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07.04.2025 à 10:00

Canesi & Rahmani : le roman comme art de la compréhension

Quatre mains, mais une seule langue, captivante par sa sensibilité, généreuse par sa clarté. Des dialogues fluides et une construction romanesque subtile. Dans Les femmes de nos vies , Michel Canesi et Jamil Rahmani dessinent une passionnante quête d’amour au cœur du creuset humain unissant la France et l’Algérie. A travers le destin algérien et français de Mourad, c’est tant la complexité que la beauté d’un contact deux fois séculaires entre les deux rives de la Méditerranée qui se révèlent au lecteur. Certes, des moments de tension et de conflit traversent le roman, mais c’est surtout la joie de la rencontre qui l’emporte sur les passions tristes. Homme en détresse, abîmé par une mélancolie profonde, les murs du réel s’effondrent sur l’anesthésiste algérois après le suicide de Nicolas, son compagnon. Se jugeant coupable, le goût de la vie déserte son horizon, il pense au suicide, mais un accident l’en empêche. Il frôle la mort. Et c’est au chevet de son lit d’hôpital que trois femmes se réunissent pour le sauver et lui réapprendre l’art de célébrer la vie. Une aventure romanesque tumultueuse, mais surtout une leçon de sororité et d’humanité qui défait les plus tenaces des préjugés et corrige l’indifférence du monde. Entretien avec Jamil Rahmani.   Nonfiction.fr : Vous publiez avec Michel Canesi Les femmes de nos vies , votre septième roman. Pour commencer, pouvez-vous nous exposer votre vision de l’écriture romanesque à quatre mains ? Jamil Rahmani : Lorsque deux plumes s’unissent, elles conjuguent deux personnalités, deux passés, deux expériences et, si ceux qui les tiennent viennent des deux bords de la Méditerranée, cela donne une écriture hybride teintée d’Orient et d’Occident avec près d’un siècle et demi de souvenirs. On nous questionne souvent sur l’écriture à deux, sur notre façon de procéder. C’est assez simple : nous choisissons un thème, des personnages, un scenario et l’écriture démarre. J’écris quelques pages, les soumets à Michel qui les amende, les enrichit, de nouvelles idées surgissent et je réécris le texte. Nous progressons ainsi jusqu’à l’épilogue. Pour l’unité stylistique, j’écris mais le rendu est du Canesi & Rahmani, non du Rahmani. Nos thèmes favoris sont la tolérance, la diversité heureuse, le Nord et le Sud qui s’entremêlent, l’importance de la culture dans nos vies, la confusion des sentiments. Votre roman est situé dans les années sida. Qu’est-ce qui a motivé le choix de cette temporalité romanesque ? Notre premier roman Le Syndrome de Lazare , adapté au cinéma par André Téchiné ( Les Témoins ), traitait de l’émergence du sida à Paris dans les années 1980. Pour les jeunes médecins que nous étions, cette période a été très éprouvante. Michel était dermatologue, il voyait les patients atteints au tout début de leur maladie ; moi, en phase terminale, car j’étais réanimateur. Dans nos deux romans, nous avons voulu témoigner sur cette époque tragique qui a changé la société, on a tendance à l’oublier. Dans l’espace occidental, l’amour entre deux personnes de même sexe a été perçu différemment à cause de cette pandémie. Des avancées considérables ont alors été possibles en termes de droit, d’insertion des minorités sexuelles. Avancées remises en question aujourd’hui ou tournées en dérision par des gouvernements rétrogrades et/ou fascisants partout dans le monde. Nous avons voulu rappeler dans Les femmes de nos vies à quel point la stigmatisation est affreuse, si affreuse qu’elle peut tuer. Une culpabilité ravageuse habite Mourad, le personnage principal du roman, depuis sa jeunesse algéroise. Est-ce en raison du déni de son homosexualité ? Oui bien sûr. Avoir une sexualité hors norme en terre d’islam est très dur à vivre. Toute sa jeunesse, Mourad a lutté contre. Il fallait qu’il soit en adéquation avec les valeurs religieuses, familiales et sociétales. On peut dire qu’il a passé la première partie de sa vie à mentir pour s’intégrer, à lui et aux autres. La culpabilité vient de ces mensonges, de ces faux-semblants. Mourad la ressent dès l’enfance, elle est son chien noir. Il lui doit sa mélancolie, sa déprime. À chaque drame, elle surgit et le fait trébucher. Apprenant sa contamination par le sida, Nicolas, le compagnon de Mourad, mettra fin à ses jours. En quoi se suicide va-t-il chambouler la vie de ce dernier ? C’est Nicolas qui a permis à Mourad de s’accepter tel qu’il est, qui a mis fin à la culpabilité ravageuse qui le rongeait. En le perdant, il perd un pilier essentiel. La découverte d’une ébauche de roman rédigé par Nicolas lui fait comprendre que son ami n’est pas mort accidentellement mais qu’il s’est suicidé se sachant atteint du sida. Il estime alors à tort ou à raison être responsable de son décès. Il culpabilise de n’avoir pas vu la détresse de son ami, de n’avoir pas su l’interroger, le réconforter et l’aider. D’être « L’ami qui ne lui a pas sauvé la vie » . Et le prix de ce qu’il considère être une trahison ne peut-être que la mort. Habité par des pulsions suicidaires, un accident de moto empêchera Mourad de mener à terme le suicide qu’il préparait à domicile. Après l’accident, trois femmes aux parcours radicalement différents vont s’allier pour sauver Mourad de ses pulsions suicidaires, lui redonner le goût à la vie. Qui sont-elles ? Pourquoi ont-elles choisi de mener ce combat dans la maison chère à l’enfance de Mourad dans le Cantal ? Malika est la mère de Mourad, algérienne d’Alger ; elle est profondément religieuse. Elena est son ancienne compagne. Suzanne est la mère de Nicolas ; originaire du Jura, elle est très attachée à sa foi catholique. Quand Mourad sort de l’hôpital, il est toujours dépressif. Le psychiatre qui le suit propose deux solutions, le placement en institution psychiatrique ou la prise en charge par le milieu familial. Après avoir longuement débattu, les trois femmes excluent l’hospitalisation en psychiatrie ou le retour en Algérie. Elles optent pour un séjour dans une maison du Cantal où Mourad a passé le plus bel été de son enfance, espérant que les souvenirs heureux le sortiront de sa déprime. Elles conjuguent leurs efforts et parviennent à le sauver. Ces trois femmes puissantes se lient d’amitié alors que tout les éloigne, la culture, l’âge, la religion, elles sont une ode à la tolérance, au dialogue. Les dialogues sont construits avec finesse et restituent excellemment la sensibilité, la sincérité des échanges. Pouvez-vous nous expliquer ce qui différencie l’acceptation de l’homosexualité de Mourad et de Nicolas par Malika et Suzanne ? La société maghrébine est la société des non-dits. Certains sujets sont tabous, on n’en parle jamais sauf sur le mode de la dérision. Malika comprend les penchants de Mourad, mais il lui est impossible de les verbaliser. Quand Elena demande au psychiatre de taire à Malika les orientations sexuelles de son fils, il a cette répartie très lucide : « Les mères quand elles aiment sont capable d’entendre l’inaudible. »  Malika, par amour maternel, transcende les interdits de sa société et s’abstient de juger son fils. La société occidentale a beaucoup évolué au XX e siècle, surtout avec les années sida. Suzanne n’a pas la pudeur de Malika car les orientations sexuelles ont été dépénalisées dans les têtes et dans la loi. À l’instar de Malika, l’amour qu’elle voue à son fils abat toutes les barrières. À l’inverse de son amie algérienne, elle peut en parler librement car la société dans laquelle elle vit s’est humanisée. Pouvez-vous nous dire ce que représente Elena pour Mourad et Nicolas ? Elena est comme une sœur pour Nicolas et réciproquement. Mourad retrouve en Elena la sœur disparue (Inès) qu’il vénérait car elle l’avait compris. Elle a sa force, son élégance, et il espère qu’en vivant avec elle l’amour viendra. Quand Elena lui présente Nicolas, son meilleur ami, tout s’effondre et, meurtrie, victime d’une double peine, elle s’exile en province pour laisser le champ libre aux deux êtres les plus importants de sa vie. Elle retrouvera Mourad pour le sauver et s’affranchir d’un amour qui ne veut pas mourir. Comme l’héroïne de La Douleur de Marguerite Duras, elle y parviendra mais au prix d’un nouvel exil au Canada. «   Je pars , lui écrit-elle de l’aérogare, et j’emmène une part de toi avec moi… » Les scènes du roman se déroulent dans un va-et-vient aussi bien symbolique que matériel entre la France et l’Algérie. Quel sens accordez-vous à cette géographie littéraire ? Michel et moi tentons depuis notre premier roman sur l’Algérie, Alger Sans Mozart , de rapprocher les deux berges de la Méditerranée. Malheureusement, malgré nos modestes efforts, elles s’éloignent d’année en année. La France et l’Algérie sont indéfectiblement liées par l’histoire, la géographie, le sang, les hommes, la langue. Il faut enjamber ce qui nous sépare pour tenter de retrouver de la sérénité dans nos rapports. Cela ne se fera pas sans la reconnaissance de la souffrance des uns et des autres. De nombreuses voix en France, jusqu’à tout récemment, louent les bienfaits de la colonisation. Qui oserait vanter les bienfaits de l’occupation Allemande ? Il ne saurait y avoir deux poids et deux mesures et la douleur des uns ne peut en aucun cas être inférieure à celle des autres. Les Français doivent reconnaitre que cette période de nos histoires croisées est l'une des plus sombres de la leur. Les Algériens doivent reconnaitre le drame qu’ont vécu ceux qui, en 1962, ont quitté l’Algérie. Ce n’est qu’à ce prix que les relations s’apaiseront. Dans Les femmes de nos vies, au travers de deux femmes que tout semble séparer, nous essayons de montrer la voie de la réconciliation et de l’amitié.
Texte intégral (1899 mots)

