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« Putain ça pue »

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L'antitsiganisme comme fondement caché de la rationalité patriarcale-capitaliste

- été 2025 / , ,
Texte intégral (9642 mots)

Cet article expose les analyses développées par Roswitha Scholz dans son dernier livre traduit en français Homo sacer et les « Tsiganes » pour les replacer dans le cadre « français » et dans l'actualité antitsigane (Lire dans cette édition, le compte rendu d'audience de Ritchy Thibault).

« Putain ça pue » : l'antitsiganisme comme fondement caché de la rationalité patriarcale-capitaliste

Les Roms : un « groupe à part »

À notre connaissance, le dernier rapport de la Commission nationale consultative des droits de l'Homme (CNCDH) [1] n'a pas fait l'objet d'âpres discussions dans les médias ou dans les dits cercles militants de gauche et leurs espaces de réflexion – lorsqu'il l'a été, la question des Roms et de l'antitsiganisme dont ils sont victimes n'a été abordée que de manière incidente, sans haine ni passion [2]. Toutefois, ce rapport – et le silence qui entoure le cas des Roms – confirme une fois de plus, une fois encore, une fois pour toute, ce que nous pourrions nommer la banalité de l'antitsiganisme, ce « racisme sans nom » [3] qui ouvertement et quotidiennement se déverse en France et plus largement en Europe [4].

59 % des personnes interrogées en 2024 dans le cadre des enquêtes pour le rapport de la CNCDH estiment que les Roms constituent un « groupe à part dans la société française », ce qui est le pourcentage le plus élevé parmi les groupes étudiés par la Commission. Ce chiffre monte même jusqu'à 65 % lorsque la question porte sur les « Gens du voyage », soit près de deux fois plus que pour les « Musulmans » (32 %), les « Maghrébins » (28 %), les « Asiatiques » (26 %) et les « Juifs » (24 %), et cinq fois plus que pour les « Noirs » (13 %) ; chiffre qui en fait donc, d'après le rapport de la CNCDH, la minorité la plus stigmatisée en France.

En outre, selon les personnes interrogées, cette « mauvaise intégration » dans la société française serait « provoquée par les Roms eux-mêmes ». 49% des répondants soutiennent « qu'ils [les Roms] ne veulent pas s'intégrer en France. » Pour la majorité des personnes interrogées, le mode de vie des Roms serait « très spécifique » voire « condamnable » : ils et elles seraient « nomades » (67 %), « exploiteraient très souvent des enfants » (50 %) et « vivraient essentiellement de vols et de trafics » (45 %). Les Roms contribueraient donc, pour de nombreuxses Françaises, à l'insécurité.

Le rapport note que seulement 4 % des personnes interrogées considèrent que l'on parle trop de « l'extermination des Tsiganes et des Roms pendant la Seconde Guerre mondiale ». Ce pourcentage relativement bas par rapport aux 16 % des Français qui pensent que l'on « parle trop de l'extermination des Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale » masque une autre réalité. En effet, quelle proportion de la population française a déjà entendu parler de l'extermination des Roms et des Sintés pendant de la Seconde Guerre mondiale ?

Aujourd'hui les populations Roms, qui sont en très grande majorité sédentaires [5], sont toujours reléguées aux marges de la société, voire de l'humanité. Les Roms qui vivent dans des bidonvilles ou des « aires d'accueil » sont victimes de graves inégalités environnementales ; les aires sont par exemple fréquemment nichées dans un écrin de bitume, pris en tenaille entre une route nationale et un site Seveso [6]. Les inégalités d'accès aux soins touchent fortement ces groupes et sont renforcées par le mépris et les maltraitances du personnel de santé à leur égard [7] ; ces inégalités et leurs prolongements ne sont d'ailleurs que les expressions les plus transparentes et les plus brutales d'une stigmatisation et d'une violence institutionalisées.

Des stérilisations forcées de femmes « Tsiganes » ont été pratiquées jusqu'à très récemment dans l'Union Européenne [8]. Cette pratique prolonge, dans une effrayante continuité historique largement passée sous silence, la politique de stérilisation forcée menée, dès juillet 1933, par le régime nazi sur les populations dites « Tsiganes », « asociales », « parasites » ou indésirables ; elle visait à éradiquer la « peste tsigane » [Zigeunerplage] : le régime nazi considérait en effet « les Roms comme une population malade devant être stérilisée à titre prophylactique. » [9] La « maladie tsigane » est l'« asocialité », la prétendue rétivité au travail et le déracinement du chemineau ; la vie du « Tsigane », en plus d'être « indigne d'être vécue », met en péril la pureté et la vitalité de la communauté du peuple. À l'écriture de ces mots, c'est dans un écho macabre que se rappelle à nous la poursuite des stérilisations forcées de personnes en situation de handicap aujourd'hui, en 2025, dans l'Union Européenne, où au moins 14 pays [10] les pratiquent officiellement. L'Europe a la main verte, quand il s'agit de « jardinage » eugénique [11].

Lundi 23 juin avait lieu le procès de la manifestation ayant menée à l'expulsion de familles roms d'un bidonville situé sur la commune de Villeron, dans le Val-d'Oise [12]. Au terme de la journée, le tribunal a relaxé les six prévenus, le maire de la commune, Dominique Kudla et cinq de ses administrés [13]. Or, ce qui s'est joué ce jour-là n'avait rien d'une simple « manifestation pacifique et bonne enfant », comme le prétendent les prévenus ; les faits reprochés étaient d'une gravité qui devraient en principe bannir ces qualificatifs : « manœuvre en vue de forcer une personne à quitter son lieu d'habitation, dégradation d'un bien appartenant à autrui commise en raison de la race ou de l'ethnie, violences commises en raison de la race ou de l'ethnie. »

Les propos tenus lors de cette manifestation « bonne enfant », tout de même intitulée « Pour la dissolution du camp de Roms », laissent en effet peu de doute sur le caractère raciste de la haine qui s'est déchainée ce 30 janvier 2023 : « Vous aimez ça vivre dans la merde. […] Ça gueule, ça gueule, les gens, ils en ont marre » ; ou encore : « Putain ça pue […] Ils vivent là-dedans comme des rats, comme des rats. » [14] Sur une pancarte brandie lors de l'événement, on pouvait voir associé les Roms avec, pêle-mêle, l'« insécurité », le « braconnage », les « vols », la « déforestation ». Cette même pancarte appelait à « protéger nos enfants ». Une participante déclarait d'ailleurs sans ambages, dans un reportage de Médiapart qui relatait les faits : « J'ai envie de dire, c'est leur mode de vie le problème. » En amont, le maire dénonçait, dans l'édito du journal du village, « les dérives du nomadisme destructeur de la communauté Roms », faisant une fois de plus écho à la Zigeunerplage [15]. Sommé de s'expliquer sur ses propos lors du procès, l'édile laisse libre cours à son antitsiganisme (« Rien que d'évoquer leur nom, mes poils se hérissent ») et élabore sur « l'action négative et polluante de cette population sans foi ni loi. » Il est intéressant de noter que lors de ce procès, qui portait donc sur des propos et des violences racistes, les avocats de la défense ont plaidé la « liberté d'expression ».

Pour la cour, qui d'après ses dires, n'est pas là pour « apprécier le reste », les infractions reprochées n'étaient pas constituées et les éléments de preuve n'étaient pas suffisants. À la suite du prononcé de la relaxe générale, les messages de soulagements et de soutien ont afflué sur le groupe Facebook de la commune. On s'y réjouit tour-à-tour de cette décision de justice (« Pour une fois que la justice juge correctement »), on loue « l'action citoyenne » menée par l'édile et ses administrés. Comme les indemnisations pour dommages-intérêts ou « citation abusive » accordées au débotté par le tribunal ne suffisaient vraisemblablement pas, une habitante a, dans un élan tout fraternel, pris l'initiative de partager une cagnotte en ligne pour couvrir les frais de justice des mis en cause ; elle qui vante la solidarité – face aux familles roms : « l'union fait la force, comme lorsque nous avons nettoyé le bois tous ensemble ! »

Les propos tenus, que ce soit lors de la manifestation ou après, notamment lors du procès, prennent leur source dans le bréviaire de la racialisation, de la déshumanisation et de l'« hygiène raciale » : on y retrouve la figure du « rat », celle de la peste tsigane vectrice de maladies – dont celle de l'« asocialité », qui « hérisse » les poils – ou le trope des « sauterelles sans nombre » : « Nous avons réussi à déloger les roms du bois de Villeron. Soyez vigilants, ils sont partis en direction de Vemars et Saint Wits. » – mais la cour n'était pas là pour apprécier ce « reste » [16].

Ces propos entrent en résonnance avec des discours politiques en apparence plus maitrisés ; en apparence seulement, car les prémisses sont dans les faits en tout point identiques : mêmes images, même source, même haine antitsigane. En 2013, dans un communiqué, Louis Aliot, alors vice-Président du FN, aujourd'hui maire RN de Perpignan, déclarait : « Le Front National, en plus d'une politique de priorité nationale, demande un arrêt de l'immigration, le démantèlement des camps de Roms et par mesure de sécurité sanitaire et sociale leur expulsion immédiate dans leur pays d'origine. » [17] Le député Horizon Xavier Albertini a récemment déposé une proposition de loi, examinée dans l'hémicycle le 3 avril, visant à « réformer l'accueil des gens du voyage », entendre faciliter l'expulsion des Voyageurs lorsqu'ils stationnent sur des terrains sans autorisation et renforcer l'arsenal répressif à leur endroit [18]. Argument avancé : le droit à la propriété, bien sûr, mais également la préservation de l'environnement. Ainsi, le texte stipule que « des atteintes d'une exceptionnelle gravité à l'environnement du fait d'un préjudice écologique avéré ou au vu de l'imminence de sa réalisation » pourraient justifier une expulsion par la force publique. Le déploiement de l'imaginaire raciste du Rom sale, salissant même, est ici bien visible sous le masque des considérations « environnementales ». Sans vouloir faire une liste exhaustive, nous pourrions aussi signaler les propos tenus à la radio, en 2024, par le président de l'UDI, Hervé Marseille, qui jugeait que LFI « transform[ait] l'Assemblée nationale en camp de gitans », alors que pour lui cette vénérable institution « ce n'est pas les Saintes-Maries-de-la-Mer ! » [19] ; ou nous pourrions évoquer les propos de Gilles Bourdouleix, actuel maire de Cholet, pour qui, parlant des « Gens du Voyage », « Hitler n'en avait peut-être pas tué assez » [20].

Si l'intolérance à l'égard des Roms est plus marquée chez les électeurs de droite et d'extrême droite, elle n'est pas pour autant absente chez les électeurs de gauche, comme l'indique le rapport de la CNCDH de 2023 [21] ou le révèlent sur le terrain les politiques municipales en matière d'accès à l'éducation, de ramassage des ordures, etc. Pour le sociologue Éric Fassin, dans ce dernier cas, nous pourrions même parler d'une véritable « politique municipale de la race » – transpartisane [22].

L'exclusion matérielle totale de la population rom, dans toutes les sphères de la société et à tous les niveaux, est parachevée par les agressions verbales et physiques, par la déshumanisation et le meurtre. Comme le 22 février 2024, jour où Angela Rosta, femme Rom enceinte de 7 mois, était assassinée devant son mobile-home, situé dans la commune de Chênex [23]. Après avoir tiré, le 20 février, sur des caravanes stationnées dans une aire d'accueil non loin, le jeune homme de 26 ans aujourd'hui écroué et mis en examen pour « meurtre et tentative de meurtre commis en raison de la race, l'ethnie, la nation ou la religion » a abattu, deux jours plus tard, Angela Rosta [24].

Les Roms sont donc un « groupe à part », plus précisément un groupe mis à part ; dans ces conditions, le « Tsigane » peut être stigmatisé, discriminé, voire tout bonnement tué – il est, dans le capitalisme, l'incarnation du hors-la-loi, de l'être-hors-société que la société bourgeoise cherche à expugner en inscrivant l'exclusion dans le corps de la loi.

Antitsiganisme et capitalisme : Roswitha Scholz et la théorie de la valeur-dissociation

Ce lien entre le capitalisme, le patriarcat et le « Tsigane » a été théorisé plus avant dans l'article de Roswitha Scholz intitulé Homo Sacer et les « Tsiganes », publié pour la première fois, en allemand, en 2007, dans la revue Exit ! n°4 [25], et enfin disponible dans une traduction française.

Roswitha Scholz a, dès les années 1990, formulé une critique négative du « patriarcat producteur de marchandises », en tant que rapport social dont le « cadre catégoriel fondamental » est celui de « valeur-dissociation ». Elle part du problème de constitution suivant : « soit le travail abstrait et la valeur sont déjà compris dès leur constitution et ainsi dans leur essence comme principe masculin ; soit une hiérarchie de concepts est à nouveau introduite, dans laquelle l'indexation sexuée est bannie dans un espace secondaire comme simple problème de dérivation et concrétisation. » [26] En d'autres termes, pour la théorie de la valeur-dissociation, il faut partir du principe que « le rapport entre les genres structure lui-même de manière centrale le principe de synthèse sociale. » Prenant comme prémisse cette exigence théorique, Roswitha Scholz démontre que le travail abstrait, auparavant présenté comme « neutre du point de vue du genre », est étayé, est rendu possible, en tant qu'activité médiatisante historiquement spécifique du rapport patriarcal-capitaliste, par l'exclusion des femmes, mais aussi des « racisés », des « invalides », des « marginaux », etc. – c'est-à-dire par le « dissocié » de la valeur, qui lui est pourtant dialectiquement lié.

Dans cet ouvrage, Homo Sacer et les « Tsiganes », il s'agit pour Roswitha Scholz, à travers sa théorie critique de la valeur-dissociation, de penser le contenu spécifique de l'antitsiganisme comme variante spécifique et oubliée du racisme dans la totalité capitaliste. Dans les dix chapitres d'Homo Sacer et les « Tsiganes », l'autrice déploie une critique de l'antitsiganisme comme moment catégoriel fondamental du patriarcat producteur de marchandises, moment culturel, social-symbolique, économique et comme fondement négatif de la subjectivité pulsionnelle bourgeoise.

C'est d'abord comme identité historique négative d'avec l'émergence de la modernité patriarcale-capitaliste que le racisme spécifique à l'égard des Sintés et des Roms est présenté. Au tournant de la modernité, la féodalité en crise laisse place au rapport social fondé sur le travail. Le grand partage entre labeur et oisiveté qui caractérise la conception moderne du travail, ainsi que plus tard la formation des États-Nation, réorganisent la société et ses territoires, écartant des pans entiers de populations nomades et que l'on juge politiquement incontrôlables. La figure du « Tsigane » comme vagabond et sans patrie, voleur et paresseux apparaît alors, et les populations désignées comme « tsiganes » deviennent la cible de politiques discriminatoires, de décrets de proscription ou de sédentarisation forcée. Avec les Lumières, le stéréotype tsigane, jusqu'ici mal défini, prend sa coloration raciale spécifique. Le « Tsigane », en plus d'être un asocial, devient le représentant d'une race inférieure, accessible au discours scientifique, à sa vérité spécifique et à ses pratiques propres. Se joint à l'antitsiganisme un sexisme spécifique à l'égard des femmes sintezza et roms. La modernité s'accomplit dans une réorganisation des rapports de genres, et constitue comme apparemment autochtones et dérangés les rapports de genres des populations « tsiganes ». Ainsi, Scholz décortique le double cliché de « la Tsigane » comme figure spécifique de la modernité patriarcale capitaliste et polarité indissociable de la femme au foyer bourgeoise – la Carmen sensuelle et la vieille sorcière qui vous lit dans la main.

