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La Lettre de Philosophie Magazine

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03.12.2025 à 06:00

D’où vient la jalousie ? Qu’est-ce qui la provoque vraiment ?

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D’où vient la jalousie ? Qu’est-ce qui la provoque vraiment ? hschlegel

L’envie est sans doute le moteur secret du capitalisme. C’est la conviction du philosophe Jean-Pierre Dupuy, connaisseur des penseurs libéraux et de René Girard. Mais il faut la distinguer de la jalousie qui, elle, est profondément destructrice, comme il l’explique dans notre nouveau hors-série, « Petit traité des vices à l’usage des honnêtes gens ».

Jean-Pierre Dupuy : “Il y a de la malfaisance dans l'admiration”
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02.12.2025 à 21:00

“La Voix de Hind Rajab”, réflexions sur un huis clos criminel à Gaza

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“La Voix de Hind Rajab”, réflexions sur un huis clos criminel à Gaza hschlegel

« Jusqu’au bout, on a l’impression que la petite fille peut encore s’en sortir. Et pourtant, le spectateur connaît l’issue tragique du film de Kaouther Ben Hania, en salles depuis mercredi dernier. Parmi les presque 20 000 enfants tués à Gaza – dont une proportion importante semble avoir été délibérément ciblée – par l’armée israélienne depuis le début de son offensive en octobre 2023, le sort de Hind Rajab en janvier 2024 a fait le tour des réseaux sociaux.

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Un drame criminel

“J’ai si peur, venez me chercher” : ces mots, Hind Rajab, 5 ans, les a répétés de très nombreuses fois au téléphone, alors qu’elle est en contact avec des opérateurs du Croissant rouge. Peu après un ordre d’évacuation de l’armée israélienne, la famille de la fillette tente de fuir la zone bouclée. Leur voiture est alors prise pour cible par un tank qui la crible de balles – une enquête ultérieure du site Forensic Achitecture en dénombrera pas moins de 335. Sa tante, son oncle ainsi que trois de ses cousins sont tués immédiatement. Une autre cousine survit et appelle les secours. Elle sera tuée alors qu’elle est en ligne avec les travailleurs humanitaires. Hind Rajab appelle à son tour. Elle reste plus de quatre heures au téléphone, dans l’attente d’une ambulance. Dans les enregistrements audio publiés sur les réseaux sociaux, on entend distinctement le bruit de rafales régulières, derrière sa voix terrifiée. L’ambulance qui finit par arriver est à son tour prise pour cible et ses deux occupants tués. Il faudra une dizaine de jours avant que Tsahal n’autorise l’accès au croisement de rues où se trouve la voiture. Tous ses occupants sont bel et bien morts, et l’ambulance calcinée.

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Une bureaucratie faite pour broyer ?

Dans le film de Kaouther Ben Hania, grand prix du jury de la Mostra de Venise, toute la séquence est reconstituée en un huis clos qui ne sort jamais des locaux du Croissant rouge. Les opérateurs sont des acteurs, mais les enregistrements de la fillette sont réels, et les dialogues sont fidèles aux échanges qui ont eu lieu ce jour-là entre les différents protagonistes. Comme dans La Zone d’intérêt (2024) de Jonathan Glazer, producteur délégué du film, la violence reste hors champ, on n’en entend que le son. En une heure et demie de film, une mécanique de tragédie grecque déroule son faux suspense. La mise en place de la “coordination”, euphémisme pour désigner l’effroyable montage bureaucratique imposé par les autorités israéliennes afin de secourir les civils gazaouis, a tout de l’étau d’autant plus cruel qu’il met un temps infini à broyer sa proie. C’est qu’avant de déployer les secours, il faut d’abord obtenir un itinéraire sécurisé, quand bien même l’ambulance la plus proche se trouve à huit petites minutes. Pour ce faire, les humanitaires palestiniens doivent passer par la Croix rouge, qui négocie avec l’armée israélienne, qui elle-même détermine une voie de passage. Une fois l’itinéraire tracé, l’obtention d’un feu vert est une autre paire de manches. Le tout a donc pris plusieurs heures, au terme desquelles, malgré toutes les autorisations délivrées, l’ensemble des civils sur place ont été tués.

