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07.05.2024 à 11:39

Iran : Les Gardiens du chaos, les faucons de la Révolution islamique dans l’escalade au Moyen-Orient

Matheo Malik

Qui sont les Gardiens de la Révolution ? Quelle est leur doctrine et pourquoi occupent-t-il une place de plus en plus centrale à Téhéran ? Avec Afshon Ostovar, un mois après la première attaque directe de l’Iran contre Israël, nous dressons un portrait du Sepâh — les Gardiens du Guide et de l’Imam caché.

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Texte intégral (6858 mots)

L’attaque iranienne contre Israël a eu lieu le 13 avril, il y a presque un mois. Elle n’a pas conduit à l’escalade majeure que beaucoup craignaient. Comment expliquez-vous la désescalade des deux côtés, ou du moins l’absence d’escalade majeure ? 

Il ne faut pas se tromper : l’attaque de l’Iran contre Israël était une attaque majeure, avec plus de 300 armes, dont 110 missiles balistiques. Certains se plaisent à dire que cette attaque était symbolique : il n’y a rien de symbolique à envoyer 110 missiles balistiques contre le territoire d’un autre État.

Ce qui a permis d’éviter l’escalade, c’est d’abord le manque de succès de l’attaque. Plus de la moitié des missiles balistiques ont explosé en vol — soit juste après leur lancement, soit très rapidement dans leur trajectoire vers Israël — et n’ont pas atteint leur cible. Israël, ses alliés et ses voisins ont également réussi à détruire en vol un grand nombre de ces armes. Nous ne connaissons pas l’étendue réelle des dommages causés à Israël, mais nous savons que certains missiles ont atteint un objectif, entre sept et neuf. Certains ont touché une base de l’armée de l’air, mais aucun d’entre eux ne semble avoir causé de dommages importants. 

Ensuite, si l’on en croit les rapports publiés, Israël voulait tout de même mener une réponse plus importante, mais l’administration Biden a fortement encouragé les Israéliens à ne pas répondre du tout. Par conséquent, Israël a réagi de manière largement symbolique en lançant ce qui semble être une seule arme ou quelques armes sur le territoire iranien, causant quelques dégâts mineurs à une batterie de défense anti-aérienne. Le but de l’opération semblait être, davantage que de causer des dommages, de faire passer le message qu’Israël pouvait frapper l’Iran s’il le souhaitait.

Ce qui a permis d’éviter l’escalade, c’est d’abord le manque de succès de l’attaque.

Afshon Ostovar

Enfin, et c’est le point clef, aucune des parties ne souhaite une guerre. Dans un jeu de réponses et de représailles, chacun essaie de faire tout ce qu’il peut mais sans franchir un certain seuil. Ce seuil est très gris et flou — plus nous avançons dans ce conflit, plus les altercations pourraient être dangereuses.

Le détail des débris de ce que l’on pense être un missile iranien intercepté est visible près de la ville d’Arad, dans le sud d’Israël, le lundi 29 avril 2024.© AP Photo/Maya Alleruzzo

Vous avez récemment expliqué cette attaque en disant que les faucons du Sépâh — le Corps des Gardiens de la Révolution Islamique, ou Sepâh-e Pâsdârân-e Enghelâb-e Eslâmi — avaient acquis une plus grande influence sur les décisions de politique étrangère à Téhéran. Qui sont-ils, et comment expliquer leur gain d’influence ? 

Le spectre idéologique de la République islamique est très étroit. Je parle ici surtout du spectre idéologique au sein du Sepâh et du régime. Par régime, j’entends les institutions non élues du pouvoir en Iran, c’est-à-dire le Sepâh et le Bureau du Guide suprême. On peut inclure d’autres institutions comme le Conseil des gardiens ou la justice, mais elles sont toutes essentiellement une extension de l’autorité du Guide suprême. 

Lorsqu’on parle de faucons, de modérés ou de pragmatiques au sein du régime d’aujourd’hui, les marges de différence sont en réalité très fines. Ces marges sont si fines qu’il est très difficile de les décrire en français. J’ai du mal à trouver un terme pour les décrire, car on pourrait dire « conservateurs », « ultra conservateurs », « ultra-ultra conservateurs » — mais cette gradation finit par n’avoir aucun sens. 

Cette attaque est l’aboutissement d’années de frustration au sein du Sepâh en raison de son incapacité à frapper Israël de la manière dont Israël le frappait.

Afshon Ostovar

Les faucons politiques du Sepâh se trouvent principalement au sommet de la hiérarchie du Sepâh, très proches du Guide suprême. Ce sont ses hommes. Ce sont eux qu’il a placés aux commandes, en raison de leur mérite, mais surtout de leur engagement idéologique en faveur de ses intérêts, à savoir une politique étrangère intransigeante à l’égard des États-Unis et d’Israël et une politique étrangère très ambitieuse au Moyen-Orient et à l’échelle mondiale.

Des personnes comme le commandant en chef du Sépâh, Hossein Salami, ou le commandant de l’aérospatiale, Amir Ali Hajizadeh, sont des individus qui croient fermement aux objectifs de la République islamique et souhaitent étendre son influence et son pouvoir au Moyen-Orient, en utilisant les capacités militaires croissantes de l’Iran afin de réduire le pouvoir des États-Unis et de leurs partenaires.

À cet égard, l’attaque du 13 avril est l’aboutissement d’années de frustration au sein du Sepâh. Israël répond aux agressions iraniennes depuis une dizaine d’années. Les forces aériennes israéliennes ont frappé les positions et les cargaisons d’armes des Gardiens en Syrie. Le Mossad a pour sa part conduit de nombreuses opérations de sabotage et d’assassinat à l’intérieur même de l’Iran. Israël a tué d’éminents responsables comme Mohsen Fakhrizadeh, le plus haut responsable nucléaire du Sepâh, en 2020. Il faut rappeler qu’en 2020 toujours, Israël a également participé à l’assassinat de Qassem Soleimani. Israël a réussi à placer des bombes à l’intérieur de l’installation nucléaire de Natanz. Il a kidnappé des officiers des Gardiens, les a interrogés et les a peut-être tués. La liste est longue, en particulier au cours des cinq dernières années pendant lesquelles Israël a pu pénétrer la sécurité iranienne et exposer la porosité des défenses de l’Iran. 

Dans tous ces cas, l’Iran n’a pas été en mesure de riposter contre Israël. Il ne peut pas infiltrer Israël directement. Il ne peut pas assassiner ses fonctionnaires. Il ne peut pas saboter ses installations militaires. Ils ont essayé à de nombreuses reprises de tuer des Israéliens à l’étranger, en Turquie, en Azerbaïdjan, à Chypre, en Inde, en Thaïlande et en Europe : presque toutes ces tentatives ont échoué. Ils ont réussi à attaquer des navires israéliens dans l’océan Indien et en mer Rouge, mais ce n’est pas grand-chose au regard de ce qu’ils veulent accomplir.

L’Iran n’a pas été en mesure de riposter contre Israël. Il ne peut pas infiltrer Israël directement. Il ne peut pas assassiner ses fonctionnaires. Il ne peut pas saboter ses installations militaires.

Afshon Ostovar

C’est en partie pour cette raison qu’ils ont célébré le 7 octobre comme s’il s’agissait d’un acte qu’ils avaient accompli eux-mêmes — sans que l’on sache vraiment s’ils ont été impliqués ou non. C’était une expérience cathartique. Leurs clients, leurs mandataires, le Hamas ont pu faire quelque chose qu’ils n’avaient jamais réussi à faire. Parce que les Gardiens avaient armé et entraîné le Hamas, et financé leur armée, ils ont perçu ce succès comme le leur. 

Dans ce contexte général de frustration, l’attaque contre Israël a été le moment où le Guide suprême a permis aux militaires d’attaquer autant qu’ils le voulaient, ce qu’ils ont fait, en lançant tous les types d’armes qu’ils possédaient et pouvaient atteindre Israël. 

L’attaque contre Israël a été un moment où le Guide suprême a permis aux militaires d’attaquer autant qu’ils le voulaient. 

Afshon Ostovar

Cette attaque ratée suffira-t-elle à apaiser la frustration accumulée ?

Les Gardiens aiment imaginer des situations difficiles et tenter d’en tirer le meilleur parti. Ils ont probablement été frustrés par cet échec. D’un autre côté, ils ont prouvé qu’ils pouvaient le faire. Ils ont surtout prouvé qu’ils avaient la volonté de le faire, qu’ils étaient prêts à prendre le risque. Ils ont frappé Israël, même si ce n’était pas avec toutes leurs armes. Plus encore, ils ont prouvé que les États-Unis et Israël hésitent à laisser la guerre aller plus loin. En termes de combat de rue, Israël les a frappés, ils ont pu riposter, puis les États-Unis se sont interposés et les ont séparés. 

Par conséquent, ils ne considèrent pas du tout cela comme un échec. Ils considèrent cela comme le plus grand succès qu’ils aient jamais connu. CNN vient d’être invitée par le Sépâh à filmer les armes utilisées contre Israël. Ils tirent tous les avantages qu’ils peuvent en tirer — et Israël doit désormais prendre en compte la possibilité d’une attaque directe sur son territoire.

Dans votre livre Vanguard of the Imam, vous vous appuyez sur le concept de comitatus pour aider à comprendre le fonctionnement du Sepâh. Qu’est-ce qu’un comitatus  ? Ces derniers événements confirment-ils l’idée que vous avez défendue en 2016 ? 

À l’époque classique, un comitatus était l’avant-garde ou le cercle intérieur des guerriers et des commandants de l’armée d’un roi. Dans les cas les plus extrêmes, à la mort du roi, le comitatus se suicidait rituellement. Ils ne pouvaient pas exister sans le roi. L’ensemble des Routes de la soie, si vous trouvez l’argument de Christopher Beckwith convaincant1, a consisté à enrichir le comitatus. Selon lui, l’autonomisation des élites était en effet le moteur de cette économie. Si le suicide rituel a progressivement cessé d’exister, l’intense relation entre le chef et ses commandants militaires est demeurée une caractéristique de la période islamique. 

Le Sepâh fonctionne comme le comitatus d’Ali Khamenei.

Afshon Ostovar

Au-delà de ces cas extrêmes, le concept de comitatus permet de décrire une relation symbiotique entre le dirigeant et ses commandants. Au sein du comitatus, les commandants faisaient tout pour soutenir le dirigeant par loyauté et service. En retour, le dirigeant créait des conditions telles que tout ce qu’il fait est en partie destiné à ses fidèles. Il les enrichissait, les intégrait, leur donnait du pouvoir. Il faisait tout pour rendre son comitatus heureux, satisfait et à l’aise. 

Le débris d’un missile balistique intercepté tombé près de la mer Morte est photographié en Israël, le dimanche 21 avril 2024. © AP Photo/ Ohad Zwigenberg

En ce sens, le Sepâh fonctionne comme le comitatus d’Ali Khamenei. Ils le maintiennent au pouvoir et ne permettent à personne de remettre en question son autorité ou sa légitimité. En retour, il leur donne essentiellement les clés du royaume, toutes les ressources dont ils ont besoin, tous les pouvoirs qu’ils demandent et presque toutes les politiques qu’ils préfèrent. En ce sens, le Sepâh est très attaché à Khamenei, parce que ce dernier lui donne la plupart des choses qu’il demande, la plupart du temps. C’était vrai en 2016 et cela l’est encore en 2024. Ce qui change, c’est que Khamenei vieillit progressivement. Un jour, il ne sera plus Guide suprême, qu’il meure en fonction ou qu’il soit frappé d’incapacité. 

Le Sepâh devra alors se trouver un nouveau bienfaiteur. Le remplacement du Guide suprême est déjà un processus en cours. Quiconque succèdera à Khamenei et accèdera à la direction suprême aura cependant un rôle très délimité. Certes, le Sepâh veut un Guide suprême qui maintienne la légitimité de la République islamique. Il ne peut y avoir de République islamique sans Guide suprême car le Sepâh ne peut pas diriger directement le pays : cela cesserait de les rendre légitimes. Ils sont les « Gardiens de la Révolution islamique ». Le principe animateur de la Révolution islamique est le rôle central qu’y joue l’autorité religieuse.

Il ne peut y avoir de République islamique sans Guide suprême car le Sepâh ne peut pas diriger directement le pays : cela cesserait de les rendre légitimes. Ils sont les « Gardiens de la Révolution islamique ».

Afshon Ostovar

Cependant, ils voudront un Guide suprême plus faible que l’actuel. Dans l’ère post-Khamenei, le Sepâh aura moins d’obstacles à surmonter pour obtenir ce qu’il veut. Khamenei a beaucoup de pouvoir et le Sepâh lui est très attaché. J’ai du mal à croire ou à prévoir que le prochain Guide suprême puisse avoir la même relation avec le Sepâh. 

Diriez-vous qu’à cet égard Ali Khamenei est une force qui modère les actions des Gardiens, au sein du régime ?

Ali Khamenei est, par son pouvoir et son autorité, une contrainte pour le Sepâh. S’il donne des pouvoirs et des moyens au Sepâh, il lui impose également des contraintes. Il agit comme un parent pour le Sepâh. En ce sens, on peut dire qu’il est une force modératrice, pas en termes d’idéologie, car sa vision du monde est très radicale, mais plutôt de stratégie. Il peut considérer qu’il est sage de ne pas déclencher une guerre avec les États-Unis ou Israël, mais cela ne signifie pas qu’il ne partage pas le désir des Gardiens de la mener.

En ce sens, il est l’adulte dans la pièce. Si dans une pièce se trouve un grand nombre de généraux tête brûlée qui veulent attaquer, il est celui qui invitera à ne pas tomber dans le piège de l’adversaire. À cet égard, il faut reconnaître que l’Iran a réussi à atteindre ses objectifs et à éviter ce qu’il craint le plus — à savoir une guerre avec des puissances plus fortes que lui, telles que les États-Unis.

Dans l’ère post-Khamenei, le Sepâh aura moins d’obstacles à surmonter pour obtenir ce qu’il veut.

Afshon Ostovar

Pourriez-vous expliquer le titre de votre livre, « L’avant-garde de l’Imam » et les références chiites qu’il suggère ? Comment cela permet-il de comprendre le fonctionnement des Gardiens ?

