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La Lettre de Philosophie Magazine

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15.11.2025 à 06:00

Changer de monde ou changer le monde ? Le dilemme de Tiago Rodrigues dans sa pièce “La Distance”

nfoiry

Changer de monde ou changer le monde ? Le dilemme de Tiago Rodrigues dans sa pièce “La Distance” nfoiry sam 15/11/2025 - 06:00

Dans cette pièce, à voir en tournée jusqu’en juin 2026, une partie de l’humanité a trouvé refuge sur Mars, après une suite d’effondrements sur Terre. Ces colons ont dû s’engager à faire table rase du passé pour fonder une société nouvelle. L'auteur Tiago Rodrigues imagine alors les échanges entre un père terrien et sa fille martienne, avant que la jeune femme n’oublie vraiment tout. Un lien fragile par-delà l'espace et le temps que vous présente Cédric Enjalbert dans notre nouveau numéro.

novembre 2025
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14.11.2025 à 21:00

“Musée Duras” au théâtre de l’Odéon : dix heures, dit-il…

hschlegel

“Musée Duras” au théâtre de l’Odéon : dix heures, dit-il… hschlegel ven 14/11/2025 - 21:00

Un spectacle fleuve est représenté actuellement aux Ateliers Berthier du théâtre de l’Odéon, à Paris : Musée Duras, de Julien Gosselin. Attention : il dure dix heures ! Le concept ? Mettre en scène non pas « tout Duras », mais plutôt toute l’écriture de Marguerite Duras, en cinq propositions scéniques distinctes qui prennent la forme d’un musée imaginaire. Rassurez-vous : vous pouvez le voir en continu… ou pas, puisqu’il est, justement, fractionné en performances indépendantes. Cédric Enjalbert vous en dit plus.

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Ce texte est extrait de notre newsletter hebdomadaire « Par ici la sortie » : trois recommandations culturelles, éclairées au prisme de la philosophie, chaque vendredi soir. Abonnez-vous, elle est gratuite !

 

« “On doit pouvoir dire que les occasions de rendre les gens pensifs sont toujours excellentes.” Marguerite Duras le dit dans Hiroshima, mon amour, et ces occasions, Julien Gosselin les multiplie sur scène, avec de l’audace et beaucoup de café. Car en habitué des voyages au long court, il a imaginé un spectacle de dix heures, monté au pas de charge contre les clichés durassiens de l’étirement de la prose, tout contre. Avec seize interprètes sortant du Conservatoire national supérieur d’art dramatique, le directeur du théâtre de l’Odéon saisit d’un geste toutes les tonalités de cette écriture romanesque, dramatique, cinématographique et critique : d’Hiroshima, mon amour à La Vie matérielle en passant par Suzanna Andler, La Maladie de la mort ou l’Amant… La scénographie très simple, faite d’une allée blanche bordée de deux gradins, se déploie comme une feuille blanche où s’écrivent ces récits d’amour et de mort, intimes et universels, obligeant les comédiens à soigner leurs entrées et leurs sorties. Comme dans la vie ? De part et d’autre, des écrans diffusent ce qu’ils filment sur l’instant, en acteurs et réalisateurs de ce corpus ravivé sans déférence. “La seule façon de se sortir d’une histoire personnelle c’est de l’écrire”, note Duras en 1981, définissant sa pratique de l’extimité, d’un soi branché sur le dehors. Elle fréquente les philosophesEdgar Morin, Jean-Pierre Vernant, Georges Bataille, Maurice Merleau-Ponty... – mais les convoque rarement explicitement même si elle loue le bonheur puisé “dans l’entendement des choses”. Elle l’affirme dans Le Livre dit : “C’est l’entendement de la vie et de ses contradictions ; c’est là qu’est le bonheur, c’est dans l’intelligence. […] Je pense que Montaigne, par exemple, l’a atteint ; Rousseau, des gens comme ça ; Diderot.” La vie et ses contradictions, voici aussi tout ce qui intéresse Julien Gosselin, qui me confiait dans un entretien vouloir “embrasser directement le monde, sans métaphore”. »

 

Musée Duras, spectacle représenté aux Ateliers Berthier de l’Odéon-Théâtre de l’Europe. Jusqu’au 30 novembre 2025.

novembre 2025
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14.11.2025 à 17:00

