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La revue des révolutions féministes

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28.05.2025 à 17:56

Pourquoi le procès Le Scouarnec a‑t-il si peu intéressé les médias ?

Coline Clavaud-Mégevand
« Nous voulions que la presse s’approprie notre vécu, on a le sentiment qu’il a été effacé. » Gabriel Trouvé, membre du collectif de victimes de Joël Le Scouarnec, est amer quant […]
Texte intégral (1190 mots)

« Nous voulions que la presse s’approprie notre vécu, on a le sentiment qu’il a été effacé. » Gabriel Trouvé, membre du collectif de victimes de Joël Le Scouarnec,

est amer quant à la médiatisation du procès qui s’est tenu du 24 février au 28 mai 2025 devant la cour criminelle du Morbihan. « Les quinze premiers jours, la salle d’audience était remplie de journalistes, note-t-il, et on a observé un regain d’intérêt sur la fin. Mais entre les deux, on a eu l’impression que la presse étrangère s’intéressait plus à l’affaire que la presse française. »

Comme le procès des viols de Mazan, qui s’est tenu à l’automne 2024 à Avignon, celui de Joël Le Scouarnec ne peut être évoqué sans égrener des chiffres effrayants : 299 victimes identifiées – la plupart mineures –, un accusé poursuivi pour les 111 viols et 188 agressions sexuelles commises sur une période de vingt-cinq ans, des faits intégralement consignés dans des « carnets noirs » versés au dossier d’instruction… Pourtant, dans les médias comme sur les réseaux sociaux, la couverture des audiences n’a pas été proportionnelle aux enjeux. Le site Arrêt sur images rappelle ainsi que la salle de presse du palais de justice de Vannes, aménagée en prévision d’un afflux de journalistes, a été fermée au bout de quelques jours. Dans le même temps, les chaînes d’information en continu ont peu, voire pas couvert le procès : « un silence assourdissant », selon les mots des victimes cités par le magazine Elle.

Logique d’incarnation

Juliette Campion, journaliste pour Franceinfo.fr, a couvert les deux procès et avance une explication : « Les faits de Mazan étaient beaucoup plus ramassés [dans le temps et sur le territoire], spectaculaires et faciles à suivre pour le public. » Par ailleurs, « il n’y avait qu’une seule victime face à 51 accusés très identifiés », tandis que devant la cour criminelle de Vannes se présentaient « un homme terne, qui parle peu » et de très nombreuses victimes et avocat·es. Résultat : dans un monde médiatique qui « a besoin de personnaliser », les victimes de Joël Le Scouarnec « sont restées une foule », regrette Hugo Lemonnier, journaliste indépendant qui a suivi l’affaire pour Mediapart. « Pourtant, l’immense majorité d’entre elles avaient fait le choix d’audiences publiques, souligne-t-il, et certain·es étaient prêt·es à parler à la presse. Mais pas toujours dans l’immédiat, et pas pour tout raconter. Il aurait fallu accepter ces conditions. »

Giuseppina Sapio, maîtresse de conférences en sciences de l’information et de la communication à l’université Paris 8 s’intéresse à la « médiagénie » des procès pour violences sexuelles. « Les victimes de Le Scouarnec, analyse-t-elle, étaient des enfants, dont la parole est remise en cause dans notre société. Ils et elles sont de surcroît devenu·es adultes, ce qui empêche les médias de puiser dans le registre empathique habituel. » À l’inverse, selon elle, « la forte médiatisation de Mazan était d’abord due à la figure de Gisèle Pelicot, qui se présente avec les conditions de la respectabilité – une femme blanche, de classe supérieure, qui incarne aussi une forme de “féminisme à la française” ». La chercheuse rappelle également que les violences exercées par les médecins sont peu souvent traitées par les médias, plus familiers de celles qui s’exercent dans la sphère domestique.