L’expression « l’avant-garde de l’imam » a un double sens. 

D’une part, il s’agit d’une référence à Khomeini et à Khamenei. Lorsque Khomeini s’est trouvé à la tête de la Révolution de 1979, il a reçu le titre honorifique d’« imam ». Ce terme peut être utilisé avec une minuscule ou une majuscule. Avec une minuscule, « imam »  signifie simplement chef. Dans la culture islamique, un imam est le chef de prière dans une mosquée, comme un prêtre ou un prédicateur dans une église chrétienne. 

Mais « Imam » a une signification beaucoup plus profonde dans le chiisme. Les débuts de l’islam sont marqués par un conflit à propos de la succession du prophète Mahomet. Les chiites pensaient que le cousin et gendre de Mahomet, Ali, devait être le successeur. La majorité des musulmans de l’époque n’était pas d’accord et a choisi des successeurs connus sous le nom de califes — terme qui signifie simplement « successeur ». Les califes ont fini par diriger la très grande majorité de la communauté musulmane, les sunnites.

L’islam, tout comme le christianisme et le judaïsme, comporte une prophétie apocalyptique sur la fin des temps.

Afshon Ostovar

Pour les chiites, douze Imams se sont succédé à partir d’Ali. Descendants de Mahomet par sa fille Fatima, ils étaient tous considérés comme les véritables chefs légitimes de l’islam, même s’ils n’ont jamais vraiment exercé le pouvoir après Ali, qui l’a exercé pendant une courte période. En somme, dans le chiisme, « Imam » ne désigne pas un simple chef religieux mais aussi les successeurs légitimes du prophète Mahomet.

Dans la forme particulière de chiisme que l’on trouve en Iran, le chiisme duodécimain, on considère que le douzième imam — Muhammad Mahdi ou Imam Mahdi — est entré dans une occultation spirituelle. En d’autres termes, il a disparu, soustrait par Dieu à la vue de l’humanité. La croyance veut qu’il revienne à la fin des temps. L’islam, tout comme le christianisme et le judaïsme, comporte une prophétie apocalyptique sur la fin des temps. Au cours de cette période, l’imam Mahdi est censé revenir.

Ainsi les chiites s’attendent toujours au retour du Mahdi, notamment lors de périodes de bouleversements. La révolution islamique de 1979 a été l’une de ces périodes, au point que certains pensaient que l’ayatollah Khomeini lui-même, descendant du Prophète, était l’Imam caché.

Or les chiites attendent le retour de l’imam pour qu’il ramène l’islam à sa juste pratique, que le chiisme s’impose dans le monde entier, que les sunnites deviennent chiites et que le monde, après une phase de violence, atteigne la paix universelle, une fois la guerre gagnée par l’Imam et ses alliés.

Lorsque les gens ont commencé à appeler l’ayatollah Khomeini « Imam », cela signifiait qu’il était un dirigeant vénéré, mais suggérait aussi qu’il était une figure messianique

Afshon Ostovar

Les gens pensaient que Khomeini était peut-être l’Imam. Lorsqu’un journaliste étranger lui a demandé s’il était l’Imam, Khomeini s’est abstenu de répondre. Je pense quant à moi que Khomeini savait qu’il n’était pas l’Imam, mais qu’il ne voyait pas d’inconvénient à ce que les autres le pensent. Lorsque les gens ont commencé à l’appeler Imam, cela signifiait qu’il était un dirigeant vénéré, mais suggérait aussi qu’il était une figure messianique. 

Le Sepâh a été constitué comme l’armée privée de Khomeini et comme l’armée de la nouvelle théocratie qu’il a établie. En ce sens, ils ont agi comme son avant-garde, comme sa force de première ligne. C’est ce que l’expression « avant-garde de l’imam » signifie : ils sont la force de première ligne de Khomeini lui-même, mais s’inscrivent aussi dans un horizon eschatologique chiite. Ils sont les protecteurs à la fois d’un dirigeant et d’une figure potentiellement messianique. 

Les Gardiens sont la force de première ligne de Khomeini lui-même, mais ils s’inscrivent aussi dans un horizon eschatologique chiite. Ils sont les protecteurs à la fois d’un dirigeant et d’une figure potentiellement messianique.

Afshon Ostovar

Juste après l’attaque contre Israël, Mohammad Baqeri a déclaré que si Israël voulait attaquer l’Iran, il y aurait une nouvelle contre-attaque à partir du territoire iranien contre Israël. Il n’a cependant pas été très clair dans sa définition des intérêts vitaux de l’Iran. Quelle est la géographie politique du Sepâh et sa définition des intérêts vitaux iraniens ?

Le Sepâh considère la plupart des endroits où il opère comme des territoires stratégiques, mais pas nécessairement comme son « domaine » propre — il n’adopte pas un langage impérialiste et ne s’identifie pas à ces régions.

Le Liban et la Syrie font partie intégrante de la géographie stratégique des Gardiens. Ils sont absolument vitaux pour ce que le Sepâh veut accomplir vis-à-vis d’Israël, mais aussi dans la région. Si les positions du Sepâh étaient menacées dans ces pays, ils ressentiraient le besoin de réagir. C’est la raison pour laquelle l’Iran est intervenu si fortement pour protéger Bachar el-Assad après le printemps arabe. Il considérait que la Syrie était absolument vitale pour sa dissuasion élargie et ses ambitions stratégiques. 

Le Liban et la Syrie font partie intégrante de la géographie stratégique des Gardiens.

Afshon Ostovar

L’Irak est également devenu crucial, en raison là aussi de sa proximité avec l’Iran. C’est aussi un espace que les Iraniens disputent depuis longtemps aux États-Unis. Ils ont appris à gérer leurs intérêts dans ce pays. Les États-Unis n’y ont pas nécessairement une présence militaire, de sorte qu’ils ne menacent pas leur présence, mais ils constituent une nuisance et un facteur contraignant.

Le Yémen est un nouveau terrain d’importance stratégique pour le Sepâh. Lorsqu’il s’est impliqué dans le conflit au Yémen, il ne donnait pas l’impression qu’il allait tout faire pour aider les Houthis. Mais au fil du temps, les Gardiens ont trouvé un moyen de rendre leur assistance utile et efficace dans la guerre avec les Saoudiens et les Émiratis, notamment en leur fournissant des armes balistiques, des systèmes de ciblage et des drones que les Houthis pourraient utiliser en dehors de leurs frontières.

Comme nous l’avons vu avec la guerre à Gaza, les Houthis ont utilisé le Yémen comme base pour attaquer les navires, en particulier autour du Bab-el-Mandeb et dans la mer Rouge. Dans toutes ces attaques, les Houthis appuient peut-être sur la gâchette, mais c’est le Sepâh qui fait tout le reste. Aujourd’hui, si les Houthis étaient en danger au Yémen, l’Iran s’en préoccuperait, bien plus qu’il y a dix ans, car le Sepâh a compris que le Yémen pouvait aider à repousser les États-Unis, cibler Israël et faire pression sur le transport maritime mondial. 

Les Houthis appuient peut-être sur la gâchette, mais c’est le Sepâh qui fait tout le reste.

Afshon Ostovar

Ce sont les domaines qui intéressent le plus le Sepâh. L’Iran s’intéresse également à des régions plus petites. L’ouest de l’Afghanistan, par exemple. Herat est important. Il y a des barrages dans l’ouest de l’Afghanistan et des problèmes d’eau qui sont importants. Le trafic de stupéfiants est important pour le Sepâh de différentes manières, à la fois en termes de lutte et de facilitation.

Des personnes se rassemblent autour d’un débris de missile balistique intercepté tombé près de la mer Morte en Israël, samedi 20 avril 2024. © AP Photo/Itamar Grinberg

Comment évaluez-vous les effets de ces attaques contre Israël sur le soft power du Sepâh ? D’une part, il s’agit de la seule puissance étatique prête à combattre directement Israël et désireuse de le faire. D’autre part, le Sepâh semble moins menaçant que le Hamas ou le Hezbollah. 

Bien sûr, l’attaque et son impact ont été limités, mais peu de pays veulent s’essayer à nouveau à ce genre d’opérations. Personne n’a envie de voir à nouveau le Sepâh lancer une centaine de missiles balistiques sur Israël.

Le Sepâh a fait preuve d’une grande prudence et d’un grand sens du calcul. Les frappes ont été longuement préparées. Ils ont annoncé ce qu’ils allaient faire, du moins dans une certaine mesure. Mais l’ampleur de l’attaque était peut-être inattendue. Ils ont lancé une série de drones, de missiles de croisière et de missiles balistiques, qui ont des trajectoires, des altitudes et des vitesses différentes. Ce mélange peut submerger les radars et embrouiller les détecteurs.

Les Gardiens pourraient également agir différemment à l’avenir. Là, ils ont tout tiré depuis l’Iran, mais ils auraient pu tirer depuis l’Irak, la Syrie, le Liban. Si l’attaque contre Israël avait été combinée à des tirs de roquettes du Hezbollah, de l’artillerie et des drones en provenance de Syrie, il aurait été beaucoup plus difficile pour Israël de réussir à tout détruire. À cet égard, je pense que l’impact ou l’effet de l’attaque iranienne a été plus ou moins ce qu’ils espéraient.

Personne n’a envie de voir à nouveau le Sepâh lancer une centaine de missiles balistiques sur Israël.

Afshon Ostovar

Les prochaines étapes dépendent de la manière dont Israël analyse la situation. Si Israël considère que ce n’était pas important et qu’ils pourraient repousser aisément d’autres attaques, c’est un problème pour le Sepâh, car cela signifie que l’attaque n’a pas eu d’effet réel. 

Je pense qu’Israël prend la chose au sérieux et se rend compte que cela aurait pu être pire. Même si la moitié des missiles balistiques a échoué, cela pourrait ne pas se produire la prochaine fois. Le Sepâh va tirer les leçons de ces expériences. Il faut bien voir que tout ce que font les Gardiens est aussi une forme d’entraînement. Le Sepâh n’a pas lancé beaucoup de frappes de missiles en dehors de ses frontières. C’est la quatrième ou cinquième fois qu’ils le font, et c’est de loin la plus importante. À chaque tentative, ils apprennent, ils acquièrent des connaissances et affinent leurs capacités. Si cela devait se reproduire, les choses ne se passeraient pas de la même manière.

Tout ce que font les Gardiens est aussi une forme d’entraînement. À chaque tentative, ils apprennent, ils acquièrent des connaissances et affinent leurs capacités. 

Afshon Ostovar

Vous allez bientôt publier un livre intitulé Wars of Ambitions : United States, Iran and the Struggle for the Middle East. Dans cet ouvrage, vous considérez que l’invasion de l’Irak lancée par les États-Unis en 2003 est l’une des principales causes de la politique iranienne dans la région. Dans quelle mesure cela explique-t-il le conflit actuel et les vives tensions contemporaines ?

À bien des égards, ce conflit a commencé en 1979. Après la Révolution, l’Iran a nourri l’ambition de détruire Israël comme État juif et de mettre fin à la présence des États-Unis comme puissance au Moyen-Orient. Ils avaient également l’ambition de mettre au défi les pays occidentaux pour renverser l’ordre mondial. Ce désir de changer le monde a été occulté par la guerre Iran-Irak, qui a obligé l’Iran à se préoccuper avant tout de sa survie. La guerre a ruiné l’Iran, qui a passé la majeure partie des années 1990 à réparer les dommages et à se concentrer sur sa politique intérieure. 

Le 11 septembre a changé la donne, en obligeant les États-Unis à adopter une politique interventionniste au Moyen-Orient. Quand ils ont envahi l’Afghanistan en 2001, l’Iran n’était initialement pas trop gêné par cette situation. Ils ont même proposé d’aider les États-Unis, considérant les Talibans comme des ennemis.

Lorsque les États-Unis ont envahi l’Irak, il y avait des forces américaines de part et d’autre de l’Iran et un président américain au pouvoir qui avait parlé de Téhéran comme faisant partie de l’« Axe du mal ». L’invasion de l’Irak représentait un danger pour l’Iran, mais aussi une opportunité. L’Iran avait essayé pendant huit ans de vaincre Saddam Hussein et réfléchi aux conséquences de sa potentielle disparition. Ils voulaient instaurer une république islamique en Irak. L’invasion de 2003, qui a renversé Saddam Hussein, a donné à l’Iran l’occasion de poursuivre cet objectif.

L’invasion de l’Irak représentait un danger pour l’Iran, mais aussi une opportunité.

L’Iran est entré en Irak avec trois objectifs principaux : premièrement, il voulait s’assurer que les baasistes ne reviendraient jamais au pouvoir et que Saddam et ses acolytes seraient éliminés. Deuxièmement, ils voulaient s’assurer que leurs alliés qu’ils avaient hébergés en Iran, ces expatriés irakiens qui vivaient en Irak depuis près de vingt ans, retourneraient en Irak et feraient partie du nouvel Irak. Troisièmement, ils voulaient empêcher les États-Unis d’accomplir ce qu’ils souhaitaient en Irak : construire une démocratie pro-américaine et pro-occidentale.

Ils ont poursuivi cet agenda en développant un réseau à l’intérieur de l’Irak, un nouveau groupe de combattants. Ces militants ont combattu les États-Unis de 2004 jusqu’à la fin. Lorsque les États-Unis ont quitté l’Irak en 2011, l’Iran y a vu une victoire. Et l’Irak est devenu le point de départ d’une politique étrangère très ambitieuse qu’ils ont commencé à mener dans toute la région.

Le printemps arabe leur a ouvert de nouvelles portes. En Syrie et au Yémen, ils profitent du chaos. Grâce à un effort acharné et déterminé, ils ont progressivement réussi à étendre leur influence, à développer des proxys et des clients, et à déployer leurs armes sur une vaste zone géographique au Moyen-Orient. Ce faisant, ils ont pu renverser l’ordre politique dans ces pays et empêcher leurs adversaires, y compris les États-Unis et leurs alliés, de s’y implanter. 

En Syrie et au Yémen, les Gardiens profitent du chaos.

Depuis 2003, on assiste à une compétition entre deux puissances ambitieuses, l’une, une grande puissance, les États-Unis, et l’autre, une puissance mineure, l’Iran, avec deux agendas différents quant aux objectifs à atteindre au Moyen-Orient.

