15.12.2025 à 20:00
Manger la Hess, une poétique culinaire - Yoann Thommerel
Comment manger en temps de crise, pour presque rien voire rien du tout ? Le poète Yoann Thommerel mène l’enquête auprès des fauché.es de Seine-Saint-Denis. Au gré des rencontres fortuites et des invitations, cela donne Manger low cost (éditions Nous) à la fois livre de recettes, manuel de survie et livre de poésie sur la Hess. « La Hess ? C’est quand chez toi y a tellement rien dans le frigo que même les prisonniers mangent mieux. Ou si tu préfères, des fois c’est tellement la Hess que t’as même pas de frigo. » On apprendra entres autres comment préparer une pizza en prison, comment cuisiner les fanes, comment rôtir un niglo (hérisson), l’art de se gaver à l’œil dans les vernissages, ou les règles d’or pour voler sans stress au Monoprix.
Vous aimez ou au moins lisez lundimatin et vous souhaitez pouvoir continuer ? Ca tombe bien, pour fêter nos dix années d’existence, nous lançons une grande campagne de financement. Pour nous aider et nous encourager, C’est par ici.
14.12.2025 à 19:00
Du nazisme quantique - Christian Ingrao
Ce lundisoir nous invitons Christian Ingrao, le big boss de l’histoire française du nazisme. Après Johann Chapoutot qui nous avait parlé du « nazisme zombi », voilà qu’il va nous falloir comprendre ce qu’est le « nazisme quantique ». C’est l’hypothèse de Christian Ingrao dans Soleil noir du paroxysme. Ça a l’air fou, mais c’est en réalité totalement génial.
Non seulement nous allons comprendre comment les structures imaginaires de la chasse et de la domestication les plus profondes peuvent soudain surgir en quelques mois à travers les pratiques de guerre des brigades de « chasseurs noirs » nazis sur le front de l’Est, mais nous allons aussi méditer sur la méthode de l’historien lorsque ses objets atteignent des paroxysmes de violence qui rendent tout témoin muet et tétanique. Et puis pourquoi se suicide-t-on en masse à la suite d’une défaite militaire comme en Allemagne nazie ou comme dans le Japon impérial ? Enfin, l’histoire peut-elle emprunter à la physique et à la mécanique quantiques ses concepts et ses instruments pour penser ses propres « incomplétudes » ?
Allé, on vous laisse découvrir tout ça, c’est du lourd, du délirant et du super sérieux à la fois, bref, c’est de qualité quantique, à la fois onde et corpuscule. Une belle citation avant de regarder :
« Il n’en reste pas moins que le système de « reproduction » des sociétés européennes occidentales du long Moyen Âge qu’ils décrivent est formé de millions d’orgasmes – essentiellement masculins, je le crains fort – et de centaines de millions d’instants suspendus, où des couples tremblants de désir se sont abstenus de faire l’amour, myriades vertigineuses d’étreintes interrompues par des femmes ou des hommes qui bâtissaient – malgré et avec la jouissance, ce paroxysme des corps… – ce qui se dégradait par décohérence en un modèle démographique de limitation des naissances par retard de l’âge au mariage. Ces milliards de possibles, pour certains seulement advenus, qui sont en eux-mêmes les états d’un système, son histoire et son devenir, n’ont jamais été mesurés ni observés.
Mais leur enveloppe à peine pensable constitue les espaces probabilistes à dimensions infinies qui font du réel un système quantique sur lequel l’histoire des populations, la démographie historique, mais aussi les observations plus micro-issues de l’histoire sociale, de la microstoria, des cultural studies et des gender studies n’ont et ne pourront peut-être jamais avoir qu’un point de vue newtonien, faute de pouvoir se doter des procédures, des langages et des outils descriptifs aptes, comme le calcul matriciel, les mathématiques probabilistes ou les algèbres non commutatives, à rendre compte de sa nature quantique. Car le réel, en histoire comme dans la plus grande partie de la physique, n’est mesurable qu’après ou à décohérence ; une décohérence constante mais discrète elle aussi ; une décohérence qui élimine superposition des états et suspension des potentialités du réel. Un réel qui nous fuit, donc, mais dont on intuite au moins fugitivement les potentialités, ne serait-ce qu’en formulant des expériences de pensée… Il est d’ailleurs temps, désormais, de conclure celle-ci. »
Le Soleil noir du paroxysme, Christian Ingrao
Vous aimez ou au moins lisez lundimatin et vous souhaitez pouvoir continuer ? Ca tombe bien, pour fêter nos dix années d’existence, nous lançons une grande campagne de financement. Pour nous aider et nous encourager, C’est par ici.
