12.04.2025 à 10:00
Le journal d’Hélène Hoppenot, ambassadrice, diariste et photographe
Texte intégral (2041 mots)
Hélène Hoppenot a tenu son journal pendant cinquante ans sans que personne n’en ait lu une seule ligne. Il est donc bien personnel et secret, mais modérément intime : plutôt que ses états d’âme, elle est beaucoup plus encline à noter ses réactions à ce qu’elle voit autour d’elle, à ce qui la frappe, l’amuse ou l’indigne, à ces événements qui font l’histoire (la grande ou la petite), auxquels il lui arrive de participer et dont elle est, en tout cas, un témoin privilégié. Épouse d’Henri Hoppenot, diplomate, elle vit au rythme des soubresauts politiques des pays où son mari est en poste, avec en toile de fond les décisions plus ou moins pertinentes, à ses yeux, du Quai d’Orsay.
Tous les chemins mènent à Berne
Au début de ce quatrième volume, le 1er janvier 1945, Henri Hoppenot est sur le point de quitter Washington, où il est délégué du gouvernement provisoire de la République française. Satisfait d’avoir œuvré efficacement à la reconnaissance du gouvernement de Charles de Gaulle par un Roosevelt très réticent, il peut se tourner vers l’avenir : sa prochaine destination est la Suisse.
Un pays qu’il connaît bien : ce fut son premier poste à l’étranger, en 1917. Nommé au bureau de la presse de l’ambassade, il y dépouillait et analysait les journaux germanophones (suisses, allemands et autrichiens). Arrivé dans la capitale fédérale en janvier, il en était reparti six semaines plus tard pour Clermont-Ferrand, afin d’épouser Hélène Delacour. Le jeune couple était rentré à Berne en s’attardant un peu sur les bords du Léman, un modeste voyage de noces. Un an plus tard, il s’embarquait pour le Brésil, malgré les sous-marins allemands. À Rio, Hélène commence à écrire et Henri retrouve deux personnalités qu’il a croisées dans les salons littéraires parisiens : le ministre-poète Paul Claudel et son secrétaire-musicien Darius Milhaud. Les dix mois qu’ils passeront ensemble, entre diplomatie, poésie, musique, photographie et créativité débridée de Claudel, créeront des liens étroits entre eux, notamment avec Darius, qui restera l’ami le plus cher d’Henri et Hélène jusqu’à sa mort, 56 ans plus tard.
Les Hoppenot connaîtront ensuite une dizaine de résidences, dont un deuxième passage à Berne, de juillet 1931 à septembre 1933. Cette fois, Henri est conseiller d’ambassade et Hélène tient son journal, dans lequel elle déploie son art de la caricature aux dépens des diplomates, de leurs épouses et du petit monde qui gravite autour des légations. En temps de paix, la Suisse est un pays sans histoires. Henri s’y ennuie assez vite, même s’il y a un peu d’animation à Genève avec la Société des Nations. Hélène, fille de capitaine d’artillerie et profondément patriote, avoue pour sa part « n’éprouver que peu de respect pour cette docte assemblée où les mots sonores tiennent la place des idées ».
Ce relatif désœuvrement ne durera pas : en septembre 1933, le secrétaire général – Alexis Léger, Saint-John Perse en poésie – les envoie au paradis des diplomates, la Chine.
Ils reviennent à Paris en août 1937. Henri prend des responsabilités au Quai d’Orsay, et, quand la guerre se déclare, il tient le poste important de sous-directeur d’Europe.
Catalogué de gauche et par ailleurs très proche de Léger, bête noire des maréchalistes, des collaborationnistes et des vichystes, il est démis de ses fonctions en juin 1940 et expédié à Montevideo, le Limoges des diplomates. Il n’a guère d’estime pour le Maréchal, mais, fonctionnaire dévoué à la République, il sert le pays et en respecte les institutions jusqu’à ce que Vichy prenne des décisions éthiquement insoutenables. Il passera donc plus de deux ans en Uruguay, hésitant, tiraillé, torturé. Deux années de dilemmes.