Le Précepteur contre “Philosophie magazine” : la grande explication

hschlegel

Le Précepteur contre “Philosophie magazine” : la grande explication hschlegel ven 14/11/2025 - 17:00

Mis en cause par le philosophe-youtubeur Charles Robin, animateur de la chaîne Le Précepteur, qui lui reprochait d’avoir maltraité son dernier livre, notre rédacteur en chef Martin Legros lui a proposé de débattre en face-à-face. Cela a donné un échange animé mais respectueux et profond de près d’une heure sur Descartes, sur la banalité du mal et sur l’accès du plus grand nombre à la philosophie. Avant de le retrouver ci-dessous en vidéo, Martin Legros nous raconte le making-of d’une rencontre haute en couleur. 

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Le désaccord originel : des concepts caricaturés… ou pas ?

« C’est malhonnête et je le prouve » : c’est ainsi qu’était titrée la vidéo publiée le 26 octobre dernier par Charles Robin sur sa chaîne YouTube Le Précepteur, à propos de l’article que j’avais consacré dans le dernier numéro de Philosophie magazine à son nouveau livre, La philosophie, c’est pour vous aussi ! (Larousse, 2025). Une vidéo où il m’interpellait personnellement en ces termes : « Pourquoi mentir, cher Martin Legros, vous qui n’êtes pourtant pas un “hater” ? Surtout quand il me suffit de trois minutes pour démontrer que votre article est tout simplement faux. » Et Charles Robin de reprendre ligne à ligne ce bref article pour valoriser auprès des abonnés à sa chaîne YouTube l’éloge que je faisais de ses talents pédagogiques, mais pour récuser aussi, avec véhémence, la critique que je lui avais adressée de condenser la pensée de certains philosophes dans des résumés qui « virent parfois à la caricature ou au contresens » et d’amenuiser le « vertige de penser » qu’il affirme vouloir partager avec son public. Alerté par une série de personnes qui avaient vu passer cette vidéo, je n’ai pas voulu répondre à cette interpellation par un nouvel article de presse interposé. J’ai préféré proposer à Charles Robin d’affronter directement et en public notre désaccord en allant au fond des choses, dans un débat filmé qui serait diffusé ensuite sur nos médias respectifs. Une proposition que Charles Robin a aussitôt acceptée, sans condition.

Deux “cogito” pour le prix d’un

Nous nous sommes donc retrouvés, lui à Montpellier, dans le studio de sa chaîne YouTube, moi à Paris, à la rédaction de Philosophie magazine, par écrans interposés, pour une conversation d’une forme inédite, surprenante à plus d’un titre mais à mon sens profonde. Par souci de transparence, aucun protocole et aucun déroulé n’avaient été mis au point en amont. Sans médiateur, nous avons tout de suite trouvé un modus vivendi qui nous a permis d’exprimer ce qui nous avait heurté, chacun, dans l’attitude de l’autre, mais surtout d’aller au fond de nos désaccords philosophiques.

L’échange qui a duré près d’une heure a porté sur trois grands enjeux. D’abord, l’interprétation du cogito de Descartes avec sa formule iconique « Je pense, donc je suis ». Au centre de notre conflit figurait le reproche que j’avais adressé à Charles Robin de réduire cette formule à une « déduction logique », alors qu’il s’agit à mon sens d’une « expérience de pensée » vertigineuse mais partageable par tous, celle d’un esprit qui voit le sol de ses évidences s’effondrer (depuis ses perceptions jusqu’à ses certitudes logiques et mathématiques) et ne trouve de confirmation de son existence que dans la capacité qui est la sienne de s’exercer, au présent : « Je pense, donc je suis, j’existe. » Au terme de nos interventions et clarifications successives, je crois pouvoir dire que nous avons a minima réussi à « stabiliser » la ligne de partage entre nous : là où Charles Robin se réfère au Discours de la méthode (1637) et met en majeure la dimension logique, langagière et rationnelle, du cogito, je me réfère davantage aux Méditations métaphysiques (1641) et valorise l’expérience abyssale que raconte Descartes, pour la première fois peut-être dans l’histoire de la philosophie – c’est un événement de pensée ! –, celle d’un sujet en proie au doute généralisé, y compris quant à la valeur et à la portée de la logique et de la raison, et qui retrouve pied grâce au contact avec lui-même. Une expérience que chacun peut faire, chaque matin, au sortir d’un rêve, quand il reprend place dans le monde. Et sans devoir produire un syllogisme.

