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22.06.2021 à 00:30

Parviendra-t-on à créer un vaccin contre le cancer ?

Camille Hamet

par Camille Hamet | 7 min | 13/03/2018 Un vaccin contre le cancer « Un vaccin contre le cancer. » L’expression a été reprise en chœur par plusieurs médias à la publication, en janvier dernier, d’une étude menée par des chercheurs de l’université Stanford, en Californie. Elle laisse rêver au développement d’un vaccin préventif, capable d’empêcher le…

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Texte intégral (2337 mots)

L’espoir est à nouveau permis. Après avoir mis au point un vaccin contre le Covid-19 avec Pfizer, la société allemande de biotechnologie BioNTech développe à présent un vaccin contre le cancer. Et selon la scientifique et cofondatrice de l’entreprise Özlem Türeci, il pourrait être au point d’ici quelques années seulement. L’invention d’un tel vaccin est précisément la raison pour laquelle BioNTech a été fondé, révélait la chercheuse le 19 mars 2021. Et à l’instar du vaccin contre le Covid-19, les vaccins contre le cancer de BioNTech utiliseront les ARN messagers. Après des décennies de recherches et d’échecs, sera-t-on bientôt débarrassés du fléau du cancer ? On aimerait que ce soit aussi simple.

Un vaccin contre le cancer

« Un vaccin contre le cancer. » L’expression a été reprise en chœur par plusieurs médias à la publication, en janvier 2018, d’une étude menée par des chercheurs de l’université Stanford, en Californie. Elle laisse rêver au développement d’un vaccin préventif, capable d’empêcher le développement de la maladie. Mais comme le rappelle l’Institut Curie, une telle approche n’est possible que si la survenue du cancer a pour origine une infection virale. Ainsi, « la systématisation de la vaccination contre l’hépatite B a largement contribué à prévenir les cancers du foie dans des régions du globe où le taux d’infection par le virus de l’hépatite B est important », et la vaccination contre le papillomavirus humain (HPV) « des jeunes filles entre 11 et 14 ans permettrait d’éviter 70 % des infections à l’origine de cancers » du col de l’utérus.

Crédits : AAAS

En France, seules 19 % des femmes sont vaccinées contre le HPV. Mais à l’autre bout du monde, en Australie, on vise les 100 % de vaccination grâce à un système de distribution gratuite aux adolescents âgés de 12 à 13 ans. Aux filles depuis 2007, et aux garçons depuis 2013. Celles et ceux qui se trouvent en dehors de cette tranche d’âge, mais qui ont moins de 19 ans, ont également droit à deux doses gratuites du vaccin. Résultat, le taux d’infection au HPV, qui se transmet notamment par voie sexuelle, a chuté de 22,7 % à 1,1 % entre 2005 et 2015 parmi les femmes âgées de 18 à 24 ans, selon un rapport publié dans le Journal of Infectious Diseases. À ce rythme-là, l’Australie pourrait bientôt devenir le premier pays du monde à éradiquer le cancer du col de l’utérus, d’après l’International Papillomavirus Society.

Contre les autres cancers, il n’est pas question de vaccination préventive, mais de vaccination thérapeutique. « Une situation très différente de celle de la vaccination préventive car l’intrus est déjà présent dans l’organisme et les défenses sont souvent débordées par la prolifération tumorale », précise l’immunologiste Vassili Soumelis. D’autant que, contrairement aux virus, les cellules cancéreuses sont produites par le corps lui-même. Le système immunitaire ne les perçoit pas comme une menace. Il s’agit donc en premier lieu de lui apprendre à reconnaître cette menace afin d’éradiquer les cellules cancéreuses, qui sont néanmoins capables d’envoyer des signaux pour contrer la réponse immunitaire. Le vaccin doit alors être associé à une méthode d’immunothérapie basée sur des checkpoint inhibitors, ou « inhibiteurs de points de contrôle », qui sont quant à eux capables de faire taire ces signaux.

Aux États-Unis, pas moins de 800 essais cliniques incluant des « inhibiteurs de points de contrôle » sont actuellement en cours, contre seulement 200 en 2015. « L’immunothérapie constitue indiscutablement une nouvelle arme de choix contre le cancer », souligne l’immunologiste Sebastian Amigorena. « Cette stratégie thérapeutique soulève beaucoup d’espoirs », poursuit-il« Il est aujourd’hui possible de traiter des malades atteints de cancers très avancés. Donc chez des patients présentant des cancers moins avancés, les traitements devraient être encore plus efficaces. » Et si le chemin qu’il reste encore à parcourir peut sembler long, celui qui l’a déjà été l’est peut-être davantage.

Crédits : Princeton University

Les soldats de l’organisme

En 1891, l’orthopédiste new-yorkais William Coley applique, pour la première fois, le principe de l’immunothérapie à la cancérologie. Il injecte alors un mélange de bouillon de bœuf et des streptocoques dans la tumeur d’un homme de 40 ans. Celui-ci est aussitôt pris de fièvre, de frissons et de vomissements. Mais un mois plus tard, la tumeur a considérablement diminué. William Coley reproduit donc l’expérience, sur un millier de patients et avec des degrés de succès extrêmement variables, avant que l’Agence américaine des produits alimentaires et médicamenteux (FDA) n’y mette un terme définitif. Et que l’oncologie ne s’engage résolument sur la voie de la radiothérapie, puis de la chimiothérapie, et enfin de l’hormonothérapie.

Car tout au long du XXe siècle, l’immunothérapie suscite autant d’enthousiasme que de désillusions. Mais en 2001, l’immunologiste Robert Schreiber démontre que les souris immuno-incompétentes développent spontanément des cancers, établissant ainsi le fait que l’absence de système immunitaire favorise l’apparition de tumeurs. Comme l’écrit le cancérologue Wolf Hervé Fridman, « les avancées de la connaissance du système immunitaire avec la découverte des checkpoint inhibitors et des techniques de clonage moléculaire et cellulaire identifiant des antigènes spécifiques des tumeurs et la production de cellules T et d’anticorps spécifiques de ces antigènes ont fait le reste, permettant à l’immunothérapie de devenir le quatrième, et le plus prometteur, pilier du traitement des cancers ».

« Une fois réactivées, les cellules T parviennent à supprimer la tumeur. »

Si l’on considère les cellules T – ou lymphocytes T – comme les soldats de l’organisme, on peut dire qu’ils sont aujourd’hui sur-entraînés, et ce dans l’objectif d’éradiquer le cancer. En effet, dans le cadre des thérapies par cellules CAR-T (« cellules T porteuses d’un récepteur chimérique »), qui ont pour la première fois été approuvées par la FDA en août 2017 pour le traitement d’un cancer du sang particulièrement agressif, la leucémie aiguë lymphoblastique, ces cellules immunologiques sont prélevées sur le patient, puis modifiées génétiquement de manière à leur faire exprimer un récepteur artificiel, dit chimérique, qui cible les cellules cancéreuses, avant d’être réinjectées au patient. Le fait d’utiliser ses propres cellules permet notamment d’éviter les rejets de greffe.

Mais à en croire l’immunologiste Karin Tarte, « un nombre limité de patients répondent aux traitements utilisant des cellules CAR-T »Et « si des taux exceptionnels de guérison sont atteints dans les leucémies aiguës lymphoblastiques, les guérisons sont moins nombreuses pour ce qui est des autres leucémies et des lymphomes ». Par ailleurs, ce type de traitements peut avoir de dangereux effets secondaires, tels qu’une forte fièvre, des troubles respiratoires, une baisse de tension ou encore des convulsions. Ils impliquent un long processus et ils sont extrêmement coûteux. Si une seule injection de cellules CAR-T suffit, cette injection est actuellement facturée entre 373 000 et 475 000 dollars aux États-Unis. D’où le caractère potentiellement révolutionnaire de l’étude publiée en janvier dernier par les chercheurs de l’université Stanford.

L’optimisme du pionnier

Ces chercheurs ont injecté des quantités infimes de deux agents immuno-stimulants dans les tumeurs solides de souris afin de réactiver les cellules T présentes dans ces tumeurs, c’est-à-dire les cellules T ayant déjà reconnu les cellules cancéreuses comme une menace. Le premier est un court morceau d’ADN, l’oligonucléotide CpG, qui amplifie l’expression d’un récepteur activateur sur les cellules T, OX40. Le second est un anticorps qui se lie à OX40. « Lorsque nous utilisons ces deux agents ensemble, nous constatons l’élimination des tumeurs dans tout le corps », affirme le principal auteur de l’étude, l’oncologue Ronald Levy. « Cette approche contourne le besoin d’identifier des cibles immunitaires spécifiques à une tumeur et ne nécessite pas une activation complète du système immunitaire, ou de personnalisation des cellules immunitaires d’un patient. »

Une fois réactivées, les cellules T parviennent à supprimer la tumeur dans laquelle elles se trouvent. Et elles ne s’arrêtent pas là. Elles partent ensuite à la recherche d’autres cellules cancéreuses de même nature dans le corps de la souris, qu’il s’agisse d’une autre tumeur ou de métastases. Sur les 90 souris atteintes d’un cancer du système lymphatique – le lymphome –, 87 ont complètement guéri et trois ont eu une récidive de la maladie, qui a pu être totalement éliminée par un second traitement. Les chercheurs de l’université Stanford ont en outre observé des résultats similaires chez les souris atteintes de cancers du sein, du côlon et de la peau. Plus étonnant encore, des souris génétiquement modifiées pour développer spontanément des cancers du sein ont bien répondu au traitement. Le traitement de la première tumeur a souvent empêché l’apparition de futures tumeurs et augmenté de manière significative la durée de vie des animaux.

