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16.12.2025 à 06:00

Comment être le meilleur altruiste possible – et est-ce souhaitable ? Réponses avec “Faire le bien, en mieux !” de William MacAskill

nfoiry

Comment être le meilleur altruiste possible – et est-ce souhaitable ? Réponses avec “Faire le bien, en mieux !” de William MacAskill nfoiry mar 16/12/2025 - 06:00

Est-il préférable de donner son argent à un mendiant dans la rue ou à une ONG qui soigne la misère à l’autre bout du monde ? Tel est le genre de questions concrètes qui agitent le livre Faire le bien, en mieux ! signé par le spécialiste d'éthique William MacAskill. Dans notre nouveau numéro, Frédéric Manzini vous présente cet essai qui aura sans doute le don d'ébranler vos convictions morales les mieux établies.

décembre 2025
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15.12.2025 à 21:00

“Le Journal d’un prisonnier” : Sarkozy est-il le nouveau Dostoïevski ?

hschlegel

“Le Journal d’un prisonnier” : Sarkozy est-il le nouveau Dostoïevski ? hschlegel lun 15/12/2025 - 21:00

« La parution du Journal d’un prisonnier de Nicolas Sarkozy déchaîne un flot de sarcasmes. On moque sa propension à se prendre pour le capitaine Dreyfus ou ses difficultés à utiliser un téléphone fixe – sans parler des libertés qu’il prend avec la vérité. Pour en avoir le cœur net, je l’ai lu.

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Surprise : j’y ai trouvé tous les ingrédients de ce genre bien particulier qu’est la littérature carcérale, initiée par Dostoïevski. Mais à la sauce Sarko : vite fait.

Quatre ans pour l’un, trois semaines pour l’autre…

Le Journal d’un prisonnier (Fayard), clin d’œil au Journal d’un écrivain de Fiodor Dostoïevski, rappelle le récit que le romancier russe a fait de sa déportation au bagne d’Omsk dans les années 1850, pour avoir participé à un cercle révolutionnaire. Ses Carnets de la maison morte (ou Souvenirs de la maison des morts) sont l’un des premiers exemples – et l’un des chefs-d’œuvre – de la littérature carcérale. Certes, Dostoïevski a été emprisonné quatre ans et non trois semaines. Les conditions d’internement en Sibérie sont nettement plus rudes qu’à la Santé. Et là où l’homme politique a souffert de solitude, l’écrivain a compris ce que signifiait l’impossibilité de la trouver : une insupportable “cohabitation forcée” avec les autres forçats. Ces (énormes) différences mises à part, l’impression initiale est la même : “Tout mon nouvel environnement respirait le malheur, la lourdeur, le désastre de vies brisées entassées entre ces murs, loin du monde des vivants” (Sarkozy). On retrouve dans la prose sarkozienne les moments existentiels dépeints par le romancier.

Lumière à tous les étages

Nicolas Sarkozy se considère, comme l’était Dostoïevski, comme un prisonnier politique (“Mon crime aujourd’hui serait-il de ne pas être de gauche ?”). Mais, comme lui, il transforme son épreuve en possibilité d’une renaissance. La réalité de l’enfermement et du mal contiendrait-elle des étincelles de lumière ? L’aumônier de la Santé, avec qui il dialogue tous les dimanches (donc trois fois) le suggère : “Le mal existe et ici il est très présent, reconnaît l’ecclésiastique. Mais la bonté aussi, elle existe même dans les personnalités les plus noires. Et chaque fois que je rencontre la bonté, je trouve le mystère de Dieu.” L’ancien président trouve cela “intéressant”. Plus loin, il éprouve lui-même ce sentiment : “Dans chaque endroit, fût-il le plus désespéré, il y avait des sources de lumière pour peu que l’on ait la disponibilité de les accueillir.” Que découvre donc Nicolas Sarkozy lors de son séjour en prison ? L’équivalent de ce que Dostoïevski appelle la “vie vivante”, cet amour de la vie dans sa quotidienneté qu’il décrit dans L’Adolescent (1875). En voici la version sarkozienne : “Dans le passé et surtout plus jeune, j’avais brûlé ma vie à toujours chercher l’exceptionnel.” Mais ici, au parloir de la prison, il apprend “à profiter de chaque instant”.

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Sarkozy aurait-il vu la Vierge ?

De cette expérience pénible, le détenu fait la matière d’une spectaculaire conversion spirituelle et religieuse. Réfléchissant, comme Dostoïevski, au “mystère du mal”, Nicolas Sarkozy en fait beaucoup – beaucoup plus que le romancier en tout cas. Avant même le récit de son arrivée à la prison, il sature ses pages de vocabulaire évangélique : “Il [lui] fallait porter une croix”, ce qui lui “offrait la chance de percevoir la ‘Lumière’”, de se laisser toucher par la “grâce”. Bref, en prenant avec lui “une biographie de Jésus-Christ”, l’ancien président était déjà tout prêt à investir la “partie lumineuse” de son épreuve. On n’est donc pas étonné des confessions qui suivent : il apprend à prier, l’oraison devenant “le chemin pour résister”. Dans le match de la Ligue des champions diffusé à la télévision le premier soir de son incarcération, il entrevoit “un autre signe de la Providence”. Tout ce qui lui arrive devient “une nouvelle grâce”, une occasion “de devenir meilleur, plus profond, plus fort”. Essayant “à tout prix d’être gouverné par l’Esprit”, il remporte triomphalement son combat contre la dépression.

