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11.04.2025 à 10:43

“Pourquoi c'est si dur de se faire des amis ?” Les enfants répondent

nfoiry
“Pourquoi c'est si dur de se faire des amis ?” Les enfants répondent nfoiry ven 11/04/2025 - 10:43

« Avoir un bon copain », ça n'a rien d'évident ! Comment naît une amitié ? Nous vous proposons de découvrir les réponses étonnantes et profondes d'enfants à la question « Pourquoi on tombe amoureux ? », parues dans notre nouveau numéro. Puis, Chiara Pastorini vous donne les clés pour aborder le sujet avec eux. 

avril 2025
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10.04.2025 à 18:56

La sagesse de Patrick Sébastien

hschlegel
La sagesse de Patrick Sébastien hschlegel jeu 10/04/2025 - 18:56

« “La vraie question philosophique, ce n’est pas être ou ne pas être / C’est : Est-ce que tu l’as vu mon cul, est-ce que tu l’as vu ? / Est-ce que tu l’as vu mon cul, est-ce que tu l’as vu ?” 🎶🍑 (bis)

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On le croyait mort et enterré, ou, à tout le moins, englouti dans les limbes du kitsch. N’en déplaise aux “grincheux”, comme il nomme ses détracteurs : Patrick Sébastien est bien vivant. En trois jours, plusieurs millions de personnes ont vu sa nouvelle chanson, un de ces “tubes de l’été” dont il a le secret. La vidéo est courte. L’arrangement musical, sommaire. La chorégraphie, basique : entouré de jeunes, le chanteur remue son derrière avec entrain.

J’ai beau vouloir le prendre de haut, me pincer le nez face à tant de vulgarité : Patrick Sébastien m’arrache toujours un éclat de rire. Dès que je l’entends, je suis prise d’une irrépressible envie d’agiter les bras frénétiquement, de lancer une chenille et d’y entraîner n’importe qui. Un plaisir coupable que partagent nombre de mes proches, y compris les plus intellos. “J’ai toujours un pincement au cœur quand je l’écoute”, me confie une amie. “Pile le même que quand ma mère m’envoie une carte de vœux musicale pour mon anniversaire.” Je l’associe moi aussi à mon enfance : aux campings dans lesquels mes parents me traînaient gamine, à des salles des fêtes de province, aux cotillons, aux néons qui grésillent… Bref, à tout ce qui est populaire et me renvoie à un état d’innocence festive – prolo, certes, mais chaleureuse.

Ce qui me charme, au fond, c’est la simplicité de la proposition. “C’est une chanson à la con qui n’a ni queue ni tête”, scande son auteur. “Je sais bien, c’est vulgaire, on aurait pu s’en passer / Mais c’est ce petit air qu’on avait envie de chanter !” Patoche, c’est le sens de la fête à l’épure : une fois encore, il assume de délivrer un message dénué de toute prétention. Un art poétique dont ce Boileau des paillardes délivrait déjà la recette dans Les Sardines : “Pour faire une chanson facile, facile / Faut d’abord des paroles débiles, débiles / Une petite mélodie qui te prend bien la tête / Et une chorégraphie pour bien faire la fête.”

Ce n’est pourtant pas un crétin qui est l’auteur de ces tubes. Cruciverbiste et verbicruciste, Patrick Boutot de son vrai nom est un amoureux des mots. Il aurait pu, de son propre aveu, devenir professeur de philosophie, qu’il a d’ailleurs étudiée. Très bon élève, il était passionné par la littérature et les grands penseurs. C’est son prof de philo qui lui a paradoxalement donné l’envie de se détacher de tout vernis érudit, en lui rappelant qu’“il ne faut pas vivre pour penser, il faut penser à vivre”. “J’ai alors décidé que je ferai du futile”, raconte le chanteur-animateur-humoriste. “Je me disais que j’aurai l’amour des gens, amour que je n’ai pas eu.” Ayant grandi sans père et sans argent, d’une mère de 17 ans qui travaillait à l’usine, le jeune Patrick sait depuis toujours la douleur de l’absence. Adulte, il vit l’insupportable : la mort de son enfant, Sébastien, emporté dans un accident de moto à ses 19 ans – et dont il a adopté le prénom comme nom de scène. “Il n’y a pas un jour où je ne pense pas à lui”, confie le chanteur, qui avoue volontiers avoir été alcoolique et accro à la roulette. “Je suis en survie. Je suis mort avec lui.”