Les États-Unis voulaient répandre la démocratie et la liberté. Ils voulaient répandre un type de politique et de gouvernance au Moyen-Orient qui fasse passer le Moyen-Orient du stade où il se trouvait à un stade plus occidental, plus ouvert, moins chaotique, moins violent à l’égard des populations qui y vivent, etc. L’Iran veut rendre le Moyen-Orient plus conforme à sa politique, à son idéologie.

L’Iran a eu beaucoup plus de succès. Depuis l’administration Obama, les États-Unis ont abandonné la plupart de leurs efforts pour changer le Moyen-Orient, ils se sont contentés de gérer le chaos, alors que l’Iran a avancé en ligne directe, s’efforçant d’obtenir ce qu’il voulait dans la région.

Dans mon livre, je décris l’affrontement de ces deux agendas. Avec le temps, l’Iran a surpassé les États-Unis et ses alliés dans la plupart des conflits. Nous sommes à un moment où rien ne s’oppose à la croissance de l’influence de l’Iran et à la mise en œuvre de son agenda. 

Téhéran continue à utiliser la force et la violence pour accroître son rôle, tandis que les pays voisins ne souhaitent plus s’y opposer. Le seul État qui tente d’empêcher l’Iran d’atteindre ses objectifs est Israël, parce que un des objectifs centraux de l’agenda de l’Iran est d’affaiblir Israël et de mettre fin au projet d’État juif par la violence. 

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07.05.2024 à 10:02

Israël : anatomie d’une tragédie : une conversation avec le Prix Pulitzer Nathan Thrall

Matheo Malik

L'armée israélienne a annoncé avoir pris le contrôle du point de passage de Rafah. Depuis le 7 octobre, la spirale du conflit s'intensifie, semblant rendre la situation de plus en plus inextricable. Alors que le journaliste et auteur Nathan Thrall vient de recevoir le Prix Pulitzer pour son livre Une journée dans la vie d'Abed Salama, nous republions aujourd'hui l'entretien exclusif qu'il nous avait accordé.

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Texte intégral (5206 mots)

Vous êtes un auteur prolifique qui a couvert le conflit israélo-palestinien. Dans votre dernier livre, Une journée dans la vie d’Abed Salama, à travers le parcours personnel d’un père, vous racontez l’histoire de l’occupation et de « l’apartheid », que vous avez largement documentés dans vos précédents ouvrages. Dans votre livre précédent, The only language they understand, vous décriviez comment la seule chose qui ait jamais poussé Israéliens et Palestiniens vers un compromis a été l’utilisation de la force, parfois extrême. Cela signifie-t-il que ce qui s’est passé le 7 octobre était d’une certaine manière inévitable, et que seule une éruption de la violence pouvait faire évoluer la situation ? Était-ce une fatalité ?

D’une manière générale, l’escalade de la violence était absolument inévitable. Il n’y avait aucun moyen pour Israël de maintenir ce contrôle indéfiniment sans provoquer une réponse violente, même lorsque cette violence produit des résultats relativement modestes.

Mais personne n’avait prévu cette attaque particulière ni son ampleur. Il y a plusieurs années, une marche du retour a eu lieu à Gaza, au cours de laquelle des milliers de personnes sont venues manifester. Des centaines de personnes ont été tuées par des tireurs d’élite israéliens. À l’époque, on en avait beaucoup parlé en Israël : que ferait l’armée si ces milliers de personnes devenaient des dizaines ou des centaines de milliers ? Que se passerait-il s’ils franchissaient la barrière et commençaient à entrer en Israël ? Cette image était présente dans l’esprit de certains Israéliens, mais ce type d’attaque sophistiquée n’avait pas été prédit par les analystes et les commentateurs. Il s’agissait pourtant d’un objectif du Hamas connu des dirigeants militaires et politiques depuis le printemps 2014, lorsque Benyamin Netanyahou et le chef d’état-major de l’époque, Benny Gantz, ont été prévenus d’un projet d’attaque de ce type à partir de Gaza. La réaction israélienne et son inadéquation montrent clairement qu’Israël n’était pas préparé à cette éventualité et que ses dirigeants ne l’avaient même pas envisagée comme un scénario plausible.

L’attaque aurait été bien moins dévastatrice pour Israël s’il avait simplement déployé davantage de troupes à la frontière. Les Israéliens pensaient vraiment avoir trouvé une solution technologique au siège de Gaza. Ils se sont trompés. 

En revanche, la réponse d’Israël et l’utilisation d’une force écrasante semblent avoir été pleinement prévisibles. La formation du cabinet de guerre peu après le 7 octobre, réunissant toutes les forces politiques autour de la table, a semblé créer un soutien politique et social pour répondre à la force par une force extrême. La stratégie de sécurité israélienne est-elle remise en question aujourd’hui ?

En effet, au tout début, il n’y avait aucun doute qu’Israël répondrait avec une force écrasante et à une échelle que nous n’avions jamais vue auparavant à Gaza. Mais le cabinet de guerre a plutôt été formé pour empêcher une escalade au-delà de Gaza et éviter une attaque israélienne simultanée sur le Liban, que Yoav Galliant, le ministre de la Défense, appelait de ses vœux.

Les Israéliens pensaient vraiment avoir trouvé une solution technologique au siège de Gaza. Ils se sont trompés. 

Nathan Thrall

C’est la raison pour laquelle Benny Gantz et Gadi Eisenkot ont rejoint le cabinet de guerre, afin d’empêcher une attaque que le ministre de la défense et d’autres préconisaient. Maintenant, si l’on considère Gaza, au cours des premières semaines de la guerre, il n’y a eu pratiquement aucune dissidence au sein des cercles politiques israéliens, pas même une remise en question de ce qui, pour tous les observateurs extérieurs, était manifestement des objectifs inatteignables.

Par contre, du Premier ministre au chef d’état-major de l’armée, Israël a répété à l’envi que la guerre ne s’arrêterait pas tant que le Hamas n’aurait pas été éliminé. Il n’a pas reculé. Ils n’ont pas réduit leurs objectifs. Ils n’ont pas commencé à adapter les objectifs à la réalité, en disant par exemple qu’ils allaient sérieusement dégrader les capacités du Hamas pour s’assurer qu’il serait neutralisé pendant de nombreuses années. C’est le langage qu’Israël utilisait à la fin des précédents conflits qui l’ont opposé au Hamas.

Voyez-vous un débat émerger autour de cette question ?

Aujourd’hui encore, ils ne cessent de répéter que l’objectif est l’élimination du Hamas. Mais ce qui s’est passé ces dernières semaines, c’est que nous avons commencé à voir des personnes s’interroger sur la possibilité d’atteindre ces objectifs. Aujourd’hui, de nombreux journalistes israéliens affirment explicitement qu’il est inutile de poursuivre cette guerre et qu’il est impossible d’éliminer le Hamas. Tous les négociateurs d’otages vous diront ce que Gadi Eisenkot a récemment déclaré : il n’y a aucun moyen de récupérer les otages israéliens sans un échange majeur de prisonniers, ce qui serait une humiliation pour Israël. Pour la première fois, les gens remettent en question ce que le Premier ministre a toujours dit, à savoir que l’un des objectifs de la guerre est d’exercer une pression militaire sur le Hamas, de le forcer à libérer des otages. Aujourd’hui, on voit des personnes dire explicitement que c’est un mensonge, que ces deux objectifs sont incompatibles l’un avec l’autre. En fait, le premier échange de prisonniers qui a eu lieu n’était pas le résultat d’une pression militaire, c’était juste un échange de prisonniers. Et le prochain, s’il a lieu, sera lui aussi juste un échange de prisonniers. L’objectif du Hamas était de prendre des otages israéliens afin de libérer des prisonniers palestiniens des prisons israéliennes. Soit ils atteindront leur objectif, ce qui constituerait l’une des plus grandes victoires de l’histoire de la politique et des opérations militaires palestiniennes, soit les otages mourront à Gaza.

Ce qui s’est passé ces dernières semaines, c’est que nous avons commencé à voir des gens s’interroger sur la possibilité d’atteindre ces objectifs.

Nathan Thrall

Rien ne prouve que la campagne militaire aboutira à la libération des otages. En fait, nous savons que de nombreux otages sont morts à la suite de la campagne militaire. Certains d’entre eux ont même été accidentellement abattus par des soldats israéliens qui leur ont tiré dessus alors qu’ils agitaient des drapeaux blancs et criaient en hébreu, parce que l’armée pensait qu’il s’agissait de Palestiniens.

Certains hommes politiques israéliens, et des membres du gouvernement considèrent que c’est l’occasion de réoccuper définitivement Gaza et d’y implanter de nouvelles colonies une fois l’opération militaire terminée.

Les Israéliens sont divisés sur la question des colonies en Cisjordanie et à Gaza, et la question de savoir si ce mouvement va prendre de l’ampleur est liée à la durée de l’occupation de Gaza par Israël. Il ne s’agit pas seulement de la zone tampon, qui est à mon avis une question distincte, mais de la durée pendant laquelle Israël occupera réellement l’ensemble de la bande de Gaza. Cela dépendra à son tour du succès des négociations sur les différentes propositions de cessez-le-feu et sur certaines propositions plus ambitieuses visant à instaurer une sorte de gouvernement palestinien à Gaza, autre que le gouvernement israélien.

Si la guerre se déroule de telle manière qu’Israël occupe toujours Gaza dans un an, et que cette coalition gouvernementale est toujours au pouvoir, — c’est-à-dire cette coalition de droite favorable à la colonisation —, il y aura une pression énorme pour que la colonisation recommence à Gaza, comme illustré par le rassemblement en faveur de la colonisation de Gaza qui s’est tenu ce week-end, auquel ont participé des milliers de personnes et un tiers du cabinet. Mais, je pense que Netanyahou ne souhaite pas cela. Il sait que ce serait désastreux du point de vue des relations publiques et que cela nuirait aux relations avec les États-Unis. Mais si Trump est président, si cette coalition est toujours au pouvoir et si Israël occupe toujours Gaza, il sera très difficile de mettre fin à l’occupation. 

La plupart des Israéliens, du centre ou du centre-gauche, qui ont participé en grand nombre aux manifestations contre la coalition actuelle et qui espèrent faire tomber ce gouvernement ne veulent pas que Gaza soit à nouveau occupée, mais ils ne seront pas en mesure de s’y opposer.

Israël et d’autres parties, y compris l’Arabie Saoudite et, au début, les États-Unis, ont paru déployer des efforts diplomatiques assez intenses pour conclure un accord avec l’Égypte en vue de l’ouverture du point de passage de Rafah, ce qui aurait pour effet de vider Gaza et d’ouvrir le terrain pour l’opération militaire avant, à terme, une occupation à long terme. Cette option est-elle désormais exclue ? 

Au tout début de la guerre, cette option circulait du côté d’Israël, mais ses dirigeants ont dû constater qu’elle avait peu de chances d’aboutir lorsque les États-Unis ont essayé de convaincre les pays de la région et qu’ils se sont heurtés à des fins de non-recevoir très fermes. Je ne vois pas l’Égypte changer de position. Si un grand nombre de Gazaouis se rendent en Égypte, ce sera contre la volonté des autorités égyptiennes. Cela se produirait dans le cadre d’un bombardement israélien du point de passage de Rafah, comme cela s’est produit à plusieurs reprises au début de la guerre, forçant ainsi les civils à franchir la frontière pour ensuite les empêcher de revenir.

Si Trump est président, si cette coalition est toujours au pouvoir et si Israël occupe toujours Gaza, il sera très difficile de mettre fin à cette occupation. 

Nathan Thrall

Dans ce scénario, Israël mettrait en péril son traité de paix avec l’Égypte d’autant que la pression exercée sur Israël pour qu’il admette le retour de ces réfugiés à Gaza serait énorme. Cyniquement, nous pourrions dire qu’Israël vit depuis des décennies avec des gens qui exigent le retour de réfugiés. Il pourrait donc continuer — il n’y aurait rien de nouveau. Mais il s’agit d’un risque énorme pour Israël. C’est pourquoi la nature du débat sur le dépeuplement de Gaza est désormais différente : il s’agit de transferts volontaires, d’encourager d’autres pays à accueillir quelques milliers de personnes par-ci, quelques milliers par-là, de trouver des personnes pour financer la relocalisation des réfugiés de Gaza, de leur donner des incitations financières pour qu’ils quittent la bande de Gaza. Mais je ne pense pas que quelqu’un qui examine la situation froidement et rationnellement et constate le peu de volonté réelle d’autres pays de participer à un programme de ce genre puisse croire que celui-ci entraînerait réellement le départ d’un très grand nombre de Gazaouis.

Les objectifs déclarés sont-ils réalisables sans une campagne militaire beaucoup plus meurtrière et beaucoup plus longue ? Le Hamas peut-il être irrémédiablement affaibli sans envahir tout le sud de Gaza et sans détruire les tunnels qui existent sous le point de passage de Rafah ?

Israël mène déjà son opération dans le Sud de la bande de Gaza. Il n’y qu’à Rafah que les troupes israéliennes ne sont pas encore entrées avec des forces terrestres. Celles-ci ont maintenant terminé leurs opérations militaires dans le nord, affirmant avoir atteint leurs objectifs, bien qu’à ce jour, des roquettes continuent d’être tirées depuis le Nord et que, chaque semaine, nous apprenons que des soldats israéliens sont tués. Il est désormais tout à fait possible qu’Israël mène une opération à Rafah, maintenant que tout le reste de la bande de Gaza est couverte, d’autant que cette zone a été déclarée essentielle à la réalisation des objectifs de la guerre. 

Mais ce sera une opération beaucoup plus difficile à mener parce qu’il y a maintenant plus d’un million de personnes dans cette zone : toute la population de Gaza a reçu l’ordre de se déplacer vers le Sud et la plupart d’entre eux ont été forcés d’obtempérer. Pour moi, quelle que soit l’ampleur de l’opération à Rafah, quelle que soit la profondeur à laquelle Israël pénètre dans Gaza, il n’y a en fin de compte aucun moyen d’éliminer le Hamas. Israël peut sérieusement dégrader ses capacités, mais à moins de vouloir garder Gaza pour toujours, il faudra la quitter à un moment ou à un autre. Et à ce moment-là, le Hamas sera prêt. 