Une fin connue, mais un processus effroyable

Le dispositif de La Voix de Hind Rajab repose sur les règles de la tragédie antique, qui obéissent à ce quAristote appelle la mimésis, soit la reproduction, l’imitation du réel. S’agissant pour l’essentiel de la reprise de mythes connus de tous, l’intérêt d’assister à une telle représentation mimétique n’a rien à voir avec le divertissement lié à la surprise ou au suspense de l’intrigue. Aristote évoque plutôt le plaisir lié à la catharsis et à un certain soulagement, une purification des passions, des humeurs – les termes dépendent des traductions et des interprétations. Certains commentateurs vont jusqu’à dire que mimésis et catharsis mènent à une forme de connaissance sensible, liée à l’émotion suscitée par la tragédie. Voilà pour la tarte à la crème philosophique.

Pour ma part, je ne pense pas que je puisse ne serait-ce qu’un tant soit peu imaginer ce que cela fait de se retrouver, pendant plusieurs heures, coincée dans une voiture avec les cadavres de six de mes proches, dans l’attente du probable même sort. Il y a un mois, un dossier d’enquête a été transmis à la Cour pénale internationale de La Haye avec les noms des 24 soldats israéliens qui ont pris part, directement ou indirectement, à l’attaque. Un dossier qui s’ajoute aux déjà nombreuses plaintes pour crimes de guerre. En attendant, reste l’écho de la voix de Hind Rajab. Pour Derrida, la voix était le gage de la présence, mais une présence ambiguë, à la fois vivante et spectrale. Puisse celle de Hind nous hanter aussi implacablement que les tirs qui ont mené à sa mort. »

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02.12.2025 à 17:00

Valentin Husson : “Pourquoi je défends l’interdiction du portable au lycée”

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Valentin Husson : “Pourquoi je défends l’interdiction du portable au lycée” hschlegel

Alors qu’Emmanuel Macron a annoncé son intention d’élargir l’interdiction du téléphone portable au lycée à partir de la rentrée prochaine, nous avons demandé au professeur de lycée Valentin Husson, auteur de Foules ressentimentales (Philosophie magazine Éditeur) et qui participait à cette rencontre, de nous livrer les arguments en faveur de cette mesure. Car pour lui, « retirer le portable aux lycéens, ce n’est pas les punir, c’est leur rendre l’attention dont ils ont besoin pour apprendre ».

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Une mesure salutaire pour l’attention des élèves

J’ai été invité à titre de témoin, vendredi 28 novembre dans les Vosges, lors du débat public avec le président de la République sur les risques pour la démocratie des réseaux sociaux et des algorithmes. Mon essai Foules ressentimentales (Philosophie magazine Éditeur, 2025) a retenu l’attention des organisateurs : je suis intervenu sur les ingérences extérieures des usines à trolls, notamment ceux russes qui ont déjà attaqué la souveraineté de notre pays lors du mouvement des Gilets jaunes. Beaucoup d’annonces ont été faites par Emmanuel Macron. Les deux majeures ont concerné, premièrement, l’interdiction du téléphone portable au lycée dès la rentrée prochaine (« À la rentrée prochaine, on veut faire : plus de portable au lycée »), et un référé pour interdire la diffusion des fausses informations concernant un collectif ou une personne. Le référé aura pour visée de mettre en place une procédure judiciaire d’urgence afin de bloquer la diffusion de ces fake news pouvant nuire à la cohésion nationale ou à la dignité d’une personne.