Quatre mains, mais une seule langue, captivante par sa sensibilité, généreuse par sa clarté. Des dialogues fluides et une construction romanesque subtile. Dans Les femmes de nos vies, Michel Canesi et Jamil Rahmani dessinent une passionnante quête d’amour au cœur du creuset humain unissant la France et l’Algérie. A travers le destin algérien et français de Mourad, c’est tant la complexité que la beauté d’un contact deux fois séculaires entre les deux rives de la Méditerranée qui se révèlent au lecteur. Certes, des moments de tension et de conflit traversent le roman, mais c’est surtout la joie de la rencontre qui l’emporte sur les passions tristes.

Homme en détresse, abîmé par une mélancolie profonde, les murs du réel s’effondrent sur l’anesthésiste algérois après le suicide de Nicolas, son compagnon. Se jugeant coupable, le goût de la vie déserte son horizon, il pense au suicide, mais un accident l’en empêche. Il frôle la mort. Et c’est au chevet de son lit d’hôpital que trois femmes se réunissent pour le sauver et lui réapprendre l’art de célébrer la vie. Une aventure romanesque tumultueuse, mais surtout une leçon de sororité et d’humanité qui défait les plus tenaces des préjugés et corrige l’indifférence du monde. Entretien avec Jamil Rahmani.

 

Nonfiction.fr : Vous publiez avec Michel Canesi Les femmes de nos vies, votre septième roman. Pour commencer, pouvez-vous nous exposer votre vision de l’écriture romanesque à quatre mains ?

Jamil Rahmani : Lorsque deux plumes s’unissent, elles conjuguent deux personnalités, deux passés, deux expériences et, si ceux qui les tiennent viennent des deux bords de la Méditerranée, cela donne une écriture hybride teintée d’Orient et d’Occident avec près d’un siècle et demi de souvenirs. On nous questionne souvent sur l’écriture à deux, sur notre façon de procéder. C’est assez simple : nous choisissons un thème, des personnages, un scenario et l’écriture démarre. J’écris quelques pages, les soumets à Michel qui les amende, les enrichit, de nouvelles idées surgissent et je réécris le texte. Nous progressons ainsi jusqu’à l’épilogue. Pour l’unité stylistique, j’écris mais le rendu est du Canesi & Rahmani, non du Rahmani. Nos thèmes favoris sont la tolérance, la diversité heureuse, le Nord et le Sud qui s’entremêlent, l’importance de la culture dans nos vies, la confusion des sentiments.

Votre roman est situé dans les années sida. Qu’est-ce qui a motivé le choix de cette temporalité romanesque ?

Notre premier roman Le Syndrome de Lazare, adapté au cinéma par André Téchiné (Les Témoins), traitait de l’émergence du sida à Paris dans les années 1980. Pour les jeunes médecins que nous étions, cette période a été très éprouvante. Michel était dermatologue, il voyait les patients atteints au tout début de leur maladie ; moi, en phase terminale, car j’étais réanimateur. Dans nos deux romans, nous avons voulu témoigner sur cette époque tragique qui a changé la société, on a tendance à l’oublier.

Dans l’espace occidental, l’amour entre deux personnes de même sexe a été perçu différemment à cause de cette pandémie. Des avancées considérables ont alors été possibles en termes de droit, d’insertion des minorités sexuelles. Avancées remises en question aujourd’hui ou tournées en dérision par des gouvernements rétrogrades et/ou fascisants partout dans le monde. Nous avons voulu rappeler dans Les femmes de nos vies à quel point la stigmatisation est affreuse, si affreuse qu’elle peut tuer.

Une culpabilité ravageuse habite Mourad, le personnage principal du roman, depuis sa jeunesse algéroise. Est-ce en raison du déni de son homosexualité ?

Oui bien sûr. Avoir une sexualité hors norme en terre d’islam est très dur à vivre. Toute sa jeunesse, Mourad a lutté contre. Il fallait qu’il soit en adéquation avec les valeurs religieuses, familiales et sociétales. On peut dire qu’il a passé la première partie de sa vie à mentir pour s’intégrer, à lui et aux autres. La culpabilité vient de ces mensonges, de ces faux-semblants. Mourad la ressent dès l’enfance, elle est son chien noir. Il lui doit sa mélancolie, sa déprime. À chaque drame, elle surgit et le fait trébucher.

Apprenant sa contamination par le sida, Nicolas, le compagnon de Mourad, mettra fin à ses jours. En quoi se suicide va-t-il chambouler la vie de ce dernier ?

C’est Nicolas qui a permis à Mourad de s’accepter tel qu’il est, qui a mis fin à la culpabilité ravageuse qui le rongeait. En le perdant, il perd un pilier essentiel. La découverte d’une ébauche de roman rédigé par Nicolas lui fait comprendre que son ami n’est pas mort accidentellement mais qu’il s’est suicidé se sachant atteint du sida. Il estime alors à tort ou à raison être responsable de son décès. Il culpabilise de n’avoir pas vu la détresse de son ami, de n’avoir pas su l’interroger, le réconforter et l’aider. D’être « L’ami qui ne lui a pas sauvé la vie ». Et le prix de ce qu’il considère être une trahison ne peut-être que la mort.

