25.10.2024 à 19:23
Etat des lieux et questionnement sur le glissement sécuritaire en France post-JOP2024.
Kurteas
Texte intégral (2212 mots)
Fin août 2024 à Paris, sous prétexte de Jeux Olympiques, les gens ont été contraints de circuler avec instauration de QR codes juste pour se déplacer . Il y a eu une dissolution de l’Assemblée Nationale qui n’a rien donné. Rien. Il y a eu des élections, le pouvoir les a perdues, il est resté au pouvoir . La démocratie est malade, la maladie s’aggrave de jour en jour, et tout le monde le voit mais commente comme si elle était une connaissance pour laquelle on ne peut rien faire, car elle est atteinte d’une maladie incurable qui ne dépend pas de nous, mais au mieux de médecins que nous ne connaissons pas .
La politique institutionnelle est devenue un cirque. On le sait, on le voit. On en ricane sur les réseaux, pour montrer qu’on n’est pas dupes, pas du tout, qu’on voit exactement ce qu’il se passe. Mais que montre-t-on aussi en ricanant ? Que ce n’est pas si grave, que la vie continue presque normalement.
Et ce n’est pas nouveau, cela fait des années que la 5ème République agonise.
Mais comme tout corps politique mourant, il y a la tentation de se maintenir par la force.
Alors comment se maintient-on par la force dans une démocratie ?
Entre autres, en fabriquant un besoin d’autorité dans la population, une nécessité de rétablir l’ordre ou de l’assurer.
Mais pour cela, il faut que les gens aient peur, qu’ils aient peur de leur avenir, des “autres”.
Il faut que la police soit forte, capable de violence et aux ordres. Cela aura un double objectif, celui d’instiller la peur parmi les gens qui seraient contre le pouvoir en place (mais pas assez pour affronter cette police), et d’être assez forte pour mater ceux qui le défieraient.
Pour faire peur, il faut des épouvantails, des boucs émissaires, et donc la facilité fera porter le choix sur des minorités qui n’auront pas le nombre (ou la puissance médiatique) nécessaire pour vraiment s’opposer au pouvoir en place.
Pour la peur, on a vu les sujets et thèmes qui ont été choisis ces dernières années :
• « Les musulmans qui sont tous des terroristes », minorité très pratique puisque certains évènements (les attentats sur le sol français) ont pu accompagner la fabrique de cette peur. 2015 et 2016, accompagner et pas fabriquer directement, car les principales lois islamophobes, notamment celle de 2004 et de 2010, ont été votées SANS attentat sur le sol français. Les musulmans français étaient sommés de se désolidariser des terroristes , sinon… Sans parler de toute la mouvance d’extrême droite qui hurlait dans cette direction. De plus (voir plus bas), cela a permis de faire passer des lois sécuritaires sans précédent.
• Les migrants, qui sont au mieux la vague migratoire submersive, au pire des terroristes futurs. Ici par exemple un argumentaire de 2019 expliquant l’anti-immigrationnisme ;
• Les black blocs, qui sont des sortes de terroristes ;
• Les gilets jaunes, qui sont… des sortes de terroristes aussi ;
• Les militants écolos qui sont… bah des sortes de terroristes ;
• La gauche (LFI), nommée extrême-gauche, et porteuse de chaos, en dehors de l’arc républicain. Ici et ici .
Bien entendu, ces thèmes et ce récit voulus par le pouvoir sont relayés par les médias sans aucune retenue ni contrôle (voir le pauvre rôle de l’ARCOM face au groupe média Bolloré, par exemple qui a dû attendre l’aide du Conseil d’Etat pour se doter de moyens d’agir – et encore…- voir ici, ou les groupes d’enquêtes parlementaires ici).
C’est avec ce récit que le pouvoir a alors mis en avant LA solution à tous ces risques (jamais réellement étayés et encore moins mesurés dans le temps en termes d’efficacité), à savoir la policiarisation de la société.
Pour faire accepter la montée en puissance de la police, pour éviter tout rejet face à une violence croissante, il faut non seulement renforcer le mythe qu’elle est la seule réponse à ces risques source de peurs, mais aussi que les violences faites pour mater les opposants sont la résultante de causes extérieures. (cf Que fait la police de Paul Rocher chap I. L’emprise policière).
En parallèle des cibles désignées, il faut agir.
C’est pourquoi les effectifs et le matériel doivent augmenter.
Les effectifs policiers (gendarmes, police nationale et municipale) sont passés de 225.000 en 1996 à 280.000 en 2019. Dans la même échelle de temps, la dépense de l’Etat pour « services de police » a augmenté de +35% entre 1995 et 2019. Et ces 5 dernières années, les dépenses ont encore augmenté.
Pour le cadre juridique :
Loi Cazeneuve de 2017 : dite « permis de tuer » car est faite autorisation aux policiers d’ouvrir le feu pour refus d’obtempérer », ce qui deviendra la première raison évoquée lors des morts suivantes (la mort du jeune Nahel par exemple).
Loi anti-casseurs de 2019 : pour faire peur aux manifestants et aux Black Blocs.
L’antiterrorisme (source wikipedia) : la législation sur le terrorisme est apparue en France en 1986 et a été continuellement renforcée. Elle permet la prolongation de la garde à vue durant 120 heures, ou les perquisitions à toute heure, à la demande d’un magistrat19. Cette législation a encore évolué avec la promulgation de la loi relative au renseignement en 2015 et de la loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale en juin 2016 qui prévoit la possibilité de retenue administrative pour une durée maximum de quatre heures20. La loi de prorogation de l’état d’urgence de juillet 2016 signe notamment le retour de la « double peine » pour les terroristes de nationalité étrangère21. En 2017, la loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme introduit les assignations à résidence administratives, les perquisitions, après avis du juge des libertés et de la détention ainsi que les contrôles aux frontières ; ces mesures pouvant être prises exclusivement en prévention du terrorisme mais hors période d’état d’urgence22. En 2021, ces mesures sont pérennisées et complétées par la loi relative à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement23.
Le plan Vigipirate est activé depuis les attentats de 1995 avec une intensité variable et l’opération Sentinelle, opération militaire de protection des lieux sensibles est en cours depuis les attentats de janvier 2015.
À compter de novembre 2015, la prévention d’actes de terrorisme se décline en plusieurs autres dispositifs comme les contrôles aux frontières en application de l’article 25 du code frontières Schengen , prévus initialement du 13 novembre au 13 décembre 2015 dans le cadre de la réunion de la COP2124, ou encore l’autorisation des policiers à porter une arme en dehors de leur service25.
Ça c’est pour les moyens en constante progression, matériels, humains et judiciaires.
Les cibles, maintenant.
1- 2008, Affaire de Tarnac avec Julien Coupat :
Assez anecdotique par l’ampleur de la violence physique déployée (par rapport aux futures cibles), mais révélatrice de la volonté policière et étatique de faire passer ces gens pour « terroristes ». Nous restons persuadés que cet échec du pouvoir a été une base de réflexion pour le futur.
2- 2018 et 2023, Les gilets jaunes :
Dispositif policier hors norme (par exemple la BRI qui a pour mission de lutter contre la grande criminalité ou contre les terroristes sera envoyée intervenir). Dispositif pénal aussi, ayant pour objectif de démobiliser les gens, de faire peur (le passage en garde à vue de nombreux Gilets jaunes « pour des faits d’apparence anodine (la confection d’une banderole invitant à un pique-nique, à Nantes, par exemple) a beaucoup marqué les manifestants, qui avaient des casiers vierges pour la plupart », et « en a dissuadé beaucoup de continuer la lutte dans la rue »). Côté répression, l’Etat cède 2500 blessés côté manifestants, sans faire état de la gravité de ces blessures. Côté manifestants, on parle de 11 morts, 32 éborgnés et 5 mains arrachées (ici), minimum.
3- Les ZADistes : mort de Rémy Fraisse en 2014, nombre impressionnant d’armes utilisées. 2023 à Saintes Soline : 200 blessés dont 40 gravement + 2 personnes dans le coma. Suite à ça, Darmanin a annoncé vouloir dissoudre « Les Soulèvements de la Terre » et parle d’éco-terrorisme, sans aucun support juridique ni définition.