Est-il réaliste de penser que l’Autorité palestinienne pourrait gouverner Gaza ?

Quand Israël se retirera de Gaza, le Hamas sera la force dominante sur place, indépendamment de l’affaiblissement de ses capacités militaires par Tsahal. On le voit déjà, après la déclaration de victoire d’Israël au Nord et la fin de ses opérations, le Hamas a recommencé à s’occuper de la population, comme à Jabaliya, sous une forme ou une autre.

L’idée que l’Autorité palestinienne, depuis la Cisjordanie, puisse prendre le contrôle de Gaza, comme le souhaitent Israël et les États-Unis, est purement illusoire. Cela ne se produira que si le Hamas y consent. Les seuls scénarios envisageables pour l’avenir de Gaza sont soit une occupation continue par Israël, soit le Hamas au pouvoir de facto, directement ou derrière une façade : un gouvernement technocratique, ou l’Autorité palestinienne, ou toute autre forme acceptée par le Hamas.

Quand Israël se retirera de Gaza, le Hamas sera la force dominante sur place. 

Nathan Thrall

Ces options sont les seules envisageables, et personne ne croit sérieusement qu’une force multinationale arabe ou que l’Autorité palestinienne puissent s’implanter, sauf comme façade du Hamas. L’unique alternative serait la création d’un État palestinien où toutes les milices de Gaza, pas seulement le Hamas, mais aussi le Jihad islamique et d’autres groupes, pourraient être intégrés dans les forces de sécurité d’un tel État, après qu’elles ont été soumises à un processus de contrôle. Sans cela, le Hamas continuera de se reconstruire et d’attaquer Israël, qui sera donc confronté à une situation où il contrôlera la bande de Gaza avec le Hamas comme force principale sur le terrain.

La situation que vous décrivez, fait-elle partie des discussions sur les plans d’après-guerre pour Gaza ?

Malheureusement, les discussions sur l’après-guerre à Gaza reposent sur des hypothèses très irréalistes. C’est comme si le monde entier ignorait que le Hamas est désormais le leader du mouvement national palestinien. Nous pouvons parler toute la journée d’un nouveau Premier ministre de l’Autorité palestinienne sous l’autorité d’Abou Mazen, ou du remplacement d’Abou Mazen par un membre de son cercle intime qui pense exactement comme lui, mais en fin de compte, c’est le Hamas qui décidera de ce qui se passera à Gaza. 

Il faut que les États-Unis, ainsi que ceux qui suggèrent la reprise de Gaza par une Autorité palestinienne renouvelée, affrontent la réalité. Aucun de ces plans ne se concrétisera sans l’accord du Hamas. Pour moi, toute discussion sur l’avenir de Gaza basée sur la disparition du Hamas relève du fantasme. Sans cette prise de conscience, il est impossible de proposer une solution réaliste au conflit.

Assistons-nous à une prise de conscience progressive en Israël ?

Cette prise de conscience commence en Israël, mais avec réticence. Les chroniqueurs des grands journaux commencent à l’exprimer de plus en plus ouvertement.

Le problème est que, presque tout le spectre politique israélien étant convaincu que le Hamas peut et sera totalement éradiqué, il est difficile de trouver en Israël une force politique qui prône une stratégie différente.

Selon moi, il est temps que des personnalités comme Gantz et Eisenkot expriment cette réalité plus franchement. Récemment, ce dernier a fait une déclaration très médiatisée sur la nécessité d’un échange de prisonniers, affirmant que c’était la priorité absolue et que sans un grand accord, les prisonniers ne seraient pas libérés. Il a également déclaré que « ceux qui parlent d’une défaite absolue et d’un manque de volonté et de capacité ne disent pas la vérité. Voilà pourquoi il ne faut pas raconter des histoires à dormir debout ». Cela représente un pas vers la reconnaissance du Hamas comme une force incontournable sur le terrain.

L’objectif du cabinet de guerre d’éviter une attaque simultanée sur le Liban a-t-il changé ? Lors d’une conférence de presse fin décembre, Benny Gantz a semblé plus ouvert à l’idée d’une confrontation militaire au Liban.

L’objectif immédiat d’Eisenkot et de Gantz en rejoignant la coalition et en formant ce cabinet de guerre était effectivement d’éviter une guerre simultanée. Il a toujours été prioritaire d’éviter ce qu’Israël appelle une guerre sur deux fronts. C’est un petit pays et il est très désavantageux pour lui de combattre simultanément. C’était l’objectif principal. La question d’une attaque préventive contre le Hezbollah au Liban n’a pas été exclue, elle a simplement été reportée. 

Toute discussion sur l’avenir de Gaza basée sur la disparition du Hamas relève du fantasme.

Nathan Thrall

L’ensemble des dirigeants israéliens, du chef d’état-major de l’armée au Premier ministre en passant par les autres membres du cabinet de guerre, ont fait une déclaration intéressante sur le retour des habitants du Nord — environ 80 000 personnes —, qui sont désormais déplacés à l’intérieur du pays. Israël ne cesse de donner des dates différentes pour leur retour. La dernière était fin février, mais le gouvernement israélien affirme que les habitants du Nord ne rentreront pas tant que les forces du Hezbollah ne se seront pas déplacées au nord du fleuve Litani. Cela se situe à plus d’une douzaine de kilomètres de la frontière israélienne.

En principe, les combattants du Hezbollah sont tenus par une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU de se tenir au Nord du fleuve Litani, mais cette résolution n’a jamais été pleinement appliquée, n’est-ce pas ?

C’est exact. Aujourd’hui, la ligne d’Israël est la suivante : le Hezbollah se déplacera au Nord du Litani, soit par un accord diplomatique, soit par la force : d’une manière ou d’une autre, c’est la condition du retour des habitants du Nord d’Israël. Il s’agit là de déclarations très fortes. Il leur sera difficile de revenir dessus après avoir dit à ces plus de 80 000 personnes qu’ils vivraient dans ces conditions à leur retour. 

On pourrait penser qu’il s’agit simplement d’un acte de bluff et d’une stratégie utilisée par Israël pour faire pression dans les négociations diplomatiques afin de s’assurer que le Hezbollah accepte un accord, qui consisterait plus ou moins à ce qu’il déplace ses forces vers le nord et qu’Israël abandonne les fermes de Shebaa et réaligne marginalement la frontière avec le Liban.

Mais Israël ne cesse de répéter cette position : ils n’ont jamais dévié. Il lui serait politiquement difficile de revenir sur cette déclaration. Ceci dit, il n’est pas impossible qu’un accord diplomatique pousse le Hezbollah à bouger. Ce ne serait sans doute pas aussi loin qu’Israël le désire, mais il y aurait un mouvement. Si cela ne se produit pas, il sera très difficile pour Israël de ne pas entrer en guerre.

L’autre élément est que les États-Unis ont dit à Israël dès le début que leur première exigence était de ne pas déclencher une guerre avec le Liban, avec le Hezbollah et avec l’Iran, en l’échange de quoi les États-Unis ont assuré à Israël qu’ils protégeraient son territoire en cas d’attaque. C’était le but de l’envoi des deux porte-avions en Méditerranée, spécifiquement pour dissuader le Hezbollah et l’Iran. Mais les États-Unis ont insisté sur le fait qu’ils ne voulaient pas être entraînés dans une guerre régionale. 

Si le Hezbollah ne se retire pas, il sera très difficile pour Israël de ne pas entrer en guerre.

Nathan Thrall

Si Israël veut une guerre avec le Hezbollah, il devra faire croire que c’est le Hezbollah qui l’a déclenchée. Ce qui ne devrait pas être très difficile à faire, étant donné que les deux parties échangent des tirs toutes les heures à la frontière nord. Il est très facile que cela dégénère en une véritable guerre. 

Comment l’ordonnance préliminaire de la Cour internationale de justice sur l’affaire portée par l’Afrique du Sud est-elle couverte en Israël ? Cela change-t-il la nature du débat politique ? 

L’ordonnance de la CIJ est vraiment couverte en Israël, et elle a un rôle important dans le débat public. La réaction israélienne naturelle a été exprimée par le ministre de la défense qui a publié une déclaration furieuse condamnant la Cour après que les ordonnances préliminaires ont été émises vendredi : « L’État d’Israël n’a pas besoin de recevoir des leçons de morale… La Cour internationale de justice de La Haye a dépassé les bornes lorsqu’elle a accédé à la demande antisémite de l’Afrique du Sud de discuter de l’allégation de génocide à Gaza… Ceux qui recherchent la justice ne la trouveront pas sur les fauteuils en cuir des salles d’audience de La Haye ». Le Premier ministre a été beaucoup plus prudent, essayant à la fois de condamner le tribunal mais aussi de le tourner positivement en soulignant qu’il n’avait pas appelé à un cessez-le-feu et qu’il approuvait donc le droit d’Israël à continuer à se défendre et à poursuivre la guerre telle qu’Israël l’avait menée.

Dans le même temps, la presse de gauche condamne le Premier ministre pour avoir créé une situation dans laquelle Israël se trouve en dans une situation plausible de violation de la convention sur le génocide. En fait, la presse israélienne interprète la situation de toutes les façons possibles. 

L’ordonnance de la CIJ est vraiment couverte en Israël, où elle a un rôle important dans le débat public.

Nathan Thrall

Pour moi, concrètement, l’effet le plus important de cette ordonnance est ailleurs : les pays tiers seront désormais beaucoup plus prudents quant à leur propre complicité dans ce que la CIJ a considéré comme un cas plausible de génocide. Je suis sûr que les principaux avocats des ministères de la défense des proches alliés d’Israël, y compris les États-Unis, travaillent sur la manière de s’assurer qu’ils ne sont pas jugés complices — ce serait un cas très difficile à défendre parce qu’ils sont clairement complices de ce que fait Israël — mais je pense que l’effet de l’arrêt est vraiment d’alerter ces tierces parties.

En Israël, l’effet est plus limité. Ce dimanche, par exemple, des civils israéliens ont manifesté devant le point de passage de Kerem Shalom vers Gaza pour demander l’arrêt des camions d’aide, affirmant que tant que les otages n’étaient pas libérés, aucune aide ne devait être acheminée vers Gaza. La police a essayé d’arrêter ces manifestants avec beaucoup plus de force pour permettre aux camions d’entrer. L’arrêt de la CIJ, l’ordonnance préliminaire autorisant l’entrée de l’aide humanitaire, a été invoqué pour justifier l’entrée de cette aide. Je pense qu’Israël sera plus prudent dans sa conduite au cours du prochain mois au moins, ce dont il devra maintenant rendre compte à la CIJ.

Depuis le début de cette guerre, deux choses sont frappantes. Tout d’abord, le gouvernement américain semble avoir perdu son influence sur Israël, et le gouvernement israélien a gagné beaucoup plus d’indépendance par rapport aux autorités américaines. Êtes-vous d’accord ?

Je ne pense pas que la guerre ait démontré un quelconque affaiblissement de l’influence des États-Unis sur Israël. Elle montre plutôt que l’administration Biden a décidé de donner à Israël tout ce qu’il voulait, de lui donner carte blanche et de se plier en quatre pour le soutenir, même au prix d’un lourd coût politique.

Vous ne seriez pas d’accord pour dire que Blinken a essayé à plusieurs reprises d’influencer le cours de la guerre, sans succès ?

Je ne diras pas que Blinken a essayé et échoué parce qu’il n’a jamais utilisé les outils dont il dispose. La guerre a montré de manière explicite à quel point Israël est incroyablement dépendant des États-Unis, qu’il a eu besoin de livraisons d’armes d’urgence pour mener cette guerre. Les États-Unis les ont fournies sans condition.

Que pensez-vous du rôle croissant de l’Arabie saoudite dans la diplomatie arabe ? Que pouvons-nous en attendre ?

Le rôle principal de l’Arabie saoudite dans cette équation est de savoir si elle accepterait de normaliser les relations avec Israël en échange de quelque chose. Avant le 7 octobre, le quelque chose dont tout le monde discutait — autrement dit, la principale chose que l’Arabie saoudite voulait —, c’était des programmes nucléaires civils soutenus par les États-Unis, en plus d’un traité de défense. Bref, elle voulait des concessions de la part des Washinton. En outre, avant le 7 octobre, il était question d’accorder quelques miettes à l’Autorité palestinienne en Cisjordanie. De l’avis de la plupart des observateurs, les États-Unis étaient plus intéressés que les Saoudiens à exiger des concessions pour l’Autorité palestinienne.

L’effet le plus important de l’ordonnance de la CIJ est ailleurs : les pays tiers seront désormais beaucoup plus prudents quant à leur propre complicité dans ce que la cour a considéré comme un cas plausible de génocide.

Nathan Thrall

Aujourd’hui, la presse rapporte que l’Arabie saoudite exige la création d’un État palestinien, et pas seulement une voie vers un État palestinien. Nous devons attendre et voir si c’est vraiment le cas. Il y a tellement d’obstacles à la normalisation israélo-saoudienne, y compris celui d’amener le Congrès américain à accepter toutes les demandes de Riyad. Le pays n’est pas populaire aux États-Unis, en particulier au sein du parti démocrate, et le temps dont dispose le Congrès pour accepter de manière plausible toute demande est limité en raison du cycle électoral américain. Bientôt, non seulement les démocrates mais aussi les républicains s’opposeront à un grand accord avec l’Arabie saoudite : les démocrates parce qu’ils ne considèrent pas qu’il est dans l’intérêt des États-Unis de forger des liens étroits avec l’un des États les plus répressifs du monde, et les républicains parce qu’ils ne voudront pas donner à Biden une victoire en matière de politique étrangère avant l’élection de novembre. 

Quoi qu’il en soit, ces conversations sur des concessions à accorder à l’Autorité palestinienne ne sont pas pertinentes tant qu’elles ne prennent pas en compte l’acteur politique palestinien le plus puissant aujourd’hui, le Hamas.

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29.04.2024 à 17:30

Les sept piliers de la diplomatie en temps de guerre selon Dmytro Kouleba

Matheo Malik

Pas de tabou, pas de formalité, pas de « plan B ».

