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25.11.2024 à 17:57

Intérieur

dev

Texte intégral (674 mots)

À l'Intérieur des hommes hument les effluves
Humectent leurs lèvres fines de l'Intérieur
Ces hommes de l'Intérieur claquent la langue
Ils savourent
Leurs papilles sont délicates
Ils veillent à l'Intérieur
Gardent le pays
Le protègent

Narines, œsophage, intestins alertes
Parapheur sous le bras
Ces hommes de l'Intérieur trient
Les gentils, les méchants
Ceux qui bossent
Ceux qui rapinent
Les assimilables, les jetables
Question de goût
Les hommes de l'Intérieur ont bon goût
Le palais sûr
Ils expulsent de l'Intérieur vers l'extérieur
Ils digèrent de l'extérieur vers l'Intérieur
C'est selon
Ces hommes de l'Intérieur édictent de l'Intérieur
Des circulaires qui circularisent les sucs gastriques
Qui absorbent, rejettent
Qui retiennent, déversent
C'est selon
De commission en commission
De gouvernement en gouvernement
Les hommes de l'Intérieur
Ne mollissent pas
Duodénum à toute épreuve
Estomac bien accroché
Les hommes de l'Intérieur légifèrent l'Intérieur
Prescrivent de l'Intérieur
Organisent de l'Intérieur l'organisme Intérieur
Ses flux et reflux
Ses remontées acides
L'Intérieur ne peut pas accueillir toute la misère du monde
Vous en avez marre
On va vous en débarrasser
Les hommes de l'Intérieur traquent les nuisibles
Les refoulent de l'Intérieur vers la mer ou le désert
C'est selon
C'est l'administration Intérieure de l'Intérieur
Ses agents actifs de l'Intérieur
Bifidus préfectoral
Centre de rétention colorectal
Les hommes de l'Intérieur ne font pas la fine bouche
Ils sont pénétrés
D'un ordre public Intérieur
Intérieur et supérieur
Pour l'Intérieur tout compte
Il n'y a pas de vains efforts à l'Intérieur
Pas une tente qui ne mérite d'être lacérée
Pas un mineur isolé qui ne mérite la rue
Pas une embarcation qui ne mérite de périr
Rentrez chez vous
Quand il y en a un ça va
C'est quand il y en a beaucoup
L'ordre Intérieur prime
Opère scrute palpe
Tapisse de l'Intérieur l'Intérieur de nos orifices
À toute heure, en continu
L'Intérieur se liquéfie de l'Intérieur
En bile en jus en selle en sang
Macule les trottoirs
Les feed rss
Nos rétines
De l'Intérieur les imbibe
L'Intérieur boit l'Intérieur
Ingère défèque ingère défèque
Occlusion Intérieure
Circuit clos
Pourrissant

Nassera Tamer

25.11.2024 à 17:46

Chiapas : Des semences rebelles aux solidarités internationales

dev

Texte intégral (2338 mots)

« (…) Peut-être que notre pensée est trop simple et qu'il nous manque des nuances et des subtilités si nécessaires, toujours, dans les analyses mais, pour nous, Zapatistes, à Gaza, il y a une armée qui est en train d'assassiner un peuple sans défense.

Qui, en bas et à gauche, peut rester sans rien dire ? »

Sous-commandant insurgé Marcos.
Mexique, 4 janvier 2009.

La première série “Semences rebelles” consacrée au mouvement zapatiste (I) [1], nous a permit d'introduire quelques-unes de ses contributions politiques - autonomie rebelle, graine zapatiste pour une autre politique (A) - et philosophiques - ontologie rebelle, graine zapatiste pour une autre philosophie (B) - pour les recherches-actions écologiques et critiques de la Modernité capitaliste et de l'Etat, et pour la résolution collective des crises écosytémiques.

Pour situer et approfondir ce que nous avons ébauché, tu peux te référer à une synthèse généalogique et à une courte bibliographie :
ici [2].

Des graines aux forêts

« Nous sommes rébellion et résistance. Nous sommes une de ces nombreuses masses qui abattront les murs, un de ces nombreux vents qui balayeront la terre, et une de ces nombreuses graines desquelles naîtront d'autres mondes.

Nous sommes l'Armée zapatiste de libération nationale ».

Sous-commandant insurgé Moíses, août 2019.

Depuis le soulèvement armé du 1er janvier 1994, le mouvement zapatiste a particulièrement cheminé en s'interrogeant, au travers des sentiers rebelles de la résistance - construction civile de l'autonomie - et de la rébellion - contributions théorico-pratiques aux basculements philosophico-ontologiques, politiques et anthropologiques nécessaires à la destitution du triptyque Modernité-Capitalisme-Etat de son hégémonie planétaire.

En chemin, entre les territoires autonomes du Chiapas et les multiples mondes qui composent la Terre, le mouvement zapatiste sème des graines de résistance-rébellion, d'imaginaires d'écologie terrestre anticapitaliste et non-moderne, de réflexions et d'analyse-critiques, de rage, de dignité et d'espoir, entre tant d'autres.

Contre la prétention unimondiste de la Modernité capitaliste et la configuration étatique du politique, les brutalités systémiques et les destructions écologiques qui affectent tant la bio-communauté et notre écosystème terrestres, des germes d'inspiration zapatiste poussent partout sur la planète Terre.

