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La Lettre de Philosophie Magazine

▸ les 10 dernières parutions

08.11.2025 à 06:00

Le comédien Michaël Hirsch répond à notre “Questionnaire de Socrate”… dans la joie

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Le comédien Michaël Hirsch répond à notre “Questionnaire de Socrate”… dans la joie nfoiry sam 08/11/2025 - 06:00

Avec son seul-en-scène Y’a de la joie !, à voir au Théâtre de l’Œuvre, à Paris, jusqu’au 30 décembre, le comédien Michaël Hirsch poursuit une quête du Graal philosophique, rendant hommage à Alain, Nietzsche ou Clément Rosset. Dans notre nouveau numéro, il répond aux redoutables questions de notre « Questionnaire de Socrate ».

novembre 2025
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07.11.2025 à 21:00

“La Diplomate”, saison 3 : métaphysique du couple

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“La Diplomate”, saison 3 : métaphysique du couple hschlegel ven 07/11/2025 - 21:00

Quand elle a vu débarquer La Diplomate sur Netflix, il y a deux ans, notre journaliste Ariane Nicolas a levé un sourcil : encore une série sur les coulisses de l’exécutif américain… Pourtant, la saison 3 change tout – et révèle une fascinante réflexion sur le couple, au sens le plus large du terme. Découvrez pourquoi, et comment, dans notre recommandation culturelle hebdomadaire.

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Ce texte est extrait de notre newsletter hebdomadaire « Par ici la sortie » : trois recommandations culturelles, éclairées au prisme de la philosophie, chaque vendredi soir. Abonnez-vous, elle est gratuite !

 

« Fan des shows À la Maison-Blanche (The West Wing), Veep et House of Cards, je me demandais ce que La Diplomate aurait à apporter de neuf – et redoutais un vrai-faux exercice d’autocritique de la part d’une production dont la visée réelle serait de redorer le blason américain. Après deux premières saisons sans fulgurances, la saison 3 révèle enfin son potentiel. Ce n’est pas tant l’analyse géopolitique, assez classique, qui m’a séduite, que la réflexion sous-jacente sur la notion de couple. Des couples, il y en a partout ici : le duo principal bien sûr, Kate et Hal Wyler, ambassadrice à Londres et ancien ambassadeur en Irak, power couple qui gère une crise diplomatique liée à la mort de soldats britanniques ; le couple institutionnel présidence-vice présidence, décisif pour l’intrigue ; des petits couples amoureux qui se font et se défont au gré des aléas de la vie ; et à plus grande échelle, le couple formé par les États-Unis et le Royaume-Uni, “deux nations séparées par une même langue”, selon un mot d’esprit célèbre. La série semble défendre l’idée que le couple structure tout ce qui existe : l’Être comme la société ne sont jamais réductibles à une parfaite unicité. Tout est toujours double, dual, apparié. Et donc potentiellement conflictuel... On pourrait faire une longue histoire de la philosophie en opposant deux camps : les philosophes qui pensent qu’à l’origine, l’être est “un”, substance indivisible qui existe par soi-même ; et ceux pour qui il est “deux”, toujours en relation, à l’intérieur ou à l’extérieur de soi. Pensez à Parménide contre Héraclite, Aristote contre Platon, Descartes contre Locke, Kant contre Hegel... À travers des dialogues et un jeu d’acteur très justes, La Diplomate apporte sa petite pierre à l’édifice. La diplomatie, ou l’art de la dialectique en situation ! »

 

La Diplomate, série américaine de Debora Cahn, avec Keri Russell, Rufus Sewell, David Gyasi. Saison 3 disponible sur Netflix.

novembre 2025
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07.11.2025 à 17:00

La puissance de l’élégance

hschlegel

La puissance de l’élégance hschlegel ven 07/11/2025 - 17:00

Qu’elle désigne un bâtiment, une tenue vestimentaire ou une attitude morale, l’élégance apparaît dans le monde actuel comme une valeur surannée. Et pourtant, nous dit la philosophe Audrey Jougla, pour surmonter la cacophonie ambiante, elle est cette distinction qui permet de maintenir les exigences de la beauté, de la nuance et de la distance.

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Tout commence par une observation du paysage urbain. Les écoles primaires, les palais de justice, les bureaux de poste, les places ou même les bancs publics, construits récemment, ont indéniablement perdu en élégance : une rapide comparaison avec leurs prédécesseurs du début du XXe siècle suffit en général à s’en rendre compte.

“L’élégance est bien plus que la simple apparence et la fonction sociale : c’est une technique de soi”

 

Qu’il s’agisse d’architecture ou de mobilier urbain, ce que l’on érige aujourd’hui répond à un cahier des charges dont l’élégance ne semble résolument plus faire partie. C’est un peu comme si l’on avait dû choisir entre le fonctionnel et le beau, entre la praticité et le style, risquant peu à peu de transformer nos paysages construits (que ce soit l’urbanisme, les habitations, ou les bureaux) en modules, optimisant l’espace, les coûts et les matériaux, dès lors qu’ils ne s’inscrivent pas dans une démarche artistique.

C’est une vision assez manichéenne que celle-ci. Et c’est surtout ignorer le pouvoir de l’élégance sur celui qui la contemple.

