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07.05.2024 à 15:17

À Rafah, Israël déclare vouloir « maintenir la pression militaire » sur le Hamas pour obtenir des meilleures conditions de cessez-le-feu

Marin Saillofest

Mardi 7 mai dans la matinée, après avoir refusé les termes d’un cessez-le-feu auxquels le Hamas avait consenti la veille, Israël est entré à Rafah avec des chars d’assaut et a pris le contrôle du point de passage vers l’Égypte. Le Cabinet de Netanyahou revendique ouvertement se servir de son offensive comme d’un moyen de pression visant à faire plier le Hamas.

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Texte intégral (1008 mots)

Lundi 6 mai, le Hamas a annoncé avoir accepté une proposition de cessez-le-feu négociée par l’Égypte et le Qatar. Considérant que les termes de l’accord sont « loin de répondre aux exigences fondamentales d’Israël », Tel-Aviv a lancé hier une « opération limitée » à Rafah visant à « démanteler des infrastructures utilisées par le Hamas »1. Aujourd’hui, mardi 7 mai dans la matinée, Tsahal a pris le contrôle du point de passage vers l’Égypte.

  • Il est important de noter qu’Israël a ordonné aux populations palestiniennes d’évacuer la partie sud de Rafah avant que le Hamas n’accepte la proposition qatari-égyptienne2.
  • Tel-Aviv accuse les États-Unis de ne pas avoir mis au courant le cabinet de Netanyahou des nouveaux termes de l’accord avant que celui-ci ne soit accepté par le Hamas — ce que Washington dément : « Il n’y a pas eu de surprises »3.
  • La Maison-Blanche a déclaré que Biden avait appelé le Premier ministre israélien durant 30 minutes avant que le Hamas n’annonce qu’il acceptait les termes de l’accord4.

Tel-Aviv justifie son refus des termes de l’accord en arguant avoir été maintenu dans le noir par le Hamas, les négociateurs (Qatar et l’Égypte) et les États-Unis. Le Cabinet de guerre de Netanyahou revendique néanmoins ouvertement se servir de son offensive militaire à Rafah comme d’un moyen de pression visant à faire plier le Hamas, et consentir à la libération des otages en échange de concessions limitées5. Dans le même temps, Israël a signalé son intention de continuer à participer aux négociations en envoyant une délégation au Caire.

  • Lors de l’attaque du 7 octobre, le Hamas a pris en otage 252 personnes sur le territoire israélien. Selon la Société de radiodiffusion publique israélienne, 112 de ces otages ont été rapatriés vivants et 49 ont été tués.
  • En prenant en compte les quatre civils et militaires israéliens capturés par le Hamas avant le 7 octobre 2023, 95 personnes sont à ce jour toujours retenues en otage par divers groupes terroristes dans la bande de Gaza.

Selon une copie de l’accord obtenue par Al Jazeera, la proposition de cessez-le-feu acceptée par le Hamas prévoit une première phase de 42 jours au cours de laquelle 33 otages (vivants ou morts) détenus à Gaza seraient libérés en échange d’un certain nombre de prisonniers détenus en Israël6. Ce nombre serait décidé en fonction du genre, de l’âge et de l’état physique des otages libérés.

À la fin de cette première période, « le retour à un calme durable doit être annoncé et prendre effet avant l’échange de captifs et de prisonniers encore en vie (civils et soldats) ». La troisième et dernière phase prévoit la reconstruction de la bande de Gaza sur une période de trois à cinq ans, supervisée par l’Égypte, le Qatar et les Nations unies.

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07.05.2024 à 11:39

Iran : Les Gardiens du chaos, les faucons de la Révolution islamique dans l’escalade au Moyen-Orient

Matheo Malik

Qui sont les Gardiens de la Révolution ? Quelle est leur doctrine et pourquoi occupent-t-il une place de plus en plus centrale à Téhéran ? Avec Afshon Ostovar, un mois après la première attaque directe de l’Iran contre Israël, nous dressons un portrait du Sepâh — les Gardiens du Guide et de l’Imam caché.

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Texte intégral (6858 mots)

L’attaque iranienne contre Israël a eu lieu le 13 avril, il y a presque un mois. Elle n’a pas conduit à l’escalade majeure que beaucoup craignaient. Comment expliquez-vous la désescalade des deux côtés, ou du moins l’absence d’escalade majeure ? 

Il ne faut pas se tromper : l’attaque de l’Iran contre Israël était une attaque majeure, avec plus de 300 armes, dont 110 missiles balistiques. Certains se plaisent à dire que cette attaque était symbolique : il n’y a rien de symbolique à envoyer 110 missiles balistiques contre le territoire d’un autre État.

Ce qui a permis d’éviter l’escalade, c’est d’abord le manque de succès de l’attaque. Plus de la moitié des missiles balistiques ont explosé en vol — soit juste après leur lancement, soit très rapidement dans leur trajectoire vers Israël — et n’ont pas atteint leur cible. Israël, ses alliés et ses voisins ont également réussi à détruire en vol un grand nombre de ces armes. Nous ne connaissons pas l’étendue réelle des dommages causés à Israël, mais nous savons que certains missiles ont atteint un objectif, entre sept et neuf. Certains ont touché une base de l’armée de l’air, mais aucun d’entre eux ne semble avoir causé de dommages importants. 

Ensuite, si l’on en croit les rapports publiés, Israël voulait tout de même mener une réponse plus importante, mais l’administration Biden a fortement encouragé les Israéliens à ne pas répondre du tout. Par conséquent, Israël a réagi de manière largement symbolique en lançant ce qui semble être une seule arme ou quelques armes sur le territoire iranien, causant quelques dégâts mineurs à une batterie de défense anti-aérienne. Le but de l’opération semblait être, davantage que de causer des dommages, de faire passer le message qu’Israël pouvait frapper l’Iran s’il le souhaitait.

Ce qui a permis d’éviter l’escalade, c’est d’abord le manque de succès de l’attaque.

Afshon Ostovar

Enfin, et c’est le point clef, aucune des parties ne souhaite une guerre. Dans un jeu de réponses et de représailles, chacun essaie de faire tout ce qu’il peut mais sans franchir un certain seuil. Ce seuil est très gris et flou — plus nous avançons dans ce conflit, plus les altercations pourraient être dangereuses.

Le détail des débris de ce que l’on pense être un missile iranien intercepté est visible près de la ville d’Arad, dans le sud d’Israël, le lundi 29 avril 2024.© AP Photo/Maya Alleruzzo

Vous avez récemment expliqué cette attaque en disant que les faucons du Sépâh — le Corps des Gardiens de la Révolution Islamique, ou Sepâh-e Pâsdârân-e Enghelâb-e Eslâmi — avaient acquis une plus grande influence sur les décisions de politique étrangère à Téhéran. Qui sont-ils, et comment expliquer leur gain d’influence ? 

Le spectre idéologique de la République islamique est très étroit. Je parle ici surtout du spectre idéologique au sein du Sepâh et du régime. Par régime, j’entends les institutions non élues du pouvoir en Iran, c’est-à-dire le Sepâh et le Bureau du Guide suprême. On peut inclure d’autres institutions comme le Conseil des gardiens ou la justice, mais elles sont toutes essentiellement une extension de l’autorité du Guide suprême. 

Lorsqu’on parle de faucons, de modérés ou de pragmatiques au sein du régime d’aujourd’hui, les marges de différence sont en réalité très fines. Ces marges sont si fines qu’il est très difficile de les décrire en français. J’ai du mal à trouver un terme pour les décrire, car on pourrait dire « conservateurs », « ultra conservateurs », « ultra-ultra conservateurs » — mais cette gradation finit par n’avoir aucun sens. 

Cette attaque est l’aboutissement d’années de frustration au sein du Sepâh en raison de son incapacité à frapper Israël de la manière dont Israël le frappait.

Afshon Ostovar

Les faucons politiques du Sepâh se trouvent principalement au sommet de la hiérarchie du Sepâh, très proches du Guide suprême. Ce sont ses hommes. Ce sont eux qu’il a placés aux commandes, en raison de leur mérite, mais surtout de leur engagement idéologique en faveur de ses intérêts, à savoir une politique étrangère intransigeante à l’égard des États-Unis et d’Israël et une politique étrangère très ambitieuse au Moyen-Orient et à l’échelle mondiale.

Des personnes comme le commandant en chef du Sépâh, Hossein Salami, ou le commandant de l’aérospatiale, Amir Ali Hajizadeh, sont des individus qui croient fermement aux objectifs de la République islamique et souhaitent étendre son influence et son pouvoir au Moyen-Orient, en utilisant les capacités militaires croissantes de l’Iran afin de réduire le pouvoir des États-Unis et de leurs partenaires.

À cet égard, l’attaque du 13 avril est l’aboutissement d’années de frustration au sein du Sepâh. Israël répond aux agressions iraniennes depuis une dizaine d’années. Les forces aériennes israéliennes ont frappé les positions et les cargaisons d’armes des Gardiens en Syrie. Le Mossad a pour sa part conduit de nombreuses opérations de sabotage et d’assassinat à l’intérieur même de l’Iran. Israël a tué d’éminents responsables comme Mohsen Fakhrizadeh, le plus haut responsable nucléaire du Sepâh, en 2020. Il faut rappeler qu’en 2020 toujours, Israël a également participé à l’assassinat de Qassem Soleimani. Israël a réussi à placer des bombes à l’intérieur de l’installation nucléaire de Natanz. Il a kidnappé des officiers des Gardiens, les a interrogés et les a peut-être tués. La liste est longue, en particulier au cours des cinq dernières années pendant lesquelles Israël a pu pénétrer la sécurité iranienne et exposer la porosité des défenses de l’Iran. 

Dans tous ces cas, l’Iran n’a pas été en mesure de riposter contre Israël. Il ne peut pas infiltrer Israël directement. Il ne peut pas assassiner ses fonctionnaires. Il ne peut pas saboter ses installations militaires. Ils ont essayé à de nombreuses reprises de tuer des Israéliens à l’étranger, en Turquie, en Azerbaïdjan, à Chypre, en Inde, en Thaïlande et en Europe : presque toutes ces tentatives ont échoué. Ils ont réussi à attaquer des navires israéliens dans l’océan Indien et en mer Rouge, mais ce n’est pas grand-chose au regard de ce qu’ils veulent accomplir.

L’Iran n’a pas été en mesure de riposter contre Israël. Il ne peut pas infiltrer Israël directement. Il ne peut pas assassiner ses fonctionnaires. Il ne peut pas saboter ses installations militaires.

Afshon Ostovar

C’est en partie pour cette raison qu’ils ont célébré le 7 octobre comme s’il s’agissait d’un acte qu’ils avaient accompli eux-mêmes — sans que l’on sache vraiment s’ils ont été impliqués ou non. C’était une expérience cathartique. Leurs clients, leurs mandataires, le Hamas ont pu faire quelque chose qu’ils n’avaient jamais réussi à faire. Parce que les Gardiens avaient armé et entraîné le Hamas, et financé leur armée, ils ont perçu ce succès comme le leur. 

Dans ce contexte général de frustration, l’attaque contre Israël a été le moment où le Guide suprême a permis aux militaires d’attaquer autant qu’ils le voulaient, ce qu’ils ont fait, en lançant tous les types d’armes qu’ils possédaient et pouvaient atteindre Israël. 

L’attaque contre Israël a été un moment où le Guide suprême a permis aux militaires d’attaquer autant qu’ils le voulaient. 

Afshon Ostovar

Cette attaque ratée suffira-t-elle à apaiser la frustration accumulée ?

