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Le laboratoire d’idées de la reconstruction écologique et républicaine

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04.12.2024 à 21:37

Une planification sociale pour répondre à la crise de l’exclusion sociale

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La pauvreté progresse, à nouveau, en France. En 2021, 500 000 personnes sont tombées sous le seuil de pauvreté monétaire, fixé à 60 % du niveau de vie médian, soit 1 158 euros par mois pour une personne seule. Rupture de la continuité de l’accès aux droits pendant la crise du Covid-19, forte hausse du coût de la vie du fait de la crise énergétique, les plus fragiles ont vécu au premier chef la succession de bouleversements économiques et sociaux du dernier quinquennat. Pour n’évoquer que l’exemple inflationniste, on rappellera que la hausse des prix est ressentie avec une intensité deux fois plus importante pour 18 % des ménages[1], parmi les plus précaires, en raison de leur impossibilité à adapter leur régime de consommation, déjà restreint par leur salaire, à la hausse des prix. Ce ressac doit nous interpeller à l’heure même où la richesse nationale n’a jamais été aussi élevée et où sa concentration est toujours plus intense – plus d’un tiers de la richesse nationale étant détenu par 10 % de la population[2]. Le parti pris de cette note réside dans l’idée que la croissance de la pauvreté, en France, répond moins à des enjeux de conjoncture qu’à une structure de société. En effet, en dépit d’une générosité – somme toute assez relative –, le système social français ne parvient pas à endiguer les tendances économiques d’exclusion de l’emploi stable, de mise à la rue et de maintien des personnes dans des situations de dépendances douloureuses à des filets de sécurité sociale dont les mailles s’élargissent. Lutter contre la pauvreté ne devrait pas se limiter à une simple politique de transferts sociaux, évidemment nécessaire, mais bien s’inscrire dans une révision profonde de notre modèle économique, de notre rapport à la richesse – indicateur de la position sociale – et à son absence qui condamnerait les individus pauvres à une situation « d’individualité par défaut »[3]. Perte d’habileté physique, sociale, isolement, multiplication des troubles psychiques, la pauvreté est, en effet, toujours plus qu’une simple absence de richesse pour l’individu. Elle emporte un changement de son rapport au temps en le poussant vers la satisfaction exclusive de ses besoins présents[4]. Elle humilie l’individu « désaffilié »[5] en le soumettant à une tutelle spécifique – sociale voire clinique – tantôt paternaliste, tantôt excluante, toujours imposée. Enfin, elle le touche jusque dans l’accomplissement de ses tâches les plus intimes et se faisant, porte atteinte à sa dignité, donc à son humanité[6]. Lutter efficacement contre la pauvreté suppose donc de prendre conscience du clivage contemporain entre des « vécus dignes » et des « vies indignes »[7], que ne pourra dépasser la politique actuelle de transferts monétaires grimée d’injonctions à l’insertion. C’est bien par une mobilisation générale, partagée par les associations et le secteur privé, coordonnée et impulsée par les institutions, que la lutte contre la pauvreté pourra se mettre au niveau d’exigence imposé par les temps. L’exercice de planification solidaire que nous proposons vise à traduire, en termes organisationnels et politiques, ce sursaut. À cet effet, il propose de renforcer les instruments