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01.10.2025 à 11:02

Comment financer la défense de l’Europe ? Une conversation avec Jens Stoltenberg et Andrzej Domanski

Matheo Malik

Ancien Secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg est aujourd’hui ministre des Finances de la Norvège.

Avec son homologue polonais ils partagent un point de vue en dissonnance avec les aspirations d’une grande partie de l’opinion publique européenne : pour eux, l’Union doit continuer à acheter américain.

À Varsovie, nous leur avons demandé pourquoi.

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Texte intégral (4347 mots)

Cet échange est la transcription éditorialisée d’un panel dans le cadre du Warsaw Security Forum, dont la revue est partenaire.

La question de l’utilisation des actifs gelés de la Russie est au cœur du débat européen ces jours-ci. Le chancelier allemand Friedrich Merz a suggéré dans les pages du Financial Times qu’ils devraient être utilisés au titre d’un « prêt de réparation ». Êtes-vous d’accord avec cette proposition ?

ANDRZEJ DOMANSKI Depuis le début de la guerre, la position de la Pologne a toujours été très claire : c’est l’agresseur qui doit payer. Donc oui, la Russie doit payer.

Nous disposons de milliards d’actifs russes gelés et il est de notre devoir de les utiliser pour reconstruire l’Ukraine.

Si certains pays ont pu avancer des arguments contre cette idée, il semble désormais que la Commission européenne ait réussi à proposer une solution qui permettra à la fois d’utiliser ces actifs pour l’Ukraine dès maintenant et de dissiper toute difficulté juridique concernant leur régime. 

L’argent et la question du financement jouent-ils désormais un rôle aussi important que la dimension militaire dans la guerre et la défense de l’Europe ?

JENS STOLTENBERG La défense et les finances sont étroitement liées pour plusieurs raisons.

D’abord, parce qu’une économie dynamique et forte est une condition préalable à la sécurité et à la sûreté des sociétés : historiquement, l’OTAN n’a pas gagné la guerre froide par des victoires militaires sur les champs de bataille mais parce que nos économies étaient plus fortes et plus compétitives que celle de l’Union soviétique. C’est parce qu’elle ne pouvait pas se permettre de poursuivre la Guerre froide que l’Union soviétique a été dissoute. Face au Pacte de Varsovie, l’OTAN l’a emporté car elle était de fait composée d’économies plus fortes.

Dans le même temps, les instruments économiques sont utilisés aujourd’hui pour contraindre les pays de l’OTAN.

À long terme, s’endetter n’est pas viable : une économie forte et une croissance élevée sont le moyen de financer une défense solide.

Jens Stoltenberg

L’exemple le plus flagrant est la manière dont la Russie arsenalise le gaz dans le cadre de son invasion à grande échelle de l’Ukraine — nous devons d’ailleurs à tout prix éviter de nous mettre dans la même situation avec la Chine en devenant trop vulnérables et dépendants des minéraux critiques ou de la technologie chinoise. L’économie est donc d’abord importante pour ne pas devenir une cible d’acteurs coercitifs.

Enfin, avoir une économie forte est nécessaire pour financer la défense.

Nous venons de discuter avec le ministre Domanski du défi que représentent les dépenses de plus en plus importantes des alliés de l’OTAN en matière d’intérêts sur la dette par rapport à celles consacrées à la défense.

À long terme, s’endetter n’est pas viable : une économie forte et une croissance élevée sont le seul moyen de financer une défense solide.

Les ministres des Finances jouent donc un rôle de plus en plus important dans ce domaine. 

Maria Tadeo, Andrzej Domanski et Jens Stoltenberg au Warsaw Security Forum le 30 septembre 2025.

Pensez-vous qu’il faille faire peser le poids du financement de la défense sur des budgets nationaux déjà très contraints — ou est-il temps d’ouvrir une discussion sur l’endettement commun ? 

ANDRZEJ DOMANSKI La sécurité étant un bien commun, notre réponse doit être commune.

Nous sommes heureux que la Pologne en soit d’ailleurs bénéficiaire — puisque l’Union lui prêtera jusqu’à 43 milliards d’euros pour sa défense.

Il faut ensuite financer celle-ci à partir du budget national.

C’est la raison pour laquelle nous demandons à nos amis européens de dépenser davantage pour la défense. Pays par pays, c’est ce qui est en train de se produire. 

En ce qui concerne les emprunts communs, il nous faudra un consensus. Or certains pays importants en Europe y sont fermement opposés.

Pour l’instant, l’Allemagne n’y est pas prête.

C’est vrai. Cela dit, notre devoir est d’y réfléchir encore et de plaider en faveur de cette solution. Telle est notre position.

Lorsque nous examinons le nouveau budget de l’Union, nous constatons que les dépenses consacrées aux technologies à usage dual — et à la défense au sens large — augmentent. Nous voyons bien que la Commission européenne partage notre position et, grâce aux discussions que nous menons avec elle, nous sommes vraiment optimistes quant à l’avenir. 

Nous sommes heureux que de plus en plus de partenaires européens déclarent qu’ils augmenteront leurs dépenses aux États-Unis.

Andrzej Domanski

Pendant la présidence tournante de la Pologne, vous avez réussi à faire accepter l’idée qu’il devrait y avoir une exception à la règle européenne limitant à  3 % du PIB le déficit des États membres. Le Premier ministre grec a déclaré récemment que la question de la dette commune était un sujet délicat mais qu’il lui semblait qu’une telle mutualisation faisait de plus en plus consensus. Est-ce également votre sentiment ?

En ce qui concerne les règles budgétaires de l’Union, nous sommes tout d’abord sensibles à l’existence d’une clause dérogatoire qui nous permet de dépenser davantage. Cela étant dit, la dette est la dette et le déficit est le déficit. Un jour ou l’autre, l’argent emprunté devra être remboursé. Il y a donc, bien sûr, des limites à ces instruments.

En ce qui concerne les achats groupés, nous sommes fiers du montant que nous dépensons pour la défense, près de 5 % de notre PIB. Mais la manière dont nous dépensons cet argent est peut-être encore plus importante. Cela contribue-t-il à renforcer l’économie européenne ? Pour moi, il est essentiel que chaque zloty et chaque euro soient dépensés de manière à créer des emplois en Pologne et dans l’Union. 

Il ne s’agit pas seulement d’une question économique. Il en va de la sécurité à long terme de notre continent.

Vous êtes ministre d’un pays européen qui n’est pas membre de l’Union. Partagez-vous l’idée que la défense européenne devrait dépasser le cadre de l’Union pour s’étendre à tout le continent ?

JENS STOLTENBERG Je pense que l’Union a un rôle très important à jouer pour aider à renforcer l’industrie européenne de la défense.

La fragmentation de cette industrie est en effet un obstacle majeur à la réduction des coûts et à l’utilisation des économies d’échelle, ainsi qu’à l’innovation et à l’augmentation des dépenses de défense parmi les alliés européens. 

Mais l’Europe ne se limite pas à l’Union. Celle-ci compte environ 450 millions d’habitants ; les pays européens membres de l’OTAN 600 millions. S’il y a ainsi plus d’Européens dans l’Europe que dans l’Union, c’est parce que s’y ajoutent  des pays comme le Royaume-Uni, la Turquie, la Norvège et d’autres.

L’Union est très importante ; je suis favorable à l’intégration de mon pays — j’ai d’ailleurs tenté de convaincre les Norvégiens de la rejoindre lors d’un grand référendum en 1994, que j’ai perdu — mais l’Union ne peut pas remplacer l’OTAN pour assurer la sécurité du continent. D’une part parce qu’il y a plus d’Européens dans l’OTAN que dans l’Union européenne, mais aussi parce que, si l’on examine les dépenses totales de défense de l’OTAN, 80 % proviennent d’alliés non membres de l’Union — des États-Unis, du Canada, du Royaume-Uni et d’autres pays. 

Troisièmement, si l’on considère la géographie, il faut compter avec la Turquie, qui joue un rôle essentiel pour le flanc sud dans la lutte contre le terrorisme — une dimension clef pour la sécurité de l’Union ; il faut aussi pouvoir compter, au Nord, avec des pays comme la Norvège et l’Islande. Malgré leurs tailles, ils sont extrêmement importants pour le lien transatlantique et pour protéger l’Atlantique Nord. À l’ouest, vous avez bien sûr les États-Unis, le Canada et le Royaume-Uni.

L’Union est donc clef — mais ne nous y trompons pas : le format pertinent pour protéger l’Europe, c’est l’OTAN.

Il y a plus d’Européens dans l’OTAN que dans l’Union européenne.

Jens Stoltenberg

L’Union a ouvert le programme SAFE à certains pays comme la Norvège. Pensez-vous qu’elle devrait étendre cette possibilité aussi à d’autres programmes ?

Je pense que la meilleure façon de s’intégrer à l’Union est d’y adhérer.

Mais nous sommes dans des démocraties : ce sont les citoyens qui décident. Au Royaume-Uni, ils n’étaient pas d’accord avec la présence du pays dans l’Union ; ils ont voté pour la sortie.

La Norvège est le seul pays au monde à avoir négocié un traité d’adhésion avec l’Union non pas une, mais deux fois, en 1972 et en 1994 ; à deux reprises, les Norvégiens l’ont rejeté. J’ai été lors de ces deux occasions du côté des perdants. 

Je suis favorable à une forme d’élargissement, mais la vraie question est de convaincre le peuple norvégien, le peuple britannique et tous ceux qui ne sont pas encore convaincus.  À ce stade, nous devons simplement accepter le fait que certains grands pays européens comme la Norvège, l’Islande et le Royaume-Uni resteront en dehors de l’Union, que cela nous plaise ou non.

Partant, il faut trouver des moyens de travailler ensemble.

De nombreux programmes de l’Union sont ouverts et intègrent de nombreux pays extérieurs ; je crains pourtant que la multiplication de nouveaux programmes ne crée de nouvelles barrières entre les membres de l’Union et les membres de l’OTAN n’appartenant pas à l’Union. Ce n’est pas une bonne chose. Car il faut exploiter pleinement le potentiel d’une économie transatlantique, pour la rendre dynamique et prospère.

C’est aussi pourquoi je suis préoccupé tant par les droits de douane que les États-Unis imposent aux produits européens que par toute nouvelle mesure prise par l’Union qui pourrait créer de nouvelles barrières entre celle-ci et les alliés de l’OTAN qui n’en sont pas membres.

La libre concurrence, l’innovation et l’industrie de défense renforceront nos économies.

Serait-ce une erreur de ne pas permettre aux États non membres de l’Union de participer à ces programmes dans la même mesure que les États membres ? 

Je le pense. Il y aura toujours des différences entre les membres de l’Union et les pays non membres — par exemple en ce qui concerne certains processus décisionnels. Je comprends également qu’il existe certains défis en matière de financement conjoint.

Je ne dis pas qu’il devrait y avoir une égalité totale, mais nous devrions examiner les détails de certains de ces programmes plutôt que de créer de nouvelles barrières à l’entrée. Ce serait préjudiciable pour les deux parties alors nous devons travailler ensemble. Nous avons gagné la Guerre froide parce que nous croyions au libre-échange et à l’ouverture des économies : nous ne devrions pas aujourd’hui fermer nos économies, car cela nuirait à la compétitivité de l’industrie de la défense, mais aussi de l’industrie en général. 

En Islande, le débat sur l’adhésion à l’Union a bougé. Pensez-vous qu’une telle dynamique soit possible en Norvège ?

Notre nouveau gouvernement a clairement indiqué qu’il souhaitait organiser un référendum sur l’adhésion à l’Union.

En tant que fervent partisan et défenseur de celle-ci, je me réjouirais si mon pays s’engage sur cette voie. Vouloir organiser un référendum est une chose, le remporter et négocier une adhésion viable en est une autre.

L’Espace économique européen regroupe trois pays avec ceux de l’Union : la Norvège, l’Islande et le Liechtenstein. Ceux-ci sont aussi membres de l’AELE, qui est pleinement intégrée au marché intérieur européen : toutes ses directives et réglementations s’appliquent à nous.

J’aurais préféré que nous soyons membres à part entière de l’Union. Mais l’AELE est la seule institution internationale où la Norvège est une superpuissance.

Si nous étions un État membre de l’Union, tout serait beaucoup plus simple. En matière commerciale par exemple, ce serait une très bonne chose que la Norvège soit présente à la table des négociations.

Andrzej Domanski, de nombreuses entreprises du secteur en Europe estiment qu’il faudrait mettre en place une préférence européenne. Êtes-vous d’accord ?

ANDRZEJ DOMANSKI La Pologne se trouve dans une situation très particulière : c’est maintenant que nous avons besoin d’équipements.

Nous ne sommes pas prêts à attendre dix à quinze ans pour que l’industrie européenne de la défense se développe complètement.

Cela dit, la création et la mise en place d’une industrie de la défense polonaise forte — comme d’une industrie européenne forte — est notre priorité absolue.

C’est pourquoi, dans le cadre du programme SAFE, ce sont les achats européens et les achats groupés qui sont privilégiés ; les achats groupés permettent de faire baisser les prix moyens.

Il nous est urgent d’acheter aujourd’hui un grand nombre d’équipements.

L’AELE est la seule institution internationale où la Norvège est une superpuissance.

Jens Stoltenberg

À ce stade, vous vous souciez donc davantage de la rapidité de livraison que de l’origine de l’arme. 

Nous avons besoin des deux.

La Pologne occupe une position géographique très particulière, nous ne pouvons donc pas attendre. 

Bien sûr, en tant que ministre des Finances de la Pologne, je préfère acheter des produits polonais et je souhaite renforcer l’économie européenne, avec laquelle nous entretenons des relations économiques étroites ;  mais nous avons besoin d’équipements dès maintenant. 

À Varsovie, le 30 septembre 2025.

Jens Stoltenberg, votre pays se trouve à cet égard dans une situation particulière. Vous disposez d’un fonds souverain très important — qui rapporte énormément d’argent. Pensez-vous que ce fonds pourrait jouer un rôle plus important ?

JENS STOLTENBERG Nous ne sommes pas un fonds stratégique qui investit dans de grandes entreprises mais un petit fonds qui investit dans 8 000 à 9 000 entreprises à travers le monde. C’est une façon de minimiser les risques tout en maximisant les rendements ; cela reste notre stratégie.

Cela étant dit, le Fonds génère des revenus pour l’État norvégien et nous ne dépensons pas la mise de fonds initiale — uniquement les rendements financiers que nous en tirons.

C’est là toute la beauté du fonds souverain norvégien. 

Ce rendement permet à la Norvège d’investir dans de nombreux domaines, comme la défense.

Nous consacrons désormais plus de 3 % de notre PIB à celle-ci surtout grâce au rendement du fonds souverain. 

Pratiquement aucun autre pays au monde n’apporte un soutien plus important à l’Ukraine si l’on raisonne en termes de PIB par habitant : le budget norvégien consacre 7 milliards d’euros à l’aide à l’Ukraine.

La défense de la Pologne, c’est un investissement sûr.

