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La Lettre de Philosophie Magazine

▸ les 10 dernières parutions

25.11.2025 à 12:00

Un sage contre la machine : Bergson face à la mécanique de l’intelligence artificielle

nfoiry

Un sage contre la machine : Bergson face à la mécanique de l’intelligence artificielle nfoiry mar 25/11/2025 - 12:00

À l'heure de l'enthousiasme généralisé pour les intelligences artificielles, il n'est sans doute pas inutile de se replonger dans l'œuvre du philosophe Henri Bergson qui, il y a près d’un siècle, pointait déjà les limites du technicisme béat. Une démonstration salutaire à retrouver dans le nouveau numéro spécial de nos confrères de Philonomist.

novembre 2025
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25.11.2025 à 06:00

“Est-ce qu'on peut être méchant sans le vouloir ?” Les enfants répondent

nfoiry

“Est-ce qu'on peut être méchant sans le vouloir ?” Les enfants répondent nfoiry mar 25/11/2025 - 06:00

« Parfois on fait une blague pour faire rire, mais on blesse quelqu’un. » Est-on méchant pour autant ? Dans notre nouveau numéro, nous vous proposons de découvrir les réponses surprenantes et profondes d'enfants à ces questions. Puis, Chiara Pastorini, spécialiste de philosophie avec les enfants, vous donne les clés pour aborder le sujet avec eux. 

novembre 2025
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24.11.2025 à 21:00

Menace d’une guerre en Europe : “Le spectre de la défaite anticipée fait son retour”

hschlegel

Menace d’une guerre en Europe : “Le spectre de la défaite anticipée fait son retour” hschlegel lun 24/11/2025 - 21:00

« Alors que Trump et Poutine s’apprêtent à sceller le sort de l’Ukraine – et demain peut-être de l’Europe – par-dessus le dos des intéressés, ici même, dans le confort de la paix et de la sécurité, certains refusent l’idée que nous devrions nous préparer à défendre nos frontières et nos libertés, au prix de la vie. Oubliant ainsi la grande leçon qu’un Marc Bloch ou un Merleau-Ponty avaient tirée au lendemain de la Seconde Guerre mondiale.

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“Nous ne sommes pas prêts”

“Ce qu’il nous manque c’est la force d’âme pour accepter de nous faire mal pour protéger ce que l’on est. Si notre pays flanche parce qu’il n’est pas prêt à accepter de perdre ses enfants, de souffrir économiquement, parce que les priorités iront à de la production défense, alors on est en risque.” Sans doute maladroit (le terme “d’enfant” dans le vocabulaire militaire désigne les soldats et non les mineurs, pensons à l’entame de La Marseillaise !), l’avertissement lancé par le chef d’état-major des armées Fabien Mandon, lors du congrès des maires de France la semaine dernière, était destiné à alerter sur la menace d’une attaque russe contre l’Europe et la nécessité de se préparer à un tel affrontement.

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Les réactions : un étrange renoncement anticipé

Tombés quelques jours avant l’annonce du plan en forme de capitulation de Donald Trump pour l’Ukraine, ces propos ont provoqué une vague de réactions… négatives. Depuis Jean-Luc Mélenchon faisant part de son “désaccord total” vis-à-vis de “préparations guerrières décidées par personne” jusqu’au RN, où l’on dénonçait une “faute”, en passant par Philippe De Villiers, qui faisait part de sa “honte” et appelait à “se concentrer sur la France, ses frontières et sa souveraineté” où “nos enfants se font déjà tuer dans nos banlieues”… Même la porte-parole du gouvernement, Maud Bregeon, a cru utile de recadrer Fabien Mandon, rappelant que la France dispose d’une armée de métier et qu’en conséquence, “nos enfants, au sens où on l’entend, ne vont pas aller combattre et mourir en Ukraine”. Autrement dit : ne vous projetez pas dans la possibilité de la guerre, elle concerne les Ukrainiens en Ukraine, et si affrontement il devait y avoir sur le sol européen et même français, il ne concernerait que nos soldats… qui ne sont pas nos enfants. Étrange renoncement anticipé, me suis-je dit, en entendant ces réactions en chaîne et alors que l’on découvrait l’ampleur des concessions que Donald Trump s’apprête à faire à Vladimir Poutine avec son plan de paix en 28 points (mais qui est, apparemment, quand même en cours de réécriture) et la pression qu’il exerce sur les Ukrainiens et les Européens pour qu’ils battent en retraite. Et si la défaite, que le chef d’état-major des armées redoute pour l’avenir, avait en réalité déjà eu lieu ?