Hélène, moins disciplinée, éprouve d’abord de la pitié pour le Maréchal, en qui elle voit un vieillard vulnérable, un « pauvre vieux velléitaire », mais très vite il lui fait horreur par les décisions abjectes qu’il prend ou laisse prendre. Elle piaffe d’impatience, désapprouvant mais respectant la fidélité paralysante d’Henri envers son pays. D'abord fidèle à la République, il finit par démissionner le 25 octobre 1942 et se met au service de la France libre, à New York. D’abord chef des services civils de la mission militaire, il sera nommé délégué du gouvernement provisoire de la République française – les Américains refusant que de Gaulle soit représenté par un ambassadeur en titre.
Longtemps partisan du général Giraud, Henri a gagné l’estime du général de Gaulle, qui le nomme à Berne, avec cette fois le titre (rare à l’époque) d’ambassadeur de France.
Ce qu’il faut de politique, et beaucoup de culture
Il arrive dans une capitale fédérale qui est l’épicentre de relations internationales complexes, où se règlent les comptes géopolitiques, économiques et financiers entre un pays neutre très soucieux de se faire respecter, qui ne cède jamais sur ses principes et négocie jusqu’au dernier dollar, et des Alliés dont les troupes se battent encore contre les quelques divisions restantes de l’armée allemande. Entre la prise de contact avec les autorités suisses et l’accueil terriblement émouvant des rescapées des camps nazis, dont beaucoup transitent par la Suisse, Henri Hoppenot va s’efforcer de revitaliser les relations franco-helvétiques dans tous les domaines, en commençant par régler les problèmes liés à la réparation des dommages subis par des Suisses en France et au blocage de fonds français en Suisse. Il lui faut aussi composer avec les vichystes, pétainistes, lavalistes et collaborationnistes de tout poil. Vis-à-vis de ceux que l’on nomme « les exilés du Léman », la France, où les blessures sont encore béantes, est divisée entre partisans d’une épuration radicale et réalistes souhaitant une réconciliation nationale. Sur le terrain, il n'est pas toujours facile pour Henri de trouver la bonne attitude ; d’autant que, parmi les réfugiés politiques, il y a d’anciens collègues, comme Jean Jardin ou Paul Morand.
Fort heureusement, les Suisses sont pragmatiques et dotés d’un remarquable bon sens. En dix-huit mois, les dossiers les plus sensibles ont été réglés, et la Confédération est revenue à sa dimension politique d’avant-guerre. Henri commence à s’ennuyer, malgré la présence à ses côtés de personnages hauts en couleur : Henri Guillemin, écrivain brillant et prolifique, critique remarquable toujours prêt à polémiquer, et le talentueux et fantasque Romain Gary. Le général de Gaulle avait promis à Henri Hoppenot une suite de carrière rapide dans un poste de haute responsabilité, mais il n’est plus aux affaires, et les politiciens qui tiennent le ministère des Affaires étrangères et la présidence du Conseil sont pour certains (au premier rang desquels l’incontournable Georges Bidault) farouchement antigaullistes.
Fidèle au général, Henri va donc prendre son mal en patience, et mettre son goût pour la littérature et les arts au service de la diplomatie culturelle, dans laquelle Hélène déploie tous ses talents. La plupart des grands écrivains et artistes français – ou travaillant en France – viennent parler, exposer, débattre en Suisse, et sont reçus à l’ambassade, où ils côtoient les intellectuels, artistes et dirigeants helvètes. Hélène est connue pour la qualité de ses réceptions et son habileté à composer des tables où l’on ne s’ennuie pas… Ces nombreuses visites lui donnent l’occasion de dizaines de portraits savoureux : « André Malraux, maigre et blafard, les yeux globuleux, cent pour cent cérébral. Les mots, les phrases se bousculent dans sa bouche, ses gestes saccadés se transforment en un feu d’artifice de tics, et la gymnastique mentale qu’il vous oblige à faire à sa suite vous laisse aussi courbatu qu’après une forte grippe. »
Hélène Hoppenot devient une professionnelle du Rolleiflex
Lors d’un déjeuner, Albert Skira, éditeur de livres d’art, s’enthousiasme pour des photos de Chine sur les murs de l’ambassade. Il est surpris de découvrir que l’auteur est la maîtresse de maison. C’est le début d’une véritable carrière de photographe pour Hélène, avec un chef-d’œuvre, Chine, préfacé par Paul Claudel. On suit dans son journal ses démêlés avec Skira, puis ceux, moins pittoresques, avec les deux autres éditeurs chez qui elle publiera, Ides et Calendes et La Guilde du livre. Puisant pour ses deux premiers livres dans les milliers de clichés qu’elle a rapportés d’Asie, Hélène devra par la suite faire quelques « expéditions photos », à Rome et en Tunisie, pour alimenter les albums suivants. Des voyages un peu particuliers : quand madame l’ambassadrice arrive dans un pays, ses amis diplomates et tous les collègues de son mari la reçoivent et ont à cœur de lui faciliter le travail. Un déploiement de bonne volonté qu’elle raconte avec son talent habituel… et ce qu’il faut d’autodérision.