Habité par des pulsions suicidaires, un accident de moto empêchera Mourad de mener à terme le suicide qu’il préparait à domicile. Après l’accident, trois femmes aux parcours radicalement différents vont s’allier pour sauver Mourad de ses pulsions suicidaires, lui redonner le goût à la vie. Qui sont-elles ? Pourquoi ont-elles choisi de mener ce combat dans la maison chère à l’enfance de Mourad dans le Cantal ?

Malika est la mère de Mourad, algérienne d’Alger ; elle est profondément religieuse. Elena est son ancienne compagne. Suzanne est la mère de Nicolas ; originaire du Jura, elle est très attachée à sa foi catholique. Quand Mourad sort de l’hôpital, il est toujours dépressif. Le psychiatre qui le suit propose deux solutions, le placement en institution psychiatrique ou la prise en charge par le milieu familial. Après avoir longuement débattu, les trois femmes excluent l’hospitalisation en psychiatrie ou le retour en Algérie. Elles optent pour un séjour dans une maison du Cantal où Mourad a passé le plus bel été de son enfance, espérant que les souvenirs heureux le sortiront de sa déprime. Elles conjuguent leurs efforts et parviennent à le sauver. Ces trois femmes puissantes se lient d’amitié alors que tout les éloigne, la culture, l’âge, la religion, elles sont une ode à la tolérance, au dialogue.

Les dialogues sont construits avec finesse et restituent excellemment la sensibilité, la sincérité des échanges. Pouvez-vous nous expliquer ce qui différencie l’acceptation de l’homosexualité de Mourad et de Nicolas par Malika et Suzanne ?

La société maghrébine est la société des non-dits. Certains sujets sont tabous, on n’en parle jamais sauf sur le mode de la dérision. Malika comprend les penchants de Mourad, mais il lui est impossible de les verbaliser. Quand Elena demande au psychiatre de taire à Malika les orientations sexuelles de son fils, il a cette répartie très lucide : « Les mères quand elles aiment sont capable d’entendre l’inaudible. » Malika, par amour maternel, transcende les interdits de sa société et s’abstient de juger son fils. La société occidentale a beaucoup évolué au XXe siècle, surtout avec les années sida. Suzanne n’a pas la pudeur de Malika car les orientations sexuelles ont été dépénalisées dans les têtes et dans la loi. À l’instar de Malika, l’amour qu’elle voue à son fils abat toutes les barrières. À l’inverse de son amie algérienne, elle peut en parler librement car la société dans laquelle elle vit s’est humanisée.

Pouvez-vous nous dire ce que représente Elena pour Mourad et Nicolas ?

Elena est comme une sœur pour Nicolas et réciproquement. Mourad retrouve en Elena la sœur disparue (Inès) qu’il vénérait car elle l’avait compris. Elle a sa force, son élégance, et il espère qu’en vivant avec elle l’amour viendra. Quand Elena lui présente Nicolas, son meilleur ami, tout s’effondre et, meurtrie, victime d’une double peine, elle s’exile en province pour laisser le champ libre aux deux êtres les plus importants de sa vie. Elle retrouvera Mourad pour le sauver et s’affranchir d’un amour qui ne veut pas mourir. Comme l’héroïne de La Douleur de Marguerite Duras, elle y parviendra mais au prix d’un nouvel exil au Canada. « Je pars, lui écrit-elle de l’aérogare, et j’emmène une part de toi avec moi… »

Les scènes du roman se déroulent dans un va-et-vient aussi bien symbolique que matériel entre la France et l’Algérie. Quel sens accordez-vous à cette géographie littéraire ?

Michel et moi tentons depuis notre premier roman sur l’Algérie, Alger Sans Mozart, de rapprocher les deux berges de la Méditerranée. Malheureusement, malgré nos modestes efforts, elles s’éloignent d’année en année. La France et l’Algérie sont indéfectiblement liées par l’histoire, la géographie, le sang, les hommes, la langue. Il faut enjamber ce qui nous sépare pour tenter de retrouver de la sérénité dans nos rapports. Cela ne se fera pas sans la reconnaissance de la souffrance des uns et des autres. De nombreuses voix en France, jusqu’à tout récemment, louent les bienfaits de la colonisation. Qui oserait vanter les bienfaits de l’occupation Allemande ? Il ne saurait y avoir deux poids et deux mesures et la douleur des uns ne peut en aucun cas être inférieure à celle des autres. Les Français doivent reconnaitre que cette période de nos histoires croisées est l'une des plus sombres de la leur. Les Algériens doivent reconnaitre le drame qu’ont vécu ceux qui, en 1962, ont quitté l’Algérie. Ce n’est qu’à ce prix que les relations s’apaiseront. Dans Les femmes de nos vies, au travers de deux femmes que tout semble séparer, nous essayons de montrer la voie de la réconciliation et de l’amitié.

28.03.2025 à 09:00

Jean-Noël Pancrazi : la douceur d’une petite sœur

Lorsqu’il apprend que sa sœur cadette est atteinte d’un cancer du sein, l’auteur n’hésite pas et la rejoint à Perpignan, où elle s’est installée avec sa compagne, après avoir mené à Versailles une carrière dans l’aide sociale. Il s’agit d’une sorte de retour aux sources, car Isabelle vit non loin de l’endroit où habitait leur mère. C’est à Perpignan en effet que cette famille posa ses valises en 1962, parmi ceux que l’on appelait les « rapatriés » d’Algérie, ce pays où Jean-Noël et Isabelle ont laissé une partie de leur enfance. « Comment Isabelle, ma petite sœur adorée, si vive, toujours prête à sortir, à vivre depuis le moment où je la voyais tourner à sept ans, toute bouclée, dans sa petite voiture rouge, en plein soleil, sur la terrasse du Stand, si saine et si loin de tous les excès toxiques, pouvait-elle aujourd’hui être atteinte par le cancer ? » Les derniers survivants d’une famille Le frère et la sœur sont les derniers en vie de cette famille, et doivent veiller l’un sur l’autre. Ils partagent bien des secrets depuis l’enfance, notamment leurs « amours particulières ». Tout l’art de l’écrivain est de convoquer ou d’invoquer les morts aimés pour leur faire dire les paroles consolantes et réparer le mal qu’ils ont pu faire sans le savoir : « On revenait au Moulin-à-Vent, sans passer comme d’habitude par l’avenue de la Salanque, nos pas nous portaient inconsciemment vers le square Saint-Ferréol, on s’asseyait sur le seuil de l’immeuble où avait vécu maman – son appartement qu’on avait bradé, vendu très vite par peur en touchant chacun des objets qu’elle avait tant soignés et qu’on finirait par donner. J’aurais tant voulu qu’elle apparaisse, venant du collège Saint-Exupéry, derrière la colline, où elle travaillait à la fin, et dise à Isabelle en ajustant les plis de son turban rose qu’elle croyait en elle et qu’il y avait des chances que les résultats de cette année soient mirobolants . » La fidélité à ceux que l’on aime La plume de l’auteur est délicate et sensible pour évoquer ceux qu’il aime et qu’il aide à travers les années et les frontières, comme Driss, dont la maison, dans la médina de Marrakech, semble toujours sur le point de s’écrouler : « Il y avait maintenant une liaison directe entre Perpignan et Marrakech. Dès qu’elle irait mieux, elle prendrait l’avion pour le Maroc, qu’elle avait envie de connaître. Elle rencontrerait Driss qui promettait d’être son guide là-bas. Il l’appelait “Mimisha”, sa petite geisha malade qui viendrait guérir dans le Sud ; il continuait à prier pour elle, même s’il ne la connaissait pas. Il comprenait que je reste auprès d’elle, mais, en même temps, il avait besoin de moi dans l’appartement du quartier de L’Hivernage où il se sentait protégé chaque fois que je venais. Tous les jours que je passais ici avec Isabelle, c’était autant de jours où il risquait de disparaître dans son vieux ryad de la médina qui menaçait de s’effondrer sur lui. » Certaines pages sont très émouvantes, notamment celles qui décrivent les soins reçus à l'hôpital Cognacq-Jay par l’auteur, qui, lui-même atteint du SIDA (sans doute, car il ne nomme jamais son mal), évoque aussi bien « [s] a poignée d [‘hormones tyroïdiennes] T4 qui augment [ent] un tout petit peu comme des soldats perdus et isolés sous la neige » que les malades qui l’entourent et se montrent fraternels. Le ton, en fin de compte, est toujours juste dans ce livre qui sait si bien parler de la lumière et de tout ce qui peut se partager, sans même les mots pour le dire, chez ces éternels « enfants du Stand ».
Texte intégral (728 mots)