Entre aveuglement et mémoire courte ?

“Nous avions secrètement résolu d’ignorer la violence et le malheur comme éléments de l’histoire, parce que nous vivions dans un pays trop heureux et trop faible pour les envisager.” Voilà le constat que faisait Maurice Merleau-Ponty en juin 1945 dans l’éditorial du premier numéro des Temps modernes, la revue qu’il fondait alors avec Sartre et Beauvoir, au nom de la responsabilité retrouvée. Intitulé “La guerre a eu lieu”, ce texte revient sur les illusions pacifistes dont s’étaient bercés une majorité de Français et d’intellectuels qui n’avaient pas voulu voir venir l’hitlérisme et la guerre à la fin des années 30. “Nous habitions un certain lieu de paix, d’expérience et de liberté, formé par une réunion de circonstances exceptionnelles, et nous ne savions pas que ce fut là un sol à défendre, nous pensions que c’était le lot naturel des hommes… Habitués depuis notre enfance à manier la liberté et à vivre une vie personnelle, comment aurions-nous su que c’étaient là des acquisitions difficiles, comment aurions-nous appris à engager notre liberté pour la conserver ? Nous étions des consciences nues en face du monde. Comment aurions-nous su que cet individualisme et cet universalisme avaient leur place sur la carte ?” Et Merleau-Ponty d’inviter à tirer des cinq années de guerre et d’occupation plus qu’une piqûre de rappel réaliste, une leçon philosophique : “On n’est pas libre seul.”

Une défaite avant tout intellectuelle

En 1946, quelques mois après l’éditorial de Merleau-Ponty, paraissait à titre posthume L’Étrange Défaite, le testament de l’historien-résistant Marc Bloch, torturé et fusillé par la Gestapo en juin 44 après s’être engagé dans la résistance et avoir combattu dans la drôle de guerre. Dans ce “procès-verbal de l’an 40”, rédigé entre juillet et septembre de la même année, Bloch prend acte, lui aussi, du renoncement à combattre qui a précédé la capitulation française. C’est selon lui la cause première, intellectuelle et morale, et pas seulement politique et militaire, du désastre. “Le triomphe des Allemands fut, essentiellement, une victoire intellectuelle et c’est peut-être là ce qu’il y a eu en lui de plus grave.” Ou encore : “Ce fut la marée montante d’un désespoir qui, au lieu d’aiguillonner à l’action, semblait chercher son refuge dans une sorte de paresse somnolente.” Un découragement collectif et pas seulement une carence de ressources : “Au fond de leur cœur, ils étaient prêts, d’avance, à désespérer du pays même qu’ils avaient à défendre et du peuple qui leur fournissait leurs soldats.” Et d’enfoncer le clou : “Quelque chose a manqué de l’implacable héroïsme de la patrie en danger.” Pour Merleau-Ponty, c’est la croyance naïve et dangereuse que la liberté et la paix sont des acquis universels et non “un sol à défendre” qui a précipité la défaite. Pour Bloch, c’est, outre la fragmentation de la société en classes antagonistes, une forme de désespérance collective. En entendant la sortie du chef d’état-major Fabien Mandon et le rejet quasi unanime dont elle a fait l’objet, alors que la guerre en Europe menace, j’ai eu le sentiment que le spectre de la défaite anticipée faisait lui aussi retour. »

novembre 2025
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24.11.2025 à 17:00

La liberté académique : un combat urgent à mener, mais comment ?

hschlegel

La liberté académique : un combat urgent à mener, mais comment ? hschlegel lun 24/11/2025 - 17:00

La guerre des idées continue de faire rage au sein des universités, plus fracturées politiquement que jamais. Entre dénonciations militantes, accusations de politiquement correct, censures réelles et annulations d’événements, le milieu universitaire semble être devenu une foire d’empoigne… au point où l’État français s’en mêle. Avec pour principale victime : la liberté académique ?