Depuis 30 ans, le mouvement zapatiste a largement contribué à nos cheminements écologiques et rebelles et au maillage international des luttes anticapitalistes et pour la vie.

Les semences écologiques et rebelles animent les cœurs-pensées de celles et ceux, de celleux, qui luttent pour la vie et la dignité, chacun.e à sa manière, sans relâche - bon, parfois, une petite sieste est bien méritée - souvent depuis en bas et à gauche. Effectivement, parfois c'est difficile de les situer. D'ailleurs, peu importe où ces personnes se situent, au fond ce qui nous importe c'est qu'elles luttent, bien que différemment, pour la vie digne, c'est-à-dire, contre l'hydre capitaliste, la Modernité occidentale et coloniale, et l'Etat.

Si l'ampleur des crises écosytémiques nous inquiète et nous effraie, si l'écocide terrestre, l'asservissement des peuples, le génocide palestinien, les féminicides, l'indifférence, le colonialisme et un long etcétéra de brutalités et d'horreurs, nous indignent et nous enragent, n'oublions pas que la Terre est aussi composée de personnes qui vivent-luttent pour la vie et la dignité, la liberté et la justice.

Ces personnes, aux multiples visages et aux diverses voix, parfois invisibles et inaudibles, qui existent et résistent malgré les obstacles et les souffrances, nous démontrent que vivre, dans ce monde mortifère, c'est lutter.

Parmi elles, nous savons que nous pouvons compter sur les zapatistes. Nous savons que depuis trois décennies, le mouvement zapatiste nous interroge et nous oriente, nous fait rêver et espérer, nous encourage à nous organiser, différemment selon nos géographies et nos calendriers, et à vivre l'utopie possible d'autres mondes écologiques et rebelles.

Ensemble, ici et maintenant. Mais aussi demain. Puis après-demain, l'année prochaine, dans 30 ans, 120 ans et pour les prochains siècles.

Parce que nous sommes des milliards, et plus encore, et que si nous peinons souvent à nous reconnaître, à nous écouter et à nous comprendre, des racines vieilles de plusieurs millénaires, sages d'histoires, de savoirs et de pratiques, nous relient par-delà les mondes et les différences.

Tant que nous lutterons pour vivre dignement, la configuration hégémonique du monde - que nous synthétisons par le triptyque Modernité-Capitalisme-Etat, ne sera JAMAIS le monde. Rien de plus qu'un système-monde pourri, meurtrier, puant, affreux, (…).

Malgré sa brutalité déconcertante, ses changements d'apparence et sa prétention de permanence, les reconfigurations actuelles du système qui détruit nos mondes nous montrent que sa reproduction est chaque fois plus difficile. Ce monde s'affaiblit. De nombreuses brèches fissurent le mur de l'Histoire sans futurs.

Sans négliger ses capacités réelles d'imposition d'un présent perpétuel, une illusion publicitaire pour nous conformer, le système que nous connaissons, que nous vivons et perpétuons n'est pas éternel.

La brutalité de l'hydre, l'imposition coloniale de la Modernité occidentale et l'Etat, nous affectent différemment, en fonction de l'être-terrestre que nous sommes et de la place systémique que nous occupons. Pas besoin de préciser que les femmes, les gens d'en bas, les peuples originaires, les personnes dissidentes et racisées sont, bien souvent, les premières affectées. Mais aussi les premières à résister, c'est-à-dire à vivre-lutter.

Parce qu'il n'y a jamais eu de continuité ininterrompue de la domination systémique. Nous avons toujours résisté.e, contourné.e, saboté.e, (…) mais aussi construit d'autres mondes et d'autres modalités d'existence au bord du système-monde dominant, souvent dans les interstices.

Le mouvement zapatiste nous démontre qu'en nous organisant, nous pouvons expérimenter d'autres mondes, d'autres imaginaires, d'autres théories et pratiques, d'autres subjectivités, etc. Ce n'est pas simple, ni idéal, mais c'est possible et largement désirable.

D'un côté à l'autre

« Il n'existe pas pour nous de frontières ni de géographies lointaines. Tout ce qui se passe dans n'importe quel coin de la planète nous affecte et nous concerne, nous inquiète et nous fait mal. (…) nous pouvons comprendre la souffrance, la douleur, la tristesse et la digne rage que provoque le système. »

Sous-commandant insurgé Moíses

« Neuvième partie : La nouvelle structure de l'autonomie zapatiste », 12 novembre 2023

A la suite des « Semences rebelles », nous allons donc nous concentrer sur l'actualité zapatiste, c'est-à-dire, sur les récents communiqués de l'EZLN et la situation des conflits politiques et armés dans l'Etat du Chiapas, au Sud-Est du Mexique.

Au gré de cette seconde série, « Solidarités internationales », nous souhaiterions contribuer à l'amplification des complicités et des alliances, de l'attention et des solidarités internationales sans lesquelles tant de luttes seraient isolées, affaiblies…et détruites.

Parce que « chaque bombe qui tombe à Gaza tombe aussi sur les capitales et les principales villes du monde », parce que l'éco-génocide de la population palestinienne et des territoires de Gaza est un bio-anthropocide qui affecte la communauté terrestre que nous sommes.

Parce que ce qui paraît lointain, affectant une autre géographie et une autre population, est en réalité très proche.

D'octobre à décembre 2023, l'EZLN a publié une nouvelle série de communiqués, esquissant l'actuel cheminement réflexif et pratique du mouvement.

