanche, il y a bien une droitisation à l’œuvre en France. C’est celle de la classe médiatique, intellectuelle et politique, qui épouse et tente d’imposer au reste de la France un agenda politique de plus en plus à droite : rétablissement de l’ordre et de l’autorité, rejet de l’immigration et du multiculturalisme, etc.

Cette droitisation « par le haut » est loin d’être le miroir parfait d’une évolution parallèle des aspirations populaires. Pourtant, elle s’observe aussi dans une certaine mesure dans les urnes, notamment avec la progression du Rassemblement national, constante jusqu’à son coup d’arrêt de juin 2024. L’ouvrage de Vincent Tiberj vise à expliquer ce paradoxe français, indiquant « en creux » des pistes pour le dépasser. Par quoi ce découplage est-il permis – et pour combien de temps – et que dit-il de notre système politique ? Le mouvement de droitisation de la classe politico-médiatique peut-il être renversé par un surgissement populaire des aspirations répandues à la tolérance et à l’égalité ?

Cette recension de l’Institut La Boétie revient, à partir des analyses et des conclusions de Vincent Tiberj, sur la distinction entre le phénomène fantasmé de droitisation « par le bas » et celui, bien réel, d’une droitisation « par le haut » ainsi que sur les conséquences d’un tel phénomène, pour mieux discerner quelles peuvent être les conditions d’une victoire des idées de la gauche.

« Je postule que la droitisation est simultanément une réalité, par en haut, et un mythe, par en bas. »

I) Non, le peuple français n’est pas de plus en plus de droite

Le peuple français n’est pas devenu de droite. Difficile à croire si l’on regarde l’immense quantité de sondages et d’enquêtes d’opinions commentés quotidiennement par la classe politico-médiatique pour présenter de manière artificielle une opinion publique nécessairement réactionnaire. Et pourtant, si l’on prend la peine, comme Vincent Tiberj, d’analyser sérieusement les différentes données d’opinion disponibles, le constat est sans appel : les Français sont tendanciellement plus alignés sur des valeurs et des demandes de gauche, tant sur les questions socio-économiques que culturelles.

C’est ce que montre l’évolution sur le temps long des trois « indices longitudinaux de préférences » mobilisés par Vincent Tiberj, qui agrègent les attitudes et croyances des Français dans trois champs : les questions socio-économiques, les questions culturelles, et la tolérance à l’égard de l’immigration et des minorités ethniques. Les deux moteurs principaux de cette nouvelle donne résident dans le renouvellement générationnel et l’élévation générale du niveau de diplôme depuis les années 1980.

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Graphique extrait du livre, page 47

Les préjugés sont résiduels : ils diminuent et changent de forme

Il y a d’abord une réduction massive des préjugés et une acceptation de plus en plus grande de la diversité culturelle : diversité d’origine, de religion, de genre, d’orientation sexuelle, etc. La tendance est à l’ouverture depuis 1980. Sur le temps long, on note à la fois que « le recul du racisme biologique est incontestable » et que « la tolérance pour les juifs a très fortement augmenté », explique Tiberj.

Les préjugés persistent bien sûr dans la société, mais ils se transforment. Ils passent ainsi d’une forme explicite et flagrante à une forme plus implicite, se déployant à visage couvert, en mobilisant des « principes » et des « valeurs » valorisées dans le débat public, tels que la laïcité, pour stigmatiser in fine des groupes de personnes. Vincent Tiberj montre par exemple l’existence d’un « cadrage musulman » de la diversité, qui « permet de cacher certains préjugés derrière les arguments républicains tout à fait légitimes et de diviser le camp antiraciste ». Dans un même temps donc, les préjugés reculent chez les Français en général mais trouvent toujours à s’exprimer, notamment dans les médias, à travers ces formes retravaillées politiquement, intellectuellement et médiatiquement pour les rendre plus acceptables.

