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26.09.2024 à 10:00

Valoriser les bandes dessinées et les mangas en bibliothèque

* Ce texte est extrait du « Mode d’emploi » introductif du livre. La question de la légitimité de la bande dessinée, que cela soit au sein de la société française ou des bibliothèques, est désormais derrière nous. Sociologues, historiens et spécialistes de la bande dessinée ont enregistré la progression de sa reconnaissance depuis les années 1960. De « la constitution de son champ » étudiée par Luc Boltanski au mitan des années 1970  à sa « reconnaissance en demi-teinte » constatée par Eric Maigret dans les années 1990 en passant par « la majorité des arts mineurs » et à l’émergence d’un « art de la bande dessinée » pour Pascal Ory, il est désormais possible de parler, pour reprendre les termes de Thierry Groensteen, d’un « tournant » pour la bande dessinée, aux manifestations plurielles en termes de format de publication, de visibilité médiatique ou de patrimonialisation. La relation entre bandes dessinées et bibliothèques est largement positive comme l’avait confirmé une grande enquête sur son lectorat en date de 2011. Les premières sont bel et bien présentes dans les collections des bibliothèques, en grande majorité de lecture publique. Elles figurent souvent parmi la liste des titres les plus empruntés, la lecture sur place est très pratiquée et les lecteurs assidus de bande dessinée sont davantage inscrits en bibliothèque que la moyenne des Français. Le stade de la censure ou du rejet apparaît également dépassé, malgré quelques épisodes ou interrogations ponctuels – sur lesquels la contribution sur les mangas de cet ouvrage reviendra notamment. Ayant gagné ses lettres de noblesse, il n’est plus concevable de considérer la bande dessinée comme un simple produit d’appel devant ensuite amener à des lectures plus sérieuses ou recommandables. Art à part entière, la bande dessinée doit bénéficier de la même attention, et donc du même traitement, que les autres collections présentes en bibliothèques. Pour autant, elle reste partiellement un impensé, en témoigne l’état de la littérature professionnelle. Ce manque de réflexion à son sujet traduit-il avant tout une logique de réponse à la demande du lectorat ? En 2010, la revue Bibliothèque(s) lui avait consacré un numéro entier, abordant sa présence dans différentes bibliothèques (municipales, BDP, BU, spécialisées comme celle de la Cité de la BD), les dernières grandes tendances (mangas, romans graphiques) ou encore son exposition… Des mémoires professionnels, notamment ceux de fin d’études pour les conservateurs encadrés par Pascal Robert, professeur en sciences de l’information et de la communication à l’Enssib, se sont multipliés à son sujet. En 2018, est apparu le premier ouvrage professionnel ( Bande dessinée en bibliothèques , sous la direction de Maël Rannou) lui étant consacré, auxquels plusieurs des auteurs du présent livre ont contribué.  Ce volume de la collection « La Boîte à Outils » a une double ambition : aller plus loin dans l’appréhension de sa diversité et richesse, en présentant notamment des objets documentaires moins connus ou en révélant l’étendue de certains que l’on estime – à tort – bien ou trop connus ; envisager leur médiation et leur valorisation afin de dépasser la simple adéquation entre une offre et une demande. Pour cela, il apparaît nécessaire de mieux connaître la bande dessinée, de se repérer dans la masse de production – dont témoignent annuellement les records de chiffres d’affaires et de nouveaux titres – et de se faire une idée des modalités de sa valorisation, via la collaboration avec des partenaires, qu’ils soient auteurs, libraires ou associatifs, pour n’en citer que quelques-uns. La mise en avant de la « bibliodiversité » de la bande dessinée est un enjeu d’autant plus important que l’une des dernières grandes enquêtes sur sa lecture a clairement montré que cette pratique perdure d’autant plus que le lectorat ne se limite pas à un seul genre (le manga, le franco-belge, etc.) mais a une connaissance large de l’offre. En conséquence, les premières contributions prendront d’abord le temps de présenter la diversité de la bande dessinée, en revenant sur ses grandes tendances contemporaines, sur sa déclinaison numérique, sur la question de la présence des femmes dans l’histoire du médium, les frontières parfois poreuses entre bande dessinée et illustration, avant d’apporter un éclairage sur les mangas et leur richesse. Il s’agira ensuite de présenter quelques possibilités de médiations autour de celle-ci : de sa présence en bibliothèque universitaire en tant que fonds documentaire ou support de formation, dans le cadre d’un réseau de bibliothèque départementale avant d’offrir un panorama des recommandations dont elle est l’objet en bibliothèque. Enfin, plusieurs partenariats autour de la bande dessinée seront évoqués : avec les libraires, notamment via les marchés publics, avec les auteurs et autrices eux-mêmes, avec les chercheurs en envisageant la bande dessinée comme une source et enfin avec les festivals, le plus souvent associatifs.
Texte intégral (901 mots)

* Ce texte est extrait du « Mode d’emploi » introductif du livre.

La question de la légitimité de la bande dessinée, que cela soit au sein de la société française ou des bibliothèques, est désormais derrière nous. Sociologues, historiens et spécialistes de la bande dessinée ont enregistré la progression de sa reconnaissance depuis les années 1960. De « la constitution de son champ » étudiée par Luc Boltanski au mitan des années 1970  à sa « reconnaissance en demi-teinte » constatée par Eric Maigret dans les années 1990 en passant par « la majorité des arts mineurs » et à l’émergence d’un « art de la bande dessinée » pour Pascal Ory, il est désormais possible de parler, pour reprendre les termes de Thierry Groensteen, d’un « tournant » pour la bande dessinée, aux manifestations plurielles en termes de format de publication, de visibilité médiatique ou de patrimonialisation.

La relation entre bandes dessinées et bibliothèques est largement positive comme l’avait confirmé une grande enquête sur son lectorat en date de 2011. Les premières sont bel et bien présentes dans les collections des bibliothèques, en grande majorité de lecture publique. Elles figurent souvent parmi la liste des titres les plus empruntés, la lecture sur place est très pratiquée et les lecteurs assidus de bande dessinée sont davantage inscrits en bibliothèque que la moyenne des Français. Le stade de la censure ou du rejet apparaît également dépassé, malgré quelques épisodes ou interrogations ponctuels – sur lesquels la contribution sur les mangas de cet ouvrage reviendra notamment.

Ayant gagné ses lettres de noblesse, il n’est plus concevable de considérer la bande dessinée comme un simple produit d’appel devant ensuite amener à des lectures plus sérieuses ou recommandables. Art à part entière, la bande dessinée doit bénéficier de la même attention, et donc du même traitement, que les autres collections présentes en bibliothèques. Pour autant, elle reste partiellement un impensé, en témoigne l’état de la littérature professionnelle. Ce manque de réflexion à son sujet traduit-il avant tout une logique de réponse à la demande du lectorat ?