Les Gardiens aiment imaginer des situations difficiles et tenter d’en tirer le meilleur parti. Ils ont probablement été frustrés par cet échec. D’un autre côté, ils ont prouvé qu’ils pouvaient le faire. Ils ont surtout prouvé qu’ils avaient la volonté de le faire, qu’ils étaient prêts à prendre le risque. Ils ont frappé Israël, même si ce n’était pas avec toutes leurs armes. Plus encore, ils ont prouvé que les États-Unis et Israël hésitent à laisser la guerre aller plus loin. En termes de combat de rue, Israël les a frappés, ils ont pu riposter, puis les États-Unis se sont interposés et les ont séparés. 

Par conséquent, ils ne considèrent pas du tout cela comme un échec. Ils considèrent cela comme le plus grand succès qu’ils aient jamais connu. CNN vient d’être invitée par le Sépâh à filmer les armes utilisées contre Israël. Ils tirent tous les avantages qu’ils peuvent en tirer — et Israël doit désormais prendre en compte la possibilité d’une attaque directe sur son territoire.

Dans votre livre Vanguard of the Imam, vous vous appuyez sur le concept de comitatus pour aider à comprendre le fonctionnement du Sepâh. Qu’est-ce qu’un comitatus  ? Ces derniers événements confirment-ils l’idée que vous avez défendue en 2016 ? 

À l’époque classique, un comitatus était l’avant-garde ou le cercle intérieur des guerriers et des commandants de l’armée d’un roi. Dans les cas les plus extrêmes, à la mort du roi, le comitatus se suicidait rituellement. Ils ne pouvaient pas exister sans le roi. L’ensemble des Routes de la soie, si vous trouvez l’argument de Christopher Beckwith convaincant1, a consisté à enrichir le comitatus. Selon lui, l’autonomisation des élites était en effet le moteur de cette économie. Si le suicide rituel a progressivement cessé d’exister, l’intense relation entre le chef et ses commandants militaires est demeurée une caractéristique de la période islamique. 

Le Sepâh fonctionne comme le comitatus d’Ali Khamenei.

Afshon Ostovar

Au-delà de ces cas extrêmes, le concept de comitatus permet de décrire une relation symbiotique entre le dirigeant et ses commandants. Au sein du comitatus, les commandants faisaient tout pour soutenir le dirigeant par loyauté et service. En retour, le dirigeant créait des conditions telles que tout ce qu’il fait est en partie destiné à ses fidèles. Il les enrichissait, les intégrait, leur donnait du pouvoir. Il faisait tout pour rendre son comitatus heureux, satisfait et à l’aise. 

Le débris d’un missile balistique intercepté tombé près de la mer Morte est photographié en Israël, le dimanche 21 avril 2024. © AP Photo/ Ohad Zwigenberg

En ce sens, le Sepâh fonctionne comme le comitatus d’Ali Khamenei. Ils le maintiennent au pouvoir et ne permettent à personne de remettre en question son autorité ou sa légitimité. En retour, il leur donne essentiellement les clés du royaume, toutes les ressources dont ils ont besoin, tous les pouvoirs qu’ils demandent et presque toutes les politiques qu’ils préfèrent. En ce sens, le Sepâh est très attaché à Khamenei, parce que ce dernier lui donne la plupart des choses qu’il demande, la plupart du temps. C’était vrai en 2016 et cela l’est encore en 2024. Ce qui change, c’est que Khamenei vieillit progressivement. Un jour, il ne sera plus Guide suprême, qu’il meure en fonction ou qu’il soit frappé d’incapacité. 

Le Sepâh devra alors se trouver un nouveau bienfaiteur. Le remplacement du Guide suprême est déjà un processus en cours. Quiconque succèdera à Khamenei et accèdera à la direction suprême aura cependant un rôle très délimité. Certes, le Sepâh veut un Guide suprême qui maintienne la légitimité de la République islamique. Il ne peut y avoir de République islamique sans Guide suprême car le Sepâh ne peut pas diriger directement le pays : cela cesserait de les rendre légitimes. Ils sont les « Gardiens de la Révolution islamique ». Le principe animateur de la Révolution islamique est le rôle central qu’y joue l’autorité religieuse.

Il ne peut y avoir de République islamique sans Guide suprême car le Sepâh ne peut pas diriger directement le pays : cela cesserait de les rendre légitimes. Ils sont les « Gardiens de la Révolution islamique ».

Afshon Ostovar

Cependant, ils voudront un Guide suprême plus faible que l’actuel. Dans l’ère post-Khamenei, le Sepâh aura moins d’obstacles à surmonter pour obtenir ce qu’il veut. Khamenei a beaucoup de pouvoir et le Sepâh lui est très attaché. J’ai du mal à croire ou à prévoir que le prochain Guide suprême puisse avoir la même relation avec le Sepâh. 

Diriez-vous qu’à cet égard Ali Khamenei est une force qui modère les actions des Gardiens, au sein du régime ?

Ali Khamenei est, par son pouvoir et son autorité, une contrainte pour le Sepâh. S’il donne des pouvoirs et des moyens au Sepâh, il lui impose également des contraintes. Il agit comme un parent pour le Sepâh. En ce sens, on peut dire qu’il est une force modératrice, pas en termes d’idéologie, car sa vision du monde est très radicale, mais plutôt de stratégie. Il peut considérer qu’il est sage de ne pas déclencher une guerre avec les États-Unis ou Israël, mais cela ne signifie pas qu’il ne partage pas le désir des Gardiens de la mener.

En ce sens, il est l’adulte dans la pièce. Si dans une pièce se trouve un grand nombre de généraux tête brûlée qui veulent attaquer, il est celui qui invitera à ne pas tomber dans le piège de l’adversaire. À cet égard, il faut reconnaître que l’Iran a réussi à atteindre ses objectifs et à éviter ce qu’il craint le plus — à savoir une guerre avec des puissances plus fortes que lui, telles que les États-Unis.

Dans l’ère post-Khamenei, le Sepâh aura moins d’obstacles à surmonter pour obtenir ce qu’il veut.

Afshon Ostovar

Pourriez-vous expliquer le titre de votre livre, « L’avant-garde de l’Imam » et les références chiites qu’il suggère ? Comment cela permet-il de comprendre le fonctionnement des Gardiens ?

L’expression « l’avant-garde de l’imam » a un double sens. 

D’une part, il s’agit d’une référence à Khomeini et à Khamenei. Lorsque Khomeini s’est trouvé à la tête de la Révolution de 1979, il a reçu le titre honorifique d’« imam ». Ce terme peut être utilisé avec une minuscule ou une majuscule. Avec une minuscule, « imam »  signifie simplement chef. Dans la culture islamique, un imam est le chef de prière dans une mosquée, comme un prêtre ou un prédicateur dans une église chrétienne. 

Mais « Imam » a une signification beaucoup plus profonde dans le chiisme. Les débuts de l’islam sont marqués par un conflit à propos de la succession du prophète Mahomet. Les chiites pensaient que le cousin et gendre de Mahomet, Ali, devait être le successeur. La majorité des musulmans de l’époque n’était pas d’accord et a choisi des successeurs connus sous le nom de califes — terme qui signifie simplement « successeur ». Les califes ont fini par diriger la très grande majorité de la communauté musulmane, les sunnites.

L’islam, tout comme le christianisme et le judaïsme, comporte une prophétie apocalyptique sur la fin des temps.

Afshon Ostovar

Pour les chiites, douze Imams se sont succédé à partir d’Ali. Descendants de Mahomet par sa fille Fatima, ils étaient tous considérés comme les véritables chefs légitimes de l’islam, même s’ils n’ont jamais vraiment exercé le pouvoir après Ali, qui l’a exercé pendant une courte période. En somme, dans le chiisme, « Imam » ne désigne pas un simple chef religieux mais aussi les successeurs légitimes du prophète Mahomet.

Dans la forme particulière de chiisme que l’on trouve en Iran, le chiisme duodécimain, on considère que le douzième imam — Muhammad Mahdi ou Imam Mahdi — est entré dans une occultation spirituelle. En d’autres termes, il a disparu, soustrait par Dieu à la vue de l’humanité. La croyance veut qu’il revienne à la fin des temps. L’islam, tout comme le christianisme et le judaïsme, comporte une prophétie apocalyptique sur la fin des temps. Au cours de cette période, l’imam Mahdi est censé revenir.

Ainsi les chiites s’attendent toujours au retour du Mahdi, notamment lors de périodes de bouleversements. La révolution islamique de 1979 a été l’une de ces périodes, au point que certains pensaient que l’ayatollah Khomeini lui-même, descendant du Prophète, était l’Imam caché.

Or les chiites attendent le retour de l’imam pour qu’il ramène l’islam à sa juste pratique, que le chiisme s’impose dans le monde entier, que les sunnites deviennent chiites et que le monde, après une phase de violence, atteigne la paix universelle, une fois la guerre gagnée par l’Imam et ses alliés.

Lorsque les gens ont commencé à appeler l’ayatollah Khomeini « Imam », cela signifiait qu’il était un dirigeant vénéré, mais suggérait aussi qu’il était une figure messianique

Afshon Ostovar

Les gens pensaient que Khomeini était peut-être l’Imam. Lorsqu’un journaliste étranger lui a demandé s’il était l’Imam, Khomeini s’est abstenu de répondre. Je pense quant à moi que Khomeini savait qu’il n’était pas l’Imam, mais qu’il ne voyait pas d’inconvénient à ce que les autres le pensent. Lorsque les gens ont commencé à l’appeler Imam, cela signifiait qu’il était un dirigeant vénéré, mais suggérait aussi qu’il était une figure messianique. 

Le Sepâh a été constitué comme l’armée privée de Khomeini et comme l’armée de la nouvelle théocratie qu’il a établie. En ce sens, ils ont agi comme son avant-garde, comme sa force de première ligne. C’est ce que l’expression « avant-garde de l’imam » signifie : ils sont la force de première ligne de Khomeini lui-même, mais s’inscrivent aussi dans un horizon eschatologique chiite. Ils sont les protecteurs à la fois d’un dirigeant et d’une figure potentiellement messianique. 

Les Gardiens sont la force de première ligne de Khomeini lui-même, mais ils s’inscrivent aussi dans un horizon eschatologique chiite. Ils sont les protecteurs à la fois d’un dirigeant et d’une figure potentiellement messianique.

Afshon Ostovar

Juste après l’attaque contre Israël, Mohammad Baqeri a déclaré que si Israël voulait attaquer l’Iran, il y aurait une nouvelle contre-attaque à partir du territoire iranien contre Israël. Il n’a cependant pas été très clair dans sa définition des intérêts vitaux de l’Iran. Quelle est la géographie politique du Sepâh et sa définition des intérêts vitaux iraniens ?

Le Sepâh considère la plupart des endroits où il opère comme des territoires stratégiques, mais pas nécessairement comme son « domaine » propre — il n’adopte pas un langage impérialiste et ne s’identifie pas à ces régions.

Le Liban et la Syrie font partie intégrante de la géographie stratégique des Gardiens. Ils sont absolument vitaux pour ce que le Sepâh veut accomplir vis-à-vis d’Israël, mais aussi dans la région. Si les positions du Sepâh étaient menacées dans ces pays, ils ressentiraient le besoin de réagir. C’est la raison pour laquelle l’Iran est intervenu si fortement pour protéger Bachar el-Assad après le printemps arabe. Il considérait que la Syrie était absolument vitale pour sa dissuasion élargie et ses ambitions stratégiques. 

Le Liban et la Syrie font partie intégrante de la géographie stratégique des Gardiens.

Afshon Ostovar

L’Irak est également devenu crucial, en raison là aussi de sa proximité avec l’Iran. C’est aussi un espace que les Iraniens disputent depuis longtemps aux États-Unis. Ils ont appris à gérer leurs intérêts dans ce pays. Les États-Unis n’y ont pas nécessairement une présence militaire, de sorte qu’ils ne menacent pas leur présence, mais ils constituent une nuisance et un facteur contraignant.