“Je le constate en tant que professeur : l’incapacité à se concentrer longuement sur la parole de l’enseignant pousse les élèves à se distraire sur leur téléphone”

 

Je voudrais m’attarder sur cette première annonce. Après huit ans de manœuvres politiciennes qui ont laissé la grande majorité des Français dubitative, Emmanuel Macron annonce soudain des mesures qui font tout aussi largement consensus. Ces mesures de « salubrité publique », ainsi que le président les a nommées, satisfont et les parents et les professeurs désemparés devant la captation de l’attention opérée par le numérique. En tant que professeur de philosophie, mon expérience fait état de la difficulté grandissante des élèves à se concentrer lors d’un cours, de surcroît lorsqu’il est, comme c’est le cas dans notre discipline, magistral. L’incapacité à se concentrer longuement sur la parole de l’enseignant pousse les élèves à se distraire sur leur téléphone. Leçon pascalienne classique : l’être humain se divertit pour fuir l’ennui. Ainsi, de nombreux collègues se procurent des boîtes – par leurs propres moyens – afin d’y déposer en début d’heure les téléphones. C’est toutefois l’État, et les administrations qui en dépendent, qui devraient mettre en place des solutions concrètes pour que les professeurs puissent assurer leur métier dans les meilleures conditions.

Légiférer : un mal nécessaire ?

Cela pose toutefois un problème philosophique que l’on ne peut ignorer. Priver les élèves de leur téléphone, n’est-ce pas attenter à leur liberté ? On peut arguer que l’éducation devrait être suffisante, dans l’idéal, à modifier le comportement des plus jeunes et leur expliquer, pédagogiquement, les dangers du numérique, afin de les amener à une prise de conscience salvatrice qui les en éloignerait dans les salles de classe. Mais l’humain est ainsi fait qu’il est davantage poussé à travailler contre lui-même, ses propres intérêts et son propre bonheur, qu’à travailler à sa propre construction individuelle. L’interdiction a pour mérite de contraindre, par l’élément objectif de la loi, une subjectivité qui n’en fait qu’à sa tête. C’est en définitive Freud qui a raison – dans son Malaise dans la culture (1930) – contre le Platon de La République : l’éducation ne peut massivement convertir les désirs vers le savoir, comme le pense ce dernier ; en revanche, la loi permet de contraindre nos pulsions de mort et de destruction vers un but plus élevé, qui est celui de la vie et de la construction de l’individu et du collectif. Sans la loi, nul conducteur, encore aujourd’hui, ne mettrait sa ceinture. La culture est à ce titre un moyen d’infléchissement des pulsions destructrices vers des pulsions constructives. La religion, la morale et le droit ont assuré une telle autorité coercitive et de sublimation de nos pulsions archaïques et dévastatrices.

“La loi permet de contraindre nos pulsions de mort et de destruction vers un but plus élevé, qui est celui de la vie et de la construction de l’individu et du collectif”

 

Le téléphone portable n’est pas, comme on le croit, l’extension de notre corps – c’est notre corps qui est devenu une extension de celui-ci. De sorte qu’amputer de notre corporéité cet appareil permettrait à l’élève d’être davantage présent en classe. Car désormais, même présents en classe, bon nombre d’élèves sont absents ; absents au sens de perdus dans leurs écrans, ailleurs, divertis de la parole du maître qui se déploie devant eux. Cette inattention rend impossible tout apprentissage. Certes, il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau bain, car le téléphone portable est aussi la réalisation matérielle du projet encyclopédique des Lumières (le savoir universel est aujourd’hui à portée de main), mais on ne peut être aveugle à ses conséquences néfastes. Tout remède est un poison, selon l’usage qu’on en fait. Contraindre l’adolescent à se détacher de cet objet, c’est le contraindre à être attentif à autre chose, à savoir la connaissance que le maître dispense. Lui retirer le portable, ce n’est pas le punir mais prendre soin de ses capacités cognitives. L’adolescent perd ses esprits ; il s’agit de lui rendre son esprit. La question est donc mal posée, elle ne consiste pas à formuler : « peut-on interdire ? », si interdire c’est nuire à la liberté individuelle, mais « peut-on apprendre sans interdire ? »