En 2010, la revue Bibliothèque(s) lui avait consacré un numéro entier, abordant sa présence dans différentes bibliothèques (municipales, BDP, BU, spécialisées comme celle de la Cité de la BD), les dernières grandes tendances (mangas, romans graphiques) ou encore son exposition… Des mémoires professionnels, notamment ceux de fin d’études pour les conservateurs encadrés par Pascal Robert, professeur en sciences de l’information et de la communication à l’Enssib, se sont multipliés à son sujet. En 2018, est apparu le premier ouvrage professionnel (Bande dessinée en bibliothèques, sous la direction de Maël Rannou) lui étant consacré, auxquels plusieurs des auteurs du présent livre ont contribué. 

Ce volume de la collection « La Boîte à Outils » a une double ambition : aller plus loin dans l’appréhension de sa diversité et richesse, en présentant notamment des objets documentaires moins connus ou en révélant l’étendue de certains que l’on estime – à tort – bien ou trop connus ; envisager leur médiation et leur valorisation afin de dépasser la simple adéquation entre une offre et une demande. Pour cela, il apparaît nécessaire de mieux connaître la bande dessinée, de se repérer dans la masse de production – dont témoignent annuellement les records de chiffres d’affaires et de nouveaux titres – et de se faire une idée des modalités de sa valorisation, via la collaboration avec des partenaires, qu’ils soient auteurs, libraires ou associatifs, pour n’en citer que quelques-uns. La mise en avant de la « bibliodiversité » de la bande dessinée est un enjeu d’autant plus important que l’une des dernières grandes enquêtes sur sa lecture a clairement montré que cette pratique perdure d’autant plus que le lectorat ne se limite pas à un seul genre (le manga, le franco-belge, etc.) mais a une connaissance large de l’offre.

En conséquence, les premières contributions prendront d’abord le temps de présenter la diversité de la bande dessinée, en revenant sur ses grandes tendances contemporaines, sur sa déclinaison numérique, sur la question de la présence des femmes dans l’histoire du médium, les frontières parfois poreuses entre bande dessinée et illustration, avant d’apporter un éclairage sur les mangas et leur richesse. Il s’agira ensuite de présenter quelques possibilités de médiations autour de celle-ci : de sa présence en bibliothèque universitaire en tant que fonds documentaire ou support de formation, dans le cadre d’un réseau de bibliothèque départementale avant d’offrir un panorama des recommandations dont elle est l’objet en bibliothèque. Enfin, plusieurs partenariats autour de la bande dessinée seront évoqués : avec les libraires, notamment via les marchés publics, avec les auteurs et autrices eux-mêmes, avec les chercheurs en envisageant la bande dessinée comme une source et enfin avec les festivals, le plus souvent associatifs.