Un procès « trop grand ? »

Juliette Campion tient malgré tout à rendre hommage au travail de la presse locale et au fait que de nombreuses rédactions nationales se sont régulièrement déplacées. « Il ne faut pas non plus oublier nos conditions de travail, indique-t-elle. Ce genre de procès est très lourd à suivre, et, à Franceinfo.fr, nous ne sommes que trois journalistes et une alternante à suivre la justice, donc notre mobilisation est déjà très importante sur cette affaire. » Hugo Lemonnier salue également le « choix très fort » de Mediapart de l’avoir embauché en tant qu’indépendant pour suivre la quasi-totalité de ce procès-fleuve. « Mais en réalité, on devrait être six ou sept par rédaction pour bien faire le travail. Ce procès est peut-être trop grand pour les médias tels qu’ils sont organisés aujourd’hui. »


« La forte médiatisation de Mazan était d’abord due à la figure de Gisèle Pelicot : une femme blanche, de classe supérieure »

Giuseppina Sapio, professeure à Paris 8

L’absence de réactions des institutions, notamment médicales, et de la classe politique n’a pas non plus joué en faveur de la médiatisation du procès. « Nous sommes contre la concurrence victimaire, insiste Gabriel Trouvé du collectif de victimes de Joël Le Scouarnec, mais on constate que l’affaire Bétharram a focalisé l’attention. C’est regrettable que l’information soit produite en silo, sans analyse systémique ni liens entre les affaires, alors qu’on parle ici des mêmes choses : les violences patriarcales, la pédocriminalité. »

Juliette Campion estime qu’il est important de sortir de la logique « des comptes rendus d’audience qui s’empilent » pour « écrire sur les autres enjeux : l’omerta, l’inceste, les failles de l’institution médicale… » Un travail de fond qui n’est pas fait non plus par les responsables politiques, selon Hugo Lemonnier : « L’affaire est publique depuis 2019. Quand le procès s’ouvre six ans plus tard, on n’a pas eu une commission d’enquête parlementaire, pas un rapport du ministère de la Santé… Les institutions attendent que les victimes renoncent à l’anonymat et aillent au combat pour réagir, et les médias reproduisent cette logique. C’est donc sur les seules épaules des victimes qu’on fait reposer le changement social. »

💡Pour aller plus loin :

Hugo Lemonnier, Piégés. Dans le « journal intime » du Dr Le Scouarnec, Nouveau Monde Éditions, 2025.

22.05.2025 à 13:04

🚸Une éducation qui libère

La Déferlante
🗞️Revue de presse Improvisation Dans un « parti pris », la journaliste spécialiste des questions d’éducation Mathilde Mathieu partage sa stupeur à l’écoute de l’audition de François Bayrou à l’Assemblée nationale dans […]
Texte intégral (3050 mots)

🗞
Revue de presse

Improvisation

Dans un « parti pris », la journaliste spécialiste des questions d’éducation Mathilde Mathieu partage sa stupeur à l’écoute de l’audition de François Bayrou à l’Assemblée nationale dans l’affaire Bétharram, le 14 mai dernier. Le Premier ministre continue à défendre les vertus éducatives de la gifle et ne propose aucun plan concret pour lutter contre les violences du #MeToo scolaire, lancé par d’anciens élèves d’institutions catholiques d’excellence.

👀 → à lire sur le site de Mediapart

Le piège de l’apprentissage

À la faveur des exonérations gouvernementales, le nombre d’apprenti·es est passé d’environ 300 000 à près d’un million depuis le début du premier quinquennat d’Emmanuel Macron. Mais, alors que l’État vient de décider la baisse de leur rémunération et que les accidents du travail les concernant se multiplient, l’apprentissage apparaît de plus en plus nettement comme un cadeau fait aux entreprises, sur le dos des jeunes des classes populaires.

👷🏼‍♀️ → Lire l’article sur le site du magazine Frustration

EPS et luttes de pouvoir

Agrégé d’éducation physique et sportive (EPS) et docteur en sciences de l’éducation, Raffi Nakas décrit comment l’enseignement du sport à l’école agit comme un révélateur des hiérarchies de classe et de genre. Mais permet également une nouvelle répartition du pouvoir à la faveur d’élèves en difficulté dans d’autres matières.