Le Yémen est un nouveau terrain d’importance stratégique pour le Sepâh. Lorsqu’il s’est impliqué dans le conflit au Yémen, il ne donnait pas l’impression qu’il allait tout faire pour aider les Houthis. Mais au fil du temps, les Gardiens ont trouvé un moyen de rendre leur assistance utile et efficace dans la guerre avec les Saoudiens et les Émiratis, notamment en leur fournissant des armes balistiques, des systèmes de ciblage et des drones que les Houthis pourraient utiliser en dehors de leurs frontières.

Comme nous l’avons vu avec la guerre à Gaza, les Houthis ont utilisé le Yémen comme base pour attaquer les navires, en particulier autour du Bab-el-Mandeb et dans la mer Rouge. Dans toutes ces attaques, les Houthis appuient peut-être sur la gâchette, mais c’est le Sepâh qui fait tout le reste. Aujourd’hui, si les Houthis étaient en danger au Yémen, l’Iran s’en préoccuperait, bien plus qu’il y a dix ans, car le Sepâh a compris que le Yémen pouvait aider à repousser les États-Unis, cibler Israël et faire pression sur le transport maritime mondial. 

Les Houthis appuient peut-être sur la gâchette, mais c’est le Sepâh qui fait tout le reste.

Afshon Ostovar

Ce sont les domaines qui intéressent le plus le Sepâh. L’Iran s’intéresse également à des régions plus petites. L’ouest de l’Afghanistan, par exemple. Herat est important. Il y a des barrages dans l’ouest de l’Afghanistan et des problèmes d’eau qui sont importants. Le trafic de stupéfiants est important pour le Sepâh de différentes manières, à la fois en termes de lutte et de facilitation.

Des personnes se rassemblent autour d’un débris de missile balistique intercepté tombé près de la mer Morte en Israël, samedi 20 avril 2024. © AP Photo/Itamar Grinberg

Comment évaluez-vous les effets de ces attaques contre Israël sur le soft power du Sepâh ? D’une part, il s’agit de la seule puissance étatique prête à combattre directement Israël et désireuse de le faire. D’autre part, le Sepâh semble moins menaçant que le Hamas ou le Hezbollah. 

Bien sûr, l’attaque et son impact ont été limités, mais peu de pays veulent s’essayer à nouveau à ce genre d’opérations. Personne n’a envie de voir à nouveau le Sepâh lancer une centaine de missiles balistiques sur Israël.

Le Sepâh a fait preuve d’une grande prudence et d’un grand sens du calcul. Les frappes ont été longuement préparées. Ils ont annoncé ce qu’ils allaient faire, du moins dans une certaine mesure. Mais l’ampleur de l’attaque était peut-être inattendue. Ils ont lancé une série de drones, de missiles de croisière et de missiles balistiques, qui ont des trajectoires, des altitudes et des vitesses différentes. Ce mélange peut submerger les radars et embrouiller les détecteurs.

Les Gardiens pourraient également agir différemment à l’avenir. Là, ils ont tout tiré depuis l’Iran, mais ils auraient pu tirer depuis l’Irak, la Syrie, le Liban. Si l’attaque contre Israël avait été combinée à des tirs de roquettes du Hezbollah, de l’artillerie et des drones en provenance de Syrie, il aurait été beaucoup plus difficile pour Israël de réussir à tout détruire. À cet égard, je pense que l’impact ou l’effet de l’attaque iranienne a été plus ou moins ce qu’ils espéraient.

Personne n’a envie de voir à nouveau le Sepâh lancer une centaine de missiles balistiques sur Israël.

Afshon Ostovar

Les prochaines étapes dépendent de la manière dont Israël analyse la situation. Si Israël considère que ce n’était pas important et qu’ils pourraient repousser aisément d’autres attaques, c’est un problème pour le Sepâh, car cela signifie que l’attaque n’a pas eu d’effet réel. 

Je pense qu’Israël prend la chose au sérieux et se rend compte que cela aurait pu être pire. Même si la moitié des missiles balistiques a échoué, cela pourrait ne pas se produire la prochaine fois. Le Sepâh va tirer les leçons de ces expériences. Il faut bien voir que tout ce que font les Gardiens est aussi une forme d’entraînement. Le Sepâh n’a pas lancé beaucoup de frappes de missiles en dehors de ses frontières. C’est la quatrième ou cinquième fois qu’ils le font, et c’est de loin la plus importante. À chaque tentative, ils apprennent, ils acquièrent des connaissances et affinent leurs capacités. Si cela devait se reproduire, les choses ne se passeraient pas de la même manière.

Tout ce que font les Gardiens est aussi une forme d’entraînement. À chaque tentative, ils apprennent, ils acquièrent des connaissances et affinent leurs capacités. 

Afshon Ostovar

Vous allez bientôt publier un livre intitulé Wars of Ambitions : United States, Iran and the Struggle for the Middle East. Dans cet ouvrage, vous considérez que l’invasion de l’Irak lancée par les États-Unis en 2003 est l’une des principales causes de la politique iranienne dans la région. Dans quelle mesure cela explique-t-il le conflit actuel et les vives tensions contemporaines ?

À bien des égards, ce conflit a commencé en 1979. Après la Révolution, l’Iran a nourri l’ambition de détruire Israël comme État juif et de mettre fin à la présence des États-Unis comme puissance au Moyen-Orient. Ils avaient également l’ambition de mettre au défi les pays occidentaux pour renverser l’ordre mondial. Ce désir de changer le monde a été occulté par la guerre Iran-Irak, qui a obligé l’Iran à se préoccuper avant tout de sa survie. La guerre a ruiné l’Iran, qui a passé la majeure partie des années 1990 à réparer les dommages et à se concentrer sur sa politique intérieure. 

Le 11 septembre a changé la donne, en obligeant les États-Unis à adopter une politique interventionniste au Moyen-Orient. Quand ils ont envahi l’Afghanistan en 2001, l’Iran n’était initialement pas trop gêné par cette situation. Ils ont même proposé d’aider les États-Unis, considérant les Talibans comme des ennemis.

Lorsque les États-Unis ont envahi l’Irak, il y avait des forces américaines de part et d’autre de l’Iran et un président américain au pouvoir qui avait parlé de Téhéran comme faisant partie de l’« Axe du mal ». L’invasion de l’Irak représentait un danger pour l’Iran, mais aussi une opportunité. L’Iran avait essayé pendant huit ans de vaincre Saddam Hussein et réfléchi aux conséquences de sa potentielle disparition. Ils voulaient instaurer une république islamique en Irak. L’invasion de 2003, qui a renversé Saddam Hussein, a donné à l’Iran l’occasion de poursuivre cet objectif.

L’invasion de l’Irak représentait un danger pour l’Iran, mais aussi une opportunité.

L’Iran est entré en Irak avec trois objectifs principaux : premièrement, il voulait s’assurer que les baasistes ne reviendraient jamais au pouvoir et que Saddam et ses acolytes seraient éliminés. Deuxièmement, ils voulaient s’assurer que leurs alliés qu’ils avaient hébergés en Iran, ces expatriés irakiens qui vivaient en Irak depuis près de vingt ans, retourneraient en Irak et feraient partie du nouvel Irak. Troisièmement, ils voulaient empêcher les États-Unis d’accomplir ce qu’ils souhaitaient en Irak : construire une démocratie pro-américaine et pro-occidentale.

Ils ont poursuivi cet agenda en développant un réseau à l’intérieur de l’Irak, un nouveau groupe de combattants. Ces militants ont combattu les États-Unis de 2004 jusqu’à la fin. Lorsque les États-Unis ont quitté l’Irak en 2011, l’Iran y a vu une victoire. Et l’Irak est devenu le point de départ d’une politique étrangère très ambitieuse qu’ils ont commencé à mener dans toute la région.

Le printemps arabe leur a ouvert de nouvelles portes. En Syrie et au Yémen, ils profitent du chaos. Grâce à un effort acharné et déterminé, ils ont progressivement réussi à étendre leur influence, à développer des proxys et des clients, et à déployer leurs armes sur une vaste zone géographique au Moyen-Orient. Ce faisant, ils ont pu renverser l’ordre politique dans ces pays et empêcher leurs adversaires, y compris les États-Unis et leurs alliés, de s’y implanter. 

En Syrie et au Yémen, les Gardiens profitent du chaos.

Depuis 2003, on assiste à une compétition entre deux puissances ambitieuses, l’une, une grande puissance, les États-Unis, et l’autre, une puissance mineure, l’Iran, avec deux agendas différents quant aux objectifs à atteindre au Moyen-Orient.

Les États-Unis voulaient répandre la démocratie et la liberté. Ils voulaient répandre un type de politique et de gouvernance au Moyen-Orient qui fasse passer le Moyen-Orient du stade où il se trouvait à un stade plus occidental, plus ouvert, moins chaotique, moins violent à l’égard des populations qui y vivent, etc. L’Iran veut rendre le Moyen-Orient plus conforme à sa politique, à son idéologie.

L’Iran a eu beaucoup plus de succès. Depuis l’administration Obama, les États-Unis ont abandonné la plupart de leurs efforts pour changer le Moyen-Orient, ils se sont contentés de gérer le chaos, alors que l’Iran a avancé en ligne directe, s’efforçant d’obtenir ce qu’il voulait dans la région.

Dans mon livre, je décris l’affrontement de ces deux agendas. Avec le temps, l’Iran a surpassé les États-Unis et ses alliés dans la plupart des conflits. Nous sommes à un moment où rien ne s’oppose à la croissance de l’influence de l’Iran et à la mise en œuvre de son agenda. 

Téhéran continue à utiliser la force et la violence pour accroître son rôle, tandis que les pays voisins ne souhaitent plus s’y opposer. Le seul État qui tente d’empêcher l’Iran d’atteindre ses objectifs est Israël, parce que un des objectifs centraux de l’agenda de l’Iran est d’affaiblir Israël et de mettre fin au projet d’État juif par la violence. 

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07.05.2024 à 10:02

Israël : anatomie d’une tragédie : une conversation avec le Prix Pulitzer Nathan Thrall

Matheo Malik

L'armée israélienne a annoncé avoir pris le contrôle du point de passage de Rafah. Depuis le 7 octobre, la spirale du conflit s'intensifie, semblant rendre la situation de plus en plus inextricable. Alors que le journaliste et auteur Nathan Thrall vient de recevoir le Prix Pulitzer pour son livre Une journée dans la vie d'Abed Salama, nous republions aujourd'hui l'entretien exclusif qu'il nous avait accordé.

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Texte intégral (5206 mots)

Vous êtes un auteur prolifique qui a couvert le conflit israélo-palestinien. Dans votre dernier livre, Une journée dans la vie d’Abed Salama, à travers le parcours personnel d’un père, vous racontez l’histoire de l’occupation et de « l’apartheid », que vous avez largement documentés dans vos précédents ouvrages. Dans votre livre précédent, The only language they understand, vous décriviez comment la seule chose qui ait jamais poussé Israéliens et Palestiniens vers un compromis a été l’utilisation de la force, parfois extrême. Cela signifie-t-il que ce qui s’est passé le 7 octobre était d’une certaine manière inévitable, et que seule une éruption de la violence pouvait faire évoluer la situation ? Était-ce une fatalité ?

D’une manière générale, l’escalade de la violence était absolument inévitable. Il n’y avait aucun moyen pour Israël de maintenir ce contrôle indéfiniment sans provoquer une réponse violente, même lorsque cette violence produit des résultats relativement modestes.