25.09.2024 à 14:00

Pour une histoire des lettres arabes en France, avec Coline Houssais

Mettre en valeur la richesse des créations littéraires et intellectuelles arabes et le dynamisme de leurs circulations entre le Machrek, le Maghreb, la France, et plus particulièrement la Ville Lumière : c’est l’ambition de Paris en lettres arabes, de Coline Houssais. À rebours d’une certaine idéologie identitaire qui promeut l’incommensurabilité des cultures et des civilisations, voire leur « incompatibilité » et la fatalité de leur « antagonisme perpétuel », le nouveau livre de Coline Houssais retrace savamment et rigoureusement l’histoire de treize siècles de présences arabes en France, et plus particulièrement à Paris. À la fois auteure, traductrice, journaliste et chercheuse indépendante spécialisée dans l’histoire culturelle de l’immigration maghrébine et proche-orientale en Europe, ainsi que dans les musiques du monde arabe, Coline Houssais a accepté de répondre aux questions de Nonfiction . Dans cet entretien, elle retrace une histoire arabe de la France, inscrite dans un cadre cosmopolitique , afin de mieux comprendre comment la Ville Lumière a joué, pendant plus d’un siècle et demi, un rôle singulier dans l’essor de la pensée et de la culture des pays de l’espace arabe. Nonfiction : Pouvez-vous revenir sur la genèse de votre livre ? Coline Houssais : D’une certaine manière ce livre est la translation, sous forme littéraire, d’une dynamique à la fois journalistique (j’ai fondé en 2011 Ustaza à Paris, l’agenda culturel arabe de la région Ile-de-France, devenu depuis une agence de production de contenu sous le nom de L’agence Ustaza), de recherche et personnelle qui m’a menée pendant près de vingt ans à m’intéresser aux impressions mutuelles entre Paris et le monde arabe, sur le plan symbolique et intellectuel, mais aussi parfois très charnel, ou du moins matériel : au-delà de la chronique historique et de l’essai, Paris en lettres arabes est ainsi à hauteur de femme une déambulation de rue en rue à travers le temps et l’espace, mêlant petite et grande histoire, passé et présent. Les personnes qui formaient le « Tout-Paris » littéraire et intellectuel arabe, qui étaient-elles ? Celles-ci sont trop nombreuses, et trop diverses pour les énumérer toutes ici ! Pendant longtemps, c’est à dire plusieurs siècles, on vient à Paris — et dans les centres politiques et culturels hexagonaux — en tant que diplomate, administrateur marchand ou homme d’Église : déjà ces individus se situent dans le domaine de l’écrit et de la pensée, mais ce n’est qu’à partir du XVII e siècle que des érudits puis des intellectuels, sous une forme de plus en plus moderne, font leur apparition. Il est intéressant de noter un changement de paradigme, avec le passage de ce que j’appelle une dynamique de la demande à une dynamique de l’offre : jusqu’à la Révolution, les autorités françaises font appel à des lettrés arabophones pour bénéficier du savoir de ces derniers. Après celle-ci, les hommes de lettres — journalistes, théoriciens, écrivains — sont conviés à venir s’abreuver à la source de la pensée, de la culture et de la langue française, en parallèle de l’éclosion d’établissements d’enseignement francophones en Afrique du Nord et au Proche-Orient, qui vient préfigurer une « passion française », composée en grande partie de représentations de Paris en capitale des arts et des lettres, et de projection de soi faisant partie de cette centralité, par la seule grâce d’un passage dans la capitale française. Vous avez consacré d’importantes pages aux professeurs de langue arabe installés en France et à Paris depuis au moins le XVI e siècle. Puisqu’il est impossible de les énumérer tous, pouvez-vous nous dire qui était Jibra’il al-Sahyuni, dit Gabriel Sionite ? Gabriel Sionite est l’un des tous premiers lettrés arabes parisiens clairement identifiés, et l’un des rares individus cités dans l’ouvrage qui possède une plaque commémorative apposée sur le bâtiment où il a vécu, sur l’île Saint-Louis. Moine maronite originaire du Mont-Liban, il étudie au Collège maronite de Rome avant de contribuer à la création de la première imprimerie arabe de France. Traducteur, correcteur, professeur d’arabe, il contribue également à actualiser les traités de géographie d’al-Idrissi et publie plusieurs ouvrages de linguistique. Contributeur essentiel à la Bible polyglotte de Paris parue en 1645, il n’est cependant pas reconnu en France, voire tout simplement écarté de la postérité, à commencer par ceux qui ont eu recours à ses connaissances. C’est aussi le cas pour beaucoup d’autres lettrés de l’époque (Youhanna al-Hasrouni dit Jean Hasrounite, Victor Scialac, Ibrahim al-Haqilani, Sarkis al-Jamrî, Ishâq al-Chidrâwî, Pierre Dyâb…). Quelles sont les œuvres les importantes, les classiques des lettres arabes écrits à, sur et en dialogue avec la France, avec Paris surtout ? Là encore, les ouvrages sont nombreux, même si paradoxalement, la littérature arabe (arabophone et francophone principalement) dédiée à Paris est faible en termes de volume. Sur le plan qualitatif de surcroît, hormis les récits de voyage convenus ou parfois naïfs, peu d’ouvrages se démarquent : ce n’est pas un hasard si je n’emploie pas une fois le mot « muse » en parlant de Paris, ce qu’elle n’est clairement pas. La Ville-Lumière est en effet davantage un espace physique et immatériel qui offre les conditions du développement de l’écrivain et de sa production, par ce qu’elle permet sur le plan politico-économique, culturel et humain, en tant que lieu capital de rencontre entre les intellectuels arabes et avec des lettrés originaires d’autres régions du monde, même si également l’impact des hommes de lettres arabes sur la vie littéraire française est limité. Enfin, ceci, et notamment les raisons de ce phénomène, sont une autre histoire. À noter néanmoins D’Alep à Paris de Hanna Diyab, L’Or de Paris de Rifaat Al-Tahtawi, Al-Hay al-latini de Souhail Idriss (non traduit), Un Irakien à Paris de Samuel Shimon, sans oublier des ouvrages plus récents, souvent autobiographiques eux aussi. Vous écrivez que vers la fin du XVII e siècle, en France, on est passé d’« une si étroite et si proche altérité » avec les Arabes à une « inversion du regard » qu’on portait sur eux. Comment et pourquoi ? Ce n’est pas exactement cela : l’inversion du regard est une expression qui concerne justement l’émergence des premiers écrivains-voyageurs arabes qui, dans un Grand Tour inversé, viennent effectuer un voyage initiatique sur le plan personnel comme intellectuel en Europe, comme le faisaient en Méditerranée une partie des élites masculines d’Europe du Nord quelque temps plus tôt. Par cette présence le plus souvent temporaire et par le récit qui en est fait — un récit par ailleurs publié à la faveur du développement de la presse dans le monde arabe —, c’est une image de Paris et de la France façonnée par un regard arabe qui apparaît. L’Occident devient à son tour objet d’étude, et de fantasmes, alors que l’orientalisme façonne de manière trop souvent réductrice le regard européen sur le monde arabe. Après la Révolution française, Paris, à côté de plusieurs capitales européennes, a été la capitale du colonialisme, mais aussi celle du refuge de la presse arabe d’opposition. Comment les écrivains et les intellectuels arabes ont vécu la tension d’un tel paradoxe ? Dans une belle ambiguïté ! Il existe plusieurs factures expliquant cela : une certaine dichotomie existant entre « Paris », symbole émancipatoire des Lumières sur le plan intellectuel, culturel et politique, et « la France », pouvoir colonisateur à combattre, quand bien même Paris se trouve être la capitale de la France, où est centralisé par ailleurs l’essentiel de ses institutions politiques et militaires. Une absence chez certains de solidarité entre l’Afrique du Nord et le Proche-Orient, corollaire de l’absence d’un sentiment d’appartenance à l’échelle du monde arabe à l’heure où ce dernier, dans son acceptation moderne sous la forme du nationalisme arabe, n’en est encore qu’à ses balbutiements. Une approbation — directe ou non — par une partie de ces lettrés de la politique étrangère française, y compris dans leur pays d’origine, si celle-ci sert leurs intérêts personnels. Quant à ceux qui s’opposent frontalement à cette dernière, Paris offre davantage de libertés pour mener leur combat qu’Alger, Beyrouth, Casablanca, Tunis, Damas, le Caire, sous domination ottomane, britannique… ou française. Quel était le rôle de cette « avant-garde arabe sur les bords de Seine » dans l’essor des mouvements d’indépendances du Maghreb et du Machrek ? Je parle dans mon ouvrage de Paris comme d’une « antichambre » de la pensée politique et littéraire arabe, dans le sens où, comme je l’expliquais précédemment, la capitale française a su offrir des conditions politiques (liberté d’expression, paix) et intellectuelles (puissance des institutions culturelles et d’enseignement) propices au développement de réflexions qui ont pu trouver un aboutissement dans l’action politique. Ce qui est fascinant, c’est que les élites pro-indépendance arabes ont trouvé dans la gueule du « loup colonial », comme le nomme l’écrivain algérien Kateb Yacine, la latitude pour faire mûrir leur combat d’une manière qui n’aurait pas été possible dans leur pays d’origine… pour certains sous domination française. Mais l’avant-garde n’est pas uniquement politique au sens strict du terme : les artistes et écrivains arabes, par leur contribution au renouvellement de productions intellectuelles et artistiques nationales, ont permis de donner corps à ces nouveaux États. Par de-là les ignorances mutuelles et le narcissisme des petites différences si répandu au Maghreb comme au Machrek, voyez-vous dans cette histoire de Paris en lettres arabes une ressource pour refonder un nouvel horizon panarabe qui serait cosmopolite, pluraliste, démocratique et citoyen avant tout ? Paris en lettres arabes peut être une ressource dans le sens où il retrace le fil de l’Histoire et permet, sans nostalgie aucune, de poser un regard à la fois apaisé et critique sur le passé afin d’avancer sur des bases plus saines. C’est peut-être la conclusion de ce livre : il existe une relation riche et ancienne entre Paris – en tant que capitale française et ville-monde – et le monde arabe, qui semble avoir néanmoins souffert en permanence du poids des fantasmes, de soi comme de l’autre. Le but n’est pas de faire à tout prix de Paris la capitale ad-vitam aeternam des lettres arabes. Mais plutôt de profiter d’une certaine fin de règne pour réinventer la place de chacun en relation avec l’autre. Les représentations Maghreb-Machrek n'échappent presque jamais à une certaine concurrence victimaire. Que diriez-vous à ceux qui vous diront qu'il n'y a pas assez de Maghreb ou de Machrek ? Tout propos est par essence un parti pris : j’ai néanmoins tenté de dresser l’image la plus fidèle possible de quatre siècles d’histoire intellectuelle et littéraire arabe à Paris, en replaçant certains déséquilibres dans leur contexte. Tout en sachant que les absences sont aussi éloquentes parfois que les présences.
Texte intégral (2035 mots)

Mettre en valeur la richesse des créations littéraires et intellectuelles arabes et le dynamisme de leurs circulations entre le Machrek, le Maghreb, la France, et plus particulièrement la Ville Lumière : c’est l’ambition de Paris en lettres arabes, de Coline Houssais. À rebours d’une certaine idéologie identitaire qui promeut l’incommensurabilité des cultures et des civilisations, voire leur « incompatibilité » et la fatalité de leur « antagonisme perpétuel », le nouveau livre de Coline Houssais retrace savamment et rigoureusement l’histoire de treize siècles de présences arabes en France, et plus particulièrement à Paris.