Conjointement au développement, dans l'ère moderne, de l'antitsiganisme et de son objet, la figure du « Tsigane » et de « la Tsigane », se déploie dans les imaginaires le pendant romantique du même racisme antitsigane : la fougueuse liberté et les talents musicaux des « Tsiganes » sont célébrés dans les productions culturelles, la « drôle de vie des Tsiganes » [Das lustige Zigeunerleben] [27] est partout fantasmées. Scholz, sur ce point, est claire : l'antitsiganisme ouvert et l'antitsiganisme romantique sont les deux faces d'une même médaille raciste, indissociable de la totalité capitaliste. Ces deux variantes d'un même racisme subsument sous l'abstraction de la figure du « Tsigane » le concret des individualités. [28]

Sur les territoires de l'actuelle Allemagne, les politiques discriminatoires à l'encontre des populations Roms et Sintés sont inconstantes et sans grande cohérence jusqu'au XIXe siècle. Sous l'Empire et dans la république de Weimar, des registres commencent d'être tenus, des « camps tsiganes » [Zigeunerlagern] sont construits, et la systématicité des persécutions fait prélude aux politiques exterminatoires du régime Nazi. Dès les années 30, un antitsiganisme organisé, systématique, et que guide la science raciale, est appliqué par le régime national-socialiste. Dès 1933, les populations Roms et Sintés sont stérilisées de force ; elles sont internées dans des camps dès 1936 ; la « solution finale à la question tsigane » est ordonnée en 1938 par Himmler. Roswitha Scholz, alors, pose la question que « l'histoire déchirée » (Enzo Traverso) du XXe siècle semble suggérer : celle d'un ressaisissement conjoint possible de l'antisémitisme et de l'antitsiganisme, dans ce qu'ils ont de spécifiques et d'inséparables dans la totalité capitaliste. À la comparaison de leur histoire, particulièrement dans le cadre des deux génocides sous le régime Nazi, Scholz fait succéder une comparaison critique au niveau des catégories de la modernité et de la structuration négative de la subjectivité bourgeoise. Si, dans la modernité capitaliste occidentale, le Juif fait figure d'auteur surcivilisé de la modernité elle-même, le « Tsigane » représente, lui, le passé fantasmé de la culture occidentale ; un passé tout à la fois brutalement refoulé et nostalgiquement désiré par les populations que la modernité a mises violemment au travail.

La fin de la seconde guerre mondiale est une rupture historique paradoxale et sans discontinuité dans la matrice des rapports de valeur-dissociation. Les fonctionnaires, les registres, les lois et règlements qui avaient présidés aux persécutions et à l'élimination des populations Roms et Sintés sous la république de Weimar puis le régime Nazi subsistent pour la plupart. Les persécutions et l'extermination de masse des populations dites « tsiganes » ne sont, pendant longtemps, pas reconnues, et aucune réparation n'est apportée. L'antitsiganisme n'est pas thématisé, et continue, comme dans l'ombre, de structurer les rapports sociaux. Les populations roms et sintés sont marginalisées et criminalisées.

Il faut attendre le climat libéral des années post-68 pour que des mouvements de reconnaissance des communautés Roms et Sintés s'organisent, que des politiques de réparations soient mises en place et que la question de l'antitsiganisme soit prise au sérieux, son histoire documentée et son présent combattu, quoiqu'insuffisamment. Dès les années 70, certaines franges de la gauche s'emparent de la figure du “Tsigane” pour en faire le symbole d'une résistance à l'ordre bourgeois du capitalisme industriel. Les motifs de l'antitsiganisme romantique sont repris à la sauce de la flexi-paupérisation pomo, de la van-life forcée et des critiques tronquées du travail. La flexibilité de la soi-disant « contre-culture tsigane » est glorifiée, tandis que dans un même mouvement on refuse aux Sintés et aux Roms d'être autre chose que le « Tsigane » lui-même. Ainsi, alors même que les études subalternes et postcoloniales ont pu invoquer la notion « d'identités hybrides » [29] comme alternative à la vision binaire du colonialisme, il existe à propos du « Tsigane » un « tabou de l'hybridité » : le « Tsigane » n'est pas un en-dehors, un Autre exotique, et représente au contraire le dedans total de la culture occidentale ; en cela, son identité est Une. En parallèle, dans un contexte de décomposition de la souveraineté postmoderne et de précarisation généralisée, un antitsiganisme structurel vient charpenter les rapports sociaux et les subjectivités – un antitsiganisme structurel qui se manifeste par la haine des « assistés » et des exilés, la peur de la déchéance sociale et la surveillance globalisée des populations et de leurs déplacements.

Le cœur de l'analyse scholzienne se tient dans son investissement particulier du concept d'homo sacer, qu'elle reprend à Agamben. Issu du droit romain archaïque [30], l'homo sacer désigne un individu qui, par suite de sa condamnation, est exclu du droit civique ; l'homme jugé sacer peut être assassiné par quiconque sans que cet assassinat ne soit considéré comme un homicide, ni son assassin comme coupable ; en revanche, l'homme sacer n'est pas sacrifiable selon les rites ; c'est une vie nue, hors de la loi des hommes et de celles des dieux, indigne tout à la fois d'être vécue et sacrifiée. Pour Agamben, l'homo sacer est la figure « biopolitique » par excellence du sujet de la modernité politico-juridique occidentale. Reprenant à Carl Schmitt, de manière critique, la notion d'une souveraineté fondée sur la possibilité de l'état d'exception [31], il analyse le rapport de l'individu à la loi comme motif géminé d'inclusion et d'exclusion, et fait du camp (de concentration, mais aussi de travail, d'exilés etc. [32]), en tant que lieu de cet état d'exception réalisé, le nomos de la subjectivité juridique moderne. Pour Agamben, nous sommes toutes et tous des homines sacri potentiels, inclus dans la loi par la possibilité toujours de s'en trouver exclus, bannis [33]. La loi se maintient souveraine par sa suspension possible ; c'est en se suspendant que la loi constitue sa propre exception — l'absence de loi est une absence grosse, en quelque sorte, de la positivité de cette loi même. Scholz reprend cette figure et le motif géminé d'inclusion excluante qui s'y noue. Mais ceci, elle le fait en redonnant un contenu concret à l'homo sacer — contenu que la définition juridico-philosophique faite par Agamben avait réduit à néant, pour n'en laisser qu'une forme vide et androcentrique. Pour Scholz, nous ne sommes pas toutes et tous au même titre des homines sacri en puissance et ce sont bien les Sintés et les Roms, ceux que l'antitsiganisme constitue sans cesse en « Tsiganes », qui sont les homines sacri par excellence de la modernité capitaliste — ils sont maintenus « en état d'exception perpétuel ». Ce sont « les derniers des derniers », persécutés, exterminés sans conséquence, exclus même des critiques habituelles du racisme. De même que la loi se fonde elle-même par la possibilité de sa suspension, de même le rapport social est fondé par l'asocialité qu'il rend possible. Ainsi, la figure du « Tsigane » n'est pas celle de la lie de la société, mais bien le terreau fertile du grand partage entre le travail et l'oisiveté, entre le travailleur potentiel et l'irrécupérable. L'absence de loi réalisée dans l'existence-comme-homo-sacer du « Tsigane » constitue la loi véritable, le nomos, du rapport social de la valeur-dissociation, et tout à la fois l'existence comme homo sacer constitue le contenu particulier de l'antitsiganisme. Comme l'écrit Scholz, « la valeur-dissociation, en tant que principe fondamental, a elle-même pour fondement le ‘‘Tsigane'' en tant qu'homo sacer par excellence, et inversement. »

Vers une critique radicale des rapports de domination ?

Au moyen de ce geste théorique et critique, Roswitha Scholz met en évidence que l'objet particulier de l'antitsiganisme, dans son existence au cœur du patriarcat producteur de marchandises, ne peut en être déconnecté ou descellé ; il doit être traité dans son existence même, dans ses médiations et son articulation au cadre catégoriel fondamental historiquement spécifique du patriarcat-capitalisme.

Roswitha Scholz, et ce avec et au-delà d'Adorno et de Lukács, interroge plus largement et profondément, à travers sa théorie de la valeur-dissociation et son étude de l'antitsiganisme, le statut de la théorie et de la critique sociale ainsi que son rapport à son objet, à « la chose » elle-même. Pour elle, l'approche abstraite-subsumante écrase l'objet sous la lourdeur de la « neutralité » conceptuelle « universalisante », pour finalement en araser les particularités. Alors, nous pouvons nous demander avec Roswitha Scholz si une pensée qui occulte, pour ne prendre qu'un exemple, l'écrasement, la domination, l'asservissement de la moitié de la population, de ces « âmes damnées » dont parle Monique Wittig dans son Virgile, non ; si cette pensée, donc, délibérément aveuglée par sa prétention à l'universalité, à la généralité conceptuelle la plus lisse, peut être « critique », « négative » ou même tout simplement « sociale » – sa prolixité rappelle toutefois le proverbe rabelaisien : « à cul foireux toujours merde abonde ».

Par ailleurs, Roswitha Scholz s'efforce de critiquer le « dérivatisme » ambiant ; cette « méthode » qui consiste à dissoudre les médiations sous les dérivations depuis un principe premier abstrait, « en dernière instance » économique, qui clôture la totalité brisée dans l'idée pour rendre celle-ci transparente, adamantine, diaphane – méthode dont la lumineuse clarté fait percer à jour, en creux, comme ombre projetée d'elle-même, du principe d'identité, le non-identique, le hors-concept, le particulier, la chose en soi.

La poésie de Paul Célan est traversée par cette tension entre général et particulier, entre abstrait et concret, elle est tout entière cette recherche, rendue quasiment impossible par la langue, de la « véracité de la rencontre », de la rencontre avec l'« Autre », le « mortel », le « pour rien » [34] :

Celui qui n'est prêt qu'à déplorer la disparition de la beauté aux yeux en amande, il la tue, lui aussi ; il ne fait que l'enterrer, cette beauté aux yeux en amande ; il l'enterre une fois de plus et encore plus profondément dans l'oubli. — Si, pour commencer, tu pars avec ta douleur la plus propre à la rencontre des morts au nez crochu, des morts bossus, parlant yiddish et tordus comme des tuyaux de plume, ceux de Treblinka, d'Auschwitz et de n'importe quel autre camp, alors tu rencontres aussi l'œil et son eidos : l'amande. — Ce n'est pas le motif mais la pause et l'intervalle, les silences, les souffles qui répondent dans le poème de la véracité d'une telle rencontre […]. Ce serait déjà bien d'arriver à nommer ici ce qui se manifeste comme un phénomène silencieux dans la vérité d'une telle rencontre. [35]

Cette pensée du silence, de la strette, cette pensée dialectique, de la contradiction a, en matière de théorie critique, été approchée par Roswitha Scholz, à tout le moins dans ses enjeux épistémologiques ; c'est cette pensée, celle de l'épanorthose, à même de saisir ce qui « sonne faux » dans les concepts, c'est cette pensée qui prête l'oreille à la « fausse note du cor anglais » qui est à creuser plus avant. Elle se veut être l'antipode de ce qu'est la philosophie incarnée par M. Obláth dans le Kaddish d'Imre Kertész :

[…] le visage de M. Obláth arbora de nouveau l'expression de l'intellectuel professionnel moyen disposant de perspectives moyennes, de taille moyenne, d'âge moyen, d'opinions moyennes, aux revenus moyens, au milieu de ces moyennes montagnes de Hongrie, et les fentes de ses yeux disparurent dans les rides de son sourire cynique et heureux. Sa voix redevint immédiatement objective, voire objectale, cette voix huilée, habituée aux tergiversations, sûre d'elle-même, qui ne s'était brisée un instant auparavant qu'à cause de la proximité menaçante de questions pleines de vie […] les esprits supérieurs ont déjà depuis longtemps interdit à l'être d'exister. [36]

Sachant cela et pour ne point sombrer dans l'« objectivité » d'un M. Obláth, la gageure consiste à maintenir la tension entre général, singulier et particulier sans jamais réduire l'un de ces niveaux à l'agrégation ou la dissection des autres :

[…] la critique de la valeur-dissociation renonce à toute affirmation d'un principe premier. Une théorie critique de la valeur-dissociation, en tant qu'elle insiste précisément sur une pensée de la totalité brisée, doit faire reconnaître des dimensions différentes, comme les niveaux matériel, culturel-symbolique, socio-psychique, donc les niveaux micro, méso et macro […], ainsi que les dimensions globale et locale. Elle conçoit ces dimensions à la fois comme articulées entre elles et comme des dimensions pour soi […] et elle doit maintenir la tension, tout en la mettant en évidence dans ce contexte-là, entre les niveaux général et particulier. [37]

Une distinction – qui ne suspend cependant pas la dialectique – est donc à opérer entre la matérialité des rapports sociaux et leurs traitements réflexifs, à partir de cet état de fait historiquement déterminé. D'où l'importance des dimensions culturelle-symbolique et socio-psychique mais aussi des études sur la « personnalité autoritaire » (Adorno).

Faire rompre le concept sous son propre poids, telle est le défi du « réalisme dialectique » en quête des déterminations intrinsèques et réciproques de son objet :

Il s'agit donc, dans le sens de la totalité concrète déployée, d'une nouvelle détermination des rapports sociaux mondiaux qui ne doit pas craindre les « bas-fonds de l'empire » (Kant) et qui doit donc, suivant Adorno, donner la priorité à l'objet réel. Lorsque la réalité sociale change, la théorie doit changer, tout en maintenant la critique du principe de forme et donc la distinction entre essence et apparence. L'empirisme et les niveaux d'analyse plus concrets ne doivent pas être subordonnés à la détermination de la forme sociale fondamentale. [38]

Une fois de plus Imre Kertész nous semble offrir une formulation du problème qui éclaire le chantier théorique ouvert par Roswitha Scholz :

Plus nous soulignons la nature irrationnelle d'un phénomène, plus nous le repoussons, moins nous le comprenons, moins nous voulons le comprendre, puisqu'il a été dit qu'il était incompréhensible. Le rationnel et l'irrationnel sont tombés au niveau de mots qui ont perdu leur signification intrinsèque et reflètent seulement notre volonté, notre intention de repousser la compréhension du simple fait, de la chose réelle, de la chose en soi. Il se peut qu'elle ne soit pas compréhensible ; mais l'impératif moral dicte, comme le formule le savant anonyme de l'imaginaire poétique de Thomas Bernhard : « […] nous devons avoir chaque fois au moins la volonté d'aller jusqu'à l'échec. » [39]

Tel que précisé précédemment par Roswitha Scholz, les catégories de la critique sont elles-mêmes processuelles et historiques ; dans la plus pure tradition de la Théorie critique de l'École de Francfort, la théorie doit être en mesure de « penser contre elle-même » pour changer avec son objet, voire se relativiser elle-même, se retirer comme théorie devant les singularités de son objet. Cela offre la possibilité de saisir les développements les plus contemporains du patriarcat-capitalisme sans jamais forcer la coïncidence entre des phénomènes nouveaux et un chablon conceptuel rigide.

Or, justement, le fascisme, un nouveau fascisme, est dans l'air du temps – l'air qu'il nous faut respirer. Nous assistons à une racialisation des disparités sociales et de la marginalité, dont le « Tsigane » reste, en Europe, l'idéal-type. Dans le contexte de crise mondiale du patriarcat-capitalisme, alors que la superfluité rattrape jusqu'au « bon travailleur » bien intégré dans le processus de production, la « mentalité de soumission [Radfahrernatur] » [40] se répand. Le « Tsigane » réel est la cible toute désignée, il est la figure repoussoir par excellence, l'incarnation d'une « asocialité » aussi crainte que fantasmée : le « Tsigane » est « l'homo sacer par excellence ». Le nouveau fascisme, tout comme son aîné, tend vers une universalité négative, « vers l'universalité non par l'amour, mais juste par son contraire, c'est-à-dire la haine et le meurtre. » [41] Le nouveau fascisme claironne ses aspirations palingénésiques : se dessine une eschatologie qui en appelle à une « extermination rédemptrice », une purification du corps social pour que de celui-ci, amputé, advienne, « revienne » l'universel. Ces discours et ces visées sont en tous points identiques à ceux portés par la NRx (Neo-reactionary movement aussi appelé le Dark Enlightenment) étatsunienne. C'est aussi ce que nous voyons sourdre des discours sur « la France des honnêtes gens », qui opposent la bonne France des travailleurs à la mauvaise des « parasites », des « assistés » [42]. L'antitsiganisme n'est donc pas un anachronisme du capital, il est sa structure d'exclusion la plus actuelle.

D'autre part, l'attrait pour la vie nomade ou la vie en roulotte, la flatterie « de pogromiste » à « La belle Tsigane » [43] ou cette fascination pour la « drôle de vie des Tsiganes » – faria faria ho ! –, ne sont que l'autre face de la même médaille antitsigane. Enfin, la négation abstraite de l'être-« Tsigane », dans son existence concrète, n'est qu'une « fuite inauthentique » (de Beauvoir), une négation omineuse de l'antitsiganisme réel lui-même.