La parole zapatiste témoigne de la préoccupation du mouvement pour la population palestinienne, dont l'existence est menacée par la guerre eco-génocidaire menée par Israël et ses forces armées - avec la complicité, active et passive, de la « communauté internationale ».

La « nouvelle étape » du mouvement zapatiste, entamée en 2023, approfondit la structure de l'autonomie rebelle, les analyses-critiques du système-monde et de la Tempête, et la lutte ontologico-politique. D'une certaine manière, les cheminements de la perspective ontologico-politique zapatiste, notamment depuis la Déclaration pour la vie (2021), nous permettent de penser l'actualité sanglante et destructrice de la guerre à Gaza - laquelle est une terrible illustration de l'état actuel du monde moderne-capitaliste et des États nationaux.

Alors que les communautés zapatistes sont constamment menacées, intimidées et attaquées, et que l'EZLN a récemment suspendu ses communications publiques - en raison de la situation préoccupante des conflits politiques et armés affectant principalement les communautés indigènes et zapatistes au Chiapas, allons-nous taire ces offensives contre l'autonomie civile d'un mouvement qui a tant contribué à la vie, à la dignité et à la possibilité de nos mondes résistants-émergents contre les dominations systémiques ?

Dans un texte intitulé « À propos de semis et de récoltes », le sous-commandant Marcos écrivait : « Nous ignorons si vous le savez, mais nous, Zapatistes de l'EZLN, savons combien il est important, au milieu de la mort et de la destruction, d'entendre des mots de soutien » (4 janvier 2009).

Le 17 novembre 2024, l'Armée zapatiste de libération nationale (EZLN) a célébré ses 41ans de formation. Au regard du contexte préoccupant du Chiapas, du Mexique et de la planète Terre, nous pensons qu'il est important de prendre la mesure des apports du mouvement et de propager les graines zapatistes de résistance et de rébellion, préservées et diffusées par l'EZLN depuis plus de trente ans.

C'est donc une occasion, parmi tant d'autres, pour analyser la littérature zapatiste et ses pratiques rebelles, mais aussi pour repeindre les murs de nos villes, organiser nos villages, labourer nos champs, déconstruire nos subjectivités, partager notre digne rage, semer la résistance, intensifier nos rebellions, écouter nos différences, penser nos ressemblances, nous informer, combiner nos tactiques, peaufiner nos stratégies, libérer des espaces, chanter et danser, croiser nos imaginaires utopiques, interroger nos servitudes, crier nos indignations, tisser des complicités et des alliances, cartographier nos besoins, rêver, orienter nos énergies, sentir-penser nos peurs et nos désirs, désarmer les machines, amplifier nos solidarités, préserver les racines, affirmer notre dignité, nourrir nos espoirs, construire nos mondes, ouvrir des chemins (…).

Les solidarités internationales ne sont pas inutiles.

Nos paroles rencontrent d'autres mots, d'autres langues, d'autres manières de s'exprimer, elles se transforment en un « murmure » polyphonique, puis un chant harmonieux, un bruit dérangeant, un cri enragé dont l'écho planétaire permet, peut-être, que les personnes qui luttent pour la vie à Gaza, dans les territoires autonomes zapatistes et les autres recoins de résistance et de rébellion sur Terre, sachent que nous sommes nombreuses et nombreux à nous engager.

Peut-être que nos cris et nos soutiens n'arrêtent pas les guerres. Mais ils rompent l'indifférence apparente, et nous démontrent que nous ne sommes pas seul.es à vivre-lutter.

La lutte pour la vie digne relie les géographies, de la Palestine au Chiapas rebelle, en passant par tous les corps et les territoires qui résistent et se rebellent.

Aujourd'hui, trente ans après le célèbre « Ya Basta ! » du soulèvement zapatiste, celles et ceux, celleux, qui refusent de capituler, d'abandonner, de se résigner et de se vendre, continuent de crier : « Ça suffit ! ».


25.11.2024 à 17:26

Méga-bassines : « désarmement astucieux » d'une entreprise de BTP

dev

La lutte contre les méga-bassines menée depuis plus de trois ans dans le Marais Poitevin draine en elle-même de grandes questions philosophiques. Est-il souhaitable qu'une minorité de possédants s'accaparent ce qui jusqu'à présent n'appartenait à personne et donc à tous (l'eau) ? Un modèle industriel d'agriculture à rebours de toutes les préconisations écologiques peut-il être soutenu et encouragé par les instances politiques sensées représenter l'intérêt collectif ? Quels moyens peut-on (…)

- 25 novembre / , ,
Texte intégral (1032 mots)