Un prisonnier qui n’a pas vraiment fait pénitence

Pour Dostoïevski, le bagne a été l’occasion d’observer les abîmes et les éclats de lumière du peuple russe et de se rapprocher de la religiosité populaire. La comparaison s’arrête là. Pour deux raisons. La première est que l’écrivain russe a profité de son séjour pour interroger le thème de la culpabilité, y compris la sienne. Au contraire, Nicolas Sarkozy, qui noircit de longues pages pour contester la décision de justice dont il fait l’objet, ne rêve que de revanche. La seconde est que là où Dostoïevski a plongé corps et âme dans la réalité qui lui était imposée, l’ancien président a “décidé d’être ailleurs”. Ne croisant jamais aucun détenu, il utilise tout son temps pour se projeter hors des murs de la Santé : dans sa vie d’avant, qu’il n’admet pas avoir abandonnée, et surtout dans l’après, car son livre est aussi un programme politique (d’alliance avec le RN).

En reprenant les codes de la littérature carcérale, Nicolas Sarkozy les coche, mais ne les habite pas. Sa conversion spirituelle, sa découverte des conditions de vie d’un détenu, ses réflexions sur le mal et la liberté parsèment son ouvrage mais n’en constituent pas le cœur. Son esprit est tendu vers sa volonté d’être disculpé, de se venger de ses accusateurs, d’orienter la politique française. Sa maison des morts ne l’a pas, je crois, réveillé, car il ne pensait qu’à en sortir. C’est évidemment compréhensible. Mais de Dostoïevski à Sarkozy, finalement, la conséquence n’est pas bonne. »

décembre 2025
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15.12.2025 à 17:00

Moins de code de la route, moins de morts ?

hschlegel

Moins de code de la route, moins de morts ? hschlegel lun 15/12/2025 - 17:00

Louis Sarkozy veut supprimer le code de la route. Une idée folle… ou innovante ? L’analyse de notre collègue Apolline Guillot, autrice d’une Petite Philosophie des mobilités. La route, école de la patience (Philosophie magazine Éditeur, 2025).

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« Ce qui tue les automobilistes, c’est l’assistanat. » Quel soulagement d’apprendre la semaine dernière de la bouche du candidat à la mairie de Menton, Louis Sarkozy, qu’il avait une solution toute trouvée pour endiguer les accidents de la route ! C’est simple, il faut « rendre au citoyen la pleine responsabilité de sa conduite, au lieu qu’il la délègue intégralement au code de la route ». Supprimer le code, donc, ainsi que la plupart des signalisations et panneaux.

Sur le coup, la proposition fait sourire : pourquoi, alors que nous déplorons encore près de 3 500 morts d’accidents par an et 26 000 hospitalisations, voudrions-nous nous défaire d’infrastructures pensées justement pour rendre lisible, et donc plus sûre, la circulation ?

La préhistoire des bagnoles

D’emblée, défaisons un mythe : il n’existe pas d’âge d’or de la liberté des automobilistes, sans entraves aucunes. La première loi sur la circulation des véhicules à moteur est très ancienne. Dès 1893, elle obligeait déjà de prévenir à l’avance son passage et limitait la vitesse en ville et sur route. Au fil des années, de multiples codes locaux et régionaux se créent et essayent d’encadrer l’usage de ces engins qui sont toujours perçus par une partie de la population comme un simple loisir récréatif, sportif – et pas encore un moyen de transport fiable. En 1921, le code de la route voit le jour pour unifier les pratiques et rendre plus aisé le contrôle – matérialisé par la présence de politiciens aux intersections, par exemple. 

Ce contrôle policier est rendu nécessaire par deux facteurs : d’une part, les véhicules sont de plus en plus massifs et rapides, donc dangereux. D’autre part, comme l’a montré l’historien Peter Norton, spécialisé dans l’histoire des mobilités urbaines, les rues se transforment sous la pression des lobbies de l’automobiles. Les lignes de tramway électrifiées sont démontées pour faire plus de place aux voitures, on marque les trottoirs et les chaussées pour délimiter visuellement la présence de piétons, on lisse et on aplatit les rues… Bref, on a façonné une ville car-friendly où la technique est plutôt mise au service de la vitesse, ce qui implique plus de contrôle a posteriori.

“Nous faisons face à une surenchère de signalisation – en cela, Louis Sarkozy a raison”

 

De là, naît une surenchère de signalisation – en cela, Louis Sarkozy a raison. L’automobiliste, dans sa voiture de plus en plus rapide et sur ses chaussées de plus en plus faciles à conduire, veut aller vite. Le dispositif de signalisation n’entrave pas, mais sert le conducteur : il lui permet de contracter au maximum la durée requise pour analyser une situation… et donc ralentir au minimum pour arriver plus vite à destination. Le panneau, le feu tricolore, les marquages au sol lèvent également l’ambiguïté inhérente aux interactions humaines. Ils opèrent une sorte de « judiciarisation » implicite de nos relations sur la chaussée – le piéton qui traverse « n’importe comment » est désormais perçu comme un hors-la-loi en puissance.