Mais personne n’avait prévu cette attaque particulière ni son ampleur. Il y a plusieurs années, une marche du retour a eu lieu à Gaza, au cours de laquelle des milliers de personnes sont venues manifester. Des centaines de personnes ont été tuées par des tireurs d’élite israéliens. À l’époque, on en avait beaucoup parlé en Israël : que ferait l’armée si ces milliers de personnes devenaient des dizaines ou des centaines de milliers ? Que se passerait-il s’ils franchissaient la barrière et commençaient à entrer en Israël ? Cette image était présente dans l’esprit de certains Israéliens, mais ce type d’attaque sophistiquée n’avait pas été prédit par les analystes et les commentateurs. Il s’agissait pourtant d’un objectif du Hamas connu des dirigeants militaires et politiques depuis le printemps 2014, lorsque Benyamin Netanyahou et le chef d’état-major de l’époque, Benny Gantz, ont été prévenus d’un projet d’attaque de ce type à partir de Gaza. La réaction israélienne et son inadéquation montrent clairement qu’Israël n’était pas préparé à cette éventualité et que ses dirigeants ne l’avaient même pas envisagée comme un scénario plausible.

L’attaque aurait été bien moins dévastatrice pour Israël s’il avait simplement déployé davantage de troupes à la frontière. Les Israéliens pensaient vraiment avoir trouvé une solution technologique au siège de Gaza. Ils se sont trompés. 

En revanche, la réponse d’Israël et l’utilisation d’une force écrasante semblent avoir été pleinement prévisibles. La formation du cabinet de guerre peu après le 7 octobre, réunissant toutes les forces politiques autour de la table, a semblé créer un soutien politique et social pour répondre à la force par une force extrême. La stratégie de sécurité israélienne est-elle remise en question aujourd’hui ?

En effet, au tout début, il n’y avait aucun doute qu’Israël répondrait avec une force écrasante et à une échelle que nous n’avions jamais vue auparavant à Gaza. Mais le cabinet de guerre a plutôt été formé pour empêcher une escalade au-delà de Gaza et éviter une attaque israélienne simultanée sur le Liban, que Yoav Galliant, le ministre de la Défense, appelait de ses vœux.

Les Israéliens pensaient vraiment avoir trouvé une solution technologique au siège de Gaza. Ils se sont trompés. 

Nathan Thrall

C’est la raison pour laquelle Benny Gantz et Gadi Eisenkot ont rejoint le cabinet de guerre, afin d’empêcher une attaque que le ministre de la défense et d’autres préconisaient. Maintenant, si l’on considère Gaza, au cours des premières semaines de la guerre, il n’y a eu pratiquement aucune dissidence au sein des cercles politiques israéliens, pas même une remise en question de ce qui, pour tous les observateurs extérieurs, était manifestement des objectifs inatteignables.

Par contre, du Premier ministre au chef d’état-major de l’armée, Israël a répété à l’envi que la guerre ne s’arrêterait pas tant que le Hamas n’aurait pas été éliminé. Il n’a pas reculé. Ils n’ont pas réduit leurs objectifs. Ils n’ont pas commencé à adapter les objectifs à la réalité, en disant par exemple qu’ils allaient sérieusement dégrader les capacités du Hamas pour s’assurer qu’il serait neutralisé pendant de nombreuses années. C’est le langage qu’Israël utilisait à la fin des précédents conflits qui l’ont opposé au Hamas.

Voyez-vous un débat émerger autour de cette question ?

Aujourd’hui encore, ils ne cessent de répéter que l’objectif est l’élimination du Hamas. Mais ce qui s’est passé ces dernières semaines, c’est que nous avons commencé à voir des personnes s’interroger sur la possibilité d’atteindre ces objectifs. Aujourd’hui, de nombreux journalistes israéliens affirment explicitement qu’il est inutile de poursuivre cette guerre et qu’il est impossible d’éliminer le Hamas. Tous les négociateurs d’otages vous diront ce que Gadi Eisenkot a récemment déclaré : il n’y a aucun moyen de récupérer les otages israéliens sans un échange majeur de prisonniers, ce qui serait une humiliation pour Israël. Pour la première fois, les gens remettent en question ce que le Premier ministre a toujours dit, à savoir que l’un des objectifs de la guerre est d’exercer une pression militaire sur le Hamas, de le forcer à libérer des otages. Aujourd’hui, on voit des personnes dire explicitement que c’est un mensonge, que ces deux objectifs sont incompatibles l’un avec l’autre. En fait, le premier échange de prisonniers qui a eu lieu n’était pas le résultat d’une pression militaire, c’était juste un échange de prisonniers. Et le prochain, s’il a lieu, sera lui aussi juste un échange de prisonniers. L’objectif du Hamas était de prendre des otages israéliens afin de libérer des prisonniers palestiniens des prisons israéliennes. Soit ils atteindront leur objectif, ce qui constituerait l’une des plus grandes victoires de l’histoire de la politique et des opérations militaires palestiniennes, soit les otages mourront à Gaza.

Ce qui s’est passé ces dernières semaines, c’est que nous avons commencé à voir des gens s’interroger sur la possibilité d’atteindre ces objectifs.

Nathan Thrall

Rien ne prouve que la campagne militaire aboutira à la libération des otages. En fait, nous savons que de nombreux otages sont morts à la suite de la campagne militaire. Certains d’entre eux ont même été accidentellement abattus par des soldats israéliens qui leur ont tiré dessus alors qu’ils agitaient des drapeaux blancs et criaient en hébreu, parce que l’armée pensait qu’il s’agissait de Palestiniens.

Certains hommes politiques israéliens, et des membres du gouvernement considèrent que c’est l’occasion de réoccuper définitivement Gaza et d’y implanter de nouvelles colonies une fois l’opération militaire terminée.

Les Israéliens sont divisés sur la question des colonies en Cisjordanie et à Gaza, et la question de savoir si ce mouvement va prendre de l’ampleur est liée à la durée de l’occupation de Gaza par Israël. Il ne s’agit pas seulement de la zone tampon, qui est à mon avis une question distincte, mais de la durée pendant laquelle Israël occupera réellement l’ensemble de la bande de Gaza. Cela dépendra à son tour du succès des négociations sur les différentes propositions de cessez-le-feu et sur certaines propositions plus ambitieuses visant à instaurer une sorte de gouvernement palestinien à Gaza, autre que le gouvernement israélien.

Si la guerre se déroule de telle manière qu’Israël occupe toujours Gaza dans un an, et que cette coalition gouvernementale est toujours au pouvoir, — c’est-à-dire cette coalition de droite favorable à la colonisation —, il y aura une pression énorme pour que la colonisation recommence à Gaza, comme illustré par le rassemblement en faveur de la colonisation de Gaza qui s’est tenu ce week-end, auquel ont participé des milliers de personnes et un tiers du cabinet. Mais, je pense que Netanyahou ne souhaite pas cela. Il sait que ce serait désastreux du point de vue des relations publiques et que cela nuirait aux relations avec les États-Unis. Mais si Trump est président, si cette coalition est toujours au pouvoir et si Israël occupe toujours Gaza, il sera très difficile de mettre fin à l’occupation. 

La plupart des Israéliens, du centre ou du centre-gauche, qui ont participé en grand nombre aux manifestations contre la coalition actuelle et qui espèrent faire tomber ce gouvernement ne veulent pas que Gaza soit à nouveau occupée, mais ils ne seront pas en mesure de s’y opposer.

Israël et d’autres parties, y compris l’Arabie Saoudite et, au début, les États-Unis, ont paru déployer des efforts diplomatiques assez intenses pour conclure un accord avec l’Égypte en vue de l’ouverture du point de passage de Rafah, ce qui aurait pour effet de vider Gaza et d’ouvrir le terrain pour l’opération militaire avant, à terme, une occupation à long terme. Cette option est-elle désormais exclue ? 

Au tout début de la guerre, cette option circulait du côté d’Israël, mais ses dirigeants ont dû constater qu’elle avait peu de chances d’aboutir lorsque les États-Unis ont essayé de convaincre les pays de la région et qu’ils se sont heurtés à des fins de non-recevoir très fermes. Je ne vois pas l’Égypte changer de position. Si un grand nombre de Gazaouis se rendent en Égypte, ce sera contre la volonté des autorités égyptiennes. Cela se produirait dans le cadre d’un bombardement israélien du point de passage de Rafah, comme cela s’est produit à plusieurs reprises au début de la guerre, forçant ainsi les civils à franchir la frontière pour ensuite les empêcher de revenir.

Si Trump est président, si cette coalition est toujours au pouvoir et si Israël occupe toujours Gaza, il sera très difficile de mettre fin à cette occupation. 

Nathan Thrall

Dans ce scénario, Israël mettrait en péril son traité de paix avec l’Égypte d’autant que la pression exercée sur Israël pour qu’il admette le retour de ces réfugiés à Gaza serait énorme. Cyniquement, nous pourrions dire qu’Israël vit depuis des décennies avec des gens qui exigent le retour de réfugiés. Il pourrait donc continuer — il n’y aurait rien de nouveau. Mais il s’agit d’un risque énorme pour Israël. C’est pourquoi la nature du débat sur le dépeuplement de Gaza est désormais différente : il s’agit de transferts volontaires, d’encourager d’autres pays à accueillir quelques milliers de personnes par-ci, quelques milliers par-là, de trouver des personnes pour financer la relocalisation des réfugiés de Gaza, de leur donner des incitations financières pour qu’ils quittent la bande de Gaza. Mais je ne pense pas que quelqu’un qui examine la situation froidement et rationnellement et constate le peu de volonté réelle d’autres pays de participer à un programme de ce genre puisse croire que celui-ci entraînerait réellement le départ d’un très grand nombre de Gazaouis.

Les objectifs déclarés sont-ils réalisables sans une campagne militaire beaucoup plus meurtrière et beaucoup plus longue ? Le Hamas peut-il être irrémédiablement affaibli sans envahir tout le sud de Gaza et sans détruire les tunnels qui existent sous le point de passage de Rafah ?

Israël mène déjà son opération dans le Sud de la bande de Gaza. Il n’y qu’à Rafah que les troupes israéliennes ne sont pas encore entrées avec des forces terrestres. Celles-ci ont maintenant terminé leurs opérations militaires dans le nord, affirmant avoir atteint leurs objectifs, bien qu’à ce jour, des roquettes continuent d’être tirées depuis le Nord et que, chaque semaine, nous apprenons que des soldats israéliens sont tués. Il est désormais tout à fait possible qu’Israël mène une opération à Rafah, maintenant que tout le reste de la bande de Gaza est couverte, d’autant que cette zone a été déclarée essentielle à la réalisation des objectifs de la guerre. 

Mais ce sera une opération beaucoup plus difficile à mener parce qu’il y a maintenant plus d’un million de personnes dans cette zone : toute la population de Gaza a reçu l’ordre de se déplacer vers le Sud et la plupart d’entre eux ont été forcés d’obtempérer. Pour moi, quelle que soit l’ampleur de l’opération à Rafah, quelle que soit la profondeur à laquelle Israël pénètre dans Gaza, il n’y a en fin de compte aucun moyen d’éliminer le Hamas. Israël peut sérieusement dégrader ses capacités, mais à moins de vouloir garder Gaza pour toujours, il faudra la quitter à un moment ou à un autre. Et à ce moment-là, le Hamas sera prêt. 

Est-il réaliste de penser que l’Autorité palestinienne pourrait gouverner Gaza ?

Quand Israël se retirera de Gaza, le Hamas sera la force dominante sur place, indépendamment de l’affaiblissement de ses capacités militaires par Tsahal. On le voit déjà, après la déclaration de victoire d’Israël au Nord et la fin de ses opérations, le Hamas a recommencé à s’occuper de la population, comme à Jabaliya, sous une forme ou une autre.

L’idée que l’Autorité palestinienne, depuis la Cisjordanie, puisse prendre le contrôle de Gaza, comme le souhaitent Israël et les États-Unis, est purement illusoire. Cela ne se produira que si le Hamas y consent. Les seuls scénarios envisageables pour l’avenir de Gaza sont soit une occupation continue par Israël, soit le Hamas au pouvoir de facto, directement ou derrière une façade : un gouvernement technocratique, ou l’Autorité palestinienne, ou toute autre forme acceptée par le Hamas.