Le scan d’une souris traitée par les chercheurs
Crédits : AAAS

« Je ne pense pas qu’il y ait une limite au type de tumeurs que nous pourrions potentiellement soigner, tant qu’il a été infiltré par le système immunitaire », précise Ronald Levy. Un optimisme d’autant plus réconfortant qu’il est exprimé par un véritable pionnier de l’immunothérapie des cancers. Ses recherches ont déjà mené à la mise au point du Rituximab, premier anticorps monoclonal homologué par la FDA pour le traitement de certaines leucémies et de certains lymphomes. Il se souvient parfaitement du jour où il a découvert qu’il était possible de générer des anticorps monoclonaux capables de reconnaître les cellules cancéreuses dans l’organisme et de les étiqueter en vue de leur destruction : « C’était le jour de Thanksgiving, 1976. J’ai développé un gel, j’ai vu le résultat et les deux décennies suivantes de ma vie étaient devant mes yeux. J’ai couru dans le couloir pour montrer quelqu’un, mais il n’y avait personne. »

En 1985, il crée un laboratoire, IDEC Pharmaceuticals, pour pouvoir commercialiser le traitement qui a découlé de cette découverte. Mais ce n’est qu’en 1997 que le Rituximab est finalement homologué. Aujourd’hui, environ 500 000 patients en bénéficient chaque année. « Il a été merveilleux d’assister à la transition d’un projet de laboratoire à un médicament sur ordonnance », témoigne Ronald Levy. Reste néanmoins à tester l’efficacité de son tout nouveau traitement sur les êtres humains. L’université Stanford est actuellement en train de recruter une quinzaine de patients atteints de lymphome pour débuter l’essai clinique. Elle ne précise pas la date de publication des premiers résultats, mais si l’histoire de la lutte contre le cancer nous apprend une chose, c’est bien qu’il faut être patient. Et confiant.


Couverture : Test en laboratoire. (Drew Hays/Unsplash)


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16.04.2021 à 03:00

La police américaine semble raciste. Pourquoi ?

Servan Le Janne

À Minneapolis, sur la 63e Avenue Nord, une Buick LaCrosse blanche est arrêtée sur le bas-côté. Trois policiers s’approchent de la voiture, l’un d’entre eux ouvre la portière et le conducteur sort les mains dans le dos. Alors qu’un des agents tente de le menotter, le jeune Afro-Américain se débat et parvient à regagner le […]

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Texte intégral (2988 mots)

À Minneapolis, sur la 63e Avenue Nord, une Buick LaCrosse blanche est arrêtée sur le bas-côté. Trois policiers s’approchent de la voiture, l’un d’entre eux ouvre la portière et le conducteur sort les mains dans le dos. Alors qu’un des agents tente de le menotter, le jeune Afro-Américain se débat et parvient à regagner le volant de sa voiture, aux côtés de sa petite amie. Il entend alors une voix féminine hurler « Taser ! Taser ! Taser ! ».

Ce 11 avril 2021, cela fait déjà plus de 15 ans que Kimberly Potter a intégré les forces de police de Minneapolis. Son expérience lui vaut d’ailleurs d’être accompagnée par un jeune agent qu’elle doit former. Alors quand Dante tente de s’échapper, elle ne doute pas une seconde. Elle tend la main vers son taser, le sort de sa gaine, vise le conducteur en fuite et tire. Mais la détonation est assourdissante. « Oh merde, je viens de lui tirer dessus ! » entend-on s’exclamer la policière de 48 ans. Dans la précipitation, elle a confondu son Taser et son arme à feu, blessant mortellement sa cible. Elle aura beau tenté de le ranimer, rien ne pourra ramener le jeune homme à la vie.

Le soir-même, des centaines de manifestants se sont rassemblés devant le poste de police de Brooklyn Center, et les forces de l’ordre ont fait usage de gaz lacrymogène et de grenades assourdissantes pour disperser la foule. Craignant de nouvelles émeutes, le maire de la ville, Jacob Frey, a déclaré l’état d’urgence et instauré un couvre-feu dès le lendemain, demandant le soutien de la Garde nationale. Il faut dire que les tensions sont toujours aussi fortes entre policiers et noirs américains, surtout à Minneapolis, alors que suit son cours le procès de Derek Chauvin, le policier blanc accusé du meurtre de George l’an dernier.

George Floyd

À l’arrière d’une voiture de police, un homme est plaqué au sol, le visage écrasé contre le bitume par le genoux d’un agent de Minneapolis. « Je vais mourir », articule l’Afro-Américain avec peine entre deux râles. « Relaxe », répond le fonctionnaire en maintenant son emprise. Mais George Floyd n’arrive pas à respirer. Après avoir longuement imploré le policier de retirer son genou, ce lundi 25 mai 2020 sur Chicago Avenue South, le quadragénaire accusé d’avoir utilisé de faux documents est conduit à l’hôpital. Il meurt dans les minutes qui suivent.

Le lendemain, les quatre policiers impliqués dans son interpellation sont renvoyés et une enquête est ouverte par le FBI. Horrifiés par les images de cette agonie, filmée par des passants et caméras de surveillance, des internautes du monde entier réclament justice. Tandis que les policiers prétendent que George Floyd a résisté à son arrestation, de nouvelles vidéos semblent contredire cette affirmation en montrant l’homme rester calme pendant que les agents usent de la force contre lui.

Pour l’avocat de la famille de George Floyd, Benjamin Crump, ces quatre agents blancs ont montré un usage « abusif, excessif et inhumain de la force » face à un délit « non violent ». Il est temps de mettre fin au « profilage racial et à la minimisation des vies noires par la police », demande Crump, qui défend également la famille d’Ahmaud Arbery.

Lui aussi afro-américain, Arbery a été tué le 23 février 2020 sur une petite route de Brunswick, en Géorgie. Dans le lotissement de Satilla Shores, il cherchait à échapper à un homme lorsqu’il a été atteint par trois coups de feu. Il avait 25 ans et n’avait commis aucun délit. En le voyant s’approcher d’une maison en construction, deux riverains, Gregory et Travis McMichael, expliquent l’avoir pris pour un cambrioleur. Et le second lui a ôté la vie.

Entendus par la police, Gregory et Travis ont été relâchés après avoir plaidé la légitime défense. Il a fallu plus de deux mois, et la publication d’une vidéo tournée sur les lieux, mardi 5 mai, pour que la justice de Géorgie convoque un grand jury afin de déterminer si des charges doivent être retenues contre cet ancien policier et son fils. Dimanche 10 mai, à la faveur du retentissement médiatique de la vidéo, ils ont finalement été interpellés. Mais la police ne semblait pas pressée d’élucider cette affaire. Et ce n’est pas la première fois qu’elle bafoue les droits de minorités aux États-Unis.

Des menottes au primaire

Une petite tête dépasse du bureau. Kaia Rolle, 6 ans, est assise sous un néon carré aux airs de puits de lumière, dans une pièce aux murs beiges de l’école Lucious & Emma Nixon d’Orlando, en Floride. Elle jette un regard oblique vers les menottes tendues dans son dos. « Elles sont pour quoi ? » demande la jeune fille d’une voix fluette. « Elles sont pour toi », répond froidement un policier, alors que son collègue ouvre les bracelets métalliques.

« Garde tes mains tendues, OK, ne bouge pas chérie, ça ne va pas faire mal », ordonne ce dernier. « Non je ne veux pas les menottes », sanglote Kaia Rolle. Impuissante, l’élève se laisse guider à l’extérieur du bâtiment, les mains jointes et les joues humides. « La plus grande aventure c’est toi-même », dit une pancarte fixée près de la sortie. Une fois dehors, malgré ses supplications, elle est emmenée vers la voiture de police dans un concert de pleurs. Au commissariat, les forces de l’ordre prennent ses empreintes et la photographient.