Andrzej Domanski

La Norvège est aujourd’hui le seul pays au monde — à l’exception du Luxembourg — à consacrer plus de 1 % de son PIB à l’aide au développement. Le fonds nous permet d’investir et nous continuerons à le faire.

Si vous voulez dépenser davantage grâce aux revenus du fonds, vous devez soit réduire d’autres dépenses, comme celles consacrées à la santé, ce qui est difficile, soit emprunter, ce qui est dangereux à long terme, soit augmenter les impôts.

Je ne donne pas de conseils, mais en Norvège, nous avons des impôts plus élevés que la plupart des pays européens, bien que nous tirions des revenus du pétrole et du gaz.

C’est pourquoi nous avons ce fonds. Nous avons maintenu des impôts élevés, économisé l’argent provenant des activités pétrolières et gazières, et nous pouvons maintenant utiliser ces revenus. Ce n’est pas le fruit du hasard, mais d’une décision qui nous a permis d’économiser en maintenant des impôts élevés. Je ne dis pas que c’est facile, mais c’est possible. 

Pour poursuivre sur le thème du retour sur investissement, lors du sommet de l’OTAN, tous les Alliés ont convenu de porter à 5 % de leur PIB leurs dépenses en matière de défense. Lors de ce sommet — organisé sur mesure pour les États-Unis — toutes leurs conditions ont été acceptées. Pensez-vous que les États-Unis viendront réellement au secours de l’Europe si cela s’avère nécessaire et s’ils sont engagés envers l’OTAN ? Était-ce un bon investissement de votre part ?

ANDRZEJ DOMANSKI Les États-Unis sont notre allié le plus puissant et le plus proche. 

Cet investissement dans la sécurité est très rentable. 

 Les États-Unis sont donc pour vous le principal partenaire en matière de défense.

Comme je l’ai dit, nous avons besoin de capacités ici, dans l’Union. Il n’y a pas de contradiction entre ces deux éléments. Bien sûr, l’accord commercial avec les États-Unis a été difficile.

L’accord prévoit en effet le triplement des droits de douane…

Et pourtant nous sommes heureux que de plus en plus de partenaires européens déclarent qu’ils augmenteront leurs dépenses aux États-Unis.

Jens Stoltenberg, après tous les compromis qui ont été faits, pensez-vous que les États-Unis soient vraiment engagés envers l’OTAN ? 

JENS STOLTENBERG L’augmentation des dépenses de défense est le bon remède, quelle que soit la manière dont on regarde la situation. C’est une stratégie où l’on ne regrette rien. Soit vous pensez que les États-Unis resteront engagés envers l’OTAN, et dans ce cas, il est juste d’investir dans la défense. Soit vous pensez qu’ils se désengagent et dans ce cas, augmenter les dépenses augmente aussi la probabilité que les États-Unis restent engagés. Cela renforce l’OTAN dans son ensemble.

Y croyez-vous vraiment ? 

Oui ; du reste, si ce n’est pas le cas, il est encore plus important d’investir dans la défense européenne.

Quelles que soient vos convictions, quoi qu’on pense des États-Unis, il faut investir dans la défense.

ANDRZEJ DOMANSKI La Pologne est sans aucun doute le meilleur endroit où investir en Europe, non seulement parce que nous avons une économie très forte avec un taux de croissance du PIB de 3,5 %, mais aussi parce que nous sommes actuellement la troisième armée la plus puissante de l’OTAN ; la défense de la Pologne, c’est un investissement sûr.

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30.09.2025 à 20:52

Les États-Unis doivent se préparer à la guerre : le discours intégral de Pete Hegseth aux généraux américains

Marin Saillofest

« Je vous souhaite la bienvenue au nouveau département de la Guerre — l'ère du département de la Défense est révolue ».

Aujourd’hui, le secrétaire à la Défense de Donald Trump a prononcé un discours historique devant les généraux américains réunis en Virginie pour leur annoncer un changement radical.

Nous le traduisons et commentons ligne à ligne.

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Texte intégral (10240 mots)

Aujourd’hui, mardi 30 septembre, le secrétaire à la Défense américain, Pete Hegseth, a réuni les plus de 800 généraux et amiraux de l’armée américaine sur la base des Marines de Quantico, en Virginie, à une trentaine de kilomètres au sud-ouest de Washington D.C.

La convocation du commandement de l’armée américaine dans sa totalité est très inhabituelle en temps de paix. Tandis que le Pentagone n’avait pas fourni plus de détails quant aux motifs de la convocation ou aux sujets qui seraient abordés, Donald Trump, qui s’est adressé aux officiers avant la prise de parole de Hegseth, avait parlé d’une « très belle réunion où l’on discutera de nos excellents résultats sur le plan militaire, de notre excellente forme, de beaucoup de choses positives ».

Au-delà du caractère inhabituel — voire, potentiellement, inédit depuis la Seconde Guerre mondiale — de la réunion, la présence au même endroit de plusieurs centaines de généraux de l’armée présente des risques en matière de sécurité. D’ordinaire, le département de la Défense a recours à des logiciels de vidéoconférence internes hautement sécurisés qui permettent d’éviter des déplacements nécessitant des manœuvres logistiques conséquentes. La réunion est d’autant plus surprenante que celle-ci n’a pas été tenue secrète.

Pete Hegseth, à la tête depuis janvier du département de la Défense — renommé au début du mois de septembre « département de la Guerre » par Donald Trump —, s’est attaqué durant son discours à l’idéologie « woke », qui se serait développée au sein de l’armée sous les précédentes administrations.

Selon lui, les troupes américaines correspondraient à l’image que les Républicains se font de la gauche libérale « woke ». Parmi les nouvelles mesures du nouveau département de la Guerre, Hegseth s’en prend aux personnes en surpoids, aux barbus, aux militaires portant des cheveux longs mais également aux « expressions individuelles superficielles ».

Afin de projeter une image de force cohérente avec le nouveau nom de son département, Hegseth s’en prend également aux femmes, qui n’auraient pas leur place au combat. Pour favoriser le retour des « combattants acharnés » qui auraient fui l’armée sous le précédent « département woke », il promet une réforme des méthodes d’enquêtes pour les plaintes pour motifs de harcèlement et d’intimidation, déclare la « fin des mecs en robes », des politiques d’équité, de diversité et d’inclusion, et promet une nouvelle armée à l’image de l’administration MAGA.

Le contenu du discours est peu étonnant compte tenu des orientations et déclarations passées de Pete Hegseth. Parmi les quatre livres qu’il a écrits entre 2016 et 2024, The War on Warriors est certainement celui ayant reçu l’écho le plus important aux États-Unis.

Dans celui-ci, Hegseth dénonce « l’idéologie woke » qui gangrènerait l’armée américaine. Au moment de la sortie du livre, il affirmait sur Fox News, qu’il a rejoint en 2014 en tant que chroniqueur régulier avant de présenter l’émission du dimanche FOX & Friends Weekend, que « la diversité ne fait pas la force de l’armée, l’unité fait la force ».

L’armée en tant qu’institution y est traitée comme un champ de bataille des guerres culturelles que se livrent conservateurs et libéraux : les administrations démocrates auraient vidé l’armée américaine des jeunes patriotes, récompensant l’idéologie progressiste des nouvelles recrues plutôt que les valeurs d’honneur et de sacrifice.

Tout comme le vice-président J.D. Vance, Hegseth s’inscrit dans le courant de la droite nationaliste chrétienne. Il est notamment un lecteur des livres de Doug Wilson, le co-fondateur de la Communion d’Églises évangéliques réformées, un mouvement initialement implanté à Moscou et aux États-Unis.

Dans ses livres, Wilson fait l’éloge du Sud comme constituant une « société chrétienne multiraciale idyllique ». Également « patriarche » du mouvement des TheoBros — des influenceurs traditionalistes chrétiens — il considère « que les femmes n’auraient jamais dû obtenir le droit de vote ».

Hegseth a participé à des podcasts de TheoBros et fait la promotion de livres visant à « armer les chrétiens avec des outils et des armes pour construire, défendre et étendre la nouvelle chrétienté ». La rhétorique et l’imaginaire des croisades se retrouvent jusque sur le corps de Pete Hegseth, qui porte le tatouage d’une croix de Jérusalem ainsi que l’inscription « Deus Vult ».

Dans son second livre, American Crusade (2020), il écrit : « Tout comme les croisés chrétiens qui ont repoussé les hordes musulmanes au XIIe siècle, les croisés américains devront faire preuve du même courage contre les islamistes aujourd’hui ».

Malgré les nombreux obstacles qui auraient pu menacer sa confirmation par le Sénat — notamment des accusations passées de mauvaise gestion financière, de harcèlement sexuel et de faute personnelle ayant conduit en 2016 à sa « discrète démission » de Concerned Veterans for America, un groupe représentant les intérêts des vétérans américains — Trump voit en Hegseth un fidèle qui ne s’opposerait jamais à ses directives, notamment en matière de déploiement de la Garde nationale (voire l’armée elle-même) dans les grandes villes du pays.

Donald Trump s’est massivement reposé sur l’armée depuis le 20 janvier pour porter son agenda en déployant la Garde nationale à Los Angeles et à Washington D.C., la capitale fédérale. Le président républicain a également déclaré son intention d’envoyer des troupes à Portland, dans l’Oregon, à Chicago ainsi qu’à Memphis, et évoqué les villes de Baltimore et Nouvelle-Orléans pour de potentiels déploiements — toutes des villes démocrates.

Avant la prise de parole de Hegseth, Trump avait ainsi déclaré à propos des grands centres urbains du pays : « Ce sont des endroits très dangereux et nous allons les mettre en ordre un par un […] Ce sera une tâche importante pour certaines des personnes présentes dans cette salle […] C’est une guerre intérieure ».

Lors de son premier mandat, le président américain avait déjà menacé de faire appel à l’armée pour réprimer des manifestations suite au meurtre de George Floyd par la police de Minneapolis en mai 2020. Il avait par ailleurs ordonné la préparation au début du mois de juin par son cabinet d’un acte exécutif invoquant l’Insurrection Act, se plaignant du fait que son administration « avait l’air faible », sans toutefois y donner suite.

Selon David Frum, l’une des signatures les plus respectées de The Atlantic, les mesures prises par Trump ne servent pas simplement à tester les limites du pouvoir présidentiel, mais pourraient montrer une stratégie politique radicale en vue des élections de mi-mandat : se servir des pouvoirs fédéraux de manière à provoquer une perturbation spectaculaire ; invoquer cette perturbation pour déclarer l’état d’urgence et déployer les troupes fédérales ; prendre le contrôle des opérations locales du gouvernement ; puis celui des élections en novembre 2026.

Merci, Monsieur le chef d’État-major. Merci. Veuillez vous asseoir. Eh bien, Monsieur le chef d’État-major, Messieurs les chefs d’état-major, généraux, amiraux, commandants, officiers, sous-officiers supérieurs, sous-officiers, soldats et tous les membres de l’armée américaine. Bonjour, bonjour et bienvenue au ministère de la Guerre. Car l’ère du ministère de la Défense est révolue.

Le discours de Pete Hegseth a été précédé par une courte prise de parole du chef d’état-major des armées des États-Unis, le général Dan Caine.

Vous voyez, la devise de ma première section était : « Ceux qui aspirent à la paix doivent se préparer à la guerre ». Ce n’est bien sûr pas une idée nouvelle. Vous savez tous que cette devise remonte au IVe siècle à Rome et qu’elle a été reprise depuis lors. Notamment par notre premier commandant en chef, George Washington, le premier dirigeant du ministère de la Guerre.

Elle exprime une vérité simple mais profonde. Pour garantir la paix, nous devons nous préparer à la guerre. À partir de maintenant, la seule mission du ministère de la Guerre nouvellement rétabli est de mener la guerre. Se préparer à la guerre et se préparer à gagner. Sans relâche et sans compromis dans cette quête. Non pas parce que nous voulons la guerre. Personne ici ne veut la guerre. Mais parce que nous aimons la paix.

Par un décret présidentiel signé le 5 septembre, Donald Trump a renommé le département de la Défense « département de la Guerre », un nom que celui-ci n’avait plus connu depuis 1947. Le document précise néanmoins qu’il s’agit d’un titre « secondaire supplémentaire », le président ayant besoin de l’approbation du Congrès pour officiellement renommer un département fédéral.

Nous aimons la paix pour nos concitoyens. Ils méritent la paix et ils attendent à juste titre que nous la leur apportions. Notre tâche première, bien sûr, est d’être forts afin de pouvoir empêcher la guerre avant qu’elle n’éclate. Le président en parle tout le temps. C’est ce qu’on appelle la paix par la force. Et comme l’histoire nous l’enseigne, les seuls qui méritent réellement la paix sont ceux qui sont prêts à faire la guerre pour la défendre.

C’est pourquoi le pacifisme est si naïf et dangereux. Il ignore la nature humaine et il ignore l’histoire humaine. Soit vous protégez votre peuple et votre souveraineté, soit vous vous soumettez à quelque chose ou à quelqu’un. C’est une vérité aussi vieille que le monde. Et comme la guerre coûte si cher en vies humaines et en argent, nous devons à notre république une armée capable de gagner toute guerre que nous choisissons de mener ou qui nous est imposée. Si nos ennemis choisissent imprudemment de nous défier, ils seront écrasés par la violence, la précision et la férocité du ministère de la Guerre.

En d’autres termes, à nos ennemis  : FAFO, si nécessaire, nos troupes peuvent vous traduire cela.

L’acronyme FAFO qui signifie Fuck Around, Find Out est couramment utilisé dans les milieux de la droite radicale américaine en ligne pour commenter des scènes de violences policières ou militaires sur le mode du « c’est bien mérité ». Retrouver ce motif qui exprime sur les réseaux sociaux une forme de schadenfreude fait totalement partie du « style Hegseth » : la guerre est ludifiée et la mort de l’ennemi se vit sur le mode du ricanement.

Une autre façon de le dire est la paix par la force, apportée par un éthos guerrier. Et nous sommes en train de restaurer les deux, comme l’a dit le président Trump — et il a raison. Nous avons l’armée la plus forte, la plus puissante, la plus létale et la mieux préparée de la planète. C’est vrai. Point final.

Personne ne peut nous atteindre. Et ce n’est pas prêt d’arriver. Cela est vrai en grande partie grâce aux investissements historiques qu’il a réalisés au cours de son premier mandat, et nous continuerons dans cette voie pendant ce mandat. Mais cela est également vrai grâce aux leaders présents dans cette salle et aux troupes incroyables que vous dirigez tous. Mais le monde, et comme l’a mentionné le Chef d’état-major des armées, nos ennemis ont leur mot à dire. Vous le sentez ? Je le sens.

C’est un moment d’urgence, d’urgence croissante. Les ennemis se rassemblent, les menaces s’intensifient. Ce n’est pas le moment de jouer. Nous devons être prêts. Si nous voulons prévenir et éviter la guerre, nous devons nous préparer dès maintenant. Nous sommes la force qui garantit la paix par la force. Soit nous sommes prêts à gagner, soit nous ne le sommes pas. 