À la fois auteure, traductrice, journaliste et chercheuse indépendante spécialisée dans l’histoire culturelle de l’immigration maghrébine et proche-orientale en Europe, ainsi que dans les musiques du monde arabe, Coline Houssais a accepté de répondre aux questions de Nonfiction. Dans cet entretien, elle retrace une histoire arabe de la France, inscrite dans un cadre cosmopolitique, afin de mieux comprendre comment la Ville Lumière a joué, pendant plus d’un siècle et demi, un rôle singulier dans l’essor de la pensée et de la culture des pays de l’espace arabe.

Nonfiction : Pouvez-vous revenir sur la genèse de votre livre ?

Coline Houssais : D’une certaine manière ce livre est la translation, sous forme littéraire, d’une dynamique à la fois journalistique (j’ai fondé en 2011 Ustaza à Paris, l’agenda culturel arabe de la région Ile-de-France, devenu depuis une agence de production de contenu sous le nom de L’agence Ustaza), de recherche et personnelle qui m’a menée pendant près de vingt ans à m’intéresser aux impressions mutuelles entre Paris et le monde arabe, sur le plan symbolique et intellectuel, mais aussi parfois très charnel, ou du moins matériel : au-delà de la chronique historique et de l’essai, Paris en lettres arabes est ainsi à hauteur de femme une déambulation de rue en rue à travers le temps et l’espace, mêlant petite et grande histoire, passé et présent.

Les personnes qui formaient le « Tout-Paris » littéraire et intellectuel arabe, qui étaient-elles ?

Celles-ci sont trop nombreuses, et trop diverses pour les énumérer toutes ici ! Pendant longtemps, c’est à dire plusieurs siècles, on vient à Paris — et dans les centres politiques et culturels hexagonaux — en tant que diplomate, administrateur marchand ou homme d’Église : déjà ces individus se situent dans le domaine de l’écrit et de la pensée, mais ce n’est qu’à partir du XVIIe siècle que des érudits puis des intellectuels, sous une forme de plus en plus moderne, font leur apparition. Il est intéressant de noter un changement de paradigme, avec le passage de ce que j’appelle une dynamique de la demande à une dynamique de l’offre : jusqu’à la Révolution, les autorités françaises font appel à des lettrés arabophones pour bénéficier du savoir de ces derniers. Après celle-ci, les hommes de lettres — journalistes, théoriciens, écrivains — sont conviés à venir s’abreuver à la source de la pensée, de la culture et de la langue française, en parallèle de l’éclosion d’établissements d’enseignement francophones en Afrique du Nord et au Proche-Orient, qui vient préfigurer une « passion française », composée en grande partie de représentations de Paris en capitale des arts et des lettres, et de projection de soi faisant partie de cette centralité, par la seule grâce d’un passage dans la capitale française.

Vous avez consacré d’importantes pages aux professeurs de langue arabe installés en France et à Paris depuis au moins le XVIe siècle. Puisqu’il est impossible de les énumérer tous, pouvez-vous nous dire qui était Jibra’il al-Sahyuni, dit Gabriel Sionite ?

Gabriel Sionite est l’un des tous premiers lettrés arabes parisiens clairement identifiés, et l’un des rares individus cités dans l’ouvrage qui possède une plaque commémorative apposée sur le bâtiment où il a vécu, sur l’île Saint-Louis. Moine maronite originaire du Mont-Liban, il étudie au Collège maronite de Rome avant de contribuer à la création de la première imprimerie arabe de France. Traducteur, correcteur, professeur d’arabe, il contribue également à actualiser les traités de géographie d’al-Idrissi et publie plusieurs ouvrages de linguistique. Contributeur essentiel à la Bible polyglotte de Paris parue en 1645, il n’est cependant pas reconnu en France, voire tout simplement écarté de la postérité, à commencer par ceux qui ont eu recours à ses connaissances. C’est aussi le cas pour beaucoup d’autres lettrés de l’époque (Youhanna al-Hasrouni dit Jean Hasrounite, Victor Scialac, Ibrahim al-Haqilani, Sarkis al-Jamrî, Ishâq al-Chidrâwî, Pierre Dyâb…).

Quelles sont les œuvres les importantes, les classiques des lettres arabes écrits à, sur et en dialogue avec la France, avec Paris surtout ?

Là encore, les ouvrages sont nombreux, même si paradoxalement, la littérature arabe (arabophone et francophone principalement) dédiée à Paris est faible en termes de volume. Sur le plan qualitatif de surcroît, hormis les récits de voyage convenus ou parfois naïfs, peu d’ouvrages se démarquent : ce n’est pas un hasard si je n’emploie pas une fois le mot « muse » en parlant de Paris, ce qu’elle n’est clairement pas. La Ville-Lumière est en effet davantage un espace physique et immatériel qui offre les conditions du développement de l’écrivain et de sa production, par ce qu’elle permet sur le plan politico-économique, culturel et humain, en tant que lieu capital de rencontre entre les intellectuels arabes et avec des lettrés originaires d’autres régions du monde, même si également l’impact des hommes de lettres arabes sur la vie littéraire française est limité. Enfin, ceci, et notamment les raisons de ce phénomène, sont une autre histoire. À noter néanmoins D’Alep à Paris de Hanna Diyab, L’Or de Paris de Rifaat Al-Tahtawi, Al-Hay al-latini de Souhail Idriss (non traduit), Un Irakien à Paris de Samuel Shimon, sans oublier des ouvrages plus récents, souvent autobiographiques eux aussi.

Vous écrivez que vers la fin du XVIIe siècle, en France, on est passé d’« une si étroite et si proche altérité » avec les Arabes à une « inversion du regard » qu’on portait sur eux. Comment et pourquoi ?

Ce n’est pas exactement cela : l’inversion du regard est une expression qui concerne justement l’émergence des premiers écrivains-voyageurs arabes qui, dans un Grand Tour inversé, viennent effectuer un voyage initiatique sur le plan personnel comme intellectuel en Europe, comme le faisaient en Méditerranée une partie des élites masculines d’Europe du Nord quelque temps plus tôt. Par cette présence le plus souvent temporaire et par le récit qui en est fait — un récit par ailleurs publié à la faveur du développement de la presse dans le monde arabe —, c’est une image de Paris et de la France façonnée par un regard arabe qui apparaît. L’Occident devient à son tour objet d’étude, et de fantasmes, alors que l’orientalisme façonne de manière trop souvent réductrice le regard européen sur le monde arabe.

Après la Révolution française, Paris, à côté de plusieurs capitales européennes, a été la capitale du colonialisme, mais aussi celle du refuge de la presse arabe d’opposition. Comment les écrivains et les intellectuels arabes ont vécu la tension d’un tel paradoxe ?

