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12.12.2025 à 06:00

Se faire de nouveaux amis, mission impossible ? Nous avons relevé le défi lors d'un dîner avec de parfaits inconnus

nfoiry

Se faire de nouveaux amis, mission impossible ? Nous avons relevé le défi lors d'un dîner avec de parfaits inconnus nfoiry ven 12/12/2025 - 06:00

Pour réussir une première rencontre, faut-il bien présenter ou faire tomber le masque, se livrer ou écouter ? Pour le savoir, notre rédacteur en chef Cédric Enjalbert s’est inscrit sur une plateforme qui organise des dîners entre inconnus. Il s’est donné une règle méthodologique : ne pas parler de lui ! Découvrez comment s'est passée sa soirée dans notre tout nouveau numéro, disponible également chez votre marchand de journaux.

décembre 2025
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11.12.2025 à 21:00

Le banquier, Freud et la mort : acquérir un logement, un parcours du combattant

hschlegel

Le banquier, Freud et la mort : acquérir un logement, un parcours du combattant hschlegel jeu 11/12/2025 - 21:00

« Il y a peu, j’ai pris rendez-vous chez mon banquier. En m’installant sur le petit fauteuil de cette pièce exiguë et trop chauffée, en face d’un jeune homme un peu serré dans son costard, j’ai eu le sentiment de vivre un instant particulier. Je résumerai ce rendez-vous en trois étapes, qui se rapprochent de ce que Freud nomme les trois “illusions narcissiques” dans sa leçon intitulée Une difficulté de la psychanalyse (1917).

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Voici donc les trois grandes illusions balayées selon moi par un simple rendez-vous avec la banque.

1) L’illusion de la maîtrise

Je suis allée à la banque dans le but d’analyser ma capacité d’emprunt afin de tenter d’acquérir un logement. Or quand on veut acheter un appartement ou une maison pour y vivre, c’est en général parce que l’on aspire à un peu d’ancrage, à de la stabilité – et aussi parce que l’on voudrait cesser de dépendre des logiques de prédation immobilière qui gangrènent le marché. Bref, la souscription d’un crédit est portée par une envie de “se poser”. Mais (et c’est là que réside toute la violence du système) emprunter, c’est surtout accepter les mouvements économiques et politiques hors de contrôle. Est-ce que les taux vont continuer de grimper ? Qu’en est-il de l’évolution du PTZ et du BRS ? Personne ne peut répondre, pas même le banquier. La fin de l’illusion de maîtrise se rapproche ici de ce que Freud appelle “l’humiliation cosmologique”, qui a consisté à croire que l’humain habitait dans une terre stable, “au repos”, calmement située “au centre de l’Univers”. Après Copernic, nous avons découvert que nous étions situés sur un grain de sable dans un Univers infini mû par des forces qui nous dépassent et dont nous dépendons. À la banque, on prend conscience que ces forces sont financières. L’histoire intime d’une personne ou d’un couple est inféodée à l’économie globale. Un taux qui augmente de quelques dixièmes, et c’est un appartement que l’on ne peut plus acheter – et le cours d’une vie qui peut changer.

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2) L’illusion de la singularité

On a tous envie d’être différents, uniques en notre genre. À la banque, c’est peine perdue. Le banquier n’a pas affaire à un individu mais à une CSP (une catégorie socioprofessionnelle). Et cette mécanique se poursuit à plusieurs niveaux.

On croit être un couple ; pour la banque on est un ménage.On aimerait avoir un métier particulier ; mais ce qui compte, c’est notre revenu annuel brut.On voudrait acheter notre petit appartement ; en réalité, on fait un investissement. Car comme le banquier nous l’a souligné, tout achat “même pour y vivre” s’appelle bien “un investissement”.

Ce vocabulaire ramène le particulier au monde anonyme des flux monétaires. Le désir d’acquérir un logement, qui est à la fois universel et profondément singulier dans la mesure où il implique le choix d’un lieu à soi, est réduit à une stratégie économique. Cette illusion pourrait quant à elle correspondre à “l’humiliation biologique” évoquée par le père de la psychanalyse, désignant le moment où l’homme découvre grâce à Darwin qu’il “n’est rien d’autre, rien de mieux que l’animal” alors qu’il aurait voulu que sa nature diffère des autres vivants. Pour le système bancaire aussi, nous ne sommes rien d’autre que des animaux monétaires, des agents économiques.

3) L’illusion d’un bonheur infini

Quand on veut acheter une maison, c’est parce que l’on se projette. Pour s’imaginer l’avenir, il faut avoir emmagasiné un peu d’espoir dans le futur. Il faut se dire que la vie est belle et que le bonheur va durer – sinon, à quoi bon s’endetter pour toute une vie ? Or la banque nous invite à penser à l’aléa, à tout ce qui pourrait mal se passer. Entre deux simulations chiffrées, on aborde des sujets comme le décès, la maladie, le divorce ou le licenciement. On parle donc de vie, d’amour et de mort. De ce qui n’a pas de prix, et que l’on doit pourtant évaluer. De ce que l’on ne peut jamais anticiper mais que l’on doit quand même prévoir. Cette dimension existentielle du rendez-vous peut être considérée comme l’ultime blessure, qui est “psychologique” selon Freud et qui désigne pour lui toutes les fois où notre esprit “se sent étrangement frappé d’impuissance” face à l’insondable profondeur de son inconscient.