Comment expliquer alors cette bêtise assumée ? Peut-être doit-on y voir une manière d’être “superficiel par profondeur”, comme disait Nietzsche. Chez Patrick Sébastien, je retrouve quelque chose de l’allégresse dont parle Clément Rosset : une façon de vivre joyeusement et légèrement, sans naïveté aucune. Le philosophe aimait célébrer l’ivrognerie et l’idiotie – à comprendre au sens étymologique : le mot grec idiôtès signifie unique, singulier. Vivre en ivrogne, c’est accepter le réel tel qu’il est – idiot, comprenez : brut, sans cause ni justification. Ne pas fuir dans un deuxième monde, celui des illusions, où l’on se fantasme une image de soi.

“La fête est avant tout une ardente apothéose du présent, en face de l’inquiétude de l’avenir”, disait Simone de Beauvoir. Patrick Sébastien n’est pas né de la dernière pluie : il connaît l’état du monde – et de son corps, lui qui vient de réchapper d’un cancer du rein. Ce n’est pas par inconscience, mais par sagesse qu’il remue son popotin. Sa source de fierté ? Savoir que des gens font jouer Les Sardines à leur enterrement (“Ah qu’est-ce qu’on est serrés, serrés dans cette boîte…”). Son dernier vœu ? Qu’on écoute à ses obsèques cette chanson de son cru, cri d’adieu d’un clown à jamais meurtri par la disparition de son fils : “Tapez des mains ! C’est ça que je préfère / Allez boire du champagne, allez faire la fiesta / Honorez vos compagnes en souvenir de moi […] / La plus belle lumière est au bout du chemin / Parce que ce soir Patrick va revoir Sébastien.” »

avril 2025
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10.04.2025 à 17:00

Le plan “Gaza-Riviera” de Donald Trump est-il un projet totalitaire ?

hschlegel
Le plan “Gaza-Riviera” de Donald Trump est-il un projet totalitaire ? hschlegel jeu 10/04/2025 - 17:00

Donald Trump a sidéré le monde en proposant d’expulser les habitants de la bande de Gaza pour transformer celle-ci en « Riviera du Moyen-Orient ». Ce projet réveille le souvenir de programmes de déplacements forcés de population, dont Hannah Arendt fait l’une des sources du totalitarisme. Est-ce comparable ?

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Lorsque le 4 février dernier, il évoque l’annexion de la bande de Gaza par les États-Unis pour réaménager celle-ci en zone touristique haut de gamme après avoir expulsé deux millions de Gazaouis en Égypte et en Jordanie, le président américain semble sortir l’idée de son chapeau. D’après le New York Times, il n’en avait parlé qu’à quelques proches et n’avait pas consulté le département d’État ou le Pentagone. Même Benyamin Netanyahou, en visite à Washington, découvre le projet en écoutant son homologue. Tandis que les proches du président américain relativisent ses propos, plusieurs analystes considèrent qu’il s’agit sans doute d’une manœuvre pour forcer le Hamas à négocier. Mais ces déclarations visent également à faire passer des idées tout aussi illégales, mais moins choquantes, pour des réalités acceptables – comme l’occupation du territoire par l’armée ou la colonisation israélienne. Trump, d’ailleurs, insiste. Les Palestiniens expulsés n’ont pas vocation à revenir chez eux : « On peut trouver une zone magnifique pour y installer les gens de façon permanente dans de belles maisons, où ils peuvent être heureux sans se faire tirer dessus. » Cinq jours plus tard, sur Fox News, il répète : « Non, ils [ne reviendront] pas ». Les Gazaouis n’auraient pas les moyens de s’offrir le « grand site immobilier » dont il rêve. Le 26 février, le président reposte une vidéo sur son réseau social Truth, dans laquelle on le voit en maillot de bain au bord d’une piscine avec le premier ministre israélien, tandis qu’Elon Musk goûte aux spécialités orientales. L’IA a déjà imaginé la Côte d’Azur palestinienne.

➤ À lire aussi : De l’extension de l’acceptable en politique. Que voit-on par la « fenêtre d’Overton » ?