Quand Israël se retirera de Gaza, le Hamas sera la force dominante sur place. 

Nathan Thrall

Ces options sont les seules envisageables, et personne ne croit sérieusement qu’une force multinationale arabe ou que l’Autorité palestinienne puissent s’implanter, sauf comme façade du Hamas. L’unique alternative serait la création d’un État palestinien où toutes les milices de Gaza, pas seulement le Hamas, mais aussi le Jihad islamique et d’autres groupes, pourraient être intégrés dans les forces de sécurité d’un tel État, après qu’elles ont été soumises à un processus de contrôle. Sans cela, le Hamas continuera de se reconstruire et d’attaquer Israël, qui sera donc confronté à une situation où il contrôlera la bande de Gaza avec le Hamas comme force principale sur le terrain.

La situation que vous décrivez, fait-elle partie des discussions sur les plans d’après-guerre pour Gaza ?

Malheureusement, les discussions sur l’après-guerre à Gaza reposent sur des hypothèses très irréalistes. C’est comme si le monde entier ignorait que le Hamas est désormais le leader du mouvement national palestinien. Nous pouvons parler toute la journée d’un nouveau Premier ministre de l’Autorité palestinienne sous l’autorité d’Abou Mazen, ou du remplacement d’Abou Mazen par un membre de son cercle intime qui pense exactement comme lui, mais en fin de compte, c’est le Hamas qui décidera de ce qui se passera à Gaza. 

Il faut que les États-Unis, ainsi que ceux qui suggèrent la reprise de Gaza par une Autorité palestinienne renouvelée, affrontent la réalité. Aucun de ces plans ne se concrétisera sans l’accord du Hamas. Pour moi, toute discussion sur l’avenir de Gaza basée sur la disparition du Hamas relève du fantasme. Sans cette prise de conscience, il est impossible de proposer une solution réaliste au conflit.

Assistons-nous à une prise de conscience progressive en Israël ?

Cette prise de conscience commence en Israël, mais avec réticence. Les chroniqueurs des grands journaux commencent à l’exprimer de plus en plus ouvertement.

Le problème est que, presque tout le spectre politique israélien étant convaincu que le Hamas peut et sera totalement éradiqué, il est difficile de trouver en Israël une force politique qui prône une stratégie différente.

Selon moi, il est temps que des personnalités comme Gantz et Eisenkot expriment cette réalité plus franchement. Récemment, ce dernier a fait une déclaration très médiatisée sur la nécessité d’un échange de prisonniers, affirmant que c’était la priorité absolue et que sans un grand accord, les prisonniers ne seraient pas libérés. Il a également déclaré que « ceux qui parlent d’une défaite absolue et d’un manque de volonté et de capacité ne disent pas la vérité. Voilà pourquoi il ne faut pas raconter des histoires à dormir debout ». Cela représente un pas vers la reconnaissance du Hamas comme une force incontournable sur le terrain.

L’objectif du cabinet de guerre d’éviter une attaque simultanée sur le Liban a-t-il changé ? Lors d’une conférence de presse fin décembre, Benny Gantz a semblé plus ouvert à l’idée d’une confrontation militaire au Liban.

L’objectif immédiat d’Eisenkot et de Gantz en rejoignant la coalition et en formant ce cabinet de guerre était effectivement d’éviter une guerre simultanée. Il a toujours été prioritaire d’éviter ce qu’Israël appelle une guerre sur deux fronts. C’est un petit pays et il est très désavantageux pour lui de combattre simultanément. C’était l’objectif principal. La question d’une attaque préventive contre le Hezbollah au Liban n’a pas été exclue, elle a simplement été reportée. 

Toute discussion sur l’avenir de Gaza basée sur la disparition du Hamas relève du fantasme.

Nathan Thrall

L’ensemble des dirigeants israéliens, du chef d’état-major de l’armée au Premier ministre en passant par les autres membres du cabinet de guerre, ont fait une déclaration intéressante sur le retour des habitants du Nord — environ 80 000 personnes —, qui sont désormais déplacés à l’intérieur du pays. Israël ne cesse de donner des dates différentes pour leur retour. La dernière était fin février, mais le gouvernement israélien affirme que les habitants du Nord ne rentreront pas tant que les forces du Hezbollah ne se seront pas déplacées au nord du fleuve Litani. Cela se situe à plus d’une douzaine de kilomètres de la frontière israélienne.

En principe, les combattants du Hezbollah sont tenus par une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU de se tenir au Nord du fleuve Litani, mais cette résolution n’a jamais été pleinement appliquée, n’est-ce pas ?

C’est exact. Aujourd’hui, la ligne d’Israël est la suivante : le Hezbollah se déplacera au Nord du Litani, soit par un accord diplomatique, soit par la force : d’une manière ou d’une autre, c’est la condition du retour des habitants du Nord d’Israël. Il s’agit là de déclarations très fortes. Il leur sera difficile de revenir dessus après avoir dit à ces plus de 80 000 personnes qu’ils vivraient dans ces conditions à leur retour. 

On pourrait penser qu’il s’agit simplement d’un acte de bluff et d’une stratégie utilisée par Israël pour faire pression dans les négociations diplomatiques afin de s’assurer que le Hezbollah accepte un accord, qui consisterait plus ou moins à ce qu’il déplace ses forces vers le nord et qu’Israël abandonne les fermes de Shebaa et réaligne marginalement la frontière avec le Liban.

Mais Israël ne cesse de répéter cette position : ils n’ont jamais dévié. Il lui serait politiquement difficile de revenir sur cette déclaration. Ceci dit, il n’est pas impossible qu’un accord diplomatique pousse le Hezbollah à bouger. Ce ne serait sans doute pas aussi loin qu’Israël le désire, mais il y aurait un mouvement. Si cela ne se produit pas, il sera très difficile pour Israël de ne pas entrer en guerre.

L’autre élément est que les États-Unis ont dit à Israël dès le début que leur première exigence était de ne pas déclencher une guerre avec le Liban, avec le Hezbollah et avec l’Iran, en l’échange de quoi les États-Unis ont assuré à Israël qu’ils protégeraient son territoire en cas d’attaque. C’était le but de l’envoi des deux porte-avions en Méditerranée, spécifiquement pour dissuader le Hezbollah et l’Iran. Mais les États-Unis ont insisté sur le fait qu’ils ne voulaient pas être entraînés dans une guerre régionale. 

Si le Hezbollah ne se retire pas, il sera très difficile pour Israël de ne pas entrer en guerre.

Nathan Thrall

Si Israël veut une guerre avec le Hezbollah, il devra faire croire que c’est le Hezbollah qui l’a déclenchée. Ce qui ne devrait pas être très difficile à faire, étant donné que les deux parties échangent des tirs toutes les heures à la frontière nord. Il est très facile que cela dégénère en une véritable guerre. 

Comment l’ordonnance préliminaire de la Cour internationale de justice sur l’affaire portée par l’Afrique du Sud est-elle couverte en Israël ? Cela change-t-il la nature du débat politique ? 

L’ordonnance de la CIJ est vraiment couverte en Israël, et elle a un rôle important dans le débat public. La réaction israélienne naturelle a été exprimée par le ministre de la défense qui a publié une déclaration furieuse condamnant la Cour après que les ordonnances préliminaires ont été émises vendredi : « L’État d’Israël n’a pas besoin de recevoir des leçons de morale… La Cour internationale de justice de La Haye a dépassé les bornes lorsqu’elle a accédé à la demande antisémite de l’Afrique du Sud de discuter de l’allégation de génocide à Gaza… Ceux qui recherchent la justice ne la trouveront pas sur les fauteuils en cuir des salles d’audience de La Haye ». Le Premier ministre a été beaucoup plus prudent, essayant à la fois de condamner le tribunal mais aussi de le tourner positivement en soulignant qu’il n’avait pas appelé à un cessez-le-feu et qu’il approuvait donc le droit d’Israël à continuer à se défendre et à poursuivre la guerre telle qu’Israël l’avait menée.

Dans le même temps, la presse de gauche condamne le Premier ministre pour avoir créé une situation dans laquelle Israël se trouve en dans une situation plausible de violation de la convention sur le génocide. En fait, la presse israélienne interprète la situation de toutes les façons possibles. 

L’ordonnance de la CIJ est vraiment couverte en Israël, où elle a un rôle important dans le débat public.

Nathan Thrall

Pour moi, concrètement, l’effet le plus important de cette ordonnance est ailleurs : les pays tiers seront désormais beaucoup plus prudents quant à leur propre complicité dans ce que la CIJ a considéré comme un cas plausible de génocide. Je suis sûr que les principaux avocats des ministères de la défense des proches alliés d’Israël, y compris les États-Unis, travaillent sur la manière de s’assurer qu’ils ne sont pas jugés complices — ce serait un cas très difficile à défendre parce qu’ils sont clairement complices de ce que fait Israël — mais je pense que l’effet de l’arrêt est vraiment d’alerter ces tierces parties.

En Israël, l’effet est plus limité. Ce dimanche, par exemple, des civils israéliens ont manifesté devant le point de passage de Kerem Shalom vers Gaza pour demander l’arrêt des camions d’aide, affirmant que tant que les otages n’étaient pas libérés, aucune aide ne devait être acheminée vers Gaza. La police a essayé d’arrêter ces manifestants avec beaucoup plus de force pour permettre aux camions d’entrer. L’arrêt de la CIJ, l’ordonnance préliminaire autorisant l’entrée de l’aide humanitaire, a été invoqué pour justifier l’entrée de cette aide. Je pense qu’Israël sera plus prudent dans sa conduite au cours du prochain mois au moins, ce dont il devra maintenant rendre compte à la CIJ.

Depuis le début de cette guerre, deux choses sont frappantes. Tout d’abord, le gouvernement américain semble avoir perdu son influence sur Israël, et le gouvernement israélien a gagné beaucoup plus d’indépendance par rapport aux autorités américaines. Êtes-vous d’accord ?

Je ne pense pas que la guerre ait démontré un quelconque affaiblissement de l’influence des États-Unis sur Israël. Elle montre plutôt que l’administration Biden a décidé de donner à Israël tout ce qu’il voulait, de lui donner carte blanche et de se plier en quatre pour le soutenir, même au prix d’un lourd coût politique.

Vous ne seriez pas d’accord pour dire que Blinken a essayé à plusieurs reprises d’influencer le cours de la guerre, sans succès ?

Je ne diras pas que Blinken a essayé et échoué parce qu’il n’a jamais utilisé les outils dont il dispose. La guerre a montré de manière explicite à quel point Israël est incroyablement dépendant des États-Unis, qu’il a eu besoin de livraisons d’armes d’urgence pour mener cette guerre. Les États-Unis les ont fournies sans condition.

Que pensez-vous du rôle croissant de l’Arabie saoudite dans la diplomatie arabe ? Que pouvons-nous en attendre ?

Le rôle principal de l’Arabie saoudite dans cette équation est de savoir si elle accepterait de normaliser les relations avec Israël en échange de quelque chose. Avant le 7 octobre, le quelque chose dont tout le monde discutait — autrement dit, la principale chose que l’Arabie saoudite voulait —, c’était des programmes nucléaires civils soutenus par les États-Unis, en plus d’un traité de défense. Bref, elle voulait des concessions de la part des Washinton. En outre, avant le 7 octobre, il était question d’accorder quelques miettes à l’Autorité palestinienne en Cisjordanie. De l’avis de la plupart des observateurs, les États-Unis étaient plus intéressés que les Saoudiens à exiger des concessions pour l’Autorité palestinienne.

L’effet le plus important de l’ordonnance de la CIJ est ailleurs : les pays tiers seront désormais beaucoup plus prudents quant à leur propre complicité dans ce que la cour a considéré comme un cas plausible de génocide.