existants de la lutte contre la pauvreté, d’en clarifier la gouvernance et d’en multiplier les partenaires citoyens, associatifs et du secteur privé. À l’urgence écologique, le président de la République a répondu : planification écologique. Nous sommes, pour ce qui nous concerne, convaincus qu’à l’urgence sociale doit répondre une planification sociale concrète, immédiate, engagée sur une trajectoire minimale de cinq ans avec comme horizon l’éradication de la grande pauvreté d’ici à 2030. I. Constats : si la lutte contre la pauvreté constitue le fondement de la promesse républicaine des « secours publics », son caractère prioritaire n’est, pour autant, pas reconnu comme tel par les pouvoirs publics À l’occasion d’une intervention à la radiotélévision publique, le président de la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS), Pascal Brice, s’inquiétait, en réaction au discours de politique générale du Premier ministre de l’époque, Gabriel Attal, d’une tendance à l’opposition de la classe moyenne de l’entre-deux, vivant péniblement de son travail, et des classes populaires, coûteuses en prestations de solidarité et présumées oisives[8]. S’il est évident que cette polarisation n’est pas récente – l’opposition entre le « bon pauvre » jugé méritant et l’oisif profiteur du système étant aussi ancienne que la création des premiers revenus d’assistance[9] – le risque actuel réside dans un diagnostic erroné des causes de l’exclusion et, de ce fait, dans la formulation de solutions qui contribueraient à aggraver l’intensité du problème. A. La lutte contre la pauvreté souffre d’une perception faussée, limitée à l’analyse de l’évolution des seuils monétaires par les pouvoirs publics Phénomène social protéiforme dont les ressorts et les processus renvoient à des facteurs historiques, économiques, familiaux, de genre et d’origine multiples, l’exclusion sociale[10] se caractérise donc par une myriade de définitions. Le sociologue Julien Damon, dans un article pour la revue Constructif, rassemble les différentes définitions de la pauvreté dans trois catégories : la pauvreté administrative, la pauvreté monétaire, la pauvreté comme représentation[11]. On pourrait ajouter à ces catégories le caractère socialement héréditaire d’un tel phénomène[12], tant il est difficile pour un exclu d’inverser la trajectoire sociale. La pauvreté marque la vie intérieure d’une insécurité mentale, émotionnelle, dont l’intensité varie évidemment selon les dispositions des personnes et leur trajectoire. La pauvreté existe donc au pluriel, ce dont les appareils statistiques peinent, parfois, à rendre compte. 1. La pauvreté monétaire, une mesure indispensable mais insuffisante pour rendre compte de l’ampleur du phénomène En termes quantitatifs, la pauvreté hexagonale est définie comme l’ensemble des personnes dont le niveau de revenu mensuel est inférieur au seuil de 60 % du revenu médian, soit 1158 euros par mois[13]. Ainsi, la pauvreté monétaire conçue suivant cette définition toucherait 9,1 millions de personnes, soit 14,6 % de la population active. Toutefois, son intensité varie selon les territoires ; en Outre-mer, la grande pauvreté – déterminée par une situation de privations associée à un niveau de vie inférieur à 50 % du revenu médian – atteint des seuils cinq à dix fois supérieurs[14] à ceux de la population en métropole[15]. Si le seuil métropolitain du niveau de vie était retenu, celui-ci serait incontestablement encore plus élevé. En outre, certaines configurations