🏀 → Lire sur le site de The Conversation

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On regarde

Redresser les filles perdues

Lorsqu’elles étaient enfants ou adolescentes, entre les années 1930 et 1960, Édith, Michèle, Éveline et Marie-Christine ont été enfermées dans des maisons de correction pour jeunes filles, tenues par la congrégation de Notre-Dame de Charité du Bon Pasteur. Dans le documentaire Mauvaises Filles, elles témoignent du traitement qu’elles y ont subi, notamment des violences sexistes et sexuelles. Financés par l’État français, ces établissements catholiques accueillaient au moins jusqu’aux années 1970, des jeunes filles que la société considérait comme « perdues » : filles-mères, victimes de viols ou délinquantes. En mars 2025, la présidente de l’association des victimes du Bon Pasteur déclarait à Libération voir dans l’affaire Bétharram une « chance à saisir » pour relancer une plainte collective.

📺 → Émérance Dubas, Mauvaises filles, Les Films de l’œil sauvage, 71 minutes, 2022. Disponible en VOD.

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On lit

Les « nouveaux pères » n’existent pas

Guillaume Daudin et Stéphane Jourdain, tous deux pères et journalistes, cherchent à comprendre l’effarant décalage entre l’image des prétendus « nouveaux pères », qui circule partout dans les médias, au cinéma comme dans la littérature, et la réalité statistique : selon l’enquête Insee (2010) sur laquelle s’appuient les deux auteurs, les femmes assurent encore 71 % des tâches ménagères et 65 % des tâches parentales. Pour expliquer ce décalage, ils vont à la rencontre de militantes, de chercheuses, d’hommes politiques, et interrogent leurs propres pères et leurs compagnes. Leur investigation s’achève en Suède, un pays érigé en modèle du partage des tâches où – spoiler – les inégalités persistent aussi.

💭 → Guillaume Daudin et Stéphane Jourdain (texte), Antoine Grimée (dessin), L’Arnaque des nouveaux pères, Glénat, 2024. 20,50 euros.

Les enfants d’abord

Militante écologiste dès les années 1970, membre du Mouvement de libération des femmes (MLF), Christiane Rochefort a très tôt, dans ses livres, dénoncé l’inceste et pris le parti des enfants. Dans cet essai aux allures de pamphlet, elle s’insurge de l’éducation que la société capitaliste donne aux plus jeunes, qui vise à en faire des êtres dociles et productifs. Une fois « adultés », ils reproduiront ces mécaniques d’oppression dont ils ont été victimes. Le plus ébouriffant dans cet ouvrage, c’est qu’il semble avoir été écrit hier, tant il résonne avec les débats de 2025 autour de la domination adulte. Une preuve supplémentaire que les luttes, aussi nouvelles qu’elles paraissent, s’inscrivent toujours dans une généalogie.

👶🏻 → Christiane Rochefort, Les Enfants d’abord, Grasset, 1976. 15,90 euros.

Pédagogie antiraciste

En 2017 et en 2018, l’ancien ministre de l’Éducation nationale Jean-Michel Blanquer a déposé deux plaintes contre le syndicat SUD éducation 93 : la première pour diffamation pour l’emploi de l’expression de « racisme d’État », la seconde pour discrimination à la suite de l’organisation d’un atelier réservé aux personnes racisées. « Pourquoi l’emploi de certains termes est-il si tabou qu’il nécessite […] une forme de répression jamais vue auparavant dans l’institution scolaire ? » s’interrogent les militant·es du syndicat dans ce manuel collectif publié en 2023. Elles et ils y partagent les outils proposés lors de ces stages de pédagogie antiraciste pour comprendre les racines du racisme à l’école, en parler avec les élèves et intégrer l’antiracisme aux méthodes d’apprentissage.

✊🏾→ SUD Éducation 93 (collectif), Entrer en pédagogie antiraciste. D’une lutte syndicale à des pratiques émancipatrices, Shed Publishing, 2023. 25 euros.

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On écoute

Deux écoles

Ancienne professeure de français devenue documentariste radio, Delphine Saltel est l’autrice de plusieurs séries et podcasts sur l’éducation. Le tout dernier, produit par Arte Radio, s’intéresse aux mécaniques de ségrégation sociale à l’œuvre dans les parcours scolaires et aux effets à long terme de la désertion de l’enseignement public par les classes culturellement et économiquement privilégiées. Prenant pour fil rouge un entretien passionnant avec le sociologue Marco Oberti, elle démontre de manière extrêmement convaincante que le choix de l’école privée, s’il est une promesse d’ascension sociale (rarement tenue) pour les familles des classes populaires, est, pour la bourgeoisie, une manière de maintenir sa domination sociale.