Des clarifications fructueuses

Deuxième désaccord : le célèbre concept de banalité du mal, de Hannah Arendt. Là où Charles Robin y voit une sorte de « clé » pour comprendre la soumission à l’autorité ou les phénomènes de « bureaucratisation » de la pensée, je m’attache à la dimension problématique du concept eu égard au cas particulier d’Eichmann – qui ne ressemblait pas tout à fait au portrait qu’en dresse Arendt… Et je m’attache aussi à la dimension énigmatique de la banalité du mal dont le ressort est « l’absence de pensée » : non pas seulement une distraction (ne pas considérer les conséquences de son action), mais une inquiétante anesthésie morale qui transforme les hommes en « somnambules » incapables de rendre compte des crimes qu’ils commettent.

Enfin, après avoir reconnu l’un et l’autre que les mots utilisés à distance pour qualifier l’autre (« menteur » et « réducteur ») étaient désobligeants, Charles Robin et moi-même avons mis au jour deux conceptions distinctes de la vulgarisation de la philosophie : l’une axée sur la capacité à rendre clairs, distincts et accessibles les grands concepts et les grands auteurs ; l’autre à faire entrer ces concepts en résonance avec notre existence. Deux conceptions qui ne sont pas antinomiques, mais que chacun de nous articule et pondère différemment. Enfin, nous avons conclu sur le plus important : avoir réussi à trouver une forme qui permette de vider l’abcès et d’aller au fond du désaccord, sans le faire disparaître. En somme, à identifier nos différences dans le respect mutuel, au bénéfice de nos lecteurs et abonnés.

novembre 2025
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14.11.2025 à 15:00

La “tyrannie de la majorité” chez Tocqueville, c’est quoi ?

hschlegel

La “tyrannie de la majorité” chez Tocqueville, c’est quoi ? hschlegel ven 14/11/2025 - 15:00

Comment la démocratie peut-elle se muer en son contraire, en un despotisme tranquille qui manipule les citoyens ? Cela peut advenir, considère le penseur français Tocqueville, quand la majorité impose sa tyrannie. Les explications de Nicolas Tenaillon.

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Missionné par la France pour étudier pendant dix mois le système pénitentiaire aux États-Unis, Alexis de Tocqueville (1805-1859), qui deviendra ministre des Affaires étrangères en 1849, profita de son séjour pour analyser la jeune démocratie américaine – avec ses forces et ses faiblesses. Parmi ces dernières, la « tyrannie de la majorité » occupe une place singulière, parce qu’elle représente la mauvaise pente de ce régime de liberté. Mais comment la majorité peut-elle devenir tyrannique ? Et comment lutter contre ce danger ?

La tyrannie de l’opinion publique, ou quand la liberté s’autodétruit

Chef-d’œuvre de l’analyse politique, De la démocratie en Amérique (1835-1840) eut un succès immédiat aussi bien en Europe qu’aux États-Unis, qui en achetèrent les manuscrits aujourd’hui conservés à l’université Yale. C’est qu’en forgeant le concept de « tyrannie de la majorité », Alexis de Tocqueville fut l’un des premiers penseurs à percevoir que l’égalisation des conditions qui accompagne la démocratisation des droits peut générer une forme nouvelle de puissance particulièrement dangereuse – parce qu’irrésistible. Tout se passe en effet dans cette démocratie naissante comme si en transférant le pouvoir au peuple, c’est-à-dire à la majorité des citoyens, la liberté se mettait paradoxalement elle-même en danger.

“La majorité génère une mentalité qui étouffe toute voix dissidente”

 

Pourquoi ? Parce que la majorité n’est pas seulement une règle institutionnelle pour prendre des décisions politiques. Elle génère, en dehors de l’assemblée républicaine, une mentalité (« un état social », écrit Tocqueville) qui conforte son pouvoir et étouffe non seulement la voix des minorités, mais toute forme de dissidence.