Comment qualifier ce projet, dénoncé par les pays arabes et de nombreux États, mais applaudi par l’extrême droite israélienne ? S’il devait voir le jour, il constituerait, selon le secrétaire général des Nations unies, une « forme de nettoyage ethnique ». La déportation forcée ou le transfert d’une population civile sont des violations flagrantes et très graves du droit international. En attendant, pour la spécialiste du droit international humanitaire Françoise Bouchet-Saulnier, citée par Le Monde, les déclarations de Trump constituent « une incitation directe de son allié israélien à commettre un crime contre l’humanité ». Cette nouvelle transgression trumpienne ne fait qu’accabler davantage la population palestinienne de Gaza, issue en majorité de l’expulsion de 1948 et décimée par l’armée israélienne depuis un an et demi. Les Gazaouis sont encore plus en péril depuis la rupture du cessez-le-feu le 18 mars dernier, la reprise des bombardements et de l’avancée terrestre israélienne. Après avoir espéré retrouver leurs foyers début 2025, ils subissent à nouveau des ordres d’évacuation et se demandent s’ils ne devront pas un jour quitter définitivement leur terre. Le « plan Riviera » serait-il la version contemporaine, mercantiliste et immobilière, des grands projets totalitaires de déplacements de population ? Certes, de tels déplacements forcés de communautés humaines ont maintes fois eu lieu dans l’histoire – que l’on pense au commerce des esclaves africains, aux Indiens d’Amérique notamment. Mais le plan Gaza de Trump, qui se veut purement entrepreneurial, se superpose à la volonté de l’extrême droite israélienne de « punir » les Gazaouis et de se débarrasser une fois pour toutes d’une partie du « problème palestinien » et de régler la question du droit des Palestiniens à un État aux côtés d’Israël. Pour savoir si l’idée trumpienne comporte une composante totalitaire, il n’est donc pas inutile de la comparer, afin de voir les ressemblances et les différences, avec deux deux pages importantes de l’histoire totalitaire du XXe siècle : le « plan Madagascar » caressé un temps par les nazis pour expulser les Juifs, et les déportations staliniennes de peuples entiers durant la Seconde Guerre mondiale.

Le “plan Madagascar” nazi, un projet avorté

Comme l’écrit Hannah Arendt dans Eichmann à Jérusalem (1963), il y a eu avant l’extermination des Juifs par les nazis une « première solution, l’expulsion ». Durant l’été 1940, les autorités allemandes s’activent pour mettre en œuvre leur politique antisémite. Plusieurs projets sont avancés pour expulser les Juifs. Une première option est leur déportation vers certaines régions polonaises. Mais celles-ci sont pauvres et déjà surpeuplées. Après l’armistice avec la France vaincue, une autre idée s’impose, celle de l’utilisation de Madagascar, membre de l’empire français, pour y envoyer plusieurs millions de Juifs. Pourquoi, pour les nazis, ne pas résoudre définitivement le « problème juif » en les envoyant sur une île peu densément peuplée et située à des milliers de kilomètres de l’Europe ? Hitler lui-même est séduit par l’idée d’un ghetto géant et éloigné. Évoqué par l’historien Raoul Hilberg dans sa somme sur La Destruction des Juifs d’Europe (Gallimard, 1961), le plan Madagascar est également documenté par l’historien Christopher Browning dans Les Origines de la solution finale (Les Belles Lettres, 2007). Caressé durant tout l’été 1940 par les dignitaires nazis, ce projet disparaît pourtant des radars dès septembre de la même année. En effet, comme l’explique Browning, « la défaite de la France et la victoire considérée comme imminente sur la Grande-Bretagne avaient laissé espérer à la fois le territoire colonial et la flotte marchande nécessaires à une expulsion massive des Juifs d’Europe au-delà des mers ». Or si la première condition est rapidement réalisée, la seconde échoue. Le Royaume-Uni résiste : « Pareil à une superbe étoile filante, le plan Madagascar traversa le ciel de la politique antijuive des nazis, pour s’éteindre de façon abrupte. Brève, son existence n’en fut pas moins bien réelle », résume l’historien américain spécialiste de la Shoah. En effet, « aussi irréaliste qu’il puisse paraître avec le recul, le plan Madagascar représenta une étape psychologique importante dans le processus conduisant à la “solution finale” ».

“Le totalitarisme immobilier n’est pas une réalité. Mais il est devenu une hypothèse que l’on discute dans certaines sphères”

Il n’est pas question ici de comparer les autorités américaines ou israéliennes à Hitler et au nazisme. Tout d’abord, tout plan de reconstruction de Gaza nécessitera des déplacements de population, au moins à l’intérieur de la bande de Gaza. Mais, contrairement au projet trumpien, il s’agira de rebâtir pour les Palestiniens, et pas pour des Américains, des Israéliens ou des riches citoyens des pays du Golfe. Ensuite, le totalitarisme, tel que le décrit Arendt, utilise les outils de la terreur et correspond à la réalisation d’une idéologie. Ce n’est pas forcément le cas dans le plan américain, même si la terreur de vivre sous les bombes est réelle depuis un an et demi à Gaza. En ce qui concerne l’idéologie, le mercantilisme immobilier n’a rien à voir avec le nazisme ou le stalinisme. Si le projet était réalisé, il reprendrait une méthode utilisée par des régimes totalitaires, mais ne le serait pas totalement lui-même.