🎧 → « Reste dans ta classe », de Delphine Saltel, 53 minutes, 2024, à écouter sur Arte Radio.

💡
Un glossaire pour tout comprendre

Alors que l’actualité montre à quel point la guerre culturelle qui fait rage est aussi une bataille sémantique, il nous a paru important que La Déferlante propose à ses lecteur·ices des définitions de concepts clés pour appréhender l’époque dans une perspective féministe intersectionnelle. Évars, infantisme, panique morale : toutes les définitions sont en accès libre sur notre site internet, qui sera alimenté au fil des numéros pour faciliter la compréhension des concepts mobilisés dans chaque dossier.

🔏 → Retrouvez notre glossaire

✊🏼
On soutient

Monument aux mortes

On ignore encore aujourd’hui combien de femmes, en France, sont décédées des suites d’un avortement avant sa dépénalisation en 1975. Un collectif d’artistes, d’universitaires et de militantes féministes demande que leur soit érigé, à elles aussi, un monument aux mortes.

🗽 → Je signe la pétition

En lieu sûr

L’association féministe Safe Place qui lutte depuis sept ans contre toutes les formes de domination, rencontre actuellement des difficultés financières. Pour sauver puis pérenniser son activité, elle lance une campagne : objectif 1 000 nouvelles adhésions.

☝🏼 → Je soutiens Safe Place

📍
On y sera

🎤 Littérature live

Sam 24 Mai — Dim 25 Mai 2025
Villa Gillet, Lyon (4e arrondissement)

Dans le cadre du festival Littérature Live, Emmanuelle Josse, corédactrice en chef de La Déferlante, modérera une rencontre entre les autrices Irene Solà et Louise Chennevière le samedi à 15h. Le dimanche à 17h30, elle animera une conversation entre la poétesse Rim Battal et la violoncelliste Lola Malique.

ℹ → Plus d’informations sur le programme

🎉 Festival Mediapart

Sam 7 Juin 2025, 19h
Le Point Fort d’Aubervilliers (Seine-Saint-Denis)

La Déferlante tiendra un stand dans le cadre de la nouvelle édition du Festival Mediapart. Vous y retrouverez nos revues, nos livres, nos goodies et pourrez échanger avec notre équipe. Le festival, gratuit mais sur réservation, propose par ailleurs des tables rondes, un concert et un quiz de Miskin Télé.

👉🏼 → Informations pratiques

⛪ La Déferlante à Poitiers

Jeu 19 juin 2025, à 18h
Librairie La bonne Aventure, Poitiers

Emmanuelle Josse, cofondatrice et corédactrice en chef de notre média, rencontrera les lectrices autour du numéro 18 « Pour une éducation qui libère ».

📕 → Informations à suivre sur le site de la librairie

☂ Les pluies de juillet

Sam 19 — Dim 20 juillet 2025
Festival Les Pluies de juillet, Le Tanu, (Manche)

Nous serons présentes tout un week-end dans ce festival normand qui promeut l’écologie, les féminismes et les luttes sociales. Anne-Laure Pineau, journaliste et membre du comité éditorial de La Déferlante, participera à une table ronde sur le rôle de la désinformation dans la montée des populismes. Sur notre stand, vous retrouverez nos revues, nos livres et nos goodies, et vous pourrez rencontrer le reste de l’équipe

🎟 → Informations et billetterie sur le site du festival

15.05.2025 à 16:50

La Hongrie se prépare à une Pride historique

Annabelle Georgen
À la tête du gouvernement hongrois depuis 2010, le populiste Viktor Orban dispose d’une majorité au Parlement grâce aux alliances des députés de sa majorité avec l’extrême droite. Au prétexte […]
Texte intégral (1033 mots)

À la tête du gouvernement hongrois depuis 2010, le populiste Viktor Orban dispose d’une majorité au Parlement grâce aux alliances des députés de sa majorité avec l’extrême droite.