“Elle est très distinguée”

L’élégance est une distinction, une délicatesse apportée par de l’aisance, de l’harmonie, de la grâce et un raffinement qui semble naturel, simple, inné : pour les personnes, elle désigne autant une manière de s’exprimer, de se vêtir que de se comporter. 

En architecture, l’élégance d’un bâtiment renvoie autant à cet équilibre harmonieux qu’à cette aspiration à se distinguer de ce qui l’entoure, de l’ensemble. On saisit mieux pourquoi un tribunal, un bâtiment destiné à la banque de France, un opéra ou encore une école supérieure reflétaient au XIXe cette élégance : ces lieux devaient inspirer une déférence particulière, une solennité et une autorité naturelle, au-delà de la fonctionnalité ou de la commodité de leur architecture. 

L’idée n’appartient pas seulement au Second Empire ou à la IIIe République (bien qu’une grande partie des bâtiments publics nous proviennent de ces époques) : les jardins à la française conçus par Le Nôtre à partir de 1661 au château de Versailles n’incarnent-ils pas cette conviction de Louis XIV que l’élégance assoit l’autorité ?

“Louis XIV en était convaincu : l’élégance assoit l’autorité”

 

Vitruve, architecte et ingénieur éponyme du dessin du corps humain de Léonard de Vinci, vante déjà dans son traité De architectura (15 av. J.-C.) cette triade indispensable à toute édification : « firmitas, utilitas, venustas » – solidité, utilité, agrément. L’agrément, ou la beauté, désigne ici une élégance, une dimension agréable à l’œil, permise par le respect des proportions et la symétrie. L’élégance n’est pas la fioriture à laquelle on penserait, mais la justesse dans la mesure et l’harmonie mathématique. Précisément ce que décline la conception des jardins à la française.

Une institution, comme une fonction, inspirerait spontanément plus de respect dès lors que son apparence est élégante, précisément parce que l’élégance n’est plus affaire de paraître mais bien la transcription visible d’un être. Contrairement à l’idée reçue, il n’y a rien de futile ou de superficiel dans cette manière de se présenter à autrui.

Quand l’élégance en impose

C’est pourquoi le style des individus ne saurait se réduire à une question de mode vestimentaire ou d’arbitrage de goûts. L’élégance d’une personne s’oppose ici à la vulgarité (de vulgus, le peuple), et marque un territoire : par le signalement de son style à son interlocuteur, l’individu exprime des valeurs, une rigueur, un attachement à la beauté comme une volonté de se démarquer. Il ne s’agit pas seulement d’habits mais bien de savoir-vivre, de courtoisie, de politesse, comme d’une gestuelle appropriée. Autrement dit, l’expression de soi par ce que l’on dégage spontanément et avant toute conversation : la manière dont on est perçu par autrui.

➤ À lire aussi : Politique, morale ou esthétique… Qu’est-ce que l’élégance ?

La courtoisie est à ce sujet emblématique : soyez excessivement poli, usez de « permettez-moi », « je vous en prie », avec des inconnus dans un lieu public par exemple, et, une fois passé un soupçon de surprise, l’attitude que l’on vous adressera en retour sera au-delà de la cordialité ; elle marquera un respect et une distance induite par votre savoir-vivre presque désuet.

C’est là toute l’ambivalence de l’usage de la politesse : on n’est jamais courtois seulement pour autrui, mais aussi pour marquer une position hiérarchique implicite, un statut qui se distingue du commun. Dans une étrange inversion des positions, celui qui dit merci n’est pas vulnérable, il a le pouvoir.

“Toute expression de l’élégance assujettit presque ceux qui la contemplent, entre admiration, surprise et envie, justement parce qu’elle se raréfie”

 

Manier le savoir-vivre revient alors à disposer d’un pouvoir sur tous ceux qui ne maîtrisent pas ces codes. En se démarquant des comportements irrespectueux, moutonniers, tonitruants, celui qui maintient la distance, ne coupe pas la parole, sait attendre ou propose à autrui de passer devant lui ne marque pas seulement des points d’aisance sociale : il affirme une obéissance à des règles qui ont souvent disparu, comme en architecture. 

Il en va de même avec toute expression de l’élégance : elle assujettit presque ceux qui la contemplent, entre admiration, surprise et envie, justement parce qu’elle se raréfie.

Un rempart contre la cacophonie

Une certaine nostalgie nimbe cette notion, dès qu’on l’évoque : nous constatons, sans vraiment savoir pourquoi, un faisceau d’indices qui témoignent du manque d’élégance de notre époque, dans les paysages, dans les comportements comme dans les réflexions ou les débats.

➤ À lire aussi : Que dit-on vraiment en disant « merci » ?

Ce que souligne Jérôme Attal dès l’ouverture de son ouvrage Un furieux besoin d’élégance (Fayard, 2024) :

“À l’ère du coup de klaxon et du post haineux, de l’insulte facile, de l’invective et du coup de sang, à l’époque de l’avis sur tout et de la nuance en rien, l’élégance devient une denrée rare, un continent perdu, un pays imaginaire le matin dans les embouteillages”

Jérôme Attal, op. cit.