On retrouve cependant dans les paroles de Trump trois éléments constitutifs du « plan Madagascar ». D’abord, sa difficulté de réalisation, qui confine à l’irréalisme. Même si l’armée israélienne parvient à expulser deux millions de personnes, l’Égypte et la Jordanie refusent de les accueillir. On voit mal, dans ces conditions, où expulser les Gazaouis. Ensuite, le fait que cette idée d’expulsion définitive entre dans le champ du possible. Si le chef du plus puissant État du monde exprime sa volonté de faire partir une population entière, cette hypothèse, quoiqu’irréalisable dans les conditions actuelles, appartient désormais au domaine de ce qui est pensable [lire notre article sur la « fenêtre d’Overton »]. Elle rend ainsi possible une violence accrue. C’est psychologiquement déterminant.

➤ À lire aussi : Hannah Arendt et le mal impensé

Notons enfin le caractère prétendument généreux et humanitaire du projet d’expulsion. Dans son compte-rendu du procès d’Adolf Eichmann à Jérusalem, Arendt insiste sur la volonté de ce responsable de la « solution finale » de trouver, comme on dirait aujourd’hui, une option gagnant-gagnant. La philosophe cite le dignitaire nazi qui, durant son contre-interrogatoire, insiste sur le fait qu’il voulait « trouver une solution acceptable, équitable pour les deux parties… C’était mettre un peu de terre ferme sous les pieds des Juifs, pour qu’ils aient un endroit où vivre, un sol qui leur appartînt ». Eichmann prétend même que les Juifs approuvaient ses projets de ce que les nazis appelaient pudiquement une réimplantation. Browning confirme ce fait en citant des hauts fonctionnaires nazis qui pensaient « qu’une telle “générosité” (Großmut) envers les Juifs pourrait être utilisée comme argument de propagande en faveur de l’Allemagne ». Lorsque Donald Trump affirme, lors de son entretien sur Fox News, que les Gazaouis ne bénéficieraient d’aucun « droit au retour » parce qu’ils « auront des logements bien meilleurs » loin de chez eux, on croirait presque entendre Adolf Eichmann – dont la caractéristique principale, selon Arendt, est ce qu’elle appelle « l’absence de pensée ».

Des déplacements de masse staliniens…

Parmi les projets de déplacements planifiés de populations nationales au XXe siècle, on oublie parfois ce que Staline a fait subir à plusieurs peuples d’URSS durant la Seconde Guerre mondiale. Son objectif n’était pas de les exterminer, mais de les punir pour la faute (inventée de toutes pièces) de collaboration avec les nazis. En réalité, le dictateur voulait se débarrasser de peuples rétifs à la soviétisation, tentés par la rébellion ou la désertion. C’est pourquoi, entre 1943 et 1944, la totalité des Tchétchènes, des Ingouches, des Balkars, des Karatchaïs (deux autres peuples du Caucase du Nord) et des Tatars de Crimée, soit deux millions de personnes en tout, sont brusquement déportés. Ainsi, en six jours de février 1944, comme l’écrit l’historien spécialiste de l’Union soviétique Nicolas Werth dans La Terreur et le Désarroi. Staline et son système (Perrin, 2007), 119 000 hommes des troupes spéciales du NKVD (la police politique) arrêtent et déportent un demi-million de Tchétchènes. Ceux-ci disposent d’une heure pour réunir quelques affaires avant d’être transportés en camions à la gare la plus proche, où ils sont transférés par convois ferroviaires vers le Kazakhstan et le Kirghizistan, en Asie centrale. La mortalité durant le voyage de trois semaines, mais aussi dans ces contrées inhospitalières, est effroyable. Durant leur absence, comme l’explique Nicolas Werth, « la République autonome de Tchétchénie-Ingouchie fut abolie, la toponymie changée, les monuments à la gloire de figures nationales rasés, toute mention de l’existence même d’une nationalité tchétchène (mais aussi ingouche, balkare, kalmouke, karatchaïse, etc.) supprimée de la Grande Encyclopédie soviétique ». Ce qu’on appelle les « peuples punis » sont condamnés à perdre leur nationalité. Cette marque d’infâmie est transmise à leurs descendants. Il ne s’agit cependant pas, selon l’historien, d’un acte génocidaire obéissant à des considérations racistes : « Fondé sur la conviction que les nationalités, de même que les classes sociales, étaient des formations socio-historiques et non des entités raciales ou biologiques, le traitement infligé aux “peuples punis” ou aux “nations ennemies” s’apparentait davantage à une forme “d’excision ethno-historique” ! Le régime aspirait davantage à éradiquer les identités nationales, culturelles et historiques d’une communauté qu’à éliminer physiquement chaque membre de celle-ci. Cela explique sans doute pourquoi un régime qui avait parfaitement la capacité de mettre en œuvre de vastes opérations génocidaires n’organisa pas des camps d’extermination sur le modèle nazi. » Déplacer un peuple n’est pas nécessairement raciste ou xénophobe. Mais le déracinement est réel et traumatisant. 