Au prétexte de défendre les valeurs traditionalistes chrétiennes et de « protéger les enfants », il mène depuis plusieurs années une offensive contre les droits des minorités, en particulier contre ceux de la communauté LGBTQIA+ : interdiction du mariage civil des couples de même sexe (2012), fin de la reconnaissance des transitions de genre (2020), tentatives multiples de censure des médias et des enseignant·es abordant les questions d’orientation sexuelle et de genre. Mardi 13 mai, un député du Fidesz, le parti de Viktor Orban, a déposé un projet de loi visant à interdire aux organisations hongroises d’avoir recours à des financements étrangers. Ce texte menace directement l’existence de bon nombre d’associations LGBTQIA+ hongroises.

C’est pour témoigner de ces attaques que Dorottya Rédai était présente à Rome, du 23 au 26 avril dernier, dans le cadre de la quatrième Conférence de l’Euro central asian lesbian*community, un événement annuel organisé par des activistes lesbiennes.

Comment l’annonce de l’interdiction de la Marche des fiertés de Budapest a‑t-elle été reçue par la communauté LGBTQIA+ hongroise ?

Ce n’est pas la première fois qu’Orban s’en prend à nous : nous sommes attaqué·es en permanence. Mais cette interdiction pure et simple, même les organisateur·ices ne s’y attendaient pas. Notre communauté est sous le choc.

La Budapest Pride est une grande manifestation en faveur des droits humains. Elle est devenue un événement très important en Hongrie au cours des dix dernières années. L’an dernier, nous étions 35 000 participant·es.

Cette décision inquiète aussi plus généralement les Hongrois·es opposé·es à Orban, qui ont peur de voir disparaître leurs droits fondamentaux – notamment le droit de manifester. Et cette inquiétude est légitime puisque Orban marche dans les pas de Poutine. Si nous ne l’arrêtons pas, la Hongrie pourrait devenir comme la Russie [un État autoritaire qui persécute les femmes et les minorités sexuelles et de genre].

Quelles sont les conséquences de la politique du gouvernement d’extrême droite hongrois dans la vie quotidienne des personnes LGBTQIA+  ?

Selon les statistiques de la Háttér Society, la plus grande organisation LGBTQIA+ de Hongrie, le nombre d’agressions physiques n’a pas augmenté, mais les agressions verbales ont gagné en violence. Elles reflètent le langage grossier que s’autorise aujourd’hui la classe politique du pays pour parler des homosexuel·les, des personnes trans et des personnes queers.

L’association Labrisz [son nom fait référence à une hache antique devenue un symbole lesbien], que je dirige, veut rester un espace ouvert et sûr pour les lesbiennes en Hongrie. Nous continuons à faire ce que nous avons toujours fait, comme si la situation était normale : nous mettons sur pied des événements communautaires et des festivals qui, à chaque attaque du gouvernement, attirent toujours plus de monde. Nous collectons et conservons des archives lesbiennes, produisons des films, publions des livres et coopérons avec d’autres organisations.


« Avec l’annulation de la Pride, les Hongrois·es ont peur de voir leurs droits fondamentaux disparaître. »


En 2020, vous avez justement édité un livre jeunesse, traduit en onze langues : Brune-Feuille. Le prince se marie et autres contes inclusifs (trad. J. Dufeuilly, C.A. Holdban, C. Philippe, Talents Hauts, 2022). Pouvez-vous revenir sur cet épisode ?

Au moment de sa publication, une femme politique d’extrême droite, qui ne l’avait pas lu, a organisé une performance médiatique d’une grande violence, lors de laquelle elle a passé le livre à la déchiqueteuse, arguant qu’il ne faisait pas partie de la culture hongroise.

Pourtant, il s’agit simplement d’un ouvrage qui représente des personnages queers ou appartenant à d’autres minorités [des personnes racisées ou issues des classes populaires] que le gouvernement invisibilise ou attaque. C’était très choquant, mais cela nous a fait beaucoup de publicité. On en a vendu 35 000 exemplaires, et le livre est même devenu un best-seller en Hongrie sur le marché des livres pour enfants !

Le 28 juin prochain, les associations LGBTQIA+ hongroises maintiennent l’appel à manifester. Comment allez-vous vous organiser ?