Les questions socio-économiques continuent de polariser la société selon la classe sociale

Du point de vue des préférences économiques et sociales des Français, il n’y a pas non plus eu d’uniformisation en faveur du libéralisme. Malgré un discours néolibéral qui se propage de plus en plus – la dette ne serait plus soutenable, le niveau des prestations sociales et des services publics non plus, etc. –, les Français ne rêvent pas unanimement d’une politique de droite. Au contraire, la demande de redistribution et de services publics demeure élevée, et a même augmenté depuis 2016. Les préférences socio-économiques sont en fait toujours polarisées selon l’appartenance de classe et les intérêts sociaux. En 2024 encore, les ouvriers et les employés demandent de la redistribution, tandis que les cadres et les indépendants s’y opposent.

Bien sûr, les transformations du monde social ces dernières décennies ont entraîné une reconfiguration des rapports des citoyens à la politique et à l’économie : le travail et les formes d’emploi se sont précarisés et le recul du syndicalisme a entraîné la généralisation d’un discours individualisé sur les inégalités et un affaiblissement de la conscience de classe chez les couches populaires. Pour autant, contrairement à l’idée largement répandue, ces bouleversements n’ont pas endigué les aspirations des Français à plus de justice sociale et à des mesures économiques de gauche. Une illustration récente : en 2021, l’enquête Harris Interactive a testé les principales propositions de la France insoumise (retraite à 60 ans, augmentation du SMIC, réouverture massive de lits hospitaliers, etc.). Résultat : un soutien massif dans la population, avec entre 80 et 85 % des Français soutenant ces mesures économiques et sociales. Bien loin d’une droitisation généralisée donc.

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Manifestation contre la réforme des retraites le 15 mars 2023, Paris

II) La droitisation de la société s’opère « par le haut » – Un conservatisme d’atmosphère

Malgré une société plus ouverte, plus tolérante, et un libéralisme culturel en progression, la France est bel et bien le théâtre d’une progression des idées de droite et d’extrême droite. La cause de cet apparent paradoxe ? Le conservatisme d’atmosphère généré par une classe politique et médiatique de plus en plus (extrême-)droitisée, et qui réussit à imposer son propre cadrage du débat public. « C’est par les luttes pour l’agenda politique et par la manière dont on en parle sur la scène politique et médiatique que la droitisation s’impose », résume Vincent Tiberj.

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Marine Le Pen, Éric Zemmour et Jordan Bardella

La droitisation du champ politico-médiatique

Si les citoyens ne sont pas largement convertis à une vision de droite de la société, ce sont les élites politiques, intellectuelles et médiatiques françaises qui portent ce processus : d’où l’expression d’une « droitisation par le haut ». L’espace intellectuel et l’espace médiatique en particulier ont évolué de pair pour faire émerger de nouvelles voix de la droitisation en développant un terrain fertile. La nouveauté de notre époque ne réside pas dans les thèmes portés par la droite et l’extrême droite, mais dans leur prégnance et le caractère d’évidence qu’ils ont réussi à acquérir dans une grande partie de la scène politico-médiatique.

D’une part, les voix portant la droitisation se sont multipliées et ont réussi à imposer leur agenda. Les intellectuels conservateurs et de nouveaux éditorialistes d’(extrême) droite – Éric Zemmour, Eugénie Bastié, Geoffroy Lejeune, etc. – ont su manipuler la « fenêtre d’Overton »[1] à leur avantage et ont fait de leurs concepts des incontournables du débat public, y compris lorsqu’ils ne sont absolument pas partagés par les citoyens. C’est le cas de la théorie du « grand remplacement ». Un autre de ces mécanismes habiles consiste en la réappropriation et le dévoiement de certains concepts centraux du débat public, historiquement de gauche (République, laïcité, etc.) au service d’une mise au ban de l’islam et des musulmans.