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Israël-Palestine : un conflit polarisant jusqu’à l’ingérence ?

Le 9 novembre, une secousse du conflit israélo-palestinien a ébranlé le monde académique. Organisé par le Collège de France, un colloque sur la Palestine a été annulé, puis reprogrammé ailleurs. Spécifiant à l’Agence France-Presse ne pas avoir « demandé l’annulation », le ministre de l’Enseignement supérieur Philippe Baptiste a qualifié cette décision de « responsable » sur le réseau social X. Dans une tribune, un collectif de professeurs du Collège de France rappelle que la liberté académique « protège un bien, non seulement public, mais aussi commun ».

“La liberté académique protège un bien, non seulement public, mais aussi commun” Tribune de membres du Collège de France

 

Loin d’être le privilège corporatiste d’une caste universitaire, la liberté académique rend possible, via la déontologie scientifique, la constitution de savoirs communs, essentielle pour la bonne tenue du débat démocratique. Coïncidence des polémiques, le 15 octobre dernier, Stéphanie Balme, directrice du Centre de recherches internationales à Sciences Po, remet un rapport pointant les menaces qui pèsent sur cette liberté. Au premier chef, sa définition floue et la quasi-absence de protections juridiques. Dans une note de 1810, le philosophe Wilhelm von Humboldt établit le premier que « l’indépendance et la liberté sont les principes » d’universités autonomes au sein desquelles des enseignants-chercheurs exercent leur profession à l’aide d’un triptyque de trois libertés (d’enseignement, de la recherche et d’expression). Les ingérences du politique ou du religieux risquent en effet d’entacher la recherche de la « science dans sa pureté ».

La nécessaire indépendance des institutions vis-à-vis du politique

Justement : les interventions politiques extérieures se multiplient, pointe le rapport. Un exemple parmi d’autres, en 2022, Laurent Wauquiez a ainsi conditionné les subventions aux universités de la région Auvergne-Rhône-Alpes à la signature préalable, de la part des institutions, d’une « Charte républicaine ».  

“La liberté académique est mal définie et n’est quasiment pas protégée juridiquement”

Face à cette « forme de maccarthysme contemporain 2.0 », le rapport préconise un panel d’actions visant à défendre cette liberté : sa constitutionnalisation pour le volet juridique, mais aussi la promotion d’une « véritable culture de la liberté académique » auprès du grand public. Reste ouverte la question de sa délimitation. À l’heure des coupes budgétaires, quid du financement privé de la recherche ? Ne risque-t-il pas d’exposer les chercheurs à des pressions venant des entreprises ?

novembre 2025
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24.11.2025 à 12:55

Valentin Husson : “Le vice commence avec la gourmandise”

hschlegel

Valentin Husson : “Le vice commence avec la gourmandise” hschlegel lun 24/11/2025 - 12:55

Cette semaine, Philosophie magazine est partenaire de l’émission Avec philosophie sur France Culture, pour une série en quatre volets sur les vices, en lien avec notre nouveau hors-série : « Petit traité des vices à l’usage des honnêtes gens ». Premier épisode : la gourmandise, avec le philosophe Valentin Husson, qui participe aussi au numéro.

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Dans le hors-série de Philosophie magazine « Petit traité des vices à l’usage des honnêtes gens », Valentin Husson, auteur de L’Art des vivres. Une philosophie du goût (PUF, 2023), participe à un repas pantagruélique avec notre journaliste Clara Degiovanni. C’est fort de ce rapport allègre à la vie qu’il évoque la gourmandise au micro de Géraldine Muhlmann : « Le vice commence avec la gourmandise », souligne le philosophe, qui rappelle que le péché originel, dans la religion chrétienne, commence avec le fait de croquer un fruit.