La distinction que procure l’élégance ne provient pas d’une volonté de se hisser au-dessus de ses contemporains, encore moins d’un regret d’un passé idéalisé : elle réside dans la volonté de maintenir la nuance, le silence, le temps long, souvent sacrifiés au profit de l’immédiateté, de la cacophonie, de la bousculade généralisée. De l’information aux réseaux sociaux, la déferlante de la mise en scène, du format court, de l’occupation de l’espace, ont rompu avec l’élégance de la réflexion approfondie, du comportement attentif ou attentionné à l’autre.

On ne peut alors qu’être désarçonné par « une attitude, une allure » élégante qui reste « inconsciente des effets qu’elle produit », souligne Attal. La véritable élégance s’ignore et fuit la mise en avant, alors que c’est ce vers quoi tout nous incite aujourd’hui. Attal poursuit :

“L’élégance n’est pas aussi instagrammable que la beauté. Du moins, pas à la même fréquence et sans le même contentement de soi affiché. Elle ne brandit ni l’objectif du smartphone ni le miroir des réseaux sociaux pour se mettre en avant ou en valeur, mais, bien au contraire, dénuée de calcul, elle embellit la perception de ceux qui ont été témoins de son éclosion”

Jérôme Attal, ibid.

Au-delà de l’apparence et de la fonction sociale auxquelles on cantonne souvent l’élégance, c’est bien une technique de soi, au sens de Foucault, qui s’exprime : un travail de soi régulier, quotidien, visant une amélioration, inspiré de l’askêsis en grec (à l’origine de l’ascèse), c’est-à-dire une pratique et des exercices pour réprimer les tendances mauvaises. Dans Le Souci de soi (le tome III de l’Histoire de la sexualité, 1984), Foucault évoque les manières de nous sculpter nous-mêmes, à la manière des exercices stoïciens. S’il n’évoque pas l’élégance, gageons qu’elle relève d’un effort sur soi-même cohérent avec la pensée des techniques de soi.

De l’élégance du comportement

Cette élégance de soi, résultante d’un effort, d’une ascèse, contient aussi une résonance nietzschéenne. De même que Nietzsche appelait à se démarquer de la médiocrité ambiante du « troupeau », l’élégance est empruntée d’une appétence pour le comportement juste, le savoir-être qui ne cède pas aux gesticulations médiatiques ou à l’opportunisme politique. Lorsqu’on évoque l’élégance de la parole, il ne s’agit pas uniquement d’éloquence, mais bien d’une parole sensée, réfléchie, qui traduit un discernement et un engagement dans ce que l’on dit comme dans la parole donnée. Cette vertu, qui nous enjoint à bien nous comporter par nos choix et nos actes envers autrui, relève presque d’une honnêteté, intellectuelle et morale. Et elle se cultive.

“Aujourd’hui, l’élégance se distingue aussi en maintenant la nuance, le silence, le temps long, souvent sacrifiés au profit de la cacophonie et de la bousculade généralisée”

 

Nous touchons là la dimension « politique » au sens large de l’élégance : lorsqu’elle se manifeste, l’élégance est souvent éclatante, elle inspire déférence et autorité, mais aussi admiration. C’est qu’elle manifeste un comportement en même temps qu’une exigence : avoir tenu bon là où d’autres ont baissé les bras. « L’élégance à mes yeux reste la marque la plus probante de créer pour soi et pour les autres – à l’égal du roman et de la littérature – un monde valable », convient Jérôme Attal. 

Difficile de ne pas acquiescer. Mais reste à être à la hauteur de l’exigence d’élégance dans nos comportements, surtout quand nous sommes tentés de céder à la facilité (morale, également). 

La puissance de l’élégance n’est pas un pouvoir sur les autres : elle revient à signifier que l’on tient à un soin du monde et que l’on a un égard pour autrui, qui échappent à la seule apparence. Et cela méritait bien une rime.

novembre 2025
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07.11.2025 à 06:00

Pankaj Mishra : “Dans ce qu’on appelle le ‘Sud global’, la situation à Gaza est vue comme un symptôme de la suprématie blanche”

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Pankaj Mishra : “Dans ce qu’on appelle le ‘Sud global’, la situation à Gaza est vue comme un symptôme de la suprématie blanche” nfoiry ven 07/11/2025 - 06:00

Après avoir diagnostiqué l’âge de la colère, l’écrivain et essayiste Pankaj Mishra propose avec son nouveau livre, Le Monde après Gaza, une analyse de la mobilisation autour de Gaza. Il dénonce « l’éthique de la survie » au nom de laquelle Israël a répondu au 7-Octobre. Il prend aussi acte d’une nouvelle conscience morale mondiale chez les jeunes qui se sont mobilisés pour le droit des Palestiniens. Il s'en explique dans un grand entretien à retrouver dans notre nouveau numéro.

novembre 2025
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06.11.2025 à 21:00

Ados, “influenceurs” et caméras : Socrate à Sainte-Soline

hschlegel

Ados, “influenceurs” et caméras : Socrate à Sainte-Soline hschlegel jeu 06/11/2025 - 21:00

« “Attends, il y a un SDF, je vais lui donner de l’argent”, s’est exclamé mon beau-fils alors que nous marchions dans la rue, avant de se précipiter pour lui donner cinq euros. Étonnée par cette flambée d’altruisme chez un adolescent d’ordinaire plutôt porté sur ses propres tracas, je lui ai demandé ce qui motivait cette subite générosité. Bien mal m’en a pris !