Éloge du nu intégral

Cependant, cet empilement de signalisations essaye en vain de régler par de l’information un problème avant tout politique… et ergonomique. C’est ce qu’avait déjà constaté l’ingénieur urbaniste néerlandais Hans Monderman, qui commence dès les années 1970 à vouloir déshabiller les rues de leurs crinolines signalétiques. Un jour, il avait constaté en traversant la charmante ville néerlandaise de Drachten, alors en pleins travaux, que l’absence temporaire de signalisation avait calmé le trafic et fait baisser les accidents. Quand la route n’est plus un espace de signes codifiés, mais un espace d’attention à l’autre, elle redevient un lieu de lien. Il commence alors à théoriser le principe de la « route nue » (naked road) et à l’expérimenter un peu partout dans le pays. Comprendre : réduire la signalisation au minimum, en ne laissant que l’information vitale. Le but assumé est de désorienter les usagers, piétons et automobilistes. En 2006, il s’en expliquait au magazine allemand Deutsche Welle :

“Lorsque vous ne savez pas exactement qui a la priorité, vous avez tendance à chercher le contact visuel avec les autres usagers de la route. Vous réduisez automatiquement votre vitesse, vous entrez en contact avec les autres et vous faites plus attention”

Hans Monderman

Comme le résume le journaliste Tom McNichol en 2004 dans un portrait pour le magazine Wired, « pour Hans Monderman, la [signalisation routière] est un aveu d’échec, elle est le signe – littéralement – qu’un concepteur routier quelque part n’a pas fait son travail. » Le travail de la signalisation minimise le travail d’interprétation des usagers. Or, dans une situation illisible de prime abord, le réflexe est de ralentir l’allure et de regarder autour de soi, pour essayer de déchiffrer ce qui se passe et prendre une décision. On perd donc une certaine qualité de notre attention aux obstacles, aux conditions climatiques, aux bruits de notre voiture, ou bien au regard de l’autre. Car c’est bien là, le nœud du problème : avoir les yeux sur la signalisation nous prive également de chercher les yeux des autres usagers pour construire quelque chose comme une attention conjointe. Se soucier, temporairement, de la même chose : à savoir, rester en sécurité et poursuivre sa route sans accroc.

“Avoir les yeux sur la signalisation nous prive de chercher les yeux des autres usagers pour construire quelque chose comme une attention conjointe”

 

Dans les années 1990, l’idée de Monderman plaît tellement qu’émergent de plus en plus de « zones de rencontre » dans le nord de l’Europe, ces espaces où toutes sortes de flux, de véhicules et de voyageurs se croisent. En 2004 naît même un programme européen pour les espaces partagés (« shared space »), sous la houlette de l’architecte et urbaniste Ben Hamilton-Baillie. Ces zones mixtes ont vocation à faire coexister des voyageurs hétérogènes et faire de la négociation la modalité par défaut de l’interaction. À ce stade, vous l’aurez compris : contrairement à ce qu’on peut penser, la route nue vise un dépouillement signalétique, mais ne revient pas à supprimer le code de la route. C’est précisément dans ce sens que vont les travaux menés dans de nombreuses villes : ralentisseurs, abandon des routes droites, mise en place d’obstacles… Le but est bien de réveiller l’attention en provoquant temporairement de l’inconfort et de la négociation entre les usagers.

L’assistanat version Tesla

L’utopie des routes nues est cependant née à une époque où les voitures étaient encore des interfaces qui mettaient en lien le conducteur avec la route et, par extension, avec le monde extérieur. En 2025, les choses en vont autrement, pour diverses raisons. Tout porte à croire que cet « assistanat » dont parle Louis Sarkozy est inhérent à l’infrastructure numérique dans laquelle se déploie notre mobilité. 

“La ‘route nue’ vise un dépouillement signalétique mais ne revient pas à supprimer le code de la route”

 

Là où la patience naît de la capacité à endurer le réel, nous sommes de plus en plus aspirés par un monde virtuel saturé de dopamine et d’urgences en cascade, qui s’y superpose. Les usages de la route sont façonnés par des exigences d’optimisation des trajectoires (aidées par des GPS), elles-mêmes accentuées par une disponibilité virtuelle de tous les instants et des impératifs économiques pressants – dans le cas des économies de plateforme, par exemple, où chaque retard coûte cher. « Les piétons qui parlent dans leur portable tendent à marcher moins droit, à changer de direction plus souvent, à prendre plus de risques en traversant la rue et sont moins attentifs à leurs semblables », remarquait Matthew Crawford dans Contact (2014). La différence entre le piéton et l’automobiliste, cependant, c’est que ce dernier est au volant de plusieurs tonnes de métal lancées entre 10 et 50 km/h en ville. De fait, « la cécité [de l’automobiliste] devient une question morale ».

Or la virtualisation du rapport à la route, loin d’être combattue par les constructeurs automobiles ou les autorités de régulation, est souvent avancée comme un argument de vente en faveur d’une « expérience utilisateur » plus amusante et plus sécurisée. Certaines marques, comme Tesla, jouent à plein sur ce terrain. Le design de l’habitacle, avec ses gadgets et son écran central façon Batmobile, donnent un sentiment de toute-puissance, tout en coupant du regard d’autrui. Juste en dessous du pare-brise, une reproduction en 3D redouble ce qui se passe dehors. Des silhouettes à peine esquissées y passent comme d’éternels PNJ (ces « personnages non jouables » de jeux vidéos, qui ne sont pas contrôlés par les joueurs… et donc ne servent qu’à créer un décor).

Le coût des cons

Le conducteur n’est donc pas tant materné par le code de la route qu’il n’est anesthésié de toutes parts par des dispositifs transformant la conduite en expérience lisse, gamifiée, abstraite, soumise au diktat de l’urgence, où l’autre n’apparaît plus que comme un obstacle à contourner. La naked road imaginée dans les années 1970 est un espace politiquement aménagé pour accueillir la vulnérabilité, pas une jungle darwinienne. À cet égard, le fantasme d’un retour à une conduite « virile », libérée des contraintes collectives, dit surtout notre incapacité à penser la route comme un commun. 