4- Les musulmans spécifiquement : cela a commencé massivement en 2015 et en 2016. Depuis, la répression n’a jamais cessé, sous forme de dissolutions arbitraires d’associations de lutte contre l’islamophobie, de nombreuses perquisitions, notamment en amont des JOP 2024.
5- Les citoyens “autres” : pour les JOP2024 : refus d’accréditation, permettant au ministre d’interdire à certaines personnes d’accéder aux Jeux selon des critères largement arbitraires, visant notamment « 131 personnes fichées S, 18 personnes fichées pour radicalisation islamiste, 167 personnes fichées à l’ultragauche et 80 à l’ultradroite ». Mais la répression ne s’arrête pas là : 164 perquisitions et 155 assignations à résidences administratives – appelées « mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance (Micas) ».
Il y a eu de nombreuses mises en cause et condamnations de l’Etat français par la justice et l’ONU et des organismes défendant les droits de l’homme, sans aucun effet ni remise en question (les contrôles au facies en 2014 et 2016, la CEDH pour 2010, et pour 1999 pour torture, l’ONU, le Conseil de l’Europe, il y en a certainement d’autres) ni de la part de l’institution, ni de la part des citoyens, rien.
Alors se pose la question suivante :
Qui sera la prochaine cible si rien n’est fait ? Sachant que rien n’est fait pour les musulmans de la part d’aucun bord politique (normal, même à « gauche », ils sont concernés par le maintien au pouvoir de l’ordre établi, quand ce n’est pas une inaction directement dictée par une islamophobie largement partagée à travers le spectre politique français).
Sachant que pas grand-chose n’est fait pour les écologistes , sauf ponctuellement quand on en vient à une dissolution.
Sachant que pas grand monde n’a fait quelque chose contre la répression anti-Gilets Jaunes.
Chaque partie de notre société qu’on abandonne aux violences étatiques, c’est un peu de nous qu’on abandonne. Et cela nous affaiblit dès à présent et encore plus pour le futur.
Pour aller plus loin, quelques pistes de réflexion (parmi tant d’autres) :
- Que fait la police ? (et comment s’en passer) de Paul Rocher – La fabrique éditions (2020)
- Un pays qui se tient sage – documentaire de David Dufresne (2020) : bande annonce ici
- Tarnac – Magasin général de David Dufresne – Edition Poche pluriel / Fayard (2018)
- Relax – documentaire d’Audrey Ginestet (2023)
- Wiki sur les violences policières : https://fr.wikipedia.org/wiki/Violence_polici%C3%A8re_en_France#
- France. Des policiers au-dessus des lois, de Amnesty International (2009) ici
- L’ordre et la force de l’Action des Chrétiens pour l’abolition de la torture ici
- La domination policière – Mathieu Rigouste – Editions la Fabrique (2021) ici
23.09.2024 à 18:20
Solidaires d’Elias d’Imzalene, pour une intensification de la résistance politique au génocide en Palestine
Lignes de Crêtes
Texte intégral (1236 mots)
La convocation policière d’Elias d’Imzalene ce mardi 24 septembre s’inscrit dans la suite de dix mois de privation grandissante des libertés politiques en France.
Le mouvement contre le génocide en Palestine a été soumis à un régime d’exception dès octobre 2023: la France a été un des seuls pays à interdire d’emblée toute manifestation de solidarité avec les Palestiniens pendant plusieurs semaines, jusqu’à ce que ce diktat soit brisé par des décisions judiciaires.
Depuis, le droit de manifester et de s’exprimer pour que cesse le massacre des Palestiniens, commis avec une intention génocidaire clairement énoncée dès octobre par les plus hauts responsables israéliens, fait l’objet d’ offensives permanentes et coordonnées de l’extrême droite française, des réseaux de propagande du gouvernement israélien en France et du gouvernement français. Ce dernier n’a aucune honte à obéir ouvertement aux campagnes délatrices des caniveaux fascistes contre tel ou telle activiste.
Elias d’Imzalene , aujourd’hui visé par le Ministère de l’Intérieur est en effet la cible continue de menaces de mort venues de groupes islamophobes violents assumant leur volonté de commettre des attaques armées, comme le groupe Frdeter dont aucun des membres n’a été inquiété pour les menaces contre Elias d’Imzalene et sa famille. Comme d’autres activistes pour la Palestine, il a également fait l’objet d’une campagne de presse diffamatoire particulièrement violente de la part de Livre Noir, officine zemmouriste tenue par des requins blancs islamophobes et ultra-libéraux. Parmi leurs invités officiels figure notamment Daniel Conversano, néo-nazi assumé et petite star de la mouvance suprémaciste blanche depuis une décennie pour ses prises de positions particulièrement répugnantes qu’il énonce en toute impunité. Ces offensives d’extrême droite ont néanmoins le mérite d’assumer leur objectif : la destruction de la communauté musulmane par tous les moyens nécessaires, la perpétuation de la logique génocidaire et coloniale à l’œuvre en Palestine mais qui est aussi le rêve de beaucoup en Europe.
Le gouvernement est plus hypocrite et procède à une inversion victimaire perpétuelle pour justifier la répression.
Les activistes musulmans pour la Palestine, cibles de la haine islamophobe, propageraient selon lui la violence contre la communauté juive. Presque un an de manifestations a montré que ce n’était pas le cas, et que les appels à l’insurrection des consciences et des énergies pour faire cesser le génocide ne débouchaient sur aucune action de masse contre la communauté juive pendant ces manifestations.
Bien au contraire, la vigilance contre les mouvances et les discours antisémites venus de l’extrême droite ( vigilance exercée notamment par des activistes expérimentés comme Elias d’Imzalene qui a multiplié les initiatives contre l’antisémitisme avec des collectifs investis sur cette lutte ces dernières années ) ont permis comme partout dans le monde la participation massive et paisible d’une partie grandissante des communautés juives à la pointe de la résistance antifasciste contre Netanyahu et ses alliés.
Elias d’Imzalene est également accusé de porter gravement atteinte aux intérêts de la Nation Française en se mobilisant contre la politique génocidaire de l’état israélien : c’est un droit de le penser, néanmoins d’autres ont le droit de penser et de dire que le soutien macroniste au gouvernement israélien, condamné par les institutions de la communauté internationale, bientôt devant la CPI pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité, objet de la réprobation morale de milliards d’êtres humains sur toute la planète, ne rend pas service à la France et aux Français pour leur place future dans le concert des Nations.
Mais il ne s’agit pas de débat démocratique, car le gouvernement français s’assoit sur la démocratie dans tous les domaines . Et les musulmans sont depuis des années les premiers à être privés de leurs droits politiques. Cette privation est toujours accompagnée d’un narratif déshumanisant visant à banaliser une traque abjecte et pathétique, notamment dans un pays où beaucoup de médias sont détenus par un milliardaire qui ne cache pas sa mobilisation active pour mettre le RN au pouvoir : si Elias d’Imzalene n’était pas musulman, il aurait eu au moins droit à quelques lignes de réponse , à quelques invitations dans les médias qui l’ont attaqué pendant des jours. Traité de terroriste sans avoir jamais été inquiété judicairement, il est privé en permanence de tout droit à la défense dans l’espace public.
Nous appelons donc à participer à la solidarité contre l’offensive qui le frappe, et qui n’est malheureusement qu’une manifestation de la tentative d’étouffement du mouvement contre le génocide et de l’islamophobie ambiante : cet été des milliers de personnes ont été frappées par une vague de perquisitions , dont certaines se sont traduites par des assignations à résidence. Des anonymes qui ont simplement exprimé leur soutien à la résistance du peuple palestiniens sur les réseaux sont en prison, et il est encore impossible de quantifier le nombre de vies qui ont été brisées par la violence pathogène actuellement à l’œuvre dans un pays dévoré par ses vieux démons racistes. Chaque jour les milices virtuelles des extrême droites française et israélienne ciblent des militants et militantes, les harcèlent en masse, tentent d’obtenir leur licenciement et leur mort sociale. En, toute impunité .