“Ce qui me répugne le plus en Amérique, ce n’est pas l’extrême liberté qui y règne, c’est le peu de garantie qu’on y trouve contre la tyrannie”

A. de Tocqueville, De la démocratie en Amérique, tome I, ch. 2, 7 (1835)

De quelle tyrannie est-il question ici ? C’est celle de « l’opinion publique », qui oblige à suivre le plus grand nombre et qui, par-là, s’avère être « la première et la plus irrésistible de toutes les puissances ». En effet, dans la démocratie américaine, telle que l’observe Tocqueville, le conformisme règne en maître, et la liberté de pensée est illusoire.

“Je ne connais point de pays où il règne, en général, moins d’indépendance d’esprit et de véritable liberté de discussion qu’en Amérique”

A. de Tocqueville, ibid.

Non pas que celui qui conteste l’avis majoritaire risque un « autodafé », comme c’était le cas en Europe. Mais il inspirera un tel « dégoût » à son voisin qu’on le marginalisera en lui disant :

“Vous êtes libre de ne point penser ainsi que moi ; votre vie, vos biens, tout vous reste ; mais de ce jour vous êtes un étranger parmi nous”

A. de Tocqueville, ibid.

Le ferment du totalitarisme, déjà…

Existe-t-il des mécanismes correctifs pour lutter contre cette dérive ? Y a-t-il une solution constitutionnelle au problème que pose la tyrannie de la majorité ? Tocqueville estime certes que ce danger majeur qui pèse sur la démocratie peut être tempéré par les garanties libérales du système politique américain : l’équilibre des pouvoirs, l’absence de centralisation administrative, l’esprit légiste, les jurys, l’éducation, les associations (qui servent de contrepoids à l’individualisme conformiste) et surtout la liberté de la presse, parce que « la presse libre est, pour ainsi dire, la seule compensation de la démocratie » (t. I, ch. 2, 3)…

“La presse libre est, pour ainsi dire, la seule compensation de la démocratie” Alexis de Tocqueville

 

Tous ces éléments sont des atouts de poids. Mais il ne s’agit là que de freins qui ne peuvent inverser la tendance de la majorité à tout absorber. Ce qui fait naître un « despotisme doux », paternaliste, qui « ne brise pas les volontés, mais les amollit, les plie et les dirige » (t. II, ch. 4, 6), de sorte qu’il infantilise ce « troupeau d’animaux timides et industrieux » (ibid.) que constitue le peuple. Visionnaire, Tocqueville voit que cette pente glissante, propre à l’esprit démocratique et qui fait que « la disposition à en croire la masse augmente » (t. II, ch. 2, 2), finira par générer un nouveau régime pour lequel « les anciens mots de despotisme et de tyrannie ne conviennent point » (t. II, 4, 6). Ce nouveau régime, ce sera, pour le malheur du XXe siècle, le totalitarisme.

Gardons l’esprit critique !

Bien que pessimiste sur ce qu’il observe, Tocqueville apprécie toutefois, comme il le confie dans sa Correspondance et notes de voyage (1831), « la puissance morale » de l’Amérique. Il veut faire œuvre utile en alertant l’État fédéraliste sur ce qui menace sa grandeur. Si « la majorité vit dans une perpétuelle adoration d’elle-même, il n’y a que les étrangers ou l’expérience qui puissent faire arriver certaines vérités aux oreilles des Américains » (t. I, ch. 2, 7). De fait, en dénonçant la toute-puissance d’une opinion publique qui annihile le sens critique des citoyens, l’observateur français aura permis aux moins idolâtres des États-Uniens de prendre du recul sur les déficiences de la mentalité démocratique et de chercher à les corriger avec un certain succès. Reste à appliquer l’analyse de Tocqueville à l’avènement du trumpisme. Et ça, c’est une autre histoire.

novembre 2025
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14.11.2025 à 12:00

Hyperprésidentialité, crise des institutions, répression policière… La France en “décrochage démocratique” ?

nfoiry

Hyperprésidentialité, crise des institutions, répression policière… La France en “décrochage démocratique” ? nfoiry ven 14/11/2025 - 12:00

La France est une « démocratie en décrochage » : c’est ce qu’affirme un rapport du 25 septembre, publié par la Ligue des droits de l’homme et l’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits humains. Dans notre nouveau numéro, Octave Larmagnac-Matheron tente de comprendre les facteurs qui amènent à ce constat.