“Le fantasme d’un retour à une conduite ‘virile’, libérée des contraintes collectives, dit surtout notre incapacité à penser la route comme un commun”

 

Comme le rappelle l’historienne Lucille Peytavin dans Le Coût de la virilité (2024), les hommes représentent 84% des auteurs présumés d’accidents mortels sur la route et 75 % des personnes gravement blessées ou tuées… alors qu’ils ne parcourent que 52,4% du kilométrage total. Avec de telles statistiques, ironise-t-elle, on pourrait remplacer le « A » des jeunes conducteurs par un « H » pour signaler un homme au volant. Et si vous trouvez que c’est exagéré, songez un peu : l’insécurité routière, majoritairement portée par les hommes, nous coûte pas moins de 31,2 milliards d’euros par an. Oui, c’est la somme que l’État français économiserait si les automobilistes conduisaient comme des femmes. Une idée pour les mascus libertariens bien inspirés ? Laissez-nous quelques panneaux, mais rendez l’argent !

 

Petite Philosophie des mobilités. La route, école de la patience, d’Apolline Guillot, est sorti cette année chez Philosophie magazine Éditeur. 80 p., 10€, disponible ici.

décembre 2025
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15.12.2025 à 11:53

D’où vient le courage ?

hschlegel

D’où vient le courage ? hschlegel lun 15/12/2025 - 11:53

Lors de l’attentat antisémite qui a fait 16 morts hier à Sydney, un passant s’est illustré par son courage en désarmant l’un des deux tireurs. Comment expliquer ce geste ? D’où vient le courage, et peut-on se préparer à être courageux ? Nous vous proposons de relire le point de vue des philosophes sur la question.

décembre 2025
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15.12.2025 à 06:00

“Mon épouse et mon meilleur ami se détestent… Que puis-je faire ?” Charles Pépin vous répond !

nfoiry

“Mon épouse et mon meilleur ami se détestent… Que puis-je faire ?” Charles Pépin vous répond ! nfoiry lun 15/12/2025 - 06:00

Chaque mois, Charles Pépin vous donne des clés pour résoudre vos cas de conscience. Dans notre nouveau numéro, Jean est tiraillé entre sa femme et son meilleur ami… qui ne peuvent pas se voir en peinture ! Notre chroniqueur lui donne des arguments pour tenter d'enterrer la hache de guerre.

décembre 2025
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14.12.2025 à 07:00

Pas de philo, pas de choco ! Les philosophes et le chocolat

hschlegel

Pas de philo, pas de choco ! Les philosophes et le chocolat hschlegel dim 14/12/2025 - 07:00

À l’approche des fêtes de fin d’année, peut-être ressentez-vous une envie grandissante de chocolat. Mais quel rapport les philosophes entretiennent-ils avec le chocolat ? Le consomment-ils également ou s’en détournent-ils comme d’un plaisir coupable ? Réponses goûtues. 

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Le chocolat n’est bien sûr pas un concept philosophique, ni même un sujet sur lequel les philosophes se sont épanchés, et la Philosophie du chocolat reste à écrire. On trouve cependant ici et là quelques formules où il en est question… quitte à ce que les références soient apocryphes, comme dans cet aphorisme attribué (à tort, puisqu’il n’a jamais rien écrit de tel) à La Rochefoucauld et qui lui fait dire : « Aimez le chocolat à fond, sans complexe ni fausse honte, car rappelez-vous : sans un grain de folie, il n’est point d’homme raisonnable. »

De Voltaire à Nietzsche : un stimulant pour l’esprit

Aussitôt qu’il a été introduit en Europe au XVIIᵉ siècle, le chocolat n’a pas seulement éveillé la curiosité des médecins et des nutritionnistes comme Brillat-Savarin, il a aussi suscité l’intérêt de plusieurs savants et philosophes. Parce qu’il passait pour un stimulant intellectuel, au même titre que le thé ou café ? Exactement, surtout à une époque où il était d’ailleurs consommé sous forme de boisson chaude et non sous forme de tablette. C’est parce qu’il est censé vivifier l’esprit que plusieurs auteurs, comme Voltaire – un grand buveur de chocolat, qu’il mélangeait à son café –, le consommaient. C’est aussi le cas de Nietzsche, qui voyait dans le chocolat un aliment particulièrement sain et vertueux, du moins dans sa version dégraissée. À Turin, on dit qu’il appréciait le gianduja du café Fiorio, une pâte à base de chocolat et de noisette (dont la légende veut qu’elle ait été fabriquée dans un atelier de la Piazza San Carlo, autrement dit au même endroit où le philosophe connaîtra sa crise de folie, le 3 janvier 1889). Dans Ecce Homo (posth., 1908), il évoque le chocolat dans le cadre de considérations plus générales sur son austère hygiène de vie et le lie à ce qu’il appelle sa « morale » :

“Encore quelques préceptes tirés de ma morale. Un repas copieux est plus facile à digérer qu’un repas léger. Il faut que tout l’estomac travaille pour que la digestion se fasse bien, on doit connaître la dimension de son estomac. Pour la même raison, il faut déconseiller ces interminables ripailles, ces suicides écourtés que l’on célèbre à table d’hôte. Rien entre les repas, pas de café : il altère. Le thé n’est bon que le matin. Buvez-en peu, mais prenez-le fort : pour peu qu’il soit trop faible, il vous fait du mal et vous indispose pour la journée. Le degré de concentration à choisir dépend du tempérament de chacun, il est souvent très délicat à déterminer. Dans un climat énervant, le thé est mauvais à jeun : il faut le faire précéder une heure avant d’une tasse de cacao épais et déshuilé. – Rester assis le moins possible ; ne se fier à aucune idée qui ne soit venue en plein air pendant la marche et ne fasse partie de la fête des muscles. Tous les préjugés viennent de l’intestin. Le cul de plomb, je le répète, c’est le vrai pêché contre l’Esprit”