Pour résumer : on ne contrôle rien, on est (à peine) bons à rembourser un prêt et le bonheur ne dure jamais. Parce qu’ils nous mettent sans ménagement face à ce genre d’états de fait, les rendez-vous bancaires sont des rituels initiatiques modernes, qui nous obligent à affronter la réalité du monde capitaliste. En ce qui me concerne, j’en suis sortie certes délestée de quelques illusions… et animée par un certain désir de révolution. »

décembre 2025
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11.12.2025 à 17:00

Le monde selon Trump : les 1 000 visages de la flagornerie

hschlegel

Le monde selon Trump : les 1 000 visages de la flagornerie hschlegel jeu 11/12/2025 - 17:00

Flatteries obscènes, compliments diplomatiques, comparaisons avantageuses… Depuis que Trump gouverne, la flagornerie sous toutes ses formes explose. Comment se manifeste-t-elle et quels sont ses effets sur la politique ? Analyse avec La Bruyère et le baron d’Holbach.

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« Vous voyez combien ils vous aiment », a glissé le président israélien Isaac Herzog à l’oreille de Donald Trump lors de la visite officielle de ce dernier à la Knesset le 13 octobre, après la libération des otages dont il a été l’instigateur. La scène en elle-même, mais surtout son mode – le chuchotement – condense à elle seule ce que peut signifier « flagorner », terme désignant la flatterie qui renvoyait au XVe siècle au fait de « rapporter, dire à l’oreille ». Il y a, dans la flagornerie, un désir d’intimité. Le flagorneur s’approche du prince, le séduit pour lui chuchoter des informations plaisantes à entendre. 

La parade des flagorneurs

Mais sous l’ère Trump, l’art normalement discret de la flagornerie est devenu une pratique politique officielle. Il n’est presque plus caché. Les logiques de déférence et de servilité manifestes qui prévalaient à la cour du roi ont retrouvé leur place à la Maison-Blanche… et dans tous les lieux où Trump officie. Lors de sa visite au Parlement israélien, Trump s’est fait accueillir par deux minutes de standing ovation au son des trompettes victorieuses et des hourras. Dans l’assemblée, les spectateurs portaient des casquettes inscrites « Trump the peace president » [Trump, le président de la paix]. S’en est suivi un vibrant éloge de président de la Knesset Amir Ohana, qui a présenté Trump comme un « géant de l’histoire juive » qui marquera l’histoire « pour des milliers d’années ».

“Le principe même de la flagornerie consiste à exagérer”

 

Cet usage de superlatifs et de figures de style dévoile une des dimensions principales de la flagornerie : elle est un art de la surenchère, de l’excès. Autrement dit, on ne peut pas être flagorneur à moitié, car le principe même de la flagornerie consiste à exagérer. Par ailleurs, la flagornerie est souvent contagieuse. La vague de compliments a tendance à se répandre, à se diffuser de proche en proche – ce qui la rend particulièrement impressionnante. Il y a chez les flagorneurs une véritable « fureur de dire du bien », explique La Bruyère dans ses Caractères (1688). « Les louanges » ont pour cette raison tendance à « déborde[r] » et à « inonde[r] » l’espace, poursuit le moraliste. En l’occurrence, ce débordement de compliments a été activement initié par Trump lui-même, qui a toujours pratiqué sans retenue un éloge très actif de sa propre personne. « Son emblème est l’autopromotion. Ses immeubles sont hauts et dorés, avec le nom “TRUMP” inscrit en lettres majuscules », relève Giuliano da Empoli dans Les Ingénieurs du chaos (2019).

La flagornerie destinée à Trump prend des allures bibliques, messianiques. « Président Trump, vous êtes né dans le monde pour être une trompette de Dieu, un vaisseau du Seigneur dans les mains de Dieu. Dieu vous a appelé à marcher selon le modèle ; il vous a appelé selon le modèle de Jéhu, le roi guerrier », a par exemple affirmé le pasteur Jonathan Cahn à la veille de l’élection, comme le relate le Times of Israel. Amir Ohana a quant à lui comparé Trump à Cyrus le Grand, empereur perse connu pour avoir libéré le peuple juif dans l’Ancien Testament. Cette folie des grandeurs touche Trump lui-même, qui a affirmé avoir été « sauvé par Dieu pour rendre sa grandeur à l’Amérique » lors de son discours d’investiture le 20 janvier 2025. 

Entre manipulation et technique diplomatique

On pourrait croire que cette surenchère de compliments, parfois très créatifs, n’est pas calculée mais quasi naturelle. Elle relèverait uniquement d’une envie d’être bien perçu par un homme puissant, ainsi que de la logique du « show » à l’américaine consistant à porter aux nues certaines individualités charismatiques. Mais la spécificité du gouvernement Trump est d’avoir institutionnalisé, voire officialisé, cet art désuet de la flagornerie pour en faire une véritable technique et non plus un simple spectacle. Dès lors, la flatterie n’est plus accidentelle mais systématique. Elle est incluse dans la vie politique : elle fait désormais partie du jeu. La conversation révélée le mois dernier par l’agence Bloomberg est à ce titre un cas d’école. Steve Witkoff, l’émissaire de Donald Trump, a très explicitement conseillé à son homologue russe Iouri Ouchakov de flatter le président américain pour obtenir ce qu’il souhaitait. Ouchakov s’est empressé d’abonder : « Je suis d’accord avec toi : il [Poutine] va le féliciter, il va dire que M. Trump est un véritable homme de paix, etc. C’est ce qu’il dira. » Si cette discussion a fait parler, c’est entre autres parce que la flagornerie y est expressément présentée comme une technique de manipulation – efficace – du président américain.