Dans la crise terminale du patriarcat producteur de marchandises, la prise en compte du « dissocié », dans son rapport dialectique avec la valeur, est d'une urgente nécessité ; ses implications, nombreuses, notamment épistémologiques, n'ont été ici que très partiellement effleurées – la théorie de la valeur-dissociation ne se résume pas à coup d'operational terms. Toutefois, retenons que pour la critique de la valeur-dissociation, les mouvements ou les théories qui revendiquent positivement les catégories fondamentales du rapport social, comme le « dissocié », qui déterminent sa dynamique, ne présentent – précisément du fait de cette détermination – aucune perspectives émancipatrices ou révolutionnaires. Au contraire, pour Roswitha Scholz, « un réalisme dialectique doit porter un regard impitoyable, intègre et non romantique sur les rapports sociaux (mondiaux) afin d'affirmer l'objectif selon lequel, sur ses ruines, quelque chose de totalement nouveau doit naître. » [44]


[2] Exception notable : Médiapart.

[3] Ilsen About, « Un Racisme Sans Nom. Les Origines Historiques de la Haine Antitsigane », dans Communications, 107(2), 2020, p. 89-101. Disponible en ligne : https://doi.org/10.3917/commu.107.0089 >.

[4] Voir par exemple, « Les Roms de Transcarpatie et la guerre en Ukraine », disponible en ligne : https://lundi.am/Les-Roms-de-Transcarpatie-et-la-guerre-en-Ukraine >.

[5] Henriette Asséo, « Non, les Tsiganes ne sont pas des nomades », dans le Monde diplomatique : https://www.monde-diplomatique.fr/2012/10/ASSEO/48249 >.

[6] Voir Lise Foisneau, « Les aire d'accueil des Gens du voyage : une source majeure d'inégalités environnementales », Études tsiganes, 2019, n° 67, p. 28-51. Sur lundiam, se reporter à https://lundi.am/Antitsiganisme-poussieres-et-chaleur-suffocante >.

[7] Prud'homme, Dorothée. « La racialisation des patientes “roms” par les médecins urgentistes : Invisibilisation des précarités et révélation des ambitions professionnelles ». Actes de la recherche en sciences sociales, 2021/4 N° 239, 2021. p.50-65. CAIRN.INFO, shs.cairn.info/revue-actes-de-la-recherche-en-sciences-sociales-2021-4-page-50 ?lang=fr.

[8] Bien qu'aucunes données précises sur l'arrêt de cette pratique ne soient, à notre connaissance, disponibles.

[9] Kóczé, Angéla. « La stérilisation forcée des femmes roms dans l'Europe d'aujourd'hui ». Cahiers du Genre, 2011/1 n° 50, 2011. p.133-152. CAIRN.INFO, shs.cairn.info/revue-cahiers-du-genre-2011-1-page-133 ?lang=fr.

[10] Autriche, Bulgarie, Croatie, Chypre, République tchèque, Danemark, Estonie, Finlande, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Malte, Portugal et Slovaquie. Pour plus de détails, se reporter à : https://www.edf-feph.org/content/uploads/2022/09/Final-Forced-Sterilisarion-Report-2022-European-Union-copia_compressed.pdf > ; ainsi qu'à : https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/E-10-2025-000193_EN.html >.

[11] Zygmunt Baumann, Modernité et Holocauste, Paris, La fabrique, 2002.

[15] Soit la « peste tsigane » .

[22] Éric Fassin, Carine Fouteau, Serge Guichard, Aurélie Windels, Roms et riverains, Paris, La fabrique, 2014.

[25] On trouvera une version condensée de ce texte dans la revue allemande Phase 2 sous le titre « WASTE TO WASTE – Die Roma und “wir” ». Une traduction française est disponible en ligne : https://lundi.am/Waste-to-waste-les-Roms-et-nous >.

[26] Roswitha Scholz, Le Sexe du Capitalisme, « masculinité » et « féminité » comme piliers du patriarcat producteur de marchandises, Albi, Crise & Critique, 2019, p. 21.

[27] En référence à une chanson populaire.

[28] Voir Collette Guillaumin, L'idéologie raciste.

[29] Voir par exemple Homi K. Bhabha, les Lieux de la culture. Une théorie postcoloniale, Paris, Payot & Rivages, 2007.

[30] Désigne le droit élaboré à Rome avant l'Empire et la mise en place du droit romain dit « classique » (soit entre 753 et le milieu du IIe siècle avant JC).

[31] « Est souverain celui qui décide de la situation exceptionnelle. » (C. Schmitt, Théologie politique, Paris, Galimard, 1988)

[32] Robert Kurz a lui-même fait une lecture de l'homo sacer comme figure centrale du rapport-capital dans Impérialisme d'exclusion, état d'Exception ; Roswitha Scholz lui reproche de n'avoir pas mentionné la question de l'antitsiganisme, alors même que Robert Kurz critique Agamben pour son utilisation de l'homo sacer comme forme vide.

[33] « nous appellerons ban […] cette puissance […] de la loi qui lui permet de se maintenir dans sa propre privation et de s'appliquer en se désappliquant. La relation d'exception est une relation de ban. Celui qui est mis au ban, en effet, n'est pas simplement placé en dehors de la loi ni indifférent à elle ; il est abandonné par elle, exposé et risqué en ce seuil où la vie et le droit, l'extérieur et l'intérieur se confondent. » (Giorgio Agamben, Homo sacer ; l'intégrale, 1997-2015, p.33, sq §1.7)

[34] Voir Paul Celan, Le Méridien.

[35] Voir la Correspondance Adorno/Celan, Caen, Nous, 2008, p. 15.

[36] Imre Kertész, Kaddish pour l'enfant qui ne naître pas, Arles, Actes Sud, 1994, p. 19 sq.

[37] Roswitha Scholz, « La nouvelle critique sociale et le problème de la différence » dans Le Sexe du Capitalisme, op.cit., p. 138, souligné dans l'original.

[38] Roswitha Scholz, Forme sociale et totalité concrète, Albi, Crise & Critique, 2024, p. 107.

[39] Imre Kertész, L'Holocauste comme culture, Arles, Actes Sud, 2009, p. 115.

[40] Theodor W. Adorno, « La personnalité autoritaire », dans Prismes, Volume 4, Éditions la Tempête, Bordeaux, 2022, p. 190.

[41] Imre Kertész, L'Holocauste comme culture, op. cit., p. 48

[42] Renvoyons aussi à Félicien Faury, Des électeurs ordinaires, Paris, Le seuil, 2024.

[43] Imre Kertész, Kaddish pour l'enfant qui ne naître pas, op. cit., p. 29

[44] Roswitha Scholz, Forme sociale et totalité concrète, op. cit., p. 113.

15.07.2025 à 15:05

L'antitsiganisme populaire et impuni

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Texte intégral (1556 mots)

Le 5 février 2023, à Villeron (95), une expédition de 200 personnes, menée par le maire de la ville, s'est dirigée vers le bois communal pour en chasser les familles Rroms y résidant dans des conditions très précaires. Deux ans après les faits, ce lundi 23 juin 2025, se tenait au tribunal correctionnel de Pontoise le procès des assaillants de ce lieu de vie informel.

Sur le banc des prévenus, Monsieur et Madame Tout-le-Monde

Au début de l'audience, aux alentours de 13h30, la présidente présente succinctement les prévenus : Dominique Kudla, maire de la commune de Villeron, qui a fait office de chef des assaillants, ainsi que cinq autres mis en cause, parmi lesquels une conseillère municipale, un chef d'entreprise, une infirmière et un policier. Tous les prévenus sont décrits comme parfaitement intégrés socialement et sans antécédent judiciaire.

Dans ce village d'un peu moins de deux mille habitants, 200 personnes ont participé à la manifestation pour la « dissolution du camp de Rroms ». Loin d'être l'œuvre d'un groupuscule d'extrême droite, cette action a rassemblé des citoyens ordinaires, mettant en lumière la banalité de l'antitsiganisme qui traverse toute la société.

Une expédition d'une violence inouïe

Pour reprendre les mots de Benjamin Giacco, élève-avocat chez Maître Braun, c'est une « violence inouïe » qui s'est déchaînée le 5 février 2023 contre les familles Rroms du bois de Villeron. Ce jour-là, les 200 personnes se sont dirigées vers le bois avec la ferme intention de déloger manu militari les familles Rroms, aux cris de slogans tels que « Villeron n'est pas Ville-Rroms » ou encore « Dégagez ».

La manifestation a été marquée par des jets de projectiles (déchets, pierres, bouteilles en verre, etc.) en direction des familles, y compris des enfants en bas âge. Un groupe d'une vingtaine d'individus particulièrement véhéments a contourné le dispositif de gendarmerie pour pénétrer sur le lieu de vie et s'en prendre directement à ses habitants. Sollicité pour apaiser la situation, le maire a déclaré qu'il fallait bien que les gens « se défoulent ».

Ce dernier a joué un rôle central en faisant intervenir un chef d'entreprise de terrassement avec un engin de chantier pour détruire les habitations de fortune des familles, en dehors de tout cadre légal. Le 5 février, à 15h, sous la contrainte, les familles ont dû fuir leur lieu de vie, sous les huées et les applaudissements des manifestants exultant aux cris de « On est chez nous ! » et « On a gagné ! ». Après leur départ, certains membres de l'expédition ont saccagé les effets personnels abandonnés par les familles dans leur fuite.

Une complicité des autorités ?

Tout au long de l'audience, la présidente s'est largement appuyée sur les témoignages des gendarmes encadrant le rassemblement. Cependant, à leur écoute, leur partialité apparaît rapidement. Les militaires font preuve d'une grande mansuétude envers les manifestants. L'un d'eux, comme pour justifier leurs agissements, évoque leur « frustration » de ne pas pouvoir approcher les Rroms. Les témoignages des gendarmes tendent à minimiser le comportement des individus ayant pris part à ces actions manifestement illégales, qu'ils décrivent comme « pacifiques » et respectueux des forces de l'ordre.

Plus édifiant encore, un des prévenus, policier et co-organisateur de la manifestation, révèle à la barre que les gendarmes étaient membres du groupe WhatsApp des manifestants. Plus tard, Maître Braun, avocat des victimes et de l'association partie civile La Voix des Rroms, dénonce la passivité des gendarmes et, plus globalement, une forme de complicité des autorités face à de tels agissements. Il s'interroge notamment sur la décision de la préfecture d'autoriser une manifestation ayant pour objet la « dissolution du camp de Rroms » du bois de Villeron.

Ces éléments rappellent la dimension systémique et institutionnelle de l'antitsiganisme, racisme subi par les personnes roms.

Les parties civiles dénoncent un antitsiganisme décomplexé

Tout au long de l'audience, et notamment lors de leurs plaidoiries, les avocats des parties civiles n'ont cessé de dénoncer la dimension antitsigane de cette attaque. Maître Braun a interrogé le maire, Dominique Kudla, sur ses propos publiés dans le bulletin municipal de janvier 2023, évoquant « une action négative et polluante de cette population sans foi ni loi ». Lors de sa plaidoirie, il soutient que, dans ce dossier, les Rroms sont désignés comme boucs émissaires. Il appelle à briser le mécanisme de violence collective visant les Rroms et déplore qu'on leur refuse « la qualité de sujets de droit ».

Maître Gabriel Sebbah, représentant la Fondation pour le Logement, également partie civile, insiste sur la violence des événements et retrace leur genèse, qu'il attribue à la profusion de messages et discours antitsiganes sur les réseaux sociaux concernant les habitants du bois de Villeron. Enfin, l'avocate du MRAP, autre association partie civile, revient sur la persistance de l'antitsiganisme en France et en Europe, soulignant que les personnes ciblées le 5 février l'ont été en raison de leur appartenance, réelle ou supposée, à la communauté Rrom.

Des réquisitions bien légères

Viennent ensuite les réquisitions de la procureure de la République. Elle ne se prononce que sur deux prévenus poursuivis par le parquet : M. Kudla, maire de la commune, et M. D., identifié comme meneur d'un groupe de vingt individus particulièrement déterminés. Concernant le maire, elle demande la relaxe pour l'ensemble des faits (expulsion illégale, violence, dégradation), arguant qu'il a agi en faveur de l'apaisement. Pour M. D., elle demande que le tribunal le poursuive pour expulsion illégale, abandonnant les autres poursuites (violence, dégradation). Elle déclare qu'il a agi en souhaitant défendre « la vie de sa commune » et requiert une peine de six mois d'emprisonnement avec sursis simple et une amende de 1 000 euros.

Pour les autres prévenus, comparaissant par citation directe des parties civiles, elle ne formule aucune réquisition, le parquet ne les ayant pas poursuivis.

Le déni et l'inversion accusatoire de la défense

Lors des plaidoiries de la défense, un déni absolu des faits est observé. La défense insiste lourdement sur une prétendue instrumentalisation politique de l'affaire et nie tout racisme. L'un des avocats remet même en question la pertinence et l'utilité du témoignage écrit du sociologue Éric Fassin, pourtant reconnu pour son expertise universitaire sur le racisme.

L'avocat d'une des prévenues procède à une inversion accusatoire, allant jusqu'à demander à chaque partie civile le versement de 3 000 euros au bénéfice de sa cliente pour citation abusive, ainsi que 3 000 euros au titre des frais de justice. D'une même voix, et au mépris des faits et des victimes, les avocats de la défense demandent la relaxe pour tous leurs clients.

Un jugement qui confirme que le racisme antitsigane demeure impuni

Après sept heures d'audience, le tribunal délibère en moins de quinze minutes. En préambule, la présidente explique que le jugement ne se confond pas avec une appréciation morale des faits. Elle annonce ensuite la relaxe pour l'ensemble des prévenus et ordonne aux victimes et à l'association La Voix des Rroms de verser 2 000 euros au titre de la « citation abusive » de l'un des prévenus. Étrange jugement, où les victimes sont transformées en coupables et les prévenus en victimes.

À la fin de l'audience, une femme et militante Rrom s'indigne de ce jugement. La présidente la menace de poursuites pour « outrage au tribunal », ce à quoi je n'ai pu m'empêcher de répondre que c'est sa décision qui était outrageante.

Quand la justice entendra-t-elle la voix des Rroms ? Quand accordera-t-elle du crédit à leur parole ? Le chemin sera long. Lors de cette audience, la présidente a refusé de laisser s'exprimer Saimir Mile, porte-parole de l'association La Voix des Rroms et partie civile dans l'affaire.

Un racisme accepté

Au cours de l'audience, j'ai été stupéfait de découvrir parmi les avocats de la défense Maître Anissa Doumi, membre du groupe d'avocats « La Legal Team antiraciste ». Cette avocate peut défendre qui elle veut, mais comment peut-elle rester membre d'un groupe antiraciste tout en défendant un individu ayant pris part à de graves exactions antitsiganes ? Cela démontre une chose : l'antitsiganisme est le racisme le plus accepté, car les Rroms se trouvent tout en bas de la pyramide raciale.

Après l'audience, Maître Braun, avocat des victimes, a annoncé faire appel de la décision.

Ritchy Thibault

15.07.2025 à 14:46

François Besse, un flamboyant rebelle si discret

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Bandit d'honneur, Robin des Bois moderne, nouvel Arsène Lupin, ennemi public n°1 français, Roi de la cavale, Lieutenant de Mesrine, les surnoms et superlatifs n'ont pas manqué pour qualifier François Besse au parcours unique dans le grand banditisme. S'il fait partie des hors-la-loi les plus célèbres du XXe siècle, son parcours, tel qu'il est généralement relaté, se cantonne bien souvent à certains moments marquants et laisse de côté ses révoltes, ses inspirations et ses aspirations (…)

- été 2025 / , ,
Texte intégral (8682 mots)

Bandit d'honneur, Robin des Bois moderne, nouvel Arsène Lupin, ennemi public n°1 français, Roi de la cavale, Lieutenant de Mesrine, les surnoms et superlatifs n'ont pas manqué pour qualifier François Besse au parcours unique dans le grand banditisme. S'il fait partie des hors-la-loi les plus célèbres du XXe siècle, son parcours, tel qu'il est généralement relaté, se cantonne bien souvent à certains moments marquants et laisse de côté ses révoltes, ses inspirations et ses aspirations libertaires, ses combats contre les QHS, sa solidarité avec les prisonniers en lutte, sa haine de la société et de ses injustices. C'est tout un versant politique implicitement présent ou explicitement revendiqué qui est oublié. Or, c'est celui-ci qui donne tout son sens et une dimension à ses incroyables exploits, lorsqu'il a maintes fois défié la police, l'État et les banques.

[Cet article et son double à propos de Noëlle Besse, nous ont été confiés par le média mutu bordelais LaGrappe.info.]