Dans une belle ambiguïté ! Il existe plusieurs factures expliquant cela : une certaine dichotomie existant entre « Paris », symbole émancipatoire des Lumières sur le plan intellectuel, culturel et politique, et « la France », pouvoir colonisateur à combattre, quand bien même Paris se trouve être la capitale de la France, où est centralisé par ailleurs l’essentiel de ses institutions politiques et militaires. Une absence chez certains de solidarité entre l’Afrique du Nord et le Proche-Orient, corollaire de l’absence d’un sentiment d’appartenance à l’échelle du monde arabe à l’heure où ce dernier, dans son acceptation moderne sous la forme du nationalisme arabe, n’en est encore qu’à ses balbutiements. Une approbation — directe ou non — par une partie de ces lettrés de la politique étrangère française, y compris dans leur pays d’origine, si celle-ci sert leurs intérêts personnels. Quant à ceux qui s’opposent frontalement à cette dernière, Paris offre davantage de libertés pour mener leur combat qu’Alger, Beyrouth, Casablanca, Tunis, Damas, le Caire, sous domination ottomane, britannique… ou française.

Quel était le rôle de cette « avant-garde arabe sur les bords de Seine » dans l’essor des mouvements d’indépendances du Maghreb et du Machrek ?

Je parle dans mon ouvrage de Paris comme d’une « antichambre » de la pensée politique et littéraire arabe, dans le sens où, comme je l’expliquais précédemment, la capitale française a su offrir des conditions politiques (liberté d’expression, paix) et intellectuelles (puissance des institutions culturelles et d’enseignement) propices au développement de réflexions qui ont pu trouver un aboutissement dans l’action politique. Ce qui est fascinant, c’est que les élites pro-indépendance arabes ont trouvé dans la gueule du « loup colonial », comme le nomme l’écrivain algérien Kateb Yacine, la latitude pour faire mûrir leur combat d’une manière qui n’aurait pas été possible dans leur pays d’origine… pour certains sous domination française. Mais l’avant-garde n’est pas uniquement politique au sens strict du terme : les artistes et écrivains arabes, par leur contribution au renouvellement de productions intellectuelles et artistiques nationales, ont permis de donner corps à ces nouveaux États.

Par de-là les ignorances mutuelles et le narcissisme des petites différences si répandu au Maghreb comme au Machrek, voyez-vous dans cette histoire de Paris en lettres arabes une ressource pour refonder un nouvel horizon panarabe qui serait cosmopolite, pluraliste, démocratique et citoyen avant tout ?

Paris en lettres arabes peut être une ressource dans le sens où il retrace le fil de l’Histoire et permet, sans nostalgie aucune, de poser un regard à la fois apaisé et critique sur le passé afin d’avancer sur des bases plus saines. C’est peut-être la conclusion de ce livre : il existe une relation riche et ancienne entre Paris – en tant que capitale française et ville-monde – et le monde arabe, qui semble avoir néanmoins souffert en permanence du poids des fantasmes, de soi comme de l’autre. Le but n’est pas de faire à tout prix de Paris la capitale ad-vitam aeternam des lettres arabes. Mais plutôt de profiter d’une certaine fin de règne pour réinventer la place de chacun en relation avec l’autre.

Les représentations Maghreb-Machrek n'échappent presque jamais à une certaine concurrence victimaire. Que diriez-vous à ceux qui vous diront qu'il n'y a pas assez de Maghreb ou de Machrek ?

Tout propos est par essence un parti pris : j’ai néanmoins tenté de dresser l’image la plus fidèle possible de quatre siècles d’histoire intellectuelle et littéraire arabe à Paris, en replaçant certains déséquilibres dans leur contexte. Tout en sachant que les absences sont aussi éloquentes parfois que les présences.

25.09.2024 à 11:00

Au secours le SAMU ! Histoire des services d'urgence

En mai 2023, la Cour des Comptes publie un rapport qui décrit qu’en 2021, près de 27.8 millions d’appels furent passés dans l’un des 100 Samu de France. Ce nombre considérable d’appels démontre l’importance cruciale des services d’urgences dans la société contemporaine. Il est aussi le fruit d'une longue histoire. Comment fut créé ce monde où nous pouvons être secourus n’importe où et en un temps record ? Quelles furent les étapes dans la construction de ce service de santé ?  Dans cet épisode, Jonas Eveilleau s’entretient avec Charles-Antoine Wanecq, post-doctorant au Centre d’histoire sociale des mondes contemporains et membre du projet « Masques », afin de comprendre l’origine et l’histoire du Samu.    
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En mai 2023, la Cour des Comptes publie un rapport qui décrit qu’en 2021, près de 27.8 millions d’appels furent passés dans l’un des 100 Samu de France. Ce nombre considérable d’appels démontre l’importance cruciale des services d’urgences dans la société contemporaine. Il est aussi le fruit d'une longue histoire. Comment fut créé ce monde où nous pouvons être secourus n’importe où et en un temps record ? Quelles furent les étapes dans la construction de ce service de santé ? 

Dans cet épisode, Jonas Eveilleau s’entretient avec Charles-Antoine Wanecq, post-doctorant au Centre d’histoire sociale des mondes contemporains et membre du projet « Masques », afin de comprendre l’origine et l’histoire du Samu.

 

 