“Avec Trump, la flatterie n’est plus accidentelle mais systématique. Elle est désormais incluse dans la vie politique”

 

La flagornerie n’est pas un compliment ponctuel mais un état de fait permanent : une façon d’être et de travailler avec le président américain. La discussion des deux conseillers rappelle ainsi un conseil donné par le baron d’Holbach (1723-1789) dans son facétieux Essai sur l’art de ramper, à l’usage des courtisans : « Il faut servir [le maître] à sa mode et surtout le flatter continuellement. » Cet art de la flagornerie doit être associé à une connaissance fine de celui que l’on a prévu de complimenter.

“Le grand art du courtisan […] est de se mettre au fait des passions et des vices de son maître, afin d’être à portée de le saisir par son faible : il est pour lors assuré d’avoir la clef de son cœur. Aime-t-il les femmes ? il faut lui en procurer. […] Est-il ombrageux ? il faut lui donner des soupçons contre tous ceux qui l’entourent”

Paul Heinrich Dietrich dit Paul Thiry, baron d’Holbach, Essai sur l’art de ramper, à l’usage des courtisans (posth., 1790)

C’est ce que font les deux conseillers lorsqu’ils appuient consciemment sur l’obsession actuelle de Trump : en l’occurrence, son impérieux désir d’être considéré comme « un homme de paix ». Une technique à laquelle le conseiller Witkoff s’emploie avec un certain zèle depuis des mois. « Je ne souhaite qu’une seule chose […] c’est que le comité du prix Nobel se rende compte que vous êtes le meilleur candidat depuis que ce prix existe », avait-il notamment affirmé en août 2025. En l’occurrence, la flagornerie est bien une technique maîtrisée, pratiquée de manière assez explicite par l’entourage immédiat du président. 

Le retour des courtisans

Mais on peut être un flagorneur malgré soi. La flagornerie à l’ère Trump est souvent un passage obligé, lié à une situation de domination symbolique. Dans ce cas, elle n’est plus choisie ni calculée mais subie. Cette configuration a eu lieu de manière particulièrement théâtrale le 5 septembre dernier, dans le cadre d’un repas organisé à la Maison-Blanche entre Trump et les grands patrons du secteur de la technologie. Chacun d’entre eux a été sommé de présenter ses hommages au locataire de la Maison-Blanche, comme des courtisans réunis autour de la figure d’un souverain. « Merci pour votre leadership incroyable et pour avoir réuni ce groupe », a ainsi annoncé Bill Gates, tandis que Sam Altman remerciait Trump d’être « un président aussi pro-affaires et pro-innovation » et que Zuckerberg le félicitait d’avoir « réuni un tel groupe ».

Cette succession de remerciements, à la fois artificiels et convenus, dévoile la servilité consubstantielle à la flagornerie. Pour flagorner, il faut toujours un peu s’effacer, se placer en dessous, oublier son amour-propre. Aussi puissants que soient ceux que l’on appelle parfois les « géants » de la tech, ils se sont inclinés face à leur hôte. Cet art de cour ultra codifié est décrit avec particulièrement de cruauté par La Bruyère, affirmant :

“Il n’y a rien qui enlaidisse certains courtisans comme la présence du prince : à peine les puis-je reconnaître à leurs visages ; leurs traits sont altérés, et leur contenance est avilie. Les gens fiers et superbes sont les plus défaits, car ils perdent plus du leur”

Jean de La Bruyère, Les Caractères (1688)

Si le flagorneur peut se féliciter d’avoir manipulé quelqu’un, il le paie aussi de sa personne et de sa réputation. Le corps et les expressions faciales sont engagés, déformés par la volonté de plaire.

Une pratique grotesque et cruelle 

C’est pourquoi la flagornerie ostensible défigure les rapports humains,et abîme la parole publique. Elle rend toute allégation suspecte, en faisant peser le doute sur la sincérité de celui qui profère un compliment. Elle transforme également les relations interpersonnelles en carnaval souvent grotesque, voire vulgaire. L’ex-président du Brésil Jair Bolsonaro s’est par exemple publiquement réjoui d’avoir été invité à l’investiture du président américain en affirmant ceci : « Je me sens comme un gamin, je suis survolté, je ne prends même plus de Viagra ! »

“Il n’y a rien qui enlaidisse certains courtisans comme la présence du prince” Jean de La Bruyère

 

Loin d’être anecdotique, cette façon de se présenter comme un enfant en face de Trump est assez répandue chez les acteurs internationaux. Mark Rutte, le chef de l’Otan, avait également surnommé Trump « daddy » lors du sommet de l’alliance transatlantique en juin dernier, dans le cadre d’une métaphore qui assimilait Trump à un père devant « hausser le ton » quand ses enfants (en l’occurrence, Israël et l’Iran) se disputaient. Le surnom de Daddy est également employé par les admirateurs de Trump tel le golfeur professionnel John Daly qui avait affirmé dès 2023 « I want Daddy Trump back » (« Je veux que papa Trump revienne »).

Si elle peut prêter à rire, la flagornerie révèle donc une mécanique cruelle. « La vie de la cour est un jeu sérieux, mélancolique », affirme à ce titre La Bruyère. Autrement dit, elle n’est pas sans conséquences. Un compliment raté, et c’est toute une entreprise et des milliers de personnes qui peuvent s’effondrer ou se faire publiquement humilier. Da Empoli évoque par exemple « les surnoms enfantins dont [Trump] affuble les autres candidats républicains » (Marco Rubio devient « Little Marco » et Ted Cruz « Ted le menteur »). Et de poursuivre : « Faire campagne contre Trump signifie se retrouver catapulté dans une cour d’école, où le caïd de la classe est à moitié analphabète mais aussi – allez savoir comment – sacrément efficace pour ridiculiser l’institutrice et les intellos binoclards. » 