Toutes nos organisations sont d’accord : nous ne reculerons pas. On va essayer d’être aussi nombreux·ses que possible parce que plus la foule sera grande, plus il sera difficile pour la police de traquer les manifestant·es. La loi autorise désormais la police à utiliser un système de reconnaissance faciale pour identifier les manifestant·es, cela peut donc dissuader les gens de descendre dans la rue. Celles et ceux qui braveront l’interdiction s’exposeront à une amende pouvant aller jusqu’à 500 euros, soit plus de la moitié du salaire mensuel moyen. En prévision, des cagnottes ont déjà été lancées par des activistes.

La solidarité s’exprime aussi en dehors de la communauté. Des citoyen·nes hétérosexuel·les manifestent chaque semaine pour soutenir la Marche des fiertés : c’est du jamais vu ! Des personnes qui n’étaient jamais allées à la Pride veulent maintenant y participer. J’ai rencontré ces derniers jours à la conférence EL*C des activistes lesbiennes membres du Parlement européen qui m’ont assurée de leur présence. En fin de compte, une résistance se met en place et cette Pride pourrait bien être la plus grande qu’on n’ait jamais eue !

07.05.2025 à 17:23

Amélie Bonnin : « De plus en plus de réalisatrices incarnent des modèles »

Nora Bouazzouni
Un premier long métrage qui fait l’ouverture à Cannes : c’est inédit dans l’histoire du festival. Comment as-tu pris la nouvelle ? C’était déjà complètement inattendu d’être sélectionnée, mais là, ça prend […]
Texte intégral (1487 mots)

Un premier long métrage qui fait l’ouverture à Cannes : c’est inédit dans l’histoire du festival. Comment as-tu pris la nouvelle ?

C’était déjà complètement inattendu d’être sélectionnée, mais là, ça prend une autre dimension ! C’est l’occasion de rappeler que c’est un premier film, réalisé en toute humilité, avec ses défauts potentiels. Et je trouve ça « frais » d’ouvrir ainsi un festival qui voit souvent revenir les mêmes grosses pointures. J’y vois un message positif sur le côté vivant d’un cinéma qui se renouvelle.

Ce film est une adaptation de ton court métrage, mais les rôles de Bastien Bouillon et Juliette Armanet sont inversés : cette fois, le personnage principal est une femme. Pourquoi ?

Ce qui est flippant, c’est qu’au moment d’écrire le rôle principal du court métrage, mon coscénariste Dimitri Lucas et moi avons spontanément écrit un rôle d’homme, par habitude. Et quand on m’a demandé pourquoi, ça m’a sciée, car je n’avais pas intellectualisé ce choix, alors même qu’en tant que femme je suis concernée et sensibilisée à ces enjeux de genre ! Donc je me suis dit que si j’avais un jour la chance d’en faire un long métrage, j’inverserais les rôles.

C’est aussi un choix qui a été guidé par d’autres femmes. J’ai un souvenir très marquant du discours de Julia Ducournau lorsqu’elle a reçu la Palme d’or à Cannes, en 2021, pour Titane. À ce moment-là, elle est seulement la deuxième femme à remporter ce prix [Justine Triet l’a depuis obtenue pour Anatomie d’une chute en 2023], mais de plus en plus de réalisatrices, des femmes dont on sait citer le nom, commencent à avoir du succès en France et à incarner des modèles. En référence à son héroïne mutante, elle remercie le jury d’avoir « laiss[é] entrer les monstres » dans le cinéma, c’est-à-dire les gens considérés comme hors normes. Donc c’est plus large que la seule représentation des femmes. Son discours a ouvert quelque chose en moi, je l’ai ressenti physiquement : j’ai réalisé qu’il y avait encore tellement de verrous et qu’elle était en train d’en faire sauter plusieurs.

Ton court métrage comme ton long interrogent le désir (ou le non-désir) d’enfant, la grossesse. Pourquoi ces sujets particulièrement ?

J’ai beau avoir déjà deux enfants, la question de la parentalité me travaille toujours. Et j’estime qu’on ne peut pas raconter l’histoire d’une femme de 40 ans aujourd’hui sans évoquer la maternité, parce que c’est une question qui nous est posée par la société – posée dès qu’on fait couple, posée dès qu’on atteint 40 ans… Pour autant, quand je me suis mise à l’écriture, je ne savais pas très bien ce que j’allais raconter de mon héroïne. Est-ce qu’elle a des enfants ou pas ? Est-ce qu’elle en veut ? Si oui, est-ce qu’elle va en faire ? La seule trajectoire qui me soit apparue comme possible, c’est que, peu importe la réponse, il fallait montrer une femme qui sait ce qu’elle veut et pour qui la difficulté, c’est en réalité de se faire entendre.