Vous voyez, ce moment urgent nécessite bien sûr plus de troupes, plus de munitions, plus de drones, plus de patriots, plus de sous-marins, plus de bombardiers B21. Il nécessite plus d’innovation, plus d’IA dans tous les domaines et une longueur d’avance. Plus d’effets cybernétiques, plus de contre-UAS. Plus d’espace, plus de vitesse. L’Amérique est la plus forte, mais nous devons devenir encore plus forts — et rapidement. 

Historiquement réticente à collaborer avec l’industrie de la défense, la Silicon Valley renforce depuis l’an dernier ses liens avec le Pentagone. Le 6 décembre, Anduril et Palantir, deux des principales entreprises à l’intersection de la technologie et de la défense profondément liées à Peter Thiel, ont annoncé la création d’un consortium « visant à faire en sorte que le gouvernement américain soit le premier au monde dans le domaine de l’intelligence artificielle ».

En juin, quatre dirigeants du secteur de la tech issus de grandes entreprises comme OpenAI, Meta ou Palantir, ont intégré l’armée de réserve des États-Unis avec le grade de lieutenant-colonel. Contrairement aux autres réservistes, ils ne devraient toutefois jamais être déployés sur des théâtres d’opérations.

Le directeur de la technologie (CTO) de Palantir Shyam Sankar, de Meta Andrew Bosworth, le directeur des produits (CPO) Kevin Weil ainsi que l’ex-directeur de la recherche d’OpenAI Bob McGrew sont les quatre premiers officiers de réserve recrutés pour intégrer le Detachment 201.

Ce projet, dont l’origine remonte au mandat de Joe Biden — et dont le nom est une référence à un code utilisé en HTTP pour signaler la création d’une nouvelle ressource —, a été initié par Brynt Parmeter, nommé premier directeur de la gestion des talents du Pentagone en avril 2023.

Placé auprès du sous-secrétaire à la Défense chargé du personnel et de la préparation, le rôle de Parmeter est d’identifier des domaines en mutation rapide dans lesquels l’armée bénéficierait de l’acquisition de « talents de classe mondiale » qui agiraient comme des consultants internes au Pentagone sur des sujets de pointe, comme l’intelligence artificielle.

Parmeter souhaiterait recruter une douzaine de réservistes au sein de Detachment 201 avant d’étendre le programme à plusieurs milliers de personnes au cours des deux prochaines années.

Le moment est venu et la cause est urgente. Le moment exige de restaurer et de recentrer notre base industrielle de défense, notre industrie navale et de renforcer tous les composants critiques. Cela exige, comme l’a fait le président Trump, que nos alliés et partenaires s’engagent davantage et partagent le fardeau.

L’Amérique ne peut pas faire tout ce que le monde libre exige. Des alliés dotés d’une puissance réelle, d’un véritable leadership militaire et de capacités militaires réelles. Le ministère de la Guerre s’attaque à toutes ces questions et leur octroie la priorité, et je prononcerai le mois prochain un discours qui présentera la rapidité, l’innovation et les réformes générationnelles en matière d’acquisition que nous entreprenons de toute urgence. De même, la nature des menaces auxquelles nous sommes confrontés dans notre hémisphère et pour dissuader la Chine fera l’objet d’un autre discours — qui sera prononcé prochainement.

Ce discours d’aujourd’hui, que je prononce en buvant mon café, porte sur les personnes et la culture. Le sujet d’aujourd’hui concerne notre nature profonde. Car aucun plan, aucun programme, aucune réforme, aucune formation ne peut aboutir si nous ne disposons pas des bonnes personnes et de la bonne culture.

Au département de la Guerre, si j’ai appris une leçon fondamentale au cours de mes huit mois à ce poste, c’est que ce qui est personnel est politique. Le personnel, c’est la politique. La meilleure façon de prendre soin des troupes est de leur donner de bons chefs, engagés dans la culture de combat du département. Pas des chefs parfaits, mais de bons chefs, compétents, qualifiés, professionnels, agiles, agressifs, innovants, prêts à prendre des risques, apolitiques, fidèles à leur serment et à la Constitution.

Eugene Sledge, dans ses mémoires sur la Seconde Guerre mondiale, a écrit : « La guerre est brutale, sans gloire et un terrible gaspillage. Le combat laisse une marque indélébile sur ceux qui sont contraints de le subir. Les seuls facteurs rédempteurs sont mes camarades, leur incroyable bravoure et leur dévouement les uns envers les autres au combat. Il existe des milliers de variables ».

Comme je l’ai appris en Irak et en Afghanistan, et comme beaucoup d’entre vous l’ont appris dans bien d’autres endroits, les leaders ne peuvent contrôler qu’environ trois variables. 

Vous contrôlez la qualité de votre formation, principalement la qualité de votre équipement, et la dernière variable est la qualité de votre leadership. Après cela, vous êtes livrés à vous-mêmes. Nos combattants ont le droit d’être dirigés par les meilleurs leaders, les plus compétents. C’est ce que nous attendons de vous tous.

Même dans ce cas, au combat, même si vous faites tout correctement, vous pouvez encore perdre des hommes, car l’ennemi a toujours son mot à dire. Nous avons le devoir sacré de veiller à ce que nos guerriers soient dirigés par les leaders de combat les plus compétents et les plus qualifiés. C’est une chose que vous et moi pouvons contrôler — et nous le devons à nos forces armées. Pendant trop longtemps, nous ne l’avons tout simplement pas fait. 

L’armée a été contrainte par des politiciens stupides et imprudents de se concentrer sur les mauvaises choses à bien des égards. Ce discours vise à réparer des décennies de déclin. Certaines choses sont évidentes, d’autres sont cachées. Ou, comme l’a dit le Chef d’état-major des armées, nous déblayons les débris, nous éliminons les distractions, nous ouvrons la voie pour que les leaders puissent être des leaders. On pourrait dire que nous mettons fin à la guerre contre les guerriers. J’ai entendu dire que quelqu’un avait écrit un livre à ce sujet.

Hegseth parle ici vraisemblablement de son livre de 2024 The War on Warriors, dans la présentation duquel est écrit : « Les seuls hommes prêts à affronter les dangers que la gauche prétend ignorer. Contrairement aux questions d’éducation, de fiscalité ou de criminalité, ce problème n’a pas de solution toute faite. Nous ne pouvons pas l’ignorer. Nous ne pouvons pas l’éviter. Nous n’avons qu’un seul Pentagone. Soit nous le reprenons, soit nous l’abandonnons complètement ».

Pendant trop longtemps, nous avons promu trop de leaders en uniforme pour de mauvaises raisons. En fonction de leur race, de quotas de genre, de soi-disant premières historiques. Nous avons prétendu que les armes de combat et celles qui ne le sont pas étaient la même chose. Nous avons éliminé les soi-disant leaders toxiques sous le couvert d’évaluations psychologiques en double aveugle qui favorisent les conformistes peu enclins à prendre des risques et qui s’adaptent pour s’intégrer.

Des dirigeants politiques stupides et imprudents ont fixé une mauvaise direction et nous avons perdu notre chemin. Nous sommes devenus le département WOKE. Mais ce n’est plus le cas. En ce moment, je regarde une foule d’Américains qui, lorsqu’ils étaient jeunes hommes et jeunes femmes, ont fait le choix de faire quelque chose que la plupart des Américains ne feraient pas. Servir une cause plus grande qu’eux-mêmes. Se battre pour Dieu et leur pays — pour la liberté et la Constitution.

Vous avez fait le choix de servir alors que d’autres ne l’ont pas fait. Et je vous en félicite. Vous êtes vraiment le meilleur de l’Amérique. Mais cela ne signifie pas, et cela vaut pour nous tous, que notre chemin vers cet auditorium aujourd’hui a été une ligne droite. Ou que les conditions des formations que nous dirigeons sont celles que nous souhaitons. Vous aimez votre pays et nous aimons cet uniforme. C’est pourquoi nous devons faire encore mieux. 

Nous devons simplement être honnêtes. Nous devons dire avec notre bouche ce que nous voyons avec nos yeux. Dire les choses telles qu’elles sont, en langage clair. Souligner les évidences qui se trouvent juste devant nous. C’est ce que les dirigeants doivent faire. Nous ne pouvons pas passer un jour de plus sans nous attaquer directement à la poutre qui est dans notre œil. Sans nous attaquer aux problèmes qui se posent dans nos propres commandements et dans nos propres formations.

Dès le premier jour, cette administration a fait beaucoup pour éliminer les déchets idéologiques toxiques, politiquement corrects et liés à la justice sociale qui avaient infecté notre département. Pour éliminer la politique. Fini les mois de l’identité, les bureaux DEI, les mecs en robe. Fini le culte du changement climatique. Fini les distractions qui divisent et les illusions sur le genre. Fini les débris. Comme je l’ai déjà dit et je le répète, nous en avons fini avec ces conneries.

Je me suis donné pour mission d’éradiquer les distractions évidentes qui nous rendaient moins efficaces et moins redoutables. Cela dit, le département de la Guerre doit passer à l’étape suivante. Sous les déchets WOKE se cache un problème plus profond et plus important que nous sommes en train de régler — et rapidement. Le bon sens est de retour à la Maison Blanche. Il est donc assez simple d’apporter les changements nécessaires. Le président Trump l’attend. Et le test décisif pour ces changements ? C’est assez simple. 

Est-ce que je voudrais que mon fils aîné, qui a 15 ans, rejoigne un jour le type de formations que nous dirigeons actuellement ? Si la réponse à cette question est non, ou même oui, alors nous faisons quelque chose de mal, car mon fils n’est pas plus important que n’importe quel autre citoyen américain qui revêt l’uniforme de notre nation. Il n’est pas plus important que votre fils.

Toutes les âmes précieuses sont créées à l’image et à la ressemblance de Dieu. Tous les parents méritent de savoir que leur fils ou leur fille qui rejoint nos rangs entre exactement dans le type d’unité que le secrétaire à la Guerre voudrait que son fils rejoigne. 

Considérez cela comme le test de la règle d’or. Jésus a dit : « Faites aux autres ce que vous voudriez qu’on vous fasse ». C’est ce que vous auriez fait pour vous-même. C’est le test ultime pour simplifier la vérité.

La nouvelle règle d’or du ministère de la Guerre est la suivante : faites à votre unité ce que vous auriez fait à l’unité de votre propre enfant. Voudriez-vous qu’il serve avec des troupes obèses, inaptes ou insuffisamment entraînées ? Ou aux côtés de personnes qui ne répondent pas aux normes de base ? Ou dans une unité où les normes ont été abaissées pour que certains types de soldats puissent y entrer ? Dans une unité où les chefs ont été promus pour des raisons autres que le mérite, les performances et les combats, la réponse n’est pas seulement non, c’est hors de question.

Cela signifie qu’au ministère de la Guerre, nous devons avant tout rétablir une application impitoyable, impartiale et sensée des normes. Je ne veux pas que mon fils serve aux côtés de soldats en mauvaise condition physique ou dans une unité de combat avec des femmes qui ne peuvent pas satisfaire aux mêmes normes physiques que les hommes, ou avec des soldats qui ne maîtrisent pas parfaitement les armes ou les tâches qui leur sont assignées, ou sous les ordres d’un chef qui était le premier mais pas le meilleur.

Les normes doivent être uniformes, neutres du point de vue du genre et élevées. Sinon, ce ne sont pas des normes, mais simplement des suggestions. Des suggestions qui font mourir nos fils et nos filles. En ce qui concerne les unités d’armes de combat, il existe de nombreuses distinctions au sein de nos forces interarmées.

L’ère du politiquement correct, de l’hypersensibilité, du « ne blessez personne » est révolue. Le leadership prend fin dès maintenant, à tous les niveaux. Soit vous répondez aux normes, soit vous êtes capable de faire le travail. Soit vous êtes discipliné, en forme et entraîné, soit vous êtes renvoyé. C’est pourquoi aujourd’hui, sous ma direction, et c’est la première des dix directives du ministère de la Guerre qui vous parviennent en ce moment même et qui se trouvent dans votre boîte de réception aujourd’hui.

Sous ma direction, chaque service veillera à ce que toutes les exigences pour chaque spécialité militaire de combat [MOS], pour chaque poste désigné dans les armes de combat, reviennent au niveau le plus élevé pour les hommes. Tout simplement parce que ce travail est une question de vie ou de mort. Les normes doivent être respectées — et pas seulement satisfaites. À tous les niveaux, nous devons chercher à dépasser la norme, à repousser les limites, à être compétitifs.

C’est une question de bon sens et cela fait partie intégrante de qui nous sommes et de ce que nous faisons. Cela devrait être dans notre ADN. Aujourd’hui, sous ma direction, nous ajoutons également un test de combat sur le terrain pour les unités d’armes de combat qui doit être réalisable dans n’importe quel environnement, à tout moment et avec un équipement de combat.

Ces tests vous sembleront familiers. Ils ressembleront à l’évaluation de la condition physique des experts de l’armée ou au test de condition physique au combat du corps des Marines. Je demande également que les combattants en service actif passent leur test d’aptitude physique selon une norme d’âge neutre et masculine, avec un score supérieur à 70 %. Tout commence par la condition physique et l’apparence.

Si le secrétaire à la Guerre peut faire régulièrement des exercices physiques intenses, tous les membres de nos forces interarmées le peuvent aussi. Franchement, il est fatigant de voir des soldats en surpoids dans les formations de combat ou dans n’importe quelle autre formation.

De même, il est tout à fait inacceptable de voir des généraux et des amiraux gros dans les couloirs du Pentagone et à la tête des commandements à travers le pays et le monde. Cela donne une mauvaise image. C’est mauvais. Et cela ne nous ressemble pas. Que vous soyez un Ranger aéroporté ou un Ranger sédentaire, un soldat tout juste engagé ou un général quatre étoiles, vous devez respecter les normes de taille et de poids et réussir votre test physique.

Et comme l’a dit le chef d’État-major, oui, il n’y a pas de test d’aptitude physique. Mais aujourd’hui, sur mes instructions, tous les membres des forces interarmées, quel que soit leur grade, sont tenus de passer un test d’aptitude physique deux fois par an, ainsi que de satisfaire aux exigences en matière de taille et de poids deux fois par an, chaque année de service.

De même, sur mes instructions, tous les combattants de nos forces interarmées sont tenus de faire des exercices physiques tous les jours de service. Cela devrait relever du bon sens. Je veux dire, la plupart des unités le font déjà, mais nous sommes en train de le codifier. Et nous ne parlons pas de hot yoga ou d’étirements très intenses, mais bien d’une norme à respecter, tant au niveau de l’unité qu’au niveau individuel, à tous les échelons, depuis les chefs d’état-major interarmées jusqu à tous ceux qui se trouvent dans cette salle, en passant par les plus jeunes chefs de section.

Beaucoup d’entre vous le font déjà. Actifs, gardes et réservistes. Cela signifie également des normes en matière d’apparence physique. Fini les barbes, les cheveux longs, les expressions individuelles superficielles. Nous allons nous couper les cheveux, nous raser la barbe et respecter les normes. Parce que c’est comme la théorie des fenêtres cassées dans le domaine du maintien de l’ordre.