Lorsqu’il apprend que sa sœur cadette est atteinte d’un cancer du sein, l’auteur n’hésite pas et la rejoint à Perpignan, où elle s’est installée avec sa compagne, après avoir mené à Versailles une carrière dans l’aide sociale. Il s’agit d’une sorte de retour aux sources, car Isabelle vit non loin de l’endroit où habitait leur mère. C’est à Perpignan en effet que cette famille posa ses valises en 1962, parmi ceux que l’on appelait les « rapatriés » d’Algérie, ce pays où Jean-Noël et Isabelle ont laissé une partie de leur enfance. « Comment Isabelle, ma petite sœur adorée, si vive, toujours prête à sortir, à vivre depuis le moment où je la voyais tourner à sept ans, toute bouclée, dans sa petite voiture rouge, en plein soleil, sur la terrasse du Stand, si saine et si loin de tous les excès toxiques, pouvait-elle aujourd’hui être atteinte par le cancer ? »

Les derniers survivants d’une famille

Le frère et la sœur sont les derniers en vie de cette famille, et doivent veiller l’un sur l’autre. Ils partagent bien des secrets depuis l’enfance, notamment leurs « amours particulières ». Tout l’art de l’écrivain est de convoquer ou d’invoquer les morts aimés pour leur faire dire les paroles consolantes et réparer le mal qu’ils ont pu faire sans le savoir :

« On revenait au Moulin-à-Vent, sans passer comme d’habitude par l’avenue de la Salanque, nos pas nous portaient inconsciemment vers le square Saint-Ferréol, on s’asseyait sur le seuil de l’immeuble où avait vécu maman – son appartement qu’on avait bradé, vendu très vite par peur en touchant chacun des objets qu’elle avait tant soignés et qu’on finirait par donner. J’aurais tant voulu qu’elle apparaisse, venant du collège Saint-Exupéry, derrière la colline, où elle travaillait à la fin, et dise à Isabelle en ajustant les plis de son turban rose qu’elle croyait en elle et qu’il y avait des chances que les résultats de cette année soient mirobolants. »

La fidélité à ceux que l’on aime

La plume de l’auteur est délicate et sensible pour évoquer ceux qu’il aime et qu’il aide à travers les années et les frontières, comme Driss, dont la maison, dans la médina de Marrakech, semble toujours sur le point de s’écrouler :

« Il y avait maintenant une liaison directe entre Perpignan et Marrakech. Dès qu’elle irait mieux, elle prendrait l’avion pour le Maroc, qu’elle avait envie de connaître. Elle rencontrerait Driss qui promettait d’être son guide là-bas. Il l’appelait “Mimisha”, sa petite geisha malade qui viendrait guérir dans le Sud ; il continuait à prier pour elle, même s’il ne la connaissait pas. Il comprenait que je reste auprès d’elle, mais, en même temps, il avait besoin de moi dans l’appartement du quartier de L’Hivernage où il se sentait protégé chaque fois que je venais. Tous les jours que je passais ici avec Isabelle, c’était autant de jours où il risquait de disparaître dans son vieux ryad de la médina qui menaçait de s’effondrer sur lui. »

Certaines pages sont très émouvantes, notamment celles qui décrivent les soins reçus à l'hôpital Cognacq-Jay par l’auteur, qui, lui-même atteint du SIDA (sans doute, car il ne nomme jamais son mal), évoque aussi bien « [s]a poignée d[‘hormones tyroïdiennes] T4 qui augment[ent] un tout petit peu comme des soldats perdus et isolés sous la neige » que les malades qui l’entourent et se montrent fraternels.

Le ton, en fin de compte, est toujours juste dans ce livre qui sait si bien parler de la lumière et de tout ce qui peut se partager, sans même les mots pour le dire, chez ces éternels « enfants du Stand ».