Contrairement à ce que l’on pourrait croire, la flagornerie n’adoucit pas les rapports. Elle maintient une discipline inflexible du compliment qui rend toute conversation sincère caduque, par crainte de tomber en disgrâce ou de se faire copieusement insulter. Cette pratique du compliment outrancier a bel et bien défiguré la politique américaine, qui alterne désormais entre l’hypocrisie de la cour du roi… et la brutalité puérile de la cour de récré.

décembre 2025
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11.12.2025 à 13:34

“Touristes snipers” en Bosnie : quand la réalité confirme la fiction

hschlegel

“Touristes snipers” en Bosnie : quand la réalité confirme la fiction hschlegel jeu 11/12/2025 - 13:34

Une enquête a récemment été ouverte en Italie sur des touristes ayant participé, lors des guerres en ex-Yougoslavie dans les années 1990, à des « safaris » où ils tuaient, comme des snipers, des passants. Pour le plaisir. Notre directeur de la rédaction Alexandre Lacroix connaît depuis longtemps cet épisode sinistre, car il pensait en faire le sujet de son deuxième roman. Voici son récit. 

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Il y a des choses que l’on sait, parce qu’on les a entendu dire par des personnes fiables, mais qu’on ne peut pas écrire dans un texte journalistique, parce qu’il faudrait être capable de citer des sources, des noms, des dates, qu’il faudrait être en mesure de documenter les faits. Dans ces cas-là, l’une des voies possibles est celle de la fiction, du récit littéraire – ce qui est une manière provisoire de porter témoignage, en attente de confirmation.

“Safaris humains”

À l’été 1997, alors que je venais à peine de signer un contrat pour la parution de mon premier roman, j’ai fait un voyage en ex-Yougoslavie, qui m’a conduit en Bosnie, à Sarajevo. L’objectif de ce voyage était un peu étrange, si j’y songe. Mon premier roman étant autobiographique, j’avais envie de rompre avec le nombrilisme, de parler de politique, de géopolitique, du monde ; aussi, j’ai voyagé en ex-Yougoslavie… à la recherche d’une histoire que je pourrais raconter dans mon deuxième roman. Ce n’était vraiment pas facile, parce que je ne parle pas le serbo-croate, et dans l’ère post-traumatique qui s’est ouverte après la guerre, les Slovènes, les Croates, les Bosniaques n’éprouvaient aucune envie de se confier. Les infrastructures touristiques n’avaient pas réouvert, les étrangers étaient accueillis avec défiance, voire avec une hostilité larvée.

“Venus d’Italie, des touristes tiraient sur les civils avec des fusils à lunette, pour le plaisir”

 

Mais à Sarajevo, alors que j’étais hébergé par hasard au siège d’une ONG française, j’ai entendu parler d’une affaire abominable, qui fournissait en même temps un sujet de roman potentiel : durant le siège [de 1992 à 1996], m’ont dit les responsables de la mission humanitaire, de riches Occidentaux payaient une fortune pour être conduits, depuis l’Italie en passant par Trieste, dans une zone centrale de Sarajevo – proche du Novotel en ruines – qu’on appelait la « Sniper Alley ». Là, ces riches Occidentaux, souvent recrutés dans des clubs d’amateurs d’armes à feu, tiraient sur les civils avec des fusils à lunette, et ils le faisaient pour le plaisir. Ils étaient infiltrés sur le territoire par des réseaux qui s’étaient tissés entre la mafia italienne et les assiégeants serbes de la ville, qui en profitaient pour sous-traiter l’entretien d’un climat de terreur et la pression sur la population. Cette discussion, la description assez précise de ces « safaris humains », j’ai essayé d’en faire un roman à l’époque, mais n’y suis pas parvenu. J’ai trouvé extrêmement difficile de me mettre dans la peau de l’un de ces riches tueurs de sang-froid, c’était nauséeux, glauque, et j’ai abandonné. Mais je rapporte toute la discussion et mes impressions d’alors dans mon roman Devenir écrivain (décidément, l’autobiographie me poursuit !) qui vient de paraître en cette rentrée.

Sur le crime par divertissement

En rapportant cette scène dans mon roman, faisant écho à des conversations vieilles d’il y a presque trente ans, j’hésitais, je me demandais un peu si j’avais affabulé… Et voilà qu’une série d’articles parus dans la presse italienne et française vient d’apporter la confirmation de cette macabre histoire. Je n’avais donc pas rêvé, et mes hôtes à Sarajevo n’avaient rien imaginé, leurs dires étaient précis. Le procureur du parquet de Milan Alessandro Gobbis a ouvert au début de ce mois de novembre 2025 une enquête pour « homicides volontaires aggravés par la cruauté », portant sur ces faits déjà anciens. La presse italienne parle de « tueurs d’élites du dimanche », pour désigner ces hommes nantis qui payaient entre 80 000 et 100 000 euros le week-end pour aller tuer en zone de guerre, mais en toute sécurité. Les tarifs étaient même différenciés selon les cibles qu’ils abattaient, un peu comme dans les véritables safaris. Les chiffres sont accablants : entre 1992 et 1996, plus de 11 500 civils ont été tués à Sarajevo, même s’ils ne sont pas tous morts sur la Sniper Alley. Selon le journaliste d’investigation italien Ezio Gavazzeni, qui est à l’origine de la plainte contre X qui a permis de rouvrir l’enquête, aux côtés de l’ancienne maire de Sarajevo Benjamina Karić, le nombre des tueurs serait supérieur à cent. Parmi eux figure un médecin qui dirigeait une clinique de chirurgie esthétique à Milan. Ce qui laisse songeur. Dans un roman, je ne suis pas certain qu’un tel personnage serait jugé crédible.