Afin de mettre en valeur l'aspect révolutionnaire dans la pensée et la vie de François Besse, nous sommes notamment partis de ses deux récits de vie. Le premier, assez rare, Je suis un bandit d'honneur, est rédigé dans la prison de Carabanchel à Madrid peu avant sa sixième évasion. Le manuscrit a été remis en 1984 à l'éditeur par Noëlle Besse [1], sa sœur qui est, tout du long de ses aventures, un soutien et une complice inestimable. Le second, Cavales, est paru en 2019, après la dernière sortie de prison de François. Nous nous sommes aussi appuyés sur les autobiographies de Noëlle, de Jacques Mesrine ainsi que de sa dernière compagne, Sylvia Jeanjacquot. Bien que les récits soient forcément orientés et que les autobiographies omettent volontairement des informations afin de ne pas révéler certains secrets et mettre en danger d'autres personnes, nous avons cherché à restituer, dans l'ordre chronologique et avec une certaine exhaustivité, le parcours de révolté de François Besse.

François Besse est né à Cognac le 26 juillet 1944. Son père est espagnol, originaire de Murcia, réfugié en France après sa condamnation à mort par Franco pour délits politiques en 1939. Il a dû laisser son épouse et ses enfants en Espagne. Sa mère, française, est veuve de guerre. Chaque fin de semaine, les compagnons de lutte de son père viennent à la maison sous prétexte de jouer au Mus, jeu de cartes traditionnel basque. Les odeurs de tabac, de « vino tinto » se mêlent aux récits de combats et aux célébrations « Por la Libertad ! ».

C'est dès son enfance et du fait de sa situation familiale que François forge sa haine du système, qui va l'accompagner toute sa vie : « C'est au nom de cette liberté, au nom de cette lutte contre l'injustice, l'inégalité, la répression, que je suis devenu, pour les autorités françaises, un homme à abattre pour avoir osé refuser leur justice, qui me condamnait en tant que fils d'émigré en butte au racisme et à la pauvreté, pour des délits dont j'étais innocent ».

François Besse, Mardi Gras de 1955, déguisé en indien, déjà à affronter les cowboys.

Il éprouve de l'admiration concernant la détermination, la rigueur et le sens de l'honneur de son père, mais il ne peut accepter son extrême sévérité et ses colères violentes qui terrifient sa sœur Noëlle et lui-même. Les bêtises de gosses sont généralement punies par des raclées à coups de ceinture. Un épisode traumatisant que chacun des enfants évoque dans leurs autobiographies respectives est le jour où le père, excédé par le chant du coq durant les informations, sort son couteau et lui tranche la tête sous leurs yeux. Noëlle s'enfuit et se cache toute la journée dans une usine voisine. François la cherche et la console. Ce moment scelle le lien profond entre le frère et la sœur et illustre le soin et l'aide qu'ils vont s'apporter l'un à l'autre.

Cette relation de protection mutuelle, de complicité sans faille et de grande confiance se vérifie tout au long de leur vie, que la prison ou la clandestinité les sépare ou non. François, dès sa tendre enfance, ressent un désir de liberté et de solitude, se tient à l'écart des adultes, pressentant qu'il sera en marge d'une société dont il ne peut tolérer l'injustice. Malgré un tempérament discret et un corps fluet, il jouit d'un charisme qui lui donne une importance dans les bandes de gosses qu'il fréquente.

À 14 ans, il commet son premier méfait avec ses camarades et complices. Ils remarquent qu'il est possible d'avoir accès à l'entrepôt, dont la porte qui ne ferme pas mène au bureau où se trouve la caisse du marchand, en envoyant le ballon de l'autre côté du mur de la cour où ils jouent. François Besse, plus mince et agile que ses comparses, est souvent volontaire pour reproduire le coup. Une fois où c'est un de ses copains qui tente le larcin, le commerçant qui avait compris la manœuvre, l'attrape sur le fait et le force à donner des noms. François écrit que c'est la « première balance de [s]a vie ».

Sa mère choisit de rembourser la somme et de taire l'histoire à son compagnon. Mais deux ans plus tard, lorsque son père va au commissariat renouveler sa carte de réfugié politique, un policier s'amuse à lui faire des insinuations concernant cette histoire. Dans une colère terrible et voulant laver son honneur qu'il pense sali, le père de François Besse attend le retour de son fils à la maison. Lorsque ce moment arrive, il s'élance vers lui, armé d'un grand couteau et François n'y échappe que grâce à l'intervention de sa sœur qui s'interpose, au prix d'une grande entaille. François s'enfuit de la maison et décide de ne plus y revenir. Suite à cet incident, sa maman quitte son compagnon et le chasse de la maison. François ne reverra jamais plus son père.

Il enchaîne quelques métiers qui lui conviennent, mais se fait congédier lorsque ses patrons apprennent son passé de délinquant. Il quitte Cognac pour rejoindre une plus grande ville, plus anonyme, Bordeaux. À peine arrivé, il tombe avec trois de ses amis pour une affaire de cambriolage de coffres-forts et pour laquelle il clame son innocence. Il pense que cette accusation trompeuse est due au fait d'avoir refusé d'appartenir au S.A.C.(Service d'Action Civique) qui recrute la fine fleur du banditisme français pour effectuer les basses besognes du parti gaulliste, et aussi pour avoir hébergé un ami anarchiste. Il entame 21 jours de grève de la faim. Cela ne sert à rien, il est condamné à 7 ans de réclusion criminelle.

Dans sa cellule de Gradignan, il ne parvient pas à digérer cette décision [2] et décide que jamais les murs ne l'enfermeront. Il prépare donc sa première évasion dans cette prison flambant neuve : « Cette prison de Bordeaux (Gradignan) était considérée par les architectes l'ayant construite comme bénéficiant des dernières sophistications électroniques, garantes de son inviolabilité. En fait, en 1981, Gradignan, nouveau-né de la répression pénitentiaire, était la seule prison moderne d'une publicité électorale tapageuse pour rassurer les Bordelais et leur démontrer qu'ils vivaient au 20e siècle de la sécurité ».

Un mois et 15 jours seulement après ce jugement, le 8 mai 1971, il s'enfuit avec un compagnon plus aguerri, qui lui rend accessibles armes, papiers, planques, voitures et argent grâce à son réseau. Avant cela, François s'est donné la peine de donner des somnifères à ses codétenus, notamment pour qu'ils ne soient pas accusés de complicité. En quittant la prison, il rentre dans la famille du grand banditisme, famille avec laquelle il va développer un lien très singulier. Il assume de participer à des actions violentes et à des échanges de coups de feu avec la police, mais se félicite d'avoir toujours réussi à épargner des innocents.

Il met parfois cette philosophie de vie en lien avec ses sympathies anarchistes. Il résume d'ailleurs sa première période en fuite ainsi : « Deux ans et demi de vie clandestine et intensive, de coups de main tant pour ma survie que pour l'action libertaire m'amenaient de nouveau à la prison de Gradignan bien malgré moi... ». En effet, en février 1973, après une course-poursuite interminable, il est cerné par un cordon policier avec qui il s'est affronté des heures. Il en a même laissé un d'entre eux au sol. François se rend compte qu'il ne lui reste plus qu'une balle. Réfugié dans un cabanon derrière l'hôpital militaire Robert-Picqué à Villenave d'Ornon, il se fait asphyxier abondamment par les gaz lacrymos lancés pour le faire sortir, et ce, devant les caméras de la presse, impatientes de filmer sa capture. Il décide alors de se tirer dans le cœur, mais rate son coup.

Les policiers doivent lui faire du bouche-à-bouche pour le sauver, sous les yeux des journalistes présents.

Il est amené en réanimation intensive à l'hôpital de Bordeaux, puis retourne là où il est prêt à mourir pour ne pas être, c'est-à-dire en prison. « Refusant de me mettre aux normes, refusant d'admettre la réalité des barreaux qui m'entourent, je suis soumis à la répression des prisons de sécurité et à la torture de l'isolation sensorielle. Le but est de m'éliminer tant physiquement que psychiquement, mais la révolte qui m'habite ne fait que se radicaliser au contact de l'oppression, et puisque la mort n'a pas voulu de moi, ma vie doit avoir un sens. Le désir de lutter contre l'injustice et la torture institutionnalisée fait de moi un fauve ». Ses objectifs sont clairs : s'enfuir de la taule.

En 1974, c'est chose faite. De retour à la prison de Gradignan à laquelle on a rajouté les "miradors Besse" depuis son évasion, il parvient de nouveau à s'y échapper, mais il est repris dans les environs. En 1975, il a 31 ans et il est condamné à 24 années et demie de taule. La prison où il est enfermé est en effervescence, secouée par les révoltes de prisonniers. À ce propos, il écrit : « Ma participation à ces révoltes, elle aussi, a été la concrétisation de ma deuxième évasion et j'ai démontré une nouvelle fois qu'une prison n'améliore pas l'individu, et qu'on doit la NIER et la FUIR ! ». Il est transféré au centre pénitencier de Fresnes, réputé pour sa sécurité excessive, dont il s'évade assez rapidement après son arrivée. Quelques mois plus tard, il est repris pour la troisième fois. À chaque fois, c'est minimum 45 jours de quartier disciplinaire, des humiliations à nu, des privations et des coups.

Hélène Dorlac de Borne, secrétaire d'État chargée de la condition pénitentiaire, visite Gradignan en 1975 et discute avec François Besse.

De retour à Fresnes, François Besse découvre les Q.H.S [3]. Ses objectifs de liberté ne s'en retrouvent que renforcés, ainsi que ses aspirations politiques. « Je savais que je n'étais que de passage dans ces Q.H.S., mais pour les autres, pour la dignité de tous, il fallait lutter jusqu'à l'abolition de ces cellules abominables ». Il rencontre Alain Bendjelloul, grand braqueur et évadé français, qui a participé aux mouvements de protestation dans les prisons. Ils se comprennent vite et tentent la belle un soir de novembre, sous la barbe des matons censés les surveiller spécialement 24 heures sur 24.

Il indique mettre fin à leur association lors d'un séjour à Marseille par ces termes : « Les bas-fonds de cette ville grouillent de souteneurs, de proxénètes et d'une faune qui y est liée. Ni Bendjelloul ni moi-même n'admettions que l'on puisse exploiter les femmes et en vivre. Mais, si je me refusais à l'assassinat, mon compagnon n'avait pas ce scrupule […] La dernière semaine de mon séjour, deux nouvelles exécutions augmentaient le risque d'être repris et d'anéantir les objectifs qui me tenaient à cœur : la lutte contre les Quartiers de Sécurité et l'injustice sous toutes ses formes ». Il retourne à Paris, et suite au braquage de la Bourse de Paris dont le butin est d'une trentaine de kilos d'or, il est balancé et repris. Direction la prison de Fresnes, de nouveau.

Cette fois-ci, c'est Jacques Mesrine qu'il rencontre. Bien que méfiant de l'orgueil de celui qu'on appelle le Grand Jacques, c'est rapidement un respect, une amitié et une complicité qui lient les deux hommes. D'un point de vue arithmétique, ils en sont à trois évasions chacun. Ce n'est pas rien. « Ses actions au Canada, le respect, sa lutte dans ce pays contre les Q.H.S, l'attaque d'un pénitencier au Canada parce qu'il avait donné sa parole qu'il y reviendrait 8 jours après sa fracassante évasion, son ironie et son mépris envers tous les représentants de « l'ordre » établi, son courage et son profond respect pour l'amitié, c'est tout cela et bien d'autres choses encore, qui nous ont rapprochés ». Rapidement, l'idée de s'évader ensemble émerge.

Étant deux des prisonniers les plus surveillés de France, les autorités font tout pour les séparer. Première mission pour François et Jacques : être incarcérés dans le même établissement. Grâce à certains subterfuges, ils arrivent à se retrouver en même temps dans la prison de la Santé. Ils sont chacun à l'isolement et tous leurs déplacements se font suite à une fouille complète et à nu. Ils sont toujours accompagnés de quatre matons et d'un gradé qui gère le système d'alarme général. Leurs cellules sont celles habituellement réservées aux condamnés à mort et sont même renforcées. Pas de fenêtre, une double porte en acier, des fouilles quotidiennes, pas d'effets personnels. Les gardiens n'ont pas le droit de leur parler, seul le directeur de la prison a ce privilège. Les seules visites autorisées sont celles de leurs avocats. Elles sont surveillées et ne peuvent avoir lieu simultanément. À quelques reprises, ils se croisent en promenade. Voici le topo pour imaginer une fuite collective.

Pendant l'élaboration de leur plan, Mesrine écrit son autobiographie, L'Instinct de Mort. François relit des parties et les commente. Lors d'une promenade, il demande à Jacques ses raisons de vouloir s'évader. Ce dernier lui répond : « En premier, fuir cet espace de non-droit, de torture mentale et physique. Fuir cet endroit où l'avenir est sans espoir. Fuir pour révéler à la société ce qui se fait de pire en son nom. Je veux pouvoir embrasser ma fille comme un père aimant. Je veux retrouver une compagne, des amis pour faire la fête. Je veux jouir sans entrave, pleinement, puisque les minutes me sont comptées. Je veux profiter à mon tour de cette société trompeuse, où la publicité t'agresse jour et nuit, celle qui te propose sans jamais te satisfaire, où la frustration est le principal moteur ».

François lit Rosa Luxembourg qui « sait [le] faire rêver », arrive à se procurer Surveiller et punir de Michel Foucault et se renseigne sur les Luddites. Il cite La Boétie en discussion. À la radio, il écoute les émissions avec Jacques Tati, Jean Ferrat, Léo Ferré. François et Jacques prennent l'habitude de débattre de philosophie et de politique durant leur promenade. Durant une de celles-ci, Mesrine remarque le tatouage de Besse sur son biceps droit et lui demande de quoi il s'agit. François lui répond que « c'est une panthère noire, en signe de solidarité avec le combat du Black Panther Party aux États-Unis ». D'ailleurs, François se définit ainsi : « Je suis ce que l'on appelle un voyou, un truand, mais pour moi ce mot a une signification : je n'ai pas de sang sur les mains, je ne vole jamais des gens à qui cela causerait un préjudice, mais m'attaque à des banques, à des très riches. Il est arrivé souvent que le butin récolté serve à aider des malheureux. C'est mon côté « Robin des Bois », je ne cherche pas à m'enrichir. Beaucoup de gens vivent de ma notoriété, que je n'ai pas cherchée, car je n'ai aucun goût pour le vedettariat, et si je suis devenu le numéro 1, c'est grâce à un concours de circonstances. En fait, je me sens comme un bandit d'honneur et Arsène Lupin représente pour moi un personnage exceptionnel ».

Photos d'identification de François Besse.

Pour préparer leur évasion, ils doivent faire rentrer des armes, des bombes lacrymos, un grappin et 15 mètres de cordes. Encore aujourd'hui, personne ne sait grâce à quelle complicité ils ont réussi. Ils ont aussi besoin d'avoir une copie de tous les mouvements des surveillants, un plan détaillé des systèmes d'alarme, ainsi que la date précise des travaux de l'enceinte où ils savent que deux échelles de 10 mètres sont prévues. Afin d'introduire une lacrymo dans sa cellule, François pense à l'incorporer dans un paquet de biscuits Lu afin que le signal du détecteur de métal soit interprété comme étant dû à l'emballage métallisé.

Le 9 mai 1978, profitant d'une audience avec son avocate au parloir, Mesrine demande que son dossier concernant ses affaires au Canada, sur lequel Besse travaille en cellule, lui soit amené. Lorsque les gardiens viennent le réclamer à François, celui-ci l'apporte jusqu'à la porte et leur fait remarquer qu'étant trop épais, il ne peut passer entre les barreaux. Après une courte hésitation, ils décident d'ouvrir la seconde porte. À ce moment-là, Besse fait tomber quelques feuilles et profite de cette distraction pour gazer ses geôliers et sortir. Au même instant, Mesrine arrache la grille d'aération du parloir devant le regard stupéfait de son avocate et sort tout l'attirail.

Ils réunissent le sous-directeur, le responsable de la prison, une vingtaine de gardes dont des gradés dans deux cellules et les enferment. Ils en profitent pour changer de vêtements et s'habiller en maton. Voyant qu'un prisonnier, Carman Rives, braqueur et mutin, est enfermé à côté, ils ouvrent la porte, lui expliquent la situation et lui proposent de se faire la belle. N'ayant rien à perdre, il saisit sa chance et s'empare d'une arme. Ils traversent la cour à trois, où se trouvent les autres prisonniers, et leur proposent de profiter de la situation. Personne ne bronche, ils referment la porte derrière eux. Ils neutralisent un garde armé d'une mitraillette, placent l'échelle, fixent la corde et descendent un par un. Lorsque Rives descend à son tour, un policier le remarque et l'abat d'une balle dans le dos.