26.03.2025 à 09:00

Adrien Lafille : pièces de mystère, de puzzle, d’univers

Paru aux éditions Corti en avril 2024, Le Feu extérieur est le troisième roman d’Adrien Lafille et son quatrième livre. Après Milieu (2021) et La Transparence (2022) aux éditions Vanloo, on compte aussi, à quatre mains avec Anaël Castelein, :Kappa: (Rrose, 2022), qui n’est ni un roman, ni un récit, mais une expérience littéraire en forme de chant guerrier placide à toutes les petites gloires de Twitch. Voyage dans le multivers Chacun de ces livres déploie un univers atemporel dont les lois ne varient qu’à peine de celles en vigueur dans le nôtre – assez cependant pour provoquer un trouble, qui tient à la fois de l’inquiétude et de la fascination, qui tient et tire l’attention vers des horizons inexplorés. Plus sombre, plus délibéré peut-être que les autres, Le Feu extérieur est un roman aux allures de quête vidéoludique dont l’objet serait volontairement flou. Presque une suite ou un antépisode aux précédents livres de l’auteur, ce nouveau récit confirme l’impressionnante capacité d’Adrien Lafille à construire des mondes potentiellement intriqués sans qu’aucun fil n’apparaisse pour trahir leur appartenance : « Un point zéro existe toujours, ça peut être le coin d’une rue, une fenêtre, une table, une chaise, un objet, quelqu’un, une phrase, un geste, c’est le zéro mais le zéro n’est jamais seul, le zéro commence avec d’autres zéros, il y a des zéros à côté des zéros tant qu’il y a des choses à côté des choses. » De la même manière que le livre s’inscrit dans une œuvre en devenir, en tant que pièce – de puzzle ou de tissu –, son contenu s’organise en fragments portant le nom d’un personnage, d’un lieu ou d’un objet. Autant d’entités évoluant à même hauteur dramaturgique au sein de l’histoire : pas de statut préférentiel accordé aux protagonistes, pas de différence entre environnement et sujet, contenant et contenu, mais une histoire portée par la voix narrative du je autant que par ce qu’elle rapporte de vu ou de vécu. Catapulté dans un espace parfaitement déterminé (reporté sur un plan en fin d’ouvrage) qui lui semble familier mais ne l’est en réalité pas du tout si l’on en croit ses interlocutrices et interlocuteurs, le narrateur anonyme a un petit côté Perceval en déroute. Manger, dormir, parler, suer sont pour lui des actions complexes qui regorgent de problèmes en puissance. Si l’environnement est clair, précis et pas bien étendu, s’y mouvoir est difficile : comme chez Beckett, les corps sont soumis à toutes sortes de micro-transformations (d’agressions) qu’il s’agit d’observer, de combattre, de subir ou de contrecarrer. Une poétique du contact Car il existe dans cet univers une porosité fondamentale entre le monde et la chair : « Les endroits font les personnes, les personnes font les personnes . » Ainsi les sujets, les objets et les manifestations physiques de l’univers (les éléments) transfèrent-ils par contact leurs qualités à ce (et ceux) qui les environne. À la manière des philosophes présocratiques, Adrien Lafille développe une cosmogonie dont le principe relèverait ici d’une poétique du contact, plutôt que d’un élément en particulier : « Chaque feu prend la couleur de ce qu’il brûle.  » Cette dimension oraculaire – définitoire et définitive – infuse l’entièreté du roman, toute l’œuvre de l’auteur même, traversant les mille fragments qui composent l’histoire et que l’on pourrait tout aussi bien parcourir à reculons : le principe donne une direction, mais pas un sens. « La peur est faite des choses cachées dans les choses. / Et puis les craquements dans ce qui ne craque pas, la voix dans ce qui ne parle pas, le sec au milieu de l’eau, la bille dans ce qui ne peut pas rouler, le chaud dans les jours de gel, la chose tellement dure qu’elle casse. » Parce qu’elle s’appuie sur un important arrière-plan philosophique et un attrait manifeste pour les images tout en présentant un univers clos, replié sur lui-même (à l’infini), la manière de raconter d’Adrien Lafille est à la fois centrifuge et centripète (pour reprendre les termes du théoricien du cinéma André Bazin). Elle amène à plonger à l’intérieur de l’image et à regarder virtuellement au-delà de ses bords (en cela, le fragment est une fenêtre sur un monde immense), autant qu’elle ferme l’image-fragment sur l’espace de sa propre matière et de sa propre composition. Tout est alors possible si l’on respecte les règles édictées par cet univers étrangement familier. Le Feu extérieur pourrait ainsi s’envisager comme un thriller quantique. L’inquiétude et la violence se situent au niveau nanoscopique : le moindre choc déplace un monde, et chaque détail est aussi potentiellement englobant, doux et chaud que l’action d’un soleil absorbant une planète.
Texte intégral (930 mots)

Paru aux éditions Corti en avril 2024, Le Feu extérieur est le troisième roman d’Adrien Lafille et son quatrième livre. Après Milieu (2021) et La Transparence (2022) aux éditions Vanloo, on compte aussi, à quatre mains avec Anaël Castelein, :Kappa: (Rrose, 2022), qui n’est ni un roman, ni un récit, mais une expérience littéraire en forme de chant guerrier placide à toutes les petites gloires de Twitch.

Voyage dans le multivers

Chacun de ces livres déploie un univers atemporel dont les lois ne varient qu’à peine de celles en vigueur dans le nôtre – assez cependant pour provoquer un trouble, qui tient à la fois de l’inquiétude et de la fascination, qui tient et tire l’attention vers des horizons inexplorés. Plus sombre, plus délibéré peut-être que les autres, Le Feu extérieur est un roman aux allures de quête vidéoludique dont l’objet serait volontairement flou. Presque une suite ou un antépisode aux précédents livres de l’auteur, ce nouveau récit confirme l’impressionnante capacité d’Adrien Lafille à construire des mondes potentiellement intriqués sans qu’aucun fil n’apparaisse pour trahir leur appartenance :

« Un point zéro existe toujours, ça peut être le coin d’une rue, une fenêtre, une table, une chaise, un objet, quelqu’un, une phrase, un geste, c’est le zéro mais le zéro n’est jamais seul, le zéro commence avec d’autres zéros, il y a des zéros à côté des zéros tant qu’il y a des choses à côté des choses. »

De la même manière que le livre s’inscrit dans une œuvre en devenir, en tant que pièce – de puzzle ou de tissu –, son contenu s’organise en fragments portant le nom d’un personnage, d’un lieu ou d’un objet. Autant d’entités évoluant à même hauteur dramaturgique au sein de l’histoire : pas de statut préférentiel accordé aux protagonistes, pas de différence entre environnement et sujet, contenant et contenu, mais une histoire portée par la voix narrative du je autant que par ce qu’elle rapporte de vu ou de vécu. Catapulté dans un espace parfaitement déterminé (reporté sur un plan en fin d’ouvrage) qui lui semble familier mais ne l’est en réalité pas du tout si l’on en croit ses interlocutrices et interlocuteurs, le narrateur anonyme a un petit côté Perceval en déroute. Manger, dormir, parler, suer sont pour lui des actions complexes qui regorgent de problèmes en puissance. Si l’environnement est clair, précis et pas bien étendu, s’y mouvoir est difficile : comme chez Beckett, les corps sont soumis à toutes sortes de micro-transformations (d’agressions) qu’il s’agit d’observer, de combattre, de subir ou de contrecarrer.

Une poétique du contact

Car il existe dans cet univers une porosité fondamentale entre le monde et la chair : « Les endroits font les personnes, les personnes font les personnes. » Ainsi les sujets, les objets et les manifestations physiques de l’univers (les éléments) transfèrent-ils par contact leurs qualités à ce (et ceux) qui les environne. À la manière des philosophes présocratiques, Adrien Lafille développe une cosmogonie dont le principe relèverait ici d’une poétique du contact, plutôt que d’un élément en particulier : « Chaque feu prend la couleur de ce qu’il brûle. » Cette dimension oraculaire – définitoire et définitive – infuse l’entièreté du roman, toute l’œuvre de l’auteur même, traversant les mille fragments qui composent l’histoire et que l’on pourrait tout aussi bien parcourir à reculons : le principe donne une direction, mais pas un sens.

« La peur est faite des choses cachées dans les choses. / Et puis les craquements dans ce qui ne craque pas, la voix dans ce qui ne parle pas, le sec au milieu de l’eau, la bille dans ce qui ne peut pas rouler, le chaud dans les jours de gel, la chose tellement dure qu’elle casse. »

Parce qu’elle s’appuie sur un important arrière-plan philosophique et un attrait manifeste pour les images tout en présentant un univers clos, replié sur lui-même (à l’infini), la manière de raconter d’Adrien Lafille est à la fois centrifuge et centripète (pour reprendre les termes du théoricien du cinéma André Bazin). Elle amène à plonger à l’intérieur de l’image et à regarder virtuellement au-delà de ses bords (en cela, le fragment est une fenêtre sur un monde immense), autant qu’elle ferme l’image-fragment sur l’espace de sa propre matière et de sa propre composition.

Tout est alors possible si l’on respecte les règles édictées par cet univers étrangement familier. Le Feu extérieur pourrait ainsi s’envisager comme un thriller quantique. L’inquiétude et la violence se situent au niveau nanoscopique : le moindre choc déplace un monde, et chaque détail est aussi potentiellement englobant, doux et chaud que l’action d’un soleil absorbant une planète.