“Dans un roman, je ne suis pas certain qu’un tel personnage serait jugé crédible”

 

Dans la tradition littéraire, il existe une figure assez théorique, car éloignée de la réalité ordinaire des homicides : celle du « crime gratuit ». Le Raskolnikov de Fiodor Dostoïevski dans Crime et Châtiment (1866), le Lafcadio d’André Gide dans Les Caves du Vatican (1914) tuent ainsi par provocation métaphysique, comme si c’était un geste esthétique, une sorte de manifestation de leur génie ou de leur supériorité intellectuelle. Mais les snipers de Sarajevo correspondent à une autre catégorie, qui serait plutôt celle du « crime par divertissement ». Comme si, lorsqu’on est riche et blasé, qu’on ne manque de rien, l’homicide pouvait être l’ultime stimulant, le dernier luxe – et qu’il était devenu possible de se l’offrir. Lorsqu’on est un touriste en terre étrangère et qu’on a un pouvoir d’achat élevé, on se sent bénéficier d’une espèce d’immunité, comme si on n’était pas vraiment concerné par les lois ni par les gens du pays où l’on ne fait que passer. Cette légèreté permet d’adopter des comportements parfois outranciers qu’on n’oserait pas avoir chez soi, parce qu’on craindrait pour sa réputation, sa respectabilité. De ce point de vue-là, le tourisme est moralement ambigu. Et peut-être que tout au bout de la désinhibition qu’il encourage, se dresse la figure du tueur par divertissement, comme une sinistre mise en garde. Mais un bon roman ne parle-t-il pas de lui-même, faut-il vraiment lui ajouter une moralité ?

décembre 2025
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11.12.2025 à 06:00

Par-delà les polémiques, partez à la découverte des “Universels du Louvre” avec Souleymane Bachir Diagne

nfoiry

Par-delà les polémiques, partez à la découverte des “Universels du Louvre” avec Souleymane Bachir Diagne nfoiry jeu 11/12/2025 - 06:00

Vol spectaculaire, failles de sécurité, inondations… Les polémiques s'accumulent autour du Louvre. Pourtant, dans son nouveau livre Les Universels du Louvre, le philosophe Souleymane Bachir Diagne s'enthousiasme pour ce musée-monde à l'heure de l'inauguration de la Galerie des Cinq Continents consacrée à la rencontre des arts et des civilisations du monde. Dans notre nouveau numéro, Martin Legros vous présente cet essai aussi stimulant qu'argumenté.

décembre 2025
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10.12.2025 à 17:07

La “main invisible” chez Adam Smith, c’est quoi ?

hschlegel

La “main invisible” chez Adam Smith, c’est quoi ? hschlegel mer 10/12/2025 - 17:07

Expression attachée à la pensée d’Adam Smith, représentant majeur de l’Écosse des Lumières, la « main invisible » est un concept central pour le libéralisme économique : elle désigne la capacité du marché à s’autoréguler. Mais cette formule n’avait-elle pour son auteur qu’une portée économique ? Nicolas Tenaillon, professeur de philosophie, nous prend par la main.

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Un usage théologique et moral

C’est dans son Histoire de l’astronomie (écrite vers 1750, publiée en 1795) qu’Adam Smith utilise pour la première fois l’image de la main invisible. L’invention du concept physique de force et la découverte de la gravitation par Newton permettent d’expliquer l’action à distance qui régit l’ordre du ciel tout en conservant la croyance en un Dieu ordonnateur (Newton dit dans son Optique de 1704 que les forces sont les « sens de Dieu » par lesquels il connaît et régit l’Univers). Aussi, lorsque Smith parle de « la main invisible de Jupiter », c’est pour affirmer qu’une loi providentielle donne à l’Univers son équilibre et son harmonie. On en déduit que l’utilisation de cette image en économie est pour lui à la fois descriptive et positive : l’équilibre spontané du marché est une loi bénéfique.

“Pour Adam Smith, l’équilibre spontané du marché est une loi bénéfique”

 

Mais ce premier usage de la main invisible se complexifie lorsque Smith en reprend l’image dans sa Théorie des sentiments moraux (1759). Elle désigne alors la manière dont les passions et les intérêts personnels (l’amour du luxe, le désir de distinction…) produisent des effets positifs. Lorsque Smith écrit que « le riche ne recherche que sa propre commodité, mais [qu’]il est conduit par une main invisible à faire presque la même distribution des choses nécessaires à la vie que celle qu’aurait faite la main d’un être bienveillant » (IV, 1), il conserve l’idée de providence mais la rend plus sophistiquée et dialectique. C’est en ne cherchant que leur intérêt que, paradoxalement, les hommes concourent à l’harmonie sociale. Est-ce à dire que l’égoïsme, vice moral, est pour Smith une vertu sociale qui s’ignore ?

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Une économie bien fondée ? 

L’affirmer reviendrait à confondre la pensée de Smith avec celle, résolument cynique, de Bernard Mandeville, lequel soutient dans La Fable des abeilles (1714) que « sans les vices, aucune société civilisée ne pourrait subsister ». Comparant la société à une ruche et les individus à des abeilles, Mandeville croit en effet que « les vices des particuliers contribuent à la félicité publique » parce que lorsque les abeilles deviennent vertueuses et honnêtes, la ruche s’appauvrit et finit par péricliter. Or Smith ne voit là qu’une confusion entre vice privé et intérêt personnel bien compris : « Mandeville confond les passions qui sont utiles à la société avec celles qui lui sont pernicieuses » (Théorie des sentiments moraux, VII, II, 4). Pour Smith, le désir de reconnaissance ou de richesse n’est pas un vice en soi – il devient bénéfique quand il reste encadré par la sympathie morale et le jugement du « spectateur impartial », fiction qui permet à chacun de se juger et de tempérer son égoïsme. Autrement dit, l’intérêt individuel ne corrompt pas la fin morale qui préside à l’existence de la société : la visée du bien commun.