Cette association originelle entre le vice et la gourmandise témoigne plus généralement d’un rapport intime entre ripaille et sociabilité. « Même si les monothéismes condamnent les péchés de la chair, une place fondamentale est accordée au repas, à la gourmandise, note Valentin Husson. Même nos traditions en apparence les plus ascétiques cultivent un rapport à la bonne chère, à la convivialité. » La convivialité, qui veut dire « le fait de vivre avec », passe d’abord par la nourriture. Conclusion : « Notre rapport d’emblée à l’existence est donc aussi, fait de sensualité. » 

 

Écoutez l’émission en intégralité sur le site de France Culture et retrouvez notre hors-série en commande sur notre boutique !

novembre 2025
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24.11.2025 à 06:00

“Qu'est-ce que la philosophie ?” Une lumière dans la nuit, répond Jean-Baptiste Brenet dans son nouveau livre !

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“Qu'est-ce que la philosophie ?” Une lumière dans la nuit, répond Jean-Baptiste Brenet dans son nouveau livre ! nfoiry lun 24/11/2025 - 06:00

Un ouvrage intitulé Qu’est-ce que la philosophie ? On imagine a priori une lecture un brin scolaire. Pourtant, Jean-Baptiste Brenet signe un essai étonnant en forme d'éloge de la nuit ! Dans notre nouveau numéro, Martin Duru éclaire les enjeux de ce livre.

novembre 2025
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23.11.2025 à 08:00

La folle histoire des vices, de Platon à Freud

hschlegel

La folle histoire des vices, de Platon à Freud hschlegel dim 23/11/2025 - 08:00

La lutte contre les « dérèglements » et les « péchés » a été la grande affaire de la philosophie morale. Jusqu’à ce que, dans la modernité, certains d’entre eux soient traités de perversion… ou carrément exaltés : d’hier à aujourd’hui, et de Platon à Freud en passant par Sade, voici la folle histoire des vices. À retrouver dans notre nouveau hors-série disponible en kiosque, « Petit traité des vices à l’usage des honnêtes gens » !

novembre 2025
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23.11.2025 à 06:00

Perte d'êtres chers, traversée de deuils... Est-ce que la mort des autres dédramatise notre propre mort ?

nfoiry

Perte d'êtres chers, traversée de deuils... Est-ce que la mort des autres dédramatise notre propre mort ? nfoiry dim 23/11/2025 - 06:00

Avoir perdu des êtres chers, traversé des deuils,  est-ce que cela dédramatise notre propre mort ? Non, répond le philosophe Martin Heidegger, mais dans notre nouveau numéro, deux romancières contemporaines, la Française Brigitte Giraud et l’Américaine Sigrid Nunez, proposent une perspective plus nuancée. 

novembre 2025
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22.11.2025 à 06:00

La fatigue est une maladie ! “Épuisé”, l'essai percutant de Johann Margulies

nfoiry

La fatigue est une maladie ! “Épuisé”, l'essai percutant de Johann Margulies nfoiry sam 22/11/2025 - 06:00

Dans un essai en forme de journal, Johann Margulies, philosophe et ingénieur, relate son expérience de l’encéphalomyélite myalgique. En faisant partager son combat pour nommer et faire reconnaître cette maladie de l’épuisement, il donne des armes à tous ceux qui sont touchés par une souffrance qui les retranche de leurs semblables. Dans notre nouveau numéro, Clara Degiovanni vous présente ce livre de combat.

novembre 2025
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21.11.2025 à 15:13

La haine de l’amour : et si l’on détestait aimer et être aimé ?

hschlegel

La haine de l’amour : et si l’on détestait aimer et être aimé ? hschlegel ven 21/11/2025 - 15:13

Et si l’amour n’était pas que beau et heureux ? Les histoires d’amour finissent mal, en général, on le sait. Mais elles peuvent aussi très mal commencer. L’amour toxique est sur toutes les lèvres, mais nous ne voulons pas l’interroger. Et si l’amour tenait dans un paradoxe que nul veut voir : on n’aime ni aimer ni être aimé ? Un petit essai du philosophe Valentin Husson.