Friedrich Nietzsche, Ecce Homo (posth., 1908), « Pourquoi j’en sais si long », section I, trad. fr. A. Vialatte

On peut s’étonner de voir ce régime alimentaire assez strict, voire sévère, vanté par un philosophe qui est par ailleurs un chantre de la vitalité et de la grande santé (qui chez lui ne se réduit pas à la santé du corps). À moins que ce ne soit précisément sa constitution fragile qui le rende si soucieux de diététique. Mais le chocolat relève-t-il pour autant de la morale, comme le veut le penseur allemand ? Il est vrai qu’avant de passer pour un aliment sain, le chocolat a dû surmonter une autre réputation qu’il a longtemps traînée – à savoir celle d’être un aphrodisiaque puissant, aussi attirant que dangereux et qui soulevait à ce titre un questionnement proprement moral sur la nature du plaisir qu’il procure. 

Madame de Sévigné et la sensualité du chocolat, entre Éros et Thanatos

Il suffit pour s’en convaincre de lire la correspondance qu’entretient Madame de Sévigné (1626-1696) avec sa fille Madame de Grignan, au sujet de cette boisson alors en vogue à la cour de Versailles en tant que symbole de raffinement et de luxe réservé à la noblesse. Tantôt Madame de Sévigné s’en délecte, tantôt elle s’en méfie, comme si elle entretenait avec cette substance une relation amoureuse tumultueuse. Le 15 avril 1671, elle écrit : « Le chocolat n’est plus avec moi comme il était ; la mode m’a entraînée comme elle fait toujours. Tous ceux qui m’en disaient du bien m’en disent du mal. On le maudit ; on l’accuse de tous les maux qu’on a. Il est la source des vapeurs et des palpitations ; il vous flatte pour un temps, et puis vous allume tout d’un coup une fièvre continue, qui vous conduit à la mort. » Elle le soupçonne d’être à l’origine de la couleur de l’enfant qu’a eu l’une de ses amies (!) et met en garde sa fille enceinte :

“J’ai aimé le chocolat, comme vous savez ; il me semble qu’il m’a brûlée, et depuis, j’en ai bien entendu dire du mal ; mais vous dépeignez et vous dites si bien les merveilles qu’il fait en vous, que je ne sais plus qu’en penser. La marquise de Coëtlogon prit tant de chocolat, étant grosse l’année passée, qu’elle accoucha d’un petit garçon noir comme le diable, qui mourut” 

Marie de Rabutin-Chantal, marquise de Sévigné, lettre du 25 octobre 1671

Outre les connotations racistes de la formule, on peut s’étonner de voir le chocolat considéré comme un aliment si sensuel qu’il jouisse de vertus proprement sexuelles, étrangement magiques (ou plutôt démoniaques). Du moins le plaisir qu’il apporte favorise-t-il la sociabilité, à en croire cette autre injonction où, quelques mois plus tard à peine, Madame de Sévigné recommande cette fois à sa fille de « prendre du chocolat, afin que les plus méchantes compagnies vous paraissent bonnes » (lettre du 15 janvier 1672) : au lieu d’être un excitant, le chocolat passe alors pour un désinhibiteur qui met de belle humeur.

Le chocolat comme réconfort existentiel : Simone Weil et Emil Cioran

Le chocolat apporte de la convivialité – parce qu’il est une sorte de substitut à l’amour et un vecteur d’humanité ? Il est vrai qu’il rassemble les gourmands autour de la faiblesse qu’ils ont pour lui (encore plus quand il se présente sous forme de carrés prêts à être découpés, comme une invitation au partage). Mieux, le chocolat s’offre volontiers en cadeau, comme l’a bien compris Simone Weil qui, alors qu’elle n’était encore qu’une enfant, envoyait son sucre et son chocolat aux soldats du front pendant la Première Guerre mondiale dans l’espoir d’adoucir un peu la dureté de leurs conditions de vie. Celle qui toute sa vie a refusé le confort que pouvait lui offrir son milieu plutôt bourgeois (décidant plus tard d’aller travailler comme ouvrière à l’usine) montrait ainsi toute la grandeur de son âme généreuse par cette attention aux souffrances des autres.

Les matérialistes diront que c’est parce qu’il stimule la production de sérotonine ; toujours est-il que le chocolat est d’un grand réconfort pour les âmes en peine. Il paraît même qu’Emil Cioran, l’auteur de De l’inconvénient d’être né taraudé par la vanité de l’existence, en était gourmand. On raconte que lorsqu’il lui rendait visite dans sa mansarde ascétique de la rue de l’Odéon à Paris, son ami, éditeur et biographe Gabriel Liiceanu avait pris l’habitude d’apporter à son compatriote – qui vivait pourtant de manière très frugale – le fameux gâteau hongrois dobostorta, composé de multiples couches de génoise et de crème au chocolat. Dans Itinéraires d’une vie. E.M. Cioran, il raconte son étonnement de voir avec quelle gourmandise enfantine et quelle joie de vivre celui qui dissertait par ailleurs sur le néant et le suicide se jetait sur cette pâtisserie et s’en délectait… Le chocolat n’est-il pas le meilleur des antidépresseurs s’il a été capable de réconcilier, même provisoirement, Cioran avec la condition humaine ? Il ne faut y voir aucune contradiction : nous vivons sur plusieurs niveaux de conscience, et assurément, le chocolat nous aide à passer de l’un à l’autre, pour notre plus grand plaisir.