D’autre part, la restructuration du champ médiatique et les nouvelles pratiques des citoyens ont facilité cette droitisation par le haut. La polarisation politique se retranscrit désormais dans l’offre médiatique, entraînant une fragmentation des audiences. Autrement dit, la multiplication des canaux d’informations (TNT, réseaux sociaux, etc.) rend désormais possible un phénomène de renforcement idéologique. La chaîne CNEWS en est l’exemple le plus emblématique. Les citoyens peuvent désormais s’informer uniquement par une chaîne qui ne les expose qu’à leurs propres idées, un phénomène renforcé par une montée en puissance des médias d’opinions qui ne s’embarrassent plus autant qu’auparavant du pluralisme et de la confrontation d’opinions.

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Figure 2.1. La politisation des publics des chaînes de télévision (page 97)

Un effet relatif sur les citoyens

La capacité de maîtriser l’agenda et le cadrage du débat public a des conséquences massives sur la vie politique française. Car si les médias ne disent pas toujours quoi penser, ils disent toujours, implicitement, à quoi penser et sous quel angle le penser. Par ailleurs, « ces dynamiques par en haut, dans les champs médiatique et intellectuel, ont des effets chez les citoyens, à la fois la cible de ces voix et la figure silencieuse de la légitimité de leurs arguments », explique Tiberj. Autrement dit, c’est toujours « les Français » et « l’opinion publique » que la classe politico-médiatique invoque pour justifier des angles et des sujets traités. Une prophétie autoréalisatrice des désirs de la société française.

Toutefois, cette influence des élites médiatiques et politiques droitisées sur les citoyens est à relativiser. Il n’y a pas de connexion directe entre la sphère médiatique et les Français. Les effets des messages médiatiques et de l’agenda politique sur les individus sont toujours relatifs, entrant en compétition avec d’autres acteurs et d’autres facteurs : manque d’attention, protection des réseaux amicaux et familiaux, filtre de valeurs, concurrence avec d’autres discours, etc. C’est d’autant plus le cas que l’autonomie de la pensée augmente avec l’élévation du niveau de diplôme.

Il n’y a donc pas de décalque automatique des préoccupations du « haut » de la société vers le « bas ». C’est la bonne nouvelle de Vincent Tiberj : les citoyens « résistent » à cette droitisation par le haut. Reste à savoir jusqu’à quel point et sous quelles conditions cette résistance peut perdurer. Quels outils sont les plus efficaces pour contrer l’infusion du discours médiatique dans les esprits ? Aux lecteurs de s’employer à les trouver. Mais l’analyse de Vincent Tiberj apporte un élément précieux à cet édifice : la construction de récits alternatifs des faits de société est possible, et peut, sous certaines conditions, réussir à concurrencer la doxa médiatique mainstream.

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Affiche d’Acrimed et VISA (Vigilance et initiatives syndicales antifascistes) “Médias et extrême droite : halte à la banalisation. Journée d’information et de débats”, Février 2022.

III) La « grande démission démocratique » ou comment les urnes ne reflètent plus les préférences des citoyens

Pourquoi, s’il y a seulement une droitisation de la sphère politico-médiatique et non pas des citoyens, les urnes se droitisent-elles ? Comment le Rassemblement national a-t-il pu arriver en tête du premier tour des élections législatives anticipées de 2024, après avoir recueilli 31,37 % des suffrages aux élections européennes du 9 juin ?

C’est précisément ce que Vincent Tiberj appelle le paradoxe français. Il l’explique simplement : les résultats électoraux reflètent de moins en moins les choix et les envies des citoyens car l’abstention est grandissante, et les choix politiques sont de plus en plus contraints.

La thèse de la droitisation ne prend pas en compte l’abstention

L’objection de Vincent Tiberj sur les processus électoraux est simple, mais puissante : il est impossible de conclure à une droitisation de la société française uniquement à partir des résultats électoraux quand l’abstention est aussi conséquente et significative qu’aujourd’hui. Les abstentionnistes ne sont pas des « sans avis » mais des « déçus », à la fois par l’offre politique, et par notre système représentatif : ils ont un avis, des valeurs, ils se positionnent. Or, ces « citoyens distants » sont de plus en plus nombreux, et ce notamment depuis les mandats de François Hollande et d’Emmanuel Macron.