La lutte contre les méga-bassines menée depuis plus de trois ans dans le Marais Poitevin draine en elle-même de grandes questions philosophiques. Est-il souhaitable qu'une minorité de possédants s'accaparent ce qui jusqu'à présent n'appartenait à personne et donc à tous (l'eau) ? Un modèle industriel d'agriculture à rebours de toutes les préconisations écologiques peut-il être soutenu et encouragé par les instances politiques sensées représenter l'intérêt collectif ? Quels moyens peut-on légitimement se donner pour empêcher un désastre à venir ou une aberration en cours ? Le chantage aux ressources est-il substantiellement et moralement différent d'un chantage au désarmement ?
Les rassemblements de Sainte-Soline malgré la répression féroce comme les « débâchages nocturnes » et autres modalités d'intervention dans le débat public ont eu le grand mérite d'ouvrir grand ces problématiques. Nous publions ici une revendication anonyme reçue ce jour et qui peut être comprise comme une nouvelle pièce apportée au débat. Selon ses rédacteur.ice.s, des engins de chantiers d'une méga-entreprise de BTP s'enrichissant sur la construction des fameuses bassines auraient pris feu dans la nuit. Nous n'avons pas pu vérifier l'information mais les auteur.ice.s souhaitent dissiper tout malentendu ou incompréhension : « Au cas où notre propos ne serait pas clair pour certains. TP Charpentier a réalisé les travaux de différentes bassines. Tout acteur qui s'associera aux futurs chantiers de Méga-Bassines, que ce soit à St- Sauvant, à la Clouère, dans les Deux-Sèvres, en Vienne, et partout ailleurs où des projets sont à l'ordre du jour, en subira les conséquences. »

Tôt ce matin, le 25 novembre 2024, nous avons mis le feu aux engins de chantiers du groupe Charpentier, plus particulièrement ceux de sa filiale de travaux publics. Le désarmement de ces machines sur le site de l'Oie dans la Charente, est une réponse directe à la participation de cette entreprise dans les chantiers de Méga-Bassines. En effet, TP Charpentier est la plus impliquée, que ce soit en Vendée, Charente-Maritime et bien sûr dans les Deux-Sèvres. Mettre hors d'état de nuire ces machines, permet de stopper concrètement les chantiers en cours et de rappeler qu'aucun responsable de ceux-ci n'est inatteignable.

Ce désarmement n'est pas le premier. Il intervient dans un contexte où l'opposition contre les Méga-Bassines, son modèle d'accaparement de l'eau et sa promotion de l'agro-industrie, n'a fait que s'intensifier et s'approfondir depuis plus de trois ans. Cette lutte historique a pris un tournant en multipliant et diversifiant les formes de luttes contre ces projets. Dès lors, le mouvement ne cesse de s'étendre et de montrer des possibilités d'enrayer le désastre en cours.

Nous avons marché sur ces chantiers à maintes reprises, comme le 25 mars 2023 où nous étions plus de 30 000 à Sainte-Soline, dans une journée qui restera à jamais gravée dans nos mémoires et dans nos chairs. Nous avons semé des cultures, débâché des Méga-Bassines, fait des irruptions festives, réalisé un blocage paysan du port de La Rochelle, construit des alliances internationales, etc. À travers ces actions, nous avons visibilisé la filière des Méga-Bassines, et les accapareurs qui en tirent le bénéfice. Plus largement, nous avons ouvert une faille dans la lutte contre l'agro-industrie.

Nous pensons en effet que si le système agro-industriel est un système aux multiples tentacules, nous pouvons le combattre en de nombreux lieux. Les méga-bassines, dernière fuite en avant d'un système à l'agonie, sont des prises concrètes pour lutter contre l'accaparement d'un bien commun.
La lutte contre l'agriculture extractiviste est une brèche qui permet de se réapproprier notre rapport matériel et politique à l'alimentation, ses conditions de production et de consommation. Ce système détruit notre territoire, fait disparaître les paysans, spécule sur le fruit de notre exploitation, et participe activement au pillage néo-colonial.

Dans ce processus, le Groupe Charpentier, loin d'être la petite entreprise familiale qu'elle se dit être, est l'acteur majeur des chantiers. Ce sont ces machines qui ont terrassé en Vendée, drainé en Charente-Maritime et creusé en Deux-Sèvres. Cet ogre du Poitou a bâti son empire sur l'artificialisation des terres et les grands projets inutiles. Avec ses 130 millions d'euros de Chiffre d'Affaires et ses 19 sociétés, ce groupe néfaste s'est largement engraissé en échange de son rôle dans les chantiers qui détruisent le Marais Poitevin et le pays Mellois. Il en a profité pour se doter de tout l'arsenal nécessaire afin d'être un acteur incontournable des métamorphoses de l'agro-industrie lors des prochaines décennies.

Par notre geste, nous prenons acte que la séquence dans laquelle nous entrons n'est plus celle de visibiliser les acteurs déjà connus de tous, maintes fois interpellés, mais bien d'impacter clairement la poursuite des chantiers afin de tout bonnement les faire cesser. Si nous avons connu une répression sans bornes ces dernières années, par le succès de notre action, nous renouons avec ce qui a fait la force de notre mouvement : d'astucieux désarmement. Il est possible de faire cesser les projets de bassines par de nombreux biais, recours juridique, mobilisations populaires, réappropriation matérielle, luttes paysannes. C'est cette subtile multiplicité de pratiques qui nous permet aujourd'hui d'enfoncer le clou.

Au cas où notre propos ne serait pas clair pour certains. TP Charpentier a réalisé les travaux de différentes bassines. Tout acteur qui s'associera aux futurs chantiers de Méga-Bassines, que ce soit à St- Sauvant, à la Clouère, dans les Deux-Sèvres, en Vienne, et partout ailleurs où des projets sont à l'ordre du jour, en subira les conséquences.