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28.11.2024 à 08:30

Une poignée d’investisseurs contrôle les plus grandes entreprises pétrolières : que faire ?

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🇫🇷 🇬🇧 Par Robert I. Bell, Professeur de management au Brooklyn College, City University of New York Résumé Dans un contexte où les grandes entreprises pétrolières mondiales sont dominées par une petite poignée d’investisseurs institutionnels, une réforme fiscale ambitieuse, mêlant crédit d’impôt et taxation différentielle des rachats d’action, pourrait jouer un rôle essentiel dans la redirection de leurs investissements vers les énergies renouvelables. Les cinq plus grandes entreprises pétrolières mondiales — Exxon, Chevron, TotalEnergies, BP et Shell — sont aujourd’hui contrôlées par un nombre restreint d’investisseurs institutionnels : 25 au total, détenant entre 38 % et 50 % de leurs actions [1]. Bien que ces investisseurs varient, on observe une forte homogénéité parmi eux, avec la présence systématique de grands noms tels que BlackRock, JP Morgan Chase et Vanguard. De ce fait, un petit groupe d’investisseurs domine de manière effective l’industrie pétrolière mondiale, et les dirigeants de ces entreprises œuvrent en priorité pour satisfaire leurs intérêts. Pourquoi cette concentration pose-t-elle problème ? Influence politique excessive Tout d’abord, ces géants pétroliers exercent une influence politique considérable à l’échelle mondiale. Un exemple récent l’illustre bien : en avril 2024, Donald Trump a organisé un dîner avec une vingtaine de dirigeants de l’industrie pétrolière dans son domaine en Floride, leur demandant un milliard de dollars pour financer sa campagne présidentielle [2]. En retour, il a promis de supprimer l’Inflation Reduction Act (IRA) de Joe Biden ainsi que d’autres mesures visant à limiter le réchauffement climatique et à réduire la pollution. Trump, quel que soit son niveau d’intelligence, sait où se trouve l’argent et l’influence qu’il peut acheter. Obstacle à la transition vers les énergies renouvelables Cette structure de propriété empêche ensuite les grandes compagnies pétrolières de se reconvertir vers les énergies renouvelables. Bien que certains des 25 investisseurs puissent être des idéologues néolibéraux, la plupart d’entre eux ne poursuivent qu’un seul objectif : maximiser les profits de leurs actionnaires. Les compagnies pétrolières leur offrent une source de profits régulière et importante. Les véhicules, avions, navires et produits pétrochimiques — notamment le plastique — assurent à l’industrie pétrolière des bénéfices presque garantis. Et lorsque ces bénéfices ne suffisent pas, les compagnies rachètent leurs propres actions et versent des dividendes généreux, souvent à titre exceptionnel. Par conséquent, seule une très faible part des bénéfices générés par ces entreprises est réinvestie dans les énergies renouvelables. Personne n’a besoin d’être un idéologue pour que ce système perdure : les cadres supérieurs de ces entreprises préservent leur emploi en travaillant pour les actionnaires (c’est-à-dire les 25) et les actionnaires (c’est-à-dire les 25) travaillent simplement pour leurs investisseurs. En d’autres termes, chacun est responsable devant quelqu’un d’autre et a une bonne raison de ne pas se préoccuper du tableau d’ensemble. Absence de volonté de lutte contre le réchauffement climatique Ces investisseurs ne semblent pas non plus préoccupés par la crise climatique