Besse et Mesrine embarquent dans une voiture qui les attend en bas. Mais bloqué dans les embouteillages, ils doivent en sortir et profitent de leur uniforme de condés pour réquisitionner un véhicule qui passe par là. Direction Porte d'Orléans, où les attend une voiture officielle de l'armée et deux uniformes de commandant et de lieutenant-colonel, ainsi que des ordres de mission signés par un général. Ils passent sans souci les barrages et rejoignent un hôtel particulier à Passy, propriété d'un de leurs amis. Ils sabrent le champagne lorsqu'ils entendent à la radio que les journalistes annoncent la mort de François Besse. Cela aurait été comique s'il ne s'était pas agi de celle de leur camarade d'évasion et si cette nouvelle n'avait pas produit un choc et une infinie tristesse à la mère de François Besse et à sa si vaillante sœur, Noëlle.

Pour organiser leur clandestinité, ils décident de se fournir en armes ultra-modernes en braquant une armurerie. Leur évasion leur a coûté cher et il leur faut se refaire. L'idée est de frapper un grand coup et d'attaquer le casino de Deauville. Le plan proposé par Mesrine plaît fortement à Besse : prendre d'abord le contrôle du commissariat le jouxtant, puis entrer dans le casino en prétextant une mission officielle de contrôle de jeux pour faire main basse sur l'argent dans les coffres. Mesrine, dont la photo est affichée dans toute la France, se déguise et se présente au commissariat en tant que commissaire parisien, venu prendre des nouvelles d'un ancien collègue. Cela lui permet de se rendre compte des effectifs. Ils sont une quinzaine et non 3, 4 comme ce qui leur avait été indiqué.

Sans se décontenancer, ils filent au Casino, présentent leur carte du ministère des Finances et demandent à rencontrer le directeur. Une fois dans son bureau, ils sortent une arme et lui indiquent leurs intentions. Une fois le casse effectué, et alors que le directeur les accompagne jusqu'à l'angle du casino, ils se rendent compte qu'un employé zélé a sonné l'alerte et que la police arrive sur les lieux. Rapidement, des échanges de tirs de mitraillettes ont lieu. François et Jacques sont tous les deux touchés, mais arrivent à rejoindre leur voiture qui a perdu un pneu. Besse reçoit une balle au niveau du cœur, mais est sauvé, comme dans les films, par le fait qu'il porte un Colt Cobra à cet endroit. Ils parviennent à prendre la fuite grâce à un itinéraire préalablement étudié. Ils arrivent à changer de voiture, mais lorsqu'ils consultent la suite du plan pour échapper aux contrôles, ils se rendent compte que celui-ci, gardé dans la veste au niveau du flanc gauche de Mesrine, a été traversé par une balle et est devenu illisible.

Ils doivent prendre des routes au hasard et tombent rapidement sur un barrage. Après un nouvel échange de tirs, ils parviennent à s'éloigner, mais la voiture est foutue. Ils prennent un kit de secours, des talkies, leurs armes, le butin et des vêtements, et malgré leurs blessures, s'enfoncent marcher dans la forêt. En prenant de soin de se camoufler, tant au sol que du ciel, tant visuellement qu'olfactivement, ils choisissent de dormir après avoir élaboré un plan pour le lendemain. Au réveil, ils marchent des heures, et comme François est bien touché à la jambe, ils investissent une ferme et demandent à la famille de les cacher.

Ils ordonnent au père de les dissimuler dans le coffre de la voiture et de faire la route jusqu'à Paris. Ce subterfuge fonctionnant, ils ont la possibilité de suivre en direct à la télévision ce que la police croit être la résolution de la traque des deux plus grands criminels français. Hélicoptères, GIGN, chiens policiers, toutes les caméras filment ce qui est annoncé en grande pompe comme la plus belle prise de la police. Ce fiasco permet à Jacques et à François de ridiculiser les flics et de gagner de l'estime dans le cœur de tout un chacun. Mesrine est d'ailleurs souvent considéré à cette époque comme personnalité préférée des Français, c'est dire son aura de hors-la-loi.

Jacques Mesrine, Jean Luc Coupé et François Besse interprétant Les portes du pénitencier durant leur cavale.

Ils profitent d'un temps de convalescence pour discuter philosophie et politique. Qu'est-ce que la vie, comment mourir, faut-il lutter, par quels moyens... Ces réflexions les conduisent inexorablement à la lutte contre les prisons : « Libres, nous n'avions plus encore présent à l'esprit ce que devaient endurer nos compagnons toujours emprisonnés dans les Quartiers de Haute Sécurité où la répression s'était faite encore nettement plus dure que depuis notre évasion. Nous avons pensé qu'il était nécessaire de frapper, de façon spectaculaire, l'esprit de l'opinion publique qui s'était faite complice des pouvoirs publics. Il nous fallait prouver deux choses : d'abord que de toute oppression naît une réaction. Ensuite que la décision de refuser tout compromis et toute discussion avec les auteurs d'un acte qui les met en cause ne relève, en fait, que d'une démagogie très primaire. L'état pénitentiaire s'efforce d'empêcher de penser et refuse que l'on puisse s'exprimer librement. […] Les moyens normaux de résistance à cet état de fait sont inefficaces. C'est ainsi que mon ami Taleb Adjay, qui avait choisi une voie non-violente pour lutter contre la répression inhumaine a été positivement assassiné par l'administration des prisons. Arrivé aux limites de ce qu'un homme peut supporter, après 5 ans de Q.H.S, dans les conditions les plus dures, il a été littéralement acculé au suicide. Avant de mettre fin à ses jours, il a laissé ce message que R. Knobelpiess cite dans son livre Q.H.S. : il me reste 14 à 15 [ans] à faire… toutes ces années encore à passer de la même façon, alors qu'au bout de 5 ans, je n'en peux déjà plus… Je n'ai pas assez de courage ou de lâcheté pour résister... ».

Mesrine et Besse se sentent investis d'une mission : celle de faire fermer les Q.H.S. Quand Jacques divulgue sa véritable identité à sa nouvelle et dernière compagne et future complice, Sylvia Jeanjacquot, il annonce que les suivre implique d'être avec deux hommes armés, dans des situations violentes. Il la prévient de leurs objectifs : « Il faut que tu saches aussi qu'à notre retour en France, je compte leur flanquer un beau bordel. Je ne suis pas un truand tout à fait comme les autres. J'ai aussi une mission à accomplir. Un serment à tenir. J'ai juré de faire fermer les quartiers de haute sécurité, dans les prisons. Ceux où on m'a enfermé, pendant des années, là où j'ai vu des hommes devenir des bêtes. Et ça, c'est un problème entre l'État et moi. Et l'État ne comprend que la violence. S'ils m'obligent à le faire, je serai pire que la bande à Baader ».

Si Jacques parle à la première personne, il n'est pas à douter que le projet d'affronter les QHS et de montrer sa solidarité avec les prisonniers est partagé par François Besse. Bien des choses séparent Mesrine et Besse : leur physique (l'un est grand, l'autre fluet), leur caractère (Jacques adore la provocation et le scandale, quand François choisit toujours la discrétion). Mais il faut reconnaître, après la relecture de leurs textes et des témoignages, qu'une complicité, notamment intellectuelle et politique, est bel et bien présente entre eux à ce moment-là de leur vie. Les pseudos historiens et autres les journalistes s'efforcent constamment d'opposer ces deux figures de manière souvent caricaturale, quand bien même leur relation se base sur le fait de débattre, de s'organiser ensemble et de projeter des actions percutantes pour alerter sur la condition des prisonniers. Sylvia Jeanjacquot les décrit comme deux frères qui se complètent : « il fallait entendre la façon dont Mesrine parlait de son « pote François », pour comprendre. Ils avaient trop de souvenirs, à la vie à la mort. Les combines, les complicités, l'argent, les transferts d'armes, c'était Mesrine. L'exploit physique, la concentration, la force morale, c'était Besse. Le reste, c'était leur jardin secret où il était inutile de pénétrer. ».

En se mettant d'accord sur le fait de s'attaquer aux Q.H.S., ils décident de viser le symbole de la répression, en l'occurrence, la prison de Mende. Elle est considérée comme « un tombeau pour vivants », dans la Lozère, isolée de tout, seulement accessible par des routes de montagne. 8 surveillants par détenu, silence absolu. Les prisonniers y perdent l'usage de la parole et subissent des détériorations de leur système nerveux. François et Jacques projettent de libérer leurs camarades. Parallèlement, ils décident d'enlever 3 personnalités pour visibiliser leur combat : un juge représentatif de la répression, Jean-Claude Lattés, l'éditeur qui a profité de l'incarcération de Mesrine pour garder les droits d'auteur de son autobiographie, et Philippe Bouvard, le célèbre chroniqueur de l'époque, qui avait ridiculisé leur lutte lorsqu'ils étaient incarcérés.

Ils se partagent les tâches entre le repérage des trois cibles et ceux de la prison. À Mende, Besse se dissimule dans une communauté anarchiste où il a plusieurs amis qui ont lutté contre l'occupation du Larzac par les militaires et l'implantation de la centrale nucléaire de Marville. Selon ses plans, pour investir la prison et la gendarmerie adjacente, il lui faut monter une équipe de 8 personnes, dont un spécialiste en explosifs, ainsi que deux pilotes d'avion. Besse prévoit de s'initier à l'aviation, mais auparavant il rejoint Jacques pour un braquage à Paris qui doit financer leur coup. Ils sonnent chez un banquier et se font passer pour des flics. En confiance, le directeur les laisse rentrer à son domicile avant de comprendre. « Jacques en profita pour exposer les motivations de nos actes et dire ce qu'était notre lutte permanente contre les Quartiers de Haute Sécurité ». Puis, Mesrine amène le banquier à son lieu de travail, qui lui ouvre la salle des coffres, pendant que Besse reste avec sa famille. Et c'est aussi simplement que cela qu'ils obtiennent les fonds pour leurs projets. Il ne leur reste plus qu'à recruter un commando.

Ils décident d'organiser leur passage de la frontière vers l'Italie pour rejoindre Palerme et inviter la mafia italienne, avec laquelle ils ont des contacts, à participer à ce plan. Une fois sur place, ils sont reçus comme des princes. On leur assure qu'ils seront soutenus en hommes et en matériel. Besse insiste ensuite pour amener Mesrine en Algérie et lui faire découvrir cette Algérie socialiste. Ils réfléchissent à passer leur retraite dans ce pays, une fois leur lutte contre les Q.H.S. terminée et après avoir mis suffisamment d'argent de côté. L'Algérie les attire notamment parce qu'elle donne refuge aux noirs américains qui ont dû fuir les États-Unis pour leurs engagements dans les Black Panthers, ainsi qu'à d'autres terroristes. De plus, ce pays n'a pas d'accord d'extradition avec la France à cette époque. François, qui fait une heure de sport par jour, enseigne le karaté à Jacques et à sa compagne.

Après quelque temps là-bas, ils se séparent pour peaufiner les plans. Jacques choisit d'intervertir l'ordre des projets et, avec d'autres compagnons, cherche à enlever le juge Petit, qui l'avait autrefois condamné lourdement. C'est un échec. Un de ses complices est arrêté, ce qui pousse Mesrine à changer de planque, rendant la communication avec François impossible durant un mois. Lors de leurs retrouvailles, ils considèrent que leurs planques et leurs cachettes ne sont plus sûres. Il faut tout recommencer.

François Besse en profite pour aller en Amérique Latine rejoindre des amis colombiens. C'est une partie de sa vie peu documentée et très méconnue. Ses contacts font partie du mouvement révolutionnaire M19 et il n'est pas rare que certains se fassent torturer et tuer. C'est le cas de son ami José Ochoâ. José avait été emprisonné en France pour s'être livré au trafic de drogue qu'il voulait échanger contre du matériel militaire pour fournir la guérilla de son pays. « J'appris aussi qu'il avait personnellement tué un capitaine de l'armée colombienne ce qui était tout à son honneur ». Malheureusement, peu de temps avant l'arrivée de Besse, il est abattu avec un de ses compagnons.

François veut justement leur proposer des accès à des armes pour les soutenir. Il est emmené de contact en contact, passant de bars glauques à des ruelles sombres, de parking abandonnés à des toits d'immeubles, jusqu'à sa rencontre avec un des fondateurs du M19. Il s'agit de l'homme le plus recherché de Colombie, le docteur Toledo Plata. Ils vont se fréquenter quelque temps, le docteur l'initiant « à la vie secrète de la lutte révolutionnaire ». Leur accord est simple, François va vendre un bateau rempli de marijuana à Stockholm où le marché est le plus rentable, puis faire le retour rempli d'armes qu'un contact à Bruxelles va lui fournir.

Une fois cette mission remplie, Besse revient en France. Il comprend que Mesrine est marqué par l'échec de l'enlèvement du juge Petit et que la mission Mende est en stand by. Ils se mettent d'accord sur l'enlèvement d'un milliardaire français qui s'est enrichi sur la misère des immigrés. Il louait à des prix très élevés des trous à rats à des sans-papiers, profitant de leur situation de faiblesse. Il s'agit d'Henri Lelièvre. Mesrine mettra au point ce coup, mais sans François Besse, car le 11 mars 1979, ce dernier est localisé dans un appartement à Bruxelles et arrêté sans coup de feu.

Besse, étant condamné à mort par contumace en France, n'a aucun intérêt à se faire extrader. Il est plus en sécurité dans les geôles belges. Dans toutes les prisons de ce pays où il est trimballé, les matons se plaignent de sa présence, car elle est signe de grande popularité chez les prisonniers qui apprennent son arrivée. Pour sauver sa vie et ne pas retourner face à la justice française, il lui faut trouver une astuce : se faire inculper pour des méfaits en Belgique. Il parvient à être mis en contact avec des auteurs de cambriolages de banques et d'armurerie qui ont eu lieu peu de temps avant. Il fait enterrer dans un bois certaines pièces volées qu'on lui a fourni, ce qui lui permet de reconnaître ces méfaits et de prouver au juge sa culpabilité.

François connaît bien cette prison, puisque quelques mois plus tôt, il avait permis, avec Mesrine, à Freddy Vandeputte, un truand belge de grande envergure et roi de l'évasion, de se faire la belle. Il raconte d'ailleurs que cela a été une partie de plaisir : « Ce fut pour nous un jeu d'enfant de le libérer, lui et ses compagnons lourdement condamnés, de cette prison mal gardée […]. Pour réussir cette opération, nous avions été absents de Paris que pendant 24h ! ». Mais il doit faire face à des difficultés plus grandes pour préparer sa propre fuite. Sa sœur, Noëlle, est présente en Belgique et le soutient. Tout le monde s'attend à ce qu'il cherche à s'évader, il est donc particulièrement surveillé.

Cela ne l'empêche pas d'échafauder des plans. Le 26 juillet 1979, après avoir minutieusement étudié le plan de Bruxelles et donné les instructions qui lui paraissaient nécessaires, il se retrouve au Palais de Justice pour être jugé. Celui-ci est cerné par les keufs, mais François fait le pari que l'arrière du bâtiment est moins sécurisé. Sous son banc l'attendent un flingue et des clés d'une moto. D'un coup, il se lève, prend le juge en otage et s'enfuit en moto, puis en tram, dans une planque où l'attendent des vivres et de quoi se camoufler. Sur le miroir de la salle de bain, sa sœur qui a tout préparé, lui a écrit : « Petit frère, bonne chance, bisous et à bientôt ». Il décide de regagner la France et passe la frontière incognito.

Lors des retrouvailles avec Mesrine, l'humeur est à la fête. François a réussi une nouvelle évasion et Jacques a mené à bien le coup qu'ils avaient, à la base, pensé ensemble : l'enlèvement du milliardaire Henri Lelièvre et le paiement de la rançon par la famille. Ensuite, François apprend que ses contacts de la guérilla colombienne ont de nouveaux besoins d'armes. Il se rend à Lisbonne rencontrer quelqu'un qui peut lui en fournir. Ce dernier, déçu par la tournure de la révolution des Œillets au Portugal, accumule des armes en prévision d'une véritable révolution et accepte d'en vendre un lot contre une cargaison de 6 tonnes de marijuana. Une fois la transaction effectuée, François repasse en France puis file en Italie.