“Déplacer un peuple n’est pas nécessairement raciste ou xénophobe. Mais le déracinement est réel et traumatisant”

Là encore, les différences avec le projet Gaza sont nombreuses, au moins parce que l’idée trumpienne n’a pas été mise en œuvre. On peut cependant y retrouver, en filigrane, une volonté de punir les Gazaouis d’avoir élu et n’avoir pas contesté leurs dirigeants terroristes du Hamas, responsable du plus grand massacre de Juifs depuis la Seconde Guerre mondiale. La déportation des habitants de Gaza équivaut, en filigrane, à un châtiment collectif. Par ailleurs, contrairement au projet nazi, les peuples soviétiques ont été déportés en peu de temps et de manière efficace. Nicolas Werth cite ici Jacques Sémelin, spécialiste des violences de masse et notamment auteur de Purifier et Détruire. Usages politiques des massacres et des génocides (Seuil, 2005) : « Cette opération présentait trois caractéristiques communes à toutes les grandes opérations de nettoyage ethnique mises en œuvre au XXe siècle : une structure de commandement hiérarchisée, un théâtre d’opération clos et une culture de l’impunité. » La question se pose de savoir si ces conditions sont réunies au cas où un projet de ce genre voyait le jour à Gaza. C’est très discutable. Mais la mise en œuvre d’un déplacement de masse planifié n’appartient pas, on le voit dans le cas stalinien, au domaine de l’impossible. Il est enfin intéressant de suivre le destin de ces peuples déportés. La déstalinisation les rétablit progressivement dans leurs droits et provoque le retour (fort tardif en ce qui concerne les Tatars de Crimée, réhabilités en 1967, mais autorisés à rentrer chez eux seulement à partir de 1989 !) des populations déportées. En 1957, les Tchétchènes et Ingouches, par exemple, commencent à revenir chez eux de leur propre initiative, provoquant la panique parmi les colons qui avaient pris leur place. Inutile de dire que la rancœur et l’hostilité envers Moscou, de la part des Tchétchènes ou des Tatars de Crimée notamment, est en partie due à la terrible déportation qu’ils ont subie. Là encore, l’analogie avec la détresse et la colère des Palestiniens, déjà expulsés en 1948 et menacés d’un nouvel exil, semble évidente. Les déplacements de population sont voués à l’échec, et sont polémogènes pour de longues décennies.

…aux projets immobiliers poutiniens

Un point essentiel semble distinguer le projet trumpien des exemples historiques que nous venons de citer : c’est sa composante immobilière. Trump imagine expulser les Gazaouis afin de bâtir un front de mer luxueux parsemé d’hôtels de luxe et de lotissements pour personnes aisées. C’est le blogueur Curtis Yarvin, exerçant apparemment une influence sur les idées de l’exécutif américain, qui a proposé, au lendemain des massacres du 7 octobre 2023, d’expulser les Palestiniens en transformant Gaza en entreprise et en dédommageant ses habitants par des « jetons » (tokens), des actions de leur terre transformée en zone d’investissement. On sait que Donald Trump, dont c’est le métier, a une approche immobilière de la politique [lire notre article]. Il continue d’investir, par exemple à Oman. Son gendre Jared Kushner est très actif, notamment en Europe centrale, en Albanie, en Serbie ou en Hongrie, où il veut transformer le quartier d’une ancienne gare de triage en petite Dubaï. Il s’est intéressé de près au règlement du conflit israélo-palestinien et à Gaza lors du premier mandat de Donald Trump, et avait déjà plaidé pour une approche immobilière du problème. Fidèle à son approche mercantiliste et impérialiste des relations internationales, Donald Trump considère que construire des logements sur des zones abandonnées ou dévastées par la guerre est la meilleure chose à faire – pour les investisseurs et les clients fortunés, en tout cas. Pour lui, Gaza et les zones détruites en Ukraine sont des terrains où l’on peut faire des affaires. C’est la même politique que met en œuvre Vladimir Poutine. En 2000, il fait détruire la ville rebelle Grozny en Tchétchénie. Il l’a faite reconstruire – en en faisant profiter ses proches oligarques – pour marquer le territoire de son empreinte et normaliser le pays. Après avoir rasé la ville martyr ukrainienne de Marioupol, sur la mer d’Azov, en 2022, il poursuit la même logique. La reconstruction prend volontiers un tour humanitaire et généreux — puisqu’on reconstruit en plus beau — et permet d’édifier une ville-vitrine du poutinisme. Sur ce sujet comme sur d’autres, le président russe semble inspirer son homologue américain. Le droit des peuples à disposer de leur terre n’est pas, c’est le moins qu’on puisse dire, leur souci premier. Cette attitude n’est pas totalitaire, mais impérialiste et brutale. 