C’est comme quand on laisse passer les petites choses, les grandes finissent par suivre. Il faut donc s’occuper des petites choses. Cela vaut pour le service, sur le terrain et à l’arrière. Si vous voulez une barbe, vous pouvez rejoindre les forces spéciales. Sinon, rasez-vous. Nous n’avons pas une armée pleine de païens nordiques, mais malheureusement, nous avons eu des leaders qui ont refusé de dénoncer les absurdités et d’appliquer les normes, ou des leaders qui estimaient qu’ils n’étaient pas autorisés à appliquer les normes. Les deux sont inacceptables.

C’est pourquoi aujourd’hui, sous ma direction, l’ère des apparences non professionnelles est révolue. Fini les barbus. L’ère des profils de rasage extravagants et ridicules est révolue. En termes simples, si vous ne répondez pas aux normes physiques masculines requises pour les postes de combat, si vous ne pouvez pas passer un test d’aptitude physique ou si vous ne voulez pas vous raser et avoir une apparence professionnelle, il est temps de changer de poste ou de profession.

J’apprécie sincèrement les efforts proactifs déjà déployés par les secrétaires dans certains de ces domaines. Les secrétaires d’État et ces directives visent simplement à accélérer ces efforts. À propos des normes, permettez-moi de dire quelques mots sur les leaders toxiques. Le fait de maintenir et d’exiger des normes élevées n’est pas toxique. Le fait d’appliquer des normes élevées n’est pas un leadership toxique. Conduire les combattants vers des objectifs élevés, neutres en termes de genre et sans compromis afin de forger un département de la guerre cohésif, redoutable et meurtrier n’est pas toxique.

C’est notre devoir, conformément à notre serment constitutionnel. Le véritable leadership toxique consiste à mettre en danger ses subordonnés avec des normes peu élevées. Un véritable leadership toxique consiste à promouvoir des personnes sur la base de caractéristiques immuables ou de quotas plutôt que sur la base du mérite. Un véritable leadership toxique consiste à promouvoir des idéologies destructrices qui sont un anathème pour la Constitution et les lois de la nature et du Dieu de la nature.

Comme l’a écrit Thomas Jefferson dans la Déclaration d’indépendance, la définition du terme « toxique » a été bouleversée et nous sommes en train de corriger cela.

C’est pourquoi aujourd’hui, sous ma direction, nous entreprenons une révision complète des définitions du département concernant ce qu’on appelle le leadership toxique. L’intimidation et le bizutage. Pour donner aux leaders les moyens d’appliquer les normes sans crainte de représailles ou de remise en question.

Bien sûr, vous ne pouvez pas agir de manière méchante, intimider et bizuter. Nous parlons ici de mots tels que « intimidation », « bizutage » et « toxique ». Ils ont été utilisés comme des armes et dénaturés au sein de nos formations, sapant l’autorité des commandants et des sous-officiers. Cela doit cesser. Vous avez tous pour mission de fixer, d’atteindre et de maintenir des normes élevées. Et si cela fait de moi une personne toxique — qu’il en soit ainsi. 

Deuxièmement, aujourd’hui, sous notre direction, nous veillons à ce que chaque service, chaque unité, chaque école et chaque forme d’enseignement militaire professionnel procède à une révision immédiate de ses normes. Nous l’avons déjà fait dans de nombreux endroits, mais aujourd’hui, cela concerne l’ensemble du département de la Guerre. Tout endroit où des normes physiques éprouvées ont été modifiées, en particulier depuis 2015, lorsque les normes des armes de combat ont été modifiées pour permettre aux femmes de se qualifier, doit revenir à ses normes d’origine.

D’autres normes ont également été manipulées pour atteindre des quotas raciaux, ce qui est tout aussi inacceptable. Cela aussi doit cesser. Seul le mérite compte. Le président en parle tout le temps. Le mérite est la base. Voici deux cadres de base que je vous invite à suivre dans ce processus. Les normes. J’appelle mon personnel. J’ai tout entendu à leur sujet.

Le test de 1990 et le test E6. Le test de 1990 est simple. Quelles étaient les normes militaires en 1990 ? Et si elles ont changé, dites-moi pourquoi. Était-ce un changement nécessaire en raison de l’évolution du paysage militaire ? Ou était-ce dû à un assouplissement, à un affaiblissement ou à la poursuite d’autres priorités liées au genre ? Les années 1990 semblent être un bon point de départ. Et le test E6, demandez-vous si ce que vous faites correspond aux efforts de leadership, de responsabilité et de létalité d’un E6 ou, franchement, d’un O3. Cela rend-il les choses plus faciles ou plus compliquées ? Ce changement permet-il aux sergents-chefs, aux sous-officiers et aux sergents techniques de revenir à l’essentiel ? La réponse devrait être un oui retentissant.

Le test E6 ou le test O3 clarifie beaucoup de choses. Et il clarifie rapidement. Parce que la guerre se moque que vous soyez un homme ou une femme. L’ennemi aussi. Tout comme le poids de votre sac à dos, la taille d’un obus d’artillerie ou le poids d’une victime sur le champ de bataille qui doit être transportée. Je tiens à être très clair sur ce point : il ne s’agit pas d’empêcher les femmes de servir.

Nous apprécions beaucoup l’impact des troupes féminines. Nos officiers et sous-officiers féminins sont les meilleurs au monde. Mais lorsqu’il s’agit d’un travail qui nécessite une force physique pour être effectué au combat, les normes physiques doivent être élevées et neutres du point de vue du genre. Si les femmes peuvent y arriver, tant mieux. Sinon, c’est comme ça. Si cela signifie qu’aucune femme ne peut prétendre à certains postes de combat, qu’il en soit ainsi. Ce n’est pas l’intention, mais cela pourrait être le résultat.

Cela signifie également que les hommes faibles ne seront pas qualifiés, car nous ne jouons pas. Il s’agit de combat. Il s’agit de vie ou de mort. Comme nous le savons tous, il s’agit de vous contre un ennemi déterminé à vous tuer. Pour être une force de combat efficace et meurtrière, vous devez avoir confiance dans le fait que le guerrier à vos côtés au combat est capable, véritablement capable physiquement, de faire ce qui est nécessaire sous le feu. 

Vous savez que c’est la seule norme que vous souhaiteriez pour vos enfants et vos petits-enfants. Appliquez la règle d’or du ministère de la Guerre, le test de 1990 et le test E6 — et il est vraiment difficile de se tromper.

Troisièmement, nous attaquons et mettons fin à la culture de commandement où l’on marche sur des œufs et où le zéro défaut est de mise. Une culture averse au risque signifie que les officiers agissent pour ne pas perdre plutôt que pour gagner. Une culture averse au risque signifie que les sous-officiers ne sont pas habilités à faire respecter les normes. Les commandants et les sous-officiers ne prennent pas les risques nécessaires et ne font pas les ajustements difficiles par crainte de faire des vagues ou de commettre des erreurs.

Un dossier sans tache est ce que les leaders en temps de paix convoitent le plus. Quel est le pire de tout ? Les incitations. Vous. En tant que hauts dirigeants, nous devons mettre fin à la culture toxique de l’aversion au risque et donner à nos sous-officiers à tous les niveaux les moyens de faire respecter les normes.

À vrai dire, dans l’ensemble, nous n’avons pas besoin de nouvelles normes. Nous devons simplement rétablir une culture dans laquelle il est possible de faire respecter les normes. C’est pourquoi aujourd’hui, sous ma direction, je publie de nouvelles politiques qui vont réformer les processus IG, EO et MEO. Je l’appelle la politique « No More Walking on Eggshells » (Fini de marcher sur des œufs).

Nous libérons les commandants et les sous-officiers. Nous vous libérons. Nous réformons le processus d’inspection générale. L’IG qui a été transformé en arme. Nous avions mis les pleurnichards, les idéologues et les mauvais éléments aux commandes. Nous faisons de même avec les politiques d’égalité des chances et d’égalité des chances dans l’armée. L’EO et le MEO dans notre département.

Finies les plaintes futiles. Finies les plaintes anonymes. Finis les plaignants récidivistes. Finies les diffamations. Finies les attentes interminables. Finis les vides juridiques. Finies les carrières détournées. Fini de marcher sur des œufs. Bien sûr, le racisme est illégal dans notre organisation depuis 1948. Il en va de même pour le harcèlement sexuel. Les deux sont répréhensibles et illégaux.

Ce type d’infractions sera sévèrement sanctionné. Mais dire à quelqu’un de se raser, de se faire couper les cheveux, de se mettre en forme, de réparer son uniforme, d’arriver à l’heure ou de travailler dur, c’est exactement le genre de discrimination que nous voulons.

Nous ne sommes pas des civils. Vous n’êtes pas des civils. Vous êtes mis à part dans un but précis. En tant que département, nous devons donc cesser d’agir et de penser comme des civils, revenir à l’essentiel et redonner le pouvoir aux commandants et aux sous-officiers. Des commandants et des sous-officiers qui prennent des décisions de vie ou de mort. Des commandants et des sous-officiers qui font respecter les normes et garantissent la préparation. Des commandants et des sous-officiers qui, dans ce département de la guerre, doivent se regarder dans le miroir et passer le test de la règle d’or. Mes enfants. Vos enfants ? Les fils et les filles de l’Amérique.

Je vous exhorte donc tous ici présents aujourd’hui, ainsi que ceux qui nous regardent, à suivre ces conseils et à les mettre en pratique. Le cœur de ce discours réside dans les 10 directives que nous annonçons aujourd’hui. Elles ont été rédigées pour vous. Pour les dirigeants de l’armée, pour les dirigeants de la marine, pour les dirigeants du corps des Marines. Pour les dirigeants de l’armée de l’air. Pour les dirigeants de la force spatiale. Ces directives sont conçues pour vous libérer de ce poids et vous remettre, vous, les dirigeants, aux commandes. Agissez sans tarder. Parce que nous vous soutenons. Je vous soutiens, et le commandant en chef vous soutient.

Et lorsque nous vous donnons ces directives, nous savons que des erreurs seront commises. C’est la nature même du leadership. Mais vous ne devriez pas payer pour des erreurs commises de bonne foi pendant toute votre carrière. C’est pourquoi aujourd’hui, sous ma direction, nous apportons des changements à la conservation des informations défavorables dans les dossiers du personnel, afin que les dirigeants ayant commis des infractions pardonnables, de bonne foi ou mineures ne soient pas pénalisés à perpétuité par ces infractions.

Les gens commettent des erreurs honnêtes, et nos erreurs ne devraient pas définir toute une carrière. Sinon, nous ne ferions qu’essayer de ne pas commettre d’erreurs. Et ce n’est pas notre métier. Nous avons besoin de personnes prêtes à prendre des risques, de dirigeants dynamiques et d’une culture qui vous soutienne.

Quatrièmement, au ministère de la Guerre, les promotions au sein de la Force interarmées seront basées sur le mérite. Sans distinction de couleur de peau, sans distinction de sexe, sur la base du mérite. L’ensemble du processus de promotion, y compris l’évaluation des capacités de combat, est en cours de réexamen approfondi. Nous avons déjà beaucoup fait dans ce domaine, mais d’autres changements sont à venir. Ils permettront de promouvoir plus rapidement les officiers et les sous-officiers les plus performants et de se débarrasser plus rapidement de ceux qui ne le sont pas.

Les évaluations, la formation et les exercices sur le terrain deviendront de véritables évaluations, et non plus des cases à cocher pour chacun d’entre nous, à tous les niveaux. Ces mêmes réformes ont également eu lieu avant la Seconde Guerre mondiale. Le général George Marshall et le secrétaire à la Guerre Henry Stimson ont fait la même chose, et c’est grâce à cela que nous avons gagné la guerre mondiale. Il se trouve que, lorsqu’il a pris ses fonctions, le général Caine m’a offert un cadre et une photo à accrocher dans mon bureau. Un cadre et une photo identiques sont accrochés dans le sien.

Il s’agit d’une photo de Marshall et Stimson se préparant pour la Seconde Guerre mondiale. Ces deux dirigeants sont connus pour avoir laissé la porte entre leurs bureaux ouverte pendant toute la durée de la guerre. Ils ont travaillé ensemble, civil et militaire, chaque jour. Le général Caine et moi-même faisons de même. Il n’y a pas de fossé entre nous.

Nos portes sont toujours ouvertes. Notre travail commun consiste à veiller à ce que nos forces armées soient dirigées par les meilleurs éléments, prêts à répondre à l’appel de la nation. Cinquièmement, comme vous l’avez vu et comme les médias s’en sont largement fait l’écho, j’ai limogé un certain nombre d’officiers supérieurs depuis que j’ai succédé à l’ancien président, ainsi que d’autres membres du Comité des chefs d’état-major, des commandants de théâtre d’opération et d’autres commandants. Ma raison était simple.

Il est pratiquement impossible de changer une culture avec les mêmes personnes qui ont contribué à la créer ou qui en ont même bénéficié, même si cette culture a été créée par un ancien président et un ancien secrétaire. Mon approche a été la suivante : en cas de doute, évaluer la situation, suivre son instinct et, si c’est la meilleure solution pour l’armée, apporter un changement.

Nous servons tous chaque jour à la discrétion du président. Mais à bien des égards, ce n’est pas leur faute. Ce n’est pas votre faute. Aussi stupide et imprudent que fût le département woke (sic), ces officiers suivaient les dirigeants politiques élus. Toute une génération de généraux et d’amiraux s’est vu dire qu’ils devaient répéter comme des perroquets cette folle erreur selon laquelle, je cite, « notre diversité est notre force ».

Bien sûr, nous savons que notre unité est notre force. Ils ont dû publier des déclarations vertigineuses sur la diversité, l’équité, l’inclusion et les LGBTQI. On leur a dit que les femmes et les hommes étaient la même chose. Ou que les hommes qui pensent être des femmes sont tout à fait normaux. On leur a dit que nous avions besoin d’une flotte verte et de chars électriques. On leur a dit d’expulser les Américains qui refusaient un vaccin d’urgence. Ils ont suivi les politiques civiles établies par des dirigeants politiques stupides et imprudents.

Notre travail, mon travail, a consisté à déterminer quels dirigeants ont simplement fait ce qu’ils devaient faire pour répondre aux prérogatives du leadership civil et quels dirigeants sont véritablement investis dans le département woke et donc incapables d’embrasser le département de la Guerre et d’exécuter de nouveaux ordres légaux. C’est tout. C’est aussi simple que cela.

Ainsi, au cours des huit derniers mois, nous avons pu examiner de près notre corps d’officiers. Nous avons fait de notre mieux pour évaluer de manière approfondie le terrain humain. Nous avons dû faire des compromis et prendre des décisions difficiles. C’est plus un art qu’une science. Nous avons été et continuerons d’être judicieux, mais aussi rapides. La nouvelle direction à suivre est claire.

Finis les Chiarellis, les McKenzies et les Milleys, place aux Stockdales, aux Schwarzkopfs et aux Pattons. D’autres changements de direction auront lieu, cela ne fait aucun doute. Non pas parce que nous le voulons, mais parce que nous le devons. Encore une fois, c’est une question de vie ou de mort. Plus tôt nous aurons les bonnes personnes, plus tôt nous pourrons mettre en œuvre les bonnes politiques.