Surtout, l’abstention est inégalement distribuée : elle est de plus en plus marquée chez les catégories populaires et chez les nouvelles générations (post-baby boom et millenials), laissant davantage de poids électoral aux boomers,aux cadres, aux fractions aisées,etc. soutenant rarement la redistribution et l’ouverture culturelle. Avec l’évolution démographique, ce mouvement est amené à s’amplifier, rendant les résultats des urnes toujours moins représentatifs de la population. De nombreuses catégories de la population vont voir leur poids démographique s’accentuer (par exemple, les employés nés en 1980, 1990 et 2000), mais leur poids électoral reculer, et vice versa. Les élus ont donc un problème croissant de représentativité et de légitimité ; et leur seule élection ne peut conduire à conclure à une droitisation généralisée.

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Évolution de l’abstention aux 1er tour des élections législatives de 1958 à 2022. © Visactu

Un écart de plus en plus grand entre les préférences socioculturelles des Français et le résultat des urnes : modifications du rapport au vote et dysfonctionnement du système représentatif

« S’il y a autant d’écart entre les valeurs des citoyens et les votes des électeurs, c’est que nombre d’entre eux ne s’expriment plus. Cette dimension, qui se manifeste à travers l’intermittence du vote et le refus de s’aligner face aux partis, fausse doublement les voix et donc les urnes. »

Au-delà de l’abstention, c’est aussi toute une transformation du rapport au vote des citoyens, et même une transformation de leur« culture civique », écrit Tiberj. Depuis 2002, le « vote négatif », « faute de mieux », s’est massivement développé. Tandis que les boomers conservent un lien stable au vote, le vote par intermittence se développe massivement chez les plus jeunes. Parmi les millenials, seuls 28 % des diplômés du supérieur ont un vote constant – soit le même niveau que les diplômés du primaire dans les générations de 1961-1981. Par ailleurs, le nombre de citoyens se considérant « non-alignés » à un parti politique explose : non par incompétence ou incompréhension du monde politique, mais par refus délibéré de prendre part à notre système représentatif jugé dysfonctionnel. C’est d’ailleurs sous le quinquennat Hollande que le découplage entre l’appartenance aux classes populaires et l’identification à la gauche partisane s’est accéléré.

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Graphique issu du livre, page 207

D’autre part, quand les citoyens votent, ils votent différemment qu’autrefois. Concernant les facteurs de vote, on est passé d’un système politique où le socio-économique domine, à un système dit des « deux axes », dans lequel les valeurs culturelles gagnent de l’importance, grâce à ce que Vincent Tiberj appelle une « politisation des valeurs », accentuée par le cadrage des campagnes électorales.

Sur les dernières élections en 2024, Vincent Tiberj montre également que la montée de l’extrême droite ne s’explique pas par de nouveaux succès auprès d’électeurs non positionnés ou positionnés à gauche, mais qu’elle est plutôt le fruit d’une « droitisation des électeurs de droite ». Ce sont les électeurs LR – et certains électeurs Ensemble – qui ont fait le choix direct ou indirect du Rassemblement national.

En résumé, la droitisation dans les urnes doit être largement relativisée : elle ne reflète l’avis que d’une partie des citoyens, qui expriment d’ailleurs cet avis de manière de plus en plus contrainte. Un peuple de gauche et des urnes de droite : c’est « une démocratie qui ne représente pas son propre peuple », conclut Vincent Tiberj.

 « La classe politique ressemble à une tête qui perd la connexion avec le reste du corps des citoyens. »

IV) Face à la droite d’en haut, quel espace pour la gauche d’en bas ?