“Le désir de reconnaissance ou de richesse n’est pas un vice en soi. Il devient bénéfique… sous certaines conditions”

 

Dès lors, aux yeux de Smith, l’image de la main invisible peut être transposée au domaine économique sans qu’il faille craindre qu’elle justifie l’oubli d’autrui. Car le marché ne remplace pas le jugement moral : il le suppose. On le voit bien dans le cas du patriotisme économique qui modère le libre-échangisme et renforce, indirectement, les solidarités :

“En préférant le succès de l’industrie nationale à celui de l’industrie étrangère, chaque individu ne pense qu’à se donner personnellement une plus grande sûreté ; et en cela, comme en beaucoup d’autres cas, il est conduit par une main invisible à remplir une fin qui n’entre nullement dans ses intentions”

Adam Smith, Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, IV, II (1776)

La phrase devenue fameuse « Ce n’est pas de la bienveillance du boucher, du brasseur ou du boulanger que nous attendons notre dîner, mais du soin qu’ils apportent à leurs propres intérêts » (I, II) doit ainsi se comprendre comme une marque de confiance dans la main invisible qui évalue, mieux que n’importe quel agent moral particulier, le juste prix des biens en le régulant spontanément selon la loi concurrentielle de l’offre et de la demande.

Un contrôle nécessaire

Mais est-ce toujours le cas ? Smith avait bien vu que laissé à lui-même, le marché tend à favoriser les plus riches. En effet, la main invisible produit la richesse mais non l’équité. S’il défend le libéralisme, le philosophe reconnaît donc qu’un jugement public éclairé doit corriger les déséquilibres créés par le marché : « L’État doit entreprendre des travaux et des institutions publiques que l’intérêt d’un individu ou d’une petite société ne porterait pas à exécuter » (V, I). Mais cet interventionnisme étatique, nécessaire pour la sécurité, l’éducation, la santé ou l’aménagement du territoire doit lui-même être modéré pour que la main invisible du marché ne soit pas menottée par des intérêts politiques (comme le monopole d’État). C’est du juste équilibre entre interventionnisme et individualisme que dépend la « richesse des nations » – titre de son célèbre ouvrage d’économie.

“La main invisible produit la richesse, mais non l’équité”

 

Image héritée de la théologie et de la physique, appliquée à la morale puis à l’économie, la main invisible de Smith est depuis plus de deux siècles au cœur des débats sur les bienfaits du libéralisme économique. Encensée durant la guerre froide par les ultra-libéraux comme Hayek, prix Nobel d’économie 1974, elle est aujourd’hui souvent décriée. Barack Obama pensait que « la main invisible du marché ne va pas réparer la main verte de l’environnement » parce que le libre marché ignore l’urgence écologique. Tandis que Joseph Stiglitz, prix Nobel d’économie en 2001, estime plus radicalement que l’accès à l’information étant inégale entre les acteurs du marché, la main invisible est invisible « parce qu’elle n’existe pas ».

décembre 2025
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10.12.2025 à 14:51

Christian Arnsperger : non, le capitalisme n’a pas d’éthique

hschlegel

Christian Arnsperger : non, le capitalisme n’a pas d’éthique hschlegel mer 10/12/2025 - 14:51

Dans notre nouveau hors-série « Petit traité des vices à l’usage des honnêtes gens », l’économiste Christian Arnsperger démonte l’argumentaire du sociologue Max Weber selon lequel le capitalisme serait fondé sur une éthique protestante faite d’économie et de sobriété.

décembre 2025
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10.12.2025 à 11:55

Quand Trump se prend pour Atlas... L’éclairage de Pierre Judet de La Combe

hschlegel

Quand Trump se prend pour Atlas... L’éclairage de Pierre Judet de La Combe hschlegel mer 10/12/2025 - 11:55

Dans le document définissant la stratégie américaine, récemment publié, une phrase a marqué les esprits : “L’époque où les États-Unis soutenaient à eux seuls l’ordre mondial, comme Atlas, est terminée.” Que révèle cette référence tirée de la mythologie grecque ? L’helléniste Pierre Judet de La Combe, qui vient de publier le second tome de Quand les dieux rodaient sur la Terre, nous explique tout. 

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Porter le ciel, comme le faisait le géant Atlas, était-ce un devoir ou une punition ? 

Pierre Judet de La Combe : Il s’agit bien d’un châtiment. Atlas est le frère de Prométhée, d’Épiméthée et de Ménétios. Tous quatre sont les fils du grand Titan Japet. À ce titre, ils ont participé à la guerre menée par les Titans et leurs alliés contre Zeus et les Olympiens. Cette guerre épouvantable a duré dix ans, comme la guerre de Troie. À la fin, Zeus gagne contre la génération de ses parents. Il devient maître de l’Olympe. Comme il se doit, le vainqueur châtie les vaincus, dont Atlas.

 

Quel était le rôle d’Atlas avant cette défaite et cette punition ?

Atlas est le seigneur du lien et de la limite avec l’infini. Avant cette guerre, il règne sur l’Arcadie, la forêt sauvage, l’océan terrestre, au cœur de la Grèce. Après la défaite, Zeus le place au bord de l’Océan pour porter le Ciel, à la limite d’un infini plus vaste encore. C’est un rôle crucial, sinon le Ciel s’effondrerait sur la Terre, et ni nous, ni les dieux ne pourrions y vivre.