décembre 2025
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14.12.2025 à 06:00

L’“hypothèse jizz” : le philosophe Baptiste Morizot livre une nouvelle clé d'interprétation de l'art préhistorique

nfoiry

L’“hypothèse jizz” : le philosophe Baptiste Morizot livre une nouvelle clé d'interprétation de l'art préhistorique nfoiry dim 14/12/2025 - 06:00

Avec une audace réjouissante, le philosophe Baptiste Morizot propose, dans son nouvel essai Le Regard perdu (Actes Sud), une clé d’interprétation de l’art préhistorique, qu’il appelle l’« hypothèse jizz ». Dans notre nouveau numéro, nous l’avons invité à partager ses réflexions en s’appuyant sur quelques images.

décembre 2025
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13.12.2025 à 15:00

“Merteuil” ou la misogynie en bas de soie

hschlegel

“Merteuil” ou la misogynie en bas de soie hschlegel sam 13/12/2025 - 15:00

Merteuil, la compagne de jeu de Valmont dans Les Liaisons dangereuses de Cholderlos de Laclos, est-elle une femme puissante ou aliénée ? Pour l’autrice et chercheuse Jennifer Tamas, le projet féministe de la nouvelle série qui lui est consacrée (Merteuil, de Jessica Palud, sur un scénario de Jean-Baptiste Delafon) rate sa cible : le roman demeure plus intelligent que son adaptation.

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Un point de départ prometteur

La série Merteuil se propose de poser un regard féministe sur l’un des best-sellers du XVIIIe siècle : Les Liaisons dangereuses (1782). Ce roman épistolaire fut écrit par un militaire rompu aux manœuvres guerrières et amoureuses : Pierre Cholderlos de Laclos. Mais cet homme fut aussi l’un de ceux qui s’intéressèrent de près à l’éducation des femmes et à leur émancipation, composant un an après son célèbre roman un traité théorique qui l’éclaire singulièrement : Des femmes et de leur éducation (1783). Laclos y explique que les femmes vivent dans une société qui les a réduites en esclavage et que la seule façon de mettre fin à leur domination est de fomenter une révolution.

“Chez Laclos, Merteuil est un personnage complexe car son émancipation propre ne conduit pas à celle de toutes les femmes”

 

Qu’on lise son œuvre comme celle d’un allié ou comme celle d’un homme qui ferait du « mansplaining », il ne fait aucun doute que Laclos offre aux Lumières un visage féministe : il critique une société libertine qui prône certes le plaisir, mais un plaisir asymétrique et d’autant plus coûteux et destructeur qu’on est née femme. Rappelons que le mot même de « libertin » renvoie pour l’homme à une liberté d’esprit puis de mœurs, tandis qu’une femme « libertine » est d’abord la jeune fille « qui désobéit à sa mère » puis « la femme qui ne se soumet pas à son mari ». Il suffit donc de dire non pour être vue comme subversive et risquer de perdre sa réputation. Laclos s’attaque ainsi aux contraintes socioculturelles qui pèsent sur les femmes, y compris dans cette nouvelle quête du plaisir sexuel qui parachève cette injustice de genre.

Rien d’étonnant dans ce cadre à vouloir partir du personnage de la marquise de Merteuil – pièce maîtresse de l’œuvre – pour servir un point de vue féministe, en dépit de la troublante complexité du personnage. Pour la réalisatrice, Jessica Palud, l’idée est de voir dans ce roman une sorte de « #MeToo au XVIIIe siècle », tranchant ainsi avec l’image qu’en auraient donné ses prédécesseurs, notamment Roger Vadim en 1959, Stephen Frears en 1988, Miloš Forman en 1989 avec Valmont ou encore Roger Kumble en 1999 avec Sexe Intentions. Pourtant, c’est un double échec. 

Merteuil, un personnage complexe

D’abord, #MeToo fit événement en 2017 justement parce que pour la première fois, on put exposer sur la scène publique des violences sexuelles sans que ces révélations soient correlées avec une perte de réputation ou une honte sociale pour celle qui les dévoile – ce qui était jusque-là impensable, a fortiori au XVIIIe siècle, où toute femme abusée perdait sa valeur sitôt que c’était su. Ensuite, Laclos nous montrait déjà dans son roman une Merteuil qui transcendait son statut de victime pour s’ériger en maîtresse du jeu, dominant le vicomte de Valmont et servant ses intérêts propres, quitte à instrumentaliser d’autres jeunes femmes. C’est en cela que le personnage de fiction était complexe : son émancipation propre ne conduisait pas à l’émancipation de toutes les femmes. Dans une société patriarcale où la valeur des femmes tient à leur virginité, à leur naissance et à leur dot, les marges de manœuvres demeurent ténues : toute tentative pour conquérir une liberté sexuelle ne peut se faire qu’en sourdine et reconduit nécessairement la domination des hommes sur les femmes. CQFD : pour Laclos, seule une révolution pourra mettre fin aux préjugés et s’affranchir des lois masculines.