24.03.2025 à 10:00

Adèle Yon, le roman d’une aïeule « brillantissime » et lobotomisée

Adèle Yon, née en 1994, est normalienne et chercheuse en études cinématographiques, enseignante et cheffe de cuisine. Ayant abandonné une thèse sur les doubles féminins fantômes au cinéma, elle a préféré la recherche-création, en s’intéressant au fantôme de son aïeule, Elisabeth (1916-1990), surnommée Betsy par sa famille, jeune femme « brillantissime » et libre, victime de son mari André, polytechnicien catholique et rigide, et de son père qui la firent lobotomiser en 1950. Elle fut internée sous contrainte pendant 17 ans dans un asile à Fleury-les-Aubrais près d’Orléans. Ce livre glaçant, qu’on lit d’une traite sans en croire ses yeux, soulève plusieurs questions troublantes. Celle du poids de l’hérédité d’abord : l’auteure, gagnée souvent par la colère, se demande si elle ne devient pas « schizophrène » à son tour, selon le diagnostic posé rapidement sur les colères de son arrière-grand-mère. Celle de la condition des femmes ensuite, surtout en une époque où triomphaient encore le patriarcat et tous ses abus. Celle de la lamentable histoire de la psychiatrie dans la seconde moitié du XX e siècle, aussi. Celle, enfin, des valeurs de la bourgeoisie dans une famille nombreuse, qui possède une propriété près de la Trinité-sur-Mer, où se réunit la tribu tous les étés. Une famille dans laquelle « Maman, c’était un non-sujet », comme le dit un des enfants d’Elisabeth lors d’un entretien avec l’auteure, comme pour contenir le vertige des souffrances et des secrets que recouvre ce silence. Un art très maîtrisé du montage Grâce à sa grand-mère, fille aînée d’Elisabeth, et figure essentielle de ce livre qui lui est dédié, l’auteure a accès à des archives, comme la correspondance de Betsy et d’André avant leur mariage. Une correspondance où le lecteur voit se tramer le choc que sera pour cette très belle jeune femme ivre de liberté et de goût pour la vie l’autorité sans bornes de son futur mari, qui conclut ainsi sa lettre du 13 février 1940 : « Sans doute vous êtes libre, mais jusqu’à un certain point seulement, car je suis votre chef. La Providence m’a institué tel. » Il pense (à sa place) qu’« il n’y a qu’une chose qui [la] préoccupe : devenir une sainte ». Si la vie d’Elisabeth n’était pas aussi triste, il y aurait parfois de quoi rire, mais d’un rire proche du cri d’effroi, notamment quand André prie Dieu dans sa « méditation » du 25 mai 1949, alors que sa femme est enfermée à Ville-Évrard : « Ne permettez pas que je reste indéfiniment dans cet isolement où je souffre actuellement. Que Betsy guérisse vite ou alors rappelez-la à Vous. » Dans ce premier livre qui frappe par sa maîtrise et son intelligence, l’auteure alterne des descriptions sidérantes de la lobotomie (pratique née aux États-Unis dans une sorte de médecine spectacle dont le livre documente l’histoire) avec l'évocation de ses gestes précis pour découper du porc dans ses activités de cheffe de cuisine. Elle intègre des documents très variés : photographies, mais aussi extraits d’une thèse de médecine soutenue le 22 juin 1951, intitulée « Essai sur la place de la lobotomie dans le drame familial », avec des observations saisissantes sur le traitement de « Mme N. », c’est-à-dire Elisabeth, et les décisions délétères de son mari et de son père, « personnage petit, maigre, aux gestes secs, précis et méticuleux », qui conseille « la force » à son gendre pour venir à bout des « troubles caractériels » de Betsy. Dès juillet 1948, les deux hommes demandent que soit pratiquée une lobotomie, ce à quoi le Dr Hécaen s’oppose pour « une malade lucide, refusant certainement l’intervention  ». Il propose « une cure de Sakel » (qui provoque par injection d’insuline un coma hyperglycémique). En janvier 1950, une nouvelle demande est faite par les deux hommes et acceptée par les médecins, sans que l’opération mette fin à « des scènes exactement semblables » à celles qui l’ont précédée. L’observation se conclut ainsi : « Nous aurons l’occasion, au cours de cette étude, de citer d’autres exemples de ces pressions familiales. S’exerçant parfois de façon un peu trop intempestive, elles laissent au médecin une impression de malaise. » La création pour survivre C’est toute une histoire de la bourgeoisie française, de ses mensonges et de ses turpitudes, qui s’écrit en creux dans ce livre, où l’auteure met au jour des secrets de famille bien dissimulés (comme la poussière sous le tapis) par des silences convenables. À cette force de destruction massive, à cette puissance morbide de la famille, la création semble la seule réponse possible. La nièce de Betsy, sculptrice, indique ainsi la voie à l’auteure : « Tout le noir qui est en moi, je l’ai mis dans la terre. Il n’y a que la création qui peut nous faire survivre. Je vis dans la survie, et après tout beaucoup d’artistes le disent : ce n’est pas la pire des façons de vivre. Ce n’est pas la pire. C’est l’aventure. » Adèle Yon, de la sorte, crée une forme composite et polyphonique, follement dynamique et documentée. Elle coupe souvent dans le vif du sujet, et reprend les quelques éléments de la légende familiale autour de Betsy pour les assembler comme les pièces d’un puzzle dont elle sait qu’elle ne viendra jamais à bout. C’est ce geste de résistance qu’il faut saluer chez cette jeune femme comme on aimerait en avoir dans sa propre famille ou dans sa descendance, capable comme elle est, grâce à son intelligence et à son courage, de rendre justice, ou du moins de faire entendre une voix juste, qu’on a cherché à étouffer de mille manières. Cette justesse caractérise ce livre jusque dans ses remerciements, dont le dernier vient comme une promesse : « Je remercie enfin toutes les femmes qui, au cours de ce voyage et au-delà, m’ont fait part de leur expérience de la maladie mentale, de la peur, de la menace, du découragement, du poids familial, du silence, de la colère. Je remercie toutes celles et ceux qui apercevront leur histoire dans le creux de celle-ci. Ce livre est pour nous : qu’il nous libère. » Loin de se replier sur soi, dans un narcissisme sans effets, ce livre se déplie et se déploie comme un travail politique et sensible, intime et nécessaire, pour soi et vers l’autre. Cette réussite va au-delà de la littérature et éblouit, quand on pense qu’il s’agit d’un premier livre, comme une lumière qui n’a pas fini d’éclairer.
Texte intégral (1245 mots)

Adèle Yon, née en 1994, est normalienne et chercheuse en études cinématographiques, enseignante et cheffe de cuisine. Ayant abandonné une thèse sur les doubles féminins fantômes au cinéma, elle a préféré la recherche-création, en s’intéressant au fantôme de son aïeule, Elisabeth (1916-1990), surnommée Betsy par sa famille, jeune femme « brillantissime » et libre, victime de son mari André, polytechnicien catholique et rigide, et de son père qui la firent lobotomiser en 1950. Elle fut internée sous contrainte pendant 17 ans dans un asile à Fleury-les-Aubrais près d’Orléans.

Ce livre glaçant, qu’on lit d’une traite sans en croire ses yeux, soulève plusieurs questions troublantes. Celle du poids de l’hérédité d’abord : l’auteure, gagnée souvent par la colère, se demande si elle ne devient pas « schizophrène » à son tour, selon le diagnostic posé rapidement sur les colères de son arrière-grand-mère. Celle de la condition des femmes ensuite, surtout en une époque où triomphaient encore le patriarcat et tous ses abus. Celle de la lamentable histoire de la psychiatrie dans la seconde moitié du XXe siècle, aussi. Celle, enfin, des valeurs de la bourgeoisie dans une famille nombreuse, qui possède une propriété près de la Trinité-sur-Mer, où se réunit la tribu tous les étés. Une famille dans laquelle « Maman, c’était un non-sujet », comme le dit un des enfants d’Elisabeth lors d’un entretien avec l’auteure, comme pour contenir le vertige des souffrances et des secrets que recouvre ce silence.