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L’amour n’est pas aimable

On n’aime pas l’amour autant qu’on le croit. Car il nous prend sans qu’on y consente : tomber amoureux est involontaire, et la chute fait parfois mal. Il y a de quoi se détester d’être tombé amoureux du premier connard venu. Et que de dire de l’amour des parents si écrasant ? On suffoque, on n’en peut plus, on aimerait respirer, avoir quartier libre, ne pas avoir quelqu’un sur le dos et qui veut sans cesse notre bien. On n’a pas envie de construire, on veut se détruire, faire nos expériences : d’où la drogue et l’alcool. Plus les parents nous aiment, plus on les déteste, et plus on les déteste, plus on se déteste. La bienveillance est souvent prise comme une surveillance et une malveillance. Et puis, on aime parfois quelqu’un qui ne mérite pas notre amour, on l’aime sans aimer l’amour qu’on lui porte. On aime jusqu’à souffrir de cet amour même, jusqu’à être brisé par lui si d’aventure l’aimé venait à nous quitter. On l’a trop aimé pour ne point le haïr. Plus incompréhensible encore, la haine de soi nous fait fuir ce que l’on a cherché toute une vie. « Je me hais donc je te hais de m’aimer ». On croit ne pas mériter tant d’amour, alors on se barre : on est bien tombé donc on s’en va. L’amour n’est pas aimable. Le philosophe qui enseigne le désir est tué dans la caverne, et le Christ – qui n’est qu’amour – est crucifié. Quand s’intéressera-t-on à ce scandale pour la pensée ? L’amour est plus haï que la haine elle-même. On haime davantage que l’on aime. Et c’est ce que j’aimerais interroger dans cet essai.

“Je n’aimais pas encore, et j’aimais à aimer” Augustin

 

« Je n’aimais pas encore, et j’aimais à aimer » (« ondum amabam et amare amabam »). On connaît tous cette célèbre sentence d’Augustin dans Les Confessions. Cet amour de l’amour constitue notre romantisme occidental. Le séducteur – dont la figure éternelle reste Don Juan – est avant tout un amoureux de l’amour. Il n’aime pas vraiment, mais il aime aimer, et sans doute plus encore, il aime être aimé. Au reste, il n’aime que pour autant qu’on l’aime en retour, qu’on redouble d’amour pour lui. C’est pourquoi on peut douter de sa sincérité. Son amour est amour de soi. Il s’aime plus qu’il n’aime ; il aime s’aimer.

L’amour-haine, un impensé en philosophie

Toutefois, la vérité est peut-être tout autre. Loin de ce film à l’eau de rose avec happy end, l’humanité passe manifestement par un tamis plus fin quant à ses sentiments. Une ambivalence sentimentale la traverse en son cœur : oui, l’humain aime aimer, et il déteste tout aussi bien aimer et être aimé. Oserait-on confesser ce qu’Augustin ne confesse pas dans ses Confessions ? Oserait-on dire ceci : « Je n’aimais pas encore, et je détestais déjà aimer et être aimé » ? Il y a une haine de l’amour inhérente à l’amour lui-même. On haime, dans ce cas-là, autant que l’on aime.

Pourquoi n’a-t-on jamais parlé de cette haine de l’amour qui nous fait fuir dès qu’on le voit pointer le bout de son nez ? La psychanalyse l’a certes évoqué : avec Freud, d’abord, et le lien intime qu’entretient la pulsion de vie et la pulsion de mort, la pulsion d’association et de construction et celle de dissociation et de mort, éternel conflit entre Éros et Thanatos, ou plus encore, entre Éros et Mégère (la déesse de la haine) ; chez Lacan, encore, avec ce qu’il appelle l’hainamoration, à savoir le fait que l’amour est toujours mêlé à la haine. Mais la philosophie ? Jamais ou si peu.