Cette violence n’est cependant rien comparée à un seul jour de bombardement à Gaza, à une seule heure de torture dans les prisons et les petits Guantanamo ouverts par Israël. En France comme partout dans le monde, toute une génération l’a compris et se bat pour la justice universelle. C’est tout naturellement qu’elle s’identifie à la jeunesse palestinienne et nomme son combat Intifada , même en Occident. Aucune intimidation individuelle, aussi injuste soit elle ne peut faire taire des millions de voix.
Solidarité inconditionnelle avec Elias d’Imzalene .
Pour rejoindre les initiatives de solidarité, nous vous invitons à vous abonner sur les comptés dédiés qui relaieront une bataille qui s’annonce unitaire et massive.
Des comptes ont été crées sur les réseaux sociaux. Vous pouvez dès maintenant les partager et interagir afin de faire monter la visibilité.
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22.09.2024 à 18:21
Retailleau comme une cérémonie de clôture des JO, démocratie de façade vaincue par KO.
Nadia Meziane
Texte intégral (2250 mots)
A un moment, il fallait bien que finisse le cirque macroniste, la farce progressiste estivale certes utile pour endormir la gauche après un coup de force, pour susciter une douce torpeur festive, à la rentrée on verra, Lucie sera là.
Non, finalement ce sera Jeanne d’Arc. Macron n’a pas fait de dissolution pour amener la gauche au pouvoir, mais pour éviter que Marine Le Pen prenne sa place en 2027. Et une des solutions pour cela, c’est essayer de lui opposer un ersatz de Le Pen père.
Juste après les élections, c’était difficile. Le mouvement contre le génocide en Palestine perdurait malgré les évacuations d’universités et les musulmans en étaient les leaders non contestés par la jeunesse. La masse de la gauche sociale s’était mobilisée dans les urnes et avait retrouvé un peu d’espoir en se comptant, après l’écrasement par la force du mouvement des retraites et la violence terrifiante contre les jeunes écologistes, déployée à Sainte Soline et ensuite. Malgré les manœuvres des islamophobes de gauche qui voient dans LFI la structure à détruire pour pouvoir définitivement isoler les musulmans de toute alliance politique, LFI avait gardé sa place centrale pas seulement en nombre de sièges à l’Assemblée Nationale mais surtout en termes de moteur idéologique positif pour une partie des classes populaires.
Il fallait donc jouer sur deux plans pour neutraliser une offensive immédiate qui pouvait amener le NFP à une conquête au moins partielle du pouvoir.
D’abord, le cirque sociétal. Celui qui ne coute rien qu’un paquet de fric pour une cérémonie : convoquer quelques artistes, faire un son et Lumières suffisamment kitsch pour sembler révolutionnaire à des cinquantenaires pour qui mai 68 se résume à des filles torse nu en manif et à une orgie libérale. A l’heure du règne de l’instantané et de l’image, quelques drag queens , une chanteuse racisée et des DJ non binaires suffisent à faire oublier à une part de l’opinion de gauche, qu’avec l’argent des JO, on aurait pu rouvrir des services gynécologiques, des maternités de proximité, des permanences pour les victimes de violences sexuelles et de genre, financer des hébergements pour des mères isolées à la rue avec leurs enfants.
Le progressisme de série Netflix comme ersatz de politique féministe et inclusive a toujours réussi au macronisme
L’espace de quelques semaines, les communicants du pouvoir ont donc réussi à imposer une polarisation factice : tous ensemble contre l’extrême droite chrétienne et réactionnaire qui n’a pas apprécié que l’on touche à ses valeurs.
En réalité, ce furent surtout des loosers définitivement à l’écart de la vie politique française qui s’indignèrent :Christine Boutin depuis longtemps à la retraite sauf sur X, des traditionnalistes de base qui ne savent pas jouer tactique. On peut y ajouter les zemmouristes que le RN a cantonnés au rôle d’agitateurs de soupe fasciste, utiles pour entretenir la colère populiste de la base et la détourner de la tentation de rallier la droite dure, mais tenus à l’écart de la prise de pouvoir institutionnelle.
En revanche la fausse polarisation eut un effet majeur : conforter un narratif totalement déconnecté du réel immédiat, c’est à dire une offensive d’extrême droite menée en toute impunité par un gouvernement censé être démissionnaire au nom de la protection de JO censés incarner le progressisme français.
La trêve olympique pour les uns , l’amplification de la violence islamophobe pour les autres
Les JO ont ouvert une phase de violence sans précédent contre la communauté musulmane : sans précédent parce que ne s’appuyant pas même sur le prétexte d’attentats déjà commis. La vague de perquisitions et de MICAS lancée par Gérald Darmanin était l’avant-goût de ce qui nous attend maintenant: la répression ‘anti-terroriste préventive” comme gouvernance contre la communauté musulmane dans un premier temps, contre toutes les autres oppositions ensuite. L’extension du domaine de ce type de répression a déjà commencé avec les inculpations pour apologie du terrorisme réalisées même contre des députés de gauche.
Cette violence islamophobe n’a créé aucune polarisation antifasciste d’ampleur. Or l’islamophobie n’est pas une diversion mais le cœur battant du régime, son centre idéologique et névralgique d’où jaillissent mille arborescences qui enserrent ensuite aussi ce qui reste des libertés publiques pour tous.
Dans ces conditions, forcément, le macronisme n’a trouvé aucune opposition suffisamment structurée en face de lui. Seulement un vasouillage impuissant , une unité de façade qui s’est brisée très rapidement. Et ce alors même que l’offensive islamophobe de gauche pour détruire LFI trouvait un visage et une voix, celle de François Ruffin dont le discours antisystème raciste a au moins le mérite de la simplicité et de l’accessibilité. Cet état de faiblesse et de désorientation de la gauche, couplé à la nécessité pour la communauté musulmane activiste de faire face quasi seule à une répression féroce, n’a pas permis d’offensive coordonnée et mobilisatrice pour mettre à nu un régime contesté de toutes parts.
C’est donc la part fasciste qui a remporté la manche.
La dernière phase du macronisme sera déjà celle de l’extrême droite au pouvoir. Avec le meilleur déni du monde, il sera désormais impossible de se raconter des fables. D’abord évidemment à cause de Retailleau. Retailleau n’est même pas Darmanin, tentant de dépasser le Pen fille sur sa droite. Retailleau est un Le Pen père, mais un Le Pen Père ayant déjà l’expérience des responsabilités politiques au moins locales . Retailleau est l’archétype du Vendéen revanchard et solide, formé et adoubé par Philippe de Villiers, le partisan affiché de la guerre civilisationnelle. Retailleau à l’intérieur, c’est la fin de la farce laïque, l’avènement de la Croisade assumée La décapitation pour rire de Marie Antoinette aux JO, c’était un gadget pour gogos républicanistes vulgaires à fantasmes sexistes violents. Place à Retailleau, l’homme du Puy du Fou, l’attraction royaliste installée depuis des décennies.
Le proche de SOS Chrétiens d’Orient n’est pas le Jean Marie Le Pen des années soraliennes, mais celui d’avant, celui d’une vision idéologique un peu oubliée, le néo-reaganisme. C’est-à-dire le soutien affiché aux Etats Unis en guerre contre le communisme: le Jean Marie Le Pen des années 80, chantre assumé de Vichy, trouvait très peu de mérite aux Juifs mais une certaine utilité à Israël comme avant-poste de la guerre contre les arabes .
Cela ne signifie donc pas que le macronisme avec Retailleau aux commandes renoncera à sa petite musique antisémite traditionnelle, bien au contraire. La réhabilitation de Vichy, celle de Maurras ou de Barrès sont nécessaires à la puissance du nationalisme français éradicateur. Le schéma directeur islamophobe doit pouvoir s’appuyer sur un narratif historique familier, celui de l’Ennemi Intérieur , de l’Agent corrupteur, bref sur le schéma classique de l’antisémitisme réutilisable contre les musulmans. Ce sera d’autant plus facile que dans les cercles officiellement adoubés de la lutte contre l’antisémitisme, on n’en est plus seulement à accepter Bardella dans les manifs: comme Sfar, on se paye le luxe de déterrer Céline.