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“Quoi, t’es pas au courant ?”, a répliqué mon beau-fils. “Aujourd’hui, il y a des influenceurs qui se déguisent en SDF et qui filment la réaction des passants. Et ils font gagner jusqu’à 100 000 dollars à ceux qui donnent des pièces !” La belle-doche naïve que je suis s’imaginait que notre ado, lassé de scroller sur des vidéos de muscu, se préoccupait enfin du sort des plus démunis. Las : ce n’était pas le sens de la justice sociale, mais le souci de sa propre image – ainsi que l’appât du gain – qui l’avaient poussé à agir selon le bien. Cette banale saynète m’a replongée dans de vieilles questions philosophiques sur notre rapport à la morale.

Dans La République de Platon, Glaucon raconte à Socrate l’histoire de Gygès, un berger de Lydie. Celui-ci trouve un anneau d’or qui, lorsqu’il en tourne le chaton vers l’intérieur, le rend invisible. Grisé par cet incroyable pouvoir, Gygès tue le roi et prend sa place sur le trône, après avoir séduit la reine. En exposant ce mythe, Glaucon cherche à appuyer la thèse selon laquelle l’homme n’agit selon la justice que par crainte de la sanction. Autrement dit, c’est le regard des autres qui nous rend vertueux : sans surveillance, nous serions tous des criminels ! Socrate opposera bien sûr à ces arguments une réfutation visant à montrer que la véritable vertu qu’est la justice ne peut être visée que pour elle-même, et non pas motivée par la seule pression sociale.

Dans le temps, on disait aux enfants capricieux que Jésus les voyait pécher. Aujourd’hui, le smartphone est notre nouveau Dieu, ai-je pensé en voyant mon beau-fils s’inquiéter de la présence possible d’influenceurs dans notre rue. On redoute non plus le jugement du Seigneur, mais le regard diffus d’une société de contrôle qu’incarne chaque détenteur de caméra. On se dit que le moindre geste, la moindre parole déplacée pourrait être relayée, amplifiée, jugée sur les réseaux sociaux… voire, comme mon beau-fils, qu’il faudrait bien se conduire “au cas où on serait filmé”. Ce nouveau carcan moral déplairait fort à Socrate, qui lui préfèrerait la pureté des bonnes intentions. Mais est-ce si grave ? Après tout, la crainte d’être observé ne constitue-t-elle pas une incitation comme une autre à faire le bien ?

Le problème, c’est quand les caméras s’éteignent. L’actualité semble malheureusement donner raison à Glaucon, ai-je pensé en voyant les images sidérantes de nos braves gendarmes se déchaînant sur les manifestants de Sainte-Soline, semblant puiser une forme de jouissance extatique dans ce déferlement de violence. Sans ces vidéos captées par leurs propres caméras, jamais l’opinion n’aurait pris conscience de la gravité de ces actes qui, loin de constituer des dérapages isolés, ont manifestement été encouragés par leurs supérieurs hiérarchiques. “Y’a un enculé que j’ai eu à la tête, mon gars !”, s’exclame l’un d’entre eux. “Dis pas ça devant la caméra”, réplique un autre. À croire que seule la certitude de pouvoir être pris sur le vif – non pas par l’institution, qui semble avoir volontairement fermé les yeux sur ces dérives, mais par le grand public – aurait pu contenir cette violence archaïque.

L’homme serait-il né égoïste et violent, n’en déplaise à Socrate ? J’aimerais ne pas le croire. Les forces de l’ordre sont excédées par la violence des manifestants, qui n’hésitent pas à utiliser mortiers d’artifice et cocktails Molotov, opposeront leurs défenseurs. Après tout, des gendarmes aussi ont été blessés lors de ces affrontements. Demeure une question abyssale : comment faire confiance, en l’absence de caméras, à des forces de l’ordre devenues manifestement incapables de maîtriser leur thymos, ce mélange de colère et de courage qui, selon Platon, constitue la vertu des gardiens censés protéger la Cité ? Et qui surveillera les gardiens, si ce n’est la puissance numérique ? Au fond, la morale de Socrate demeure profondément actuelle : le sens de la justice s’éprouve en son for intérieur, sans quoi il n’est pas de justice véritable. Cela vaut pour les ados comme les gendarmes. Et vous, quel Gygès êtes-vous ? »

novembre 2025
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06.11.2025 à 18:00

Eva Illouz : “L’ostracisme antisémite se produit désormais sous couvert de vertu démocratique”

hschlegel

Eva Illouz : “L’ostracisme antisémite se produit désormais sous couvert de vertu démocratique” hschlegel jeu 06/11/2025 - 18:00

Persona non grata. Alors qu’elle devait intervenir à l’université de Rotterdam fin novembre, Eva Illouz a vu son invitation retirée au prétexte que son ancienne affiliation avec l’université hébraïque de Jérusalem contrevenait au boycott académique et culturel visant Israël. En guise de soutien, nous avons invité l’autrice de La Civilisation des émotions (Seuil, 2025) à revenir sur un incident d’autant plus absurde que le gouvernement israélien l’a disqualifiée du prix Israël en début d’année pour ses déclarations jugées « anti-israéliennes ».