Notre peur panique de l’amour

Pourtant les interrogations sont multiples. Pourquoi – alors même qu’on est bien tombé – part-on les jambes à son cou, ou en sens inverse ? Pourquoi en avoir si peur ? Quel risque constitue l’aventure amoureuse pour être si peu couru ? Car c’est un beau risque que d’aimer, ainsi que nous le disait déjà Platon dans le Lysis (207d). Nous courons après le risque, c’est évident ; mais nous esquivons le plus beau des dangers. On fait aujourd’hui du trail, des marathons, du jogging, des randonnées ; on entreprend un tour du monde avec trois affaires sur le dos ; on va au plus loin de ses capacités physiques ; on s’épuise, on s’éreinte ; on court quotidiennement des kilomètres – mais après quoi ? – ; et la seule chose qui fait tourner ce monde, en nous faisant tourner en bourrique et en rond, la seule chose que l’on cherche désespérément, que l’on espère rencontrer sur le palier d’en face ou à l’autre bout de la terre, eh bien, une fois rencontrée, nous la fuyons avec le même empressement que nous avions à la suivre à la trace. Chose curieuse que de courir après ce que l’on fuit, que de chercher ce que l’on ne veut pas trouver.

“Nous courons après le risque, mais nous esquivons le plus beau des dangers”

 

C’est un scandale pour la pensée que de savoir que l’amour n’est pas tant aimé que haï. Comment se peut-il que ce sentiment, ressenti dès l’enfance, dès le premier contact d’avec la peau de sa mère, ce bien-être absolu qui suspend – au premier abord – toute inquiétude et souffrance, comme ce sentiment peut-il, paradoxalement, être si craint ? Il y a une peur panique de l’amour. Peur panique d’aimer ? Pour un sens, oui ! On y laisserait quelque chose de soi, quelque chose que la littérature dit être la vie. Il est certain que mourir d’aimer peut terrifier. Et que tomber amoureux peut faire mal. On peut s’y briser, s’y laisser tout entier. Toute chute peut déchirer la peau, casser les os, laisser des bleus, faire de notre cœur un écorché vif. Les atomes crochus finissent parfois en hématomes crochus. Aimer et être aimé, c’est être à la merci de l’autre, exposé corps et âme à son sacrifice – celui par lequel il pourrait nous immoler en nous faisant crever, ou celui par lequel je donnerais ma vie sans compter pour lui. Il y a quelque chose de si sacré dans l’amour que le sacrilège qu’il pourrait subir mènerait au sacrifice de soi. Mourir pour l’aimé, c’est mourir pour l’aimer ; c’est aussi – chose plus tragique encore – tuer pour l’aimé, tuer l’amant, le mari encombrant, voire celle ou celui aimé(e) pour emporter cet amour dans l’éternité.

Porter l’altérité

Toute l’œuvre de Levinas pourrait être mobilisée pour comprendre ce caractère pesant de l’amour. Je n’ignore nullement que l’amour chez Levinas ne renvoie non point à Éros mais à Agapé, et qu’il recouvre en cela le nom sévère de la responsabilité pour Autrui, responsabilité infinie qui m’incombe et dont je ne peux me dérober, responsabilité allant jusqu’à nourrir l’autre de mon propre jeûne et à le désaltérer de ma propre soif, allant enfin, radicalité ultime, jusqu’au sacrifice de soi pour sauver la veuve et l’orphelin. Levinas décrit donc la relation éthique d’avec l’autre homme, non sa relation sensuelle. Le rapport érotique est certes décrit dans Totalité et Infini (1961), mais il ne constitue pas le cœur battant de sa philosophie. Néanmoins, on pourrait tout à fait interpréter librement, en prenant nos distances d’avec la lettre, cette éthique comme l’ombre portée de tout amour.