Du totalitarisme dans les têtes ?

Hannah Arendt, qui a consacré trois livres aux « origines du totalitarisme » (L’Antisémitisme, L’Impérialisme, Le Système totalitaire), évoque le projet Madagascar et les déplacements de population par Staline. Elle explique pourquoi ils constituent l’antichambre du totalitarisme. Dans le chapitre V de L’Impérialisme, intitulé « Le déclin de l’État-nation et la fin des droits de l’homme », la philosophe prend un autre exemple, plus général. Elle explique que la reconfiguration de la carte de l’Europe à la fin de la Première Guerre mondiale et les migrations de l’époque arrachent à une bonne partie de la population européenne son appartenance nationale. Outre les déplacements massifs de Juifs, d’Arméniens, de Russes, des pans entiers des habitants des empires se retrouvent du jour au lendemain, à la faveur du redécoupage des frontières, apatrides, réfugiés ou déplacés. Par conséquent, considère la philosophe, « les peuples privés d’un gouvernement national choisi par eux-mêmes [sont] privés de leurs droits humains ». On peut en faire ce qu’on veut – ce que vont rapidement comprendre les régimes totalitaires en les enfermant dans des camps puis, dans le cas nazi, en les assassinant. Privé de l’exercice de ses droits civiques, le réfugié ou le déplacé est soumis au bon vouloir de l’État où il se trouve et de sa police. Pour cela, il a fallu le déraciner, le priver de ses droits nationaux, avant de le déplacer.

➤ À lire aussi : Le triangle des « trumpitudes ». Les trois convictions de Donald Trump

Les Gazaouis se trouvent-ils aujourd’hui dans cette situation ? La plupart d’entre eux sont issus d’un autre déracinement, celui de 1948 [lire notre article sur la « Nakba »]. Depuis, ils se sont attachés à l’étroite bande de Gaza. Or, depuis les massacres du 7 octobre 2023, ils sont parfois à nouveau considérés comme des êtres déplaçables. Donald Trump ne les prend pas en compte comme des citoyens et des êtres attachés à leur territoire, mais comme des éléments perturbant ses projets politico-immobiliers. Si la violence qu’Arendt appelle totalitaire ne s’exerce pas sur les Gazaouis, elle semble théoriquement rendue possible par les propos du président américain. Leur vulnérabilité, qui s’ajoute aux violences de la guerre, atteint désormais un point extrême. Privés de presque tout, il ne leur reste que leur lieu de vie. Celui-ci devient à son tour une variable d’ajustement, quelque chose qui peut, au moins dans le discours, leur être enlevé. Le totalitarisme immobilier n’est pas une réalité. Mais il est devenu une hypothèse que l’on discute dans certaines sphères.

“Le droit des peuples à disposer de leur terre n’est pas, c’est le moins qu’on puisse dire, le souci premier de Trump ou de Poutine. Cette attitude n’est pas totalitaire, mais impérialiste et brutale”

Nous n’en sommes pas donc à une politique totalitaire vis-à-vis des Gazaouis – un plan étudié pour les évacuer et les priver une fois de plus de leurs droits civiques, donc de leurs droits humains selon Arendt. Mais le fait même que cette idée ait pu être formulée fait planer un « totalitarisme d’atmosphère », une transgression de toutes les règles du droit international au nom d’un projet d’annexion ou d’occupation permanente. Et, par les temps qui courent, installer dans les esprits la possibilité d’un nouveau crime n’est pas de nature à rassurer.

avril 2025
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10.04.2025 à 11:50

Le syndrome Pierre Niney. Pourquoi les appréciations scolaires s’impriment-elles à vie en nous ?

hschlegel
Le syndrome Pierre Niney. Pourquoi les appréciations scolaires s’impriment-elles à vie en nous ? hschlegel jeu 10/04/2025 - 11:50

Un jour, la professeure de français de Pierre Niney lui a conseillé de ne pas rêver à un trop grand avenir. Dans une vidéo récente, l’acteur témoigne y repenser souvent. Pourquoi certaines phrases nous hantent-elles si longtemps, et peut-on (vraiment) s’en détacher ? Réponses avec Daniel Pennac et Elias Canetti. 