De surcroit, dans sa phase finale, le macronisme aux abois ne peut plus être faussement laïque : depuis 20 ans, la laïcité est une coquille vide remplie uniquement par l’islamophobie, elle n’a jamais intéressé personne en tant que modèle de société éventuellement positif c’est-à-dire fondé sur la défense des services publics forts. A l’inverse, elle a été invoquée durant deux décennies marquées par la destruction de l’Etat providence, c’est-à-dire celle de toutes ses structures hors régalien.
Le prétendu état laïque est celui de la privatisation absolue du bien public, de la ruine du secteur éducatif au profit des écoles privées , sauf les écoles musulmanes. Lorsque l’islamophobe laïque nous accuse de taqya collective et de double discours , il parle de lui , qui invoque les Lumières pour replonger le pays dans l’Ombre de l’absolutisme, où le seul soleil brille à Versailles pour le clergé et la noblesse, pendant que le peuple doit financer la guerre perpétuelle et qu’on persécute les minorités pensantes . Il était donc logique que le discours laïciste hypocrite entretenu aussi à gauche par les plus libéraux économiquement, ceux qui ont multiplié les lois antisociales sous Mitterrand , sous Jospin et sous Hollande doive au moment crucial , céder sa place à un narratif historique plus mobilisateur, celui de la Chrétienté agressive, de la Croisade islamophobe offerte aux pauvres comme seule vengeance et dignité possible face à un destin misérable au quotidien .
Les projets islamophobes pour la période sont en effet tout à fait clairs : exclure les musulmans de l’enseignement supérieur et des postes de cadres, cibler ceux qui exercent des professions libérales, comme en témoigne l’offensive actuelle contre les « avocats fréristes ».
La communauté musulmane ayant retrouvé sa capacité à se mobiliser, face à sa jeunesse, il faudra aussi réactiver et amplifier le logiciel antiterroriste et plus seulement celui de la loi Séparatisme. La vague islamophobe de cet été l’a annoncé, il s’agit d’assigner à résidence les militants, d’interdire toute prise de parole politique libre en la criminalisant : c’est le sens des offensives qui se généralisent contre les activistes les plus appréciés dans la communauté mais qui ont aussi fait le choix ces dernières années de travailler avec d’autres forces politiques, ce qui a fait toute la puissance du mouvement contre le génocide en Palestine. D’Abdourahmane Ridouane (1) à Elias d’Imzalene (2), les hommes qui sont visés par la répression médiatisée en ce mois de septembre 2024 incarnent tout simplement la composante directrice du front antifasciste possible avec la gauche révolutionnaire.
Il faut bien dire le mot “révolution” , très sérieusement cette fois. Donc forcément en arabe, la révolution ne se fait jamais dans un seul pays: Intifada contre le fascisme et le Capital , c’est le nom du seul Rêve réaliste pour échapper aux Cauchemar fasciste.
C’est un vœu pieux, mais face à l’apparente hégémonie fasciste, la Foi sincère est de toute façon nécessaire pour résister à la Croisade. Paradoxalement, c’est aussi un appel au calme ,à l’insurrection des consciences , au combat raisonné pour la justice universelle face aux hurlements nihilistes et chaotiques des fascistes uniquement capables de proposer aux masses l’ivresse du Sang versé, jusqu’au génocide pour oublier l’enjeu terrible du Temps présent. C’est à dire la nécessité de sauver la Planète d’un mode de production mortifère qui menace l’espèce humaine dans son ensemble.
(1)France. Pessac, cas d’école de l’acharnement islamophobe de l’État – Rayan Freschi (orientxxi.info)
(2) Sur l’offensive visant à criminaliser l’emploi du mot intifada dans les manifestations pour la Palestine, (1) Perspectives Musulmanes sur X : “Communiqué de soutien à notre frère Elias d’Imzalène cible d’une vague d’attaques islamophobes et pro-impérialistes de la part de certains médias français et d’une grande partie de la classe politique française.
29.07.2024 à 17:28
Perquisitions et répression islamophobe: de la terreur psychologique comme discipline olympique
Nadia Meziane
Texte intégral (4508 mots)
Il y a quelques mois, comme désormais mon entourage est au courant de ma « radicalisation » supposée, un ami d’enfance m’a brusquement parlé d’une personne qui avait subi une perquisition en 2015. Il s’agissait d’un livreur Uber qui connaissait quelqu’un qui connaissait quelqu’un qui connaissait quelqu’un fiché comme « islamiste ». Je n’ai pas demandé de détails car les perquisitions préventives et leurs motifs sont absurdes et inutiles à décrypter sauf pour les avocats éventuels . D’ailleurs cet homme, musulman, faut-il le préciser, a été relâché après 48 heures de garde à vue. Mais aussi après qu’on eut fracassé sa porte à six heures du matin, qu’on l’ait braqué en hurlant, et qu’on lui ait mis une lumière « bleue « dans les yeux. Mon ami pensait que c’était plutôt une lumière rouge de viseur, mais nous avons conclu que cette hypothèse était peut-être liée au fait que nous avions vu beaucoup de films américains. Ce sujet de la couleur de la lumière, de l’altération de la perception des choses dans les moments de crise est revenu plusieurs fois dans les discussions sur cette histoire : je crois que cela permettait de meubler les silences et la gêne entre nous, qui nous connaissions depuis le collège, et qui ne parlions jamais de politique ensemble. Et brusquement les présumés « terroristes », ce truc de la télé de nos enfances, c’était presque nous, des amis à nous.
La personne perquisitionnée n’a pas pu sortir de chez elle pendant des semaines après cela, même pas pour acheter du pain et ce symptôme se répète depuis.
Depuis 2015.
Elle a perdu son emploi, sa compagne, son logement originel. Elle n’a pas vu de psychologue, n’a pas tenté d’obtenir réparation, n’a pas redémarré le moindre projet, n’a pas pris contact avec une association communautaire ou autre. Elle ne veut pas parler de ça, a refusé de me rencontrer. De l’extérieur, c’est simplement un Rsaste musulman, et je me demande comment il va faire pour aller faire quinze heures de travail gratuit et obligatoire, désormais imposé par les macronistes. Je pense très sincèrement qu’il ne le fera pas, et qu’il finira SDF et que personne ne saura plus jamais pourquoi.
Actuellement, une nouvelle vague de perquisitions et d’assignations à résidence préventives a lieu (1). Depuis un mois et demi. Je la vis de manière différente car je connais quelques personnes concernées ou éventuellement concernées dont une avec qui je suis en contact quotidien. Evidemment, ce que je vis est anodin à côté de ce qu’il vit lui, néanmoins cela a impacté mon état psychologique et physique.
Les symptômes précis n’ont aucune aucune importance en soi, ni aucune originalité globale. Sur une militante de base moyennement performante en temps normal, la seule chose à noter, c’est que cela invalide partiellement ma capacité à militer, à hauteur de 70 pour cent environ, depuis plusieurs semaines. Cela fait évidemment partie des objectifs de masse d’une telle opération.
Il s’agit seulement de la manifestation individuelle de la destruction psychologique massive que personne n’évaluera. Combien d’hommes, de femmes, d’adolescents et d’enfants musulmans vont être impactés par cette nouvelle offensive, en plus des personnes directement visées par les mesures iniques et antidémocratiques du gouvernement ?
Réponse : on ne pourra jamais le savoir exactement, pour plusieurs raisons.
Un, les dispositifs de signalement et de délation institutionnelles génèrent des phénomènes de non-recours aux soins psychologiques. La plupart des gens qui ont des personnes ciblées comme « islamistes » dans leur entourage ne le crient pas sur les toits. Leur souffrance psychique fait partie des choses à dissimuler au travail, dans la vie quotidienne, et aussi par exemple aux enfants de notre entourage, qui évidemment seraient en danger s’ils parlaient de la situation en milieu scolaire. Dans ces conditions, l’idée d’aller voir un professionnel de santé paraît absurde, d’autant que les “professionnels” ne sont pas neutres (2), et qu’il est difficile de savoir quelle sera la réaction face à un ” Je fais des cauchemars parce que j’ai peur que mon entourage islamiste se fasse éclater sa porte à six heures du matin”. On peut imaginer qu’elle ne sera pas forcément safe et dans le care, c’est certain, tout le monde n’a pas la chance de faire des cauchemars féministes psychologiquement corrects . Et au fond la question de l’utilité de ce recours à des soins se pose, car l’état de détresse psychologique généré par l’islamophobie d’état n’est pas une pathologie ex nihilo, et l’islamophobie d’état ne s’arrêtant jamais, quelle guérison espérer de toute façon ?