Mesrine, peu avant la fin de sa vie, fréquente et s'organise de plus en plus avec des personnes d'extrême-gauche fascinées par le grand-banditisme. François Besse se méfie, et malheureusement avec raison, puisque le peu de fiabilité de ces personnes va causer en partie la perte de Mesrine. Sylvia Jeanjacquot, la dernière compagne du Grand Jacques, comme on l'appelle, raconte le positionnement de François : « C'est vrai qu'il n'était pas le moins du monde révolutionnaire, non qu'il ne partageait pas, sur le fond, les idées de Jacques, au contraire. Mais il lui avait déjà expliqué sa position, et il aurait encore l'occasion de lui répéter : « Pour faire la révolution sérieusement, pour jouer la bande à Baader, il ne faut faire que cela. S'y consacrer, corps et âme, entièrement. C'est un sacerdoce. On ne peut pas être truand et terroriste, ce sont deux activités incompatibles. Il faut choisir. Moi, j'ai choisi : je suis truand et je le reste » ».

Le 2 novembre 1979 est une date noire de l'Histoire de France. Jacques Mesrine se fait tuer par les flics. François, qui apprend ce drame en Italie, est pudique sur ce deuil. Il écrit au moins ceci : « Sa disparition me toucha profondément. Il était mort comme il avait vécu et comme il l'aurait souhaité, sans retarder l'échéance par des compromissions. Il restera toujours pour moi l'image même de son honnêteté et de la droiture. […] Ironie du sort, c'est à Milan, où j'appris la mort de Jacques, qu'il avait fait l'achat d'une estafette blindée qui aurait dû mettre en échec le piège des forces de l'ordre ».

Après plusieurs braquages en Italie et en France, François est arrêté le 21 janvier 1982 en Espagne. Il est incarcéré dans la prison madrilène de Carabanchel. Il rencontre et tombe amoureux de Marie-Ange. Il fréquente les prisonniers politiques basques et les participants des importantes révoltes qui viennent d'avoir lieu dans les prisons espagnoles. Dans ces groupes, il bénéficie d'une grande popularité. Il est même mis au courant d'un projet d'évasion collectif des militants basques auquel il est convié.

François Besse en 1983, à Madrid dans la prison de Carabanchel construite par les prisonniers politiques.

Tel Jean Genet dans ses plus belles œuvres [4], voilà ce que se dit François Besse lors de sa nouvelle détention : « Même enfermé, je continue ma lutte contre la société, avec des objectifs bien précis. […] On a déjà compris qu'ayant choisi d'être un hors-la-loi, je me suis condamné à cette errance. Vivant intensément, je crois avoir, jusqu'à présent, réussi tout ce que j'ai entrepris. Depuis ma première condamnation après ce procès de Bordeaux pour des faits que je n'avais pas commis, je n'ai jamais vraiment « subi », car ma perpétuelle remise en question et mon avidité de liberté m'ont incité à tenter de toujours repousser mes propres limites. On m'a surnommé l'ennemi public n°…, lieutenant de …, roi de… mais, pour moi, ce sont des étiquettes qui veulent masquer les raisons profondes de ma révolte, de ma rébellion de ma mise volontaire en marge de la société. Cette société, qui a d'abord essayé de me châtrer de ma personnalité, ne voulant l'habiller, par force ou plus subtilement, de l'uniforme d'un citoyen organisé. Inadapté, j'ai des millions de frères, mais la plupart sont soumis, tombés dans les multiples pièges qui leur sont tendus par la Morale, l'Église, la Famille, la Patrie, le Mariage ». Le 16 février 1983, lors d'un transfert vers l'hôpital qu'il a planifié, il parvient à s'échapper d'un fourgon cellulaire en simulant une fausse bagarre, puis disparaît dans la nature.

Il enlève un douanier pour passer la frontière avec la France et l'abandonne quelques heures plus tard près du Palais de Justice de Perpignan avant de retrouver Paris. Dans cette ville, il a, toute sa vie durant, plusieurs appartements loués sous faux noms, qu'il paie à l'année pour lui servir de planque. Après quelques braquages qu'on lui attribue, il s'évapore et passe pour mort. Pendant plusieurs années, la police y croit, jusqu'à ce qu'elle retrouve ses empreintes dans un appartement à Angoulême d'où ont été élaborés deux braquages.

Finalement, 11 ans plus tard, le 3 novembre 1994, il est arrêté dans un restaurant à Tanger avec sa compagne et sa fille, Charlène, née peu de temps auparavant. Extradé vers la France, il retrouve Fresnes, puis de nouveau à Gradignan, et enfin, à Fleury-Mérogis. Durant le procès, en juin 2002, François Besse adopte une défense stupéfiante. Il reconnaît avoir commis ce qu'on lui reproche, assume l'entièreté de ce dont on l'accuse et demande pardon aux gens qu'il a blessés. Il indique que depuis qu'il est devenu père, qu'il a pris de l'âge et qu'il s'est ouvert à des influences philosophiques et spirituelles, il n'est plus le même homme. Par conséquent, la justice devrait considérer cet état de fait et ne devrait pas le condamner systématiquement pour les faits de son passé.

François Besse, sa fille Charlène et sa compagne Marie-Ange Checa, le 5 décembre 1994, au tribunal de Tanger, avant leur extradition vers la France.

Cette plaidoirie va fonctionner et il s'en tire avec « seulement » 8 ans de prison, lui, l'ennemi public numéro 1, l'ancien condamné à mort, celui qui s'est évadé tant de fois de taule. Le 28 février 2006, il sort libre de prison. Bien qu'il assume de prendre d'autres voies que par le passé, sa critique de la société demeure présente. En 2019, il déclare à la presse : "Il est plus facile d'imposer les faits divers que d'aller à la racine des problèmes sociaux. Ne pas s'occuper de la misère, c'est produire de la marginalité. La société est plus violente aujourd'hui, tout en étant en apparence moins violente. Aujourd'hui, la violence s'exerce de façon intérieure. Nous sommes de moins en moins libres. C'est plus difficile de se débarrasser des maîtres actuels, car on leur donne beaucoup trop de pouvoir. On nous propose une recherche constante de bonheur qui engendre une frustration énorme. Nous sommes dans une société pulsionnelle et non dans une société de désir. Les gens ne sont plus présents. Or, il faut vivre l'instant présent." Aux dernières nouvelles, il est âgé et toujours vivant…

Bibliographie

Je suis un bandit d'honneur, François Besse, Paul Legrain, 1984.
Cavales, François Besse, Plon, 2019.
L'instinct de mort, Jacques Mesrine, Éditions Champ Libre, 1984.
Mesrine ou la dernière cavale. « Le jour où tu liras ces lignes je serai mort », Guy Adamik, Le Carroussel FN, 1984.
L'instinct de vie, 18 mois de cavale avec Mesrine, Sylvia Jeanjacquot, Presses de la Cité, 1988.
Ma vie avec Mesrine, sa dernière compagne parle, Sylvia Jeanjacquot, Plon, 2011.
Fractures d'une vie, Charlie Bauer, Points Actuels, 1991.
À ceux qui se croient libres, Lettres, dessins et témoignages recueillis par Nadia Menenger, L'insomniaque, 2009.
Une femme au cœur du grand banditisme : autobiographie, Noëlle Besse, Trabucaire Éditions, 2008.


Si vous avez des commentaires à faire sur ce texte ou un moyen de contacter Noëlle, sa fille, François ou ses deux enfants, afin de les interviewer, ce qui permettrait d'approfondir certains points, vous pouvez écrire à cette adresse : articlesbesse@riseup.net


[1] La vie incroyable et méconnue de Nöelle Besse se lit avec délectation dans cet article

[2] À plus de soixante-dix ans, il se souvient de ce moment : « La révolte vient chez moi le jour où je suis condamné par un jury composé de bourgeois. Les dés étaient pipés. On jugeait des cambrioleurs et il s'agissait de défendre la propriété. Ils se sont dits : 7 ans de prison, ça va les calmer... »

[3] Un Q.H.S (Quartier de Haute Sécurité) était un type de prison en France destiné à détenir les détenus considérés comme les plus dangereux ou les plus susceptibles de s'évader. Introduits dans les années 1970, ces quartiers étaient caractérisés par un isolement strict, un contrôle renforcé et des conditions de détention extrêmement dures. L'objectif était de briser psychologiquement les prisonniers pour les empêcher de récidiver ou de s'évader. La suppression des Q.H.S. résulte d'une longue lutte menée par plusieurs acteurs. Les prisonniers des Q.H.S. ont souvent organisé des grèves de la faim, des mutineries et des actions de protestation pour dénoncer leurs conditions de détention. Des groupes comme l'Observatoire international des prisons (OIP) ou la Ligue des droits de l'Homme ont milité contre ces quartiers, les qualifiant de « torture psychologique ». Les intellectuels et militants, tels que Michel Foucault par exemple, ont critiqué le système carcéral français, soulignant que les Q.H.S.étaient une forme de punition dégradante et contraire aux droits humains. Enfin, les médias, notamment Libération, ont publié des enquêtes qui ont exposé les conditions de vie inhumaines dans ces quartiers, ce qui a contribué à sensibiliser l'opinion publique. Jacques Mesrine, François Besse et bien d'autres prisonniers ou évadés ont témoigné à travers de livres, d'interviews ou de communiqués, prenant à partie l'opinion publique. Sous la pression de ces luttes, les Q.H.S. ont été progressivement supprimés dans les années 1980. Ils ont été remplacés par des Quartiers d'Évaluation de la Dangerosité (QED) et des Quartiers de Sécurité Renforcée (QSR), qui restent toujours controversés.

[4] D'ailleurs, François Besse a lu Jean Genet, puisqu'en interview il déclare : « Jean Genet a mis en évidence toute la souffrance de la prison dans ses livres. Moi, je ne veux pas me plaindre de la prison, je n'étais que de passage... J'étais concentré en permanence ».

15.07.2025 à 14:46

Noëlle Besse, une illustre bandite inconnue

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Une grande partie de l'existence de Noëlle Besse est faite d'évasions, de cambriolages, de lutte dans les prisons et de solidarité. Pourtant, elle est bien moins connue que son frère, François Besse, gangster français légendaire. Paradoxalement, elle incarne à la fois la femme qui va aider, soigner et suivre sans faillir les hommes de sa vie, et celle qui va bousculer les codes de l'illégalisme à la recherche d'une liberté totale en assumant ses choix et son indépendance. De ses cavales à (…)

- été 2025 / , ,
Texte intégral (8128 mots)

Une grande partie de l'existence de Noëlle Besse est faite d'évasions, de cambriolages, de lutte dans les prisons et de solidarité. Pourtant, elle est bien moins connue que son frère, François Besse, gangster français légendaire. Paradoxalement, elle incarne à la fois la femme qui va aider, soigner et suivre sans faillir les hommes de sa vie, et celle qui va bousculer les codes de l'illégalisme à la recherche d'une liberté totale en assumant ses choix et son indépendance. De ses cavales à ses réflexions féministes dans le monde misogyne du banditisme, de son soutien indéfectible à son frère jusqu'au fait que sa fille ait passé les premières années de sa vie en taule avec elle, la vie de Noëlle Besse vaut la peine d'être connue et reconnue, à la hauteur du courage qu'il a fallu pour la mener. La voici racontée.

[Cet article et son double à propos de François Besse, nous ont été confiés par le média mutu bordelais LaGrappe.info.]
Noëlle Besse est née un jour d'hiver 1946 à Cognac en Charente. Sa famille a des revenus modestes et vit dans un quartier pauvre où l'alcool et le chômage sont présents. Sa mère, Marcelle Besse, veuve depuis la Seconde Guerre Mondiale, est en couple avec son père Francisco Esposito, ouvrier anarchiste et réfugié politique espagnol. Son frère, François Besse [1], futur ennemi public numéro 1, complice et ami de Jacques Mesrine et condamné à mort par contumace, est né deux ans avant, en 1944. Le climat de discorde qui persiste dans la famille est dû à la recomposition de celle-ci et à l'humeur caractérielle et parfois brutale de leur père. Cela rapproche Noëlle et son frère. « Bien sûr, je faisais des sottises. Mon frère, si cher à mon cœur, était là, toujours là pour prendre à ma place les raclées de ce père violent. [2] » Cet amour, cette complicité ne connaîtra pas de faille leur vie durant. Elle passe son enfance à jouer avec François et sa bande. Il lui apprend à nager, à courir dans les grottes, à monter aux arbres. Ses genoux et ses vêtements font souvent les frais de leurs aventures, ce qui vaut à son frère des corrections lorsqu'ils rentrent à la maison.

En 1960, lors d'un rendez-vous au commissariat pour renouveler le statut d'exilé politique du père, un flic cafarde un délit qu'avait commis François quelque temps auparavant. Le papa rentre à la maison, affûte une lame et attend son fils pour le punir. Lorsque celui-ci est de retour, le ton monte. Noëlle, par réflexe, saute et s'interpose entre son frère et la lame qui l'entaille le creux de la main. François, lui, s'échappe définitivement du foyer familial pour vivre les aventures que nous lui connaissons et faire son entrée, petit à petit, dans la cour du grand banditisme.

Suite à cet événement, leur mère, pourtant d'ordinaire si obéissante et soumise [3], chasse son compagnon de la maison, qui une fois ses affaires faites, la quitte sans se retourner. Noëlle, tête dure et enfant rebelle, est mise à l'internat dans un foyer pour jeunes délinquantes tenu par des religieuses. Les flots de punitions qu'elle reçoit ne font que l'endurcir. Elle ne pense qu'à s'enfuir et à se venger. De ses camarades d'internat, elle dit : « J'ai toujours eu tendance à leur trouver des excuses, mais je ne comprenais pas pourquoi elles ne se servaient pas de leur hargne pour s'en sortir. Je m'étais vite rendue compte qu'elles aboyaient comme des roquets, prenaient deux gifles par leur « homme » et tout rentrait dans l'ordre. Cet état de fait m'a toujours désolée. Plus tard, en Amérique du Sud, j'ai pu admirer la détermination de certaines femmes qui savaient utiliser leur haine pour combattre l'oppression ».

En 1962, elle a 16 ans et elle parvient à s'échapper. Elle devient « blouson noir », fréquente des amis délinquants, vole dans les magasins et participe à des bagarres. L'année suivante, elle apprend la première arrestation de son frère qui choisit l'appel militaire pour échapper à la prison. Noëlle fait partie d'une bande d'une cinquantaine de voyous, qu'elle quitte après avoir échappé de peu à une tentative de viol collectif par certains d'entre eux.

Elle fait partie d'un groupe de musique, Les Loups Blancs, dont les paroles abordent les conflits générationnels, la lutte contre la guerre et la pollution. Pour acheter des instruments, ils volent des disques, des vêtements et des radios qu'ils revendent à bas prix. Passionnés par les armes, ils s'apprennent à tirer. « Lorsqu'un copain tombe et rentre en prison, [ils en font] un héros ». Peu après ses 18 ans, elle est condamnée pour vol à 6 mois avec sursis et obligation de pointer une fois par mois. C'est déjà l'époque où son frère obtient une certaine notoriété chez les voyous et le simple fait de le connaître ouvre certaines portes.

Après avoir connu les événements de mai 68 à Paris, elle file découvrir l'Algérie en 69. Ce pays la passionne et émerveille. Elle y retournera d'ailleurs dix ans plus tard : « après l'évasion de François de Bruxelles, en 1979, je devais y revenir dans ce beau pays, mais pour de toutes autres raisons. Je devais y faire mon apprentissage de la vie de hors-la-loi ; ce fut une sorte d'initiation menée par les amis de François, j'y appris à me soigner et à soigner les autres, à survivre en conditions difficiles, à faire face au danger. Je gardais des contacts en cas de gros soucis, car l'Algérie de cette époque n'extradait pas les Français ».

En 71, son frère s'est échappé de la prison de Gradignan depuis deux ans. Lorsqu'elle apprend, qu'à Bordeaux, cerné par la police, il vient de retourner son pistolet pour se tirer la dernière balle de son chargeur en direction de son cœur, elle se fait la promesse que s'il en réchappe, elle l'aidera à sortir. Entre 1971 et 1982, François Besse s'évadera 6 fois, de Gradignan, Fresnes, La Santé, Bruxelles, Madrid... Dès que c'est possible, Noëlle s'installe au plus proche de son lieu d'incarcération. Lorsque la situation est compliquée, elle fait le tour des amis (dont Jacques Mesrine) capables de l'aider à s'évader.

En Belgique, comme personne ne répond présent, c'est elle qui s'en occupe. Elle prépare une planque avec de quoi manger, s'habiller et se grimer. Sur le miroir de la salle de bain, elle écrit : « Petit frère, bonne chance, bisous et à bientôt ». Habillée en avocate, elle place le jour du jugement deux flingues sous le banc des prévenus du tribunal, laisse une moto de course avec les clés dessus devant, puis fuit directement en Espagne. Le lendemain à la radio, elle apprend l'évasion de son frère. Au bout d'un an, elle pense avoir été oubliée et rentre à Perpignan. Elle est mise en garde à vue. La Belgique ne retient rien contre elle, car ce pays ne reconnaît pas la complicité lorsque c'est un parent qui aide un proche à s'évader. La France, plus mauvaise perdante, lui reproche d'avoir sorti de l'Hexagone les capitaux nécessaires à l'évasion et lui inflige 18 mois avec sursis.