“On pourrait rétorquer à Trump : ‘Qui est votre Zeus ?’, car c’est Zeus qui punit Atlas” Pierre Judet de la Combe

 

Est-ce la première apparition, dans la mythologie grecque, de cet espace entre le Ciel et la Terre ? 

Non, cet espace si nécessaire est apparu une première fois lors de la castration d’Ouranos, le dieu Ciel, par son fils, le Titan Cronos. Ouranos se couchait sur la Terre et refusait que ses enfants en sortent. C’est par la castration que cet espace énorme, ce chaos entre le Ciel et la Terre, a été créé. Mais il a fallu que cet espace ancien soit ensuite validé et recréé par Zeus à sa manière. La victoire contre les Titans suivie du châtiment d’Atlas, mis au bord du monde pour porter le Ciel, assure cette séparation de manière permanente et, pourrait-on dire, légale. Ce châtiment est imposé par Zeus, qui est le dieu de la limite et de l’ordre, contre ces dieux du désordre que sont les Titans. La mythologie transforme donc un événement « naturel » (pour que les enfants naissent, il faut que le Ciel n’étouffe pas la Terre) en un ordre imposé. C’est ce que fait Zeus en imposant une structure où les dieux ont tous des fonctions précises.

 

Atlas se trouve alors, un peu comme les États-Unis par rapport à l’Europe, aux confins du monde connu...

Il est au bord du monde, de l’Océan, du pays des Morts et du pays des Rêves. Il est au bord du couchant, de tout ce qui est sombre. C’est pour cela qu’il est le père de la nymphe Calypso, dont le nom signifie « celle qui cache ». Il est aussi celui qui garde le jardin des Hespérides, les « filles du soir », qui sont les filles de la Nuit. Elles ont un jardin avec les fameuses pommes d’or qui apportent des doses d’immortalité aux dieux de l’Olympe. On raconte aussi qu’Atlas est le père des Pléiades, ces colombes qui portent régulièrement des doses d’ambroisie, c’est-à-dire d’immortalité, aux dieux. Pour les Grecs, le Jour est enfant de la Nuit. Il faut d’abord le confus pour avoir ensuite le déterminé, l’ordre, la lumière. Atlas est par conséquent le dieu qui établit la limite entre le fini et l’infini. Et cet infini est à la fois la mort et l’immortalité.

“Si les États-Unis refusent de supporter le monde, nous allons peut-être enfin construire un monde avec plusieurs Atlas” Pierre Judet de la Combe

 

Le titre du best-seller de la philosophe libertarienne Ayn Rand (traduit en français par La Grève) est Atlas Shrugged : “Et Atlas haussa les épaules”. Est-ce qu’est en train de faire Donald Trump ? 

Atlas qui hausse les épaules, cela signifie qu’il fait tomber le Ciel. Pour tenir le Ciel, il faut une force surhumaine. L’équivalent intellectuel d’Atlas, c’est Prométhée. Atlas, c’est l’identité, il reste figé, toujours pareil – un peu une brute. Prométhée, c’est la vivacité, l’intelligence, la prévision, la non-identité absolue. Or Zeus a besoin des deux : d’Atlas pour la cosmologie, pour que le monde tienne ; et de Prométhée pour qu’il y ait de l’histoire, pour que les mortels vivent et que les dieux soient impliqués dans le devenir. C’est très structural. On pourrait alors rétorquer à Trump : « Qui est votre Zeus ? », car c’est Zeus qui punit Atlas. Dans la logique trumpienne, il se met donc à la place de Zeus. Sauf que Zeus est un être rationnel. Il veille sur la loi, la règle de l’Olympe et celui de la cité. Pour qu’il existe un monde à régir et à partager, il a donc tout de même besoin d’un Atlas qui porte le Ciel.

 

Que se passera-t-il si les États-Unis refusent de supporter le monde ?

C’est problématique. Mais peut-être que nous allons enfin pouvoir construire un monde avec plusieurs Atlas. Pour répondre à l’apostrophe trumpienne, c’est donc à nous d’imaginer un monde pluriel, soutenu par plusieurs Atlas. Mais aussi de fabriquer un nouveau garant de la raison et de l’ordre : un nouveau Zeus.

 

Quand les dieux rodaient sur la Terre, compilation des chroniques radiophoniques de Pierre Judet de la Combe consacrées à la mythologie gréco-romaine, est paru en deux volumes aux Éditions France Inter / Albin Michel / Les Belles Lettres. Premier tome disponible ici, second tome là.

décembre 2025
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10.12.2025 à 06:00

Israël, Russie, Iran… La culture doit-elle être soumise au boycott ? La chronique de Michel Eltchaninoff

nfoiry

Israël, Russie, Iran… La culture doit-elle être soumise au boycott ? La chronique de Michel Eltchaninoff nfoiry mer 10/12/2025 - 06:00

Alors que l’Espagne, les Pays-Bas, l’Irlande et la Slovénie ont annoncé boycotter la prochaine édition du concours de l’Eurovision en cas de participation d’Israël, Michel Eltchaninoff se demande quels sont les principes qui guident la logique de boycott quand il est question de culture. Dans notre nouveau numéro, il présente des pistes pour démêler l’écheveau. 

décembre 2025
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09.12.2025 à 21:00

Les artistes devraient-ils arrêter d’aller chez le psy ?

hschlegel

Les artistes devraient-ils arrêter d’aller chez le psy ? hschlegel mar 09/12/2025 - 21:00

« Depuis quelque temps, j’éprouve un sentiment étrange, lorsque je suis au cinéma ou que j’ouvre un roman. Bien souvent, c’est comme si je ne faisais pas la rencontre d’une œuvre, profonde et singulière, mais d’un discours de l’artiste sur lui ou elle-même : une thérapie en direct.

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Atelier ou divan ?