21.09.2024 à 12:00

Bande dessinée : 1964-2024

L’exposition Bande dessinée : 1964-2024 englobe une partie de la production internationale contemporaine, de l’ underground californien et nippon des années 1960, en passant par le large spectre de la franco-belge, jusqu’au récent Chris Ware . 130 artistes et davantage de planches retracent cette période très féconde en termes de production et valident le phénomène de légitimation du neuvième art aux yeux du grand public. Une longue séquence invite le spectateur dans les méandres du musée. Douze salles s’enchaînent selon un parcours thématique imaginé par les commissaires d’exposition Anne Lemonnier et Emmanuèle Payen, avec le conseil scientifique de Thierry Groensteen et Lucas Hureau. L’entrée est historique : sous les auspices de la contre-culture, la décennie 1960 indique le changement radical de ton avec la période précédente, surtout par rapport à la production franco-belge alors soumise à la loi de 1949 sur la protection infantile. Cette dernière cloisonne la créativité des auteurs – de l’aventure pour des jeunes lecteurs masculins – autant qu’elle consacre la production belge, de Hergé à Franquin. La contre-culture californienne rebat les cartes, avec la revue underground Zap Comix (animée par Robert Crumb) en tête d’affiche. En France, l’éditeur Éric Losfeld publie Barbarella (1964) de Jean-Claude Forest et Valentina (1969) de Guido Crépax, deux nouvelles héroïnes face à la Schtroumpfette (1967) de Peyo. Côté nippon, la présentation des premiers numéros de la revue japonaise Garo ouvre l’exposition à l’univers graphique du moment, le manga, à travers l’une de ses expressions les plus singulières. Magazine avant-gardiste, Garo (1964-2022) propose une vision du Japon à travers des productions plus personnelles. Parmi ces œuvres destinées à un lectorat adulte, pointent çà et là les orientations les plus récentes du neuvième art, l’autobiographie ou la bande dessinée du réel ; la Bande dessinée devient citoyenne. Ce cadre posé, le spectateur suit la piste. Onze propositions thématiques occupent chacune un espace plus ou moins adapté. Devant l’objectif d’embrasser une large partie de la production mondiale des soixante dernières années, la scénographie doit être minimaliste, voire minimale. D’emblée, l’espace rire crée le lien entre le belge Franquin, chef de la ligne ronde, vieille école qui se développe dans le magazine Spirou , et le jeune Gotlib, acteur majeur de la période Pilote , puis fondateur de l’Écho des Savanes et de Fluide Glacial . Après le rire, l’effroi, la peur, l’héritage gore de l’épouvante des comics américains des années 1950 rejaillit dans la production étrange et fantastique de Daniel Clowes, Emil Ferris ou encore chez Ludovic Debeurme et Stéphane Blanquet. De la peur au rêve, il n’y a qu’une salle, l’occasion de voir un mur décoré de 32 illustrations de Killoffer, donnant naissance à une page. Peu à peu la thématique s’étiole, il faut faire quelques efforts de compréhension pour suivre les salles 5,6 et 7 : l’écriture de soi au fil des jours en noir et blanc. L’occasion de (re)voir le travail de Camille Jourdy, de David B. ou encore de Nina Bunjevac. Les salles 8, 9 et 10 font appel à la science humaine : histoire, mémoire, littérature et science-fiction sont tout autant d’occasions d’admirer les travaux originaux de Spigelman ( Maus ), de Rébecca Dautremer, de l’explosif Winchluss, mais aussi du génial Moebius ou encore du tout aussi génial Druillet . Une dernière boucle aborde les villes et la géométrie, le novateur De Crécy anime la cité et l’original Jochen Gerner célèbre l’abstraction. La Bande dessinée au musée Fort de ces nouvelles connaissances graphiques, le Centre Pompidou joue les prolongations un étage en dessous avec La Bande dessinée au musée . Un hommage suggère plusieurs rapprochements entre artistes. Différents auteurs se retrouvent au côté d’un ancien (par exemple Catherine Meurisse et Mark Rothko). D’anciens auteurs, comme le Français Edmond-François Calvo ou l’américain Georges Herriman, occupent les traverses. La bande dessinée est un art jeune. Pour le novice et l’amateur, cette visite dans le passé récent du neuvième art est incontournable. Reste qu'aborder simultanément 130 artistes exige un effort conséquent, surtout devant la qualité de la sélection. La majeure partie des planches exposées proviennent du fonds Michel-Edouard Leclerc : l’actionnaire des supermarchés éponymes est l’évergète de la bande dessinée, alors que seuls quelques auteurs avisés sont propriétaires de leurs originaux (L. Trondheim, J. Sfar ou P. Rabaté entre autres). Dans ces conditions, seul un tel collectionneur peut offrir un panorama aussi large de la production des soixante dernières années, au risque parfois de laisser quelques auteurs talentueux sur le carreau, Christian Cailleaux ou Hugues Micol par exemple. Pour ceux qui ne sont pas encore rassasiés, Hugo Pratt et son Corto Maltese font l’objet d’une présentation à la bibliothèque du Centre Pompidou (la BPI), au deuxième étage. Si l’espace est moindre, la scénographie est ramassée. C'est l’occasion de découvrir de nombreuses pièces autour du héros emblématique de l’univers d’Hugo Pratt, avec lequel la bande dessinée bascule vers le roman graphique lors de La ballade de la mer salée . La diversité du public nombreux entrevu est une clé de compréhension (à distance) du succès de l’exposition fondatrice de 1967, Bande dessinée et Figuration narrative , qui avait reçu 500 000 visiteurs à l’époque. Cette exposition avait autorisé le médium à s’exposer aux cimaises du musée des Arts décoratifs de Paris. Bande dessinée : 1964-2024 est la consécration de « l’arrachement de la Bande dessinée au statut d’art mineur réservé à la jeunesse 1 », l’aboutissement d’une révolution entamée dans les années 1960, marquée depuis par l’arrivée du manga (1990) et par une croissance économique exponentielle. La bande dessinée serait-elle devenue un art comme un autre ? Notes : 1 - T. Groensteen, Une vie dans les cases , p. 223.
Texte intégral (1189 mots)

L’exposition Bande dessinée : 1964-2024 englobe une partie de la production internationale contemporaine, de l’underground californien et nippon des années 1960, en passant par le large spectre de la franco-belge, jusqu’au récent Chris Ware. 130 artistes et davantage de planches retracent cette période très féconde en termes de production et valident le phénomène de légitimation du neuvième art aux yeux du grand public.

Une longue séquence invite le spectateur dans les méandres du musée. Douze salles s’enchaînent selon un parcours thématique imaginé par les commissaires d’exposition Anne Lemonnier et Emmanuèle Payen, avec le conseil scientifique de Thierry Groensteen et Lucas Hureau. L’entrée est historique : sous les auspices de la contre-culture, la décennie 1960 indique le changement radical de ton avec la période précédente, surtout par rapport à la production franco-belge alors soumise à la loi de 1949 sur la protection infantile. Cette dernière cloisonne la créativité des auteurs – de l’aventure pour des jeunes lecteurs masculins – autant qu’elle consacre la production belge, de Hergé à Franquin.

La contre-culture californienne rebat les cartes, avec la revue underground Zap Comix (animée par Robert Crumb) en tête d’affiche. En France, l’éditeur Éric Losfeld publie Barbarella (1964) de Jean-Claude Forest et Valentina (1969) de Guido Crépax, deux nouvelles héroïnes face à la Schtroumpfette (1967) de Peyo. Côté nippon, la présentation des premiers numéros de la revue japonaise Garo ouvre l’exposition à l’univers graphique du moment, le manga, à travers l’une de ses expressions les plus singulières. Magazine avant-gardiste, Garo (1964-2022) propose une vision du Japon à travers des productions plus personnelles. Parmi ces œuvres destinées à un lectorat adulte, pointent çà et là les orientations les plus récentes du neuvième art, l’autobiographie ou la bande dessinée du réel ; la Bande dessinée devient citoyenne.

Ce cadre posé, le spectateur suit la piste. Onze propositions thématiques occupent chacune un espace plus ou moins adapté. Devant l’objectif d’embrasser une large partie de la production mondiale des soixante dernières années, la scénographie doit être minimaliste, voire minimale. D’emblée, l’espace rire crée le lien entre le belge Franquin, chef de la ligne ronde, vieille école qui se développe dans le magazine Spirou, et le jeune Gotlib, acteur majeur de la période Pilote, puis fondateur de l’Écho des Savanes et de Fluide Glacial. Après le rire, l’effroi, la peur, l’héritage gore de l’épouvante des comics américains des années 1950 rejaillit dans la production étrange et fantastique de Daniel Clowes, Emil Ferris ou encore chez Ludovic Debeurme et Stéphane Blanquet. De la peur au rêve, il n’y a qu’une salle, l’occasion de voir un mur décoré de 32 illustrations de Killoffer, donnant naissance à une page.

Peu à peu la thématique s’étiole, il faut faire quelques efforts de compréhension pour suivre les salles 5,6 et 7 : l’écriture de soi au fil des jours en noir et blanc. L’occasion de (re)voir le travail de Camille Jourdy, de David B. ou encore de Nina Bunjevac. Les salles 8, 9 et 10 font appel à la science humaine : histoire, mémoire, littérature et science-fiction sont tout autant d’occasions d’admirer les travaux originaux de Spigelman (Maus), de Rébecca Dautremer, de l’explosif Winchluss, mais aussi du génial Moebius ou encore du tout aussi génial Druillet. Une dernière boucle aborde les villes et la géométrie, le novateur De Crécy anime la cité et l’original Jochen Gerner célèbre l’abstraction.