Le personnel, c’est la politique. Mais quand je regarde ce groupe, je vois de grands Américains, des dirigeants qui ont consacré des décennies à notre grande république, au prix de grands sacrifices pour vous-mêmes et vos familles. Mais si les paroles que je prononce aujourd’hui vous attristent, alors vous devriez faire ce qui est honorable et démissionner.

Nous vous remercierions pour vos services, mais je soupçonne que la grande majorité d’entre vous ressentent le contraire. Ces paroles vous remplissent le cœur. Vous aimez le département de la Guerre parce que vous aimez ce que vous faites, le métier des armes. Vous êtes désormais libres d’être les leaders constitutionnels apolitiques, dynamiques et pragmatiques que vous avez choisi d’être en rejoignant l’armée.

Nous avons besoin que vous vous concentriez sur le M, pas sur le D, le E ou le I de Diversité, Égalité et Inclusion. J’entends par là : le M militaire des instruments du pouvoir national. Nous avons des départements entiers au sein du gouvernement qui se consacrent aux efforts diplomatiques, informationnels et économiques. Nous nous occupons du M. Personne d’autre ne le fait. Et nos GO-FOs doivent le maîtriser dans tous les domaines et tous les scénarios.

Les « Go-FOs » font ici référence aux « General Officers » (brigadiers, major generals, lieutenant generals, generals) et aux « Flag Officers », un terme utilisé dans la Marine.

Plus de distractions. Plus d’idéologies politiques. Plus de débris. Bien sûr, nous serons parfois en désaccord. Nous ne serions pas américains si ce n’était pas le cas. Être un leader dans une grande organisation comme la nôtre signifie avoir des conversations franches et des divergences d’opinion. Vous gagnerez certaines disputes et vous en perdrez d’autres. 

Mais lorsque les dirigeants civils donnent des ordres légitimes, nous les exécutons. Nous sommes des professionnels dans le domaine des armes. Tout notre système constitutionnel repose sur ce principe. Comprenez-le bien. Cela peut sembler insignifiant, mais ce n’est pas le cas. Cela inclut également le comportement de nos troupes en ligne.

À cette fin, je tiens à remercier et à saluer les services pour leurs nouvelles politiques proactives en matière de réseaux sociaux. Utilisez-les. Anonyme en ligne ou derrière un clavier. Se plaindre n’est pas digne d’un guerrier. C’est de la lâcheté déguisée en conscience. Les pages anonymes des réseaux sociaux au niveau des unités qui dénigrent les commandants, démoralisent les troupes et sapent la cohésion des unités ne doivent pas être tolérées.

Encore une fois, nous devons nous entraîner et nous devons entretenir notre matériel. Chaque instant où nous ne nous entraînons pas pour notre mission ou n’entretenons pas notre équipement est un instant où nous sommes moins préparés à prévenir ou à gagner la prochaine guerre.

C’est pourquoi aujourd’hui, sous ma direction, nous réduisons considérablement la quantité ridicule de formations obligatoires que les individus et les unités doivent suivre. Nous avons déjà mis fin aux plus néfastes. Nous vous rendons désormais du temps réel. Moins de briefings PowerPoint et moins de cours en ligne. Plus de temps à manier des armes et plus de temps sur le terrain. Notre travail consiste à nous assurer que vous disposez de l’argent, de l’équipement, des armes et des pièces nécessaires pour vous entraîner et vous entretenir.

Ensuite, vous prenez le relais. Vous le savez tous, car c’est une question de bon sens. Plus les normes de nos unités sont strictes et élevées, plus les taux de rétention dans ces unités sont élevés. Les guerriers veulent être mis au défi. Les soldats veulent être mis à l’épreuve. Quand vous ne vous entraînez pas et que vous ne vous entretenez pas, vous démoralisez vos troupes. Et c’est là que nos meilleurs éléments décident de mettre leurs talents au service du monde civil.

Les dirigeants qui ont créé le département woke ont déjà chassé trop de combattants acharnés. Nous inversons cette tendance. Dès maintenant. Il n’existe aucun monde où la guerre intense existe sans douleur, sans agonie et sans tragédie humaine. Nous exerçons un métier dangereux. Vous exercez un métier dangereux.

Nous risquons de perdre de bons éléments, mais aucun guerrier ne doit crier depuis sa tombe : « Si seulement j’avais été correctement formé ». Nous ne perdrons pas de combattants parce que nous avons échoué à les former, à les équiper ou à leur fournir les ressources nécessaires. Nous devrions avoir honte. Si nous formons vos guerriers, des vies en dépendent. Parce que c’est le cas.

À cet égard, la formation de base est en train d’être rétablie telle qu’elle devrait être : effrayante, difficile et disciplinée. Nous donnons aux sergents instructeurs les moyens d’inculquer une crainte salutaire aux nouvelles recrues, afin de garantir la formation de futurs combattants.

Oui, ils peuvent attaquer comme des requins, ils peuvent vous tomber dessus, ils peuvent jurer, et oui, ils peuvent mettre la main sur les recrues. Cela ne signifie pas qu’ils peuvent être imprudents ou enfreindre la loi, mais ils peuvent utiliser des méthodes éprouvées pour motiver les nouvelles recrues afin d’en faire les guerriers dont ils ont besoin, en revenant également à l’essentiel dans la formation de base. Bien sûr.

Et vous le savez, la formation de base n’est pas le point final de la préparation aux missions. La nature de l’environnement de menace en constante évolution exige que chaque membre, quel que soit son poste, soit prêt à se joindre au combat si nécessaire. L’un des principes fondamentaux du Corps des Marines est que chaque Marine est un fusilier.

Cela signifie que chacun, quel que soit son affectation, est suffisamment compétent pour affronter une menace ennemie en mer, dans les airs ou dans ce qu’on appelle l’arrière. Nous devons nous assurer que chaque membre de notre armée en uniforme maintient un niveau de compétence de base en matière de techniques de combat. D’autant plus que la prochaine guerre, comme la précédente, n’aura probablement pas de zone arrière.

Enfin, comme l’a souligné à juste titre le président Trump lorsqu’il a changé le nom du département, les États-Unis n’ont pas gagné de guerre majeure depuis que le département a été rebaptisé « département de la Défense » en 1947. Un conflit fait toutefois figure d’exception : la guerre du Golfe. Pourquoi ? Il y a plusieurs raisons à cela, mais il s’agissait d’une mission limitée avec une force écrasante et un objectif final clair.

Mais pourquoi avons-nous mené et remporté la guerre du Golfe comme nous l’avons fait en 1991 ? Il y a deux raisons principales. La première est que le renforcement militaire du président Ronald Reagan a donné un avantage écrasant. La seconde est que les dirigeants militaires et du Pentagone avaient déjà une expérience formatrice du champ de bataille. Les hommes qui ont dirigé ce département pendant la guerre du Golfe étaient pour la plupart des vétérans de la guerre du Vietnam. Ils ont dit « plus jamais » aux missions qui s’éternisent et aux objectifs finaux nébuleux. Il en va de même aujourd’hui.

Nos dirigeants civils et militaires regorgent de vétérans d’Irak et d’Afghanistan qui disent « plus jamais » à la reconstruction nationale et aux objectifs finaux nébuleux. Cette vision claire de la Maison Blanche, combinée au renforcement militaire du président Trump, nous positionne pour de futures victoires, si et quand nous le voulons. Nous soutenons le département de la Guerre et nous devons le faire.

Nous nous préparons chaque jour. Nous devons être prêts pour la guerre, pas pour la défense. Nous formons des guerriers, pas des défenseurs. Nous menons des guerres pour gagner, pas pour défendre. La défense est quelque chose que l’on fait tout le temps. Elle est intrinsèquement réactionnaire et peut conduire à une utilisation excessive, à des dépassements et à une perte de vue des objectifs.

La guerre est quelque chose que l’on mène avec attention, selon nos propres conditions et avec des objectifs clairs. Nous combattons pour gagner. Nous déchaînons une violence écrasante et punitive sur l’ennemi. Nous ne combattons pas non plus avec des règles d’engagement stupides. Nous donnons carte blanche à nos combattants pour intimider, démoraliser, traquer et tuer les ennemis de notre pays.

Finies les règles d’engagement politiquement correctes et autoritaires. Place au bon sens. Une létalité et une autorité maximales pour les combattants. C’est tout ce que j’ai toujours voulu en tant que chef de section, et c’est tout ce que mes chefs d’équipe E6 ont toujours voulu.

Pour en revenir à cette règle E6, nous laissons nos chefs faire combattre leurs formations, puis nous les soutenons. C’est très simple, mais incroyablement puissant. Il y a quelques mois, j’étais à la Maison Blanche lorsque le président Trump a annoncé son « Jour de la libération » pour la politique commerciale américaine. Ce fut un jour historique. Eh bien, aujourd’hui est un autre jour de libération, la libération des guerriers américains en nom, en actes et en autorité.

Vous tuez des gens et détruisez des choses pour gagner votre vie. Vous n’êtes pas politiquement corrects et n’appartenez pas nécessairement à la bonne société. Nous ne sommes pas une armée composée d’un seul homme. Nous sommes une force conjointe composée de millions d’Américains altruistes. Nous sommes des guerriers. Nous avons été créés dans un but précis. Pas pour le beau temps, le ciel bleu ou la mer calme.

Nous avons été créés pour être chargés à l’arrière d’hélicoptères, de camions 5 tonnes ou de Zodiacs au milieu de la nuit, par beau temps ou par mauvais temps, pour nous rendre dans des endroits dangereux afin de trouver ceux qui pourraient nuire à notre nation et rendre justice au nom du peuple américain dans des combats rapprochés et brutaux si nécessaire. Vous êtes différents. Nous ne nous battons pas parce que nous détestons ce qui se trouve devant nous. Nous nous battons parce que nous aimons ce qui est derrière nous. Vous voyez, les professeurs des universités prestigieuses ne nous comprendront jamais.

Et ce n’est pas grave, car ils ne pourraient jamais faire ce que vous faites. Les médias nous dépeignent de manière erronée, et ce n’est pas grave, car au fond, ils savent que c’est grâce à vous qu’ils peuvent faire ce qu’ils font. Dans cette profession, vous vous sentez à l’aise dans la violence afin que nos citoyens puissent vivre en paix. La létalité est notre carte de visite et la victoire notre seul objectif acceptable.

Pour conclure, il y a quelques semaines, lors de notre service de prière chrétien mensuel au Pentagone, j’ai récité une prière du commandant. C’est une prière simple mais pleine de sens pour demander la sagesse aux commandants et aux dirigeants. Je vous encourage à la consulter si vous ne l’avez jamais vue.

Mais la prière se termine ainsi. Et surtout, Seigneur, protège mes soldats. Conduis-les, guide-les, protège-les, veille sur eux. Et comme tu t’es donné entièrement pour moi, aide-moi à me donner entièrement pour eux. Amen.

J’ai récité cette prière à maintes reprises depuis que j’ai l’honneur d’être votre secrétaire, et je continuerai à la réciter pour chacun d’entre vous qui commandez et dirigez les meilleurs éléments de notre nation. Allez de l’avant et accomplissez de grandes choses, des choses difficiles. Le président Trump vous soutient, tout comme moi. Vous entendrez bientôt parler de lui.

Allez-y et tirez, car nous sommes le département de la Guerre.

Bonne chance.

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29.09.2025 à 07:00

Préparer les Européens à la défense du continent : une conversation avec le Commissaire Andrius Kubilius

Matheo Malik

Changer les mentalités.

Créer de la convergence.

Face à la menace russe, Ursula von der Leyen a confié à son commissaire à la Défense une tâche colossale : coordonner une Pax Europaea.

Nous le rencontrons.

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Texte intégral (4289 mots)

English version available at this link

Les incursions russes dans l’espace aérien polonais, estonien et roumain constituent-elles une provocation ou un test ? 

Les deux : avec la Russie, chaque provocation est une manière de tester notre détermination.

Lorsque vingt drones pénètrent l’espace aérien polonais, ce n’est pas une erreur.

Il s’agit clairement d’une provocation visant à mettre à l’épreuve la solidité de notre défense anti-drone sur le flanc Est.

En envoyant immédiatement des avions pour détruire ces appareils, l’OTAN a réagi rapidement et efficacement. Notre défense aérienne est préparée, robuste et capable de nous défendre contre les avions de combat ennemis et les missiles. 

Mais pour faire face aux incursions de drones, nous devons développer de nouvelles capacités. 

Les radars que nous utilisons pour détecter les missiles ne suffisent pas — les drones volent plus bas et d’autres types de technologie sont nécessaires pour les capter. Voilà d’ailleurs un domaine dans lequel nous avons beaucoup à apprendre de l’Ukraine. Kiev a développé de nouvelles technologies : radars, capteurs acoustiques, intercepteurs — et des mitrailleuses pour les abattre plus efficacement depuis le sol.

Nous savons qu’il nous reste des choses à faire dans ce domaine — et je m’y emploie.

En envoyant immédiatement des avions pour détruire les drones russes, l’OTAN a réagi rapidement et efficacement.

Andrius Kubilius

Envoyer des avions de chasse dans le ciel pour abattre des drones si peu coûteux est un gouffre financier évident : comment surmonter ce déséquilibre entre le coût de l’attaque adverse et celui de notre défense ?

Les avions de combat sont en effet destinés à d’autres missions.

C’est la raison pour laquelle nous avons besoin de capacités spécifiques. Et c’est exactement ce que nous souhaitons mettre en place avec la proposition de bâtir un mur anti-drones le long des frontières des États membres avec la Russie en nous inspirant de l’exemple ukrainien.

Moscou doit comprendre clairement que nous réagirons efficacement pour défendre nos États membres et leurs espaces aériens. C’est une question de souveraineté — et c’est clair pour nous tous.

Le président Trump a laissé entendre que l’incursion en Pologne aurait pu relever d’une erreur — plutôt que d’une provocation. Êtes-vous certain que les États-Unis protégeront le territoire de l’OTAN contre toute agression ? 

Je pense sincèrement qu’ils participeront à la défense du territoire de l’OTAN et qu’ils joueront leur rôle dans nos plans collectifs.

La question aujourd’hui est donc la suivante : quel est notre plan de défense et comment réagissons-nous à l’agression ?

Et quelle est votre réponse ?

Il faut à mon sens travailler sur un nouveau mandat.

Car que signifie « agression » ? Auparavant, c’était assez clair : des chars avançaient sur votre territoire, des avions de combat croisaient dans votre ciel — c’était le début d’une invasion. Dans cette hypothèse, l’OTAN était appelée et l’article 5 était déclenché. 

Mais  que se passe-t-il si ce ne sont pas des chars qui fondent vers nous, mais cent ou deux cents drones ? Comment réagir à cela ? Est-ce que cela relève de l’article 5 ? Et, si tel est le cas, quel serait notre plan d’action ?