immédiate. Heather Zichal, responsable mondial du développement durable chez JPMorgan Chase & Co, l’un des principaux actionnaires de ces géants, l’a confirmé dans une interview accordée à Bloomberg lors de la semaine du climat en septembre 2024 : « Nous nous concentrons sur ce que nous pouvons contrôler, à savoir maximiser le rendement du capital » [3]. Plutôt que de réorienter leurs investissements vers les énergies renouvelables, ces institutions préfèrent continuer à canaliser les flux de trésorerie des entreprises pétrolières vers leurs portefeuilles d’actions, contribuant ainsi à l’immobilisme de ces structures. Potentiel des Supermajors pour la transition énergétique Cela est d’autant plus regrettable que les supermajors disposent des ressources et des compétences nécessaires pour contribuer à la lutte contre le réchauffement climatique, notamment grâce à leur expertise dans les technologies offshores, qui pourraient être utilisées pour développer des parcs éoliens flottants. Cependant, des entreprises comme Equinor ont malheureusement utilisé cette expertise pour continuer à exploiter le pétrole en mer, masquant ainsi un greenwashing déguisé [4]. D’autres entreprises, comme Orsted [5], ont choisi une voie plus radicale en se reconvertissant vers les énergies renouvelables, mais ces efforts restent isolés. Il convient d’ailleurs de souligner que si Orsted est détenue majoritairement par le gouvernement danois, Equinor est détenue à 67 % par le gouvernement norvégien. Les recettes du gouvernement norvégien provenant d’Equinor sont ainsi reversées au fonds de pension gouvernemental (Government Pension Fund Global), géré par la Norge Bank. Son site web indique que « ces dépôts représentent moins de la moitié de la valeur du fonds. La majeure partie a été gagnée en investissant dans des actions, des titres à revenu fixe, des biens immobiliers et des infrastructures d’énergie renouvelable » [6] [7]. Cela dit, le fonds, outre les revenus qu’il tire du pétrole et du gaz naturel norvégiens, détient des parts importantes dans Shell, TotalEnergies, Chevron et Exxon [8]. Ainsi, si le pays a su éviter la « malédiction du pétrole » en réinvestissant une partie de ses profits dans des infrastructures durables, une part importante de ses revenus conduit à propager les effets néfastes du réchauffement climatique à l’échelle mondiale. Le gouvernement norvégien ne semble pas pressé de faire évoluer cet état de fait. Que faire ? Le système financier mondial est si inertiel que toute tentative de s’attaquer à la concentration de la propriété des entreprises pétrolières, ou à la question des « 25 » actionnaires, semble presque irréalisable à première vue. Les mouvements de désinvestissement ont tenté d’aborder cette question sous un angle moral, mais sans grand succès. Une approche plus pragmatique, qui considérerait la question sous l’angle financier et fiscal, pourrait-elle être plus efficace ? L’objectif ne devrait en effet peut-être pas être de faire sortir les investisseurs du pétrole, mais de faire sortir les compagnies pétrolières elles-mêmes du pétrole. La taxe sur le rachat d’actions : effet Robin des Bois ou piège fiscal ? La réaction des gilets jaunes à une taxe sur le diesel nous a appris qu’une taxe ciblée sur le carbone, qui peut être facilement présentée comme frappant de manière disproportionnée ceux qui se considèrent comme des pauvres, est une très mauvaise idée sur le plan politique. En revanche, une taxe sur les