25.11.2024 à 15:08

Marseille en plan

dev

« Se berner soi-même ou seulement ses administré.es »

- 25 novembre / , ,
Texte intégral (3498 mots)

Laisser en plan signifie quitter quelqu'une alors qu'on devrait rester à ses côtés, ou quitter une activité dont on devrait pourtant s'occuper. La Cour des comptes vient de publier un rapport sur le dispositif Marseille en Grand qui jette une lumière crue sur ce qui parait à première vue être une incompétence mais qui s'inscrit pourtant dans un système d'abandons et d'oppressions.

Les enfants de la famille Gaudin souffraient de nombreux manques. Mal nourris et mal logés, ils avaient plusieurs rêves. Un rêve de vacances où ils pourraient enfin admirer la tour Eiffel, puis un rêve quant à leur futur métier d'ingénieur. Face au constat de l'incapacité de leur père à satisfaire leurs besoins ainsi que leurs droits les plus basiques, deux oncles vinrent, tels des sauveurs, apporter leur secours. Ces deux bienfaiteurs, qu'on appellera Emmanuel et Benoit, ont ainsi offert à leurs neveux une journée à Paris où ils purent goûter des mets délicieux et visiter le quartier de la Défense. Ils les inscrivirent également en lycée professionnel parce qu'il était urgent « qu'ils s'offrent de l'autonomie et de la liberté grâce au travail ». Ah, oui : ils ont également repeint les murs moisis de leur chambre.

Lorsque les enfants exprimèrent leur déception (la tour Eiffel sera visitée par de futurs ingénieurs qu'ils ne seront pas) les oncles pourfendirent leur ingratitude face à « plus de 5000 euros mis sur la table ».

Voilà à quoi ressemble globalement le plan Marseille en Grand, au sujet duquel la Cour de comptes vient de publier un rapport. Dans ce rapport et dans tout ce qu'on sait sur ce plan, on retrouve tous les éléments de l'anecdote introductive, et bien plus que ça.

Marseille en Grand est un plan annoncé par M. Emmanuel Macron le 2 septembre 2021 dans un discours fleuve prononcé au palais du Pharo. Ce plan a été présenté comme un dispositif complexe qui devait non seulement répondre à une « situation d'urgences sécuritaire, sanitaire et sociale », mais aussi saisir cette occasion pour aller bien plus loin et engager des réformes sur le plus long terme.

Les constats que faisait M. Macron sont identiques à ceux de la Cour des comptes et rejoignent tous ceux que les habitant.es et usager.es des services publics marseillais font depuis de trop nombreuses années. L'état des écoles publiques est indigne, le réseau des transports est très insuffisant, la qualité des services sanitaires se dégrade sans cesse, les logements sont non seulement insuffisants mais aussi dans un état très dégradé etc.

Tout ceci était connu depuis très longtemps mais les réponses qu'on y apportait étaient la plupart du temps uniquement sécuritaires. Et les seules augmentations successives du nombre des policiers n'ont évidemment jamais réussi à régler les problèmes, qu'ils soient marseillais ou pas. Mais, comme le rappelle la Cour des comptes, d'autres réponses d'ampleur avaient déjà été annoncées, notamment en 2013. Le Premier ministre d'alors, Jean-Marc Ayrault, avait annoncé le 8 novembre 2013 un plan à « plus de 3 milliards d'euros » pour Marseille. Un budget faramineux qui était censé se pencher sur la rénovation des quartiers défavorisés et sur l'amélioration du réseau des transports, déjà. Mais ces annonces n'ont depuis fait l'objet d'absolument « aucune évaluation ». Qu'à cela ne tienne, certains projets qui y figuraient seront réintégrés dans le plan Marseille en Grand. Voilà une filiation qui n'augure rien de bon.

La lecture du rapport de la Cour des comptes peut donner l'impression d'une grande incompétence mais ce n'est pas là que se trouve l'essentiel. Essayons de nous pencher sur ce que nous dit ce plan Marseille en Grand sur la gouvernance de notre société en général.

Comme tout dispositif banalement néolibéral, Marseille en Grand est un plan tombé du ciel. Ou plutôt de l'imagination des experts qui sont censés régir, grâce à leur savoir, notre société et nos vies. Il se pourrait même qu'il s'agisse ici de l'expert en chef, à savoir celui qui occupe la fonction du Président de la République. La Cour des comptes pointe un manque de préparation flagrant : « le plan Marseille en Grand n'a été précédé d'aucune étude d'ensemble. Il ne repose donc pas sur un diagnostic préalable global […] Le plan Marseille en Grand n'a pas fait l'objet d'une concertation préalable à son annonce. Outre l'apport qu'aurait pu représenter une telle concertation en termes d'identification des besoins de la population et de solutions à mettre en œuvre, l'association de la société civile constitue un facteur d'adhésion à une politique publique ».

Plutôt qu'un « oubli » ou une « incompétence », il faut voir cette absence de concertation comme révélatrice du rapport ordinairement paternaliste qu'entretiennent les gouvernants avec leurs administré.es dans notre société. Le néolibéralisme comme gouvernance des experts se doit parfois de donner l'illusion de démocratie et donne ainsi la parole aux « citoyen.nes ». Mais à force de rendre cette parole purement décorative, c'est le sens même du concept « démocratie » qui se trouve érodé. Rien que ces dernières années nous avons eu un bon nombre de « concertations » qui ont toutes abouti au même résultat, c'est-à-dire à rien. Le « Grand débat national », les cahiers de doléances, les diverses conventions citoyennes… tant de dispositifs pour accueillir la parole pour mieux l'ignorer. De plus, même ce qui constitue le socle minimal de la démocratie, c'est-à-dire le vote, tend à être ignoré lui aussi. Alors, voir que le plan Marseille en Grand n'a pas été précédé d'une concertation, on peut voir cela comme un signe d'honnêteté et de gain de temps.