Une victime au carré

Que nous montre la série Merteuil ? L’idée de remonter aux origines du personnage pour révéler l’antagonisme profond qui travaille le couple Valmont/Merteuil est excellente. Plusieurs séries proposent ainsi un prequel aux grandes fictions pour leur donner une profondeur nouvelle. Sauf que cette adaptation-ci commet un grave contresens, qui rend l’intrigue incohérente. La jeune Merteuil aurait été une orpheline sans titre et recluse dans un couvent de province. Un aristocrate – Valmont – se serait épris d’elle au point de l’épouser. Mais une fausse cérémonie de mariage orchestrée par sa tante, Madame de Rosemonde, aurait permis au libertin de voler à la jeune Merteuil sa vertu, puis de l’abandonner, ce qui justifierait que Merteuil veuille se venger de lui.

Cela n’a aucun sens. D’abord, avec un tel passé, une jeune femme n’aurait trouvé au XVIIIe siècle aucun marquis pour l’épouser : qui voudrait d’une roturière, a fortiori déniaisée et sans appui, à une époque où les contrats de mariage étaient farouchement négociés par les familles ? Cette jeune fille ne serait jamais devenue la marquise de Merteuil.

Ensuite, la réputation sulfureuse de Valmont tient à ce qu’il avilit des jeunes aristocrates pour leur faire perdre leur réputation et humilier les hommes qui la garantissent. Dans cette société scrutatrice, s’attaquer à une nobody n’a stratégiquement aucun intérêt. La série fait de Merteuil une femme violée et sans réputation, méprisée de tous, et qui finit par se faire miraculeusement épouser par un marquis. Ce topos de la jeune fille sortie du ruisseau qui va devenir une Lady n’a rien à voir avec la condition féminine de l’époque. Surtout, elle ne permet pas de comprendre les obstacles qui pèsent sur elle pour s’affranchir. 

“Dans la série, ce cliché d’une ‘nobody’ qui va devenir une ‘Lady’ ne correspond en rien à la condition féminine de l’époque”

 

L’héroïne de Laclos fait son entrée dans le monde ni méprisée ni violée. Elle se marie comme toutes les jeunes filles de l’aristocratie. Or c’est justement la nuit de noces qui est l’occasion d’un viol. À travers le personnage de Merteuil, Laclos interroge ce qu’a de légal cette prise de possession qui réduit la jeune femme à la volonté de son mari. Dans sa célèbre « Lettre 81 » – souvent lue comme un pamphlet féministe –, Merteuil explique que la violence rituelle exécutée par un homme trois fois plus âgé qu’elle fonde sa connaissance du sexe et des rapports de pouvoir. Elle décide de faire de ce traumatisme l’occasion d’un apprentissage social et politique pour s’affranchir des hommes tout en se soumettant aux lois de l’étiquette. Contrairement à Valmont dont la réputation vénéneuse exerce la fascination, l’émancipation de Merteuil doit se faire dans l’ombre car l’honneur des femmes est indissociable d’un régime d’apparences. À aucun moment, elle n’aurait pu être traitée de traînée ni humiliée comme c’est sans cesse le cas dans la série, épisode après épisode. Chez Laclos, la déchéance de l’héroïne est précisément ce qui met fin au roman. Avant ce coup de théâtre final, Merteuil est perçue tout du long comme un modèle de vertu, une vertu qu’elle gagne grâce à une étude approfondie des mœurs de l’époque doublée d’une conduite prudente : elle est, à la manière de Montaigne, son propre ouvrage. Modelée par personne, et encore moins par une Rosemonde qui dans le roman se désespère de son libertin de neveu. Merteuil est une anti-Galatée. Elle s’est créée elle-même et ne doit rien aux manœuvres des hommes pour la modeler selon leurs désirs.

Une sororité manquée, des désirs masculins toujours reconduits

La série multiplie les contresens. En faisant de Merteuil une ingénue déniaisée par Valmont puis initiée à la société de cour par Rosemonde, l’adaptation anéantit toute l’agentivité du personnage de Laclos. Le scénario prête aussi à Rosemonde les intentions que Laclos attribuait à Merteuil, créant une histoire tout simplement invraisemblable. Comment comprendre en effet que Rosemonde manigance les intrigues amoureuses, voulant se venger d’un Gercourt libertin, dont on comprend mal ce qu’elle lui reproche ?

“À aucun moment, Merteuil n’aurait pu être traitée de traînée ni humiliée comme c’est sans cesse le cas dans la série, épisode après épisode”

 

Chez Laclos, c’était limpide. Merteuil et Gercourt étaient amants jusqu’au jour où ce dernier la quittait pour épouser une jeune aristocrate vierge : Cécile de Volanges. Ulcérée, Merteuil sollicitait Valmont pour déshonorer (et violer) Cécile afin que Gercourt soit humilié en épousant une jeune femme avilie. Merteuil était donc celle qui tirait toutes les ficelles, dominant aussi bien le cercle vertueux autour de Cécile de Volanges que le libertin Valmont dont elle dirigeait les coups à sa guise. La façon dont la série adapte cet épisode est un nouveau contresens : Gercourt quitte Cécile qu’il est sur le point d’épouser car elle aurait écrit une lettre qui célèbre le sexe de son amant. Merteuil pense humilier Gercourt en lui révélant ce détail intime : en réalité, elle fortifie le pouvoir de cet homme qui n’a qu’à quitter sa promise et réduire son avenir à néant. Les femmes sont toujours les grandes perdantes du marché matrimonial, que ce soit Merteuil qui continue à se faire violer par son mari (alors que chez Laclos, elle devenait vite veuve) ou la jeune Cécile flanquée d’une mère incapable de l’établir.