“Retirer le portable à l’élève, ce n’est pas le punir mais prendre soin de ses capacités cognitives. L’adolescent perd ses esprits ; il s’agit de lui rendre son esprit”

 

Naguère, l’élève devait faire ses devoirs : son devoir était de travailler pour se libérer du joug, comme le disait Kant dans Qu’est-ce que les Lumières ? (1784), des tutelles qui pensaient à sa place ; son devoir, désormais, est de se libérer de l’aliénation de la machine pour accomplir son devoir d’élève qui est de s’élever à l’esprit critique. Marx en soutenait déjà la nécessité à propos du monde ouvrier. Remplacer le téléphone portable par une chose que l’on peut aussi emporter avec soi : le bagage intellectuel. La main doit se vider des écrans pour se remplir de livres.

L’école, le lieu où l’on se forme l’esprit

Ainsi se font face deux savoirs portatifs : celui du téléphone, qui externalise notre mémoire et notre connaissance, et celui du bagage intellectuel, comme on dit, intériorisé et mémorisé, et qui n’est pas nécessairement des connaissances emmagasinées, mais une capacité à apprendre et à penser. L’un ne va plus sans l’autre : mais le premier ne peut être utilisé à bon escient que si l’attention n’a pas été totalement captée par les écrans et que la conscience peut encore avoir la lucidité d’en faire un usage intelligent. Michel Serres disait que si l’adulte enseigne la science à l’enfant, l’enfant enseigne la technologie à l’adulte, car il y naît de plain-pied. Ainsi, l’adulte a pour fonction (n’est-ce pas le projet des Lumières ?) d’enseigner que la science technologique sans conscience de sa bonne utilisation n’est que ruine de l’âme. L’école n’est donc plus tant – certes, cela peut choquer – une affaire de savoir qu’une affaire de formation de l’esprit. Le professeur de philosophie en sait quelque chose, lui qui ne cherche pas tant à apprendre à l’élève des pensées d’auteur qu’à lui apprendre à penser tout court. Pour reprendre la distinction de Montaigne, la tête peut être bien pleine avec le téléphone, mais elle peut ne pas être bien faite. Et c’est à l’école de former cet esprit adéquat aux tâches de la pensée et de la critique.

“Même présents en classe, bon nombre d’élèves sont désormais ‘absents’. Il faut remplacer le portable par une chose que l’on peut aussi emporter avec soi : le bagage intellectuel. Et vider les mains des écrans pour les remplir de livres”

 

Ce qui n’est pas sans aller avec la seconde annonce du président de la République qui consiste à trouver des solutions immédiates et juridiques pour contrer et anticiper la diffusion des fausses informations. Le professeur n’est pas un juge, mais il est un garde-fou contre les infaux ou le harcèlement en ligne. L’interdiction du téléphone portable au lycée rend à l’enseignant son entière mission de faire naître un esprit capable de discerner le vrai du faux. Ce qui est l’essence de la critique, si l’on se réfère à son étymologie (kritikos : qui est capable de juger, de discerner). 

Cela est-il toutefois réaliste ? Et quel sens l’interdiction a-t-elle si dans nos établissements, des ordinateurs sont distribués dès la classe de seconde et si les manuels imprimés sont remplacés quasi définitivement par ceux dématérialisés ? Cette loi n’aura pas nécessairement d’effets immédiats, mais le temps long lui donnera peut-être raison. L’espoir est permis. Cette mesure conservatrice est sans doute la meilleure façon d’affranchir l’enfant des mésusages du téléphone, et d’en garder la portée novatrice et prometteuse. Arendt y voyait le modèle même de l’éducation (La Crise de la culture, 1954) : « C’est justement pour préserver ce qui est neuf et révolutionnaire dans chaque enfant que l’éducation doit être conservatrice, c’est-à-dire assurer “la continuité du monde” : elle doit protéger cette nouveauté et l’introduire comme un ferment nouveau dans un monde déjà vieux. »

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