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Dans quelles circonstances avez-vous appris la décision de l’université néerlandaise ?

Eva Illouz : La décision n’était pas exactement celle de l’université, mais celle d’une unité de recherche, en l’occurrence un consortium de personnes relevant de différentes disciplines mais qui ont en commun d’étudier « l’attachement » et qui se font appeler Love Lab – même si, à mon sens, ils devraient plutôt s’appeler Hate Lab ! Pour être plus précise, il était prévu un double événement : le premier et le plus important, organisé par le département de sociologie à l’occasion de la sortie de la traduction en néerlandais de mon essai Explosive Modernité, est parfaitement maintenu, et c’est le second, organisé par ce Love Lab en se greffant au premier, qui a été déprogrammé. Ils m’ont contactée pour m’expliquer qu’en effet, l’université Erasmus de Rotterdam avait rompu tout lien avec l’université hébraïque de Jérusalem, ce à quoi j’ai rappelé que j’étais citoyenne française enseignant dans une université française. Ils m’ont répondu qu’ils en avaient parfaitement conscience mais que certaines personnes s’étaient déclarées mal à l’aise avec ma présence. Aucune raison ou motif. Rien. Jugez-en : ceux qui se sont élevés contre ma présence ont considéré comme preuve de mon affiliation à l’université hébraïque le fait que j’ai gardé mon adresse électronique de l’université : c’est vous dire jusqu’où l’on pousse la faute ! Ils ont même ajouté que je pouvais être rassurée car la décision avait été prise de manière parfaitement démocratique…

“Aujourd’hui, on ne mesure plus l’ostracisme et l’exclusion dont sont frappés les Juifs car tout cela est enveloppé dans des opinions vertueuses” Eva Illouz

 

J’imagine combien cela a dû vous rassurer !

Oh, oui, beaucoup ! J’étais ravie d’apprendre qu’une décision véritablement antisémite avait été prise de manière très démocratique ! Ironie à part, je crois qu’ils n’ont pas bien compris ce qu’ils faisaient. Je ne veux pas dire par là qu’ils n’avaient pas de mauvaises intentions – bien sûr qu’ils en avaient –, mais je veux dire plutôt que c’est un signe des temps : aujourd’hui, on ne mesure plus l’ostracisme et l’exclusion dont sont frappés les Juifs car tout cela est enveloppé dans des opinions vertueuses. Il faut prendre conscience que ce qui se passe n’est pas ou plus un problème propre aux Juifs ou aux sionistes, mais celui de toute la communauté scientifique. On ne peut pas faire de science comme ceci. J’y vois le symptôme d’autre chose, d’une autre maladie, qui n’est pas seulement l’antisémitisme, mais une pathologie propre à la démocratie elle-même. Les Juifs sont l’avant-garde du malheur, le premier groupe à faire l’expérience de la crise, aujourd’hui une démocratie en crise, c’est-à-dire d’une démocratie dont le vocabulaire s’est effondré, dont les valeurs sont confusément mêlées aux valeurs réactionnaires (progressisme avec antisémitisme ; extrême droite avec défense des Juifs) et dont on ne sait plus qui sont les groupes sociaux qui la défendent. Et je pense que nous sommes au début d’un processus de décomposition si nous ne corrigeons pas cette immense confusion morale et intellectuelle.

 

Se déroule actuellement un vaste réexamen des collaborations scientifiques entre l’Europe et Israël. Est-ce que le monde universitaire peut rester un sanctuaire à l’abri des enjeux politiques ?

Le monde scientifique aurait dû être ce sanctuaire, mais manifestement il ne l’est plus, et ce depuis les années 1970. Non seulement il est pris dans les haines qui caractérisent les discours politiques de la société mais en outre, il semble même parfois les incarner, voire les précéder. Les campus sont devenus des acteurs politiques, à côté des partis. D’un côté, nous sommes les témoins de l’aboutissement d’un processus en cours depuis une cinquantaine d’années et qui n’a fait qu’accentuer le rôle politique des universités, mais de l’autre, il me semble que ce qui se passe marque l’avant-garde de quelque chose à venir.

 

De quoi ?

De l’effondrement de la social-démocratie qui s’appuyait sur des valeurs et des méthodes de savoir. La social-démocratie s’appuie aussi sur les Lumières, et au-delà, sur la possibilité d’invoquer l’héritage de l’Occident. Ce qui s’effondre et s’est déjà effondré, c’est l’articulation de la morale à la vérité, à une méthode pour chercher la vérité. La démocratie est un projet épistémique. Si l’on ne suppose pas un monde commun de faits, de preuves, de raisonnements, la possibilité de vivre ensemble s’effondre. Or quand on fait dire à la réalité ce que l’on veut, quand chaque groupe a son propre complotisme, les Juifs étant les stars des galaxies complotistes en tout genre, nous entrons dans la logique de la force et de la guerre – et nous ne sommes plus dans un État de droit.