novembre 2025
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14.11.2025 à 06:00

Changement climatique : oui au “Global mutirão” !

hschlegel

Changement climatique : oui au “Global mutirão” ! hschlegel ven 14/11/2025 - 06:00

Avez-vous entendu parler du mutirão ? Ce terme brésilien issu des langues indigènes tupi-guarani désigne « une communauté qui se réunit pour accomplir une tâche commune ». Comme de par hasard, nous n’en avons aucun équivalent dans nos langues occidentales… Nous en aurions pourtant bien besoin – en particulier pour raviver la lutte contre le réchauffement climatique, alors que se tient actuellement la COP30 à Belém, au Brésil. Les explications d’Apolline Guillot, chez nos confrères de Philonomist.

novembre 2025
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13.11.2025 à 21:00

10 ans après le 13-Novembre, y a-t-il toujours des fleurs sur les pistolets ?

hschlegel

10 ans après le 13-Novembre, y a-t-il toujours des fleurs sur les pistolets ? hschlegel jeu 13/11/2025 - 21:00

« Vous vous souvenez peut-être de cette phrase : “Les méchants, c’est pas très gentil”, prononcée par le petit Brandon, alors âgé de 6 ans, au micro du journaliste Martin Weill, deux jours après les attentats à Paris et Saint-Denis du 13 novembre 2015…

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La scène, qui a fait le tour du monde, est devenue l’un des symboles de cette mémoire traumatique. Certains la trouvent candide. J’aimerais au contraire souligner la puissance de cet échange père-fils.

Une séquence naïve ?

Nous sommes le 15 novembre 2015. Angel est agenouillé à la hauteur de son fils, Brandon, sur la place de la République recouverte de fleurs et de bougies. S’ensuit cette discussion devenue célèbre :

Brandon : Il faut faire vraiment attention parce qu’il faut changer de maison.Son père : Mais non, ne t’inquiète pas. Pas besoin de changer de maison, c’est la France, notre maison.— Mais y’a des méchants, papa ! (voix plus basse)— Oui, mais il y a des méchants partout.— Ils ont les pistolets, ils peuvent nous tirer dessus parce qu’ils sont très, très méchants, papa !— Ils ont des pistolets, nous on a des fleurs.

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Je me souviens très bien de certains commentaires à l’époque qui fustigeaient la naïveté de cette dernière réplique. Dix ans après, quelques réactions restent du même acabit. “Ah oui, on ne va pas aller loin avec cette phrase”, “Ça marche les fleurs, du coup ?”, peut-on lire sous la vidéo en question. Il me revient qu’une part de moi-même se disait alors la même chose. Évidemment, les fleurs ne font rien contre les fusils. Et elles n’ont pu protéger les 132 morts et les 413 blessés de l’attaque terroriste, ni même celles qu’on appelle les “victimes par ricochet” (ces enfants ou ces parents n’ayant pas vécu le drame en personne mais l’ayant éprouvé à travers l’expérience d’un proche directement touché).

Toutefois, le garçonnet qui échange avec son père n’est pas candide. Du haut de ses 6 ans, il semble avoir saisi la gravité de la situation. En témoigne l’apostrophe constante qu’il fait à son père, comme pour le rappeler gentiment à la raison. “Mais y’a des méchants, papa !” Voici d’ailleurs ce qu’il affirme juste après, le visage encore plus inquiet :

— Ben les fleurs, ça fait rien. C’est pour, c’est pour…— Si, regarde, tu vois, tout le monde pose des fleurs. C’est pour combattre les pistolets.— C’est pour protéger ?— Oui.— Et les bougies aussi ?— C’est pour ne pas oublier les gens qui sont partis.— C’est pour nous protéger, les fleurs et les bougies…— Oui…

Je crois bien qu’à ce moment-là, Brandon n’est toujours pas convaincu. C’est aussi ce qu’a récemment affirmé son père, 10 ans après, alors qu’il était invité avec son fils désormais adolescent à l’émission Quotidien : “À la fin, il n’était pas rassuré. Et moi non plus, d’ailleurs.” En revanche, on peut quand même remarquer sur la vidéo de l’époque que l’inquiétude s’est en partie effacée du visage du jeune garçon, pour laisser place à un faible sourire. Il regarde avec tendresse tout autour de lui, les bougies, les messages de soutien colorés et les fleurs destinées aux victimes. L’enfant s’est un peu apaisé. Au beau milieu de l’horreur du moment, il a trouvé dans les paroles de son père une forme de réconfort, sans doute fugace.