Peut-on encore être diplomate lorsque son pays est en guerre totale ? Depuis plus de deux ans, la diplomatie ukrainienne disrupte les canaux usuels de la conversation westphalienne, définissant un style et une direction singulières qui ont permis à Kiev d’obtenir des résultats concrets. En 7 points, le ministre des Affaires étrangères Dmytro Kouleba définit sa méthode.

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Texte intégral (3252 mots)

Depuis le 24 février 2022, principalement par la voix de son président Volodymyr Zelensky et de son ministre des Affaires étrangères Dmytro Kouleba, l’Ukraine invente une nouvelle forme de diplomatie. Ses fondements mêmes heurtent les principes de la théorie et de la pratique diplomatique occidentale traditionnelle. Pour comprendre quels sont ses ressorts, le Forum de la diplomatie en temps de guerre (Wartime Diplomacy selon l’expression consacrée par les diplomates ukrainiens), qui s’est tenu à Kyiv le 12 avril 2024, a offert une occasion de revenir sur les succès et les défis de l’action internationale de l’Ukraine. Au cœur de cet événement, le ministre des Affaires étrangères, Dmytro Kouleba, a présenté pour la première fois de manière si complète les règles et principes diplomatiques adoptés par l’Ukraine face à un conflit de grande envergure. 

Autour d’un concept clef — lancé dès février 2022 : la diplomatie en temps de guerre1 — il articule sept principes qui guident sa pratique des négociations. S’en dégage non seulement une ligne de conduite et un style désormais reconnaissable, mais aussi une voix singulière et une manière originale d’engager avec les Suds. Il faut la suivre de prêt à l’heure où les chancelleries occidentales essayent de changer d’approche.

Un ensemble de principes spécifiques différencient la diplomatie de guerre de la diplomatie classique.

Avant de les aborder, il est crucial de souligner que la diplomatie militaire aurait été impossible sans les alliés de l’Ukraine pendant la guerre. Et je tiens à exprimer ma gratitude envers tous les pays amis, partenaires et alliés.

De même, une telle diplomatie n’aurait pas été faisable sans la nécessité de convaincre d’autres pays. Il existe des nations dans le monde qu’il faut persuader, qui demandent des efforts supplémentaires. Les diplomates ukrainiens maîtrisent parfaitement ce qu’il faut dire à Bruxelles et à Washington, quels sont les arguments pertinents. Mais trouver des arguments et des approches opératoires en Afrique, en Asie et en Amérique du Sud est un art que nous avons principalement acquis grâce à la diplomatie militaire.

La diplomatie militaire ukrainienne a été mise en place par le président Zelensky dès les premières heures de l’invasion. Initialement, ses conversations téléphoniques et ses déclarations semblaient trop dures et controversées pour les observateurs extérieurs — mais ce ton a finalement porté ses fruits.

Dans une situation normale, le comportement des individus peut changer lors d’une crise. Tout comme nous marchons différemment dans la rue lorsque nous sommes confrontés à des voleurs, les États révèlent des caractéristiques différentes en temps de guerre. Certains qui semblaient forts en temps de paix peuvent se révéler lâches et faibles au combat, tandis que d’autres se révèlent être des leaders efficaces en temps de conflit.

Cette observation souligne l’importance de reconnaître le changement fondamental de comportement entre la période de la paix et celle de la guerre.

Au cours des deux dernières années, nous avons formulé sept principes de diplomatie militaire. Et malgré les défis rencontrés, ces principes se sont révélés efficaces.

Premier principe : la ténacité

Chaque négociation de l’Ukraine concernant des contrats d’armement a débuté par un refus catégorique et sans équivoque. Chaque fois.

Dans des circonstances normales, un diplomate aurait sans doute abandonné après plusieurs refus, reportant les pourparlers indéfiniment. Mais le diplomate du temps de guerre n’a pas cette option. Il doit persévérer jusqu’à obtenir un oui. Il doit se battre jusqu’à obtenir un oui.

C’est ainsi que nous avons dû surmonter à maintes reprises les barrières des mauvaises idées et des obstacles artificiels, jusqu’à ce que nous obtenions enfin une réponse positive. Les armes antichars, l’artillerie de l’OTAN, les systèmes de roquettes à lancement multiple, les systèmes de défense aérienne de pointe, les chars, les missiles à longue portée et les avions modernes — tous ces types d’armement ont finalement été débloqués au niveau politique.

La ténacité de la diplomatie militaire ne concerne pas seulement les armes, mais s’applique à presque toutes les initiatives ou négociations internationales.

Deuxième principe : ne pas avoir peur de mettre ses amis mal à l’aise

Généralement, nous entretenons des relations particulièrement amicales avec nos proches.

Mais en temps de guerre, il y a une différence fondamentale entre vous et vos amis : si vous mourez, ils mettront des fleurs sur votre tombe, se souviendront de votre amitié et continueront leur vie. Vous, en revanche, vous resterez mort.

Par conséquent, si la clef de votre survie implique de pousser vos amis hors de leur zone de confort, vous devez le faire.

Ce principe est celui qui soulève le plus de débats, le plus de questions : « Comment osez-vous nous parler ainsi ? »

Nous osons, tout simplement.

Parce que la survie de notre pays est en jeu : si une conversation amicale en privé ne porte pas ses fruits, il est nécessaire de parler franchement avec vos amis en présence de tiers. Jusqu’à obtenir un résultat.

Troisième principe : il n’y a pas de « plan B »

Ce principe a également suscité des débats animés après l’une de mes déclarations. En effet, dans la diplomatie classique, il est souvent considéré comme essentiel pour un diplomate d’avoir une « exit strategy », une alternative au cas où son initiative originale échouerait.

Dans une interview accordée à CNN le 3 janvier 2024, en réponse à une question de Christina Amanpour sur le plan B de l’Ukraine au cas où le Congrès américain n’approuverait pas l’aide, Kouleba avait répondu : « il n’y a pas de plan B, nous sommes confiants dans le plan A ».

L’absence de besoin d’un « plan B » ne signifie pas que l’on est naïf ou que l’on n’a pas envisagé de solution de repli. Simplement, en diplomatie militaire, soit vous atteignez votre objectif — soit c’est la fin.

Récemment, un officier a partagé avec moi une anecdote intéressante. Lorsqu’il présentait à ses subordonnés un « plan A » — par exemple, prendre un pont — ils lui demandaient souvent : « Et si nous ne prenons pas le pont, que faisons-nous ? » À quoi il répondait simplement : « Eh bien, nous nous regrouperons au carrefour, à un kilomètre du pont. »

À chaque fois, ils finissaient au carrefour. Parce qu’il était impossible de réaliser les tâches et que les unités choisissaient un plan de secours.

À chaque fois !

Il a alors changé de tactique en ne communiquant plus que le plan A à ses subordonnés. Cela ne signifiait pas qu’il n’avait pas de plan de secours, mais dans la brutalité de la guerre, il était crucial de se concentrer uniquement sur la réalisation du plan A.

Hier soir dans le train, alors que je rentrais en Ukraine, j’échangeais avec une connaissance qui me demandait quand la guerre se terminerait et comment.

Je lui ai répondu : « Je ne sais pas quand, mais elle se terminera par notre victoire ».

Il m’a répondu : « D’accord, mais avez-vous un vrai plan ? En privé ? ». J’ai répondu : « Oui, j’en ai un. La victoire. Il n’y a qu’un seul plan ». Il demande : « Peut-être y a-t-il des compromis ? ». Non, il n’y a pas de compromis.

Ce type de conversation est l’une caractéristique du temps de guerre.

Même lorsqu’on décide pour soi-même, l’idée d’avoir un « plan B » exerce une pression psychologique — comme dans cette anecdote du front où le carrefour sûr à un kilomètre du pont devient le refuge récurrent.

J’ai également remarqué cette tendance chez les diplomates.

Récemment, lors d’une réunion avec un groupe d’ambassadeurs sur la fourniture de systèmes Patriot, j’ai immédiatement identifié les ambassadeurs qui envisageaient déjà le « plan B ». Au lieu de se concentrer uniquement sur la tâche principale : « obtenir ce fichu Patriot ».

Quatrième principe : réduire autant que possible le temps de prise de décision

La diplomatie, ce sont des procédures.

Dans la diplomatie classique, les questions sont soumises à de multiples filtres, et il est préférable de prendre son temps pour prendre une décision, de laisser les choses « mûrir ». On espère ainsi que les circonstances pourraient évoluer, que de nouveaux éléments pourraient émerger.

Mais en temps de guerre, il n’y a pas de temps à perdre.

C’est pourquoi les protocoles et les procédures sont souvent négligés. Quand des vies sont en jeu, ils passent au second plan.

Au cours de ces deux années, j’en ai personnellement vécu de nombreux exemples, tout comme nos ambassadeurs, où l’on nous a dit : « Nous ne pouvons pas agir aussi rapidement, car il y a une procédure à suivre… » Mais il se trouve que si le processus est bien construit, chaque pays dispose d’une marge de manœuvre considérable pour accélérer la prise de décision — quelle qu’elle soit ! Il suffit de trouver la bonne approche.

Cinquième principe : la flexibilité des solutions « à la carte »

Toute personne ayant une expérience dans l’analyse de la diplomatie ou dans la théorie ou la pratique diplomatiques, a certainement entendu des phrases du type « ce n’est pas à la carte ». L’idée selon laquelle « vous ne pouvez pas choisir parmi une liste de principes ou d’exigences, vous devez tout accepter » est souvent avancée.

Mais la diplomatie demande à la fois rigueur, respect des principes et flexibilité.

Comme l’a écrit Sun Tzu, la guerre est à la fois une offensive et une manœuvre.

L’offensive représente la fermeté et le respect des principes — la manœuvre incarne la souplesse.

Lorsque le président Zelensky a présenté l’idée du « plan de paix », il incluait un élément de flexibilité : chaque partie peut choisir les points sur lesquels elle souhaite s’engager, ceux qu’elle voudrait traiter.

Cette approche est unique pour un plan de paix et a été délibérément conçue pour impliquer autant de pays que possible.

Je pense que ce « plan de paix » à l’initiative du président entrera dans l’histoire de la diplomatie. Non seulement parce que, pour la première fois, les conditions de la fin d’une guerre sont déterminées par le pays agressé — et non par le pays agresseur ou une tierce partie. Il restera également dans l’histoire comme un exemple de sélectivité constructive.

Sixième principe : tout le monde parle à tout le monde

Dans un pays en guerre, de la plus haute autorité aux secrétaires et assistants, chacun doit dialoguer avec ses homologues des pays concernés pour résoudre des problèmes spécifiques. Un exemple marquant de cette approche est la réunion que j’ai eue avec Andriy Yermak, en compagnie du ministre hongrois des Affaires étrangères, Peter Szijjarto. Nous avons délibérément voyagé ensemble pour témoigner de la volonté de l’Ukraine de résoudre les problèmes.

À la tête de l’administration présidentielle depuis 2020, Andriy Yermak est une personnalité clef du premier cercle de la décision en Ukraine. Considéré comme l’un des plus proches conseillers de Zelensky — dont il est aussi un ami intime — il est un interlocuteur privilégié des alliés de l’Ukraine depuis le début de la guerre.

Le bureau du président, le cabinet des ministres, le ministère des Affaires étrangères et d’autres ministères ont tous des contacts directs avec leurs homologues étrangers à tous les niveaux.

Certes, cette approche peut parfois compromettre la cohérence des efforts.

Mais le problème n’est pas que tout le monde parle à tout le monde. Au contraire, c’est nécessaire, car en temps de guerre, un seul ministère des Affaires étrangères ne peut pas physiquement gérer l’énorme masse des communications nécessaires. Le modèle classique de diplomatie où « tout passe par le ministère des Affaires étrangères » — encore en vigueur dans certains pays — ne fonctionne tout simplement pas en temps de guerre.

Le problème survient lorsque chacun commence à exprimer des points de vue divergents.

C’est pourquoi la fonction du ministère des Affaires étrangères évolue et ne consiste plus à coordonner qui parle à qui, mais ce que ces personnes disent. Car il est crucial, évidemment, que tous expriment la même position.

Septième principe : des déclarations claires, directes et circonstanciées

Il est bien connu qu’un diplomate doit traditionnellement souvent s’exprimer de manière nuancée et courtoise. Cette diplomatie consiste à inclure plusieurs scénarios dans une seule phrase courte par précaution face à l’incertitude de l’avenir et pour éviter toute maladresse.

Or en temps de guerre, il vaut mieux paraître maladroit que de parler de manière inefficace.

Si l’escrime verbale est nécessaire en temps de paix, en temps de guerre, il est essentiel de transmettre rapidement le signal au public approprié. Pour y parvenir, il est crucial de comprendre parfaitement son auditoire et de s’exprimer de manière concise, directe et sans détour.

Cela est d’autant plus efficace aujourd’hui — notamment parce qu’une génération de personnes ayant grandi avec les réseaux sociaux est déjà entrée dans la diplomatie, et qu’elle comprend les déclarations courtes, directes et dures.

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22.04.2024 à 16:01

En Ukraine, l’offensive russe continue : 10 points sur l’état du front et les perspectives d’ici l’été

Marin Saillofest

En Ukraine, le front n’est pas gelé.

Malgré les faibles progressions territoriales, les deux armées se livrent toujours une guerre à grande échelle sur une ligne de contact qui s’étend sur 1 000 km. Avant l’intensification attendue de l’offensive russe d’ici l’été, Gustav Gressel fait le point sur l’état du front, les capacités des deux armées et les scénarios envisageables en 10 pronostics.

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Texte intégral (5261 mots)

Comment comprendre une guerre qui dure, qui s’intensifie et dont la forme qu’on croyait figée semble sur le point d’exploser ? La grammaire de la guerre d’Ukraine est en train de changer. Pour comprendre comment, il faut regarder à la fois ce qu’il se passe à l’intérieur des rangs ukrainiens, dans les discours russes, mais aussi sur les cartes et dans les entrepôts d’armes, en Europe et aux États-Unis. Ces dix leçons clefs pour le printemps par Gustav Gressel permettent de tracer une perspective sur ce à quoi pourrait ressembler la guerre dans les prochains mois. Ce travail n’existe que grâce à vous : nous vous demandons de penser à vous abonner.