“Il ne s’agit pas seulement d’antisémitisme : c’est le symptôme d’une démocratie très confuse sur ses valeurs, sur les groupes censés la protéger. C’est la social-démocratie qui s’effondre” Eva Illouz

 

Avez-vous reçu des soutiens de la part des membres de l’université néerlandaise ?

J’ai appris que certains collègues au sein de l’université s’étaient opposés à cette décision, tout à fait. Ils auraient sans doute dû s’opposer de manière plus ferme, mais vous n’êtes pas sans savoir que l’Homo academicus est un être singulièrement couard. L’université elle-même a réagi de façon très embarrassante pour elle, car elle s’est contentée de déclarer officiellement qu’elle ne se mêlait pas de la décision des unités de recherche – ce qui semble être une non-réponse mais qui est quand même une réponse, car j’ose espérer que si l’on m’avait désinvitée parce que j’étais une femme ou un homme de couleur, l’université aurait trouvé quelque chose à dire sur les choix de son unité de recherche… Tout se passe comme si aujourd’hui l’exclusion des Juifs et des sionistes était devenue presque invisible et acceptable.

 

Vous publiez par ailleurs ces jours-ci La Civilisation des émotions, un livre d’entretiens où vous racontez notamment comment votre famille a quitté le Maroc peu après la guerre des Six Jours, dans un contexte qui était déjà celui d’une montée de l’antisémitisme. Y a-t-il un écho ?

Pas du tout, car ce qui se passe aujourd’hui est beaucoup plus violent. Il y avait à cette époque une sorte de contrat juridique entre les Arabes marocains et les Juifs : ces derniers étaient soumis mais jouissaient de la protection du roi, et cela a fonctionné le plus souvent (même s’il y a eu des pogroms). Il y avait deux populations qui coexistaient avec des histoires différentes, la situation était claire, et il existait aussi et souvent une certaine fraternité entre Juifs et Arabes. Cette fraternité n’a pas complètement disparu, mais elle est devenue beaucoup plus difficile avec le développement de l’histoire nationaliste israélienne et panarabe. Ce qui s’est passé à Rotterdam est d’une autre nature : c’est le sentiment de perversion des mots et des valeurs, car l’ostracisme antisémite et donc raciste s’y produit sous couvert de vertu démocratique. Là se joue une discrimination qui est une violation des valeurs élémentaires de la communauté européenne, mais tout le langage est mobilisé pour nier cette violation. Ce sentiment de vivre une réalité orwellienne est extrêmement dérangeant et très perturbant.

“Tout se passe comme si aujourd’hui l’exclusion des Juifs et des sionistes était devenue presque invisible et acceptable” Eva Illouz

 

Dans ce livre, vous racontez aussi votre amour pour l’universalisme français, porté par la philosophie des Lumières. Cet amour vous habite-t-il encore ? et estimez-vous que la France est davantage à l’abri ?

C’est plutôt grâce à la laïcité qu’il y a une alliance objective entre les musulmans et les Juifs laïques qui existe ici plus qu’ailleurs. C’est ce qui fait la force de la France, même si celle-ci ne le mesure pas toujours. Face à ces forces cataclysmiques qui sont en train de détruire la démocratie ou du moins la social-démocratie, la France résiste un peu mieux. Pour combien de temps ? Je ne sais pas. Cela ne veut pas dire que tout est parfait, loin de là, mais les choses vont plus mal ailleurs. On voit qu’aux États-Unis, le multiculturalisme ne les a pas du tout protégés du trumpisme, et qu’il a même permis de remuscler facilement l’idéologie de ce que l’on peut appeler, pour faire vite, le suprématisme blanc.

 

La Civilisation des émotions, un livre d’entretiens entre Eva Illouz et Elena Scappaticci, vient de paraître aux Éditions du Seuil. 192 p., 21€, disponible ici.

novembre 2025
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06.11.2025 à 17:00

Le “pari” de Pascal, c’est quoi ?

hschlegel

Le “pari” de Pascal, c’est quoi ? hschlegel jeu 06/11/2025 - 17:00

Dans ses Pensées, Pascal entend démontrer la nécessité de croire en Dieu en ayant recours au pari et à la théorie des jeux. Pourquoi fait-il ce choix ? Et quelle signification lui donner ? Les explications de Nicolas Tenaillon, professeur de philosophie en classes préparatoires.

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Au XVIIe siècle, Descartes renouvelle la pensée philosophique au sujet des preuves de l’existence de Dieu, en insistant sur le caractère rationnel de cette découverte par le cogito [lire notre article]. Penseur janséniste qui ne veut croire qu’au Dieu de la Bible – et non à celui des philosophes – Blaise Pascal (1623-1662) s’aventure pourtant sur ce terrain intellectuel en affirmant qu’il faut parier que Dieu existe. Mais cette idée de pari, issue de la théorie des jeux, est-elle bien adaptée à la croyance religieuse ?