La concertation n'est pas la seule absente pointée par le rapport de la Cour des comptes. D'autres manques y sont soulignés :

Pas de contractualisation d'actions, de calendrier prévisionnel global donc pas de vision ni de suivi global du plan : « Le contenu du plan ne s'appuie sur aucun autre document que la transcription du discours du président de la République[...] les objectifs du plan ne sont pas explicités et ne peuvent qu'être déduits de la nature des mesures proposées. Ils font dès lors l'objet d'interprétations diverses voire concurrentes de la part des acteurs, qui ne s'entendent pas sur la gouvernance adéquate. »

Pas de coordination entre les différents volets du plan qui sont pourtant souvent interdépendants (l'ouverture ou la taille d'une école peut dépendre de l'offre de transports ; le volet de l'aide à la création d'entreprises aurait pu être orienté de telle manière à bénéficier des retombées d'un autre volet du plan, par exemple celui de la rénovation des écoles ou logements…).

Pas d'évaluation de satisfaction des besoins. Il n'y a même pas de suivi de dépenses globales : seules les dépenses engagées par l'Etat sont centralisées dans un tableur à la préfecture, et parfois de façon très grossière : « L'outil de suivi financier à la disposition de l'État apparaît sous-dimensionné au regard de l'enjeu que représente le pilotage d'un plan de plusieurs milliards d'euros. En premier lieu, il retrace les seuls crédits de l'État. Les dépenses des collectivités territoriales, qu'elles agissent en qualité de maître d'ouvrage ou de cofinanceur, ne sont pas indiquées. Ainsi, il n'existe pas de consolidation budgétaire du plan Marseille en Grand et le montant total des engagements des administrations publiques n'est pas connu. »

D'après la Cour, le plan se « présente donc davantage comme un catalogue de mesures, dont l'utilité n'est pas contestée, que comme une politique globale ». Certaines mesures dudit catalogue ne correspondant même pas aux objectifs affichés (notamment dans le volet transports où on n'a fait que financer des projets préexistants, sans cohérence globale, et dont certains ne répondent aucunement à l'objectif affiché de désenclavement des quartiers nord ni à celui de décongestion routière).

Tous ces manques compromettent clairement l'atteinte des objectifs affichés : « En l'état de sa mise en œuvre, le plan Marseille en Grand présente des insuffisances intrinsèques et organisationnelles de nature à compromettre la pleine satisfaction des besoins qu'il vise en priorité. »

Alors, après avoir lu et constaté tous ces dysfonctionnements majeurs dont fourmille ce plan, on se dit que carence rime avec incompétence. Mais alors, que d'incompétences dans cette ville depuis des dizaines d'années ?! Incompétence des équipes municipales successives ? Incompétence des responsables métropolitains ? Incompétence gouvernementale et étatique enfin puisque les plans précédents sont tombés à l'eau et celui-ci semble plus que mal fichu ? Et des incompétences souvent bien sélectives car la plus grande part de carences se concentre dans les quartiers les plus pauvres. Alors, tout comme un chat, même masqué, doit être appelé un chat, une telle systématicité en politique reste au mieux et inconsciemment du mépris de classe, mais plus certainement et de façon volontaire une politique discriminatoire.

Puisque si peu de soin est accordé à la réussite effective quant aux objectifs affichés, nous devons réexaminer l'utilité réelle de ce plan du point de vue de ses concepteurs.

Ce plan est venu éteindre un incendie qui couvait dans une ville martyre. Il y a eu le 5 novembre 2018, la rue d'Aubagne, des décennies de gestion paternaliste et il était devenu impossible de ne rien faire. Mais ce rapport de la Cour des comptes, en révélant l'indigence du plan, révèle également le cynisme avec lequel on traite la précarité et les classes populaires. Ceux qui sortiront gagnants de ce processus, ce sont les gagnants éternels : les détenteurs du capital ainsi que leurs représentants, à savoir les classes dominantes.

Ce plan Marseille en Grand est un plan purement néolibéral car il en contient tous les marqueurs :

Une conception dans les hautes sphères, sans aucune consultation des populations locales, comme déjà évoqué plus haut.

Un investissement massif de l'argent public dont la majeure partie finira dans les caisses de grandes entreprises privées (du BTP mais pas uniquement), le tout donc sans garantie quant à la satisfaction des besoins des premiers concernés.

La poursuite de la soumission des services publics aux logiques concurrentielles et financières qui régissent la sphère des entreprises privées. Sur ce point, la situation de l'AP-HM (Assistance Publique – Hôpitaux de Marseille) est paradigmatique. La situation financière de l'établissement étant très difficile, la Cour des comptes précise que « outre le fait que les mesures du plan ne permettent pas de restaurer les marges de manœuvre financières de l'établissement, la persistance de ses difficultés financières structurelles est de nature à faire peser des risques sur la réalisation du volet investissement du plan Marseille en Grand pour les hôpitaux de Marseille. » Ainsi, l'argent public peut aider à régler des problèmes financiers (la dette) mais on se refuse de sortir de la logique financière elle-même qui coule l'hôpital public et la qualité de ses prestations au moins depuis l'instauration du principe de la tarification à l'acte et l'introduction des logiques du marché dans le service public hospitalier. Si on se rappelle que ces logiques marchandes y ont été introduites par souci d'efficacité et pour améliorer le service, on se surprend à rire jaune.