1 — Si l’Europe parvient à accélérer sa production, l’Ukraine pourrait se passer de l’aide américaine d’ici 2025

Si les Européens augmentaient très rapidement leur production d’équipements et de matériels militaires, ils pourraient être en mesure de maintenir des capacités défensives suffisantes pour l’Ukraine d’ici 2025. Toutefois, l’année 2024 sera difficile sur de nombreux points. Un soutien américain supplémentaire est nécessaire pour maintenir la base défensive de l’Ukraine à un niveau suffisant, particulièrement en ce qui concerne les munitions et la défense aérienne.

Les Européens luttent pour compenser ces faiblesses. L’initiative tchèque en matière d’artillerie devrait compenser le déficit creusé par l’arrêt des livraisons américaines, mais elle est de plus en plus retardée. La défense aérienne est quant à elle encore plus difficile car les délais de production des missiles sont beaucoup plus longs.

La capacité des Européens à remplacer l’aide américaine d’ici 2025 ne dépend pas seulement d’eux. Les États-Unis sont un fournisseur majeur pour de nombreux éléments critiques tels que les missiles Patriot, les missiles M29/30/31 pour les GMLRS (Guided Multiple Launch Rocket System), les véhicules de combat d’infanterie, les armements pour avions… et continueront à jouer un rôle important pour soutenir la flotte ukrainienne de F-16 — quand elle arrivera.

L’administration Trump autorisera-t-elle les Européens à acheter ces équipements pour l’Ukraine, au moins jusqu’à ce que les Européens trouvent un moyen de les remplacer ? La Corée du Sud livrera-t-elle à l’Ukraine des systèmes comparables ? Le Japon commencera-t-il à envoyer des Patriots à l’Ukraine ? Si ces options deviennent possibles, l’Ukraine pourrait tenir bon — sinon, la Russie risquerait de gagner la guerre à l’horizon 2025.

Mais les Européens n’ont même pas entamé les négociations pour l’achat de ce matériel. Chaque mois qui passe voit les actions européennes s’intensifier avec bien trop de lenteur et d’une manière insuffisante. Je ne sais pas quelle sera notre stratégie si Trump est élu. Si l’Ukraine perd, il sera facile de blâmer Washington, mais cela n’assura pas notre sécurité. Et nous en subiront les conséquences néfastes : nous aurons à nos portes un empire fasciste, agressif, hostile, prospère, armé jusqu’aux dents et disposant d’une armée éprouvée au combat.

Si ces options deviennent possibles, l’Ukraine pourrait tenir bon — sinon, la Russie risquerait de gagner la guerre à l’horizon 2025.

Gustav Gressel

2 — À eux seuls, les drones ne permettent pas de remplacer l’artillerie

Les drones à pilotage immersif (FPV) sont indispensables aux deux camps. Ils disposent de l’avantage — par rapport aux missiles antichars conventionnels — d’avoir une plus grande portée, d’être beaucoup moins chers et donc de pouvoir être utilisés massivement, rendant les positions de lancement difficiles à repérer pour l’ennemi. Ils permettent donc des tirs antichars denses et à longue portée que l’ennemi peut difficilement contenir. Cela permet d’éviter les percées de blindés, des deux côtés.

Les drones à pilotage immersif comportent néanmoins des inconvénients. Ils sont vulnérables au brouillage et leur charge utile — et par conséquent leur létalité — sont inférieures à celles des missiles antichars guidés conventionnels. Autrement dit, une grande partie de l’équipement endommagé par les drones peut être récupérée et réparée. Enfin, ils n’ont que peu d’intérêt pour neutraliser les soldats ennemis, surtout s’ils sont bien retranchés. Les drones commerciaux n’ont ni la portée ni la résilience vis-à-vis des outils de guerre électronique nécessaires pour réaliser des tirs de contre-batterie, qui ne peuvent être effectués que par des munitions rodeuses spécialisées, plus chères et plus rares.

Les drones à pilotage immersif ne peuvent donc pas se substituer pleinement à l’artillerie. Dans une situation idéale, les deux fonctionnent ensemble : les drones freinent l’assaut ennemi, tandis que l’artillerie neutralise les soldats et les équipements militaires une fois qu’ils ont été immobilisés.

Étant donné que de nombreux sous-composants de ces drones sont achetés à l’étranger, il ne faut pas oublier que les Ukrainiens ont également besoin d’un approvisionnement constant en devises étrangères pour maintenir la production.

Je ne sais pas quelle sera notre stratégie si Trump est élu. Si l’Ukraine perd, il sera facile de blâmer Washington, mais cela n’assura pas notre sécurité.

Gustav Gressel

3 — Si les Ukrainiens reculent trop, le front risque de céder

Raccourcir la ligne de front, comme l’a suggéré le président Zelensky1, n’est pas une solution viable pour l’armée ukrainienne — l’état des secondes lignes de fortifications n’est pas suffisant.

Des rangées de dents de dragon, des obstacles antichars dans la région de Donetsk, en Ukraine, le samedi 6 avril 2024. © Alex Babenko/AP/SIPA

Cela vaut surtout pour les parties exposées du front, comme Avdiivka. Siversk pose un problème différent. Mais il y a peu d’endroits où la ligne de front pourrait être raccourcie sans sacrifier beaucoup de terrain. L’Ukraine n’abandonnera pas si facilement les nouveaux territoires qu’elle a difficilement libérés. Plus encore que la longueur du front, c’est l’état de préparation des lignes défensives qui importe.

Le problème de l’Ukraine est qu’elle dispose de beaucoup moins d’ingénieurs spécialisés que les Russes pour réaliser des travaux de fortification. Elle sollicite désormais des entreprises civiles pour construire des défenses dans les zones frontalières avec la Russie. Mais près de la ligne de front, sous le feu russe, les tranchées et les fortifications sont creusées par les troupes elles-mêmes.

Le manque de soldats ukrainiens se répercute sur les lignes arrière : il n’y a pas assez d’hommes pour les consolider alors qu’elles servent de point de repli pour la première ligne. Lorsqu’ils reculent, les Ukrainiens peuvent ne pas être en mesure de tenir la deuxième ligne en raison de l’état d’impréparation des positions fortifiées, ce qui permet aux Russes de les repousser encore plus. C’est un risque constant auquel les soldats ukrainiens sont confrontés. Accepter de se replier pour réduire la ligne de front n’est donc pas la formule universelle qui allégera le fardeau défensif de l’Ukraine.

4 — L’offensive russe de cet été se concentrera sur les mêmes axes que cet hiver : Tchassiv Yar, Avdiivka, Siversk et Koupiansk

Un redéploiement russe d’ampleur est à prévoir cet été — l’objectif est de poursuivre l’offensive vers l’ouest, en s’emparant de Tchassiv Yar. Le succès russe sera conditionné à l’équipement et au matériel militaire disponibles.

Accepter de se replier pour réduire la ligne de front n’est donc pas la formule universelle qui allégera le fardeau défensif de l’Ukraine.

Gustav Gressel

L’offensive de printemps se poursuit toujours puisque la Russie envoie encore des unités des Forces de combat nationales de réserve et de deuxième ligne dans les zones du front les moins agitées pour maintenir la pression et former de nouvelles troupes. Elle déploie ses forces autant qu’elle le peut, en essayant d’exploiter les faiblesses ukrainiennes en matière d’artillerie et de défense antiaérienne.

En ce moment, ils essaient de s’emparer de Tchassiv Yar, une colline stratégiquement cruciale qui leur permettrait d’avancer encore plus avant dans l’oblast de Donetsk. Je n’image toutefois pas de nouveaux redéploiements plus importants au printemps qui suggéreraient d’autres mouvements offensifs, vers Kharkiv ou Zaporijia par exemple. L’offensive d’été sera donc très probablement dirigée vers les mêmes secteurs que l’offensive d’hiver-printemps 2023/2024 : Tchassiv Yar, l’ouest d’Avdiivka, Siversk et Koupiansk.

D’ici mai-juin, les nouveaux soldats que la Russie mobilise clandestinement ou qu’elle tente de soustraire à la campagne de conscription de printemps par le biais de contrats volontaires viendront remplacer les pertes et arriveront en grand nombre. Les Russes auront alors reconstitué certaines des unités tombées lors de l’offensive de printemps.

Du côté russe, à ce stade de la guerre, le facteur contraignant semble être le matériel militaire plutôt que le personnel. L’ampleur de l’offensive d’été dépendra avant tout de l’équipement dont Moscou disposera. Or, les pertes matérielles de la Russie sont considérables. Par rapport à la même période en 2023 (la Russie avait alors également mené une offensive hivernale sur Bakhmout), les pertes russes sont beaucoup plus élevées, et Moscou ne semble pas s’en inquiéter.

Bien que la capacité de la Russie à puiser dans ses réserves ait atteint son maximum, l’industrie de la défense a du mal à trouver des travailleurs. Il faut peut-être chercher du côté du soutien de la Chine pour expliquer la confiance retrouvée par les Russes en leur capacité à supporter les pertes matérielles.

5 — La défense antiaérienne est une priorité pour l’Ukraine

Le réseau défensif ukrainien s’est jusqu’à présent révélé efficace pour arrêter et ralentir les tentatives russes de percée, même contre les brigades de reconnaissance et d’assaut spécialement mises sur pied à cet effet. Toutefois, en temps de guerre, beaucoup d’éléments dépendent des performances quotidiennes des troupes, et de la chance. Ainsi, il se peut que les choses tournent mal du côté ukrainien et que les Russes parviennent à créer une brèche.

Par rapport à la même période en 2023, les pertes russes sont beaucoup plus élevées, et Moscou ne semble pas s’en inquiéter.

Gustav Gressel

Cela dit, les forces russes ne sont pas dans les meilleures conditions pour profiter d’une potentielle percée. Les unités les plus expérimentées ont été malmenées tandis que les nouvelles recrues auraient eu besoin de plus de temps pour renforcer leur cohésion et leur efficacité tactique. Les pertes ont été particulièrement lourdes parmi les jeunes officiers. Les chances d’une percée auraient été plus élevées du côté russe si Valeri Guerassimov, le chef d’état-major des forces armées russes, avait attendu davantage pour renforcer les compétences de ses troupes et n’avait pas repris les offensives à la première occasion possible.

Par ailleurs, la détérioration de la défense anti-aérienne sur les lignes de front se répercute négativement sur les Ukrainiens. Premièrement, en l’absence de systèmes de missiles Osa et Strela, les drones de reconnaissance russes volant au-dessus des canons antiaériens ont de plus en plus de liberté pour observer les lignes arrières, détecter les mouvements et les réserves ukrainiennes.

Des soldats ukrainiens de la 71e brigade Jaeger tirent un obusier M101 en direction des positions russes sur la ligne de front, près d’Avdiivka, dans la région de Donetsk, en Ukraine, le vendredi 22 mars 2024. © Efrem Lukatsky/AP/SIPA

Deuxièmement, l’absence d’avions de chasse ukrainiens permet à la Russie d’utiliser plus librement des bombes planantes, ce qui réduit la capacité de l’Ukraine à tenir ses points fortifiés et ses lignes de défense. Autour de Tchassiv Yar, les Russes ont systématiquement anéanti les défenses ukrainiennes avant d’avancer. Si la situation ne s’améliore pas, elle risque de se détériorer davantage pour l’Ukraine.

6 — Les frappes russes sur les centrales ukrainiennes posent un réel défi pour l’économie et l’industrie d’armement de Kiev

Si l’Ukraine parvient à intensifier et à maintenir son effort de frappes contre les infrastructures énergétiques russes, les finances de Moscou s’en trouveront certainement affectées. Cela améliorerait également la position politique de l’Ukraine dans le cadre d’éventuelles négociations avec la Russie, car cette dernière souhaiterait que ces attaques cessent et pourrait être disposée à en payer le prix.

Mais cet effort n’est pas soutenu par l’étranger. Il dépend uniquement des efforts déployés par l’industrie de la défense ukrainienne pour développer, produire et améliorer ces drones d’attaque. L’Ukraine a besoin de devises étrangères pour acheter les sous-composants de ces systèmes. Elle ne peut pas se contenter d’imprimer de l’argent pour soutenir son industrie de défense. Mais l’argent se fait également rare. La majeure partie du budget de la défense ukrainien est déjà consacrée aux salaires des soldats, et la mobilisation supplémentaire en préparation n’améliorera pas la situation.

Il faut peut-être chercher du côté du soutien de la Chine pour expliquer la confiance retrouvée par les Russes en leur capacité à supporter les pertes matérielles.

Gustav Gressel

Les récentes frappes russes sur le réseau énergétique de l’Ukraine — cette fois-ci, sur les centrales électriques elles-mêmes — auront un impact négatif sur l’économie du pays, en particulier sur l’industrie de l’armement. Le soudage, le découpage et tous les processus nécessaires pour construire des véhicules blindés sont des activités très énergivores. Il en va de même pour l’industrie chimique destinée aux munitions.

En raison des retards et des insuffisances des livraisons occidentales, l’Ukraine avait envisagé de produire davantage pour être autosuffisante. Tout cela est aujourd’hui remis en question, et il ne s’agit pas uniquement de savoir si l’Ukraine pourra ou non soutenir la guerre des drones.

7 — La réussite d’une contre-offensive ukrainienne dépendra de la capacité du commandement à innover sur le plan tactique

Au-delà du manque d’hommes et de munitions, la qualité des forces et des tactiques employées par l’Ukraine doivent également être améliorées — en particulier pour l’offensive. Maintenant que la loi de mobilisation a été adoptée, l’Ukraine va accueillir de nouveaux soldats. Ils doivent être formés et les unités auxquelles ils seront affectés doivent apprendre à travailler ensemble. Cela prendra du temps.

Deuxièmement, la contre-offensive de 2023 a montré que, pour briser les défenses russes, il fallait plus qu’une simple masse de soldats. Les drones à pilotage immersif contribuent à la défense des deux côtés, rendant les percées blindées presque impossibles. La formation de l’OTAN, basée sur les tactiques de la guerre froide, ne fournit pas à l’Ukraine de réponses à ce problème. Les Ukrainiens ne devront pas seulement rassembler des équipements et des munitions en vue d’une contre-offensive, ils devront aussi innover sur le plan tactique et former leurs forces à l’application de nouvelles stratégies afin de briser les défenses russes. Tout cela prend du temps.