Deux, pour être reconnu comme victime, il ne faut pas être vu socialement comme un bourreau ou un complice des bourreaux . Or, en France, même à gauche, on a beaucoup de mal à dépasser l’autosatisfaction prétendument humaniste consistant à reconnaître uniquement les formes les plus violentes de l’islamophobie, par exemple des agressions physiques commises de préférence par l’extrême droite, et de préférence également contre des musulmans certifiés totalement innocents selon les critères de gauche .
Ce ne sont évidemment pas des critères objectifs: par exemple, si l’on s’intéresse au sujet de la violence politique, celle-ci peut être parfaitement acceptée pour certains mouvements internationaux comme les mouvements kurdes, déclarés “résistants” d’emblée , jamais pour d’autres, pour lesquels il n’y a pas la moindre empathie. A gauche la défense des prisonniers politiques notamment contre les QHS et la torture blanche de l’isolement est une tradition existante, même si contestée et débattue.
Mais lorsque l’état désigne des personnes comme « islamistes » , « radicalisées » et qu’il sort pour ce faire des fichiers qu’il a lui-même arbitrairement remplis, lorsque le mot « terrorisme « est prononcé, même sans aucun recours à l’accusation d’actes concrets éventuellement commis, la qualité de victime potentielle disparaît même pour des agressions étatiques extrêmement violentes. Par conséquent, bien que 99 pour cent des personnes perquisitionnées en 2015 n’aient fait l’objet d’aucune poursuite, non seulement ce scandale n’a pas généré l’indignation massive qui a eu lieu pour une répression beaucoup moins forte contre les écologistes, mais surtout, la suite, la vie Après n’a jamais été un sujet. Et l’oubli semble aussi la seule chance d’une partie des personnes concernées et de leurs proches : continuer à vivre, à être considéré comme à peu près « normal » espérer un arrêt de la surveillance étatique.
D’ailleurs de cela aussi on ne parle pas. Que génère la surveillance massive, ou simplement la menace de surveillance massive des « fichés islamistes « et de leur entourage ?
C’est un aspect intéressant psychologiquement, pourtant. Ayant longtemps été d’extrême-gauche, j’ai eu toute ma vie cette culture du jeu à se faire peur et à essayer ainsi de se sentir très important et rebelle et donc objet de l’attention des Renseignements Généraux et de la police de la pensée parce qu’on a critiqué le gouvernement sur les réseaux ou qu’on a fait deux pauvres manifs interdites ( je ne parle pas ici des camarades réellement surveillés (3) mais des militants de base peu importants comme je l’ai été la majeure partie de ma vie, membres d’une masse de dizaines de milliers de personnes ). C’était juste un moyen de compenser la non-reconnaissance sociale que ressentent tous les activistes de base à gauche. On se persuade qu’au moins la police s’intéresse à nous individuellement. Pas trop, le plus souvent.
La vie des musulmans décrétés islamistes et de leur entourage est différente. On ne sait pas. Enfin on sait que les messages qu’on envoie à telle personne fichée S ou membre d’une organisation ciblée sont lus. Ce qui amène à se torturer le cerveau des jours entiers pour savoir si on ne l’a pas mise en danger pour un message anodin qui pourrait cependant être interprété différemment.
Mais on ne sait rien de plus. En tout cas avant la répression. On vit juste avec cette idée que possiblement tous nos échanges privés sont lus, que toute notre vie est disséquée. On sait qu’on est soi même fiché S à la drôle de tête d’employés de banque ou des services publics ou quand on veut envoyer un mandat à son cousin afghan en Allemagne pour son anniversaire et que finalement lui-même ne pourra jamais toucher l’argent (4). On sait évidemment que tout ce qui est dit sur les réseaux sociaux est susceptible de servir pour plus tard. Lorsqu’on est militant, tout ceci se vit bon an mal an car on a des raisonnements politiques accessibles pour rationnaliser.
Mais pour les autres ? Pour ces milliers de gens perquisitionnés au fil des années, et pour leur entourage, quel impact psychologique de cette surveillance massive proclamée haut et fort par les ministères de l’intérieur ? Quelle vie psychique, quelles conséquences sur les interactions sociales et la manière de les mener ?
On ne sait pas. Sans doute y a-t-il eu quelques publications scientifiques peu accessibles à ce « on » qui est la masse des personnes concernées. A vrai dire nous sommes seuls, c’est cela le principal sentiment particulièrement destructeur. Contrairement au discours étatique la fameuse « association de malfaiteurs » ou la “frérosphère” globale n’existe pas. La répression épuise, suscite les conflits, l’éloignement. Dans la société actuelle, où la popularité sur les réseaux sociaux est devenue l’enjeu central de la plupart des représentations de soi, l’écrasement est d’autant plus fort pour celles et ceux dont les récits ne susciteront pas de réaction.
Nous qui sommes juste des « proches » sans pouvoir, nous sommes inutiles aux nôtres et nous devenons des fardeaux pour l’entourage autre. Cela aussi, c’est un non-dit. Tout le discours sur les « mouvances islamistes » concourt à l’idée d’écosystèmes fermés et florissants. En fait, nous sommes souvent aussi, avant cela, proches de beaucoup d’autres gens. Il y ceux à qui on ne peut pas parler sinon ils vont être horrifiés, et l’impression d’être réellement coupable de quelque chose à force de le taire.
En monde militant de gauche, c’est différent : la lutte contre l’islamophobie a son prestige, des militants français veulent bien en tirer avantage et sont très heureux de rencontrer et de travailler avec des frères et des sœurs connues, si ça amène des bénéfices pour leur propre militantisme. Mais si on n’est juste personne, et qu’on n’a rien à apporter que nous-mêmes, on se retrouve très vite simplement en trop avec notre histoire, et notre état psychologique dégradé
De même on ne sait pas vraiment ce que génère psychologiquement le temps suspendu de ces phases islamophobes violentes. Par temps suspendu, il faut entendre l’arrêt brutal de l’horloge interne qui règle notre quotidien et du calendrier « normal ». A partir du moment où l’offensive a été lancée, le temps se raccourcit et se dilate en même temps.
Il se raccourcit sur des cycles éternels de 24 h où peut survenir le pire, l’arrestation d’un proche. Il se raccourcit car les annonces de perquisitions chez des inconnus rythment les journées sur les réseaux sociaux. A chaque rappel de la période qui est vécue, c’est un choc interne et les espaces entre les chocs semblent se réduire, ramenant la sensation d’écoulement du temps à un jour sans fin. Le temps se dilate en même temps car le futur réel est inaccessible. Le futur simple, dirons nous, les vacances, tel évènement personnel et familial prévu de longue date, la rentrée, les projets politiques ou autres sont en partie plongés dans un brouillard dense, après le Mur. Actuellement le ministère de l’Intérieur a décidé que ce Mur couvrait la période des JO, mais le simple fait de croire ça fait se sentir stupide.
De fait, on a beaucoup de mal à se remémorer l’ « avant » cette période. Je me souviens du moment matinal où j’ai lu la dépêche résumant le discours de Darmanin annonçant les perquisitions, un matin où j’avais beaucoup de projets jusqu’à fin août en cours : des déplacements politiques, des week end avec des amis de passage à Paris, des textes à finir. Et puis plus rien, sauf la sensation physique d’un morceau de glace sur la nuque. Ce moment me semble être arrivé dans un passé lointain et inquantifiable. De fait cela pourrait bien continuer toujours. De fait on pourrait bien avoir peur pour les siens toute la vie et ne jamais sortir de la nasse mentale
Que peuvent générer des pensées aussi morbides sur des personnes en difficultés autres, en précarité sociale par exemple ? Que se passe-t-il quand les états dépressifs deviennent tels qu’on ne peut pas aller au travail ni prendre d’arrêt maladie, car le contrat de travail est trop précaire ? Que se passe-t-il quand de surcroit, pendant plusieurs semaines, le fascisme est aux portes du pouvoir et qu’en supplément AUCUN parti politique même de gauche n’a promis la fin de cette vague de répression ?