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« Avec des résultats comme les vôtres, faudrait penser à pas trop rêver, vous êtes quand même assez médiocre. » La formule, lancée au jeune Pierre Niney par une enseignante en français, lui est restée en mémoire. Des années après, l’acteur en parle encore, au point d’en faire une petite vidéo humoristique… non dénuée d’un reste d’amertume et d’un esprit revanchard. Oui, Niney a aujourd’hui « réussi ». Mais son succès n’a pas suffi à effacer la trace de ce sévère jugement professoral. Si cette remarque est si mémorable, c’est peut-être d’abord parce qu’on sent qu’elle ne vise pas à juger un travail particulier, mais une personne tout entière. Elle essentialise une identité, la fige. Tout se passe comme si l’entièreté de l’identité était contenue dans une petite phrase assassine.

Mais l’exemple de Niney montre que la phrase va plus loin. Son enseignante ne se contente pas de qualifier ce qu’il est, elle désigne ce qu’il sera plus tard. Une personne qui ne doit pas « trop rêver », qui doit réfréner ses ardeurs et ses ambitions. Non content de qualifier le présent, ces commentaires méprisants viennent boucher l’avenir. C’est sur le terrain de la potentialité, de la virtualité, du devenir – que de telles remarques agissent avec le plus de cruauté. Voici par exemple comment l’écrivain Daniel Pennac décrit l’image qu’il avait lui-même, en tant que « cancre », dans Chagrin d’école (2007) :

“Aucun avenir. Des enfants qui ne deviendront pas. Des enfants désespérants. Écolier, puis collégien, puis lycéen, j’y croyais dur comme fer moi aussi à cette existence sans avenir. C’est même la toute première chose dont un mauvais élève se persuade”

Daniel Pennac, op. cit.

Un puissant venin

Certaines de ces remarques sont parfois proférées par une figure d’autorité, comme une sorte de mise en garde, un avertissement. Le but n’est pas forcément de blesser, plutôt de susciter une réaction immédiate. Cela n’enlève pas le pouvoir destructeur qu’elles peuvent avoir sur l’individu. « Longtemps, j’ai traîné derrière moi la trace de cette honte », affirme Pennac. L’écrivain va jusqu’à comparer l’institution scolaire entière telle qu’il l’a vécue à une piqûre effectuée par des adultes « armés de seringues gigantesques et chargés [d’]inoculer cette brûlure épaisse, la pénicilline des années cinquante […] une sorte de plomb fondu qu’ils injectaient dans un corps d’enfant ». Toute sa scolarité a été marquée par cette espèce de douloureux venin intoxiquant la perception qu’il avait de lui-même et de son avenir, lequel apparaissait comme « un mur où seraient projetées les images démesurément agrandies d’un présent sans espoir ». On lui avait fait comprendre que ses échecs présents déterminaient et contenaient tous ceux qui allaient fatalement suivre. Il voyait donc sa vie entière dans le reflet de son mauvais bulletin scolaire.

« Imbécile », « raté », « coquille vide », « a touché le fond mais creuse encore »… Il y a une sorte de créativité cruelle dans certaines appréciations particulièrement humiliantes. Ces formules témoignent parfois d’un dérèglement dramatique du rapport au pouvoir. Celui qui s’en prend ainsi à autrui ne cherche plus à enseigner mais à écraser. « Il s’agissait d’amadouer l’ogre scolaire. Tout faire pour qu’il ne me dévore pas le cœur », se souvient Pennac. Dans son essai Masse et Puissance (1960), le philosophe Elias Canetti explique que tout pouvoir déréglé, voire totalitaire, cherche à asseoir sa puissance en tuant symboliquement tous les autres. Celui qui se laisse ainsi enivrer par l’illusion de sa propre puissance « recourt […] à ce moyen radical quand sa domination sur les hommes est attaquée. Dès qu’il se sent menacé, sa passion veut les voir tous morts ». L’appréciation scolaire ou plus largement celle qui vise à rabaisser autrui est parfois ce couperet, cette mise à mort symbolique. Elle est infligée par un pouvoir malade de lui-même, car terrifié à l’idée de perdre son autorité.

Tous “empêtrés”

Que faire face à ce genre de manifestations destructrices du pouvoir ? Faire page blanche ? Tracer sa route et laisser les cruelles remarques derrière soi ? Aussi bienveillants soient-ils, ces conseils-là sont très difficiles à appliquer. Pierre Niney lui-même, au sommet de sa carrière, n’a pu s’empêcher de revenir sur cet événement et le ressasser. L’appréciation négative, surtout si elle a été scandée pendant une scolarité entière, ressurgit parfois dans la mémoire de manière traumatique. « Oui, c’est le propre des cancres, ils se racontent en boucle l’histoire de leur cancrerie : je suis nul, je n’y arriverai jamais, même pas la peine d’essayer, c’est foutu d’avance, je vous l’avais bien dit, l’école n’est pas faite pour moi… », perçoit Pennac.