Nathan Thrall

Aujourd’hui, la presse rapporte que l’Arabie saoudite exige la création d’un État palestinien, et pas seulement une voie vers un État palestinien. Nous devons attendre et voir si c’est vraiment le cas. Il y a tellement d’obstacles à la normalisation israélo-saoudienne, y compris celui d’amener le Congrès américain à accepter toutes les demandes de Riyad. Le pays n’est pas populaire aux États-Unis, en particulier au sein du parti démocrate, et le temps dont dispose le Congrès pour accepter de manière plausible toute demande est limité en raison du cycle électoral américain. Bientôt, non seulement les démocrates mais aussi les républicains s’opposeront à un grand accord avec l’Arabie saoudite : les démocrates parce qu’ils ne considèrent pas qu’il est dans l’intérêt des États-Unis de forger des liens étroits avec l’un des États les plus répressifs du monde, et les républicains parce qu’ils ne voudront pas donner à Biden une victoire en matière de politique étrangère avant l’élection de novembre. 

Quoi qu’il en soit, ces conversations sur des concessions à accorder à l’Autorité palestinienne ne sont pas pertinentes tant qu’elles ne prennent pas en compte l’acteur politique palestinien le plus puissant aujourd’hui, le Hamas.

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07.05.2024 à 09:09

Le plan secret de l’administration Biden pour soutenir l’Ukraine

Ramona Bloj

Du 13 au 15 juin, les chefs d’État et de gouvernement des membres du G7 se réuniront à Borgo Egnazia, dans la région italienne des Pouilles, pour un important sommet au cours duquel une décision concernant les actifs russes gelés pourrait être prise. Le plan de Biden, élaboré par son conseiller Daleep Singh, pourrait débloquer un prêt de plus de 50 milliards de dollars pour Kiev dès 2025.

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Texte intégral (886 mots)

La question de l’utilisation des actifs d’État russes gelés à l’étranger pour contribuer au financement de la reconstruction de l’Ukraine est en discussion depuis le printemps 2022. Après plus de deux ans de guerre, l’attention immédiate ne porte plus tant sur la reconstruction du pays que sur l’octroi de moyens financiers visant à permettre à l’Ukraine de se défendre contre l’armée russe.

Initialement réticents, les principaux soutiens de l’Ukraine (Union européenne, États-Unis, Royaume-Uni, Japon) semblent désormais favorables à l’utilisation de ces fonds pour soutenir financièrement Kiev. La question reste de savoir comment.

  • Dans l’Union, où plus des deux tiers de ces actifs sont détenus, la Commission penche pour la saisie des profits exceptionnels générés par ces avoirs chez Euroclear — qui détient 95,5 % des actifs russes présents en Europe, soit 191 milliards d’euros. 
  • Cette solution, proposée dès l’automne 2023 et formalisée le 28 février de cette année, pourrait apporter à l’Ukraine jusqu’à 5 milliards d’euros par an. Bien que significative, cette manne financière reste faible par rapport aux besoins.
  • Un autre montage imaginé par Washington, plus ambitieux, consiste quant à lui à utiliser les actifs russes comme collatéral pour contracter un prêt de 50 milliards de dollars pour l’Ukraine1.

Cette idée a été imaginée par le journaliste britannique Hugo Dixon, le juriste Lee Buchheit et l’actuel conseiller adjoint à la sécurité nationale des États-Unis pour l’économie internationale, Daleep Singh2. Ce dernier, considéré comme le principal architecte des sanctions américaines mises en place contre la Russie, marquait au même moment son retour à la Maison-Blanche après avoir quitté son poste au printemps 2022.

  • L’administration démocrate a commencé à discuter de cette initiative il y a quelques semaines avec les autres membres du G7, en amont d’une décision qui devrait être prise lors du sommet qui se tiendra du 13 au 15 juin3.
  • Concrètement, le G7 se porterait garant de l’obligation ou du prêt et se servirait des revenus générés par les intérêts des actifs immobilisés pour rembourser la dette. 
  • Cette forme de compromis présente l’avantage de pouvoir fournir à l’Ukraine une somme importante de liquidités dès 2025 tout en se protégeant vis-à-vis des potentiels problèmes juridiques qui pourraient découler d’une saisie pure et simple des actifs. 

Lorsque Washington a présenté l’idée aux membres du G7 pour la première fois en mars, Paris et Berlin auraient initialement exprimé une certaine réticence. Le secrétaire d’État aux Affaires étrangères britannique, David Cameron, a quant à lui apporté son soutien au plan le mois dernier4.

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06.05.2024 à 17:58

Xi Jinping en France, en Hongrie et en Serbie : 10 clefs pour expliquer un voyage étonnant

Matheo Malik

Pour son premier voyage en Europe à l’ère post-pandémique, Xi a choisi la France — mais aussi la Hongrie et la Serbie.

Pour éclairer cet itinéraire, Philippe Le Corre, Senior Fellow à l’Asia Society Policy Institute (Center for China Analysis) et professeur affilié à l’ESSEC, revient en 10 points sur la longue durée des relations de la Chine de Xi avec l’Europe et décode les sujets qui ponctueront cette visite.

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Texte intégral (8118 mots)

Le Grand Continent paraît tous les jours en ligne et une fois par an en papier. Notre nouveau numéro, Portrait d’un monde cassé. L’Europe dans l’année des grandes élections, dirigé par Giuliano da Empoli, vient de paraître. Notre travail est possible grâce à votre soutien. Pour vous procurer le volume, c’est par ici — et par là pour accompagner notre développement en vous abonnant au Grand Continent.

1 — La Chine de Xi et l’Union : une relation à réparer

Pour comprendre le grand contexte de la relation entre la Chine et l’Union, il faut remonter à la période pré-pandémique. Si le régime s’est beaucoup recentré sur lui-même à partir du début 2020 et de la pandémie de Covid, l’année 2019 avait été particulièrement significative du point de vue de la relation avec l’Europe. Xi Jinping s’était d’abord rendu en France, où il avait rencontré ensemble le président Macron, la chancelière Merkel et le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker — ce qui était en soi une nouveauté importante. Mais il s’était aussi rendu en Italie pour y signer un Memorandum of Understanding (MOU) avec le gouvernement italien de l’époque sur les Nouvelles routes de la soie qu’il y a quelques mois, le gouvernement Meloni a officiellement — et discrètement — décidé de ne pas renouveler.

L’année 2019 est à ce titre doublement déterminante : c’est à ce moment-là que l’Europe décide d’établir une politique à destination de la Chine et d’élaborer un début de stratégie1 qui qualifie la relation avec Pékin à travers le triptyque partenaire, concurrent économique, rival systémique. Pour l’Union, cette ligne sera structurante pendant les années de la pandémie et malgré le rapprochement de Pékin avec l’Italie, on peut lire cette séquence a posteriori comme un moment d’unité européenne. Côté chinois, à l’inverse, la visite commune à Macron et Merkel — la seule, à ce jour, réunissant Xi et les dirigeants des deux plus grandes économies de l’Union — ne produisit pas les effets escomptés.

Tout change à partir de 2020. La Chine, qui avait cru pouvoir initialement minimiser l’importance de la pandémie, ferme ses frontières pendant presque trois ans — coupant les ponts non-numériques avec la plupart des dirigeants et des pays du monde. Cette stratégie aura un effet très négatif sur l’image de la Chine, notamment en Europe. D’autant qu’elle s’accompagne d’une campagne de propagande et de désinformation qui se révèlera finalement contre-productive. Du point de vue chinois, les cinq années qui viennent de s’écouler ont été très importantes précisément en raison de cette longue coupure et parce que l’agenda a, immédiatement après, été recentré sur la guerre en Ukraine avec la visite de Poutine en février 2022 et le soutien tacite de la Chine à l’invasion russe.

À partir de 2020, la Chine, qui avait cru pouvoir initialement minimiser l’importance de la pandémie, ferme ses frontières pendant presque trois ans — coupant les ponts non-numériques avec la plupart des dirigeants et des pays du monde.

Philippe Le Corre

2 — Le pivot 2020 : la fin de la lune de miel

Du point de vue de la relation avec l’Union, tout se passe comme si ces cinq années avaient compté double ou triple côté chinois : on passe d’une lune de miel entre l’Occident — notamment les entreprises européennes et occidentales en général, mais aussi un certain nombre de gouvernements occidentaux qui finalement trouvaient leur compte dans cette relation — et la Chine à une situation beaucoup plus fragile.

Il faut se souvenir qu’alors, beaucoup de pays d’Europe de l’Est, de Scandinavie, l’Italie ou la Grèce — qui abrite un énorme investissement chinois dans le port du Pirée — sont directement dans le viseur de Pékin sur le plan économique. Même l’Allemagne passionne les investisseurs chinois qui acquièrent en 2016 l’un des champions de la robotique, Kuka. Et les dirigeants européens s’en rendent compte. L’année 2019 et plus encore 2020 sera à cet égard l’aboutissement d’un processus de plusieurs années où sont mis en place des outils de défense de l’Europe contre les interférences, les ingérences et les investissements chinois dans des secteurs sensibles comme la technologie et les infrastructures.

Pourtant, la Chine a pendant assez longtemps cru à la stratégie de la « lune de miel » avec l’Europe. Dès 2004, elle voyait dans le grand élargissement du marché commun européen quelque chose de positif, sans doute parce qu’existait déjà le sentiment que cette multipolarité lui permettrait d’avoir un nouvel interlocuteur de poids dans le monde occidental : l’Union européenne élargie.

La Chine a pendant assez longtemps cru à la stratégie de la « lune de miel » avec l’Europe.

Philippe Le Corre

En 2015, lors de sa visite au Royaume-Uni, Xi Jinping — qui n’est pas quelqu’un qui s’exprime très souvent sur la situation intérieure des pays — avait explicitement dit qu’il préférait un Royaume-Uni fort dans une Europe forte. Cela en dit long sur l’intérêt de la Chine pour l’Europe et le fait que cette Union à 28, puis à 27, compte en termes de contrepoids aux États-Unis — et comme marché pour les produits chinois.

Lorsque les « Nouvelles routes de la soie » sont lancées en 2013, leur but est très clairement d’utiliser les surcapacités chinoises dans des matières comme l’aluminium ou l’acier pour construire des infrastructures et viser principalement comme destination finale l’Europe au sens large — le Portugal, l’Allemagne, le Royaume-Uni, la Grèce… Selon une formule efficace, l’objectif stratégique mis en avant pendant la visite de Xi à Paris serait de renverser ce rapport pour que la Chine « traite l’Europe en partenaire et pas en cliente ».

Face à cette « sortie de la naïveté » européenne par la mise en place sous la Commission von der Leyen, et en particulier de la DG TRADE, d’une série de mécanismes de défense, la Chine affiche une incompréhension — feinte ou non.

La tournée européenne de Xi, qui a commencé lundi 6 mai dans la matinée, met à n’en pas douter le doigt sur ces nombreuses ambiguïtés et tente de mettre fin au « dialogue de sourds » — pour reprendre l’expression qu’avait employée Josep Borrell après le Sommet Chine-Union européenne de 2022.

Dans ce contexte, la question de la relation franco-chinoise est un sujet à part.

Selon une formule efficace, l’objectif stratégique mis en avant pendant la visite de Xi à Paris serait de renverser ce rapport pour que la Chine « traite l’Europe en partenaire et pas en cliente ».

Philippe Le Corre

3 — Pourquoi pas Berlin ?

Compte tenu de l’importance de la relation entre la Chine et l’Allemagne, il convient, avant de se demander pourquoi Xi a choisi Paris, de comprendre pourquoi il n’a pas choisi Berlin pour sa première visite post-pandémique en Europe.