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27.11.2024 à 19:48

A handful of investors own big oil: what to do about it

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🇫🇷 🇬🇧 By Robert I. Bell Professor of Management at Brooklyn College, City University of New York Each of five oil Supermajors- EXXON, Chevron, TotalEnergies, BP, and Shell — is controlled by only 25 institutional investors, holding between 38% and 50% of the stock. They aren’t always the same 25, but there is tremendous overlap, with US firms Blackrock, JP Morgan Chase, and Vanguard always in each ownership cabal.[1] Thus a handful of essentially the same owners effectively control the world’s oil industry. Since the 25, or even a material percentage of them, could easily break top management simply by agreeing among themselves to dump the shares, it is hard to imagine that top management is not focused on them and what they want. What would be a good response to effective control of the oil supermajors by 25 institutional shareholders each? Why is the handful of owners a problem? First, these oil companies exercise enormous political influence, globally. Although this is well documented, a recent event perfectly illustrates it. Donald Trump gathered some two dozen top oil executives for dinner at his Florida estate in April of this year and asked for $1 Billion in Presidential campaign contributions; if elected, he would throw out Biden’s Inflation Reduction Act and other efforts to stop global warming and environmental pollution. Whatever else Trump may or may not know, he does know where the money is, and the political influence it can buy.[2] Second, this ownership structure is, in my opinion, literally preventing the oil majors from transforming into renewable energy companies. Although some of the 25 Fund managers may be right-wing ideologues, most of them probably have more or less only one interest—raking in for “the shareholders,” i.e., their funds, all the money generated by the oil companies not needed to pay their bills or drill more holes to maintain their oil reserves. The oil companies represent a more or less sure source of money; all those cars, trucks, airplanes and ships burning some product extracted from oil, and all those items in the petro-chemical industry, especially plastic, make oil as close to a sure-thing as there is. The oil supermajors guarantee this sure-thing by constant share buybacks to keep up the stock price as best as they can in the face of unstable oil prices, and pay out fat dividends, sometimes special dividends. So very little of the free cash generated by the oil sure-thing goes into renewable energy. Please note, nobody needs to be a crazy ideologue or greedy monster for this to be true; top management simply preserves their jobs by delivering for the shareholders (i.e., the 25) and the shareholders (i.e., the 25) are simply delivering for their investors. In other words, everybody is simply being responsible to somebody else. Third, these financial owners apparently are not focused on saving the world from the immediate crisis of global warming, if we look at the implications of the words of Heather Zichal, Global Head of Sustainability at JPMorgan Chase & Co, one of the 25 controlling shareholders in each of the five Supermajors: “There are a lot of things that we, as a bank, can control, but there are things that we can’t…We’re focused on what we can control—facilitating capital,” she said in a Bloomberg interview during Climate Week in September, 2024 in New York City.[3]  As we have seen, her bank, along with another 24 institutional investors, are facilitating their capital into the controlling stake in oil stocks, and the oil companies are then handing essentially all their free cash flow to these owners, instead of using a material part of it to convert out of oil and into renewable energy. Fourth, the oil Supermajors are in a spectacular position to help save the world from global warming by converting to or materially contributing to renewable energy—they have much of the offshore knowledge and even equipment to create huge fleets of floating wind turbines. One, not a Supermajor, but a big company nonetheless, Equinor, has actually started to do that—regrettably in order to produce more offshore oil![4] So this is either a significant green move for an oil company or very high-end greenwash. Another, also not a Supermajor, Danish Oil and Natural Gas, changed its name to Orsted, and is now the world’s biggest developer of offshore wind farms. Perhaps not incidentally, on October 7, 2024, Equinor announced it was buying nearly 10% of Orsted, but would not seek any management changes or board seats and it supported Orsted’s current strategy.[5] Orsted is majority owned by the Danish government. Equinor is 67% owned by the Norwegian government. The Norwegian government’s revenue from Equinor goes into the Government Pension Fund Global, run by Norge Bank. Their website states, “these deposits account for less than half the value of the fund. Most of it has been earned by investing in equities, fixed income, real estate and renewable energy infrastructure.”[6] The fund helps to finance a very successful, egalitarian social welfare state.[7] That said, the Fund, in addition to its revenue from Norwegian oil and natural gas, owns material percentages of Shell, TotalEnergies, Chevron, and Exxon.[8]  So, although the fund helps to make Norway perhaps the only country in the world to escape “the curse of oil,” it also helps to inflict the curse of global warming on the rest of us, and themselves. What should be done about this? There is so much inertia in the global financial system that any idea of addressing the concentration of ownership, the issue of the 25 itself, however bad it may be, is likely a fantasy. The divestiture movement has addressed this issue of ownership, but as a moral issue, and regrettably without great success. Can it be more successful if it is made a financial one? Maybe the goal should not be to get the investors out of oil, but to get the oil companies themselves out of oil. The stock buyback tax has a Robin Hood effect, but with problems We know from the gilet jaune response to a tax on diesel, that

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26.11.2024 à 22:17

Interview de Charles Fournier et l’Institut Rousseau sur la sécurité sociale de l’alimentation