Les histoires que l’on raconte sur nous, même si elles se réduisent à une petite phrase, nous déterminent donc au plus haut point. Le phénoménologue allemand Wilhelm Schapp estime que nous sommes « empêtrés » (verstrickt) par les histoires (Empêtrés dans des histoires. L’être de l’homme et de la chose, 1992, initialement paru en allemand en 1953). Elles sont cette boue collante dans laquelle on continue inlassablement de patauger. Notre façon d’être au monde consiste précisément à être englués par les récits. La seule manière de se connaître soi-même et d’avoir accès à soi est donc de se référer à ces mêmes histoires. La petite remarque rédigée dans le bulletin scolaire est l’un de ces récits. Elle est ainsi difficilement oubliable, surtout si elle est formulée à l’écrit. Le comportement de l’élève est marqué. Son histoire scolaire est inscrite, datée pour toujours. Nous ne pouvons pas nous désempêtrer des récits. Impossible de faire table rase de notre passé. Ce qui a été dit a été.

L’idée selon laquelle chacun serait à même de « forger sa propre histoire » apparaît alors plutôt comme une utopie, un mythe méritocratique. Nous ne nous créons pas nous-même ex-nihilo. Nous ne sommes pas en mesure de fabriquer celui ou celle que nous devenons. Nous sommes immanquablement empêtrés dans une foule de récits, de paroles, qui échappent à notre contrôle, nous malmènent et nous collent à la peau : de « l’intello » au « cancre », en passant par « le bavard ».

Re-raconter

Il existe malgré tout une petite marge de liberté. On ne peut certes pas changer le passé, mais on peut essayer de le re-raconter à l’infini. C’est ce qu’a fait l’acteur à travers la mise en ligne de sa petite vidéo. C’est ce que d’autres font par la psychanalyse, et plus largement via tous les discours sur soi, du journal intime à la biographie publiée. La question n’est pas d’annuler, d’effacer l’appréciation, mais de la dire avec ses mots, de l’approfondir, d’en faire l’exégèse. Dans un article consacré à la question de la narration de soi, le sociologue Renaud Dulong estime que ce type de discours permet d’atteindre une connaissance de soi plus authentique, qui consiste à « revenir sur ses épisodes biographiques, déchiffrer leur enchevêtrement, découvrir un sens nouveau dans leur agencement, les comparer à des récits historiques, à des légendes, à des mythes ». Le but est selon lui de « prolonger ses histoires en de nouvelles histoires ».

Il ne s’agit pas de faire table rase du passé, mais de faire quelque chose à partir de ce que les autres ont fait de nous. Ce geste est créateur au sens fort du terme. Il consiste à se réapproprier une narration qui nous a touchés, à en faire une matière qui nous appartient. Dans un dialogue fictif entre l’adulte – enseignant – qu’il est devenu et le cancre qu’il a été, Pennac propose par exemple de redéfinir le mot même de « cancre ». « Le cancre, dit-il, se vit comme indigne, ou comme anormal, ou comme révolté, ou alors il s’en fout, il se vit comme sachant un tas d’autres choses que ce que vous prétendez lui apprendre, mais il ne se vit pas comme ignorant de ce que vous savez ! » Pour l’écrivain, ce retour sur soi est une manière de reconquérir son histoire. L’idée du cancre est toujours chevillée à son identité, elle est « un indécrottable souvenir » de lui-même. Mais en se racontant avec ses propres mots, il a pu remettre la main dessus : en montrer les rouages, en surligner l’épaisseur. Le cancre raconté par Pennac apparaît comme un personnage complexe, loin des clichés infamants. L’auteur est toujours empêtré dans son histoire… mais désormais, elle lui appartient.

avril 2025
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10.04.2025 à 08:00

“Après le virage, c’est chez moi”, de Marie Kock : qu’est-ce qu’un “chez-soi” ?

nfoiry
“Après le virage, c’est chez moi”, de Marie Kock : qu’est-ce qu’un “chez-soi” ? nfoiry jeu 10/04/2025 - 08:00

C’est l’une de nos aspirations les plus fortes : trouver un espace qui nous soit propre. Peu encline à défendre l’instinct de propriété, l’essayiste libertaire Marie Kock fait comprendre, dans son dernier ouvrage, l’importance de disposer d’un point d’ancrage. C'est l’« essai du mois » de Philosophie magazine, que vous présente Victorine de Oliveira dans notre nouveau numéro.

avril 2025
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