Ensuite, ils ont d’abord besoin d’épuiser les troupes russes pour frapper à un moment où la Russie sera relativement faible. À l’automne 2022, les forces russes étaient épuisées et en surnombre, ce qui a facilité les contre-offensives ukrainiennes. Mais elles se sont consolidées au cours de l’hiver. Aujourd’hui, elles sont à nouveau en train de passer à l’offensive et elles finiront, d’un moment à l’autre, par surpasser l’armée ukrainienne. La question sera alors de savoir si l’Ukraine disposera de forces et si elle sera capable d’en faire usage.

8 — Les livraisons de F-16 ne seront pas suffisantes pour couvrir les besoins ukrainiens en matière de défense aérienne

Le déploiement de F-16 en Ukraine aura un impact important mais pas radical sur la capacité du pays à lutter contre les attaques aériennes russes. Le personnel ukrainien capable de piloter ces chasseurs se réduit progressivement, et les munitions disponibles sont par ailleurs vieillissantes et s’épuisent encore plus vite. Pour empêcher l’armée de l’air russe d’opérer dans le ciel ukrainien, Kiev a besoin de chasseurs — un besoin renforcé par la difficulté d’obtenir des missiles sol-air.

Il sera plus facile de se procurer des munitions pour les F-16 à l’Ouest, ce qui constituera l’un de leurs principaux avantages. Mais, en fin de compte, les F-16 arrivent très tard et leur nombre initial sera bien trop faible. L’Ukraine a besoin de 80 chasseurs opérationnels pour couvrir ses besoins en matière de défense et de contre-attaque aérienne. Nous sommes encore loin du compte.

Les drones à pilotage immersif contribuent à la défense des deux côtés, rendant les percées blindées presque impossibles. La formation de l’OTAN, basée sur les tactiques de la guerre froide, ne fournit pas à l’Ukraine de réponses à ce problème.

Gustav Gressel

9 — L’innovation technique seule ne permettra pas à l’Ukraine de sortir de l’impasse

Seule une combinaison de nouvelles technologies et de nouvelles tactiques pourrait permettre aux Ukrainiens de sortir de l’impasse sur le champ de bataille. La technologie évolue rapidement, mais pour le moment, elle a seulement renforcé la supériorité de la puissance de feu défensive : artillerie rapide et coordonnée par une conduite de tir informatisée, par des tirs anti-chars rapides par drone à pilotage immersif et par une reconnaissance constante par des drones.

Un militaire d’une section de reconnaissance aérienne de la 108e brigade indépendante des Forces de défense territoriale ukrainiennes transporte un drone Leleka-100 sur l’axe de Zaporijia. © Ukrinform/SIPA

Ces innovations offrent aux soldats dispersés la capacité de concentrer rapidement leur puissance de feu sur un point précis en permettant de bénéficier de l’effet de surprise – bien plus rapidement que ne le feraient des unités mécanisées. Les Russes ont essayé de contrer ces équipements par le déploiement massif de brouilleurs, mais cela n’a pas changé la donne.

Outre les brouilleurs, la défense contre les drones basée sur les lasers et les canons, la reconnaissance électronique combinée à l’intelligence artificielle pour localiser les unités de drones, les munitions rôdeuses… peuvent également jouer un rôle, mais seulement si ces éléments sont utilisés en masse et en synchronisation tactique avec les mouvements et les tirs des troupes conventionnelles.

Il est impossible de prédire quand l’innovation technique et tactique permettra de réaliser des progrès suffisants pour changer à nouveau la donne, et si l’Ukraine a la capacité de combiner les deux.

10 — Nous nous rendons compte trop tard des retards accusés par l’industrie européenne de défense

Dans un futur proche, je pense que la Russie restera sur l’offensive. Poutine semble croire qu’il peut épuiser l’Ukraine en appliquant une pression maximale. Lui et l’appareil de propagande russe semblent convaincus qu’ils peuvent remporter la victoire d’ici le début de l’année 2025. Trump et sa cote de popularité pourraient bien faire partie de cette équation, bien que je pense que les Russes soient trop optimistes — mais il ne sera toutefois pas facile de renverser la tendance.

L’industrie européenne de défense n’est pas ce qu’elle devrait être. Si l’Europe avait augmenté sa production d’équipements et de matériels qui se sont révélés cruciaux dans le conflit, la situation serait aujourd’hui différente. Mais nous ne l’avons pas fait. Je ne parle pas ici des obus d’artillerie, dont la production est relativement facile à rattraper, mais des missiles de défense aérienne, des munitions pour avions, des missiles de croisière, des véhicules de combat d’infanterie, des chars, des équipements de génie de combat et des équipements de guerre électronique.

Nous constatons aujourd’hui l’ampleur du fossé avec la Russie concernant l’artillerie, la défense aérienne, les chasseurs et les véhicules blindés de combat. Ces fossés sont plus difficiles à combler que celui de l’artillerie.

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19.04.2024 à 12:19

Israël a contre-attaqué. Quels sont les prochains scénarios d’escalade ?

Marin Saillofest

Israël a conduit dans la nuit une attaque contenue et limitée autour de la ville d’Ispahan, en Iran, et dans le sud de la Syrie. Si une telle riposte pourrait mettre fin à la séquence de confrontation ouverte entre Tel-Aviv et Téhéran depuis le 1er avril, le scénario d’une nouvelle escalade n’est pas à exclure.

John Allen Gay livre 10 clefs pour déterminer la forme qu’elle pourrait prendre.

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Texte intégral (5536 mots)

Depuis le 7 octobre, la guerre s’étend — de la traduction des doctrines iraniennes à la réalisation d’études inédites, vous avez été plusieurs millions à lire nos analyses ou à étudier nos cartes et graphiques. Aidez-nous à continuer ce travail de fond qui cherche, alors que tout s’embrase, à prendre de la hauteur. Si vous en avez les moyens, abonnez-vous au Grand Continent.

1 — Dimanche, suite à l’attaque contre Israël, l’Iran a fermé ses installations nucléaires. Téhéran craint-il une attaque ?

John Allen Gay est directeur exécutif de la John Quincy Adams Society.

L’Iran serait certainement bien avisé de considérer sérieusement la perspective d’une frappe israélienne sur ses installations nucléaires. Il n’est pas surprenant que les Iraniens prennent des précautions supplémentaires sur ces sites car la longue histoire des sabotages israéliens les invite à se méfier. 

En revanche, il semble peu probable qu’une action secrète immédiate à l’encontre d’un site nucléaire soit l’option privilégiée par les Israéliens, à l’image de l’attaque limitée conduite par Tsahal la nuit dernière. En effet, s’ils avaient créé une situation dans laquelle les Israéliens allaient exercer des représailles à très grande échelle, cela aurait, je pense, augmenté les chances d’une attaque immédiate contre le programme nucléaire iranien. Mais cela n’a pas été le cas. 

Dans ce contexte, il est assez naturel que les Iraniens ferment ces sites. Toutefois, un arrêt complet d’un site semble très difficile à mettre en œuvre, notamment s’il faut enlever et déplacer les centrifugeuses. Il s’agissait probablement avant tout de mises à l’arrêt visant à protéger le personnel, car le véritable défi pour les Israéliens, s’ils devaient mener une attaque, n’est pas de détruire la machinerie physique du programme nucléaire iranien, mais les connaissances acquises.

2 — Quels sont les sites nucléaires iraniens qu’Israël pourrait cibler ?

Le programme nucléaire iranien comporte plusieurs sites essentiels à la fabrication d’une arme. La carte ci-dessous en présente les principaux : Natanz, Fordo, Arak et Ispahan.

Pour fabriquer une bombe nucléaire, il faut extraire de l’uranium du sol, le soumettre à des processus chimiques pour le rendre prêt à être enrichi, l’enrichir jusqu’à ce qu’il puisse être utilisé comme arme, puis transformer l’uranium de qualité militaire en une bombe. Il faut également un moyen de transporter la bombe.

Ispahan dispose d’une installation de conversion de l’uranium (UCF) qui transforme l’uranium en hexafluorure d’uranium, une substance beaucoup plus facile à travailler pour l’enrichissement. Cette installation est une cible assez facile : il s’agit d’une usine qui pourrait être mise hors d’état de fonctionnement avec quelques bombes seulement.

Natanz et Fordo sont des usines d’enrichissement. Elles prennent l’hexafluorure d’uranium sous forme gazeuse et le placent dans des centrifugeuses qui font tourner l’uranium suffisamment vite pour séparer les isotopes et l’enrichir. 

La photo ci-dessous montre quelques centrifugeuses iraniennes lors d’une exposition, probablement le modèle de base IR-1. Il s’agit d’un équipement de précision : le gaz d’hexafluorure d’uranium s’y déplace à des vitesses extrêmement élevées. Il en faut également beaucoup, car l’uranium naturel contient moins de 1 % de l’isotope recherché, et chaque étape de l’enrichissement n’augmente que de façon limitée ce pourcentage. 

Mehr News Agency/Majid Asgaripour, CC BY SA 4.0

Natanz dispose de deux halls principaux pour l’enrichissement. C’est une cible plus délicate. Les Iraniens y ont creusé de grands trous dans le sol, construit les centres d’enrichissement, puis les ont enterrés. Il faut donc des bombes capables d’atteindre ces grandes cavités. 

Le site de Fordo est encore plus difficile d’accès, car il se trouve dans un tunnel situé à l’intérieur d’une montagne. Les images satellites disponibles ne permettent d’en voir que quelques entrées. Un petit hall d’enrichissement se trouve au plus profond de la montagne.

Le site d’Arak héberge un réacteur au plutonium. Le plutonium est une autre voie d’accès à la bombe. Nous ne savons pas à quel point il serait une cible prioritaire, mais il n’est probablement pas aussi difficile à atteindre. Le principal avantage du plutonium est qu’il n’est pas nécessaire d’en utiliser autant que l’uranium, ce qui permet de réduire la taille de l’ogive et donc de l’intégrer dans des missiles.

Il existe quelques installations secondaires, comme le réacteur de recherche de Téhéran et le réacteur de puissance de Bouchehr. Mais c’est Natanz/Fordo/Arak/Ispahan qu’il faut frapper si l’on veut faire reculer le programme nucléaire iranien.

3 — Quels seraient les vecteurs d’une telle attaque israélienne ?

L’armée de l’air israélienne serait de loin le principal acteur de l’attaque. Deux avions seraient au cœur d’une telle opération : le F-16I Sufa (ci-dessous) et le F-15I Ra’am (en dessous du F16). Il s’agit de deux modèles dérivés des F-16 et F-15E américains.

Ces appareils sont tous deux spécialisés dans les frappes à longue distance. Sur les deux photos, on peut voir qu’ils transportent des grands réservoirs de carburant gris et qu’ils sont équipés de réservoirs de carburant fixés sur le côté de leur fuselage.

D’autres avions joueraient un rôle de soutien. Il y en a deux principaux : les ravitailleurs israéliens dérivés du Boeing 707 (ci-dessous) et les chasseurs F-35I (encore en-dessous).

Les 707 fournissent du carburant supplémentaire aux avions de combat, ce qui leur permet d’aller plus loin en transportant plus et, si nécessaire, de brûler beaucoup de carburant pour voler très vite ou effectuer des manœuvres, ce qui s’avère nécessaire lorsque l’on est confronté à des chasseurs ou des défenses aériennes ennemies. Les F-35I sont furtifs : ils sont invisibles, ou du moins difficilement visibles pour les radars ennemis. Ils sont également dotés de systèmes électroniques et de communication avancés qui leur permettent de recueillir des informations et de les transmettre à d’autres aéronefs pour qu’ils les exploitent. Leur principale limite est qu’ils ne peuvent pas transporter d’objets. 

IDF/CC BY 2.0

De nombreux autres aéronefs seraient également utilisés. Il y aurait probablement un certain nombre de F-15 et de F-16 chargés de protéger les avions de chasse, des drones pour distraire les défenses aériennes, surveiller les cibles et évaluer les dégâts causés par les bombes, ainsi que des avions radars pour dresser un tableau de l’ensemble de l’espace aérien et guider les chasseurs dans leur lutte contre les menaces. D’autres avions ou hélicoptères pourraient également être déployés pour aider à sauver les pilotes abattus. Mais les avions de chasse constituent le noyau ; tout le reste est construit autour d’eux.

IAF, CC BY-SA 4.0

L’arme principale serait la GBU-28, la bombe israélienne la plus sophistiquée, connue sous le nom de « bunker buster » (dédiée à détruire des cibles enterrées en profondeur). Ces bombes sont énormes : elles pèsent environ deux tonnes et mesurent près de 6 mètres de long. C’est une bombe capable de s’enfoncer profondément dans le sol et de traverser du béton à haute résistance.

L’énorme taille des bombes limite le nombre que les avions peuvent transporter, d’autant plus qu’ils devront transporter beaucoup de carburant supplémentaire pour se rendre en Iran. D’après mes calculs, le mieux que l’on puisse faire est d’en placer 2 sur un F-15I et peut-être 2 — probablement 1 — sur un F-16I. Aux dernières nouvelles, les Israéliens disposaient de 25 F-15I et, je crois, d’environ 50 F-16I. Il est également possible que les Israéliens aient modifié certains de leurs nombreux autres F-16 et F-15 pour être en mesure de faire le voyage.

D’autres avions ou hélicoptères pourraient également être déployés pour aider à sauver les pilotes abattus. Mais les avions de chasse constituent le noyau ; tout le reste est construit autour d’eux.

John Allen Gay

C’est à Natanz et à Fordo que le nombre limité de munitions risque de poser problème. Natanz est grand, donc pour être sûr d’atteindre le site, il faut que les bombes frappent dans tous les halls de centrifugeuses, et éventuellement larguer plusieurs bombes sur chaque point de visée. En outre, les centrifugeuses sont des équipements de précision dotés d’une tuyauterie très complexe… et elles sont chargées d’hexafluorure d’uranium, qui n’est pas seulement radioactif, mais aussi hautement toxique.