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Charles Fournier est député de la première circonscription d’Indre-et-Loire et siège au groupe Écologiste et Social. Le 15 octobre 2024, il a déposé à l’Assemblee nationale une proposition de loi d’expérimentation vers l’instauration d’une sécurité sociale de l’alimentation. Interview croisée sur ce sujet avec l’Institut Rousseau qui vient de publier une note intitulée « Vers une Sécurité Sociale de l’Alimentation ». 1. Qu’est-ce qui a poussé chacun d’entre vous – Charles Fournier en tant que parlementaire et l’Institut Rousseau en tant que think tank à vous emparer du sujet de la sécurité sociale de l’alimentation (SSA) ?    Charles Fournier : La SSA est au croisement de plusieurs combats politiques que j’ai à cœur de mener tout au long de mon mandat : la transformation de nos modèles économiques, l’accès à des services publics de qualité, le renouvellement de nos pratiques démocratiques, la création de nouveaux droits. En France, 16 % de la population est en situation de précarité alimentaire et le chiffre grimpe à 37 % pour les personnes en milieu rural. Une partie de la population a donc un vrai problème d’accès et de choix à l’alimentation. Et du côté des producteurs, malgré un travail conséquent, un agriculteur sur cinq vit sous le seuil de pauvreté. Comment expliquer cette situation, alors qu’on n’a jamais autant produit de denrées alimentaires ? Il y a en plus un problème de dialogue entre des agriculteurs excédés de se voir pointés du doigt et des consommateurs qui disent avoir perdu confiance en la production alimentaire, entre augmentation des prix et mainmise de la grande distribution. En permettant à des citoyens participants d’obtenir, sur la base d’une cotisation volontaire, un budget mensuel pour acheter des produits alimentaires locaux et durables dans des commerces qu’ils ont eux-mêmes choisis démocratiquement, la sécurité sociale de l’alimentation est une formidable idée pour répondre à ces enjeux. Elle permet de recréer de la proximité entre les producteurs et les consommateurs, de sortir les questions alimentaires des logiques de marché qui ne sont pas tournées vers les besoins essentiels, de rendre accessible à toutes les personnes sans condition de revenus une alimentation saine et de qualité, de permettre aux citoyens de se réapproprier leur alimentation, et de créer des espaces d’échange autour de l’alimentation comme bien commun. Le cheminement vers la sécurité sociale de l’alimentation a été rendu possible grâce au travail du collectif national pour la sécurité sociale de l’alimentation, qui fédère plusieurs associations. De nombreuses expérimentations, à des échelles différentes, se sont inspirées de ses travaux pour créer dans les territoires des caisses locales d’alimentation. C’est en discutant avec le collectif et certaines caisses que j’ai décidé d’agir en tant que législateur. La proposition de loi d’expérimentation vers une SSA est une première marche pour remettre le sujet dans le débat public et expérimenter une méthode et un financement afin de généraliser, à l’avenir, la sécurité sociale de l’alimentation sur l’ensemble du territoire.   Institut Rousseau / Paul Montjotin : Nous défendons au sein de l’Institut Rousseau l’idée selon laquelle nos institutions, et en particulier notre État-providence, doivent être refondées pour pouvoir faire face à l’impératif écologique. C’est ce que nous désignons par les termes de « reconstruction écologique », soulignant – par analogie avec la période de l’après-guerre – l’ampleur de l’effort matériel et financier à conduire, mais aussi et surtout la nécessité de réinventer notre organisation collective et nos institutions comme cela a été le cas en 1945 avec la création de la sécurité sociale par exemple. Or à bien des égards, la sécurité sociale de l’alimentation me semble emblématique de cette « reconstruction écologique » que nous appelons de nos vœux. Je partage ici pleinement le constat que dresse Charles Fournier. Alors que la France est la première puissance agricole en Europe (la production agricole française représente 18 % de la production agricole totale de l’Union européenne), plus de deux millions de personnes en France sont obligées aujourd’hui d’avoir recours à l’aide alimentaire et environ un agriculteur se suicide chaque jour faute de pouvoir vivre de son travail. À cela, on peut ajouter que l’obésité en France a doublé au cours des 25 dernières années et quatre millions de personnes sont atteintes de diabète en grande partie du fait de la malnutrition, dont les conséquences en termes de santé publique ont un coût exorbitant pour notre société. Pour terminer ce panorama, rappelons que le marché du bio a reculé d’environ 7 % entre 2021 et 2023 et que plusieurs pesticides controversés restent autorisés malgré leurs conséquences environnementales et sanitaires. C’est le cas en particulier du glyphosate, que les pouvoirs publics n’ont pas interdit malgré ses risques cancérigènes. Tous ces éléments dépeignent un système à bout de souffle qu’il nous faut refonder. C’est ce qui conduit l’Institut Rousseau à s’intéresser ces sujets. Alors que la santé constitue aujourd’hui le premier sujet de préoccupation des Français[1], garantir le droit à « bien manger » apparaît comme un horizon désirable. C’est le sens de la proposition de sécurité sociale de l’alimentation que nous défendons et qui fait aujourd’hui l’objet de multiples expérimentations en France. Dans ce contexte, nous nous réjouissons que la SSA fasse l’objet d’une proposition de loi d’expérimentation que porte Charles Fournier avec d’autres députés écologistes.   2. Monsieur Fournier, votre proposition de loi vise à soutenir les expérimentations locales. Quel regard portez-vous sur ces initiatives locales de caisses alimentaires ?  Charles Fournier : Le travail pour garantir à tous une alimentation choisie, saine et de qualité et répondre en même temps aux enjeux agricoles et environnementaux a gagné du terrain dans les territoires. En tout, ce sont près de trente expérimentations locales qui essaiment aujourd’hui partout en France, et qui rencontrent un intérêt croissant de la part de citoyens désireux de participer à un autre modèle économique, social et agricole. Je pense par exemple à la caisse alimentaire commune de Montpellier, qui permet déjà à plus de 600 Montpelliérains volontaires d’accéder à une alimentation bio et locale dans des lieux conventionnés collectivement, sur la base d’une allocation de 100 euros via une monnaie solidaire « MonA ».