En ce jeudi 19 septembre 2019, la police a été appelée par l’établissement afin de prendre en charge une écolière qui avait donné des coups de pieds à trois membres du personnel. Mais quand Dennis Turner a passé les menottes à Kaia Rolle, certains employés lui ont dit que ce n’était pas nécessaire. « J’ai arrêté 6 000 personnes en 28 ans, beaucoup de gens », s’est contenté de plastronner l’agent. « La plus jeune avait 7 ans. Elle a 8 ans non ? » Deux ans de moins, lui a-t-on répondu. « Elle a 6 ans ? Alors elle a battu le record. »

Sa grand-mère, Meralyn Kirkland, a reçu un appel de l’école lui annonçant l’arrestation. « Aucune petite fille de 6 ans ne devrait avoir à raconter qu’on lui a mis les menottes, qu’on l’a placée à l’arrière d’une voiture de police et qu’elle a été amenée dans un centre pour jeunes délinquants pour prendre ses empreintes et des photos », juge-t-elle. Si aucun âge minimum n’existe pour les interpellations en Floride, la police d’Orlando recommande à ses agents de ne pas se servir de menottes pour des enfants de moins de 12 ans. Lundi 23 septembre, elle a d’ailleurs décidé de limoger Dennis Turner, qui avait emmené au poste un autre enfant de six ans le même jour.

« Ce qui est arrivé à ces enfants n’est pas juste de la faute d’un mauvais policier », juge Arwa Mahdawi, éditorialiste du Guardian basée à New York. « C’est la faute d’un système pourri. Ces dernières décennies, les écoles américaines, et notamment ses écoles privées, sont devenues des zones militarisées, où patrouillent de plus en plus d’agents en armes. » En novembre dernier, une école de Pennsylvanie a appelé le 911 parce qu’une fille de six ans, atteinte du syndrome de Down, avait pointé un enseignant en mimant un pistolet avec ses doigts. La direction a même indiqué vouloir réunir une équipe d’évaluation des menaces – une réaction passablement disproportionnée, selon la mère de l’élève, Maggie Gaines.

Pire, des policiers de Fresno, en Californie, n’ont pas hésité à mettre les menottes à un adolescent autiste en pleine crise d’épilepsie vendredi 31 janvier 2020. Lourdes Ponce avait appelé les secours en entendant son fils de 16 ans pris de convulsions dans les toilettes d’un fast-food. Au lieu de l’aider, deux agents ont procédé à son arrestation, toute honte bue. « Mon fils ne faisait de mal à personne, il faisait simplement une crise », s’est indignée Lourdes Ponce. Dans les minutes qui ont suivi, une ambulance a heureusement pu s’occuper de lui.

En avril 2019, une vidéo obtenue par BuzzFeed montrait des membres des forces de l’ordre traîner une adolescente de 16 ans dans les escaliers d’un lycée de Chicago, dans l’Illinois, avant de la frapper et de l’immobiliser avec un Taser. Malgré les critiques qui pleuvent sur eux depuis des années, les gardiens de la paix américains continuent de commettre bavure sur bavure, quand ils ne tuent pas carrément des innocents. Ce phénomène dramatique n’est ni restreint aux écoles, ni à certaines régions du pays. C’est toute une institution qui, à force d’abus, transforme la violence légitime dont elle est censée être dépositaire en violence illégitime. Comme le dit Arwa Mahdawi, il y a quelque chose de pourri au cœur de la police américaine.

Haine infiltrée

Quand le nom de Dennis Turner est sorti dans la presse, les équipe du Orlando Sentinel, un quotidien de la ville de Floride, ont fouillé leurs archives pour retrouver sa trace. Et ils n’ont pas eu à chercher trop loin. Engagé en 1995, ce policier avait été arrêté pour avoir frappé son fils de 7 ans lorsqu’il était revenu de l’école avec de mauvaises notes en 1998. Il avait alors écopé d’une suspension. « Ça ne doit pas vous arrêter d’imposer une discipline à vos enfants », avait-il déclaré à cette occasion, alors que le garçon avait des bleus sur le torse et les bras. Turner avait aussi été sermonné par ses supérieurs en 2015 pour avoir donné cinq coups de Taser à un suspect, dont deux au moment où il était au sol. À l’époque, la Ville d’Orlando avait dû engager 940 000 dollars de frais de justice pour des abus policiers.

Afro-américain comme Kaia Rolle, Dennis Turner est peut-être avant tout le produit d’une société violente. En 2018, des citoyens américains ont commis 16 214 meurtres, soit 2 000 de plus qu’en 2014. Ils ont aussi perpétré 41 tueries de masse en 2019, le nombre le plus élevé jamais dénombré. Sachant qu’un Américain sur quatre est sujet à des troubles psychologiques une fois dans sa vie, à en croire la National Alliance on Mental Illness, l’existence de 270 à 357 millions d’armes à feu sur le territoire n’est pas pour apaiser ceux qui s’occupent de la sécurité. Mais ces chiffres n’expliquent pas l’agressivité de trop nombreux agents à l’égard d’individus aussi inoffensifs que des enfants de six ans. La police est aussi gangrenée par le racisme et trop sûre de ses méthodes brutales.

*

En Alabama, le mouvement des droits civiques est traumatisé par l’impunité réservée par la police au Ku Klux Klan (KKK). Le 14 mai 1961, des membres de ce groupuscule suprémaciste blanc ont attaqué le bus des Freedom Riders qui étaient venus défendre les droits des minorités dans le village d’Anniston. Les pneus du véhicule ont été crevés, les fenêtres brisées et l’intérieur incendié sans que les forces de l’ordre, postées à quelques mètres, ne daignent bouger d’une semelle.

Trente ans plus tard, alors que le Civil Rights Act a interdit les discriminations et que le Ku Klux Klan a reculé, un groupe d’officiers de la police de Los Angeles est accusé d’avoir terrorisé les minorités en vandalisent leurs maisons, en les torturant voire en les tuant. Membres d’un groupe néo-nazi baptisé Lyndwood Vikings, certains écopent de lourde peines et le Los Angeles Sheriff’s Department est condamné à une amende de 9 millions de dollars.

Dans un rapport de FBI rédigé en 2006, des agents du contre-terrorisme préviennent que des suprémacistes blancs ont passé des décennies à tenter « d’infiltrer la police ». Le document sera révélé en 2017 par The Intercept. Entre-temps, en 2012, un policier de Little Rock, dans l’Arkansas, tue un adolescent afro-américain. Il avait participé à une réunion du KKK, tout comme un agent de Holton, dans le Michigan, renvoyé cette année-là. Il faut dire qu’à en croire une étude universitaire de 2014, les enfants noirs sont généralement vus comme « moins innocents » que les blancs aux États-Unis. Ils sont d’ailleurs punis plus souvent dès l’école, d’après un document du ministère de l’Éducation. Sans surprise, les adultes afro-américains ont trois fois plus de chances de finir en prison, selon les chiffres du Violence Policy Center.

Une enquête du Guardian détermine en 2015 que les Noirs-Américains ont neuf fois plus de chances d’être tués par un détenteur de l’autorité que les autres. En attestent les morts de Michael Brown à Ferguson, dans le Missouri, de Freddie Gray à Baltimore, dans le Maryland, de Tamir Rica à Cleveland, dans l’Ohio, et d’Eric Garner à New York, tous abattus pas un policier en dépit de l’absence de danger qu’ils représentaient. Si les forces de police sont particulièrement décentralisées aux États-Unis, avec quelque 750 000 agents locaux et 120 000 agents fédéraux, ces drames ne se déroulent pas forcément à l’endroit où l’on pourrait s’y attendre, à savoir dans le sud du pays, où le racisme est plus ancré et les armes plus disponibles.

Le problème est donc à la fois local et national : une culture de la violence infuse dans les différentes strates de la police américaine et trouve à s’exprimer dans des contextes particuliers, avec d’autant plus d’aise que certains dirigeants semblent s’en accommoder. En 2018, l’ancien procureur général Jeff Sessions a signé un mémorandum pour réduire la capacité du ministère de la Justice à enquêter sur les divisions locales de police, y compris les 14 qui avaient accepté une supervision sous le mandat de Barack Obama. « Les méfaits de quelques individus ne doivent pas remettre en cause le travail légitime et honorable de policiers et d’agences qui préservent la sécurité des Américains », avait-il justifié. Quand il était sénateur de l’Alabama, ce proche de Donald Trump avait déclaré, sur le ton de la blague, que les membres du KKK étaient pour lui des gens « OK », jusqu’à ce qu’il « apprenne qu’ils fument du cannabis ».


Couverture : Justin Snyder


 

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29.03.2021 à 00:25

À quoi ressemblera l’Inde du futur ?

Nicolas Prouillac

Au rythme des tablas, des dizaines de milliers de paysans s’avance aux abords de Delhi. Les barrières installées par les forces de l’ordre pour empêcher la population de se joindre à eux sont balayées comme des fétus de paille, et la foule enfle à mesure que la journée avance. Ce 17 mars 2021, les leaders […]

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Texte intégral (2983 mots)

Au rythme des tablas, des dizaines de milliers de paysans s’avance aux abords de Delhi. Les barrières installées par les forces de l’ordre pour empêcher la population de se joindre à eux sont balayées comme des fétus de paille, et la foule enfle à mesure que la journée avance. Ce 17 mars 2021, les leaders du Samyukta Kisan Morcha, le front paysan uni, ont lancé un nouvel appel à la grève générale dans le pays. Mais plus que ça, c’est un message aux citoyens du monde entier que le Dr Swaiman Singh, une des figures du mouvement, a délivré. « Où que vous soyez dans le monde, il faut défendre vos agriculteurs, il faut défendre votre nation », a déclaré le médecin.