Un pari “100% gagnant”

Pour Pascal, il est plus avantageux de croire en Dieu que de ne pas croire en Dieu, car le gain de la croyance apporte bien plus que le gain de l’incroyance – et que la perte encourue n’a rien de problématique. C’est le sens du pari pascalien, exposé dans les Pensées (posth., 1670). En voici les termes. Pascal note que d’un côté, il existe la vie terrestre finie ; et que de l’autre, la foi chrétienne promet la vie éternelle. Il y a une chance sur deux d’obtenir la vie éternelle, aspiration que Pascal juge plus désirable que la condition finie de mortel. Or en calculant le rapport entre la mise (une vie finie) et le gain escompté (la vie éternelle), la raison nous enjoint de parier pour Dieu. À l’inverse, en se conduisant en athée, d’après Pascal, on ne fait au mieux que jouir d’une vie finie et au fond, misérable.

“Pesons le gain et la perte, en prenant croix que Dieu est. Estimons ces deux cas : si vous gagnez, vous gagnez tout ; si vous perdez, vous ne perdez rien. Gagez donc qu’Il est, sans hésiter” Blaise Pascal

 

Pourquoi choisir le pari plutôt que des preuves directes de l’existence de Dieu, comme celles proposées par Descartes, démarche que Pascal estimait « inutile et stérile » ? Parce que, comme le dit le Livre de la Sagesse dans la Bible, « Dieu se cache » (Deus absconditus). En conséquence, sauf pour celui à qui il se révèle (comme le prophète ou le mystique), la croyance en son existence demeure purement spéculative : sinon improbable, du moins incertaine. Mais en situation d’incertitude, la raison peut encore éclairer la prise de décision : c’est le rôle du calcul des chances, lequel permet de faire un pari raisonnable, étant entendu qu’on se conduira comme le pari le prévoit.

On peut objecter que la valeur de la mise dépend du résultat du jeu, ce qui fait de l’argument du pari un argument sophistique. Cette objection n’est pas négligeable. Pascal, qui par ailleurs est l’inventeur de la machine à calculer, ne saurait l’ignorer. Alors pourquoi s’évertue-t-il à avancer cet argument du pari qui ne pourrait bien n’être qu’un subterfuge ? Au milieu du fragment 223 (titré Infini-rien), Pascal prend soin de préciser qu’on ne peut pas ne pas parier (« vous êtes embarqués ») : refuser le pari, selon lui, c’est implicitement parier que Dieu n’existe pas. Il élève ainsi le pari au rang de nécessité existentielle : le jeu n’est qu’apparent, rien n’est plus sérieux que le pari. 

Le jeu de la vie

Recourir à la théorie des jeux et au calcul des probabilités pour convaincre les athées de l’existence de Dieu pourrait apparaître comme quelque chose de blasphématoire, aux yeux d’un fervent croyant. Mais il n’y a pas contradiction entre les deux, pour Pascal. Le philosophe Henri Gouhier interprète l’esprit de ce pari ainsi :

“Ni une démonstration rationnelle d’une vérité, ni calcul de probabilité à proprement parler, ni coup de dés romantique, le pari n’aboutit en aucune façon à un savoir sur Dieu. Sa fonction n’est pas de substituer une connaissance à une ignorance mais de créer une situation telle que cette ignorance ne devienne pas indifférence”

Henri Gouhier, Pascal. Commentaires, 1966

En tant que chrétien fervent, Pascal pressent la menace de cette indifférence. C’est déjà celle de ses contemporains : les libertins sceptiques qui, à la manière de Don Juan, se jouent de la foi comme d’une croyance aliénante qu’ils estiment dépassée. Pour les convaincre de revenir vers Dieu, Pascal n’hésite pas à s’adapter à leur manière de penser. Son attitude est pragmatique. « Vous aimez jouer ? semble-t-il leur dire, alors jouons … mais au jeu le plus sérieux du monde : celui où la mise est la vie elle-même. » Reste que tout en dramatisant le pari, Pascal n’en propose pas moins un pari, ce qui en matière de foi est risqué. Voltaire, qui n’aimait guère Pascal, ne s’y trompera pas : considérant que l’idée de jeu « ne convient point à la gravité du sujet », il jugera rétrospectivement, dans ses Lettres philosophiques (1734), l’argument du pari « un peu indécent et puéril ». 

novembre 2025
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06.11.2025 à 12:04

“Kolkhoze” d’Emmanuel Carrère, prix Médicis : une réconciliation familiale par histoires interposées

hschlegel

“Kolkhoze” d’Emmanuel Carrère, prix Médicis : une réconciliation familiale par histoires interposées hschlegel jeu 06/11/2025 - 12:04

Emmanuel Carrère a été récompensé par le prix Médicis 2025 pour son roman Kolkhoze. Dans notre numéro de septembre dernier, Michel Eltchaninoff se penchait sur la manière dont l’écrivain interpose l’histoire présente, celle de l’Ukraine et de la Géorgie, avec le destin de sa propre mère, devenue historienne de la Grande Russie. Nous vous invitons à retrouver ici cet article en accès libre.

novembre 2025
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06.11.2025 à 06:00

“Deux Procureurs”, au cinéma : un idéaliste face à l'inquiétante étrangeté de la bureaucratie stalinienne

nfoiry

“Deux Procureurs”, au cinéma : un idéaliste face à l'inquiétante étrangeté de la bureaucratie stalinienne nfoiry jeu 06/11/2025 - 06:00