Il aurait été intéressant d’imaginer des liens de sororité dans une société où le jeu libertin s’appuie sur une guerre des sexes qui reconduit les inégalités et les rivalités entre les femmes, mais la série échoue à le faire. Aucune motivation psychologique n’explique que la jeune Merteuil veuille faire alliance avec une Rosemonde qui, dès le premier épisode, est à l’origine de sa déchéance. En réalité, les errements du scénario et son incohérence dramatique servent on ne peut plus clairement un regard masculin toujours reconduit. La série multiplie les stéréotypes sur la virginité, l’érotisation des scènes de viol ou encore les gros plans sur les yeux écarquillés de femmes qu’on initie au sexe, y compris à travers la reproduction des tableaux de Fragonard filmés au ralenti.

Alors que les réseaux sociaux et l’ère #MeToo ont changé notre rapport à la réputation comme à l’image qu’on donne de nous aux autres, nous attendons encore et toujours que soient revisitées pour le grand écran Les Liaisons dangereuses sous un prisme féministe. Difficile, pourtant, de faire mieux que Laclos lui-même !

 

Merteuil, de Jessica Palud sur un scénario de Jean-Baptiste Delafon, avec Anamaria Vartolomei, Diane Kruger et Vincent Lacoste, est disponible sur HBO Max et sur la plateforme de Canal+.

décembre 2025
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13.12.2025 à 06:00

Israel Galván et Mohamed El Khatib refont le père dans “Israel et Mohamed” au Théâtre de la Ville, à Paris

nfoiry

Israel Galván et Mohamed El Khatib refont le père dans “Israel et Mohamed” au Théâtre de la Ville, à Paris nfoiry sam 13/12/2025 - 06:00

Avec Israel et Mohamed, le danseur Israel Galván et le metteur en scène et plasticien Mohamed El Khatib proposent un dialogue autour de la figure d’un père autoritaire qui les hante tous deux. Un spectacle à voir au Théâtre de la Ville, à Paris, jusqu’au 20 décembre que vous présente Cédric Enjalbert dans notre nouveau numéro.

décembre 2025
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12.12.2025 à 21:00

Derek Jarman au Centre Pompidou : la beauté des herbes folles

hschlegel

Derek Jarman au Centre Pompidou : la beauté des herbes folles hschlegel ven 12/12/2025 - 21:00

Le Centre Pompidou consacre actuellement une rétrospective cinématographique à Derek Jarman : « L’impur et la grâce ». Artiste complet, cet acteur et cinéaste britannique qui aura collaboré avec Marianne Faithfull, les Pet Shop Boys, les Smiths ou encore Tilda Swinton avant de mourir du Sida en 1994, a laissé une œuvre sans pareille. Il reste pourtant peu connu en France. Cédric Enjalbert nous en dit plus.

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Côté jardin

« Je suis entré dans son œuvre par le jardin ! L’artiste britannique Derek Jarman a planté le sien dans une région a priori hostile de l’Angleterre, à Dungeness, au bord de la mer, sur une lande battue par les vents et écrasée par le soleil, qui fleurit face à une centrale nucléaire. “Il n’y a ni murs ni clôtures, écrit-il dans son magnifique journal, qui vient de paraître sous le titre Nature moderne (Actes Sud). Mon jardin a l’horizon pour unique frontière. Dans ce paysage désolé, le silence n’est brisé que par le vent et les querelles des mouettes autour des pêcheurs qui rapportent leurs prises de l’après-midi. ”Dans ce “désert minéral […] seules les herbes les plus robustes parviennent à s’implanter – elles ouvrent la voie au chou marin vert sauge, à la vipérine bleue, au coquelicot rouge et au sedum jaune.”

Ce texte est extrait de notre newsletter hebdomadaire « Par ici la sortie » : trois recommandations culturelles, éclairées au prisme de la philosophie, chaque vendredi soir. Abonnez-vous, elle est gratuite !

Une vie en sursis

Tenu entre 1989 et 1990, trois ans après avoir découvert sa séropositivité, ce carnet de bord prend la forme d’une méditation sur la vie qui se maintient malgré tout, sur les herbes folles qui poussent entre les cailloux, sur le temps, bien sûr, que l’auteur sait compté – “Je vis en sursis”– et sur l’art, surtout, qu’il pratique jusqu’à sa mort en 1994. Militant des droits homosexuels, héraut punk de la culture queer, opposant au gouvernement de Margaret Thatcher, Derek Jarman rend courageusement public sa maladie au tournant des années 1990 – “Mon sentiment de confusion a atteint son paroxysme, catalysé par mon annonce publique de mon infection par le VIH. Désormais, je ne sais plus ce qui compte le plus, moi-même ou ce que mon public s’imagine.” 

Une philosophie visuelle

Son dernier film, Blue (1993), prend ainsi la forme d’une narration sur un fond bleu uni, d’une réminiscence et d’une réflexion sur sa vie alors qu’il perd la vue. Il est projeté (ce samedi à 20h15, présenté par Philippe Mangeot), dans le cadre de l’hommage rendu à l’artiste par le Centre Pompidou, qui programme une rétrospective de sa filmographie, de ses longs métrages et de ses courts. Parmi eux : Wittgenstein, une adaptation pleine d’humour et d’érudition de la vie du logicien (présentée par Hélène Frappat le samedi 13 décembre à 18 h 30). À propos du philosophe, Derek Jarman note dans son carnet : “Il a mené une existence de reclus névrotique dans une cabane en rondins. Un compagnon de route ?” Elle a été sinueuse, mais que de beautés en chemin. »

 

« Derek Jarman. L’impur et la grâce », rétrospective cinématographique, jusqu’au 16 décembre 2025 au Centre Pompidou.

décembre 2025
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