Bien décidé à s’opposer à la réforme agricole menée par le gouvernement, cela fait maintenant près de quatre mois que les paysans de tout le pays se sont regroupés autour de la capitale pour faire entendre leurs voix. « Quand je suis arrivé, j’ai vu que les gens dormaient sur les routes », raconte Taranpreet Singh, qui a participé aux manifestations de décembre. Ce jeune diplômé en finance a décidé de rejoindre le mouvement pour voir l’histoire s’écrire de ses propres yeux.

https://twitter.com/indianproud12/status/1375501807682785283

Depuis le début des contestations, les agriculteurs ont eu le temps de s’organiser et de construire de véritables campements de plusieurs milliers de personnes, aux abords des points de passage vers Delhi. Des centaines de cuisines communautaires ont vu le jour, qui distribuent régulièrement des repas gratuits aux manifestants, même s’il n’y en a pas assez pour tous. Des hôpitaux de fortune ont été installés, où des médecins volontaires s’occupent de soigner ceux dans le besoin. Certains agriculteurs considèrent même ces villes improvisées comme de véritables « Républiques Autonomes ».

Il faut dire que le mouvement repose sur un système de démocratie directe, les Panchayats, issus du mouvement pour l’indépendance d’après la Seconde Guerre mondiale. Ces structures municipales sont élues, et des assemblées générales populaires (Gram Sabha) dictent leur orientation. Les Mahapanchayats sont quant à eux d’énormes assemblées populaires de plusieurs dizaines de milliers de participants. Elles regroupent des centaines de villages, et tous les élus des Panchayats s’y mêlent à la population. C’est dans ces meetings de masse que les têtes de proue du soulèvement paysan annoncent les grandes décisions. Les agriculteurs sont ainsi bien établis et ne comptent donc pas rentrer chez eux, même à l’approche de la saison des récoltes.

Un certain nombre d’entre eux ont même donné leur vie pour la cause. Selon le front paysan uni, il y a eu 300 décès au cours des derniers mois. Alors que certains sont morts dans des accidents ou se sont suicidés, d’autres ont succombé aux intempéries ou de causes naturelles telles que des crises cardiaques. Ils leur ont d’ailleurs rendu hommage à travers le hashtag #300DeathAtProtest (300 morts aux manifestations) lors de la journée du 18 mars. Mais ces pertes ne sont rien en comparaison des 10 281 suicides de paysans indiens en 2019…

Elles ont au contraire raffermi la détermination des protestataires, dont les rangs ne cessent de grossir. Outre les paysans, qui représentent la moitié de la population active du pays, de nombreuses classes de la société se sont aussi jointes aux marches et blocages. Au total, ce sont plus de 250 millions d’Indiens qui ont déjà participé aux contestations à travers le pays, faisant du mouvement la plus grande manifestation de l’histoire de l’humanité.

https://twitter.com/saahilmenghani/status/1375090643517628416

Un désaccord profond

Tout l’enjeu de ce mouvement de contestation a été exposé lors de la 46e session du Conseil des droits de l’homme des Nations unies, le 26 février. À cette occasion, Darshan Pal, le chef de file du front paysan uni, et le représentant indien permanent aux Nation unies Indra Mani Pandey, ont tous deux pu donner leur vision pour l’avenir du pays. « Le gouvernement indien s’est fixé comme objectif de doubler le revenu des agriculteurs d’ici 2024. Cela profitera particulièrement aux petits agriculteurs et offrira plus de choix à ceux qui optent pour eux », a affirmé le représentant du pouvoir indien.

De son côté, le leader de la révolte paysanne a rappelé que l’Inde avait signé la Déclaration des Nations unies sur les droits des paysans en décembre 2018. « Les quelques États où des politiques similaires ont été introduites ont vu les agriculteurs sombrer dans la pauvreté et perdre leurs terres », a témoigné Darshan Pal. Et le pouvoir indien semble encore imperméable aux revendications populaires.

Du côté des paysans, la rage ne faiblit pas. « Nous appellerons tous les travailleurs du pays à faire [les récoltes] avec nous afin de pouvoir continuer à nous battre, ou alors nous les brûlerons », a déclaré un des leaders du mouvement paysan. Il faut dire que beaucoup d’entre eux considèrent qu’ils n’ont plus rien à perdre depuis la mise en place de la réforme agraire. En septembre 2020, le parlement a adopté une loi autorisant les agriculteurs à vendre leur production aux acheteurs de leur choix, plutôt que de se tourner exclusivement vers les « mandis », les marchés contrôlés par l’État.

Ces marchés, qui assuraient un prix de soutien minimal (PSM) pour certaines denrées, avaient été créés dans les années 1950 pour protéger les agriculteurs contre les situations d’abus. Ces prix, fixés au niveau national, permettaient aux paysans indiens de revendre leur production tout en ayant l’assurance d’en tirer une valeur minimale. C’est grâce à ce soutien que de nombreux petits agriculteurs parvenaient encore à nourrir leur famille. « Il faut comprendre que la majorité des fermiers ont une surface plus petite que celle d’un terrain de football », précise Jasleen Kaur, étudiante en sciences politiques à Mumbai. Cependant, ce système existait sans aucune loi pour le garantir, et c’était justement cette décision qu’espéraient voir arriver les producteurs.

L’autre point de discorde majeur vient d’une seconde loi prévue dans la réforme gouvernementale. « S’il y a un différend entre un agriculteur et une entreprise, l’agriculteur ne peut plus saisir un tribunal civil », explique la jeune femme. Une part conséquente de la population se retrouve donc privée d’une partie de ses droits. En effet, l’agriculture est l’emploi exercée par 55 % de la population active, soit près de 265 millions de travailleurs indiens. D’après les derniers chiffres du ministère français de l’Agriculture, plus de 600 millions d’Indiens dépendent directement ou indirectement de ce secteur. « Je ne comprends pas ce qu’il se passe », soupire Taranpreet. « Vous ne pouvez pas nier la justice dans un pays démocratique », déplore le jeune militant.

Il semble ainsi que les lois votées en septembre favorisent nettement les grandes entreprises aux dépens des travailleurs locaux. « L’implication de multinationales indiennes, capables de fournir d’importants investissements ciblés pour le stockage ou la réfrigération, conduirait très probablement aussi à ce qu’elles acquièrent localement des positions monopolistiques, autrement dit le pouvoir de contrôler les prix », confirme Bruno Dorin, économiste au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad). C’est pourquoi les agriculteurs préfèrent rester défendre leurs droits, et leur unique source de revenus.

Dérive autocratique

Malgré la non-violence prônée par les fermiers, le Jour de la République, une des trois fêtes nationales, avait vu des violences se produire entre les manifestants et les forces de l’ordre. L’occasion rêvée pour le gouvernement de dépeindre les agriculteurs en émeutiers complotistes. En ce jour censé représenter « la suprématie du peuple », des dizaines de milliers d’agriculteurs s’étaient retrouvés pour marcher dans la capitale indienne.

Certains manifestants ont atteint le centre de Delhi et vandalisé des biens publics. D’autres ont atteint le Fort Rouge, symbole de l’indépendance de l’Inde, et ont hissé le Nishan Sahib (un drapeau religieux sikh) ainsi que les drapeaux des syndicats d’agriculteurs au-dessus des remparts. La réponse de la police a provoqué la mort d’un homme, suite à une chute de son tracteur, et de nombreux blessés. Plus de 300 policiers ont également été blessés dans les violences, certains manifestants utilisant des matraques et des armes tranchantes. On a alors cru à la fin du mouvement de révolte avec le départ de plusieurs syndicats et la perte de nombreux soutiens condamnant la violence.

https://twitter.com/saahilmenghani/status/1374751349557006342

Il n’en est rien mais depuis ce jour, l’attitude du gouvernement s’est considérablement durcie. De nombreuses arrestations ont suivi les heurts et Internet a été coupé aux frontières de la capitale. Devant le Parlement, Narendra Modi n’a même plus hésité à parler de « parasites », multipliant les mesures contre ses opposants. « Si quelqu’un se positionne du côté des fermiers, (le gouvernement] tente alors de lui faire peur », confie Taranpreet. C’est d’ailleurs pour éviter des poursuites judiciaires pour conspiration qu’il ne souhaite pas révéler son poste actuel. Ces pressions de la part du gouvernement ont aussi été constatées par Michelle Bachelet, Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l’homme.