La Bande dessinée au musée

Fort de ces nouvelles connaissances graphiques, le Centre Pompidou joue les prolongations un étage en dessous avec La Bande dessinée au musée. Un hommage suggère plusieurs rapprochements entre artistes. Différents auteurs se retrouvent au côté d’un ancien (par exemple Catherine Meurisse et Mark Rothko). D’anciens auteurs, comme le Français Edmond-François Calvo ou l’américain Georges Herriman, occupent les traverses. La bande dessinée est un art jeune.

Pour le novice et l’amateur, cette visite dans le passé récent du neuvième art est incontournable. Reste qu'aborder simultanément 130 artistes exige un effort conséquent, surtout devant la qualité de la sélection. La majeure partie des planches exposées proviennent du fonds Michel-Edouard Leclerc : l’actionnaire des supermarchés éponymes est l’évergète de la bande dessinée, alors que seuls quelques auteurs avisés sont propriétaires de leurs originaux (L. Trondheim, J. Sfar ou P. Rabaté entre autres). Dans ces conditions, seul un tel collectionneur peut offrir un panorama aussi large de la production des soixante dernières années, au risque parfois de laisser quelques auteurs talentueux sur le carreau, Christian Cailleaux ou Hugues Micol par exemple.

Pour ceux qui ne sont pas encore rassasiés, Hugo Pratt et son Corto Maltese font l’objet d’une présentation à la bibliothèque du Centre Pompidou (la BPI), au deuxième étage. Si l’espace est moindre, la scénographie est ramassée. C'est l’occasion de découvrir de nombreuses pièces autour du héros emblématique de l’univers d’Hugo Pratt, avec lequel la bande dessinée bascule vers le roman graphique lors de La ballade de la mer salée.

La diversité du public nombreux entrevu est une clé de compréhension (à distance) du succès de l’exposition fondatrice de 1967, Bande dessinée et Figuration narrative, qui avait reçu 500 000 visiteurs à l’époque. Cette exposition avait autorisé le médium à s’exposer aux cimaises du musée des Arts décoratifs de Paris. Bande dessinée : 1964-2024 est la consécration de « l’arrachement de la Bande dessinée au statut d’art mineur réservé à la jeunesse1 », l’aboutissement d’une révolution entamée dans les années 1960, marquée depuis par l’arrivée du manga (1990) et par une croissance économique exponentielle. La bande dessinée serait-elle devenue un art comme un autre ?


Notes :
1 - T. Groensteen, Une vie dans les cases, p. 223.

16.09.2024 à 10:00

Grégoire Bouillier face aux « Nymphéas » de Monet

Tout part, apparemment, d’un malaise éprouvé par l’auteur devant Les Nymphéas de Monet exposés au musée de l’Orangerie : « J’ai été pris de vertige, d’angoisse. Je me suis senti terriblement oppressé. Cela a été immédiat. Tout juste si je n’ai pas fait un malaise. Ce n’était pas du tout prévu. Ce n’était pas ce à quoi je m’attendais. […] J’ai bien conscience que les mots malaise, angoisse, morbide et funèbre ne font pas partie du vocabulaire que l’on associe ordinairement à Monet. J’ai bien conscience qu’un jardin, espace par définition à ciel ouvert, qui plus est peint par un artiste célèbre pour avoir sorti la peinture de l’atelier et l’avoir amenée au grand air, ne devrait pas causer des sensations d’oppression et d’enfermement. » Il envoie donc le détective Bmore, le double qu’il a créé dans Le cœur ne cède pas (2022), chercher les raisons de son «  syndrome de l’Orangerie  ». Il n’arrive pas à convaincre son assistante Penny que les 432 tableaux de nymphéas peints par Monet sont «  une méditation sur la mort  ». Dans le «  prologue  », Penny voulait engager une stagiaire à la Bmore & Investigations, qui avait si bien travaillé dans l’enquête sur Marcelle Pichon parue en 2022. Pauline T a toutes les compétences requises pour un nouveau travail littéraire visant à épuiser un fait divers : « En 2019, elle a élucidé l’énigme qui, page 96, préoccupe Modiano dans son livre Livret de famille  : le nom du village “se finissant en euil” dont [ sic ] il ne parvient plus à se rappeler serait Auneuil dans l’Oise. Elle a transmis l’info à Modiano mais il n’a pas donné suite. Ni merci ni rien. En 2021, elle a aussi mené une enquête perécienne sur la possibilité de traverser Paris du nord au sud en n’empruntant que des rues dont le nom ne contient pas la lettre “e”. » De l’utilité de «  vroumer  » Les fleurs de Monet recouvrent le cadavre de son fils, celui de sa femme et ceux de tous les morts de la Première Guerre mondiale, au moins : « Certes dans nymphéa, il y a le mot hymne ; mais ce n’est pas celui qu’on croit. […] Ce que Monet a enterré dans ses Grands Panneaux, ce sont […] les neuf millions de morts de la Première Guerre mondiale, dont un million et demi de Français. Dont ses amis Octave Mirbeau et Bazille. Dont Apollinaire, Alain-Fournier, Charles Péguy et tous les autres tombés au front, célèbres ou anonymes. Ce qui fait un paquet de monde. Ce qui fait énormément de nymphéas. Ce qui fait des Grands Panneaux un tombeau pour neuf millions de soldats. Côté scène de crime, on est servi. Passés au Luminol, les Nymphéas s’illumineraient comme un sapin de Noël. Dans le genre fait divers, la guerre est le plus monstrueux. » Pour mener son enquête, passionnée et passionnante, intelligente et instructive, drôle et provocatrice, pleine de digressions et de parenthèses dans lesquelles le lecteur le suit, étourdi et émerveillé, l’auteur décide de « vroumer  ». Mot-valise et néologisme, le verbe condense l’action de zoomer comme dans le film Blow-Up d’Antonioni, qu’il a revu quelques jours avant sur Arte, en faisant vrombir le sens de tous les détails. Penny résiste : « Elle sait bien que Daniel Arasse plaidait pour une lecture rapprochée de la peinture, mais là, vous poussez loin le zoom. Vous poussez carrément mémé dans les Nymphéas. » Démesure de l’enquête, immense plaisir de la lecture Regardant attentivement Camille sur son lit de mort , tableau impressionnant dans lequel Monet a peint sa première épouse, Camille Doncieux, qui fut aussi son modèle préféré, l’auteur remarque que l’artiste a ensuite renoncé à peindre la figure humaine pour se lancer dans ses fameuses séries : peupliers, meules, vues de la cathédrale de Rouen notamment. Il lit tout sur la vie de Monet, sa peinture, ses amours. Il cite ses lettres, il analyse ce que veut dire regarder un tableau, à partir de sa culture, immense et multiforme, de sa pratique de peintre (dans une autre vie). Il cherche dans les livres, dans les tableaux, sur internet, il associe, il réfléchit, il nous entraîne, non sans autodérision et drôlerie, dans sa démonstration. Par exemple, il s’arrête sur un extrait fameux du Journal de Kafka (qui note, le 2 août 1914 : «  L’Allemagne a déclaré la guerre à la Russie. Après-midi piscine »), pour en donner un magnifique commentaire qui vaut pour un art poétique de cette œuvre, et sans doute de toute son œuvre. Il y a des morceaux de bravoure, comme cette description d’une visite à Giverny entremêlée à celle, trois jours plus tôt, du camp d’Auschwitz-Birkenau. C’est brillant, déprimant, hallucinant, intelligent, un moment inouï de littérature, comme quand, dans Le Dossier M , l’annonce du décès de sa mère se mêlait à la musique de Richard Wagner à la radio. Il critique la « grossophobie » qui domine le monde de la critique littéraire et qui vise les livres mal calibrés pour faire de bons prix littéraires, ce qui en dit long sur la paresse et le manque d’audace et de vision des lecteurs de tout poil. Refusant le ton solennel, les facilités romanesques, la résolution des conflits, la lumière enfin faite sur les opacités du monde et les nôtres, Grégoire Bouillier nous propose une aventure de lecture exceptionnelle, dans ce qui est peut-être son meilleur livre (mais c’est ce qu’on a envie d’écrire à chaque fois qu’il en fait paraître un nouveau…), et sans aucun doute l’un des plus intéressants et réussis de cette rentrée littéraire.
Texte intégral (1098 mots)