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18.11.2024 à 16:16

Négocier la transition écologique : du dialogue social au dialogue écologique

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En mai 2022, le discours de huit étudiants d’AgroParisTech lors de leur cérémonie de remise de diplôme invitant leurs camarades de promotion à « déserter » les emplois « destructeurs » a mis une nouvelle fois en lumière la défiance croissante des jeunes diplômés à l’égard des entreprises. Une défiance nouvelle incarnée également par le Manifeste étudiant pour un réveil écologique signé par plus de 30 000 étudiants. Ces interpellations, signaux faibles d’une crise du travail qui traverse notre société, soulèvent une question majeure : comment réellement transformer les entreprises pour préserver les conditions de vie sur terre ? Si le discours des étudiants d’AgroParisTech a rencontré un écho important, c’est parce que la question écologique est indissociable de celle du travail. L’impératif écologique met aujourd’hui en lumière l’impasse d’un modèle de régulation du travail, hérité de la révolution industrielle, qui a évacué du champ de la négociation collective l’objet et la finalité du travail. C’est sur cet effacement de la finalité du travail, du seul ressort de l’employeur, que s’est construite la société salariale à la fin du XIXe siècle, réduisant le progrès social à des termes quantitatifs liés à la rémunération, au temps et aux conditions de travail. Ce modèle de régulation, aveugle à l’empreinte du travail sur notre environnement, nécessite désormais d’être repensé à l’aune de l’impératif écologique. Alors que l’urgence climatique s’est installée au cœur du débat public depuis quelques années, la transition écologique n’est appréhendée qu’à travers le prisme de l’État et de la « planification écologique » incarné par la création en 2022 du Secrétariat général pour la planification écologique (SGPE). La question de la transformation écologique des entreprises apparaît encore délaissée alors qu’elle constitue un levier d’action décisif. Or la transformation de l’appareil productif ne peut se décréter simplement par des lois mais implique de nouer, par la négociation collective, de nouveaux équilibres économiques et sociaux adaptés aux spécificités de chaque secteur d’activité. Face à l’impératif écologique, les relations collectives de travail qui se sont construites autour de l’objectif de sécurité économique et matérielle, doivent désormais intégrer l’enjeu de responsabilité environnementale. Conçu pour prendre en charge la révolution industrielle, le droit du travail peut constituer demain un formidable levier d’action pour réussir la transition écologique. Si une initiative telle que la Convention des entreprises pour le climat[1] témoigne d’un engagement réel des directions d’entreprises, faire de la question écologique un sujet de dialogue social est la seule garantie que ces transformations ne s’effectuent pas au détriment des salariés. À cet égard, une dynamique nouvelle semble à l’œuvre. À l’échelle nationale d’abord, la loi « Climat et résilience » du 22 août 2021 a, pour la première fois, conféré des prérogatives écologiques aux représentants des salariés en entreprises. Par ailleurs, les organisations professionnelles tentent de s’emparer des questions écologiques. Un premier accord de branche sur la transition écologique a ainsi été conclu le 17 octobre 2023[2] dans le secteur pharmaceutique. Signé par les