Les Hoppenot collectionneurs d’art moderne
Quand elle ne reçoit pas la fine fleur des intellectuels français et ne voyage pas Rolleiflex au cou, Hélène se livre à une autre passion des Hoppenot : l’art. Acheteurs avisés, aux moyens limités mais au goût très sûr, ils ont rapporté de Perse et de Chine antiquités et tapis. À New York et en Suisse, ils constituent une belle collection d’art moderne dont la vente, après leur mort, sera un événement débordant le petit monde des marchands d’art et des ventes publiques : les médias généralistes comme Le Figaro ou Le Monde lui consacreront plusieurs articles. En Suisse, Hélène a vite fait la connaissance des principaux galeristes : Moos à Genève, Rosengart à Lucerne, et d’autres plus modestes à Zurich et à Berne, sans délaisser pour autant son amie Jeanne Bucher, à Paris.
Sept années de journal exceptionnellement riches et variées
Ce journal, qu’Hélène écrivait pour elle seule, et dont elle a fini par admettre, grâce à l’insistance d’Henri, qu’il pourrait peut-être, des décennies après sa mort, intéresser quelques historiens, se lit en fait fort bien. Le seul obstacle, pour le lecteur peu porté sur l’histoire, est qu’il contient des centaines de noms. Beaucoup sont connus, et pour les autres, des notes de bas de page et un index très complet permettent de s’y retrouver.
Hélène Hoppenot a deux atouts qui séduisent ses lecteurs : son regard auquel rien n’échappe, et surtout pas les aspects curieux, cocasses, ridicules ou émouvants des événements auxquels elle est mêlée, et son style à la fois direct, d’une belle tenue et servi par une langue riche et souple ne s’interdisant pas raccourcis et néologismes.
Ces qualités expliquent que le quatrième et dernier volume de son Journal (1945-1951) ait reçu le prix Clarens du journal intime, qui a été remis en mars 2025 à Claire Paulhan, son éditrice, à l’ambassade de Suisse à Paris.
07.04.2025 à 10:00
Canesi & Rahmani : le roman comme art de la compréhension
Texte intégral (1899 mots)
Quatre mains, mais une seule langue, captivante par sa sensibilité, généreuse par sa clarté. Des dialogues fluides et une construction romanesque subtile. Dans Les femmes de nos vies, Michel Canesi et Jamil Rahmani dessinent une passionnante quête d’amour au cœur du creuset humain unissant la France et l’Algérie. A travers le destin algérien et français de Mourad, c’est tant la complexité que la beauté d’un contact deux fois séculaires entre les deux rives de la Méditerranée qui se révèlent au lecteur. Certes, des moments de tension et de conflit traversent le roman, mais c’est surtout la joie de la rencontre qui l’emporte sur les passions tristes.
Homme en détresse, abîmé par une mélancolie profonde, les murs du réel s’effondrent sur l’anesthésiste algérois après le suicide de Nicolas, son compagnon. Se jugeant coupable, le goût de la vie déserte son horizon, il pense au suicide, mais un accident l’en empêche. Il frôle la mort. Et c’est au chevet de son lit d’hôpital que trois femmes se réunissent pour le sauver et lui réapprendre l’art de célébrer la vie. Une aventure romanesque tumultueuse, mais surtout une leçon de sororité et d’humanité qui défait les plus tenaces des préjugés et corrige l’indifférence du monde. Entretien avec Jamil Rahmani.
Nonfiction.fr : Vous publiez avec Michel Canesi Les femmes de nos vies, votre septième roman. Pour commencer, pouvez-vous nous exposer votre vision de l’écriture romanesque à quatre mains ?