Lorsqu’il était chancelier fédéral, Gerhard Schröder se rendait tous les ans en Chine. Angela Merkel, chancelière pendant seize ans, y est allée 13 fois, pratiquement chaque année. L’Allemagne a une relation économique et industrielle extrêmement forte avec la Chine, qui remonte à la fin des années 1970. Au moment de l’ouverture économique de la Chine, l’Allemagne y a beaucoup investi et a vendu de nombreuses machines-outils, véhicules, usines, centrales électriques… Les entreprises chinoises apprécient depuis longtemps la compétence scientifique et technologique de l’Allemagne.

Le président chinois Xi Jinping assiste à l’échange de cadeaux entre nations au palais de l’Élysée à Paris, lundi 6 mai 2024. © Ludovic Marin, Pool via AP

Mais un épisode a pu contribuer à braquer Pékin. Fin 2020, alors qu’elle occupe pour la dernière fois la présidence tournante de l’Union, Angela Merkel tente de faire passer le Comprehensive Agreement on Investments (CAI) entre la Chine et l’Union, qui sera finalement bloqué par le Parlement européen à la suite d’une série de sanctions croisées. Face à ce camouflet, la Chine commence à se dire qu’il se passe quelque chose : d’un côté, l’Union se dit prête à faire des investissements, de l’autre, la situation des droits de l’Homme et la question des valeurs revenaient comme un blocage.

C’est en novembre 2022 qu’Olaf Scholz se rend pour la première fois en Chine en tant que chancelier. À l’époque, son voyage est beaucoup critiqué au sein de la coalition tripartite. Il y a quelques semaines à peine, son nouveau voyage, beaucoup plus long, a été dans la droite ligne de ceux de ses prédécesseurs — emmenant dans ses bagages des hommes d’affaires et poussant les dossiers industriels allemands.

La Chine n’attend pas les mêmes choses de la part de l’Allemagne et de la France.

Philippe Le Corre

Berlin a toujours défendu la libre circulation et a fait en sorte que les produits chinois — les panneaux solaires notamment — soient acceptés en Europe et ne soient pas sujets à des règles et à des clauses douanières trop difficiles. Sur ce plan, Scholz a joué son rôle lors de ce dernier voyage. En revanche, il apparaît regrettable que le chancelier allemand et le président français ne soient pas en mesure de rencontrer ensemble le président chinois.

En bref, la Chine n’attend pas les mêmes choses de la part de l’Allemagne et de la France. De l’Allemagne, elle attend une poursuite des intérêts et des échanges économiques et commerciaux : une sorte de protection des intérêts de la Chine en Europe.

4 — Le choix de Paris

Pour Xi, le choix de la France s’explique par plusieurs raisons.

Premièrement, 2024 marque le soixantième anniversaire des relations diplomatiques entre la République française et la République populaire de Chine. C’était un geste important du général de Gaulle que de reconnaître la République populaire de Chine, treize ans avant les États-Unis, et à une époque où elle était en plein chaos : à deux ans de la révolution culturelle, à la sortie du  « grand bond en avant » qui avait provoqué des dizaines de millions de morts.

C’est donc une date symbolique très importante pour Pékin : en 2014, Xi Jinping était déjà venu fêter les cinquante ans de cette reconnaissance et avait été accueilli à l’époque par François Hollande.

Deuxièmement, la Chine souhaite s’insérer dans l’ordre international dans la mesure où il peut servir ses intérêts — tout en cherchant à bâtir ses propres institutions et sa propre organisation du monde en imposant son leadership. En s’adressant à l’un des rares pays occidentaux qui puisse à la fois entendre ce message et le relayer à d’autres — notamment aux États-Unis —, la direction du Parti communiste chinois veut transmettre au peuple chinois la dimension réalisable de ses ambitions. L’image du positionnement de la France en Chine reste en effet très liée à la figure du général de Gaulle.

2024 marque le soixantième anniversaire des relations diplomatiques entre la République française et la République populaire de Chine.

Philippe Le Corre

Dans le même temps, la deuxième partie du voyage de Xi va se passer en Hongrie et en Serbie — deux pays qui sont des alliés proches de la Chine, ce qui n’est pas le cas d’une France ancrée dans l’Union et dans l’OTAN et qui n’a pas vocation à « s’allier avec la Chine ». Sur ce sujet, les discours d’Orbán et de Vučić sur la Chine sont beaucoup plus ambigus (voir les points 7 et 8).

Le président chinois Xi Jinping, à droite, et le président français Emmanuel Macron marchent lors d’une cérémonie officielle d’accueil au monument de l’Hôtel des Invalides, lundi 6 mai 2024 à Paris. © AP Photo/Christophe Ena

5 — Vu de Paris : la position chinoise de la France

En cohérence avec un certain nombre de ces discours, le président français essaie de jouer le rôle de « puissance d’équilibre ». Que ce soit sur la guerre en Ukraine, sur les questions commerciales, les enjeux globaux — lutte contre le changement climatique et dette notamment —, voire la situation des droits de l’homme en Chine qui, selon l’Élysée, est « systématiquement abordée » —, Emmanuel Macron entend continuer à « dialoguer » avec  la Chine comme il dialogue avec les autres puissances, en particulier les États-Unis.

Commerce

Concernant les pratiques commerciales et industrielles chinoises, l’Élysée revendique vouloir continuer à attirer des investissements chinois sur le territoire français — qu’elle a d’ailleurs « accueilli » jusqu’alors — mais demande à ce que les entreprises françaises et européennes puissent en échange conserver leurs droits d’accès sur le marché chinois.

La France souhaite également garantir à ces entreprises des « conditions de concurrence » plus équitables, ce qui rejoint les appels formulés par le président de la République lors de son deuxième discours de la Sorbonne. En résumé : la Chine se doit de respecter les règles en matière de droit, de réciprocité et de concurrence que les Européens s’imposent à eux-mêmes — alors même que le marché chinois est à bien des égards très protégé en faveur des acteurs locaux. En matière de sursubventionnement, l’appel d’Emmanuel Macron est par ailleurs destiné à la Chine aussi bien qu’aux États-Unis.

Emmanuel Macron entend continuer à « dialoguer » avec  la Chine comme il dialogue avec les autres puissances, en particulier les États-Unis.

Philippe Le Corre

Ukraine

La guerre en Ukraine figure à la première place dans la liste des priorités données par la Présidence de la République pour cette rencontre entre Xi Jinping et Emmanuel Macron qui, selon l’Élysée, « portera » notamment les positions ukrainiennes et cherchera à « encourager » la partie chinoise à utiliser les leviers dont Pékin dispose vis-à-vis de Moscou pour « changer les calculs de la Russie » et ainsi « contribuer à une résolution du conflit ».

L’un des points importants de cette discussion sera la question des biens à double usage qui alimentent l’industrie de défense russe, et dont les exportations chinoises en direction de la Russie ont significativement augmenté depuis le début de l’invasion à grande échelle. La question de la présence de Xi Jinping au sommet pour la paix en Ukraine qui sera organisé en Suisse le mois prochain figurera elle aussi certainement à l’ordre du jour.

L’intérêt d’Emmanuel Macron pour une résolution du conflit ukrainien traduit bien évidemment des préoccupations françaises et européennes, mais correspond également à des demandes formulées par les Ukrainiens. Ces derniers ont notamment eux-mêmes demandé à ce que la France « utilise les canaux de discussion avec les Chinois » afin « d’obtenir des contacts avec Pékin » sur ce sujet.

Indo-Pacifique

Paris poursuit son objectif de maintien d’un « canal de déconflictualisation » concernant les questions de libre-navigation en mer de Chine et du Pacifique Sud. L’Élysée cherche avant tout à éviter toute incompréhension qui pourrait gêner ou nuire au passage de navires commerciaux français et européens dans les eaux internationales de l’Indo-Pacifique, où les tensions règnent.

Paris poursuit son objectif de maintien d’un « canal de déconflictualisation » concernant les questions de libre-navigation en mer de Chine et du Pacifique Sud.

Philippe Le Corre

L’agenda français

Les cartes que le président français a en main pour assumer ce rôle de puissance d’équilibre sont nombreuses : le siège de membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, le fait d’être une puissance nucléaire, la deuxième économie de l’Union, etc. Cette visite sera l’occasion d’avancer des notions clefs pour la France, à commencer par l’autonomie stratégique européenne.

Héritage gaulliste-chiraquien

Cette multipolarité, qui avait d’ailleurs été définie par Jacques Chirac en son temps, est particulièrement évidente aujourd’hui : Emmanuel Macron poursuit la démarche gaulliste-chiraquienne qui consiste à reconnaître les différents pôles, notamment le pôle chinois — qui est le plus évident depuis son émergence dans les années 1980 et qui a maintenant pris l’apparence du régime de Xi Jinping aujourd’hui — c’est-à-dire un régime qui s’affirme à l’extérieur d’une manière claire en confrontation avec le pôle américain.

La France, puissance d’équilibre, doit donc trouver sa partition entre un pôle américain qui n’a aucune intention de baisser la garde quel que soit le prochain occupant de la Maison Blanche et un pôle chinois — pour ne pas dire sino-russe. 

Tom Nicholson/Shutterstock

6 — Vu de Pékin : le « nouveau paradigme » européen d’Emmanuel Macron face aux préoccupations chinoises

Ukraine

À moins d’inclure le fameux « plan de paix en 12 points » — qui n’exigeait pas le départ des troupes russes d’Ukraine —, la Chine n’a pas changé sa position vis-à-vis de la guerre en Ukraine depuis février 2022. Dans ce contexte et alors que le soutien à Kiev se trouve aujourd’hui à la base même de la vision européenne de la France, il est extrêmement compliqué de trouver des voies de dialogues sur les autres sujets.

À cet égard, la position française n’est pas « naïve », même si le président de la République réitérera très probablement dans leurs échanges ses efforts pour tenter de convaincre la Chine de raisonner son plus proche allié. Jusqu’à présent, ceux-ci n’ont pas porté leurs fruits.

Moyen Orient

Sur Gaza et le Moyen Orient en général, la Chine n’a pas voulu prendre parti frontalement. Pour des raisons tactiques, elle a affiché un soutien à la Palestine alors que ses relations avec le gouvernement Netanyahou étaient plutôt bonnes jusqu’en octobre dernier. Vis-à-vis de l’Iran, qui est également un partenaire économique clef de la Chine, il n’est pas question pour Pékin de critiquer Téhéran — tout ce qui pourrait constituer un irritant contre les États-Unis est à cet égard bon à prendre.

Sur Gaza et le Moyen Orient en général, la Chine n’a pas voulu prendre parti frontalement. Pour des raisons tactiques, elle a affiché un soutien à la Palestine alors que ses relations avec le gouvernement Netanyahou étaient plutôt bonnes jusqu’en octobre dernier.

Philippe Le Corre

Péninsule coréenne

Un autre sujet important en toile de fond mais difficile à aborder est celui de la péninsule de Corée. Il y a quelques années, des pourparlers à six avaient été organisés par la Chine, sans aucune avancée notable, Pékin œuvrant à maintenir le statu quo entre les deux Corées, qui l’arrange à la fois sur un plan tactique et stratégique. Les liens de plus en plus évidents entre la Russie et le régime de Pyongyang préoccupent au plus haut point les Occidentaux et leurs alliés régionaux, tels le Japon et la Corée du Sud.

Prolifération nucléaire

Sur le nucléaire, il est à craindre que la Chine ne soit pas non plus très encline à entrer dans les détails, surtout avec la France. C’est une des limites de l’exercice : même si elle est une puissance dotée, il est peu probable que la France ait véritablement les moyens d’aborder seule à seule le sujet de la prolifération avec Pékin.

La gouvernance mondiale, le commerce international et le Sud

Sur la gouvernance de la mondialisation, la Chine ne cache pas ses ambitions de vouloir jouer un rôle plus important au sein de l’Organisation mondiale du commerce. Elle considère que l’OMC et les institutions issues du consensus de Washington comme la Banque mondiale ou le FMI, ne tiennent pas suffisamment compte du point de vue chinois.