Ces questions sont rhétoriques. Les effondrements de la personnalité sont inévitables, dans des proportions évidemment inconnues. On peut juste être certains qu’ils se produisent, car on les vit soi-même sans savoir à quoi ils vont aboutir dans quelques temps. Et certains aussi que cela ne posera pas question, même pour des personnes qui ne se vivent pas comme islamophobes, car la présomption de culpabilité prévaut dans tous les esprits dès lors que le « terrorisme » est évoqué.
Ce constat chez les personnes concernées peut créer un sentiment de résignation, de repli et de séparatisme effectif. Le séparatisme défini comme la volonté de ne plus être en contact avec un environnement brutal est un mécanisme rationnel d’autodéfense.
Comme l’est la dissimulation de sa situation, ou au contraire l’affirmation plus ostensible de son appartenance religieuse, seul moyen de retrouver une certaine assurance et de contrer la honte de soi. De même ces périodes entrainent forcément des changements de comportement et d’habitudes visibles qui vont perdurer …et qui sont très exactement dans l’imaginaire public, la marque de la « radicalisation ».
En dehors de sphères assez restreintes, l’on peut raisonnablement avancer l’hypothèse qu’il est impossible de contrer ce regard sur nous. Pour ma part, j’en ai parlé avec quelques frères et sœurs convertis récemment, précaires et isolés, donc les plus susceptibles de voir de manière « neuve » leur situation. Le constat a toujours été le même. Une hostilité dite ou une hostilité non dite qui prend au mieux la forme de l’indifférence affichée, l’injonction à redevenir la personne d’avant, non musulmane. Contrairement à l’imaginaire, absolument pas de repli communautaire, bien au contraire, un repli tout court. Une sœur m’a dit « En ce moment, je suis bien quand je dors ». Une jeune femme de 30 ans. Blanche, jolie, très vive et joyeuse selon ses dires, avant la période ouverte en octobre, alors qu’elle s’était convertie quelques mois avant, au terme d’un parcours spirituel heureux n’ayant rien à voir avec la politique, au demeurant. Notre rencontre n’avait rien à voir avec la politique non plus, j’étais au supermarché, elle a fait tomber une bouteille de jus de fruit à terre et elle pleurait, je lui ai dit que je faisais aussi tout tomber en ce moment, ensuite on a parlé . De manière significative, ensuite nous n’avons même pas échangé nos numéros de téléphone.
Alors comment en sortir ? Sans doute en comprenant que le phénomène de radicalisation ne nous touche pas, nous, mais une grande part de la société environnante, et avec des signaux extrêmement forts. Ce que nous percevons comme la normalité des non-musulmans opposée à notre délabrement psychologique est en réalité pathologique politiquement et provoqué par l’hégémonie islamophobe absolue qui règne dans ce pays.
Ce qui nous arrive est monstrueux, injuste et toutes celles et ceux qui nous le font vivre ou le tolèrent ont une grave responsabilité morale et politique. C’est très important de se le répéter et de se le répéter encore
Bien avant cette vague de perquisitions, depuis le 7 octobre, j’ai croisé dans les manifs Palestine et sur les réseaux, des personnes seules, comme moi. Ressentant une intense détresse en dehors des moments de mobilisation. Se sentant parfaitement nulles et inutiles pour la communauté, impuissantes face à un génocide tout en subissant un rejet intense du reste de leur environnement. Passant leurs nuits sur les réseaux pour se sentir appartenir à une communauté et affrontant leur entourage non musulman et surtout non concerné par toutes ces histoires politiques islamistes la journée. Ce qui m’a marquée, c’est le sentiment d’être des ratés et des ratées partagées dans des proportions quantitatives que je n’aurais pas imaginées, mais accompagné du sentiment d’être le ou la seule à être aussi minable.
Jeune, j’ai eu la chance de connaître le mouvement des chômeurs et précaires de l’hiver 97/98. Un moment où les rebuts de la société et même du monde militant de gauche, des jeunes désocialisés, des SDF, des chômeurs très longue durée se sont rassemblés et ont brusquement pris conscience d’eux même , de leur force et de leur Beauté.
En quelques semaines, toutes les nasses mentales de haine de soi ont volé en éclats malgré la domination de classe très présente, même dans les mondes militants, et surtout à gauche où le mépris se dissimule sous un faux égalitarisme.
A l’époque, j’ai eu la chance de voir des personnes se transformer et prendre conscience d’elles même, en se parlant de manière horizontale et massive.
Cela peut sembler totalement absurde et hors de propos d’évoquer cela à propos de l’”islamisme”. Ce concept cependant est une arme de destruction psychologique massive en soi. Les vagues de répression soi-disant anti-terroriste touchent indirectement des milliers et des milliers et des milliers de musulmans et de musulmanes, et pas seulement les activistes. Pour diverses raisons, nous sommes des milliers et des milliers à vivre une situation similaire à celle de mon ami que j’évoquais au début de ce texte : nous sommes des amis d’islamistes présumés et persécutés, et nous le taisons. Et en même temps, nous sommes restés nous-mêmes, en l’occurrence des gens n’ayant pas spécialement réussi dans la vie non musulmane et pas des musulmans en vue dans notre communauté. Dans notre for intérieur, tout le discours islamophobe sur la puissance islamiste crée une réalité psychologique finalement très comique dans cette période intense de persécution.
Nous voudrions bien devenir magiquement ce que décrivent les islamophobes, des islamistes. Cet imbécile de Darmanin et ses amies nous font rêver avec les portraits qu’il croient cauchemardesques On voudrait tellement être des vrais Séparatistes, au lieu de nous sentir juste nuls comme d’habitude.
Pourtant nous n’avons pas besoin d’être plaints, nous sommes nombreux.
En réalité, ce que décrit le Pouvoir existe. Nous sommes la masse qui ne pense qu’à arrêter un génocide islamophobe depuis octobre. Si le pouvoir réprime quelques centaines d’entre nous, c’est qu’il craint les centaines de milliers d’autres, qui dans leur petite vie de monsieur et madame Personne, font tout à leur modeste mesure, par petits grains de sable pour enrayer la machine génocidaire, qui ne fonctionne pas seulement avec des armes, mais aussi et surtout grâce à l’assentiment même passif . Le propre de la répression féroce et de la désapprobation sociale permanente est qu’elles créent un sentiment d’impuissance, de vulnérabilité et de faiblesse absolue, car nous la vivons de l’intérieur . La maltraitance infantile crée par exemple le même phénomène, tous les professionnels de l’enfance le savent: un enfant maltraité ne peut voir l’immense capacité de résistance dont il fait preuve sur le long terme, il ne voit que sa nullité, sa méchanceté supposée et son incapacité à susciter la moindre empathie autour de lui. Les mécanismes d’oppression de masse fonctionnent de la même manière: chaque personne qui lutte depuis des mois contre le génocide a affronté les manifestations interdites, la fatigue de la lutte, la stigmatisation sociale massive, l’islamophobie d’état, l’islamophobie ambiante dans la société française Ce n’est pas rien, c’est même immense, collectivement et nous avons tous contribué.
En réalité nous sommes l’Islamisme, le vrai, même si ce mot est celui du pouvoir et que nous sommes justes musulmans . L’islamisme est le nom que le pouvoir donne à une Force réelle, celle de toutes les petites Ames, détruites à moitié par cette période terrible mais pas totalement. Toutes ces petites Ames effroyablement arrogantes au fond, ayant décidé que nous pouvions intervenir dans le cours de l’Histoire pour faire le bien. Ne trouvera grandiloquente cette conclusion que celui qui ne croit plus en Rien, sauf à des sons et Lumières pathétiques où le Pouvoir fait tout le bruit possible pour cacher qu’il n’a rien à proposer que le Vide, en plus d’un génocide.