La nature de la guerre a fondamentalement changé. L’Ukraine en est la preuve. Ce théâtre fait coexister des éléments de guerre classique avec une nouvelle façon de se battre. C’est la raison pour laquelle nous devons nous pencher sur la défense classique, mais aussi sur de nouvelles capacités.

Nous devons être prêts sur terre, en mer, dans les airs — et même dans l’espace, qui est également un élément important de mon portefeuille de commissaire et un domaine dans lequel l’Europe s’est montrée bien plus compétitive que beaucoup ne le pensaient. Dans le spatial, nous travaillons désormais mieux ensemble et — je suis fier de le dire — nous pouvons rivaliser avec les systèmes Starlink. 

La nature de la guerre a fondamentalement changé.

Andrius Kubilius

Qu’est-ce qui constitue le seuil d’une agression de l’Europe en 2025 ?

C’est une question clef et dont je ne peux être le seul à décider de la réponse. Elle implique les différents États membres et l’OTAN.

En tant que commissaire à la défense, je le résume par une phrase simple : nous avons besoin d’un nouvel état d’esprit. 

Prenons un exemple concret. Si l’on applique l’ancienne doctrine, une attaque de roquettes serait considérée comme une agression. Pourtant, une attaque de drones peut être tout aussi meurtrière. Si votre territoire est attaqué par cent drones, vous allez forcément être touché, cela causera des dégâts et cela peut tuer. Autrement dit, ce n’est pas parce qu’il s’agit de drones plutôt que de missiles que c’est moins grave. Si nous laissons cela se reproduire sans rien faire, le Kremlin n’en sera que plus enhardi — et se contentera de dire que c’était une erreur.

Rien ne serait plus dangereux.

Ce n’est pas une manière traditionnelle de faire la guerre et nous voulons précisément éviter de nous retrouver dans cette zone grise. Il nous faut donc être prêts à faire face à tous les scénarios et — j’insiste — abandonner les anciennes méthodes. 

Les nouvelles méthodes que vous appelez de vos vœux pourraient devoir signifier composer avec un retrait des États-Unis. Indépendamment de l’administration Trump que devrait faire l’Europe pour s’assurer qu’elle peut se défendre selon ses propres termes et à ses conditions ? 

La présidente de la Commission a répété le mot clef d’indépendance et je ne peux qu’être d’accord.

Nous voulons bâtir une Pax Europaea.

Les États-Unis ont indiqué depuis longtemps déjà — et pas seulement depuis le retour de Trump — qu’ils allaient changer l’ordre de leurs priorités et qu’ils considéraient comme stratégiquement nécessaire de renforcer leur présence dans la région indo-pacifique en se focalisant sur la Chine. Par conséquent, ils nous signalent que nous devrions nous occuper de notre sécurité à un degré beaucoup plus élevé qu’auparavant. L’idée que Washington serait toujours présente ne tient plus. C’est une transformation que nous devons examiner de manière rationnelle et dépassionnée.

Nous avons besoin d’accords pragmatiques avec les Américains. 

Andrius Kubilius

Car cela ne signifie pas pour autant que nous nous dirigeons vers un divorce chaotique. L’un de mes principes en tant que commissaire à la défense est de ne jamais entrer en concurrence avec l’OTAN. Nous devons renforcer le pilier européen de l’OTAN mais nous ne devons pas être en concurrence. Nous devons lever des fonds, utiliser notre politique industrielle et les outils dont nous disposons aux côtés des États membres — mais cela ne devrait en aucun cas faire signe vers une scission chaotique à l’intérieur de l’Alliance.

Dire que l’Europe doit prendre en charge sa défense est simplement le reflet d’une nouvelle réalité. L’idée que nous pouvions nous reposer sur nos lauriers, profiter des dividendes de la paix et ne pas dépenser est révolue. 

Désormais, notre défense est de notre responsabilité. Je ne considère pas cela comme une déclaration dramatique mais comme la conclusion logique du contexte dans lequel nous nous trouvons.

Ajoutons aussi une chose : le résultat final du dernier sommet de l’OTAN n’a pas été seulement un engagement de la part des Européens. Les États-Unis ont également déclaré leur engagement envers la défense collective de l’OTAN. 

Vous dites vouloir composer sans divorce chaotique. Mais comment, précisément, éviter le chaos ?

Nous avons besoin d’accords pragmatiques avec les Américains. 

Remplacer toutes les capacités que les États-Unis fournissent actuellement prendra du temps. Nous devons donc développer notre industrie, augmenter la production tout en élaborant un plan d’action clair.

Dans certains cas — je pense par exemple aux capacités de longue portée telles que le HIMARS — notre industrie ne produit pas suffisamment ou pas assez rapidement. Si nous devons encore nous approvisionner auprès des États-Unis à court terme, nous devons développer notre propre industrie en parallèle. Pour moi, la priorité est de ne pas avoir de lacunes.

Vous avez mentionné une Pax Europaea — comment comprendre cette expression ?

Notre vision de la paix allie la force à la dissuasion. Mais elle s’accompagne d’idéaux démocratiques et d’une source d’inspiration. En tant qu’Européens, nous devons être suffisamment forts pour dissuader toute agression — tout en proposant également une vision de progrès et de démocratie. 

On entend parfois que Poutine aurait envahi l’Ukraine parce qu’il craignait l’expansion de l’OTAN ou qu’il pensait que Kiev pourrait un jour y adhérer. Personnellement, je n’en crois rien. Poutine ne se soucie que d’une seule chose : la survie de son régime. Or une Ukraine indépendante, démocratique et européenne représentait un danger évident pour la Russie en ce qu’elle aurait soulevé des questions nouvelles pour le peuple russe : pourquoi l’Ukraine est-elle en train de se développer ? Pourquoi l’Ukraine est-elle plus prospère et se porte-t-elle mieux que nous ? Ce sont les réponses à ces questions qui menacent directement le régime russe. 

En quel sens ?

Poutine est totalement terrifié par le succès démocratique de l’Ukraine.

Je n’adhère pas à la théorie selon laquelle Poutine aspire à devenir Pierre le Grand et que ce serait là sa principale motivation. Pour moi, il a surtout peur de l’effet miroir entre une Ukraine prospère et indépendante et la Russie.

C’est pourquoi la Pax Europaea doit combiner l’affirmation d’une force suffisamment dissuasive avec un projet démocratique ambitieux. L’élargissement de l’Union représente en ce sens une opportunité : non seulement en termes de sécurité — puisque l’Ukraine dispose désormais de l’armée la plus expérimentée au combat sur le sol européen — mais aussi en tant que projet démocratique commun. La Russie craint cela autant sur le plan politique que sur le plan militaire. Voilà nos deux objectifs. 

Toutes ces aspirations ont un coût : pour atteindre ces objectifs, l’Europe doit disposer des ressources financières nécessaires. Seriez-vous favorables à l’émission d’obligations de défense en euros ?

Ma réponse courte serait : je ne pense pas que cela soit nécessaire à ce stade. 

Et la réponse longue ?

Si vous examinez les engagements pris par les États membres, l’engagement de 5 % qui a été convenu dans le cadre de l’OTAN — dont 3,5 % seront consacrés au moins aux capacités de défense — et les instruments que nous avons présentés avec la Commission, je ne pense pas que le problème central soit le manque de ressources.

La Pax Europaea doit combiner l’affirmation d’une force suffisamment dissuasive avec un projet démocratique ambitieux.

Andrius Kubilius

Certes, la plupart des contributions proviendront des États membres, mais si vous faites le calcul, nous devrions atteindre une moyenne de 3 % de dépenses de défense entre 2028 et 2035. Ces 3 % représentent 600 milliards d’euros supplémentaires par an. Sur une période de sept ans, cela représente 4 200 milliards d’euros. On pourrait faire valoir qu’une partie de ce financement ne servira pas uniquement à acheter des armes, mais la majeure partie sera consacrée aux capacités matérielles de défense. 

Il s’agit d’un montant substantiel.

Le problème que je vois est double : nous avons tout d’abord besoin d’une image claire pour comprendre quelle est la demande globale — car elle doit être cohérente — et nous devons savoir s’il sera possible d’avancer une partie de ce financement. 

Car on parle à terme d’un total de 4 000 milliards d’euros — mais c’est surtout avant 2030 que nous en avons besoin. 

Pour vous, l’important n’est donc pas tant de disposer de ressources supplémentaires que de mobiliser les capitaux plus rapidement ? 

Je fais confiance aux États membres lorsqu’ils affirment qu’ils dépenseront et tiendront leurs promesses. Tout le monde comprend désormais que la sécurité est absolument essentielle.  

La question n’est pas le financement de la défense européenne mais l’ingénierie financière pour rendre disponibles ces sommes rapidement. 

En général, nous savons trouver des solutions créatives. La vraie question est donc : saurons-nous trouver la manière d’anticiper ces sommes ? C’est le sujet central selon moi — beaucoup plus que celui de l’émission de nouvelles obligations.

Comment garantir que les futures dépenses militaires seront cohérentes et qu’elles favoriseront l’interopérabilité ?

Notre industrie est très fragmentée.

Mario Draghi l’a souligné dans son rapport. Il est clair que les États membres effectueront la majeure partie des achats et nous ne cherchons pas à les remplacer. Mais il doit y avoir une cohérence. Nous devons encourager les achats et les développements communs afin de surmonter cette fragmentation. Nous avons déjà mis en place certains instruments, tels que SAFE, ASAP et EDIP — mais nous pouvons et devons faire davantage. 

Nous devons aussi être honnêtes : ce n’est pas toujours facile car il y a toujours un instinct national. Sur le plan politique, la défense est encore principalement considérée comme une question intérieure et nos armées fonctionnent de cette manière. Cette mentalité doit changer.

Nous ne voulons pas remplacer les États membres, et nous comprenons qu’il existe un certain niveau de confidentialité au sein de l’OTAN pour des raisons valables, mais je pense sincèrement que la Commission peut jouer un rôle utile pour l’achat, la standardisation et en général le suivi de la dimension commune. Notre problème a souvent été non pas tant le manque de financement que le manque de cohérence dans les achats.

Nous devons utiliser notre puissance financière et notre politique industrielle pour inciter les États membres.

La question n’est pas le financement de la défense européenne mais l’ingénierie financière pour rendre disponibles ces sommes rapidement.

Andrius Kubilius

Êtes-vous d’accord avec la proposition du commissaire Stéphane Séjourné d’un nouveau traité européen consacré à la défense ? 

En ce qui concerne les propos du commissaire Séjourné, nous nous occupons déjà de ce que j’aime appeler la « défense matérielle » : la production, le développement, l’approvisionnement, les chars, l’artillerie, les drones.

Mais je vois un gros problème en ce qui concerne la préparation institutionnelle de la défense. 

On parle d’une menace russe prête à nous mettre à l’épreuve d’ici 2030 : la question qui se pose va au-delà du matériel — c’est celle d’une nouvelle architecture de défense. Ma tâche consiste en partie à planifier une Union de la défense. J’ai toujours clairement indiqué qu’elle devrait inclure l’Ukraine, car ce pays fait ses preuves au combat et s’intègre déjà, de facto, dans notre industrie.

Il serait avantageux pour nous d’intégrer les Ukrainiens, mais aussi des pays comme la Grande-Bretagne. Cela constituerait une bonne base et pourrait ouvrir la voie à de nouveaux instruments pour développer un plan industriel européen de défense, conformément à ce que dit le commissaire Séjourné. 

C’est donc, oui, une possibilité. 

Les pays tiers comme le Royaume-Uni devraient-ils pouvoir participer aux programmes européens sur un pied d’égalité ?

Des négociations sont en cours, non seulement avec le Royaume-Uni, mais aussi avec le Canada, concernant l’accès qu’ils auront aux prêts SAFE et les conditions de cet accès.

Lorsqu’on parle de programmes européens toutefois, cela va au-delà du financement. Pour moi, il y a plusieurs objectifs. Il s’agit certes de l’industrie de la défense, mais aussi d’efforts conjoints de formation et de capacités d’agir en cohérence — et c’est déjà le cas de facto au sein de la Coalition des volontaires, qui est un véritable effort conjoint.

Il faut accélérer notre intégration.

Une autre question est clef : la liberté d’utiliser comme nous l’entendons les armes que nous achetons avec l’argent des contribuables et qui sont acquises en dehors de l’Union européenne.

Un nouveau traité européen consacré à la défense est une possibilité

Andrius Kubilius

Vous faites référence au kill switch, l’idée que les États-Unis conserveraient une forme de contrôle sur les armes qu’ils vendent à des pays tiers. 

Oui. Et je leur ai dit directement. 

Je leur ai parlé des problèmes posés par la réglementation ITAR — l’ensemble de normes qui régit les exportations d’équipements de défense américains. Lorsque les Américains affirment que nous créons des problèmes aux entreprises américaines qui entrent sur le marché européen, je réponds que leur réglementation nous crée encore plus de problèmes.

Si nous dépensons notre argent — et ce sont bien les États membres qui effectueront la plupart des achats —, nous devrions pouvoir utiliser ces armes de la manière qui nous semble la plus appropriée. Si l’on suit cette logique, il est raisonnable de dire que l’autorité de conception devrait rester en Europe. Et c’est ainsi que de nombreuses entreprises européennes présentent leurs produits aux gouvernements européens.

Cela explique-t-il la récente annonce danoise de 10 milliards d’euros de commande pour des contrats entièrement réalisés en Europe ? 

Je pense que c’est une combinaison de plusieurs facteurs. 

Il y a la question de l’autorité en matière de conception — qui vous donne la possibilité d’utiliser les armes comme vous le souhaitez — mais parallèlement, certains messages provenant des États-Unis ont pu accélérer ce processus.

Elbridge Colby, le sous-secrétaire du Département de la Guerre, déclare publiquement que les priorités des États-Unis sont en train de changer, que certaines capacités resteront américaines et que les futurs achats auprès de pays tiers pourraient être limités. Il l’a dit clairement : les stocks doivent rester aux États-Unis.

L’annonce danoise est la conséquence de cela : nous savons que nous devons nous organiser différemment.

Mon rôle n’est pas de décider si les États membres devraient instaurer le service militaire obligatoire — mais cela serait sans doute très utile.

Andrius Kubilius

Même lorsqu’une préférence européenne claire est exprimée, il existe des divergences entre les États membres quant à la forme que devrait prendre cette préférence — on pense en ce moment aux tensions franco-allemandes sur le SCAF. Comment créer de la convergence ?

Cette question n’est pas nouvelle.

Lorsque la Communauté européenne du charbon et de l’acier a été créée, on a tenté de mettre en place une Communauté européenne de défense qui impliquait même la création d’une armée européenne. Cette initiative n’a pas été ratifiée en France à l’époque. Et l’idée a été abandonnée. Cela explique d’ailleurs en grande partie la fragmentation que nous observons aujourd’hui. Mais si nous voulons créer une véritable union européenne de défense, pleinement intégrée, il faudra une réelle volonté politique pour y parvenir. 

Si la Corée du Sud produit plus que nous tous réunis, c’est bien que quelque chose ne fonctionne pas.

Vous pensez donc qu’on verra à l’avenir davantage de fusions et de co-entreprises en Europe ?