Le sujet de la dette des pays du Sud est l’une des thématiques qui importent beaucoup à Paris comme à Pékin — bien que les points de vue soient très divergents sur la question. L’année dernière, le premier ministre chinois Li Qiang avait répondu à l’invitation d’Emmanuel Macron et s’était rendu au Sommet pour un nouveau pacte financier mondial à Paris. La Chine et la France s’étaient alors mises d’accord pour restructurer la dette de la Zambie, un résultat satisfaisant pour la France.

Même si l’attitude chinoise en Afrique — concentrée sur la captation des ressources — tranche avec le discours officiel, il y a sur ce sujet un potentiel espace de discussion. En 2005, le Secrétaire d’État adjoint américain Robert Zoellick posait la question consubstantielle à la montée en puissance de Pékin dans la mondialisation : « est-ce que la Chine peut être un acteur responsable de la gouvernance mondiale ? » Ce cadre conceptuel est aujourd’hui encore à la fois le véhicule le plus pertinent du dialogue avec l’Europe — mais aussi le point de blocage le plus évident.

Même si elle est une puissance dotée, il est peu probable que la France ait véritablement les moyens d’aborder seule à seule le sujet de la prolifération avec Pékin.

Philippe Le Corre

Japon

Au plan multilatéral, la récente visite du Premier ministre japonais en France a donné lieu à une déclaration conjointe entre Paris et Tokyo. Le Japon s’inscrit de plus en plus clairement dans le camp occidental tout en conservant sa dimension asiatique. La Chine voit ce pivot d’un très mauvais œil : le poids de plus en plus important du Japon au sein du G7 et la volonté du groupe de se saisir explicitement de questions régionales hautement stratégiques comme l’avenir de la mer de Chine du sud, et celui du détroit de Taiwan, irrite Pékin. Cette crispation s’inscrit par ailleurs dans un contexte où l’OTAN aborde de plus en plus ouvertement l’Asie et l’Indo-Pacifique.

Voitures officielles de la cérémonie d’accueil du Président de la République populaire de Chine, par le Premier ministre français. Pavillon d’honneur de l’aéroport d’Orly, France. Dimanche 5 mai 2024. © Jeanne Accorsini/SIPA

7 — De Paris à Belgrade en passant par Budapest : géopolitique d’un choix étonnant

Le choix des deux autres pays qui vont scander la tournée européenne de Xi s’explique d’abord par une volonté chinoise de montrer clairement aux Occidentaux que c’est Pékin qui prépare, décide et conduit son agenda.

Comme évoqué plus haut, un déplacement parisien pour le soixantième anniversaire des relations franco-chinoises est important pour des raisons symboliques et parce que la France est le pays qui met le plus en avant l’autonomie stratégique européenne. Mais dans la vision chinoise, ce geste devait être impérativement contrebalancé par un mouvement de sympathie unilatéral vis-à-vis de pays comme la Hongrie et la Serbie, qui sont des amis proches de la Chine. Leurs deux dirigeants, Orbán et Vučić, se sont rendus à Pékin lors du Belt and Road Forum d’octobre 2023 — seuls Européens, au côté de Vladimir Poutine. Depuis l’arrivée de Xi au pouvoir, ils n’ont jamais failli à montrer des signes de respect, de proximité, d’accueil des investissements chinois, et n’ont jamais critiqué ouvertement la Chine.

Le choix des deux autres pays qui vont scander la tournée européenne de Xi s’explique d’abord par une volonté chinoise de montrer clairement aux Occidentaux que c’est Pékin qui prépare, décide et conduit son agenda.

Philippe Le Corre

Le cas de la Serbie est particulièrement intéressant puisqu’elle s’est installée à bas bruit dans une situation de dépendance quasi-coloniale vis-à-vis de Pékin : les Chinois n’ont pas besoin de visa pour se rendre dans le pays, les marques chinoises sont omniprésentes, les investissements sont ininterrompus depuis presque dix ans au motif que la Serbie est isolée depuis la guerre des Balkans, et la coopération militaire bat son plein. En 2022, par le biais de six gros avions porteurs de l’armée de l’air chinoise, Pékin a livré de manière spectaculaire à la Serbie plusieurs batteries de missiles sol-air pour constituer une « petite muraille aérienne » au pays des Balkans.

Le choix de la date n’est pas non plus un hasard alors que nous sommes en pleine commémoration du 25ème anniversaire du bombardement de l’ambassade de Chine à Belgrade par l’OTAN. Pékin a toujours considéré que ce bombardement avait été délibéré et le perçoit comme une provocation ouverte de l’Occident, des États-Unis et de l’OTAN contre la Chine — ce qui est évidemment nié par Washington. Que Xi Jinping ait choisi d’aller à Belgrade spécifiquement pour le 25eme anniversaire de ce bombardement — qui avait causé la mort de plusieurs ressortissants chinois — tient donc aussi à des raisons internes. En prévoyant de montrer Xi se recueillir sur la tombe des victimes, le gouvernement chinois prend prétexte de cette occasion pour construire un récit à destination de sa propre population.

Quant à la Hongrie, sa situation de membre de l’Union rend la situation plus complexe et moins explicite. Cela n’a pas pour autant empêché Viktor Orbán, au pouvoir depuis 15 ans, de jouer le double jeu de la carte pro-russe et pro-chinoise pour en tirer des avantages politiques, en accueillant des investissements chinois et en tendant la main à Poutine à plusieurs reprises. La Hongrie va par ailleurs prendre la présidence tournante du Conseil de l’Union européenne à partir du 1er juillet : elle est une destination d’autant plus stratégique pour le pouvoir chinois.

Au total, la Chine veut donc montrer qu’elle a des partenaires proches et inconditionnels sur le continent européen qui est devenu ces dernières années, comme au jeu de Go, un « espace utile » dans sa stratégie globale.

En prévoyant de montrer Xi se recueillir sur la tombe des victimes chinoises du bombardement de Belgrade, le gouvernement chinois prend prétexte de cette occasion pour construire un récit à destination de sa propre population.

Philippe Le Corre

8 — La longue stratégie chinoise en Europe : pour s’opposer à Washington sur le continent, la Chine veut refonder le 16 + 1

En tant que membre de l’OTAN et de la communauté transatlantique plus généralement, la France peut jouer un rôle d’intermédiaire vis-à-vis de Washington. De l’autre, la Hongrie et la Serbie appartenaient au groupe des 16 + 1 — les 16 pays d’Europe de l’Est et d’Europe centrale qui se réunissaient avec la Chine tous les ans avant le début de la pandémie. Pour certains dirigeants de ces États et de la Chine, ce groupe est clairement vu comme une façon de reconstituer un bloc oriental en Europe.

Aujourd’hui, c’est à travers la Hongrie et la Serbie que la Chine essaie de raviver cette communauté. 

On peut également citer le cas de la Slovaquie, par exemple, qui a elle aussi complètement changé de position vis-à-vis de la Russie et de la Chine. Face aux États-Unis, cet effort est une manière pour Pékin de montrer non seulement qu’elle a du poids mais aussi un pouvoir de traction, en étant capable de rallier des pays intermédiaires, des pays membres de l’Union — comme la Hongrie ou la Slovaquie —, ou d’autres qui sont à la périphérie. C’est aussi une manière pour la Chine de montrer qu’elle a les moyens de s’opposer aux actions de l’administration américaine — notamment celles des deux dernières années de l’administration Trump — qui consistent à envoyer des officiels américains en Europe pour dissuader les gouvernements — comme ceux de l’Italie, de la Grèce ou du Portugal — d’accepter les investissements chinois dans la 5G, la technologie, les infrastructures, etc. 

En créant sa propre communauté affinitaire en Europe, la Chine s’implante matériellement dans certains pays du continent mais cherche aussi à prouver la solidité d’alliances avec des pays apparemment lointains mais qui soutiennent sa vision et font montre de penser comme elle — autant de pierres lancées dans le jardin américain.

En créant sa propre communauté affinitaire en Europe, la Chine s’implante matériellement dans certains pays du continent mais cherche aussi à prouver la solidité d’alliances avec des pays apparemment lointains mais qui soutiennent sa vision.

Philippe Le Corre

9 — Le choix du bilatéralisme : pourquoi la Chine privilégie le 1+1 dans ses relations avec l’Union

La relation Union-Chine doit être lue à travers un prisme clair : depuis quelques années, on observe un net retour du bilatéralisme au détriment du multilatéralisme. 

Comme indiqué plus haut, la Chine s’était réjouie de l’élargissement en 2004, et elle a continué à montrer des signaux favorables à la perspective de l’élargissement. En 2014, Xi Jinping avait même pour la première fois visité les institutions européennes à Bruxelles.

Mais depuis cinq ans, elle a modifié cette trajectoire et donné l’impression, surtout avec le Covid-19 et la guerre en Ukraine, que la relation bilatérale avec des pays comme l’Allemagne et la France est devenue plus importante que la relation Chine-Union. En clair, il lui est moins facile de discuter avec 27 pays qu’avec un seul.

Brigitte Macron et son mari le président français Emmanuel Macron, le président chinois Xi Jinping et son épouse Peng Liyuan, assistent à la cérémonie officielle d’accueil, dans le cadre de la visite d’État de deux jours du président chinois, aux Invalides à Paris, le 6 mai 2024. © Jacques Witt/SIPA

L’idée d’organiser une rencontre entre Xi Jinping et l’ensemble des États membres, qui avait un temps été agitée, semble avoir été abandonnée. Celle-ci ne s’était finalement pas faite à cause du Covid-19 et elle n’aura peut-être jamais lieu. Il est vrai qu’une telle réunion donnerait l’impression qu’il faut 27 chefs d’État pour parler au président chinois et cela laisserait entendre que la Chine ne souhaite pas parler directement à des pays de seconde zone — à moins qu’ils ne soient ses affidés.

L’idée d’organiser une rencontre entre Xi Jinping et l’ensemble des États membres, qui avait un temps été agitée, semble avoir été abandonnée.

Philippe Le Corre

10 — La politique de l’Union face à la concurrence chinoise

Le choix de la France, de la Hongrie et de la Serbie résume l’ambiguïté de la relation entre la Chine et l’Europe avec d’un côté les pays d’Europe occidentale, de l’autre l’Europe des amis, puis, enfin, les institutions européennes représentées par Ursula von der Leyen — qui, du point de vue chinois, est le bad cop de cette séquence — qui décident de mesures de rétorsion commerciales et mettent en oeuvre le filtrage des investissements étrangers — la toolbox pour la 5G, les mesures anti-aide d’État, les instruments anti-coercition, etc.

La présidente de la Commission européenne a continué à marteler ces messages-là lundi matin, dans la continuité de son discours prononcé en mars 2023. Elle y disait que les Européens devaient désormais se prémunir et protéger l’Europe, les technologies européennes, la souveraineté économique européenne, et appelait à la mise en place d’instruments de sécurité économique supplémentaires devant protéger l’Europe de puissances étrangères prédatrices — ce dont les Chinois sont en train de s’apercevoir.

D’où le dilemme des véhicules électriques, domaine où la surcapacité chinoise est réelle et où la Chine vise clairement le marché européen. L’Europe n’arrive pas à suivre et se demande si elle ne va pas tout simplement se faire envahir par ces véhicules électriques, puisque, d’un côté, elle promeut l’usage des véhicules électriques, mais essaie dans le même temps de se prémunir contre des voitures électriques qui seraient sursubventionnées par des aides d’État et qui signeraient la mort lente de l’industrie automobile européenne. Selon l’Élysée, la France souhaite « des investissements chinois dans ce domaine sur le territoire français afin de pouvoir créer de l’emploi (…) dans une certaine mesure comme ce que les entreprises françaises elles-mêmes font en Chine. » 

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