Noëlle Besse

Malgré la vie dangereuse de ses enfants, ainsi que toutes les épreuves qu'elle a dû subir en conséquence, la maman de Noëlle et François reste aimante et solidaire. Voici une anecdote plutôt cocasse : un jour, alors qu'elle se balade en Dordogne avec sa mère, Noëlle est énervée d'avoir pris une prune de stationnement. Elle décide de simuler une panne de démarreur et interpelle les flics pour qu'ils poussent la voiture en côte. Dès qu'elle redémarre, Noëlle s'amuse à chaque fois à la faire recaler, puis une fois qu'elles ont bien ri, elles décident de repartir. Plus généralement, leur maman les a toujours soutenus lorsqu'ils étaient en prison. Noëlle témoigne que pour voir François, sa mère « ne manqua jamais de courage. Elle n'hésitait jamais à faire des milliers de kilomètres pour aller le voir à Gradignan, Fresnes, la Santé ou Fleury-Mérogis, et même en Belgique. Elle préparait avec amour de bons casse-croûtes et le thermos de café chaud. Nous ne nous arrêtions que pour mettre de l'essence. Nous n'avions qu'un objectif : voir François. À l'aller, nous tentions d'être gaies, au retour, la tristesse nous accablait. De voir son fils, entre quatre murs est un chagrin très lourd à porter pour une mère. L'incarcération qui la marqua le plus, fut sans conteste celle de Fresnes. Les Q.H.S. [4] se trouvaient au fond d'une cour sombre et lugubre. Lui était si heureux de nous voir qu'il essayait de cacher sa peine en souriant et en plaisantant sur tout et sur rien ».

François est arrêté en 82 en Espagne et incarcéré à Madrid. Il partage sa cellule avec un voyou espagnol, Éric pour les intimes, José pour l'administration. C'est un braqueur de banque que Noëlle va rencontrer en parloir et dont elle tombe amoureuse. Au départ, ils se voyaient pour faire évader François. C'est un coup de foudre réciproque pour celle qui vivait jusqu'alors un célibat choisi. Une fois François en cavale, Noëlle se fait oublier et Éric purge la dernière année qui lui reste. Durant une permission de sortie, elle l'attend et ils vont au restaurant en tête-à-tête. Ils décident qu'il ne retournera pas en prison et filent en cavale à deux. Juste avant de se lancer, elle appelle sa mère pour lui annoncer la nouvelle. Sous le choc, elle comprend que deux de ses enfants sont désormais en clandestinité.

Eric

Une fois les derniers sous dilapidés en hôtels et en restaurants, il faut réfléchir à une solution. Après en avoir discuté, ils décident de passer à l'acte. Éric passe voir un ami qui lui prête une arme factice puis s'en va carjacker une bonne voiture. Il va braquer une banque et Noëlle va démarrer en trombe une fois le coup terminé. Le plan fonctionne et ils enchaînent par toutes les petites banques de la région. Noëlle veut participer au casse, mais Éric, bon macho qu'il est, refuse. « À l'entendre, je me serais donc fourvoyée en défendant la cause des femmes en mai 68. Je tentai de le convaincre de m'aider aux tâches ménagères, mais il me rétorqua que c'était comme ça, que c'était lui, à sa connaissance, qui allait chercher les « haricots ». C'était son expression, cela m'avait fait rire, car il préférait de loin le caviar aux haricots qu'il venait de manger pendant tant d'années. Mais j'insistais, je voulais qu'il me donne une chance de m'affirmer, de m'épanouir, il y avait si longtemps que j'attendais ».

Pour commencer, il accepte qu'elle rentre avec lui dans une banque, mais comme spectatrice. Elle s'occupe alors de surveiller que personne ne rentre ni ne sorte. Dans les plus grosses banques, elle surveille à la porte si les flics patrouillent dehors ou non. À force de succès, il lui propose de changer les rôles. C'est elle qui va sauter par-dessus le comptoir, mais en silence pour qu'on ne découvre pas son accent français. De complice, elle passe à partenaire. Par la suite, c'est à pile ou face qu'ils décident de la répartition des rôles. Parfois, ils se disputent sur l'usage de l'argent. Noëlle se lasse que cela serve seulement à faire la fête avec les amis, aux restos et aux hôtels de luxe, elle voudrait aider les gens dans le besoin. Après s'être fait de faux papiers, ils se mettent à la recherche de plus grosses armes. Ils filent en Colombie dans ce but pour retrouver un contact, mais apprennent que cet ami, qui devait leur en fournir, s'est fait fumer par les militaires dans son pays à cause de son appartenance au Mouvement Révolutionnaire. De ce voyage, Noëlle découvre les bidonvilles qui la marquent fortement. Ils fréquentent les endroits louches, où se mêlent révolutionnaires, vendeurs d'armes et de drogue.

Noëlle Besse revient sur tous les braquages qu'ils ont réalisés le long de la Costa Brava.

De retour en Espagne, Noëlle apprend qu'elle est recherchée, car inculpée pour l'évasion de son frère. Elle prend conscience qu'Éric et elle sont sans le sou et que le braquage de banques de campagne est aussi peu rentable que risqué, car les flics tirent de plus en plus sans sommation. Les seuls horizons qu'elle voit sont la prison ou la mort. Elle perd la confiance qu'elle a en son compagnon et se libère toujours plus de son influence. Qui plus est, dans ce moment d'agitation, elle oublie de prendre la pilule et tombe enceinte. Éric ne souhaite pas qu'elle garde l'enfant, Noëlle ne l'écoute pas. Ils décident de faire un gros coup pour finir en beauté. Un coup qui demande beaucoup de repérage et de neutraliser une vingtaine d'employés de banque. Malheureusement, le jour J, le plan foire et Éric est bloqué dans un cube de vitre blindée, ne pouvant tirer de l'intérieur sans risquer de se blesser. Noëlle prend une arme et tire jusqu'à l'exploser. Ils s'en sortent avec de sérieuses plaies. L'alarme retentit dans toute la ville. Ils arrivent à fuir et doivent panser leurs blessures.

Noëlle Besse enceinte.

C'est au sud de l'Espagne qu'ils vont se mettre au vert. Éric bricole des petits coups, Noëlle hésite à changer de vie et à le quitter, mais elle l'aime toujours. La grossesse se poursuit et reste un tabou entre eux. Finalement, l'accouchement a lieu. C'est une fille et elle se nomme Eva. Noëlle va à la Mairie pour déclarer sa naissance sous son identité réelle. Cette opération est risquée. Ils la préparent comme un braquage : repérage de la Mairie et des alentours, quels plans pour la fuite, quels rôles pour chacun, etc. Au final, tout se passe bien et c'était un danger qu'il fallait prendre, puisque cela lui permet plus tard de prouver que c'est bien sa fille après son arrestation.

Carnet de Famille où apparaît sa fille à son vrai nom en pleine cavale.


En effet, le 7 janvier 1985, les policiers arrêtent le couple à leur domicile. Ils saccagent tout. Des flics français sont même présents, pensant pêcher François au passage. Éric est incarcéré, Noëlle ressort étrangement rapidement. Elle sent le piège. À qui peut-elle demander de l'aide si ce n'est à son frère ? Elle redouble de prudence, car elle se sait filée par les keufs. Elle organise sa fuite avec un bébé dans les bras, c'est épuisant. Finalement, au bout de quelques jours, elle est de nouveau arrêtée. Changement de stratégie policière, on l'incarcère et beaucoup de bruit est fait pour que son frère sorte de sa tanière. Elle passe 9 jours de garde-à-vue dans des conditions d'hygiène déplorables et un bébé de 2 mois dans les bras sans structure adaptée. Les flics la menacent de laisser Eva mourir de faim si elle ne balance pas la planque de son frère.

Au bout du compte, c'est direction la prison d'Alicante. En Espagne, à cette époque, l'enfant peut rester en prison avec sa mère jusqu'à l'âge de 6 ans si personne n'est dans la possibilité de le prendre en charge. Mais aucune commodité n'est prévue pour lui en prison. Eva ne peut plus téter, car depuis l'arrestation, Noëlle ne produit plus de lait. S'il y a bien deux lits et à manger pour deux adultes, il n'y a pas de nourriture pour bébé et encore moins de lait en poudre. Eva, affamée, pleure sans cesse et sa mère craint qu'elle meurt avant le lendemain. Une jeune gitane arrive à lui glisser du lait maternel encore tiède dans une bouteille de soda. « Elle avait ce soir-là, gagné ma confiance, mon amitié et ma gratitude pour le reste de ma vie. À ma sortie, ma première visite devait être pour elle et son enfant ». Les douches étant faites pour les adultes avec une pomme d'arrosoir fixée très haut, Noëlle trouve un vieux seau qui traîne et s'en sert pour laver sa fille qui se débat en hurlant.

Comme le problème de la nourriture n'est toujours pas résolu, Noëlle décide de ne plus manger et de rester dans la cour sans obéir. Ensuite, elle menace de prévenir les journaux et son avocat pour avertir que les prisons espagnoles sont semblables à celles de l'époque de Franco. Eva pleure si fort que rapidement toute la prison, même la partie masculine, est au courant. « Aussitôt, tous se sont manifestés. On est au bord de la mutinerie ». Ils lancent tous de leur cellule des paquets de clopes avec de l'argent à l'intérieur pour permettre à Noëlle d'acheter une baignoire en plastique, du lait en poudre et tout ce qui leur est nécessaire. Puis, tous les hommes se mettent à siffler et toutes les femmes à applaudir pour signaler leur soutien.

Plus tard, alors que le bébé est pris d'une grave quinte de toux toute une nuit, sa maman tambourine la porte pour demander de l'aide. Sans réaction de la part des surveillantes, toutes les femmes se mettent à crier. Une nouvelle fois, lorsque les hommes apprennent que c'est pour Eva, ils participent au désordre. Aussitôt, Noëlle est reçue par le médecin qui prescrit du sirop et lui fait passer deux grands cartons de nourriture pour l'enfant. Quand tout le monde apprend la nouvelle, c'est la fête dans la prison. Dans d'autres situations, il lui faut se battre pour se faire respecter, et Noëlle n'hésite pas à rendre les coups pour se défendre et gagner l'estime de ses comparses.

Si, à force de persévérance, Noëlle gagne quelques privilèges, elle veut que ce soit la norme pour toutes. « Il fallait que ma rébellion et mon soi-disant mauvais caractère me servent pour cette bonne cause, celle que je sentais juste : il fallait que ma lutte ancienne contre les Q.H.S. dans les années 70, cette ignominie, que ce combat m'aide, encore et encore, qu'il ait un sens plus positif. Que mon ancienne lutte en France pour le respect des droits serve ici, en Espagne. Mes revendications étaient encore plus sincères, mes convictions plus profondes puisque vécues, j'étais en plein dans le problème ». Les autres filles suivent le mouvement et écrivent quotidiennement à la directrice, et même au maire de la ville. Certaines améliorations voient le jour.

Eva, au fur et à mesure, devient bilingue, en apprenant le français avec sa mère et l'espagnol avec les autres prisonnières. Noëlle rédige des lettres d'amour codées à Éric, détenu ailleurs en Espagne. Pour conserver un peu d'intimité, elle écrit ses mots au citron, qui une fois réchauffés, se révèlent à l'aide de la chaleur d'un briquet. Au bout d'un an, Noëlle apprend que, suite à un vice de procédure, elle peut demander de sortir. Une semaine après, elle est sur le trottoir, Eva dans ses bras. Direction Madrid pour voir Éric en prison. Eva, qui a passé le début de sa vie dans la grisaille du monde carcéral, en profite enfin pour découvrir le monde extérieur, les paysages ouverts et ses couleurs. Noëlle voudrait fuir en Algérie, mais ne se résout pas à abandonner Éric : « j'étais aussi coupable que lui et il était seul à payer l'addition ».

Justement, celui-ci lui dit un jour au parloir qu'il n'en peut plus, qu'il veut se faire la belle. Elle se lance sur les repérages, au gré des transferts de prison qu'il subit. Faut-il jeter l'arme depuis la rue jusqu'à la fenêtre avec un grappin, faut-il la faire passer durant les parloirs « intimes » ou la faire passer dans le camion de nourriture qui entre chaque semaine dans la prison ? Ce sont des décisions importantes qu'elle doit prendre. De plus, Éric lui apprend qu'il va s'échapper avec deux autres détenus. Cette nouvelle donne dans le plan se fait sans concerter Noëlle, ce qui l'inquiète et l'énerve. Cela lui rappelle la fois où son frère s'est échappé de la prison de la Santé avec Mesrine. Carman Rive s'est greffé au plan au dernier moment et s'est fait abattre par un flic alors qu'il passait le mur. Les médias s'étaient trompés et avaient annoncé la mort de François. De l'étranger, Noëlle avait foncé retrouver sa mère pour la soutenir. Ce n'est que le soir que la radio avait commencé à démentir cette information, mais le choc avait été terrible, immense pour les deux femmes.

Noëlle n'a pas le choix. Pour aider Éric, elle fait sa part de la préparation, même si elle trouve que c'est l'évasion la plus mal préparée qu'elle connaisse. Les fautes se multiplient et la préparation de la planque et de la clandestinité est sous-évaluée. Elle doit faire des adieux déchirants à sa coloc et ancienne comparse de cellule avec laquelle elles s'entraident depuis leurs sorties, notamment pour la garde d'Eva.

Finalement, alors qu'elle n'y croit plus, l'évasion réussit. Éric et les deux autres fugitifs débarquent à toute allure dans la voiture où les attend Noëlle. C'est là qu'elle se rend compte qu'un des évadés n'est autre que l'Ennemi Public N°1 en Espagne, condamné pour avoir fumé des keufs. La cavale s'annonce encore plus risquée que prévue. Une fois dans la planque, elle découvre que rien n'a été prévu, ni les provisions, ni les mesures de sécurité. Elle ne donne pas cher de la réussite de leur entreprise. Rapidement, ils doivent en trouver une cache plus sûre et filent en voiture. Les comparses d'Éric la dégoûtent. « À plusieurs reprises sur mon chemin, j'avais eu à côtoyer des bandits encore plus hautement qualifiés dans le crime, dont la réputation n'était plus à faire ; cela ne m'avait nullement impressionnée, mais j'avais toujours su me tenir à ma place, sachant bien que ce milieu est un milieu misogyne ; j'arrivais à mes fins plus souvent par ruse que par autorité ». Lors d'une virée alcoolisée de l'Ennemi Public N°1 et de son ami, le premier se fait choper et l'autre s'échappe de justesse. Revenant à la planque, il est soigné par Noëlle qui fulmine. La coupe est pleine, les équipes vont se séparer.

Dans la dèche, il faut faire un coup. Éric recrute un mec peu expérimenté et insiste fortement pour que Noëlle y participe. Finalement, le braquage fonctionne bien et leur permet de retourner en France. Sa mère ayant fait un malaise cardiaque, Noëlle souhaite aller la voir à l'hôpital. Déguisée en infirmière, elle arrive à déjouer la surveillance constante de la police pour lui rendre visite. Peu de temps plus tard, Noëlle retrouve Éric sur une plage, qui revient d'un braquage et ils se font cueillir par une armada de flics qui les cernent. Noëlle est embarquée comme les autres, Eva dans les bras, un P38 sur la tempe. Une fois au commissariat, une assistance sociale de la DDASS vient chercher l'enfant de deux ans. Tous les flics défilent, un à un, pour dévisager la mère, se félicitant de cette prise de guerre au nom de famille si renommé. De son côté, elle prend conscience qu'elle perd sa fille, son « seul bonheur » et qu'elle n'est pas près de la revoir.

Noëlle Besse, qui revient sur la plage où a eu lieu son arrestation et celles d'Éric et d'Eva.


En juillet 1987, Noëlle est transférée à la prison de Nîmes et Éric à celle de Toulouse. Rapidement, elle pense à l'évasion, elle s'en croit capable, mais elle pense aussi à Eva, à l'espoir de la retrouver. Sa codétenue « si calme le jour, avait, la nuit des accès de folie. Elle entrait en transe, au bord de l'asphyxie, avec des convulsions. Elle hurlait. Son cri était l'expression de son chagrin, de sa solitude. Elle aussi avait laissé un enfant dehors – cela vous déchire en dedans. Un cachet la calmait, anéantissant sa volonté de lutter ». Noëlle refuse de prendre des comprimés et s'attelle à lui apprendre à lire pour qu'elle prépare sa défense.