« Les accusations de sédition contre des journalistes et des militants pour avoir rapporté ou commenté les manifestations et les tentatives de restreindre la liberté d’expression sur les réseaux sociaux sont des dérogations troublantes aux principes essentiels des droits de l’homme », s’est-elle inquiétée. Une prise de parti qui n’a pas plu au représentant du pouvoir indien. « L’objectivité et l’impartialité doivent être les caractéristiques de toute évaluation des droits de l’homme. Nous sommes désolés de voir que la mise à jour orale du Haut Commissaire fait défaut dans les deux », s’est offensé Indra Mani Pande.

La fin d’un monde

Les réformes entamées par le Premier ministre Narendra Modi et le BJP, le parti nationaliste hindou, s’étendent bien au-delà du milieu agricole. Sa volonté de libéraliser l’économie impacte une grande partie de la société indienne. Le 15 mars dernier, les dix plus importantes confédérations syndicales du pays, en commun avec le soulèvement paysan, ont mené une journée de lutte contre les privatisations en bloquant les gares, en soutien aux cheminots.

Le lendemain, c’était au tour du personnel des banques publiques de lancer une grève nationale, suivis par les assurances publiques et enfin les travailleurs de l’énergie. En quelques jours, ce sont donc des dizaines de milliers de nouveaux manifestants qui ont rejoint la révolte paysanne. Et depuis le 23 mars, de nouvelles mobilisations générales voient le jour dans tout le pays. En réaction, le gouvernement a coupé Internet et l’arrivée en eau potable aux abords des différents campements de manifestants, dans le but de les faire plier. La police a également érigé des barricades supplémentaires, surmontées de barbelés en accordéon, et des centaines d’agent supplémentaires ont été déployés.

https://twitter.com/NavJammu/status/1374172823598424068

La bataille fait aussi rage en ligne. Dans une lettre envoyée à Facebook, WhatsApp et Twitter, le gouvernement indien menace les réseaux sociaux de s’en prendre à leurs employés. Ces derniers risquent la prison si leurs employeurs ne se conforment pas aux lois du pays. Pourtant, les plateformes sont toujours réticentes à l’idée de fournir des informations au gouvernement indien.

Les opposant plient mais ne rompent pas les rang, et leur détermination parvient à toucher de plus en plus de monde. Le succès des plateformes mises en place par les agriculteurs pour diffuser leurs actions au grand public témoigne ainsi de cet engouement collectif : la chaîne YouTube dédiée, Kisan Ekta Morcha, a par exemple dépassé le million d’abonnés en un mois.

La fracture entre la ligne directrice du gouvernement indien et la volonté populaire ne cesse ainsi de s’accentuer à mesure que les semaines passent. Cette situation fait écho au dernier rapport sur la démocratie de l’institut suédois Varieties of Democracy, publié le jeudi 11 mars. L’Inde y est désormais classée dans la catégorie des « autocraties électorales », un système qui a l’apparence des régimes démocratiques, mais sape la neutralité des contre-pouvoirs et transforme les opposants en ennemis de la nation.

Depuis l’accession au poste de Premier ministre du nationaliste hindou Modi, l’institut indépendant note une détérioration des libertés et estime qu’il s’agit d’ « un des changements les plus spectaculaires parmi tous les pays du monde au cours des dix dernières années ». La plus grande démocratie du monde pourrait n’être ainsi plus que l’ombre d’elle-même, mais le peuple indien n’a pas abandonné pour autant ses envies de liberté et de respect.

https://twitter.com/Vikas_Tweets/status/1376030911544717315

La bataille qui se déroule actuellement dans les rues se poursuivra vraisemblablement dans les urnes. En effet, du 27 mars au 2 mai se déroulent les élections législatives pour cinq États du pays, le Bengale, le Tamil Nadu, le Kerala, Pondichéry et l’Assam. Au total, plus de 220 millions de citoyens sont appelés aux urnes. « Ce sont les fermiers qui ont mis Modi au pouvoir en 2014, et qui l’y ont maintenu en 2019, ils peuvent tout aussi bien le faire tomber », explique Shareen.

Ces élections s’annoncent comme un baromètre politique en Inde. Le Kerala et le Bengale sont en effet tous deux dirigés par des coalitions de gauche opposées au gouvernement, et le Tamil Nadu par un parti régional. De plus, ces trois États ont un poids économique et démographique très important. Si un front uni parvient à se former face à l’Alliance démocratique nationale, à laquelle appartient le BJP de Modi, le Premier ministre pourrait perdre en influence pour la première fois depuis son arrivée au pouvoir.

Du point de vue des nationalistes et des castes supérieures, la tendance est à la libéralisation des différents secteurs de l’économie et à la privatisation. Mais c’est exactement l’inverse que souhaitent les contestataires. « Nous ne croyons pas à la main du marché privé », s’est emporté Ruldu Singh Mansa, président du Syndicat des fermiers du Pendjab. « On nous a déjà fait le coup pour la privatisation des transports, des hôpitaux, des écoles. On finit toujours par payer plus cher. » Pour l’opposition et les fermiers, les priorités ne sont pas les mêmes. « La raison pour laquelle on se rassemble, c’est qu’on essaie d’unir la nation, d’unir le monde », a déclaré le Dr Swaiman Singh dans son appel.

En parlant de ceux morts pour leurs idées, il a aussi rappelé ce qu’ils cherchaient à accomplir. « Leur rêve était, pour nous, de passer au-dessus des religions et des castes », a-t-il rappelé, mais aussi « d’avoir un pays où l’éducation est respectée, où les soins sont accessibles à tous, qu’importe la quantité d’argent qu’ils gagnent ». Entre dérive autocratique du pouvoir et volonté d’égalité du peuple, 2021 sera donc une âpre bataille pour l’avenir d’un sixième de la population humaine.

Couverture : Kisan Ekta Morcha/Twitter

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15.03.2021 à 00:35

Instagram et NFT : comment les artistes numériques ont réussi à percer

Le 25 février dernier s’ouvrait une vente historique pour la société de vente aux enchères britannique Christie’s. Après 255 ans d’existence, la maison proposait pour la première fois la vente d’une œuvre d’art 100 % numérique, baptisée les « Les 5000 premiers jours ». Composée par l’artiste américain Mike Winkelmann, aussi connu sous le nom […]

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Texte intégral (5057 mots)

Le 25 février dernier s’ouvrait une vente historique pour la société de vente aux enchères britannique Christie’s. Après 255 ans d’existence, la maison proposait pour la première fois la vente d’une œuvre d’art 100 % numérique, baptisée les « Les 5000 premiers jours ». Composée par l’artiste américain Mike Winkelmann, aussi connu sous le nom de Beeple, cette mosaïque est une compilation des œuvres que l’artiste a produites chaque jour depuis 13 ans. Le spectacle, qui touchait à sa fin le jeudi 11 mars, a été à la hauteur de l’événement.

Le dernier jour d’enchères a vu le prix de l’œuvre s’envoler, pour finalement atteindre la somme hallucinante de 69 millions de dollars. Cet exploit place l’auteur de l’œuvre « parmi les trois artistes vivants les plus cotés », selon Christie’s. L’emballage final a même poussé plusieurs millions de visiteurs à rejoindre le site de l’institution pour assister à l’événement en direct.

Quelques jours auparavant, c’est la chanteuse Grimes qui avait vendu plusieurs courtes vidéos artistiques accompagnées de musiques originales. Si certaines œuvres étaient disponibles en plusieurs centaines d’exemplaires, une autre n’était disponible que pour un seul acheteur. Baptisée « Death of the Old », le clip vidéo de 56 secondes s’est vendu à près de 389 000 dollars. L’heureux acheteur est donc officiellement l’unique propriétaire de la nouvelle création, bien que celle-ci soit accessible à tous sur Internet. Au total, la vente de la collection « WarNymph », qu’elle a créée en collaboration avec son frère, Marc Boucher, aura rapporté à la Canadienne de 32 ans le joli pactole de six millions de dollars.

Image de « Death of the Old »

Dans le même temps, le tout premier message posté sur Twitter a lui aussi été mis aux enchères par son auteur, Jack Dorsey, le créateur du réseau social à l’oiseau bleu. Et s’il faudra attendre la clôture de la vente le 21 mars pour avoir le prix final, la meilleure offre est déjà de 2,5 millions de dollars, une somme que l’entrepreneur compte reverser à des associations caritatives. Et ce ne sont pas les seuls objets numériques que s’arrachent les collectionneurs récemment. Chris Torres, l’artiste derrière Nyan Cat, a remasterisé l’animation originale du meme et l’a vendue pour 560 000 dollars au cours du mois de février…

Le point commun entre ces différents succès : ils sont tous basés sur une technologie qui assure l’authentification et la traçabilité de l’œuvre, tout en empêchant sa reproduction. Ce système, appelé NFT, bouleverse le monde de l’art numérique depuis quelques mois maintenant. « Je considère cela comme le prochain chapitre de l’histoire de l’art », a déclaré Beeple, car il « existe maintenant un moyen de collectionner de l’art numérique ». À l’image des autres secteurs, l’art a donc aussi accéléré sa transformation numérique, nous donnant un aperçu de ce que pourrait être le futur de ce marché si particulier.