Il me semble qu’un des enjeux centraux du combat féministe, ce n’est pas qu’on soit indécises, c’est plutôt qu’il faut nous laisser parler, nous écouter et accueillir notre parole avec bienveillance. Tout cela suppose qu’on ait soi-même réussi à faire taire les petites voix intérieures qui viennent de notre éducation, de la société… Il faut en finir avec cette idée que le désir d’enfant est la norme et qu’on a toutes envie d’en avoir. Cela dit, je ne m’attendais pas à ce que cet aspect du scénario soulève autant d’interrogations au moment de trouver des financements et des partenaires…

C’est-à-dire ?

C’est-à-dire qu’il n’y a pas de problème à poser la question, mais que certaines réponses sont plus acceptables que d’autres ! On nous a aussi dit qu’on ne comprenait pas le choix de Cécile, le personnage joué par Juliette Armanet, qu’il fallait davantage le justifier…


« J’avais très peur de mettre en scène le contraire de ce que je pense. »


Tu travailles depuis bientôt cinq ans comme directrice artistique de La Déferlante, est-ce que cela a influencé ton travail de cinéaste ?

Cet engagement auprès de La Déferlante est fondamental, dans ma vie comme dans mon travail et a nourri l’écriture de mes films. Mais j’avais aussi très peur de mettre en scène le contraire de ce que je pense… Parce que c’est tellement compliqué d’exprimer les choses de la bonne façon et, au cinéma, on s’expose à voir ses choix interprétés de mille manières. Mes relations de travail respectueuses avec les fondatrices de La Déferlante ont aussi inspiré ma façon de constituer et de gérer une équipe, de parler aux gens sur le tournage…

Il y a des articles ou des interviews qui t’ont particulièrement marquée ?

Au moment de l’écriture du film, je me suis replongée dans le numéro « Réinventer la famille » – avec qui, comment, pourquoi… Ça m’a beaucoup nourrie. La Déferlante est une revue qui pose des questions, qui ouvre la discussion, mais qui ne prétend pas apporter de réponses définitives. Et c’était important pour moi de garder ça en tête en écrivant le film, pour me décomplexer sur la manière dont le public pourrait juger les décisions des personnages.

Tu as parlé de la « fraîcheur » que le choix d’un premier film pouvait apporter en ouverture de Cannes. C’est aussi très « frais » de voir mises en valeur des références musicales issues de la culture populaire des années 1990–2000 : Femme Like U (K. Maro), Tu m’oublieras (Larusso), Pour que tu m’aimes encore (Céline Dion)… Pourquoi ce choix ?

La culture dite « populaire » est souvent absente du cinéma français ou mise en comparaison avec des références plus « intellectuelles » qui auraient plus de valeur. Mais cette culture, quand on n’a pas grandi dans un milieu bourgeois, c’est notre langage. Ce sont les chansons grâce auxquelles on partage des souvenirs communs, qu’on écoute aux anniversaires, pendant les trajets en voiture, en vacances ou pour digérer des peines… Faire entrer tout ça dans un objet de cinéma, je trouve ça assez émouvant. J’ai aussi voulu que l’héroïne du film soit une ancienne candidate de « Top Chef ». Ça rappelle, si besoin, que la culture populaire est ultra légitime, utile et qu’il ne faut pas la laisser sur le côté.

En France, les films musicaux attirent un public plutôt féminin, mais sont quasi tous réalisés par des hommes : Alain Resnais, Jacques Demy, Christophe Honoré, François Ozon, Leos Carax, Jacques Audiard…

C’est vrai ? Je n’en avais pas du tout conscience ! J’imagine que plein de femmes ont envie d’en faire, mais peut-être que pour elles, c’est déjà tellement balèze de se faire une place dans le cinéma qu’elles évitent de proposer des films qui pourraient ne pas être pris au sérieux ou les enfermer dans une case. Heureusement que je n’y ai pas pensé avant d’écrire ce film, parce que, si ça se trouve, je ne l’aurais jamais fait !