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( 1) Pour des données chiffrées et organisées sur cette vague de perquisitions et d’assignations à résidence on lira le travail de CAGE International , en bref d’abord pour comprendre de quoi on parle et le rapport précis sur la période JO ensuite. Mettre une source musulmane= uniquement est volontaire, car à l’heure actuelle, les chercheurs, journalistes ou activistes des droits humains musulmans sont justement criminalisés pour ces activités , et les disqualifier comme “communautaires” et donc “non objectifs” fait notamment partie du dispositif islamophobe de gauche, elles ne sont pas moins objectives que Libération ou Mediapart et de plus grande qualité, sauf quand ces médias mainstream pillent des sources musulmanes sans les citer.
(2) On notera que Loi du 30 juillet 2021 relative à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement prévoit la mise à disposition de l’ensemble des dossiers médicaux des personnes décrétées radicalisées qui sont hospitalisées sans leur consentement , pour le préfet de leur département mais également pour l’ensemble des préfets et les services de renseignement. Dans ce cadre, l’on peut évidemment imaginer facilement que la paranoïa pour laquelle des gens vont être “soignés” de force puisse s’auto-alimenter et que le processus de soins soit légèrement compromis.
(3) A ce sujet, on notera que les dispositifs islamophobes , surveillance préventive, dissolutions, perquisitions administratives banalisés peu à peu pour les musulmans sont évidemment aujourd’hui utilisés de manière massive contre l’extrême-gauche et l’ensemble des mouvements d’opposition au régime, dans des proportions assez inédites depuis des décennies. La vie d’une ou d’une jeune gauchiste ou antifasciste conséquent n’a rien à voir avec celle de son équivalent dans les années 90 ou 2000. A cette époque, l’islamophobie d’état était déjà en plein développement, mais semblait un monde séparé et lointain. La comparaison entre la situation actuelle et les années de plomb italiennes est objectivement justifiée, mais ce n’est pas une attaque initiale contre la gauche radicale ou des mouvements de classe qui a généré l’état d’exception en pleine extension, mais la dite politique mondiale de la guerre contre le terrorisme lancée dans les années 2000
(4 ) La déshumanisation islamophobe crée un imaginaire étrange, où “islamiste” est une essence absolue, une créature démoniaque et quasiment surnaturelle qui n’a pas besoin de manger, ne vit ni la crise des loyers dans les grandes villes , ni la diminution de son pouvoir d’achat, ou la réforme des retraites. L’état français naturellement n’a pas ce genre de superstitions et une des mesures les plus répandues accompagnant les perquisitions ou utilisée en soi est le blocage immédiat des comptes bancaires personnels, pour “vérification” . Des années de ce genre de mesures mais aussi de “formations à la laïcité et contre la radicalisation ” aimablement proposées aux banques ont amené à des refus d’ouverture de compte par exemple pour des librairies musulmanes , pour des activistes ou des établissements musulmans. C’est un sujet dont il est peu question, tant le complotisme islamophobe généralisé valide l’idée selon laquelle l’argent étranger coule à flots chez l’Ennemi Intérieur.
04.07.2024 à 21:46
D’une bougnoule à un cloporte, lettre à un lâche du RN
Nadia Meziane
Texte intégral (2624 mots)
Cher compatriote.
Je t’écris en espérant que les larmes de peur dominantes sur les réseaux sociaux n’étoufferont pas ma voix et que tu recevras cette lettre.
Car c’est à moi que tu parles depuis longtemps, et pas à la gauche, et c’est toujours elle qui répond à ma place.
Je t’écris pour te dire que j’ai toujours vécu comme ta cible idéale et que je n’ai plus peur de toi.
Je suis la petite fille que tu as traité de sale arabe à six ans , en jouissant d’être un petit bonhomme de 10 ans enfin Roi du Mal , et d’avoir repéré celle qui ne savait pas qu’elle était arabe et qui se prenait pour toi. Je suis la petite fille de onze ans et tu me crachais dans les cheveux et une prof d’allemand te soutenait discrètement en me mettant des 3 alors que je méritais un 15, mais je ne le savais pas, je l’ai su quand mon petit frère a été martyrisé par cette même femme, mais lui s’est défendu. Je suis la gamine de 14 ans que tu as giflée en plein cours de sport parce qu’elle avait le vertige et ensuite, j’ai eu mon bac avec mention mais avec 0 en sport parce que je ne suis jamais retournée en cours d’EPS, phobie des profs de sport, et des racistes potentiels. Et je ne sais toujours pas courir vite, quand tu me repères, parce que tu sens les bougnoulettes en stress, et bien je reste là et j’attends les coups. Je suis pas morte, néanmoins.
Tu as détruit ma vie, mec, tu as eu raison de t’accrocher depuis ces années 90 ou tu galérais à coller des affiches avec dessus le tortionnaire de mes ancêtres. Tu as eu raison de continuer, parce que tu savais. Que tu étais juste un lâche, un minable et un sale con, mais que tu serais aidé dans ta longue marche vers moi.
On le sait toi et moi, comment tu as eu la victoire. Ce n’est pas toi, c’est les autres. Ceux de gauche. Qui n’avaient plus de rêve, plus d’utopie à vendre depuis 81. Qui ont dit « Non, le droit de vote des immigrés, on ne va pas le faire, on est français, quand même ». Quand on dit non à l’Un, c’est pour dire oui à un Autre, t’es pas féministe, tu le sais , sale porc fasciste.
L’Autre, c’était toi. Tu les as regardés tellement de fois te faire les yeux doux en me crachant dessus. Lois racistes, lois islamophobes, réponse polie à toutes tes questions de merde, par hasard, cette petite fille en hijab ne serait-elle pas l’ennemi à abattre ? Toi tu savais à partir de 2004, ce que valaient leurs réponses embarrassées « Oui OK, tu as raison, mais néanmoins, nous on aime la petite beurette, celle qui ne le porte pas ». La petite beurette, bien que naïve, était un peu dubitative devant cet amour bizarre, ce besoin de caresser les cheveux des gens comme à un petit animal, normalement les gens civilisés ne font pas cela.
Toi tu es un homme fidèle dans ta haine. Tu as continué à prendre de haut la gauche, à refuser de payer leurs cadeaux, tu as continué à voter RN. Tu as dit à ton voisin qui hésitait, regarde, quand on ne vote pas pour les autres , ils nous lèchent les bottes, de plus en plus fort, de mieux en mieux.
Tu as eu raison. Néanmoins tu n’auras existé que par moi. Ton seul pouvoir sur ta vie aura été de me faire mal.
Et commence pas à essayer de monter sur tes grands chevaux de Templier à la noix, on se connaît , on a grandi ensemble. T’as rien, t’as pas d’identité, on était les Enfants du Vide Américain, notre identité, c’est Gremlins, Ca, et les romans de Stephen King. Et non t’es pas le Clown ,déso c’est moi, c’est un mec bien , il tue pas les gosses en vrai, il les emmène en sécurité loin du Cauchemar Américain. Et je t’attends dans les égouts, tranquillement, mon oncle était éboueur et communiste, on a l’habitude de l’odeur , c’est toujours moins dégueu que le bruit de ta voix .
En attendant t’es là comme un con à partager des visuels avec des sangliers AOC et puis après tu fais comme moi, tu comptes ta monnaie pour acheter de la viande aux hormones à LIDL et puis voilà. Tu mates le foot avec de la mauvaise bière pendant que je regarde The Ring avec des bonbons chimiques. On va arrêter avec l’identité, y’aurait pas eu internet, toi et moi on aurait été des paumés de la vie post-moderne et voilà.
Ta seule identité, c’est ma mort et celle des miens. Depuis petit. Tu es un faible et c’est seulement quand j’ai mal que tu es bien, et fais pas ton incel, me dis pas que je suis castratrice, je pense la même chose de ta femme. Juste elle, depuis Marine, et toutes ces conneries de féminisme universaliste, elle a compris qu’elle pouvait en plus passer pour une victime quand mes Frères ne lui font pas la bise, hou les vilains. Toi ça te fait un peu suer, cet argumentaire, parce que si cette salope fait la bise à un arabe, tu lui apprends la vie après, pas vrai ?