La puissance de la douceur

À mon sens, le fils n’a pas renoncé à sa lucidité mais a accepté de se laisser envelopper par la douceur de son père. C’est, il me semble, cette douceur absolue, désarmante, confondante, qui a élevé cette scène au rang de symbole. Chaque mot du père, chaque regard de l’enfant – et même chaque question du journaliste – est empreint de la douceur qui se diffuse autour d’eux. Dans son livre La Puissance de la douceur (2013), la philosophe Anne Dufourmantelle explique “[qu’] il n’y a pas de seuil à la douceur, plutôt une continuelle invitation à être contaminé par elle, qui peut se briser en un instant”. On peut donc – parfois – parvenir à se laisser gagner par la douceur, qui revêt en l’occurrence une dimension universelle.

Bien sûr, cette douceur est fragile. Elle ne fait pas revenir les morts. Elle ne dissuade pas non plus “les méchants”. En revanche, elle ouvre une brèche, un moment, qui a atteint avec les années une forme d’éternité. Dix ans après, les paroles de cet enfant restent gravées dans la mémoire collective. La douceur, affirme également Dufourmantelle, “règne en nous par de minuscules brisures de temps, donne de l’espace, enlève leur poids aux ombres”. Cette brève conversation entre un père et son fils a eu, je crois, le pouvoir insigne d’enlever un peu de poids aux ombres. Quelque part en nous, il restera toujours cette voix qui affirme sans ciller que les fleurs peuvent l’emporter sur les pistolets. »

novembre 2025
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13.11.2025 à 17:00

Farhad Khosrokhavar : “Les radicalisés d’aujourd’hui agissent plus par désespoir qu’au nom d’une utopie”

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Farhad Khosrokhavar : “Les radicalisés d’aujourd’hui agissent plus par désespoir qu’au nom d’une utopie” hschlegel jeu 13/11/2025 - 17:00

Où en est la menace du terrorisme islamiste en Europe ? Pour le sociologue Farhad Khosrokhavar, spécialiste de l’islamisme et de la radicalisation, elle a changé d’échelle, et le risque d’attentats d’ampleur lui semble exagéré. En revanche, la situation à Gaza est lourde de dangers futurs. 

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Sommes-nous sortis du traumatisme de 2015 ?

Farhad Khosrokhavar : La génération qui a subi le traumatisme en garde évidemment encore les traces. En revanche, la nouvelle génération ne le ressent pas de la même façon : il y a eu une forme de distanciation. Cela s’explique d’abord par le fait qu’en dix ans, la société a beaucoup changé, tant au niveau économique que social et politique. Mais surtout, l’islamisme radical de 2015, qui a fait plus de 200 morts alors, n’existe plus. L’État islamique, qui était extrêmement actif dans l’organisation de ces attentats, a officiellement disparu en 2017, avant d’être balayé dans une très grande mesure en 2019. Bien sûr, il en reste quelques traces, en Afrique ou au Sahara, mais cela n’a pas le même impact. Et, comme tous les mouvements extrémistes, l’État islamique a eu une durée de vie limitée, marquée par une apogée et un déclin. Depuis qu’il a disparu, et que d’autres problèmes émergent, nous commençons à sortir du traumatisme.

“Depuis que Daech a disparu, d’autres problèmes politiques et économiques ont émergé, liés à la perte d’influence de l’Europe face à la Chine et aux États-Unis” Farhad Khosrokhavar

 

Diriez-vous que les attentats de 2015 ont changé la société française, que la défiance a gagné du terrain ?

La défiance s’est bien sûr développée. Mais le problème a commencé bien plus tôt, dès les années 1990. C’est lié à la mouvance radicale islamiste en Algérie et à la « décennie noire » que le pays a traversé. Mais il faut noter que la suspicion vis-à-vis du religieux est plus importante en France que dans d’autres sociétés européennes. Parce qu’il y a la laïcité, il existe une peur que la religion empiète sur le politique et le social. Cela génère des formes de prévention spécifiques, distinctes de celles des autres sociétés européennes. Je crois cependant que nous évoluons dans des sociétés dotées d’une importante capacité d’oubli. Aujourd’hui apparaissent de nouveaux problèmes, qui sont politiques et économiques, liés à la mondialisation et à la perte d’influence de l’Europe par rapport à des géants comme la Chine et les États-Unis. Les préoccupations fondamentales ne sont donc plus tellement le terrorisme islamique. D’autres enjeux apparaissent. 