“L’amour investit la liberté : aimer, c’est souffrir que la relation à l’aimé soit contractée à mon corps défendant”

 

Le rapport à l’autre y est décrit à partir du poids d’une altérité que je n’ai pas fondée, et que je dois porter malgré moi. L’engagement y est total et l’autre pèse de toute son existence sur moi et mes épaules. L’amour m’a aimé dès « avant que je ne l’aie aimé », et c’est ainsi qu’il échappe au couple liberté et non-liberté. L’amour investit la liberté : aimer, c’est souffrir que la relation à l’aimé soit contractée à mon corps défendant, malgré moi, comme engagé avant toute décision libre et consciente ; et c’est cela qui est insupportable. Je suis lié à l’aimé sans l’avoir choisi. L’amour m’a choisi, et je dois l’endurer, jusqu’à souffrir sa souffrance.

Torture ou maladie ?

« Rien, en un sens, n’est plus encombrant que le prochain. Ce désiré n’est-il pas l’indésirable même ? » Phrase sublime de Levinas, parce que terrifiante dans sa contradiction apparente. Celui que l’on désire charnellement, celui qu’on a attendu toute sa vie, celui qui nous a débusqué de notre quant-à-soi et de notre égoïsme pour nous ouvrir à l’infini du verbe « aimer », serait l’indésirable par excellence. Un objet encombrant – ou plutôt, ici, un sujet encombrant – dont il faudrait se débarrasser. Un poids lourd ou un poids mort. Aimer ne serait pas aimable. Cela ne veut pas dire qu’il me faudrait haïr l’autre ; non, mais l’amour que je lui porte ne me fait pas du bien. Faire le bien, ou faire bien les choses en amour, n’est pas nécessairement bon pour moi. On n’est jamais à l’abri du reproche de ne pas avoir assez bien fait, ou d’avoir tous les torts. Éternelle litanie de celui qui, incompris par l’être désiré, doit en plus se justifier. Aimer, c’est aimer jusqu’à pouvoir se faire du mal, jusqu’à endurer le malheur d’aimer, jusqu’à souffrir de cet amour même, jusqu’à mourir d’aimer.

“S’il y a tant de pervers narcissiques, c’est qu’il doit bien y avoir une sorte de psychose dans l’amour”

 

C’est ainsi que Levinas en vient à se référer souvent au Cantique des cantiques, où la relation amoureuse est décrite comme une maladie. Je suis malade d’amour, dit la Bible, malade d’avoir l’autre dans la peau comme une écharde sa chair. Brûlure de l’autre nous laissant comme un grand brûlé, cramé dans le brasier de la passion. L’amour est un « grain de folie » où l’autre s’immisce en nous comme un virus jusqu’à nous empoisonner l’existence, jusqu’à devenir toxique. La toxicité est le risque de tout amour, et celle-ci est consubstantielle à Éros. Car justement l’aimé ne veut pas forcément notre bien. Il ne désire pas nécessairement notre bonheur. S’il n’y a pas de mal à se faire du bien, l’autre peut se faire du bien en faisant du mal. Pervers ? Et pourquoi pas ! S’il y a tant de pervers narcissiques – ce diagnostic de bistrot est sur toutes les lèvres quand la moindre souffrance affleure –, c’est qu’il doit bien y avoir une sorte de perversion, voire de « psychose », qu’évoque même Levinas, dans l’amour. Une sorte d’obsession « devenue folie » pour l’autre qui m’oblige à rester auprès de lui. Jusqu’au comble de prendre plaisir à faire du mal à celui qu’on aime, afin de lui laisser l’engramme à vie de notre propre passage dans son existence. Qu’on se rappelle à Derrida : « Je reconnais que j’aime – toi – à cela : tu laisses en moi une blessure que je ne veux pas remplacer » (La Carte postale, 1980). L’amour, dans sa version pathétique, est bien, comme le pensait Proust, « une torture réciproque ». 

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