Je le pense. 

Nous n’imposons pas la consolidation, elle se fait de manière organique. Il en va de même pour les co-entreprises. Nous ne dictons pas non plus aux États membres ce qu’ils doivent acheter, mais le rapprochement des acteurs du secteur montre qu’il existe de fait une volonté d’en faire plus ensemble. C’est toujours une question d’échelle et de rentabilité. 

Alors que la Chine, la Russie et les États-Unis se sont totalement réapproprié ce terme, l’Europe est encore très mal à l’aise avec l’idée de guerre — on préfère parler de conflits et de menaces ; de préparation et de sécurité. Montrer sa disposition à livrer bataille commence-t-il par rendre le service militaire obligatoire ?

Mon rôle n’est pas de décider si les États membres devraient instaurer le service militaire obligatoire — mais cela serait sans doute très utile.

Un phénomène social très intéressant se produit d’ailleurs dans les pays où il l’est.

Si la Corée du Sud produit plus que nous tous réunis, c’est bien que quelque chose ne fonctionne pas.

Andrius Kubilius

Si l’on prend l’exemple de la Finlande, le nombre de personnes qui se disent prêtes à défendre — voire à mourir pour — leur pays, est beaucoup plus élevé qu’ailleurs. Ce n’est pas forcément la seule raison — il y a aussi l’histoire, l’expérience et la perception de la menace.

L’Union européenne a été conçue comme un projet de paix, mais le contexte qui nous entoure a changé. C’est une réalité : nous avons besoin d’un nouvel état d’esprit. 

Quelles seraient les traductions concrètes de cette nouvelle mentalité ? 

Nous prenons les bonnes mesures pour mettre en place le nouveau récit dont nous avons besoin.

Ce n’est pas pour rien que nous avons désormais un commissaire à la défense, que nos dirigeants ont fait de la défense une priorité absolue et que nous concevons et déployons toute une série de nouveaux outils dans ce sens. 

Nos services de renseignement s’expriment plus ouvertement sur la menace russe : c’est une bonne chose. Il reste encore beaucoup à faire pour expliquer aux Européens — je parle ici des citoyens — à quel point nous devons nous préparer à cette menace.

Quand je repense à l’année écoulée, je trouve nos avancées plutôt encourageantes.

Mais nous devons désormais accélérer la cadence pour augmenter notre production et mobiliser des capitaux efficaces. 

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28.09.2025 à 18:43

Gagner la guerre d’Ukraine pour éviter la guerre d’Europe

Matheo Malik

Demain matin s’ouvre le Forum de sécurité de Varsovie, en partenariat avec la revue.

Pour sa présidente Katarzyna Pisarska, l’Union est face à un choix simple : si elle ne fait pas gagner l’Ukraine maintenant, elle accepte de livrer ses citoyens à une guerre directe contre la Russie de Poutine — dont les drones ont déjà commencé à envahir le ciel européen.

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Texte intégral (2689 mots)

Demain matin, à partir de 9 heures, s’ouvre en Pologne un rendez-vous européen clef : le Warsaw Security Forum. Avec plus de 2500 participants de haut niveau, la revue en est partenaire et nous serons présents pour mener des tables rondes et des entretiens de fond.

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L’Europe se trouve aujourd’hui à un point de bascule. D’un côté, une action décisive, une stratégie claire et un continent sûr. De l’autre l’hésitation, l’errance et le risque final d’affronter une Russie plus forte et plus téméraire dans des conditions bien pires.

La guerre en Ukraine est dans sa quatrième année.

Ce qui avait commencé comme une invasion à grande échelle s’est transformé en une guerre d’attrition épuisante. La résilience de l’Ukraine a été extraordinaire ; dans une situation qui lui était très défavorable, la résistance ukrainienne a arrêté la première charge de l’armée russe, repris des territoires et protégé sa capitale. 

Mais l’héroïsme seul ne suffit pas pour gagner une guerre. Il doit s’accompagner d’une stratégie et de ressources qui rendent la victoire inévitable — et non simplement possible.

L’Europe est loin, aujourd’hui, d’avoir réuni ces conditions. Elle refuse à juste titre de négocier avec le Kremlin, qui ne respecte pas la loi des traités ; elle est cependant toujours hésitante à prendre les mesures militaires nécessaires pour mettre fin à la guerre. Elle promet sa solidarité, mais dans une sorte de demi-mesure : des aides retardées, des livraisons d’armes au compte-gouttes et des débats qui s’éternisent pendant des mois, tandis que les soldats ukrainiens rationnent leurs munitions.

Le paradoxe est flagrant : l’Europe insiste sur le fait que la Russie ne doit pas gagner, mais elle n’arrive pas à définir clairement ce que serait une victoire ukrainienne  — ni ce qu’elle serait prête à faire ou à risquer pour la garantir.

Si l’Europe veut vraiment gagner cette guerre avant d’avoir à mener la prochaine, elle doit comprendre que l’aide militaire seule ne suffit pas.

Katarzyna Pisarska

Ce manque de clarté est coûteux, sur le champ de bataille comme ailleurs.

À Washington, l’hésitation européenne a fini par éroder sa crédibilité. Les votes aux Nations unies — en particulier ceux du Sud — dessinent  une nouvelle carte du monde. De plus en plus de pays s’abstiennent ou votent contre les résolutions condamnant l’agression russe, non parce que les arguments de la Russie sont convaincants — les revendications de « préoccupations légitimes concernant la sécurité » sonnent creux lorsqu’elles masquent une agression impériale — mais parce que le message de l’Europe est confus. Faute pour elle de proposer une manière de clore le conflit, la ligne morale entre l’agresseur et la victime devient pour d’autres plus facile à brouiller. Plus important encore, le temps ne joue pas en faveur de l’Europe.

Le Kremlin sait tourner les guerres longues à son avantage. Il échange de l’espace contre du temps. Il encaisse les sanctions, il les absorbe — jusqu’à ce que ses adversaires se lassent. De la retraite de Napoléon en 1812 à la normalisation post-Crimée en 2014, en passant par la longue épreuve de la Seconde Guerre mondiale, la stratégie de la Russie a toujours été de tenir dans le temps. C’est la même chose aujourd’hui. Cela importe au fond assez peu qu’elle ne remporte pas de succès militaire éclatant en Ukraine : elle ne perd pas non plus. Pour Moscou, un gel à son avantage est tout aussi précieux qu’une victoire sur le champ de bataille.

L’Ukraine est dans une autre temporalité. Chaque mois de guerre signifie plus d’infrastructures détruites, plus de citoyens déplacés, plus de tensions économiques et plus de soldats épuisés. L’économie du pays ne survit que grâce à l’aide extérieure ; sa population diminue. Le danger n’est pas que l’Ukraine s’effondre soudainement, mais que sa résilience faiblisse jusqu’à ce que les moyens ou la volonté de résister disparaissent.

L’Europe ne peut se permettre de laisser la guerre dériver vers une telle situation.

Plus elle attend, plus la facture sera élevée en termes d’argent, de capital politique et de vies humaines.

L’élargissement de l’Union comme moyen de victoire

Si l’Europe veut vraiment gagner cette guerre avant d’avoir à mener la prochaine, elle doit comprendre que l’aide militaire seule ne suffit pas.

L’Ukraine doit être ancrée de manière irréversible dans le projet européen — et le plus tôt possible. Car l’outil le plus puissant de l’Union n’a jamais été le char ou le missile mais la promesse de l’intégration : l’élargissement est le plus important des engagements stratégiques. Il indique aux amis comme aux ennemis que l’avenir du pays candidat est, sans aucun doute possible, de trouver sa place au sein de la famille européenne.

Il est aussi vital de garantir cela à l’Ukraine que de lui fournir de l’artillerie. 

Cette promesse détruit par un acte institutionnel le discours russe sur la « zone grise » : elle assure aux Ukrainiens que leurs sacrifices contribuent à construire quelque chose de durable ; elle dissuade aussi Moscou de parier sur l’épuisement de l’Europe.

Le processus d’élargissement de l’Union a été pensé pour des temps de paix. Les critères de Copenhague, élaborés en 1993, exigent du candidat des conditions de stabilité dans lesquelles il se conforme progressivement aux normes de l’Union.

L’Ukraine n’a pas ce luxe.

Elle mène ses réformes sous les bombes de Poutine, dans une guerre où elle lutte pour sa survie et celle de l’Europe. Exiger pour l’intégration du pays que celui-ci ne soit pas en guerre serait non seulement irréaliste mais aussi stratégiquement contre-productif. Cela reviendrait à accorder un droit de veto à la Russie : en maintenant ne serait-ce qu’une occupation minimale de cet immense territoire, Moscou pourrait bloquer indéfiniment l’adhésion de l’Ukraine.

Il existe des précédents en matière de flexibilité.

Chypre a rejoint l’Union en 2004 malgré un différend territorial non résolu. Ce qui importait alors était la décision politique : Chypre appartenait à l’Europe.

Il doit en être de même pour l’Ukraine.

L’adhésion devrait être adaptée aux temps de guerre et donner la priorité à un alignement institutionnel et sécuritaire de l’Ukraine en lui fournissant des garanties pour qu’aucun futur gouvernement de l’Union ne puisse choisir de renverser facilement le processus.

Accélérer l’adhésion de Kiev n’a rien d’un « geste symbolique » : ce processus porterait un coup direct aux objectifs de guerre de la Russie.

Poutine a envahi l’Ukraine pour tenter d’enrayer sa trajectoire européenne ; accélérer celle-ci serait la réponse stratégique la plus dévastatrice que nous pourrions lui asséner.

L’outil le plus puissant de l’Union n’a jamais été le char ou le missile mais la promesse de l’intégration : l’élargissement est le plus important des engagements stratégiques.

Katarzyna Pisarska

Perdre du temps en fait gagner à la Russie 

Certains affirment qu’intensifier le soutien maintenant serait trop coûteux ou risquerait de « provoquer » la Russie. 

Or faire traîner cet appui ne nous ferait pas économiser de ressources : au contraire, cela multiplierait nos besoins.

Si l’armée russe atteint ses objectifs — que ce soit par une conquête pure et simple ou en transformant l’Ukraine en une « zone grise » perpétuellement instable — les conséquences ne s’arrêteront pas au Dniepr. 

Aux portes de l’Europe se tiendrait alors une Russie gonflée de sa victoire, militairement renforcée, économiquement adaptée aux sanctions et suffisamment confiante pour tester la détermination de l’OTAN. Des pays comme la Moldavie et la Géorgie seront confrontés à un risque accru ; même les pays baltes, membres de l’Union, y seront exposés. L’Europe n’aura alors d’autre choix que de se réarmer à une vitesse vertigineuse, de déployer des forces le long d’une frontière beaucoup plus longue et de faire face à un conflit direct, le tout dans des conditions bien plus mauvaises qu’aujourd’hui.

Le choc migratoire provoqué par une défaite de l’Ukraine dépasserait de loin tout ce que l’Europe a connu ces dernières décennies.

Les marchés de l’énergie entreraient à nouveau en crise.

L’extrémisme politique sur le continent — déjà alimenté par les inquiétudes économiques et sécuritaires — s’en trouverait grandement renforcé.

Enfin, l’unité de l’Europe, fondement même de sa crédibilité mondiale, essuierait là un coup dont elle mettrait longtemps à se remettre.

Car toute la stratégie de la Russie repose sur le pari d’un morcellement de l’unité occidentale. Elle espère que les élections portent au pouvoir des dirigeants moins engagés, que l’usure économique affaiblisse notre détermination et que les Alliés veuillent normaliser les relations avec le Kremlin. Chaque mois d’hésitation renforce cette hypothèse.

Notre réponse doit prendre la forme de mesures tangibles et surtout irréversibles : en commençant par saisir les avoirs gelés de l’État russe — plus de 300 milliards de dollars dans les réserves de la banque centrale — pour financer la défense et la reconstruction de l’Ukraine. Une telle mesure non seulement saperait la stratégie de la Russie, mais modifierait également le discours politique national. Plutôt que de demander aux contribuables européens de supporter un lourd fardeau, les dirigeants pourraient démontrer que la Russie paie pour les dommages qu’elle a causés.

Chaque mois qui passe sans stratégie européenne cohérente est un mois où la Russie s’adapte, où le sang des Ukrainiens coule et où les coûts de la paix augmentent.

Katarzyna Pisarska

Ce moment est celui d’une génération.

Si l’Europe continue à hésiter et que l’Ukraine tombe, les jeunes Européens d’aujourd’hui vivront demain dans un continent moins sûr, moins respecté et plus dépendant des puissances extérieures.

Les belles paroles de l’Union sur les droits de l’homme et l’État de droit sonneront alors bien creux.

Le souvenir d’une Europe restée les bras croisés alors que son voisin démantelait une démocratie restera gravé dans les mémoires pendant des décennies — comme l’a pu l’être celui de ceux qui prônaient l’apaisement dans les années 1930.

Si, en revanche, l’Europe aide l’Ukraine à gagner et accélère son adhésion, elle aura prouvé à elle-même et au monde entier qu’elle est plus qu’un bloc économique ; elle aura montré que lorsque ses valeurs sont remises en cause, elle est capable d’agir.

Elle aura jeté les bases d’une relation transatlantique plus forte et plus équilibrée, dans laquelle l’Europe n’est pas seulement un partenaire mineur, mais un acteur stratégique à part entière.

La guerre en Ukraine aura forcément, à la fin, un vainqueur.

La seule question est de savoir si l’Europe sera de ce côté ou si elle devra faire face aux conséquences de sa propre indécision.

Notre fenêtre de tir pour agir est en train de se refermer.

Chaque mois qui passe sans stratégie européenne cohérente est un mois où la Russie s’adapte, où le sang des Ukrainiens coule et où les coûts de la paix augmentent.

En aidant Kiev à gagner maintenant — militairement et économiquement — et en l’intégrant sans délai dans l’Union, l’Europe s’achèterait une victoire stratégique et épargnerait surtout un prix bien plus élevé : celui d’une guerre à mener contre la Russie sur son propre sol.

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23.09.2025 à 17:07

Après la reconnaissance de la Palestine, le futur de la Pax Netanyahou

Matheo Malik

Alors que l’État palestinien est désormais reconnu par 157 pays, les plans du gouvernement israélien pour imposer à la région une paix armée pourraient être bouleversés.

Asiem el Difraoui signe une pièce de doctrine pour cerner les limites de la géopolitique de Netanyahou.

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Texte intégral (3366 mots)

Une image virale a beaucoup circulé ces derniers mois, notamment après les frappes spectaculaires menées par les États-Unis contre le programme nucléaire iranien. On y voit George W. Bush et ses plus proches collaborateurs — Colin Powell, Dick Cheney, Condoleezza Rice, Donald Rumsfeld — prenant la pose au Bureau ovale.

Élégants, impeccables, le regard fixé vers la caméra.

Un commentaire accompagnait la photo : « Imaginez que vous remontiez dans les années 2000 et que vous disiez à ces gens que l’animateur de The Apprentice serait celui qui finirait par bombarder l’Iran. »

Cette image capture avec une ironie efficace un paradoxe profond.