 

L’entrisme islamiste dans les institutions est pourtant évoqué…

Il s’agit davantage d’une construction politique : l’idée selon laquelle l’islam est transformé en épouvantail prime sur la réalité de l’entrisme. Il est intéressant de constater que cette hantise de l’« effet musulman » n’existe pas dans les autres sociétés européennes comme l’Allemagne ou l’Angleterre. Bien sûr, la méfiance existe, mais ce côté actif, dynamique, qu’on lui attribue ne semble pas les préoccuper outre mesure. C’est donc une spécificité française, véhiculée et accentuée par l’extrême droite ou d’autres formes de droite, qui savent que les Français sont sensibles à cette question. Il n’y a pas d’exacerbation de l’attitude des Frères musulmans aujourd’hui en France. En revanche, on peut s’inquiéter du repli des banlieues sur elles-mêmes et des formes de salafisme qui s’y développent. Ici, ce n’est pas tant l’entrisme que le développement d’une forme de spécificité qui rend encore plus difficile l’intégration des jeunes dans la société, en réaction à la marginalisation sociale dont ils sont les victimes.

“En France, on se défie particulièrement du religieux. Plus qu’ailleurs, on a peur que la religion empiète sur le politique et le social” Farhad Khosrokhavar

 

Comment l’extrême droite utilise-t-elle ces peurs ? 

Deux choses se dégagent du discours véhiculé par l’extrême droite. D’une part, la peur de l’immigration, et d’autre part, le sentiment que l’islam est incompatible avec la République. Ce deuxième point me semble profondément exagéré parce que l’écrasante majorité des musulmans en France adopte le mode de vie français. En outre, il serait bon de rappeler que le Rassemblement national choisit ses têtes de Turc. Avant, il s’agissait des Juifs. Aujourd’hui, des musulmans. Je crois que cette dimension est beaucoup plus préoccupante que celle de l’« entrisme ».

 

Faut-il craindre de nouveaux attentats d’ampleur ? 

Le problème des attentats d’ampleur ne se pose pas dans les mêmes termes qu’en 2015. Comme il n’y a plus d’État islamique, les nébuleuses ne sont pas en capacité d’organiser des attaques de masse, et le nombre des morts et blessés en Europe est aujourd’hui extrêmement faible. En 2024, il y a eu 20 blessés et 5 morts, alors qu’en 2015, il y en a eu aux alentours de 200 rien qu’à Paris. Les attentats qui ont lieu aujourd’hui se traduisent par des actions isolées, résultant de processus de radicalisation très ponctuels. Il s’agit davantage de faits divers sanglants que de tueries de masse. Ces attaques ne remettent donc pas en cause la sécurité globale des citoyens dans les rues et les grandes villes. Tout le problème est que la société garde une mémoire de l’islamisme radical qui ressurgit lors de ces faits divers, et qu’en conséquence, elle surévalue l’importance de ce phénomène.

“Il serait bon de rappeler aussi que le RN choisit ses têtes de Turc. Hier, les Juifs. Aujourd’hui, les musulmans” Farhad Khosrokhavar

 

Quelles sont les différences entre un radicalisé de 2015 et un radicalisé de 2025 ? La place des femmes a-t-elle évolué ?

La différence entre les deux est que celui de 2015 avait une utopie, à savoir la réalisation de l’islam radical par un État qui allait, de leur point de vue, s’étendre dans le monde entier. Mais maintenant que l’État islamique a disparu et que l’utopie est morte, un radicalisé agit davantage par désespoir, pour protester contre ce qu’il considère comme le mauvais traitement des musulmans en Occident. Cela se manifeste dans la plupart des cas par des attaques individuelles à l’arme blanche, dont on sait qu’elles ne remettront pas en cause l’ordre social. On trouve parmi les radicalisés actuels deux groupes principaux : les adolescents et les gens qui souffrent de problèmes mentaux. Ils ont pour point commun d’agir isolément et d’être endoctrinés sur internet plutôt que dans un environnement social. Quant aux femmes, malgré le fait qu’il y a eu une tentative d’attentat par trois d’entre elles en France, elles restent ultra-minoritaires.