02.12.2025 à 20:00
Terres enchaînées, Israël-Palestine aujourd'hui - Catherine Hass
La colonisation en cours sur les territoires palestiniens occupés, soit dans sa phase coloniale de peuplement en Cisjordanie (assassinats, usurpations de terres agricoles, destruction des Oliviers, vol des habitats, apartheid urbain, régime militarisé), soit dans sa phase exterminatrice à Gaza (ethnocide, génocide, urbicide) a produit, sous nos contrées, un ensemble de dispositifs idéologiques qui, à nos yeux, ont une fonction principalement policière. Catherine Hass, dont nous ne raconterons pas, par pudeur, méthode et amitié, son rapport intime et personnel, tragique, à la question, vient de faire paraître aux éditions NOUS l’un des livres les plus juste et les plus intelligent, les plus innervé dans le témoignage des personnes réelles, pour comprendre les logiques de pensée morbides chez nous, relativement à ces « Terres enchaînées » que sont Palestine-Israël, chez eux, et qui enferment la pensée du possible, c’est-à-dire la politique.
Si le livre est la réunion de textes consacrés à la Palestine, d’une réflexion sur le paradigme de guerre antiterroriste à partir de Derrida, à des témoignages directs de Palestiniens interviewés par l’autrice et ses collègues, en passant par la magnifique lettre aux juifs italiens écrite par Franco Fortini en 1940, l’interview de l’historien de l’armée d’Hitler Omer Bartov, c’est une cohérence profonde qui se dessine au fil des pages et produit un effet singulier : nous passons, de chapitre en chapitre, de l’idéologie générale de l’époque, y compris de l’usage de l’accusation absolument délirante d’antisémitisme et de son « opération de police » spécifique, à, peu à peu, plus de réel et plus de possible en retrouvant les paroles mêmes des Palestiniens.
Une chose étonnante apparaît alors : pour les Palestiniens, beaucoup de ce que l’on prête comme vision du problème, n’existe pas. Le « juif » n’est jamais le problème, ce qu’il l’est c’est l’occupant, le colon, le bourreau. Quant à la solution politique, d’un État ou de deux selon quelles conditions imposées depuis l’extérieur, certains préfèrent se dégager de la contrainte et vont jusqu’à dire qu’ils envisagent, le plus sérieusement du monde, une hypothèse pacifiste, sans aucun État.
En choisissant de penser Palestine-Israël depuis la politique, et donc, selon sa définition, depuis le possible, Catherine Hass propose donc de penser la situation selon deux modalités 1) à partir du réel palestinien, c’est-à-dire à partir de témoignages, de propos rapportés, de l’enquête, et non à partir de l’image fantasmée que l’on peut - parfois à raison - s’en faire. Et, 2) à partir du fait qu’Israël n’importe pas tellement du point de vue de sa « judéité » mais davantage de son « étaticité », c’est-à-dire que le problème d’Israël repose bien plus sur le fait qu’il s’agit d’un État, qui, en tant qu’État colonial sur le modèle européen avec le soutien américain, fait une guerre, guerre « antiterroriste » qui s’inscrit dans le paradigme global et les apories annihilatrices que posent ce type de guerre. Pour ce geste hyper courageux, celui de tenir un fil étroit, celui du possible, nous nous sommes fait une joie de l’inviter ce soir.
Vous aimez ou au moins lisez lundimatin et vous souhaitez pouvoir continuer ? Ca tombe bien, pour fêter nos dix années d’existence, nous lançons une grande campagne de financement. Pour nous aider et nous encourager, C’est par ici.