06.05.2025 à 13:35

Newsletter : L’éducation, cet horizon libérateur

Lucie Geffroy
C’est une lutte dans laquelle les penseuses féministes se sont engagées très tôt, à l’image de l’écrivaine Mary Wollstonecraft (1759–1797). L’équation se formule ainsi : en enseignant aux filles davantage […]
Texte intégral (805 mots)

C’est une lutte dans laquelle les penseuses féministes se sont engagées très tôt, à l’image de l’écrivaine Mary Wollstonecraft (1759–1797).

L’équation se formule ainsi : en enseignant aux filles davantage que des savoir-faire domestiques, on leur donne les moyens d’être des citoyennes libres et éclairées, à l’égal des garçons. En parallèle, en éduquant les garçons à des notions telles que le consentement, le non-usage de la force, on se donne les moyens d’une société débarrassée des violences.

Évidemment, c’est un peu plus compliqué que cela. Avant d’offrir un horizon libérateur, la relation éducative est surtout chargée de tensions : dans ce face-à-face, l’adulte et l’enfant, la ou le pédagogue et son élève, l’institution qui éduque et le groupe qui doit être éduqué ne sont pas dans un rapport d’égalité. La domination des adultes sur les enfants est un rapport de pouvoir qu’il convient de mettre en lumière : les féministes s’y attellent en donnant notamment écho au concept d’infantisme. La banalité des violences éducatives dans les établissements scolaires catholiques, mise au jour ces derniers mois, est une illustration exacerbée de ce rapport de pouvoir. Au pensionnat de Notre-Dame-de-Bétharram, depuis six décennies, le personnel encadrant violentait les élèves, avec le soutien tacite de nombreux parents. Alors qu’il était ministre de l’Éducation nationale, François Bayrou a été informé des sévices perpétrés dans l’établissement, et a longtemps cherché à en minimiser la portée. Ces révélations ont très peu fragilisé l’actuel chef du gouvernement. Penser l’éducation comme une forme plus ou moins sophistiquée de dressage ne met pas en péril une carrière politique. Au contraire.

À l’heure actuelle, cette vision autoritaire, voire autoritariste, a le vent en poupe. En France, le chef de l’État défend le retour du port de l’uniforme dans les établissements scolaires, ou décide d’investir massivement dans la mise en place du service national universel pour les jeunes, un dispositif qui tient du séjour soft en camp militaire. Ces choix politiques et leur traduction budgétaire poussent à s’interroger, quand on sait que la souffrance des personnels des écoles – en grande majorité des femmes – ne cesse de s’accroître du fait de l’insuffisance de moyens et du manque de reconnaissance.

Aux États-Unis, les attaques contre l’enseignement public se multiplient : le 20 mars dernier, le président, Donald Trump, a signé un décret visant à démanteler progressivement le ministère de l’Éducation – une loi devra toutefois être adoptée au Sénat. Rien de plus efficace, pour asseoir la violence et la domination, que de désamorcer toute pensée critique en fabriquant de l’ignorance. Ce constat n’est pas valable seulement pour les savoirs dits fondamentaux : il concerne aussi l’éducation à la sexualité, sans cesse prise pour cible par les représentant·es des forces réactionnaires.


« Rien de plus efficace, pour asseoir la violence que de fabriquer de l’ignorance. »


À partir de la rentrée prochaine, un nouveau programme d’éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle (Évars) sera enseigné aux élèves de la maternelle au lycée : il est censé rendre effectives les trois séances annuelles prévues par la loi de 2001. Il devrait amener les élèves à mieux identifier les violences sexuelles et les discriminations dont elles et ils peuvent être l’objet. L’ambition d’une telle démarche rend d’autant plus condamnable l’absence du mot transphobie dans le programme final, à l’heure où les attaques contre les personnes trans sont devenues l’un des marqueurs des partis de droite et d’extrême droite.

Plus de deux siècles après la disparition de Mary Wollstonecraft, la lutte continue : l’éducation est un enjeu éminemment politique, au cœur des guerres culturelles. Pour en faire l’horizon libérateur espéré, elle doit être l’affaire de toutes celles et ceux qui souhaitent, comme le disait la militante féministe, permettre « à l’individu d’acquérir les habitudes vertueuses qui assureront son indépendance ».

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