De la cryptomonnaie au crypto-art

La fascination d’une partie du monde de l’art pour les NFT remonte au moins à une poignée d’années. Dès 2018, l’artiste américain Kevin Abosch travaillait à donner corps à cette la technologie de la blockchain pour donner un sens et une valeur à ses œuvres. Cette quête l’avait alors conduit à utiliser ce certificat d’authenticité numérique appelé « jeton non-fongible », ou NFT en abrégé, pour donner naissance au « crypto-art ». Dans sa forme la plus simple, une œuvre d’art NFT est composée de deux choses. Tout d’abord, une œuvre d’art, généralement numérique, mais aussi parfois physique. Deuxièmement, un jeton numérique représentant l’œuvre, également créé par l’artiste. Ce jeton est un actif unique stocké sur une blockchain, le type de registre qui sécurise les cryptomonnaies comme le bitcoin.

En d’autres termes, il s’agit d’une capsule numérique qui contient l’œuvre originale ainsi que toutes les informations y étant associées, permettant une authentification et une traçabilité parfaites. « Ce faisant, les NFT ont créé une nouvelle voie pour le marché de l’art numérique », résume Beverly Bueninck, responsable des relations publiques chez Christie’s France.

Mais dans le cas de Kevin Abosch, sa démarche allait encore plus loin. En effet, les œuvres qu’il a produites à l’époque étaient uniquement composées du jeton NFT, sans être connectées à des supports externes, donc sans existence concrète en dehors de la blockchain. « On pourrait dire qu’ils étaient “purs”, car le NFT lui-même était l’art », explique l’artiste avec du recul. « Pour moi, le NFT était un proxy pour distiller de la valeur émotionnelle. »

Si le concept peut paraître abstrait, il a aussi pour but d’amener les gens à réfléchir à la manière dont la technologie blockchain peut être appliquée au monde de l’art. « Les NFT sont particulièrement adaptés aux artistes qui travaillent numériquement, ils fournissent une méthode pour prouver à la fois l’authenticité et la propriété. » Et s’il tient à souligner une certaine artificialité dans la tentative de donner de la rareté à un objet numérique, il n’en résulte pas moins l’outil ultime pour les artistes numériques qui cherchent à valoriser leur art.

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Kevin Abosch, 2020

Le marché des NFT est d’ailleurs en pleine expansion. Il couvre de nombreux domaines et peut englober toute une gamme de produits, allant de stickers aux cartes de sport à collectionner, en passant par les personnages de jeux vidéo et l’immobilier virtuel. Fin 2017, le lancement du jeu CryptoKitties avait été le premier succès de ce nouveau système de vente, provoquant même la congestion du réseau Ethereum, sur lequel il était basé. Le but était simple : il fallait collectionner des stickers de chats, et les associer pour créer de nouveaux modèles plus rares. Le succès avait été tel qu’une pièce exclusive s’était vendue pour 170 000 dollars.

Aujourd’hui, même des marques telles que Nike, Louis Vuitton ou la NBA ont déjà créé leurs propres gammes de NFT. La ligue américaine de basket a même mis en ligne le site NBA Top Shot pour permettre aux utilisateurs d’acheter et de vendre des clips vidéo des plus belles actions de jeu. Celui d’un dunk spectaculaire de LeBron James s’est récemment vendu pour plus de 200 000 dollars. Au total, le marché des NFT a d’ailleurs explosé de 200 % en 2020 pour atteindre 250 millions de dollars, selon l’atelier BNP Paribas. 

Le marché du crypto-art s’est lui aussi développé au cours de l’année passée. Ainsi, en l’espace de 12 mois, les ventes cumulées des principales plateformes de NFT ont avoisiné les 20 millions de dollars. Cet engouement pousse certains artistes à sauter le pas, comme le Suédois Criss Bellini, qui voit les NFT prendre une part importante dans le monde le l’art numérique. « En Europe c’est plutôt récent, mais aux États-Unis c’est déjà plus accepté. Les gens ne savent juste pas encore ce que c’est », explique-t-il. « Mais d’ici cinq ans les NFT représenteront la majorité de l’art numérique. »

Et quand il s’agit de trouver le bon modèle économique pour valoriser son art, l’artiste anonyme est un expert. S’il n’a lancé sa carrière sur Instagram qu’en janvier 2020, Criss Bellini a déjà imposé son nom parmi les personnalités artistiques les plus influentes de la plateforme. Ses œuvres, des peintures numériques mixant art traditionnel et pop culture contemporaine, lui ont déjà rapporté son premier million en un an. Mais son succès à lui est lié à une autre mutation du marché de l’art, qui a vu les artistes prendre de plus en plus d’indépendance dans la promotion de leur travail.

La galerie Insta

Derrière son masque cagoule, qui représente pour lui « le reflet le plus fidèle de ce que nous sommes », Criss Bellini a su allier l’élégance de l’art traditionnel à la décadence de la modernité. Il s’inspire notamment de peintures anciennes, qu’il recrée à son image, et leur donne un nouveau sens. Il peint ses œuvres numériquement, avant de les imprimer sur des supports qu’il veut digne de musées. Mais pour conserver un sentiment d’exclusivité, seules 250 pièces par œuvre sont créées. Lorsqu’un design est épuisé, il disparaît pour toujours.

S’il a eu l’idée de procéder ainsi, c’est qu’il s’est rendu compte d’un manque de choix dans le marché de l’art. « Soit je trouvais des posters vraiment bon marché comme tout le monde en a, soit des peintures qui coûtent super cher et pour lesquelles je n’avais pas les moyens », se rappelle l’artiste suédois. Au moment de se lancer, il a donc décidé de se passer d’intermédiaire et d’ouvrir sa propre galerie d’art en ligne, utilisant principalement Instagram, mais aussi les autres réseaux sociaux, comme vitrine de son travail.

C’est ainsi qu’il est parvenu à atteindre une nouvelle clientèle qui n’aurait jamais investi d’argent dans une toile. « Les gens qui ne savent même pas ce qu’est l’art, qui n’ont jamais acheté d’art, peuvent acheter mes œuvres », affirme Criss Bellini. Il n’y a qu’à voir l’intérêt que celles-ci ont reçu de la part d’influenceurs du monde entier pour comprendre que le peintre anonyme a visé juste. Instagram et son milliard d’utilisateurs actifs mensuels a donc été l’eldorado pour l’artiste suédois. « Tout le monde a Instagram », confirme-t-il. « Donc il est plus facile de montrer qui tu es et ton travail, de toucher davantage de gens. » Il faut dire que la plateforme a tout prévu pour être la plus grande galerie d’art au monde. Depuis son lancement en 2010, elle est une source abyssale d’inspiration et de diffusion pour tous. Et la tendance ne va qu’en s’accélérant, avec de plus en plus de millennials qui achètent des œuvres d’art en ligne, selon un rapport d’Hixos. 

En passant directement par les réseaux sociaux, les artistes laissent donc de côté les galeries d’art traditionnelles au profit d’une plus grande indépendance dans leur communication. « Avant, on dépendait totalement des galeries qui exposaient notre travail, et de tout leur système marketing », confie le peintre français Yannick Fournié. Mais la réelle évolution est due à de simples raisons pratiques. « Une galerie a toujours une vingtaine d’artistes avec lesquels elle tourne donc elle ne peut pas garantir à tous une régularité dans la visibilité », explique-t-il, ce qui poussé nombre d’entre eux à prendre leur indépendance.

Avec sa fonctionnalité marchande, Instagram a même offert la possibilité aux créateurs de se passer d’autres plateformes et de vendre directement leurs œuvres à travers leur compte. Mais l’option manque d’authenticité pour Yannick Fournié, qui a opté pour une autre solution. « Je veux pouvoir continuer à proposer un univers », justifie le peintre. Il préfère donc sponsoriser ses publications pour rediriger son audience vers son site. Le numérique se retrouve en conséquence intégré à l’art à tous les niveaux. À tel point que même l’appellation d’art numérique semble perdre son sens. 

Le site de Yannick Fournié

De nouvelles formes d’art

« L’art numérique, ça ne veut plus rien dire, puisque aujourd’hui tout est numérique », soutient Justine Emard. « Même les peintres travaillent à partir de photos qu’ils ont prises sur leur smartphones. » Après être passée par une école d’art, où elle a pu apprendre à travailler l’image, la Française utilise différents médiums, qui vont de la photographie à la réalité virtuelle, pour délivrer son message. « Je m’intéresse aux liens entre la technologie et nos existences », confie l’artiste. Une de ses créations, baptisée Soul Shift (échange d’âmes), est un film illustrant une interaction entre deux robots humanoïdes générée par une intelligence artificielle. 