syndicats représentatifs (CFDT, FO, CFTC, UNSA) et le syndicat de l’industrie pharmaceutique (LEEM), cet accord impose des obligations nouvelles en matière écologique aux entreprises du secteur. L’intégration des questions écologiques dans le dialogue social à tous les niveaux apparaît comme une nécessité pour réussir la transformation écologique des entreprises. Pour ce faire, cette note formule des propositions fortes, dans le prolongement de la loi « Climat et résilience », pour faire de l’impératif écologique un sujet de dialogue social à part entière.  Père fondateur du dialogue social en entreprise, l’ancien ministre du Travail de François Mitterrand, Jean Auroux, affirmait que « l’entreprise ne peut plus être le lieu du bruit et du silence des hommes ». Face à l’urgence écologique, l’entreprise ne peut désormais plus être le lieu de la destruction du vivant et du silence des hommes. C’est le sens de l’ensemble des propositions qui sont ici formulées pour faire de l’urgence écologique un véritable sujet de dialogue social. 1. L’impératif écologique, grand absent du dialogue social Si la loi « Climat et résilience » a pour la première fois étendu le champ de compétence des comités sociaux et économiques (CSE) aux questions écologiques, force est de constater que ce cadre reste insuffisant pour faire émerger un véritable dialogue social en matière écologique. C’est d’ailleurs ce que souligne une enquête réalisée par Syndex auprès de représentants du personnel en 2023[3] : si 79 % des représentants du personnel ont connaissance des prérogatives environnementales des CSE, 83 % d’entre eux estiment qu’il n’existe peu ou pas de dialogue social sur les questions écologiques dans leur entreprise. Seuls 15 % estiment aujourd’hui qu’il y en a suffisamment. Cette absence de dialogue social sur les questions écologiques tient à la limite des prérogatives des CSE en la matière, et plus largement à l’absence d’espace de discussion comme de moyens spécifiques dédiés aux questions écologiques. Si les représentants du personnel disposent désormais de compétences réelles en matière écologique, ces derniers souffrent d’un manque de temps comme de moyens dédiés pour s’emparer véritablement de ces sujets. a. Le dialogue social, une conquête politique récente Alors que plus de 88 000 accords collectifs en entreprise ont été conclus en 2022, le dialogue social en entreprise est un acquis récent. Jusqu’en 1982 et l’adoption des « lois Auroux », le dialogue social n’avait lieu que lorsque les entreprises étaient confrontées à des conflits sociaux. Aspirant à faire des salariés des « citoyens à part entière dans l’entreprise », le ministre du Travail Jean Auroux engage alors une réforme profonde du droit du travail qui oblige, pour la première fois, les entreprises à négocier chaque année avec les représentants du personnel sur l’évolution des salaires, du temps de travail et des conditions de travail ; sans obligation toutefois de devoir conclure un accord.  La loi du 13 novembre 1982 marque ainsi un changement de paradigme : alors que les négociations en entreprise avaient auparavant principalement vocation à mettre fin à des conflits sociaux pouvant prendre la forme de grèves, l’instauration des négociations obligatoires à partir de 1982 contraint soudain les employeurs et les représentants des salariés à dialoguer « à froid » et négocier des accords collectifs. L’absence de dialogue social en matière

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