Jamil Rahmani : Lorsque deux plumes s’unissent, elles conjuguent deux personnalités, deux passés, deux expériences et, si ceux qui les tiennent viennent des deux bords de la Méditerranée, cela donne une écriture hybride teintée d’Orient et d’Occident avec près d’un siècle et demi de souvenirs. On nous questionne souvent sur l’écriture à deux, sur notre façon de procéder. C’est assez simple : nous choisissons un thème, des personnages, un scenario et l’écriture démarre. J’écris quelques pages, les soumets à Michel qui les amende, les enrichit, de nouvelles idées surgissent et je réécris le texte. Nous progressons ainsi jusqu’à l’épilogue. Pour l’unité stylistique, j’écris mais le rendu est du Canesi & Rahmani, non du Rahmani. Nos thèmes favoris sont la tolérance, la diversité heureuse, le Nord et le Sud qui s’entremêlent, l’importance de la culture dans nos vies, la confusion des sentiments.
Votre roman est situé dans les années sida. Qu’est-ce qui a motivé le choix de cette temporalité romanesque ?
Notre premier roman Le Syndrome de Lazare, adapté au cinéma par André Téchiné (Les Témoins), traitait de l’émergence du sida à Paris dans les années 1980. Pour les jeunes médecins que nous étions, cette période a été très éprouvante. Michel était dermatologue, il voyait les patients atteints au tout début de leur maladie ; moi, en phase terminale, car j’étais réanimateur. Dans nos deux romans, nous avons voulu témoigner sur cette époque tragique qui a changé la société, on a tendance à l’oublier.
Dans l’espace occidental, l’amour entre deux personnes de même sexe a été perçu différemment à cause de cette pandémie. Des avancées considérables ont alors été possibles en termes de droit, d’insertion des minorités sexuelles. Avancées remises en question aujourd’hui ou tournées en dérision par des gouvernements rétrogrades et/ou fascisants partout dans le monde. Nous avons voulu rappeler dans Les femmes de nos vies à quel point la stigmatisation est affreuse, si affreuse qu’elle peut tuer.
Une culpabilité ravageuse habite Mourad, le personnage principal du roman, depuis sa jeunesse algéroise. Est-ce en raison du déni de son homosexualité ?
Oui bien sûr. Avoir une sexualité hors norme en terre d’islam est très dur à vivre. Toute sa jeunesse, Mourad a lutté contre. Il fallait qu’il soit en adéquation avec les valeurs religieuses, familiales et sociétales. On peut dire qu’il a passé la première partie de sa vie à mentir pour s’intégrer, à lui et aux autres. La culpabilité vient de ces mensonges, de ces faux-semblants. Mourad la ressent dès l’enfance, elle est son chien noir. Il lui doit sa mélancolie, sa déprime. À chaque drame, elle surgit et le fait trébucher.
Apprenant sa contamination par le sida, Nicolas, le compagnon de Mourad, mettra fin à ses jours. En quoi se suicide va-t-il chambouler la vie de ce dernier ?
C’est Nicolas qui a permis à Mourad de s’accepter tel qu’il est, qui a mis fin à la culpabilité ravageuse qui le rongeait. En le perdant, il perd un pilier essentiel. La découverte d’une ébauche de roman rédigé par Nicolas lui fait comprendre que son ami n’est pas mort accidentellement mais qu’il s’est suicidé se sachant atteint du sida. Il estime alors à tort ou à raison être responsable de son décès. Il culpabilise de n’avoir pas vu la détresse de son ami, de n’avoir pas su l’interroger, le réconforter et l’aider. D’être « L’ami qui ne lui a pas sauvé la vie ». Et le prix de ce qu’il considère être une trahison ne peut-être que la mort.
Habité par des pulsions suicidaires, un accident de moto empêchera Mourad de mener à terme le suicide qu’il préparait à domicile. Après l’accident, trois femmes aux parcours radicalement différents vont s’allier pour sauver Mourad de ses pulsions suicidaires, lui redonner le goût à la vie. Qui sont-elles ? Pourquoi ont-elles choisi de mener ce combat dans la maison chère à l’enfance de Mourad dans le Cantal ?