Le spectacle mis en scène par Donald Trump depuis la Maison-Blanche nous sidère. Mais malgré toute leur puissance de feu, les États-Unis ne sont pas l’agent réel de la transformation en cours — il y en a un autre : le Premier ministre d’Israël.

Depuis le 7 octobre 2023, Benjamin Netanyahou met en œuvre le vieux mantra des néoconservateurs américains : la création d’un « Nouveau Moyen-Orient » — une ambition qui avait été affirmée pour la dernière fois par les États-Unis de George W. Bush.

C’est d’abord l’histoire d’un échec.

Les États-Unis ont en effet lamentablement raté leur occupation de l’Irak en 2003, contraire au droit international et construite sur des fondements idéologiques plus que sur une stratégie. L’Irak a sombré dans une guerre civile sanglante qui a causé des centaines de milliers de morts. Des mouvements djihadistes ont émergé, avec comme apogée de l’horreur la naissance de l’État islamique (Daech), qui a fini par établir un pseudo-califat en Irak et en Syrie, exportant sa terreur jusqu’en Europe par des attentats de masse, notamment à Paris et à Madrid.

Ce n’est qu’avec l’intervention d’une coalition internationale que Daech a pu être défait militairement, notamment après la chute de Mossoul.

Et ce n’est que deux décennies après le début de l’opération américaine Iraqi Freedom que l’Irak a commencé à se stabiliser et à disposer d’un gouvernement relativement représentatif.

Pour comprendre ce qui se déroule au Moyen-Orient aujourd’hui, il faut donc partir de là : vingt ans plus tard, le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou, est-il en train de réussir là où George W. Bush avait échoué — en imposant par la force sa vision d’un Nouveau Moyen-Orient ?

La «  double  » du magazine Vanity Fair consacrée à la Maison-Banche de George W. Bush et sa photo iconique.

Changement de régime : le Nouveau Moyen-Orient de Benjamin Netanyahou

Depuis l’attaque terroriste du 7 octobre 2023, Israël s’est engagé sur plusieurs fronts en accumulant les succès stratégiques.

Au Liban, sa victoire contre le Hezbollah, obtenue par la ruse et par la force, a déjà en quelque sorte contribué à une transformation de la gouvernance du pays.

La dislocation du « Parti de Dieu » et la décapitation de son leadership l’empêchent désormais de déterminer l’action gouvernementale, ou de contrôler réellement le sud du pays.

Un gouvernement de transition pragmatique, dirigé par le général Joseph Aoun — jouissant du respect de la majorité de la population — et Nawaf Salam, un Premier ministre considéré comme efficace, notamment en Occident, pourraient réussir à reprendre le contrôle de l’ensemble du territoire — y compris l’ancien fief du Hezbollah — et à sortir le Liban de sa crise économique chronique.

Le basculement de la Syrie n’a probablement été possible que parce que le Hezbollah et l’Iran — principaux soutiens de la dictature d’Assad — avaient été affaiblis au préalable par Israël. En marge de l’Assemblée générale des Nations unies, à New York, le nouvel homme fort de Damas Ahmed al-Charaa s’est entretenu publiquement avec David Petraeus — l’un des architectes de la stratégie américaine de contre-insurrection au Moyen-Orient. Si elle n’était pas forcément du goût d’Israël, la mise en scène de cette rencontre entre un ancien chef djihadiste et le militaire qui a le plus combattu Al-Qaïda sur le terrain marque un tournant.

Enfin, en lançant l’opération Am Kalavi, le Premier ministre israélien avait pour la première fois clairement appelé au changement de régime à Téhéran. Malgré son succès tactique et la création d’un précédent avec l’opération américaine « Midnight Hammer » — qui montre qu’Israël est désormais capable de pousser les États-Unis à agir à sa demande — il n’est pas encore parvenu à cette étape ultime.

Avec la chute de l’ayatollah, toutes les menaces directes d’Israël seraient éliminées.

Au-delà des fantasmes : de la Pax Israeliana au Bellum Æternum 

Pourtant, une Pax Israeliana — pour reprendre l’expression du politologue libanais, diplomate et ministre Ghassan Salamé 1 — dans laquelle Israël stabiliserait la région selon sa volonté et l’expression de sa puissance, paraît de plus en plus lointaine.

Certes, Tel Aviv est aujourd’hui l’hégémon régional incontesté — sauf peut-être en Syrie, où la Turquie continue de faire contrepoids. L’Arabie saoudite et l’Égypte, jadis poids lourds régionaux, ne pèsent plus grand-chose, paralysés par la crainte de la puissance militaire israélienne et l’imprévisibilité de Donald Trump.

Mais malgré cette domination, nous sommes très loin d’un climat propice au règlement des conflits. 

Le spectre qui se dessine est plutôt celui d’un bellum aeternum — une guerre sans fin.

La menace de la réoccupation totale de Gaza et les actions très violentes de colons d’extrême droite en Cisjordanie marquent une ligne claire : dans son immédiat voisinage, le gouvernement israélien cherche à s’étendre.

La Syrie, que le gouvernement Netanyahou voudrait — comme autrefois le pouvoir colonial français — diviser en mini-États autonomes selon des lignes ethniques et confessionnelles, illustre cette vision. 

Le cas druze, où Israël se pose en protecteur de la minorité avec une présence militaire au Golan, un territoire déjà en partie occupé par Israël, en est un autre exemple.

Un effondrement du régime iranien pourrait libérer des forces centrifuges dangereuses. On oublie trop souvent que seuls 60 % de la population iranienne sont d’origine perse. Les minorités kurde, baloutche, arabe et azérie y sont nombreuses. Certaines, notamment les groupes kurdes et baloutches, sont déjà en conflit ouvert avec Téhéran.

À cela s’ajoute le danger d’un soulèvement interne violemment réprimé par les Gardiens de la révolution, qui pourrait précipiter le pays dans le chaos. Les ultraconservateurs au pouvoir pourraient alors chercher à déstabiliser l’Irak — où ils disposent encore de puissantes milices loyales — et n’auraient aucun intérêt à voir émerger une Syrie stable. 

Ils pourraient ainsi activement soutenir les adversaires du gouvernement fragile d’Ahmed Al-Charaa, qui peine déjà à contrôler le pays et sa mosaïque ethnique et religieuse.

Car les tensions restent vives : l’EI a commis en juin son premier attentat majeur dans une église de Damas, causant la mort de 22 personnes. D’autres menaces persistent, provenant par exemple de fractions radicalisées de la minorité chiite ou des Fulul — soutiens de l’ancien régime.

Une nouvelle descente dans le chaos syrien aurait des conséquences dramatiques pour toute la région — en particulier pour le Liban voisin, dont la stabilité reste extrêmement précaire.

Mais les États fragiles ne sont pas les seuls menacés.

Une fermeture du détroit d’Ormuz — déjà brandie comme menace par le Parlement iranien — pourrait mettre en grande difficulté un géant relativement discret : les Émirats arabes unis. Malgré ses vastes réserves financières, un conflit prolongé entravant l’exportation de pétrole et de gaz pourrait de fait exercer une pression considérable sur Abou Dabi, dans un contexte de croissance démographique rapide. Qui pourrait continuer d’investir aux Émirats si la guerre s’installe à ses portes ?

Les Accords d’Abraham, un temps célébrés comme un tournant diplomatique, apparaissent aujourd’hui comme un reliquat d’une époque révolue. 

En particulier après l’attaque israélienne contre la délégation de négociations du Hamas au Qatar. Très longtemps poussé par Israël à jouer le rôle d’intermédiaire, ce pays abrite la plus grande base militaire américaine au Moyen-Orient et le US Central Command pour la région. 

Cette attaque a envoyé une onde de choc dans les autres pays du Golfe — y compris ceux qui ont signé les Accords d’Abraham et qui craignent maintenant pour leur stabilité.

Pourtant, ces blocages ne sont donc pas de nature à arrêter Netanyahou — ni aux frontières d’Israël, ni au-delà.

Et c’est précisément là que se situe le principal risque.

De Napoléon à Netanyahou : le paradigme de la « guerre de trop »

Sous couvert d’anonymat, un haut diplomate européen spécialiste du Moyen-Orient pointe les écueils de cette paix par les armes  : « Netanyahou est un excellent tacticien, mais pas un stratège capable de penser à long terme au-delà de sa propre survie politique ». 

Que se passe-t-il après les victoires tactiques ?

Comme Napoléon, Netanyahou s’appuie sur la ressource politique ultime de tout dirigeant fragilisé en interne mais qui enchaîne les succès à l’extérieur : le charisme militaire.

Dans la démocratie israélienne, chaque nouvelle séquence de la série de victoires qui a culminé jusqu’à l’opération Am Kalavi a ainsi permis de repousser sine die la question du coût réel de la guerre.

Comme Napoléon, Netanyahou a pu instrumentaliser la menace extérieure pour consolider son autorité interne. Dans les deux cas, la force charismatique repose sur la conviction que le chef militaire incarne la survie même de la Nation.

Mais cette stratégie a un prix et crée une dépendance : s’appuyer sur le prestige militaire impose de devoir en faire constamment la démonstration.

Il existe un paradoxe napoléonien que pourrait être en train de reproduire Netanyahou : pour rester crédible, il faut s’enfermer dans une spirale.

Dans La Révolution, François Furet décrivait l’Empire de Napoléon comme un régime qui ne pouvait pas s’arrêter pour survivre.

La guerre de trop de Napoléon fut peut-être celle d’Espagne lancée en 1808. La campagne de Russie de 1812, épuisant ses ressources, viendrait amorcer un déclin dont la défaite de Leipzig en 1813 fut le symptôme et Waterloo l’aboutissement.

Au-delà des aspects militaires et logistiques, la logique de la conquête condamnait Napoléon à toujours plus de victoires militaires, sans capacité à stabiliser un équilibre — la chute serait arrivée tôt ou tard.

Netanyahou est confronté à ce dilemme : même s’il accumule les succès militaires, la disproportion entre d’une part l’entretien de la puissance charismatique et de l’autre le coût politique à refuser toute diplomatie pourrait créer un déséquilibre et faire craquer son positionnement — jusqu’à un point de rupture.

Benjamin Netanyahou avec sa femme Sara et son fils Yair, sur la plage de Césarée en Israël — entourés de gardes du corps.

La Palestine et le problème de Clausewitz

Dans ce contexte, la reconnaissance par le Royaume-Uni de l’État de Palestine le 21 septembre, suivie le même jour par le Canada, l’Australie et le Portugal, ainsi que par la France, la Belgique, le Luxembourg, Malte, Saint-Marin et l’Andorre hier, introduit un élément perturbateur. 

Dans la spirale de victoires vient se loger une tension entre interventionnisme armé et diplomatie.

Car même si certains États continueront de se ranger derrière Netanyahou, dont les attaques contre ses alliés occidentaux se font de plus en plus virulentes, la possibilité d’une position européenne plus unifiée est désormais bien réelle.

Malgré ses victoires militaires au Proche-Orient, cette dynamique pourrait contraindre Netanyahou à renouer avec la diplomatie — mais au risque de perdre le crédit militaire.

Le piège dans lequel pourrait être tombé Netanyahou est celui de voir la célèbre maxime de Clausewitz — « la guerre n’est rien d’autre que la continuation de la politique par d’autres moyens » — rétroagir brutalement et à front renversé.

Après plusieurs mois de victoires, Benjamin Netanyahou pourrait être confronté à une nouvelle réalité : la politique et la diplomatie deviendraient pour lui la continuation de la guerre par d’autres moyens.

On peut lire comme un écho à cette matrice stratégique le discours prononcé à la tribune de l’Assemblée générale des Nations unies par Emmanuel Macron le 22 septembre : « la paix est beaucoup plus exigeante, beaucoup plus difficile que toutes les guerres. »

Les succès militaires sur le terrain ne suffisent pas à garantir la sécurité ou la légitimité internationale d’Israël.

À mesure que s’accumulent la pression diplomatique, les reconnaissances de l’État palestinien par des alliés clefs de l’Occident, et l’isolement croissant d’Israël sur la scène mondiale, la bataille se déplace. 

Elle ne se joue plus seulement avec des chars et des drones, mais aussi dans les chancelleries, les forums multilatéraux et l’opinion publique internationale.

Pour Netanyahou, le défi est désormais de savoir s’il saura transformer ses succès militaires en leviers diplomatiques ou s’il continuera une fuite en avant militaire qui risque de réduire encore son espace politique.

De nouveaux leviers après la reconnaissance de la Palestine par 157 États

La France et le Royaume-Uni, membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies, doivent peser de tout leur poids — même en cas de veto américain — pour proposer des résolutions audacieuses favorisant la désescalade. 

Le plan de paix franco-saoudien en est un exemple, dont l’objectif est de forcer Netanyahou à négocier avec un interlocuteur légitime — l’Autorité palestinienne — aujourd’hui reconnu en tant qu’État par 157 pays.

Même si un tel veto reste probable, Donald Trump, président imprévisible, pas fondamentalement belliciste et désireux de recevoir le prix Nobel de la Paix en parachevant les Accords d’Abraham, pourrait être sensible à certains arguments, surtout économiques.

Doutant de l’efficacité de la protection américaine, les États du Golfe pourraient faire peser la menace d’un désinvestissement de leurs fonds souverains extrêmement riches, nuisant ainsi aux intérêts non seulement liés à Israël mais aussi aux États-Unis. Trump s’est montré très mécontent concernant l’attaque au Qatar et, proche des dirigeants saoudiens, il pourrait exercer une pression décisive sur Israël, une fois la menace nucléaire iranienne écartée à ses yeux. Désormais unique membre du Conseil de Sécurité à ne pas reconnaître l’État palestinien, les États-Unis disposent d’un levier de poids pour empêcher Israël de poursuivre ses initiatives militaires unilatérales.

En Israël, l’opinion publique pourrait quant à elle jouer un rôle clef.

Alors que l’extrême droite s’enferme dans une spirale de destruction totale à Gaza et de conquête en Cisjordanie, la prise de conscience qu’Israël est en train de perdre la guerre pour l’opinion publique mondiale pourrait provoquer un sursaut.

Car les pays des BRICS élargis ou du Sud global ne sont plus les seuls à ne pas accepter la politique de Netanyahou au Proche-Orient et la violence contre les Palestiniens. Ces préoccupations s’installent désormais durablement aussi dans de plus en plus de pays amis en Europe.

Partout dans le monde, une jeunesse très éduquée et révoltée par la politique du gouvernement Netanyahou se mobilise ; parmi elle existent certes des éléments antisémites mais, dans sa vaste majorité, elle est indignée par les crimes de guerre contre les Palestiniens et leur souffrance : parmi elle se trouvent les élites politiques de nombreux pays de demain.

Peut-être les Israéliens se rendront-ils compte qu’ils sont actuellement en train de compromettre sérieusement leur avenir sur la scène mondiale. Un tel réveil permettrait peut-être de vraiment stabiliser la région avant qu’un Bellum Aeternum ne s’installe définitivement — une guerre sans fin dont ils risqueraient eux aussi de devenir les victimes.

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