Enfin ça c’était avant. Le revers de la victoire, c’est qu’encore une fois , c’est le petit mec blanc de base qui doit faire des sacrifices. Tu as du effacer ton tatouage SS sur ton bras, tu dois plus dire des trucs sur la dernière voiture de ton voisin juif et comment il l’a eue avec le complot mondial, tu dois accepter que des camarades gays te disent « Bon , il va falloir laisser pousser tes cheveux, Laurent, c’est pour la com de la section, Marine vient la semaine pro , je veux pas de gauchiasses qui encerclent ta tête sur la photo ». Et tu dois être féministe, alors que Marine t’a émasculé bien gentiment quand même, en tuant son père.
Enfin voilà, je voulais te répéter que je n’ai pas peur de toi, car toute ta vie tu n’as eu que moi, depuis le jour où tu as été si heureux après avoir fait pleurer une petite fille dont le grand-père algérien venait de mourir trois semaines avant et je ne savais pas comment le défendre. La faute de la gauche encore, mon grand père était un résistant du FLN et ils en avaient fait un travailleur immigré à soutenir du bout des lèvres sans jamais lui donner une once de pouvoir politique.
Mais toi, qu’est ce que le RN a fait de toi ? Tu le perçois vaguement, maintenant que le moment de me tuer vraiment approche. Cette inquiétude vague, quand je serais morte, qui verras tu dans ton miroir ?
Un raté intégral. Avec sa salle de bains à crédit et ta femme qui se fait un peu trop belle dedans, ces temps-ci, depuis que tu bois trop pour oublier les vacances que tu peux plus payer au petit. Ta vie, c’est pas une pastille de Vichy, c’est ce pavillon cheap que tu as payé pour pas rester en cité avec moi, et maintenant quoi ? Tu peux pas aller chez Maisons du Monde, du coup on se voit tous les samedis à Aktion. Et puis après une pandémie, le cancer de ton meilleur pote à quarante cinq piges, et les bulbes de tulipe qui pourrissent en terre ou sèchent sur pied dans la jardinière de ta cuisine, parfois tu te réveilles et tu as peur de l’Apocalypse. Mais comme le christianisme pour toi, ça se résume à faire ENCORE un crédit pour payer le barbecue géant après le mariage de ta fille, tu trouves pas de réconfort dans la Bible.
Réconfort nulle part, sauf dans la ratonnade. C’est peu. Ça ne remplit pas une vie.
D’autant que tu la feras par délégation , sauf si t’es flic, ou un suicidaire suprémaciste mais Brenton Tarrant avait pas de pavillon et il était pas alcoolique. Et encore, même si t’es flic, ce sera pas non plus le Grand Soir, on te dira quel arabe tuer et évidemment pas ton voisin, qui t’énerve parce que son fils est You Tubeur à Dubaï alors que le tien est prof et sa femme veut plus te voir depuis Noel ou tu as dit que perso tu voudrais pas de Judith Godrèche, même en levrette, alors ces histoires d’agression ….
Tant pis pour toi. Tu sais, minable , avant je pensais que t’étais mon Frère. Un prolétaire. Un homme puissant qui pouvait changer le monde et aider les petites filles arabes. Je n’étais pas bête, j’ai grandi sous la gauche bourgeoise, j’ai bien vu qu’elle changeait la vie que dalle. Que toi et moi, on était toujours des gamins tristes et perdus dans un monde moche. Nos parents n’ont jamais rien vu des promesses de 81, on a grandi dans la trahison au quotidien, elle avait la couleur de tous les sodas américains que nos parents ne pouvaient pas acheter. Mais moi, faux Frère, je me souvenais de ton passé, du mouvement ouvrier, de la masse blanche qui fait trembler les puissants, je ne t’ai jamais méprisé, je te trouvais beau même sans fric , justement sans fric. Je voyais cela en toi, je ne comprenais pas pourquoi tu voulais me tuer, alors qu’on avait juste à se dire que les bourgeois étaient moches et nous les Rois.
Je me trompais, je me croyais française. J’ai failli sombrer avec toi. Qui as continué à faire semblant de te croire Français , même quand ta France à toi, c’est un entrepôt rectangulaire avec des choses moches que tu crèves de pas pouvoir te payer, et quand tu m’auras tuée, tu seras juste français comme ça.
Alors oui, la gauche t’a choisi depuis trente ans et pas moi. Tu as été l’électeur de rêve, celui pour qui elle a abandonné toutes ses valeurs jusqu’à ce que Marine Le Pen n’ait plus tellement besoin de passer à la télé pour que Bardella gagne. Il suffisait de laisser parler Ségolène et puis Manuel, et puis Fabien et de dire à Jordan d’attendre un peu parce que franchement il parle mal.
Mais tu as un vrai malaise ces dernières années. Tu te regardes dans la glace et puis tu regardes toutes ces personnes magnifiques, courageuses, habitées, collectives, animées d’une énergie incompréhensible. Les musulmans et les musulmanes, oui. Un vrai problème.
Que se passe-t-il ? Qu’est-il arrivé à tes cibles ? Ce n’est pas normal, moi j’avais pas choisi d’être ta cible, la petite fille avait juste un nom arabe. Mais là, il se passe un truc, on dirait que nous sommes des millions à vouloir qu’on nous tue, plus on nous menace et plus on montre qu’on existe au lieu d’aller se cacher sous la table de la gauche et de dire « Non mais on est JUSTE des victimes innocentes du racisme ».
Ça fait dix ans que tu es obligé de te « dédiaboliser » alors que ta seule fierté, ta seule identité, c’était le fascisme originel, celui qui avait exterminé les Juifs et flingué des colonisés par millions. Dix ans que tu n’as plus le droit d’être Maurice Papon publiquement. Dix ans que tu es obligé de faire ta victime, et toi franchement, être défendu par Serge Klarsefeld, tu le vis moyennement bien.
Et pendant ce temps, nous on devient nous-même, musulmans et fiers. Et on s’en fiche que la gauche nous ait dit d’arrêter de le montrer sinon elle ne soutient pas. Chose que tu ne comprends pas, normalement dans ton récit, elle aide au Grand Remplacement, elle brandit le drapeau palestinien, et c’est foutu pour toi et les tiens, le complot frériste , tout ça. Non, elle appelle à voter Darmanin pour faire front républicain. Cherche pas à comprendre, elle a peur de toi, vraiment, pas parce que tu vas nous tuer, mais parce qu’elle veut absolument du pouvoir à l’Assemblée, pour elle-même.
Moi je n’ai pas peur. Je suis ravagée de chagrin pour le mal que tu vas faire aux miens.
C’est difficile à comprendre pour toi, car tu n’as pas de liens forts, pas de communauté, tu votes pareil que ton voisin RN, mais tu ne peux pas l’encadrer, s’il a acheté un barbecue plus cher que le tien, tu es persuadé que c’est juste pour te le montrer. Tu fais semblant d’être ému quand un gosse se fait tuer dans une bagarre, mais tu traites de sales tox les petits français qui se défoncent la tête avec des saletés de synthèse pour oublier à quel point leur père est un déchet qui se prend pour un Héros quand il vote RN. Même pas tu leur donnes une pièce.
Moi j’ai du chagrin pour les gamins. Et même pour les tiens, un père pareil, quelle misère.
Mais je n’ai pas peur. Car à force de me taper sur la tête, toute ma vie de beurette, tu m’as redonné la mémoire. Je ne suis pas Toi, et c’est la meilleure nouvelle qui soit, je suis musulmane. Nous n’avons pas besoin d’être plaints, nous sommes nombreux.
Et tu sais ce qui se passera après les ratonnades ? En fait c’est dans le vieux conte que tu as oublié parce que Disney ne l’a pas adapté, , t’as pas d’identité, je te dis, et moi je te l’ai même volée. C’est l’histoire d’un jeune homme étranger qui vient nettoyer les rues d’une ville envahie par les rats, parce que les gens sont sales et paresseux dans cette ville-là. Et ils sont méchants et ingrats aussi, alors ils l’insultent et le chassent une fois qu’il a fait le travail d’arabe. Et ils restent dans leur crasse. Puis un jour le jeune homme revient, il joue un air ancien et tous les beaux enfants des gens sales le suivent et disparaissent à jamais. Dis au revoir aux tiens, pendant qu’il en est encore temps, ils ne sont déjà plus là le samedi, ils ont une manif Palestine.