Malika est la mère de Mourad, algérienne d’Alger ; elle est profondément religieuse. Elena est son ancienne compagne. Suzanne est la mère de Nicolas ; originaire du Jura, elle est très attachée à sa foi catholique. Quand Mourad sort de l’hôpital, il est toujours dépressif. Le psychiatre qui le suit propose deux solutions, le placement en institution psychiatrique ou la prise en charge par le milieu familial. Après avoir longuement débattu, les trois femmes excluent l’hospitalisation en psychiatrie ou le retour en Algérie. Elles optent pour un séjour dans une maison du Cantal où Mourad a passé le plus bel été de son enfance, espérant que les souvenirs heureux le sortiront de sa déprime. Elles conjuguent leurs efforts et parviennent à le sauver. Ces trois femmes puissantes se lient d’amitié alors que tout les éloigne, la culture, l’âge, la religion, elles sont une ode à la tolérance, au dialogue.
Les dialogues sont construits avec finesse et restituent excellemment la sensibilité, la sincérité des échanges. Pouvez-vous nous expliquer ce qui différencie l’acceptation de l’homosexualité de Mourad et de Nicolas par Malika et Suzanne ?
La société maghrébine est la société des non-dits. Certains sujets sont tabous, on n’en parle jamais sauf sur le mode de la dérision. Malika comprend les penchants de Mourad, mais il lui est impossible de les verbaliser. Quand Elena demande au psychiatre de taire à Malika les orientations sexuelles de son fils, il a cette répartie très lucide : « Les mères quand elles aiment sont capable d’entendre l’inaudible. » Malika, par amour maternel, transcende les interdits de sa société et s’abstient de juger son fils. La société occidentale a beaucoup évolué au XXe siècle, surtout avec les années sida. Suzanne n’a pas la pudeur de Malika car les orientations sexuelles ont été dépénalisées dans les têtes et dans la loi. À l’instar de Malika, l’amour qu’elle voue à son fils abat toutes les barrières. À l’inverse de son amie algérienne, elle peut en parler librement car la société dans laquelle elle vit s’est humanisée.
Pouvez-vous nous dire ce que représente Elena pour Mourad et Nicolas ?
Elena est comme une sœur pour Nicolas et réciproquement. Mourad retrouve en Elena la sœur disparue (Inès) qu’il vénérait car elle l’avait compris. Elle a sa force, son élégance, et il espère qu’en vivant avec elle l’amour viendra. Quand Elena lui présente Nicolas, son meilleur ami, tout s’effondre et, meurtrie, victime d’une double peine, elle s’exile en province pour laisser le champ libre aux deux êtres les plus importants de sa vie. Elle retrouvera Mourad pour le sauver et s’affranchir d’un amour qui ne veut pas mourir. Comme l’héroïne de La Douleur de Marguerite Duras, elle y parviendra mais au prix d’un nouvel exil au Canada. « Je pars, lui écrit-elle de l’aérogare, et j’emmène une part de toi avec moi… »
Les scènes du roman se déroulent dans un va-et-vient aussi bien symbolique que matériel entre la France et l’Algérie. Quel sens accordez-vous à cette géographie littéraire ?
Michel et moi tentons depuis notre premier roman sur l’Algérie, Alger Sans Mozart, de rapprocher les deux berges de la Méditerranée. Malheureusement, malgré nos modestes efforts, elles s’éloignent d’année en année. La France et l’Algérie sont indéfectiblement liées par l’histoire, la géographie, le sang, les hommes, la langue. Il faut enjamber ce qui nous sépare pour tenter de retrouver de la sérénité dans nos rapports. Cela ne se fera pas sans la reconnaissance de la souffrance des uns et des autres. De nombreuses voix en France, jusqu’à tout récemment, louent les bienfaits de la colonisation. Qui oserait vanter les bienfaits de l’occupation Allemande ? Il ne saurait y avoir deux poids et deux mesures et la douleur des uns ne peut en aucun cas être inférieure à celle des autres. Les Français doivent reconnaitre que cette période de nos histoires croisées est l'une des plus sombres de la leur. Les Algériens doivent reconnaitre le drame qu’ont vécu ceux qui, en 1962, ont quitté l’Algérie. Ce n’est qu’à ce prix que les relations s’apaiseront. Dans Les femmes de nos vies, au travers de deux femmes que tout semble séparer, nous essayons de montrer la voie de la réconciliation et de l’amitié.