L’artiste prête également énormément d’attention à la représentation de ses œuvres, à leur format, à l’immersion qu’elle peut procurer au spectateur. Cette physicalité de son travail qu’elle essaie de faire passer semble pourtant à l’opposé de sa nature numérique. Mais ses œuvres sont pensées pour être diffusées dans un espace concret, et chacune d’entre elles a été réalisée en choisissant le médium à travers lequel elle serait la plus impactante. « Pour moi, si on présente des œuvres en ligne, cela doit faire sens avec l’œuvre elle-même », affirme Justine Emard. Et quant à la possibilité d’utiliser un jour les NFT pour une de ses créations, elle ne l’exclut pas.

« C’est une nouvelle façon d’acquérir des œuvres, mais aussi de s’interroger sur le monde qui nous entoure, sur le capitalisme, sur le fait de vouloir posséder. Donc si un jour je fais une œuvre en NFT, ce sera en rapport à ça », songe-t-elle. Au-delà de l’origine de l’œuvre, que ce soit un dessin réalisé sur une tablette ou une reconstitution 3D d’une statue, son travail souligne donc l’impact du moyen de diffusion sur la relation du spectateur avec elle.

 

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De ce point de vue, la réalité virtuelle a révolutionné la conception même des créations, en offrant un nouvel espace illimité pour les artistes du monde entier. Peindre une œuvre virtuelle en trois dimensions, puis la parcourir, la traverser et l’observer sous tous les angles devient alors possible. La technologie permet aussi de jouer sur les perceptions du spectateur, de lui faire vivre des expériences toujours plus immersives. C’est le cas de « The Life », une performance de 19 minutes de l’artiste Marina Abramović, présentée en réalité mixte en 2019.

Les participants, qui avaient enfilé une paire de lunettes IRM, voyaient s’animer un véritable double numérique de la performeuse, devant les murs réels de la galerie et les autres visiteurs en toile de fond. L’évènement, d’après l’artiste, avait pour but de questionner l’immortalité, en proposant une version numérique et donc immortelle de l’artiste. « Cent ans après le moment où quiconque connaissant Marina soit décédé, il y aura des gens qui la verront entrer dans la pièce et ressentiront ce sentiment de connexion, d’expérience humaine », avait ajouté Todd Eckert, le fondateur de Tin Drum, l’équipe de production de réalité mixte derrière le projet.

Si l’immortalité de l’œuvre n’est pas assez, qu’en est-il de celle de l’artiste ? Car si la capacité à inventer, à créer, a toujours été considérée comme l’apanage de l’être humain, nous ne sommes désormais plus les seuls artistes reconnus sur la planète. En effet, un tableau produit par une intelligence artificielle a été vendu en 2018 pour la somme de 432 500 dollars. Il fait partie d’un groupe de portraits de la famille fictive Belamy créé par Obvious, un collectif parisien composé de Hugo Caselles-Dupré, Pierre Fautrel et Gauthier Vernier.

« Les 5000 premiers jours » de Beeple

Ils s’efforcent d’explorer l’interface entre l’art et l’intelligence artificielle, en apprenant à leur algorithme à repérer les différences entre les œuvres produites par les humains et les autres. S’il n’est plus capable de différencier son travail d’une création humaine, alors les créateurs considèrent le tableau comme un original. Mais si le programme arrive à imiter la créativité humaine, il est difficile de considérer qu’il y a une intention, un sens derrière cette production. 

Il devient cependant clair que les frontières du monde de l’art se brouillent, que ce soit dans l’appréciation même de ce que l’on considère comme de l’art : une carte à jouer, une paire de chaussure virtuelle ou un jeton NFT, ou dans la façon que l’on a de catégoriser les différents types d’arts. Mais cela n’empêche pas le marché de l’art de gagner en popularité chaque année, et d’intéresser de nouveaux acheteurs de différents horizons. Et avec l’intérêt grandissant vient l’opportunité pour de nouveaux artistes de se lancer, et peut-être d’inventer les outils de demain pour créer ou de consommer de nouvelles formes d’art.

Couverture : GU$$I GANG de Criss Bellini

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08.03.2021 à 09:30

Clubhouse : comment devenir un géant des réseaux sociaux dans la douleur

Diffuser en direct une interview exclusive de l’homme le plus riche du monde est une bonne façon de faire parler de votre réseau social. Aussi, quand Elon Musk a annoncé qu’il participait à un live audio sur l’application Clubhouse, la nouvelle s’est propagée comme une traînée de poudre à travers les différentes strates du web. […]

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Texte intégral (3113 mots)

Diffuser en direct une interview exclusive de l’homme le plus riche du monde est une bonne façon de faire parler de votre réseau social. Aussi, quand Elon Musk a annoncé qu’il participait à un live audio sur l’application Clubhouse, la nouvelle s’est propagée comme une traînée de poudre à travers les différentes strates du web. Ce 1er février 2021, beaucoup d’entre nous n’avaient alors jamais entendu parler du nouveau réseau social audio, lancé près d’un an auparavant. En un rien de temps, la capacité maximale de 5 000 auditeurs de la « room » a été atteinte, avec des centaines de journalistes et des flux vidéos redirigés vers YouTube. Depuis ce jour, Clubhouse fait couler beaucoup d’encre et son nombre d’utilisateurs.trices croît de plus en plus rapidement.

Clubhouse n’est pas un réseau social comme les autres. Uniquement basé sur la voix, il est à la croisée d’une radio libre géante et d’une plateforme de podcasts. L’application comprend des salons (ou rooms) aux thématiques précises, créés par les utilisateurs.trices. Si la majorité des discussions tournent encore autour du monde des technologies et de l’entrepreneuriat, tout est possible. Les créateurs.trices des rooms peuvent choisir à qui ils.elles y donnent accès, d’un groupe privé à une discussion ouverte à tous.tes. Ils.elles peuvent aussi donner la parole à l’auditeur.trice de leur choix, en qualité de modérateur.trice, ces derniers.ères n’ayant qu’à « lever la main » pour participer.

Crédits : Erin Kwon

Si cette brève explication est nécessaire, c’est que la plateforme n’est pas encore en libre accès. Toujours en version bêta depuis son lancement en mars 2020, l’application n’est disponible que sur iOS. Et même pour un.e utilisateur.trice Apple, il est nécessaire d’avoir été invité.e par un membre pour intégrer la communauté. Cette fonctionnalité, mise en place pour limiter dans un premier temps le nombre de personnes sur la plateforme, offre au réseau 100 % vocal une image de club VIP. En combinant cet effet « club » et la présence de personnalités allant de Mark Zuckerberg au rappeur 21 Savage, Clubhouse est en voie de devenir un nouveau géant des réseaux.

En quelques semaines, il a décuplé son nombre d’utilisateurs.trices, dépassant récemment la barre des 10 millions de téléchargements. Pourtant, ses développeurs cherchent pour l’instant à garder un certain contrôle sur le nombre d’invitations disponibles. Car si la plateforme fait parler d’elle, ce n’est pas que pour des bonnes raisons. Plusieurs cas d’intimidation et de harcèlement de la part d’utilisateurs.trices ont déjà été rapportés dans les médias, de même que l’apparition de rooms racistes, antisémites ou misogynes. Sans compter les graves préoccupations pour la sécurité des données personnelles des utilisateurs.trices. Clubhouse saura-t-il trouver sa voix au milieu de ce brouhaha ?

Grandir dans l’adversité

Après moins d’un an d’existence, des dizaines d’affaires relevant de l’intimidation ou du harcèlement en ligne sur Clubhouse ont été rapportées. Il faut dire que l’application possède de sérieux désavantages comparée à ses concurrents. Tout d’abord, la plateforme est jeune et toujours en cours de développement, il semble donc normal qu’elle ne puisse pas proposer un service aussi complet et sécurisé que des acteurs mieux établis. Mais en proposant des contenus uniquement vocaux et en direct, il semble impossible pour les développeurs d’empêcher tous les débordements.

Le problème s’est surtout présenté dans le cadre de sujets clivants, lorsque des idéologies s’affrontent et que les débats s’échauffent. L’une des controverses les plus vocales a eu lieu suite aux propos tenus par Pascal-Emmanuel Gobry, auteur français et membre du think tank conservateur américain Ethics & Public Policy Center. « Nous ne savons même pas combien de musulmans il y a en France… Nous ne savons pas combien d’entre eux sont “islamistes”, c’est-à-dire qui soutiendraient la charia », a-t-il déclaré au cours d’une discussion sur Clubhouse. « Car si être islamiste ne signifie pas nécessairement que vous soutenez le terrorisme, il y a nécessairement un spectre, n’est-ce pas ? Le nombre de personnes problématiques est assez important. »

Suite à cette intervention, il a demandé comment faire face aux « potentiels millions » de citoyens musulmans en France qui « rejettent fondamentalement tout ce que la nation défend et veulent soit la détruire, soit la remplacer par un régime de la charia ». En réaction, un vigoureux débat s’est lancé sur le type de discours à empêcher sur la plateforme, et sur les moyens de le faire. C’est d’ailleurs un des points sur lesquels se concentrent le plus les développeurs de l’application, de leur propre aveu.