Les sorties de cellule de Noëlle s'accompagnent de fouille à nu. Sa pièce est fouillée plusieurs fois par jour et pendant ce temps, elle est envoyée au mitard. Lorsqu'elle réclame des nouvelles d'Eva, on lui répond que sa fille doit être plus heureuse là où elle se trouve. Pour avoir des nouvelles de sa famille, elle entame une grève de la faim. On lui met un maximum de pression pour la punir de son caractère qui ne cède pas, de son passé plein de rébellion, et pour le simple fait de s'appeler Besse.

Alors, petit à petit, elle va chercher à unir les prisonnières pour obtenir des droits que les femmes n'ont pas dans cette prison. « La discipline était toujours plus stricte pour les femmes. Avec le même rapport disciplinaire, nous prenions toujours plus de sanctions. Et cela dans tous les centres pénitentiaires, pourquoi ? Il fallait donc que nous en discutions. C'était très compliqué ; je pensais parfois que clamer notre égalité dans les rues en 1968 n'avait pas servi à grand-chose. La situation de la femme n'avait pas beaucoup évolué, même à l'extérieur d'ailleurs. Une femme en prison en 1987 avait perdu toute crédibilité, était plus brimée, opprimée que l'homme, pourquoi ? Il ne s'agissait plus de se battre pour avoir des loisirs, mais pour obtenir des droits. Certaines femmes ne voulaient pas suivre le mouvement, par peur des représailles. D'autres culpabilisaient et croyaient que ce qui arrivait était de leur faute. Là n'était pas le problème, nous étions toutes fautives, toutes coupables, ou presque. Il ne fallait pas courber l'échine pour autant. Beaucoup étaient dans mon cas, et subissaient un traumatisme grave suite à la privation de visite de leurs enfants. Il y avait encore du travail à faire ». Noëlle reprend une grève de la faim pour pouvoir voir sa fille. Au bout de quatre jours, la directrice cède et lui annonce que cela va être possible.

Ce qui manque à Noëlle, c'est de l'argent pour payer le transport. Elle s'abaisse donc à travailler en prison, pour gagner le moindre petit sou. Elle ravale sa fierté pour rendre cette visite possible. Elle apprend que la famille d'accueil de sa famille ne parle jamais de Noëlle ni de François à l'enfant qui a désormais 3 ans et demi. La maman angoisse que sa fille ne la reconnaisse pas. Lorsque les retrouvailles se font enfin, le mot « maman » qu'Eva prononce et l'étreinte qu'elles partagent peuvent la rassurer. Une fois le parloir fini, c'est la violence d'une nouvelle séparation qui s'impose et l'attente intense de la prochaine autorisation de se voir. Deux mois à compter les jours. Noëlle et Éric, emprisonnés parfois dans la même prison, se voient de temps en temps et entretiennent une belle relation où ils se projettent après leur sortie. Sa cellule donne sur la cour des femmes, et avec une glace, il arrive à voir Noëlle qui s'assoit toujours au même endroit. Ils mettent au point un langage des signes pour communiquer et à chaque parloir, inventent de nouveaux gestes pour parler des « sujets plus graves ».

Suite à un incident anodin durant son travail, Noëlle est surprise de la disproportion des conséquences. Elle se fait condamner au mitard et surtout, elle perd la visite de sa fille la veille de Noël. Les conditions en isolement sont ignobles. Elle perd tout son courage et pense à son frère, qui à chaque fin d'évasion, y est enfermé 90 jours d'affilée, avant d'en sortir à moitié mort. Quand la geôlière qui est la cause de cette punition vient pavoiser dans sa cellule, elle lui saute dessus et la frappe, avant d'être tabassée par les gardiennes. Finalement, elle est autorisée à voir sa fille et on lui donne une trousse de maquillage pour qu'elle masque ses ecchymoses.

Éric, présent aussi au parloir, s'alarme de son état. Noëlle est ramenée au mitard. Elle ne mange plus, ne parle plus, n'est plus capable de voir son avocat. Les autres femmes de la prison chantent dans la cour « Le Pénitencier », la chanson préférée de Noëlle, dont il existe d'ailleurs un enregistrement de François et de Mesrine en cavale l'interprétant. Malgré les menaces de privation de promenade, les prisonnières continuent le raffut jusqu'à être enfermées dans leur cellule. Quasi-inconsciente, Noëlle est hospitalisée en urgence puis traînée de nouveau au mitard pour finir sa peine. À la sortie de ce régime spécial, elle reçoit une vingtaine de lettres d'autres détenues, qui, avec franchise et force, la motivent et l'aident à remonter la pente.


En mai 1989, lorsque débute son procès, elle se rend compte que c'est aussi son frère en cavale qui est jugé à travers elle, car en réalité, la justice a très peu de motifs d'inculpation à son encontre en France. Ses délits, elle les a faits en Espagne. Rien qui n'explique les trois ans de taule qu'elle vient d'effectuer dans son pays natal. Les flics s'attendent à ce que François vienne la libérer, elle qui a tant de fois aidé son frère à s'enfuir. Noëlle redoute qu'il se fasse piéger et abattre. C'est un dispositif policier et médiatique exceptionnel qui est déployé autour de ce procès en assises. Tireurs d'élite sur le toit, chiens, menottes aux poignets et chaînes aux chevilles. Durant les débats, on ne parle que de François et on ne cesse de lui demander si elle a connu Mesrine. Noëlle, qui redoute que son frère tente quelque chose, n'arrive pas à se concentrer. Elle a l'impression qu'on parle de quelqu'un d'autre. Lorsque son avocat déroule une plaidoirie touchante, sur son enfance difficile, son parcours périlleux, elle a honte que tout cela soit dévoilé en place publique et cela s'ajoute à son sentiment de distance avec ce qu'il se passe.

À l'heure du verdict, le juge annonce que Noëlle s'en tire avec 3 ans et Éric avec 8. C'est un soulagement. Lorsqu'elle est ramenée à la prison, les détenus qui ont veillé jusqu'à tard pour écouter la radio font la fête dans toute la prison, côté femmes et côté hommes. L'administration pénitentiaire, toujours rancunière, on lui refuse toute liberté conditionnelle et permission de sortie. Plus que 5 mois à tirer. Le dernier jour, au matin, elle a un parloir avec Éric. Elle tente de dissimuler sa joie, car lui reste en prison. En plus, il est particulièrement triste puisqu'il ne pourra plus la voir tous les jours avec son miroir depuis sa cellule. C'est la première fois qu'il pleure. Suite à cette entrevue, elle sort de prison.

Hébergée, elle doit trouver un travail, réapprendre à marcher dans la rue, reprendre confiance en l'avenir et en elle. Et puis retrouver Eva, sa fille. Justement, elle voyage jusqu'à elle, mais la femme qui s'en occupe refuse de la laisser la voir, alors même que la juge avait donné son autorisation. Celle-ci pousse Noëlle qui lui rend une gifle. Eva se cache derrière sa mère et elles partent toutes les deux en courant, prenant le premier bus qui passe par là. La nuit est horrible. Elle vient d'enlever son propre enfant. Que faut-il faire ? Rassembler des sous et repartir en cavale au risque de la perdre de nouveau ? Elle décide d'appeler la juge et de s'expliquer. Celle-ci la convoque immédiatement. Noëlle s'empresse de traverser tout Paris avec sa fille et arrive en retard, au moment où la juge allait émettre un mandat d'arrêt international. Après une discussion et des vérifications d'usage, la juge surprend tout le monde en se tournant vers Eva et lui demande avec qui elle veut vivre. Celle-ci se jette au cou de sa mère en disant « Maman ». C'est gagné, définitivement gagné. Joie et larmes.

C'est le retour à une vie ordinaire. Tout se passe bien, mais un événement vient mettre les résolutions de Noëlle à rude épreuve. En faisant ses courses avec sa fille, elle croise la gardienne responsable de son séjour en mitard. Noëlle l'avait menacée de lui faire payer un jour. La matonne, se rendant compte de la situation, devient blême et bredouille quelques mots. Malgré la haine, Noëlle pense à sa fille, parvient à se contenir et à partir. Quand Éric, au parloir, lui parle de nouveau d'évasion, ce n'est plus possible pour Noëlle. Elle a déjà fait ce qu'elle avait à faire. Mais le pauvre est constamment transféré, car l'administration craint justement une tentative de ce style. Puis, il est transféré en Espagne et Noëlle ne peut plus lui rendre visite. Elle manque d'argent, et surtout, elle est toujours inculpée et recherchée dans ce pays.

Si Noëlle décide de couper court avec l'illégalisme, elle ne renie pas son passé ni ses actes. De son activité, voilà ce qu'elle en dit : « J'ai commis bien des actes répréhensibles, je ne le nie pas, mais j'ai toujours été profondément convaincue que je combattais l'injustice. Dans mon esprit, il a toujours été clair que je ne molesterai jamais les pauvres. Si je devenais gangster, je ne frapperais qu'à la porte des riches. Je me posais la question de savoir ce qu'il pouvait y avoir de plus riche qu'une banque… à part une autre banque ! De surcroît bien assurée... ».

Cette vie simple et calme dure jusqu'au retour de François dans l'actualité, en novembre 1994. Alors que les autorités le croyaient mort, on retrouve sa trace aux alentours de Cognac. Toutes les télévisions reparlent de lui. La nouvelle vie de Noëlle est bouleversée. La presse parle d'elle. Eva découvre tout un tas de choses sur sa famille. Âgée désormais de 10 ans, cela l'atteint, d'autant qu'elle est l'objet de moqueries à l'école. Elle se met à rejeter son père toujours en prison et devient souvent agressive. Noëlle revoit sa rébellion de jeunesse et ne veut pas lâcher sa fille qui la teste constamment : « Le seul tort que j'ai eu envers elle — il est de taille, j'en ai conscience — c'est de ne pas lui avoir dit la vérité avant qu'elle ne l'apprenne par la presse. Elle pensait que ma vie était un tissu de mensonges, elle ne me respectait plus ».

Malheureusement, la même année, Marcelle Besse, la mère de Noëlle et de François, décède. Autour de sa dernière demeure, la police investit chaque recoin. Tireurs d'élite sur le toit, brigades spécialisées cachées derrière les arbres, tout le monde attend la faute de François Besse qui voudrait embrasser une dernière fois sa mère, et ils espèrent le cueillir ainsi. Bien sûr, il ne se fait pas avoir.

En 1998, Éric reçoit sa première permission de sortie. Noëlle s'interroge : va-t-elle ressentir de l'amour, de la pitié, du regret ? Au final, ce sont de beaux moments qu'ils passent ensemble. Ce n'est pas le cas pour Eva qui enchaîne les actes de rébellion, reconnaissant plus tard que si elle ne veut pas entendre parler de son père, c'est parce qu'elle craint que sa mère retombe dans le banditisme. Après sa libération, il rejoint leur foyer et ils tentent, les trois, d'aller de l'avant. Éric s'apprête à reconnaître officiellement sa fille. Noëlle en profite pour demander la main de son compagnon. Le mariage est prévu pour janvier et les préparatifs avancent, lorsque Éric reçoit un courrier du ministère de la Justice. Celui-ci stipule qu'on lui refuse sa demande d'asile, que leur union n'est pas reconnue. L'administration lui intime même l'ordre de partir dans le mois, sous peine d'expulsion. Il est considéré comme « indésirable sur le territoire français ». Il n'y a pas d'appel possible.

La famille décide de retourner en Espagne, d'autant plus que les affaires de Noëlle sont prescrites. Éric doit promettre à sa compagne qu'il ne va pas tenter de gagner de l'argent illégalement. Eva réapprend très vite la langue. Mais l'union dans la famille ne prend jamais vraiment. Éric est de plus en plus agressif. Un jour, lors d'une crise, après que les insultes aient fusé des deux côtés, il s'apprête à frapper Eva. Noëlle s'élance pour la défendre. Il se met à étrangler sa compagne qui parvient à le blesser au visage. « Je ne faisais pas le poids, la cocaïne décuplait sa méchanceté et sa force. Le combat était déloyal. J'ai pris conscience ce jour-là de ce que pouvait endurer les femmes battues. Je n'avais jamais vécu une telle expérience, cela me laissa brisée. Nous ne nous adressions plus la parole. Je décidai, le cœur déchiré, de partir, de le quitter ». De plus, il lui avoue qu'il a repris ses anciennes activités et qu'il a une maîtresse de 24 ans. C'est le moment de partir de la maison.

Eva, presque majeure, vit de sorties et de divertissements grâce à l'argent de son père. Après une dispute avec sa mère, elle décide de retourner chez lui. Noëlle revient en France, seule et abattue. Quelques mois plus tard, Éric se fait arrêter à son domicile pour trafic de drogue et possession illégale d'arme. Peu de temps après, Eva, isolée en Espagne, est placée en centre pour mineur délinquant.

Lors d'une sortie, Eva s'enfuit et retourne en France, avec sa mère. Les années suivantes, elle arrive à se réconcilier avec son père, très malade, et retrouve la joie de vivre. François, repris, purge sa dernière peine et ressort enfin et définitivement libre de prison, après toute une vie de cavale et de lutte. C'est presque un miracle, mais François et Noëlle sont enfin libres en même temps. Ils mènent une vie discrète. Chacun fait tout de même paraître une autobiographie afin de relater son existence respective, tout en gardant un lot immense de secrets qui ne regardent qu'eux, leurs complices et leurs amis. Aux dernières nouvelles, ils vivent et jouissent encore de leur liberté. Après une vie d'aventures et d'épreuves, de combats et de résistances, nous leur souhaitons le meilleur.

Bibliographie

Une femme au cœur du grand banditisme : autobiographie, Noëlle Besse, Trabucaire Éditions, 2008.
Je suis un bandit d'honneur, François Besse, Paul Legrain, 1984.
Cavales, François Besse, Plon, 2019.


Si vous avez des commentaires à faire sur ce texte ou un moyen de contacter Noëlle, sa fille, François ou ses deux enfants, afin de les interviewer, ce qui permettrait d'approfondir certains points, vous pouvez écrire à cette adresse : articlesbesse@riseup.net


[1] La vie incroyable de François Besse se lit avec délectation dans cet article

[2] Toutes les citations de Noëlle Besse viennent de son autobiographie : Une femme au cœur du grand banditisme : autobiographie, Noëlle Besse, Trabucaire Éditions, 2008. Les faits relatés sont issus d'un regroupement de toutes les sources disponibles et rencontrées. Les images proviennent de Les cavales finissent mal… en général, Jean-Marc Froissart, 2010.

[3] Noëlle Besse l'explique ainsi dans ses mémoires : « Souvent à cette époque, les femmes subissaient en silence — heureusement pour moi qu'il y eut mai 1968 pour m'émanciper — ».

[4] Un Q.H.S (Quartier de Haute Sécurité) était un type de prison en France destiné à détenir les détenus considérés comme les plus dangereux ou les plus susceptibles de s'évader. Introduits dans les années 1970, ces quartiers étaient caractérisés par un isolement strict, un contrôle renforcé et des conditions de détention extrêmement dures. L'objectif était de briser psychologiquement les prisonniers pour les empêcher de récidiver ou de s'évader. La suppression des Q.H.S. résulte d'une longue lutte menée par plusieurs acteurs. Les prisonniers des Q.H.S. ont souvent organisé des grèves de la faim, des mutineries et des actions de protestation pour dénoncer leurs conditions de détention. Des groupes comme l'Observatoire international des prisons (OIP) ou la Ligue des droits de l'Homme ont milité contre ces quartiers, les qualifiant de « torture psychologique ». Les intellectuels et militants, tels que Michel Foucault par exemple, ont critiqué le système carcéral français, soulignant que les Q.H.S.étaient une forme de punition dégradante et contraire aux droits humains. Enfin, les médias, notamment Libération, ont publié des enquêtes qui ont exposé les conditions de vie inhumaines dans ces quartiers, ce qui a contribué à sensibiliser l'opinion publique. Jacques Mesrine, François Besse et bien d'autres prisonniers ou évadés ont témoigné à travers de livres, d'interviews ou de communiqués, prenant à partie l'opinion publique. Sous la pression de ces luttes, les Q.H.S. ont été progressivement supprimés dans les années 1980. Ils ont été remplacés par des Quartiers d'Évaluation de la Dangerosité (QED) et des Quartiers de Sécurité Renforcée (QSR), qui restent toujours controversés.

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