Le constat est donc clair : il n’y a pas de droitisation des citoyens mais une droitisation des élites politiques, intellectuelles et médiatiques, qui ne se retrouve pas au sein de la population. Pourtant, aussi artificielle que soit cette droitisation, elle se reflète dans les urnes. La question, pour la gauche, reste alors de comprendre comment inverser cette tendance et dépasser ce paradoxe : comment traduire les majorités culturelles de la gauche dans la société française en majorité dans les institutions ? En cela, les analyses fournies par Tiberj sont essentielles pour penser les enjeux stratégiques actuels à gauche.

Au-delà des recommandations d’améliorations institutionnelles qu’esquisse Vincent Tiberj (développement de référendums, conventions citoyennes, etc.), son travail amène surtout à s’interroger sur les stratégies politiques en capacité de transformer la « gauchisation » de la société française en réelle mobilisation aboutissant à la mise en œuvre de politiques de rupture. Autrement dit, transcrire les valeurs majoritairement de gauche des citoyens en une majorité politique et électorale. Avant même la bataille électorale, la transmission de contre-récits pour ne pas laisser l’espace politique et médiatique aux mains de la droite apparaît essentielle. Il s’agit de comprendre comment utiliser les failles mises en avant par Vincent Tiberj (l’absence de transmission automatique des discours droitisés des médias envers les citoyens) pour transmettre plus efficacement un contre-récit politique de gauche. La description des mécanismes de résistance des individus, ancrés dans leurs relations sociales de proximité, au discours médiatique est une source d’inspiration pour le patient travail d’enracinement militant.

Électoralement, le principal enseignement des analyses de Vincent Tiberj est la nécessité de s’emparer pleinement de la question de l’abstention et d’en faire le cheval de bataille pour un (re)surgissement politique du peuple. Ses conclusions résonnent en ce sens avec les analyses récentes du politiste Tristan Haute, mais aussi avec la stratégie de la « conquête du quatrième bloc » théorisée par la France insoumise. Face à l’abstention, « la réponse de trop nombreux élus reste de “faire avec”, de se contenter de gagner des élections sans quorum de participation et d’attendre la prochaine présidentielle ». Pour gagner, la gauche doit au contraire tenter de « faire mieux » plutôt que de se contenter de « faire avec ». Si retourner la tendance de l’abstention n’est pas une mince affaire, elle est essentielle. La grande démission démocratique n’est « ni générale, ni inéluctable », souligne Tiberj.

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Porte-à-porte pour l’inscription sur les listes électorales, mai 2024

Il ressort aussi clairement de l’ouvrage, au vu des analyses avancées, que toute stratégie à gauche qui se fondrait sur la thèse erronée d’une droitisation des citoyens et tenterait d’y répondre – notamment par un ajustement programmatique ou discursif – serait condamnée à l’échec. Sans diagnostic clair, pas de traitement efficace : les valeurs de gauche sont majoritaires dans le pays, il s’agit de les convertir en vote ; et non de capitaliser sur des valeurs de droite minoritaires.

Loin des appels incantatoires, l’ouvrage de Vincent Tiberj nous enjoint plutôt à articuler une stratégie concrète et ambitieuse pour rendre la gauche majoritaire politiquement et électoralement.

« L’absence de droitisation par en bas n’aura plus beaucoup d’importance face à ce qui pourrait arriver au pouvoir. »
Pour aller plus loin :  

– TIBERJ, Vincent, Les citoyens qui viennent. Comment le renouvellement générationnel transforme la politique en France, Paris, Éditions PUF, 2017.  

– HAUTE, Tristan, « Élargir les bases socio-électorales de la gauche : nécessités, difficultés et incertitudes », Contretemps, octobre 2024.

– DÉZÉ, Alexandre, 10 leçons sur les sondages politiques, Louvain-la-Neuve, De Boeck Supérieur, 2022.

– BOURDIEU, Pierre, « L’opinion publique n’existe pas », Les Temps Modernes, janvier 1973, no 318, pp. 1292-1309.

– PERRENOT, Pauline, « Médias et extrême droite : de la banalisation à la promotion », dans Ugo PALHETA (dir.), Extrême droite : la résistible ascension, Paris, Éditions Amsterdam, 2024, pp. 189-202.

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