« Nous avons introduit le blocage, la mise en sourdine, la création de rapports en room et la possibilité pour les modérateurs de mettre fin à une room », écrivent-ils sur leur site. Ils disent aussi « enquêter » chaque fois que quelqu’un signale une violation des conditions d’utilisation ou du règlement de la communauté, et prendre des mesures adaptées. Mais d’après Bacely Yorobi, entrepreneur de la tech ivoirien et fréquent utilisateur de Clubhouse, le problème se trouve plutôt du côté des intervenant.e.s.

https://twitter.com/BacelyYorobi/status/1366957176930119686

Au travers de sa société ConnectX Global, il fait intervenir des talents issus de la diversité, et organise des conférences autour de l’entrepreneuriat, de l’e-commerce, de l’innovation, du codage et du design. « Prendre la parole en public et modérer une audience, ce n’est pas la même chose », explique-t-il. Cet échec dans la modération de la part d’un.e animateur.trice amateur.e est pour l’entrepreneur la cause principale des polémiques actuelles. « Quand c’est mal géré, sur des sujets très polarisés, ça part vite dans tous les sens et il n’y a plus de respect. »

Une dérive à laquelle la nature-même du réseau l’exposait fatalement. La seconde, tout aussi préoccupante, concerne précisément la sécurité des données de ses utilisateurs.trices, auxquel.le.s Clubhouse recommande instamment d’utiliser leur véritable identité. Si dans un premier temps les développeurs annonçaient qu’aucune conversation ne pouvait être enregistrée, plusieurs cas de figures ont prouvé le contraire. Tout d’abord, la plateforme enregistre maintenant une partie des discussions tenues dans chaque room afin de pouvoir, en cas de rapport, enquêter sur de potentiels actes répréhensibles et leurs auteurs. Si aucune réclamation n’est faite, l’enregistrement est supprimé dès la fermeture de la room.

Si le procédé pose des problèmes de sécurité en soi, il ne garantit en aucun cas que des utilisateurs.trices ne puissent pas enregistrer les conversations à l’insu des intervenant.e.s. « Cela m’est déjà arrivé », confie Bacely Yorobi. « Heureusement que je n’avais pas dit quelque chose de négatif. » Clubhouse n’est pour le moment pas un endroit sûr, résume l’entrepreneur ivoirien.

De nombreux.ses utilisateurs.trices ont fait part de leur inquiétude concernant la protection de leurs données personnelles. En cause, l’entreprise américaine fait appel à une start-up basée à Shanghai, appelée Agora, pour gérer une grande partie de ses opérations back-end. En effet, Clubhouse s’appuie sur la société chinoise pour traiter son trafic de données et sa production audio. Sauf que les obligations d’Agora vis-à-vis des lois chinoises sur la cybersécurité signifient qu’elle serait légalement tenue de donner accès aux fichiers audios au gouvernement chinois, s’il juge que leur contenu met potentiellement en danger la sécurité nationale.

« Une plateforme qui a une API et des serveurs gérés par une technologie chinoise ne peut pas être totalement digne de confiance », remarque Bacely Yorobi, précisant tout de même que « les développeurs sont en train de travailler pour basculer tout le système sur une technologie américaine ». Clubhouse semble donc apprendre de ses erreurs jour après jour, comme il s’est construit.

Made in Silicon Valley

« Clubhouse évolue rapidement aujourd’hui, mais à certains égards, on a l’impression que le voyage a commencé il y a longtemps. » C’est ainsi que les deux fondateurs,  Paul Davison et Rohan Seth, expliquent la naissance de leur projet. Après leur rencontre en 2011, les deux Américains se sont vite retrouvés autour d’une passion commune : les produits sociaux. À l’époque, Rohan Seth travaillait sur des moyens d’aider ses amis à se retrouver dans les villes, et Paul Davison développait une application appelée Highlight, qui devait aider les utilisateurs.trices à nouer des amitiés autour d’eux. Au cours des dix années suivantes, ils ont tous deux expérimenté de nouvelles applications, échoué et recommencé. À l’automne 2019, le duo a finalement été amené à faire équipe. Après de nombreuses itérations dans l’espace audio, ils finissent par lancer Clubhouse en mars 2020, avec une nouvelle start-up : Alpha Exploration Co. 

En mai, l’application comptait 1 500 utilisateurs et annonçait sa première levée de fonds, avec l’ambition de se développer. À travers leur société de capital-risque AH Capital Management, aussi appelée A16Z, les business angels Ben Horowitz et Marc Andreessen ont cru flairer le bon filon. Ils ont donc décidé d’investir une première fois la somme de 10 millions de dollars dans le projet. Au cours des mois qui ont suivi, l’application a continué de se développer et grandir. Fin janvier 2021, deux millions de personnes dans le monde avaient rejoint Clubhouse. 

C’est à ce moment-là que Davison et Seth ont annoncé leur deuxième tour de table. Sous la supervision d’Andreessen Horowitz, le réseau social basé à San Francisco a réussi à lever environ 100 millions de dollars, portant sa valorisation à près d’un milliard de dollars, selon Axios. C’est à ce moment-là qu’A16Z a fait jouer ses contacts. La conversation entre Elon Musk et le PDG de Robinhood Markets Inc., Vlad Tenev, à propos de la négociation des actions de GameStop Corp, n’est pas arrivée par hasard. Car A16Z, en plus d’être un gros investisseur de Robinhood et Clubhouse, soutient des startups qui travaillent avec les entreprises de Musk.

Le réseau avait tout d’abord réussi à percer en Chine, où de nombreuses rooms sont apparues début février, permettant aux utilisateurs.trices de débattre notamment du sort des Ouïghours. Mais la politique chinoise concernant les réseaux sociaux et sites étrangers n’a pas changé, et les échanges concernant certains sujets sont toujours mis sous clé. Pékin a finalement décidé d’interdire le réseau social dans le pays, comme il l’a fait pour tous les autres réseaux occidentaux auparavant.

Malgré ce contretemps, sorte de reconnaissance pour la jeune société, les développeurs souhaitent continuer à développer leur réseau. Une part de la dernière levée de fonds sera dédiée au développement d’un programme pour les créateurs.trices de contenu de la plateforme, qui pourrait augmenter leur nombre et ouvrir le canal de revenus de Clubhouse. Cela rappelle le fonds de 200 millions de dollars lancé par TikTok pour soutenir les influenceurs.ceuses de sa plateforme, et les sommes engagées par Snapchat pour attirer les stars sur Spotlight. Car il ne faut pas oublier que si Clubhouse est le premier réseau social 100 % vocal, la concurrence dans le milieu reste rude et peu de bonnes idées ne sont jamais copiées.

La course est lancée

Les géants de l’industrie numérique n’ont pas tardé à réagir face au succès fulgurant de l’application de Paul Davison et Rohan Seth. Et notamment Facebook, qui s’est fait une spécialité du clonage de réseaux populaires ou du rachat de ses concurrents. L’année dernière, la plateforme a lancé Messenger Rooms pour concurrencer l’application vidéo Zoom pendant la pandémie de coronavirus. Instagram, propriété de Facebook, a de son côté rivalisé avec TikTok avec l’ajout des Reels. Et début février 2021, le réseau social a donc commencé à plancher sur un nouveau produit baptisé Fireside, qui doit reprendre exactement les mêmes fonctionnalités de Clubhouse. « L’histoire se répète », note Bacely Yorobi, qui a pu discuter du futur de la plateforme dans des rooms sur le réseau.

Mais l’entreprise dirigée par Mark Zuckerberg n’est pas la première à avoir dégainé. En effet, Twitter a été le plus réactif. Le 17 décembre dernier, le réseau à l’oiseau bleu annonçait le lancement de sa propre itération audio sur iOS, avec le même système de bêta fermée sur invitation. La plateforme, baptisée Spaces, a même pris de vitesse les créateurs de Clubhouse, en lançant sa version disponible sur Android depuis le 2 mars. C’est un sacré avantage quand on sait que le système d’exploitation est celui qu’utilisent 85 % des téléphones portables.

Les Spaces de Twitter

Si la course est déjà lancée entre les géants du milieu et la start-up, d’autres acteurs peuvent encore créer la surprise et venir rafler le gros lot sous le nez des concurrents. C’est l’idée qu’avance Bacely Yorobi. « C’est clair que dans cette bataille, Twitter ne gagnera pas, car il est victime de son histoire, avec énormément de trolls », prédit l’entrepreneur. « Moi, je parie sur Spotify ! On ne les voit pas mais ils arrivent. »

Il faut dire que la puissance de Spotify sur le marché de la musique et du podcast est déjà immense. Les rachats des plateformes de Gimlet Media et d’Anchor lui avaient même permis de consolider sa domination. Il ne serait donc pas étonnant de voir débarquer une fonctionnalité pour permettre des discussions. « ll suffit juste qu’ils développent une couche d’interaction et c’est terminé », conclut le conférencier ivoirien. Clubhouse a ouvert son club privé dans une arène sans merci.

Couverture : Clubhouse par Alexander Shatov

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