Avec Deux Procureurs (en salles depuis le 5 novembre), le cinéaste Sergei Loznitsa démonte la mécanique totalitaire à l'œuvre dans la bureaucratie soviétique, à l'époque des purges staliniennes. Une terreur de l'intérieur à laquelle résiste aujourd'hui le réalisateur ukrainien. Dans notre nouveau numéro, Cédric Enjalbert vous présente les enjeux philosophiques de ce film.

novembre 2025
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05.11.2025 à 21:00

Zohran Mamdani, maire marxien ?

hschlegel

Zohran Mamdani, maire marxien ? hschlegel mer 05/11/2025 - 21:00

« C’était un quasi inconnu il y a moins d’un an. À 34 ans, Zohran Mamdani vient d’être élu maire (socialiste) de New York, aux États-Unis. Une victoire qu’il doit à une communication bien rodée sur les réseaux, à un discours en rupture avec la vieille garde démocrate, à un thème de campagne porteur sur le logement... et à sa lecture de Rousseau ?

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“Donald Trump, puisque je sais que tu regardes, j’ai trois mots pour toi : monte le son !”, a-t-il lancé d’emblée dans son discours de victoire. Zohran Mamdani vient d’être élu maire de New York après une campagne menée tambour battant, très active sur les réseaux. L’ancien rappeur (sous le nom de Mr. Cardamom) s’est ainsi mis en scène faisant du porte-à-porte, discutant avec les travailleurs de nuit, à la sortie de la messe, sur le terrain… Il misé sur une promesse : l’“affordability”. L’accessibilité, au sens de rendre la ville abordable et la vie vivable. L’un des mantras du politicien est “l’excellence” du service public. Il affirme ainsi vouloir une vision “holistique” de l’accessibilité en termes de logement et de transport, là où – comme à Paris, du reste – le prix prohibitif des loyers, et plus généralement de la vie, ont rendu la ville inhospitalière à beaucoup. Dans une vidéo, Mamdani plonge ainsi dans l’eau glacée de Coney Island le jour de l’an, dont il ressort trempé, en promettant de “geler” le prix des loyers.

“Mon petit communiste” l’appelle par moquerie Donald Trump, sérieusement concurrencé en matière de communication. Taxé de populisme par une partie de ses adversaires (y compris dans son propre camp) pour des mesures annoncées sans nuances – le gel des loyers pourrait par exemple avoir des effets contre-productifs, en freinant notamment la construction de nouveaux logements, au risque d’aggraver la situation –, il incarne l’aile gauche du Parti démocrate, aux côtés de Bernie Sanders et d’Alexandria Ocasio-Cortez. Les journaux conservateurs, comme le New York Post, représentent même ce matin “Mamdani le rouge” faucille et marteau en mains. Le nouvel édile socialiste, avec sa politique de la ville, m’évoque moi aussi un marxien... un philosophe aujourd’hui passé de mode qui a été le maître à penser de toute une génération : Henri Lefebvre.

Enseignant à l’Institut d’urbanisme de Paris, Lefebvre est l’auteur d’un ouvrage devenu classique – Le Droit à la ville (1968). Il y défend une “théorie intégrale de la ville et de la société urbaine”, fustigeant “la misère dérisoire et sans tragique de l’habitant” des grandes villes, en des termes qui rappellent drôlement le programme de Zohran Mamdani et sa volonté de défaire un “zonage” discriminatoire dont souffrent les “classes ouvrières”. Pour le philosophe, “seule la classe ouvrière peut devenir l’agent, porteur ou support social de cette réalisation” car “elle rassemble les intérêts (dépassant l’immédiat et le superficiel) de la société entière, et d’abord de tous ceux qui habitent”. C’est-à-dire “des jeunes et de la jeunesse, des étudiants et des intellectuels, des armées de travailleurs avec ou sans col blanc, des provinciaux, des colonisés et semi-colonisés de toutes sortes, de tous ceux qui subissent une quotidienneté bien agencée” mais aussi “des gens qui séjournent dans les ghettos résidentiels, dans les centres pourrissants des villes anciennes et dans les proliférations égarées loin des centres de ces villes”.

J’ignore si Mamdani a lu Lefebvre, mais Fanon et Rousseau, assurément ! Né en Ouganda de parents d’origine indienne, Zohran Mamdani est le fils d’une cinéaste réputée et d’un anthropologue enseignant à l’université Columbia, où lui-même n’a pas été admis. Il a suivi ses études à Bowdoin, dans le Maine. Suivant un cursus d’“études africaines”, il y est initié aux réflexions sur la “crise urbaine”, comme il en témoigne dans le journal de l’université. Là, il se met à lire le penseur postcolonial, philosophe et psychiatre Frantz Fanon, qui devient pour lui une référence, utile dans sa défense de la cause palestinienne, mais aussi Jean-Jacques Rousseau, penseur de la souveraineté populaire et du bien commun, au sujet duquel il écrit un mémoire, comme le rapporte un journaliste du New Yorker dans un long portrait que je vous recommande. À New York, Zohran Mamdani parviendra-t-il maintenant à établir un nouveau contrat social ? »

novembre 2025
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