Fordo étant de plus petite taille, il suffirait de quelques bombes pour pénétrer dans le hall d’enrichissement. Mais le problème est de les y faire entrer : elles doivent traverser une grande épaisseur de roches, de terre et de béton. Il semblerait que le guidage de précision pourrait permettre de larguer une série de bombes successivement sur un point de visée, en creusant des tunnels de plus en plus profonds, mais cela semble assez complexe et risqué. Par exemple,dans quelle mesure les débris dans le « tunnel » créé par la première explosion gêneront-ils les bombes suivantes ? Il a également été question d’effectuer un raid commando sur ce site, mais la capacité d’Israël à effectuer ce genre d’opérations à longue distance et à grande échelle est beaucoup plus limitée. De plus, il s’agit de sites hautement fortifiés qui sont désormais en état d’alerte maximale.

Il faut donc larguer beaucoup de bombes et le nombre d’avions capables de le faire est limité. C’est là que l’Iran peut avoir un impact : la marge de manœuvre devient très étroite si l’on perd quelques appareils ou si l’on empêche certaines munitions d’atteindre leur cible. Compte tenu des portées et des charges extrêmes, l’Iran pourrait être en mesure de mettre certains avions hors de combat simplement en les harcelant, ce qui les obligerait à accélérer, à prendre de l’altitude, et à brûler un surplus de carburant pour survivre.

4 — Quel est le niveau de capacité des systèmes de défense anti aérienne iranien ? À quel point est-il possible de voler des centaines de kilomètres sur le territoire iranien sans essuyer de pertes ?

Ce serait une opération très difficile. Les défenses aériennes de l’Iran constituent principalement une menace en termes de harcèlement de l’opération israélienne, sans pour autant être capable d’abattre complètement les avions de chasse israéliens. 

Il est possible de faire face à cette situation pour Israël. D’une part, tous les avions qui opéreraient en Iran sont capables de combattre en vol. Il s’agit d’appareils très performants, dotés d’une électronique de pointe qui leur donnerait une capacité considérable à se protéger contre certaines défenses aériennes iraniennes. Je note qu’Israël n’a pas perdu beaucoup d’appareils dans ses campagnes de frappes en Syrie. Par ailleurs, une grande partie des systèmes iraniens antiaériens sont d’origine russe. Or, les performances de ces systèmes en Ukraine, même s’ils sont plus avancés que ceux dont disposent les Iraniens, n’ont pas été très bonnes ou du moins pas aussi impressionnantes que ce que l’on pensait avant la guerre.

La principale difficulté me semble donc être la planification d’une telle opération. Lorsque les avions de combat se défendent contre les défenses aériennes — et si leur électronique ou autres méthodes de défense ne fonctionnent pas —, ils sont contraints de voler d’une manière très agressive : changement de direction, d’altitude, accélération… Tout cela entraîne une consommation plus élevée de carburant, qui est une contrainte majeure. S’ils veulent rendre ces manœuvres aussi dynamiques que possible, ils voudront se débarrasser de tout ce qu’ils transportent de lourd, comme les bombes ou les réservoirs de carburant, afin de permettre à l’avion de s’échapper, ce qui mettrait en péril l’opération. 

5 — Pourquoi Israël ne recourrait-pas plutôt à des tactiques déjà éprouvées, et des actions plus clandestines, comme l’utilisation d’un virus informatique comme Stuxnet, ou l’assassinat ciblé de scientifiques iraniens ?

C’est aux Israéliens de décider ce qui est dans leur intérêt national. En tant qu’Américain, je suis mal placé pour dire quelle serait la ligne de conduite la plus sage pour eux. Mais il y a certainement plus de risques, militairement et politiquement, et de conséquences négatives à mener une attaque ouverte à grande échelle sur le programme nucléaire iranien. En revanche, dans le cas d’une action secrète à plus petite échelle, si de nombreux acteurs occidentaux pourraient s’inquiéter, ils ne seraient pas aussi préoccupés. 

En outre, sur le plan opérationnel, une opération clandestine ne comporte pas le même risque de désastre militaire. Pour les Israéliens, la pire des situations serait qu’un pilote soit capturé par exemple.

Toutefois, Israël pense aussi à un autre type de risque, à savoir le risque que l’Iran se dote d’une arme nucléaire. Or, alors que tout le monde dans la région analyse la signification de l’attaque iranienne du 13-14 avril, on peut se demander dans quelle mesure l’Iran a encore confiance dans ses capacités de dissuasion conventionnelles. Car si l’Iran a perdu confiance dans sa dissuasion conventionnelle, cela pourrait pousser Téhéran à se doter d’une dissuasion nucléaire. Les risques restent donc réels et accrus depuis l’opération iranienne.

Il y a certainement plus de risques, militairement et politiquement, et de conséquences négatives à mener une attaque ouverte à grande échelle sur le programme nucléaire iranien.

John Allen Gay

6 — Quels pourraient être les bénéfices et les risques d’une telle attaque pour Israël ? 

La vraie question est de savoir ce que l’attaque accomplit, même si elle réussit à détruire tous les sites nucléaires. Il pourrait également y avoir des sites nucléaires inconnus, bien que les nombreux assassinats et actions de sabotage israéliens très médiatisés contre le programme nucléaire iranien suggèrent qu’ils ont une bonne connaissance de la réalité de celui-ci.

La guerre n’est pas un problème d’ingénierie ni de mathématiques. Elle vise, comme nous l’a dit Clausewitz, à faire en sorte que l’ennemi se plie à notre volonté. La destruction de ces capacités nucléaires y contribuerait à court terme, mais elles pourraient être reconstruites. Il sera plus difficile pour Israël de tuer les connaissances qui sous-tendent le programme nucléaire. Une telle attaque pourrait conduire à une situation similaire dans quelques années. 

Les Israéliens pourraient créer une situation qui leur serait défavorable à moyen terme. Les Iraniens ne déclareront probablement pas leurs nouveaux sites nucléaires. En effet, Natanz et Fordo étaient à l’origine des sites secrets, avant d’être révélés par les services de renseignement occidentaux. 

De plus, la Russie et la Chine auraient la possibilité de fournir à l’Iran de nouvelles technologies défensives susceptibles de rendre de nouvelles attaques plus difficiles. Moscou a attendu des années avant de fournir des missiles antiaériens S-300 à Téhéran et dispose de systèmes beaucoup plus avancés que la Russie pourrait fournir à l’avenir.

7 — Une attaque contre des sites nucléaires ne représenterait-elle pas un risque majeur de radiation en Iran et dans la région, et ainsi nuire à la réputation d’Israël ?

Je laisse aux experts nucléaires le soin d’en décrire les conséquences exactes qu’une telle attaque pourrait avoir. Cela amplifierait de façon certaine les conséquences politiques pour les Israéliens. Le monde entier sait ce qu’est Tchernobyl, et il y aurait donc, je pense, un mécontentement immédiat dans de nombreux pays voisins en cas d’émission importante de radiations. À plus long terme, je pense qu’il y aurait également un coût politique de réputation pour les Israéliens en raison des conséquences pour les personnes vivant dans ces zones d’exposition aux radiations. La République islamique s’assurerait probablement que ces cas soient rendus publics et médiatisés. 

Mais encore une fois, les Israéliens doivent considérer les deux côtés de l’équation. Il y a également des risques pour eux à permettre la poursuite de l’avancée du programme nucléaire iranien. 

8 — Quelle serait la réaction des alliés d’Israël à une telle attaque ? Dans la mesure où les Français, les Britanniques et les Américains ont contribué à la défense d’Israël, Israël n’est-il pas désormais tenu de prendre en compte leur avis dans les suites de cette escalade ? 

On peut considérer cyniquement que l’aide de ces partenaires a pu être en partie motivée par le fait qu’il est plus difficile d’ignorer les demandes de retenue émanant de partenaires qui viennent de vous aider à vous défendre. Dans l’histoire d’Israël, il est très rare que le pays ait bénéficié directement de l’utilisation de la force armée par d’autres pays pour sa défense. Ce sera donc certainement un facteur dans leur prise de décision. 

Toutefois, le gouvernement israélien va continuer à regarder les images que nous avons tous vues à la télévision samedi soir de missiles passant au-dessus de leurs villes, et considérer qu’ils ne peuvent pas laisser de telles attaques sans réponse.

En ce qui concerne la réaction des États-Unis et le risque d’une crise plus profonde dans les relations entre les pays, en dépit des tensions des deux derniers mois, je ne pense pas que Joe Biden cherche à provoquer une crise politique avec Israël à l’approche des élections. Ils risquent plutôt de favoriser une riposte de nature désescalatoire. 

9 — Une réponse israélienne sur le territoire d’autres pays que l’Iran est-elle envisageable ?

Il a été dit qu’ils envisageaient de frapper des sites en Syrie. Il s’agirait en quelque sorte d’une option de désescalade par rapport aux autres, car il est tout à fait habituel pour les Israéliens de mener des frappes sur ces cibles en Syrie. Ils l’ont fait littéralement des centaines de fois. Il pourrait s’agir de frappes d’une ampleur nouvelle, afin que l’armée israélienne puisse dire à sa population que, face à un changement de comportement iranien, Israël a également changé de comportement. 

Dans l’histoire d’Israël, il est très rare que le pays ait bénéficié directement de l’utilisation de la force armée par d’autres pays pour sa défense. Ce sera donc certainement un facteur dans leur prise de décision. 

John Allen Gay

Les Iraniens sont en train d’essayer de définir une nouvelle ligne rouge, à savoir qu’ils réagiront chaque fois que leur personnel, leur territoire ou leurs intérêts seront pris pour cible. C’est ce qu’ont déclaré plusieurs responsables iraniens. Les Israéliens ont déclaré à leur tour qu’ils n’accepteraient pas cette nouvelle ligne rouge. 

Cette attaque va ainsi conduire à des négociations portant sur la définition même de ces lignes rouges. Cela peut s’avérer très dangereux, même si aucune des deux parties ne souhaite que cela débouche sur une guerre. La tentative de redéfinition des lignes rouges en l’absence de relations diplomatiques — et qui plus est dans une situation de fortes tensions — est très dangereuse. Il ne s’agit pas d’un processus rationnel que les deux parties contrôlent.

10 — Quelles sont les options dont disposent les Iraniens en cas d’attaque pour monter d’un cran dans l’escalade ? Les militaires iraniens disent que l’attaque du 13-14 avril était limitée et qu’elle aurait pu être beaucoup plus importante.

Le défi pour les Israéliens et pour les autres acteurs qui se sont associés à eux est de quantifier le nombre d’intercepteurs de missiles balistiques dont ils disposent et de déterminer à quelle vitesse ils peuvent les recharger pour être prêts à être utilisés à nouveau. 

Ils ont certainement utilisé un grand nombre de ces systèmes lors de cette attaque. Or, ces derniers sont très coûteux car ils doivent être en mesure d’aller dans l’espace et atteindre une cible qui se déplace rapidement. Une telle opération est très complexe, et donc très coûteuse. Généralement, lorsqu’une arme coûte cher, on l’achète en quantité limitée. Je pense donc qu’à un moment ou à un autre, la question de la profondeur des réserves de défense antiaérienne israélienne se posera. 

Par ailleurs, les attaques que nous avons vues le week-end dernier en disent très peu sur la capacité d’Israël à se défendre contre le Hezbollah, qui se trouve juste à côté d’Israël. Une attaque du Hezbollah ne permettrait pas d’avoir plusieurs heures pour se préparer à l’arrivée de projectiles. 

Il y a lieu de se demander si le Hezbollah se suiciderait au nom de l’Iran en entrant dans une guerre totale avec Israël qu’il pourrait autrement éviter. Mais l’organisation représente toujours une énorme menace pour Israël. Je pense qu’à bien des égards, il représente une menace plus importante que la menace iranienne car il peut lancer un très grand nombre de roquettes et de missiles contre le sol israélien beaucoup plus rapidement

Face à cette situation, les Israéliens ont prévenu depuis de très nombreuses années que, dans le cas d’une attaque massive, ils riposteraient très rapidement, très agressivement, en acceptant de prendre le risque de faire des victimes civiles et de détruire des infrastructures au Liban. Une telle guerre sur le sol libanais pourrait faire passer celle de Gaza pour une plaisanterie en termes de dévastation. Les destructions pourraient être colossales. Il s’agit de la possibilité la plus préoccupante. 

Je pense donc qu’à un moment ou à un autre, la question de la profondeur des réserves de défense antiaérienne israélienne se posera.

John Allen Gay

Enfin, les Iraniens disposent d’autres options que le Hezbollah. Si la guerre dégénère, ils pourraient tenter d’exercer une pression sur le passage du pétrole dans le détroit d’Ormuz, en dirigeant des missiles balistiques vers le sud, vers les Saoudiens, les Émiratis et les Bahreïnis en particulier, contre certaines infrastructures pétrolières essentielles de la région, comme cela avait été le cas il y a plusieurs années. Une telle opération serait la plus lourde de conséquences au niveau international. Ils pourraient également activer des proxies en Irak et en Syrie pour mener certaines de ces frappes, que ce soit les milices irakiennes, qui pourraient également mener des frappes sur l’Arabie saoudite, ou les Houthis. 

Enfin, la dernière option serait de poursuivre l’embrasement à l’échelle mondiale. Historiquement, le Hezbollah et l’Iran sont connus pour mener des actions de représailles contre, par exemple, l’ambassade d’Israël en Argentine en 1992 ou contre le centre communautaire juif de Buenos Aires en 1994. Des agents ont été pris en flagrant délit de repérage de toutes sortes de sites israéliens ou juifs dans le monde entier. En représailles des assassinats de scientifiques nucléaires en 2010, les Iraniens avaient pris pour cible, en 2011, des diplomates israéliens en Géorgie et en Inde, et avaient tenté un attentat qui a échoué en Thaïlande. Ils sont donc capables d’agir à l’échelle mondiale, notamment dans les pays moins développés qui ne disposent pas de services de sécurité parmi les plus efficaces. C’est un autre terrain sur lequel la guerre actuelle pourrait s’étendre. 

L’article Israël a contre-attaqué. Quels sont les prochains scénarios d’escalade ? est apparu en premier sur Le Grand Continent.

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