Enfin, c'est à l'école qu'on fait subir la plus grande « expérimentation » néolibérale. Tout en venant donc prévenir des drames imminents, au vu de l'état scandaleux du bâti scolaire, la plan Marseille en Grand a rajouté aux urgentes et indispensables rénovations des écoles une prolétarisation sous forme d'autonomisation. Le principe est simple : dans les « écoles innovantes » participant à l'expérimentation, il s'agira de supprimer les règles statutaires qui protègent les personnels. Le/la directeur.ice d'école devra pouvoir choisir les enseignant.es avec lesquel.les iel va travailler.

Actuellement, les mutations des enseignant.es se font en fonction de leurs vœux et d'un barème objectif constitué de plusieurs éléments (ancienneté de service, ancienneté sur le poste occupé etc.) Faire voler tout cela en éclats et le remplacer par des critères tout sauf objectifs et transparents, c'est créer de l'insécurité et de la précarité pour les personnels enseignants. Si on y ajoute l'obstination du ministère à imposer des méthodes qu'il juge efficaces, des réformes rétrogrades et un abandon des élèves issus des classes populaires, cette précarisation prend alors des airs de prolétarisation, réduisant les enseignant.es en agents obéissants appliquant des méthodes ministérielles expertes. Savoir qu'il n'y a plus de statut ou de barème objectif qui protège d'une mutation forcée rend les gens beaucoup plus dociles et prêts à abandonner ce qui fait le cœur même de leur métier : l'expertise pédagogique.

Enfin, le rapport de la Cour des comptes précise que le seul avantage réel de ces écoles innovantes, à savoir le financement des dispositifs pédagogiques, ne comporte aucune garantie de pérennisation. Vu les tendances restrictives du budget, il se peut que de tout ceci ne subsiste finalement que ce qui représente le cœur du projet néolibéral pour l'école : la soumission de ses personnels aux règles du marché de travail, donc aux injonctions de l'employeur de plus en plus strictes et précises et donc la prolétarisation au bout du compte. Cette prolétarisation doublée d'une transformation des directeur.ices d'écoles en hiérarchie intermédiaire n'est pas uniquement le fruit de ce plan mais découle d'une stratégie mûrie à travers la loi Rilhac ou le Grenelle de l'éducation.

Cette introduction des lois du marché de travail au sein de l'école publique va de pair avec la subordination de l'institution scolaire elle-même aux besoins du capital, c'est-à-dire des entreprises privées. Cela ne peut être le sujet de ce billet, mais nous devons mentionner que toutes les réformes convergent vers la réduction du rôle de l'école publique à la fabrication d'une main d'œuvre pas chère et docile. Que ce soit la réduction de contenus enseignés en école primaire aux « fondamentaux » et à des techniques efficaces, le « Choc des savoirs » avec le tri social des élèves dès le collège ou encore la réforme indigente des lycées professionnels abandonnant les élèves de ceux-ci aux désirs des entrepreneurs, toutes ces évolutions convergent vers ce qu'on nommait plus haut une politique discriminatoire à propos des carences constatées à Marseille. Bref, il s'agit d'une politique de classe assumée.

De plus, la particularité de Marseille du point de vue historique et sociologique à travers son lien avec les populations issues des colonies n'est pas étrangère ni à la politique paternaliste de l'ère Gaudin ni non plus à sa désignation comme lieu de l'expérimentation. Quant au choix de l'école et de ses personnels comme objets de la prolétarisation à venir, il n'est pas sans lien avec la proportion qu'y occupe une autre catégorie dominée, à savoir les femmes.

La question se pose maintenant sur l'attitude que nous devons adopter face à tout cela.

Certains ont choisi de collaborer et de nier les aspects plus que gênants du plan. Ainsi, le maire de Marseille, Benoit Payan, a déclaré dès le 30 octobre 2021 dans une interview au journal La Marseillaise que le recrutement des enseignant.es par les directeur.ices « ne se fera pas » et que cette idée était « oubliée ». Ainsi, le voilà dans le beau rôle de celui qui a obtenu des moyens importants pour sortir les écoles d'une situation indigne et qui a fait reculer le président et le ministère sur ce sujet de prolétarisation des enseignant.es. Sauf que…

Sauf que le réel ne sort pas de la tête de M. Payan mais est le résultat d'un rapport de forces. Ainsi, les affectations dans les écoles innovantes ne se font plus sur la base d'un barème objectif et transparent mais sur un entretien avec un jury composé du/de la directeur.ice ainsi que de son supérieur hiérarchique, l'Inspecteur de circonscription. Pourtant, en homme « de gauche » M. Payan aurait pu se douter du caractère rétrograde du plan présenté par M. Macron. Il aurait pu saisir certains indices dans le discours présidentiel du palais du Pharo.