Tout part, apparemment, d’un malaise éprouvé par l’auteur devant Les Nymphéas de Monet exposés au musée de l’Orangerie :

« J’ai été pris de vertige, d’angoisse. Je me suis senti terriblement oppressé. Cela a été immédiat. Tout juste si je n’ai pas fait un malaise. Ce n’était pas du tout prévu. Ce n’était pas ce à quoi je m’attendais. […] J’ai bien conscience que les mots malaise, angoisse, morbide et funèbre ne font pas partie du vocabulaire que l’on associe ordinairement à Monet. J’ai bien conscience qu’un jardin, espace par définition à ciel ouvert, qui plus est peint par un artiste célèbre pour avoir sorti la peinture de l’atelier et l’avoir amenée au grand air, ne devrait pas causer des sensations d’oppression et d’enfermement. »

Il envoie donc le détective Bmore, le double qu’il a créé dans Le cœur ne cède pas (2022), chercher les raisons de son « syndrome de l’Orangerie ». Il n’arrive pas à convaincre son assistante Penny que les 432 tableaux de nymphéas peints par Monet sont « une méditation sur la mort ». Dans le « prologue », Penny voulait engager une stagiaire à la Bmore & Investigations, qui avait si bien travaillé dans l’enquête sur Marcelle Pichon parue en 2022. Pauline T a toutes les compétences requises pour un nouveau travail littéraire visant à épuiser un fait divers :

« En 2019, elle a élucidé l’énigme qui, page 96, préoccupe Modiano dans son livre Livret de famille : le nom du village “se finissant en euil” dont [sic] il ne parvient plus à se rappeler serait Auneuil dans l’Oise. Elle a transmis l’info à Modiano mais il n’a pas donné suite. Ni merci ni rien. En 2021, elle a aussi mené une enquête perécienne sur la possibilité de traverser Paris du nord au sud en n’empruntant que des rues dont le nom ne contient pas la lettre “e”. »

De l’utilité de « vroumer »

Les fleurs de Monet recouvrent le cadavre de son fils, celui de sa femme et ceux de tous les morts de la Première Guerre mondiale, au moins :

« Certes dans nymphéa, il y a le mot hymne ; mais ce n’est pas celui qu’on croit. […] Ce que Monet a enterré dans ses Grands Panneaux, ce sont […] les neuf millions de morts de la Première Guerre mondiale, dont un million et demi de Français. Dont ses amis Octave Mirbeau et Bazille. Dont Apollinaire, Alain-Fournier, Charles Péguy et tous les autres tombés au front, célèbres ou anonymes. Ce qui fait un paquet de monde. Ce qui fait énormément de nymphéas. Ce qui fait des Grands Panneaux un tombeau pour neuf millions de soldats. Côté scène de crime, on est servi. Passés au Luminol, les Nymphéas s’illumineraient comme un sapin de Noël. Dans le genre fait divers, la guerre est le plus monstrueux. »

Pour mener son enquête, passionnée et passionnante, intelligente et instructive, drôle et provocatrice, pleine de digressions et de parenthèses dans lesquelles le lecteur le suit, étourdi et émerveillé, l’auteur décide de « vroumer ». Mot-valise et néologisme, le verbe condense l’action de zoomer comme dans le film Blow-Up d’Antonioni, qu’il a revu quelques jours avant sur Arte, en faisant vrombir le sens de tous les détails. Penny résiste :

« Elle sait bien que Daniel Arasse plaidait pour une lecture rapprochée de la peinture, mais là, vous poussez loin le zoom. Vous poussez carrément mémé dans les Nymphéas. »

Démesure de l’enquête, immense plaisir de la lecture

Regardant attentivement Camille sur son lit de mort, tableau impressionnant dans lequel Monet a peint sa première épouse, Camille Doncieux, qui fut aussi son modèle préféré, l’auteur remarque que l’artiste a ensuite renoncé à peindre la figure humaine pour se lancer dans ses fameuses séries : peupliers, meules, vues de la cathédrale de Rouen notamment. Il lit tout sur la vie de Monet, sa peinture, ses amours. Il cite ses lettres, il analyse ce que veut dire regarder un tableau, à partir de sa culture, immense et multiforme, de sa pratique de peintre (dans une autre vie). Il cherche dans les livres, dans les tableaux, sur internet, il associe, il réfléchit, il nous entraîne, non sans autodérision et drôlerie, dans sa démonstration. Par exemple, il s’arrête sur un extrait fameux du Journal de Kafka (qui note, le 2 août 1914 : « L’Allemagne a déclaré la guerre à la Russie. Après-midi piscine »), pour en donner un magnifique commentaire qui vaut pour un art poétique de cette œuvre, et sans doute de toute son œuvre.

Il y a des morceaux de bravoure, comme cette description d’une visite à Giverny entremêlée à celle, trois jours plus tôt, du camp d’Auschwitz-Birkenau. C’est brillant, déprimant, hallucinant, intelligent, un moment inouï de littérature, comme quand, dans Le Dossier M, l’annonce du décès de sa mère se mêlait à la musique de Richard Wagner à la radio. Il critique la « grossophobie » qui domine le monde de la critique littéraire et qui vise les livres mal calibrés pour faire de bons prix littéraires, ce qui en dit long sur la paresse et le manque d’audace et de vision des lecteurs de tout poil.

Refusant le ton solennel, les facilités romanesques, la résolution des conflits, la lumière enfin faite sur les opacités du monde et les nôtres, Grégoire Bouillier nous propose une aventure de lecture exceptionnelle, dans ce qui est peut-être son meilleur livre (mais c’est ce qu’on a envie d’écrire à chaque fois qu’il en fait paraître un nouveau…), et sans aucun doute l’un des plus intéressants et réussis de cette rentrée littéraire.

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