Un art très maîtrisé du montage

Grâce à sa grand-mère, fille aînée d’Elisabeth, et figure essentielle de ce livre qui lui est dédié, l’auteure a accès à des archives, comme la correspondance de Betsy et d’André avant leur mariage. Une correspondance où le lecteur voit se tramer le choc que sera pour cette très belle jeune femme ivre de liberté et de goût pour la vie l’autorité sans bornes de son futur mari, qui conclut ainsi sa lettre du 13 février 1940 : « Sans doute vous êtes libre, mais jusqu’à un certain point seulement, car je suis votre chef. La Providence m’a institué tel. » Il pense (à sa place) qu’« il n’y a qu’une chose qui [la] préoccupe : devenir une sainte ». Si la vie d’Elisabeth n’était pas aussi triste, il y aurait parfois de quoi rire, mais d’un rire proche du cri d’effroi, notamment quand André prie Dieu dans sa « méditation » du 25 mai 1949, alors que sa femme est enfermée à Ville-Évrard : « Ne permettez pas que je reste indéfiniment dans cet isolement où je souffre actuellement. Que Betsy guérisse vite ou alors rappelez-la à Vous. »

Dans ce premier livre qui frappe par sa maîtrise et son intelligence, l’auteure alterne des descriptions sidérantes de la lobotomie (pratique née aux États-Unis dans une sorte de médecine spectacle dont le livre documente l’histoire) avec l'évocation de ses gestes précis pour découper du porc dans ses activités de cheffe de cuisine. Elle intègre des documents très variés : photographies, mais aussi extraits d’une thèse de médecine soutenue le 22 juin 1951, intitulée « Essai sur la place de la lobotomie dans le drame familial », avec des observations saisissantes sur le traitement de « Mme N. », c’est-à-dire Elisabeth, et les décisions délétères de son mari et de son père, « personnage petit, maigre, aux gestes secs, précis et méticuleux », qui conseille « la force » à son gendre pour venir à bout des « troubles caractériels » de Betsy.

Dès juillet 1948, les deux hommes demandent que soit pratiquée une lobotomie, ce à quoi le Dr Hécaen s’oppose pour « une malade lucide, refusant certainement l’intervention ». Il propose « une cure de Sakel » (qui provoque par injection d’insuline un coma hyperglycémique). En janvier 1950, une nouvelle demande est faite par les deux hommes et acceptée par les médecins, sans que l’opération mette fin à « des scènes exactement semblables » à celles qui l’ont précédée. L’observation se conclut ainsi : « Nous aurons l’occasion, au cours de cette étude, de citer d’autres exemples de ces pressions familiales. S’exerçant parfois de façon un peu trop intempestive, elles laissent au médecin une impression de malaise. »

La création pour survivre

C’est toute une histoire de la bourgeoisie française, de ses mensonges et de ses turpitudes, qui s’écrit en creux dans ce livre, où l’auteure met au jour des secrets de famille bien dissimulés (comme la poussière sous le tapis) par des silences convenables. À cette force de destruction massive, à cette puissance morbide de la famille, la création semble la seule réponse possible. La nièce de Betsy, sculptrice, indique ainsi la voie à l’auteure : « Tout le noir qui est en moi, je l’ai mis dans la terre. Il n’y a que la création qui peut nous faire survivre. Je vis dans la survie, et après tout beaucoup d’artistes le disent : ce n’est pas la pire des façons de vivre. Ce n’est pas la pire. C’est l’aventure. »

Adèle Yon, de la sorte, crée une forme composite et polyphonique, follement dynamique et documentée. Elle coupe souvent dans le vif du sujet, et reprend les quelques éléments de la légende familiale autour de Betsy pour les assembler comme les pièces d’un puzzle dont elle sait qu’elle ne viendra jamais à bout. C’est ce geste de résistance qu’il faut saluer chez cette jeune femme comme on aimerait en avoir dans sa propre famille ou dans sa descendance, capable comme elle est, grâce à son intelligence et à son courage, de rendre justice, ou du moins de faire entendre une voix juste, qu’on a cherché à étouffer de mille manières. Cette justesse caractérise ce livre jusque dans ses remerciements, dont le dernier vient comme une promesse : « Je remercie enfin toutes les femmes qui, au cours de ce voyage et au-delà, m’ont fait part de leur expérience de la maladie mentale, de la peur, de la menace, du découragement, du poids familial, du silence, de la colère. Je remercie toutes celles et ceux qui apercevront leur histoire dans le creux de celle-ci. Ce livre est pour nous : qu’il nous libère. »

Loin de se replier sur soi, dans un narcissisme sans effets, ce livre se déplie et se déploie comme un travail politique et sensible, intime et nécessaire, pour soi et vers l’autre. Cette réussite va au-delà de la littérature et éblouit, quand on pense qu’il s’agit d’un premier livre, comme une lumière qui n’a pas fini d’éclairer.