J’ai eu cette petite révélation la semaine dernière. J’écoutais le podcast littéraire de Frédéric Beigbeder, Conversations chez Lapérouse, que j’aime bien. L’écrivain Jean-Christophe Grangé nous racontait sa vie, qu’il expose plus en détail dans son nouveau livre, Je suis né du diable (Albin Michel, 2025). Dans ce récit autobiographique, il dresse le portrait de son père, homme terrifiant ayant martyrisé femme et enfant. L’auteur des Rivières pourpres voit dans ce passé violent la source secrète de son inspiration – ses livres narrent bien souvent des histoires sordides. “Ce qui m’intéressait, dit-il au micro, c’était de raconter ma naissance et, sans doute, les traumatismes que j’ai ressentis sans m’en souvenir aujourd’hui, inconsciemment, et qui sont déversés dans tous mes livres. J’ai dû me tourner vers mon enfance. Il y avait cette zone d’ombre que j’ai creusée.”

Cette phrase m’a interpellée : “J’ai dû me tourner vers mon enfance.” J’y ai décelé, à mots couverts, l’idée d’un travail psychanalytique de longue haleine. Jean-Christophe Grangé n’est vraisemblablement pas le seul à entreprendre cette démarche et à en tirer des enseignements quant à son art. À vrai dire, il me semble que de plus en plus d’artistes dressent des ponts entre leur cabinet de psy et leur création. Traumatismes d’enfance, énigme de la naissance désirée ou non, relation difficile avec le père, héritage familial complexe, etc. Si la rentrée littéraire s’est autant intéressée à la figure de la mère, cela ne me semble pas un hasard. À une époque qui fait son examen de conscience, chacun est aussi tenté de le faire en privé, espérant trouver, au sortir des séances d’analyse, l’indice qui pourrait tout remettre en ordre : et sa vie, et le monde.

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En (art-)thérapie

Le sujet est délicat. Si les personnes consultent un psy, c’est en général qu’elles vont mal et cherchent de l’aide, ou qu’elles sollicitent tellement leur entourage en temps normal qu’elles finissent par consulter quelqu’un (à titre personnel, pas de jaloux – je m’identifie aux deux !). Les artistes ne sont ni des héros, ni des martyrs. Ils ont le droit à la santé mentale comme tout le monde. Difficile de reprocher à une personne qui nous passionne, que l’on admire et qui nous embellit notre vie, d’être allée prendre soin d’elle. Mais il arrive que la thérapie sorte de la conversation à deux et s’invite un peu trop dans l’œuvre. On se retrouve alors non plus face à un objet d’art de facture singulière, mais face à ce qui ressemble à un discours. Le discours du : “Comment je suis devenu comme ça.”

Ce discours est rarement littéral et constant. Il transparaît, comme par effraction, au sein d’un écrit ou d’une image. Je ne peux parler que de mon ressenti, forcément partial (et peut-être injuste), mais il me semble que c’est par exemple ce qui arrive au cinéaste Arnaud Desplechin, dont l’œuvre est nimbée de psychanalyse. Plus le temps passe, plus ses films m’évoquent des jeux de piste menant vers un Moi digéré, de manière informative, et plus ils perdent en qualité. J’ai aussi eu ce sentiment, plus atténué, en sortant de Vie privée, de Rebecca Zlotowski, sorti fin novembre. La seule partie vraiment réussie du film ne concerne pas la protagoniste, une psychanalyste incarnée par Jodie Foster dont on devine que la réalisatrice se sent proche, mais tout ce qui concerne plutôt sa nemesis (Sophie Guillemin), spécialiste en thérapie comportementale et cognitive qui la guérit d’un symptôme, sans y passer des années – la résolution du film est à ce titre très décevante.

Exigeons la création !

De quoi l’art est-il fait ? Du point de vue de la réception, l’art ne saurait se réduire à l’ingestion d’un récit de soi. Non pas que le narcissisme soit condamnable en tant que tel : heureusement que les artistes parlent d’eux, et à partir d’eux ! Mais l’art reste avant tout création de forme. Il gagne à s’ériger contre les chaînes de causalité évidentes. Il honnit les conclusions. L’art vise à faire ressentir le monde à travers une subjectivité qui nous fait défaut à nous, public. C’est en tout cas comme cela que Deleuze et Guattari le définissent :

“La fabulation créatrice n’a rien à voir avec un souvenir même amplifié, ni un fantasme. En fait, l’artiste déborde les états perceptifs et les passages affectifs du vécu. C’est un voyant, un devenant. Comment raconterait-il ce qui lui est arrivé, ou ce qu’il imagine, puisqu’il est une ombre ?”

Gilles Deleuze, Félix Guattari, Qu’est-ce que la philosophie ? (1991)

J’entends cette définition comme un double appel. D’un côté, que le style nous transmette ces “percepts” dont nos vies seront enrichies. De l’autre, que l’artiste reste en mesure de penser contre lui-même et demeure ouvert à l’indétermination. Deleuze et Guattari insistent : “Ce qui définit les trois grandes formes de la pensée, l’art, la science et la philosophie, c’est toujours affronter le chaos.” Et de citer Chrétien de Troyes, Madame de La Fayette ou Samuel Beckett comme exemples d’écrivains qui ont su “inventer des affects inconnus ou méconnus”. Certes, tout le monde ne peut devenir Madame de La Fayette. Mais il paraît intéressant de garder en tête cette idée d’ouverture à l’inconnu, de sensation communiquée à l’état brut. Si je dois comprendre, en tant que lectrice ou spectatrice, “pourquoi je suis devenue comme ça”, j’ai déjà quelqu’un pour en parler. »

décembre 2025
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