 

Que sont devenus les “lionceaux”, ces enfants emmenés ou nés en Syrie ?

Rien de tangible n’a été fait au sein des institutions pour les prendre en charge. Les mesures d’accueil, de détention ou de surveillance n’ont pas été suffisamment efficaces. Les mères sont en général mises en prison, et étant donné que les pères ont trouvé la mort en Syrie, ces enfants sont confiés à des foyers ou à leurs grands-parents après avoir subi le traumatisme syrien. Très vite, ils sont ensuite confrontés à l’ostracisme français, puisqu’ils savent que ce qu’ont fait leurs parents est répréhensible. Il aurait fallu les prendre en charge de manière spécifique en développant de nouvelles méthodes psychologiques, mais cela n’a pas été fait. Par conséquent, ces personnes risquent de perpétuer isolément un certain nombre d’actions extrémistes à l’avenir. Un jeune radicalisé prendra un couteau, tentera de blesser ou de mettre à mort ceux qui sont devant lui, puis on le maîtrisera, et la chose se terminera. Mais ce que je crains davantage, ce sont les conséquences des humiliations répétées, comme ce qui se passe à Gaza, où une population entière est livrée à des attaques aériennes qui font chaque jour des centaines de morts, et une destruction que l’ONU a comparée à Hiroshima. Cette humiliation pourrait servir de facteur de redynamisation de l’islamisme radical, et je pense que l’Europe sera la première à en pâtir, comme elle est géographiquement plus proche de cette zone que les États-Unis.

“L’humiliation de Gaza pourrait redynamiser l’islamisme radical, dont l’Europe pâtira probablement plus que les États-Unis, vu sa position géographique” Farhad Khosrokhavar

 

Quelle conclusion tirez-vous de cette décennie ? 

L’islamisme radical nous obnubile au point de nous rendre aveugle à l’émergence de nouvelles formes de violences terroristes, notamment de l’ultradroite et de ce qu’on pourrait appeler le terrorisme d’État. La Russie, les États-Unis, Israël en plus de l’Iran et de quelques autres pays développent des attaques extra-judiciaires, commettent des meurtres et des déprédations au mépris des règlements internationaux, et cela incitera dans l’avenir d’autres États à procéder de même. Ce terrorisme inspiré par l’État, dont le cyberterrorisme à la russe ou chinoise, me paraît plus dangereux pour l’avenir que l’islamisme radical. Le développement de l’ultradroite en Europe et aux États-Unis laisse présager des nouvelles formes de violence qu’on aura d’autant plus de mal à contenir dans l’avenir. Elles sont minorées dans l’opinion publique et les États de droit n’y prêtent pas suffisamment attention. Je crains que la peur de l’islamisme radical nous aveugle sur l’avenir.

novembre 2025
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13.11.2025 à 12:00

Les philosophes face au terrorisme

hschlegel

Les philosophes face au terrorisme hschlegel jeu 13/11/2025 - 12:00

Pourquoi certains philosophes, de Bakounine à Sartre, ont-ils trouvé des excuses au terrorisme ? Et comment d’autres, comme Camus ou Michael Walzer, ont-ils réussi à leur répondre ? Éléments de réponse.

novembre 2025
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13.11.2025 à 06:00

“L’imagination offre mille et un moyens de dire la fin” : comment le philosophe Yves Cusset se prépare à mourir… d’humour

nfoiry

“L’imagination offre mille et un moyens de dire la fin” : comment le philosophe Yves Cusset se prépare à mourir… d’humour nfoiry jeu 13/11/2025 - 06:00

Dans notre nouveau numéro à retrouver chez votre marchand de journaux, six penseurs exposent ce que signifie pour eux se « préparer à la mort ». Nous vous proposons de découvrir le témoignage tout sauf sinistre du philosophe et humoriste Yves Cusset, qui a notamment écrit Les Mortels et les Mourants. Petite philosophie de la fin de vie (Éd. du Rocher, 2021).

novembre 2025
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