19.03.2025 à 10:00

Charles Pasqua : l'homme de l'ombre de la République

« Corsaire », « voyou », « mafieux » : rien n’a été épargné à celui qui a pourtant été un serviteur loyal du général de Gaulle avant d’être l’homme-lige de Jacques Chirac et l'un des fondateurs du RPR. Dix ans après sa mort, c’est grâce à des archives publiques et privées inédites, que sa famille a bien voulu lui laisser consulter, que Pierre Manenti lève enfin le voile sur la vie de Charles Pasqua. Ce petit-fils de berger corse et fils de policier, résistant dès l’âge de 16 ans, puis commercial créatif et visionnaire chez Ricard, impressionne : il s’est fait tout seul, de plagiste et détective privé à député, eurodéputé, sénateur, président de conseil général et même deux fois ministre de l’Intérieur. En même temps, son nom est lié à des dossiers pour le moins sensibles, de sa participation au SAC (la police parallèle du gaullisme) à ses relations sulfureuses avec le monde du banditisme et la Françafrique. Pasqua, c’est enfin le nom d’une certaine droite, d’obédience gaulliste, de tradition bonapartiste, souverainiste, mais aussi sociale et populaire. Voici, pour la première fois racontée par un historien, l'une des carrières les plus controversées de la Cinquième République, au miroir de laquelle se lisent les fractures et les divisions de la droite contemporaine.   Nonfiction.fr : Après Albin Chalandon et « Les barons du gaullisme », vous consacrez votre dernier ouvrage à Charles Pasqua. En quoi son parcours est-il exceptionnel ? Pierre Manenti : C’est une figure incontournable de la droite gaulliste et post-gaulliste de ces cinquante dernières années. Je me suis beaucoup intéressé, dans mes précédents ouvrages, à la question de la survivance du gaullisme. Comment le parti survit-il au général de Gaulle ? Que devient le gaullisme après son retrait de la scène politique ? C’est une question d’histoire, mais aussi d’actualité à l’heure où tout le monde s’en revendique. Or, il y a un phénomène incroyable, en 1974-1976, qui est la captation de l’héritage gaulliste et la phagocytose du parti par Jacques Chirac, d’abord depuis Matignon, ensuite à travers un nouveau parti créé de toutes pièces : le Rassemblement pour la République (RPR). Dans cette transformation de la droite, il y a un homme qui fait la passerelle entre le passé et l’avenir, c’est Charles Pasqua. Jeune loup, mais déjà vieux militant avec vingt ans d’expérience au sein du service d’ordre du parti, et notamment du SAC, gaulliste fidèle et intransigeant, devenu député en 1968, puis président de conseil général en 1973. C’est le début d’une carrière de quarante ans, qui méritait d’être racontée. Homme de réseaux et stratège, plusieurs dérives ont participé à la construction d’une légende noire : ses méthodes comme ministre de l’Intérieur, ses relations avec certains régimes africains ou encore ses affaires judiciaires. Comment avez-vous traité ces aspects ? Il était impossible de ne pas évoquer ces affaires et cette part d’ombre du personnage au moment d’en faire la biographie. J’ai pu bénéficier, pour l’écriture de ce livre — le premier depuis sa disparition il y a dix ans maintenant — d’un accès inédit à ses archives. C’est un matériau brut, neutre, pour l’historien, qui m’a permis de reposer certaines choses, ainsi de pointer du doigt des moments méconnus de son parcours, mais aussi d’écarter certaines « légendes noires ». Sa participation au SAC est l’exemple même de ce trait grossi du personnage, sur lequel beaucoup de choses ont été dites, sans toujours s’intéresser à la vérité. On le présente ainsi souvent comme l'un des fondateurs du service d’ordre gaulliste, ce qu’il n’était pas. Le recueil de près d’une cinquantaine de témoignages m’a permis de compléter ce portrait en nuances, ni dans l’hagiographie, ni dans le procès. Ce n’est pas votre première biographie, mais le personnage est entouré de nombreuses zones d’ombre. Quelles difficultés avez-vous rencontrées dans la préparation de cet ouvrage et comment les avez-vous surmontées ? Comme pour toute biographie d’une personnalité contemporaine, il y a une richesse incroyable, c’est l’accès aux sources « vivantes » (les contemporains, journalistes, politiques, collaborateurs, membres de la famille). C'est aussi un risque pour un travail historique d’une telle ampleur, qui doit toujours revenir à la trace écrite, au croisement, à la vérification de l’information, etc. Cela tient souvent de l’enquête. Je dois une grande reconnaissance à la famille de Charles Pasqua, qui m’a donné accès à ses archives, mais qui m’a aussi laissé travailler de manière apaisée. Le fait de ne pas être à mon coup d’essai, de bien connaître le milieu gaulliste, ses derniers témoins, mais aussi les arcanes de la vie politique – pour avoir travaillé au Parlement et dans plusieurs cabinets ministériels – a été un atout pour réussir ce livre. Il m’a aussi ouvert la perspective de futurs ouvrages.    
Texte intégral (996 mots)

« Corsaire », « voyou », « mafieux » : rien n’a été épargné à celui qui a pourtant été un serviteur loyal du général de Gaulle avant d’être l’homme-lige de Jacques Chirac et l'un des fondateurs du RPR. Dix ans après sa mort, c’est grâce à des archives publiques et privées inédites, que sa famille a bien voulu lui laisser consulter, que Pierre Manenti lève enfin le voile sur la vie de Charles Pasqua.

Ce petit-fils de berger corse et fils de policier, résistant dès l’âge de 16 ans, puis commercial créatif et visionnaire chez Ricard, impressionne : il s’est fait tout seul, de plagiste et détective privé à député, eurodéputé, sénateur, président de conseil général et même deux fois ministre de l’Intérieur. En même temps, son nom est lié à des dossiers pour le moins sensibles, de sa participation au SAC (la police parallèle du gaullisme) à ses relations sulfureuses avec le monde du banditisme et la Françafrique. Pasqua, c’est enfin le nom d’une certaine droite, d’obédience gaulliste, de tradition bonapartiste, souverainiste, mais aussi sociale et populaire. Voici, pour la première fois racontée par un historien, l'une des carrières les plus controversées de la Cinquième République, au miroir de laquelle se lisent les fractures et les divisions de la droite contemporaine.

 

Nonfiction.fr : Après Albin Chalandon et « Les barons du gaullisme », vous consacrez votre dernier ouvrage à Charles Pasqua. En quoi son parcours est-il exceptionnel ?

Pierre Manenti : C’est une figure incontournable de la droite gaulliste et post-gaulliste de ces cinquante dernières années. Je me suis beaucoup intéressé, dans mes précédents ouvrages, à la question de la survivance du gaullisme. Comment le parti survit-il au général de Gaulle ? Que devient le gaullisme après son retrait de la scène politique ? C’est une question d’histoire, mais aussi d’actualité à l’heure où tout le monde s’en revendique.

Or, il y a un phénomène incroyable, en 1974-1976, qui est la captation de l’héritage gaulliste et la phagocytose du parti par Jacques Chirac, d’abord depuis Matignon, ensuite à travers un nouveau parti créé de toutes pièces : le Rassemblement pour la République (RPR). Dans cette transformation de la droite, il y a un homme qui fait la passerelle entre le passé et l’avenir, c’est Charles Pasqua. Jeune loup, mais déjà vieux militant avec vingt ans d’expérience au sein du service d’ordre du parti, et notamment du SAC, gaulliste fidèle et intransigeant, devenu député en 1968, puis président de conseil général en 1973. C’est le début d’une carrière de quarante ans, qui méritait d’être racontée.

Homme de réseaux et stratège, plusieurs dérives ont participé à la construction d’une légende noire : ses méthodes comme ministre de l’Intérieur, ses relations avec certains régimes africains ou encore ses affaires judiciaires. Comment avez-vous traité ces aspects ?

Il était impossible de ne pas évoquer ces affaires et cette part d’ombre du personnage au moment d’en faire la biographie. J’ai pu bénéficier, pour l’écriture de ce livre — le premier depuis sa disparition il y a dix ans maintenant — d’un accès inédit à ses archives. C’est un matériau brut, neutre, pour l’historien, qui m’a permis de reposer certaines choses, ainsi de pointer du doigt des moments méconnus de son parcours, mais aussi d’écarter certaines « légendes noires ».

Sa participation au SAC est l’exemple même de ce trait grossi du personnage, sur lequel beaucoup de choses ont été dites, sans toujours s’intéresser à la vérité. On le présente ainsi souvent comme l'un des fondateurs du service d’ordre gaulliste, ce qu’il n’était pas. Le recueil de près d’une cinquantaine de témoignages m’a permis de compléter ce portrait en nuances, ni dans l’hagiographie, ni dans le procès.

Ce n’est pas votre première biographie, mais le personnage est entouré de nombreuses zones d’ombre. Quelles difficultés avez-vous rencontrées dans la préparation de cet ouvrage et comment les avez-vous surmontées ?

Comme pour toute biographie d’une personnalité contemporaine, il y a une richesse incroyable, c’est l’accès aux sources « vivantes » (les contemporains, journalistes, politiques, collaborateurs, membres de la famille). C'est aussi un risque pour un travail historique d’une telle ampleur, qui doit toujours revenir à la trace écrite, au croisement, à la vérification de l’information, etc. Cela tient souvent de l’enquête. Je dois une grande reconnaissance à la famille de Charles Pasqua, qui m’a donné accès à ses archives, mais qui m’a aussi laissé travailler de manière apaisée.

Le fait de ne pas être à mon coup d’essai, de bien connaître le milieu gaulliste, ses derniers témoins, mais aussi les arcanes de la vie politique – pour avoir travaillé au Parlement et dans plusieurs cabinets ministériels – a été un atout pour réussir ce livre. Il m’a aussi ouvert la perspective de futurs ouvrages.

 

 

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