Mais lorsque le président lui dit « vous avez un problème avec vos personnels municipaux et vous avez trop de grèves », il ne fait qu'appuyer là où M. Payan avait déjà mis son doigt. En effet, quelques mois plus tôt, alors que la situation des écoles marseillaises était ce qu'elle était, la priorité du maire fraîchement arrivé avait été de délibérer et de limiter le droit de grève des agents municipaux. Alors un président qui dans son discours évoque « trop de grèves », « l'absentéisme », des agents « qui ne sont jamais là », d'autres qui « viennent juste prélever leur dîme », non seulement cela éclaire l'actualité et nous rappelle que ce qui se trame en ce moment avec la proposition de porter à 3 le nombre de jours de carence des fonctionnaires est inscrit dans une idéologie instillée dans les esprits depuis de trop longues années, mais cela peut aussi éclairer la position des gens qui se prétendent opposés à M. Macron mais qui dans les faits ne s'en différencient guère que par le style ou la couleur de la veste.

Donc, lorsque M. Payan avait clamé que le recrutement des enseignant.es par les directeur.ices était « une idée oubliée », la réalité lui a donné tort. On aurait pu penser qu'il s'agissait justement là d'une tentative d'installation d'un rapport de forces où le maire tentait de faire pencher la balance du côté de la protection du statut des enseignant.es. Mais lorsqu'on lit, trois ans plus tard dans le même journal La Marseillaise (dont la qualité ne peut être remise en cause par l'indigence des interviewés), M. Ganozzi (adjoint au maire de Marseille en charge du Plan écoles) déclarer : « Emmanuel Macron liait le projet d'écoles innovantes au fait que le directeur choisirait ses enseignants. […] Ça a été abandonné et tant mieux. » On voit là qu'il s'agit d'une simple négation ou d'un travestissement de la réalité.

Voilà, face à cette stratégie qu'on peut qualifier au choix de celle de l'autruche ou de mystification, selon qu'on imagine si l'équipe municipale tente de se berner soi-même ou seulement ses administré.es, il en est une autre. L'autre stratégie, la seule conséquente politiquement face à ce plan, à ce rapport et à cette politique de classe, c'est de se dresser en face de façon lucide et de lever les draps que les uns et les autres ne cessent de jeter tant sur le réel que sur leurs véritables desseins. La solidarité avec les dominé.es, les opprimé.es et les abandonné.es passe par là. Le temps des compromis n'est plus.

Jadran Svrdlin

25.11.2024 à 15:03

Le Hirak, boussole de la vérité historique sur l'Algérie

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À propos d'un article paru dans lundimatin
Serge Quadruppani

- 25 novembre / , ,
Texte intégral (2396 mots)

En général, celles et ceux qui écrivent dans Lundimatin s'intéressent à ce que « le peuple veut », surtout quand « le peuple veut la chute du régime ». Le slogan des insurrections arabes restera l'emblème de la décennie ouverte à Sidi Bouzid en décembre 2010 et close en 2021 par le grand renfermement mondial sous couvert de Covid. De cette décennie d'agitation et de soulèvements qui, partis de l'aire arabo-musulmane, se sont étendus en plusieurs vagues à toute la planète – des États-Unis à l'Espagne, du Chili à Hong Kong en passant par la Turquie du parc Gezy à la France des Gilets jaunes et des grandes manifs contre les lois de destruction des droits sociaux –, de ce moment de craquement dans la gouvernance mondiale, subsiste une conviction solidement ancrée dans la pratique comme dans la théorie. La conviction – récemment ravivée par de nouveaux soulèvements, de l'Iran au Bangladesh – qu'il existe une conflictualité fondamentale entre les gouvernements de la planète et leurs « peuples », cette fraction majoritaire de la population principalement constituée par l'alliance des classes subalternes et d'une fraction de la bourgeoisie intellectuelle. C'est avec cette boussole, « le peuple veut la chute du régime », qu'il s'agit de penser, quand on veut s'opposer au cours catastrophique du monde.

Or, il semble que dans la très légitime volonté d'offensive contre un éditorialiste réactionnaire du Point (pardon pour le pléonasme) récemment goncourisé, cette boussole ait été perdue ici-même. Dans cet article de Yassid ben Hounet, il est en effet prétendu que Houris, le roman de Kamel Daoud [1], repose sur une fausse rumeur répandue en Algérie et surtout diffusée en France par « quelques journalistes passe-plats, naïfs, ethnocentrés, arrogants et/ou qui dédaignent l'Algérie ». Cette rumeur porte sur l'histoire de la « décennie noire » : ces années 90, durant lesquelles l'État algérien et les maquis islamistes se sont affrontés, principalement aux dépens de la population civile (150 000 morts). Ceux qui, comme moi, prennent au sérieux la prétendue « rumeur », soutiennent que le Groupe Islamique Armé était infiltré par le DRS, le Département du Renseignement et de la Sécurité (qui a remplacé la Sécurité militaire de Boumediene, et qui est devenu en 2016 Département de Surveillance et de Sécurité). Il s'agissait pour le principal Service secret algérien d'utiliser ces maquis pour affaiblir ceux du Front islamique de salut, de punir par une série de massacres les zones rurales qui soutenaient les maquis du FIS et de faire pression sur la France. Selon ben Hounet, « aucune recherche sérieuse ne corrobore cette thèse ». Or, ce qu'il prétend être « une grande fake news », « un grand récit complotiste », est en réalité une description de la réalité très largement documentée.

Rappel historique

Tout l'argumentaire de l'article litigieux repose sur un sol particulièrement mouvant : l'assimilation, sous le nom générique d'« Algérie », du gouvernement et du peuple algérien. Comme si c'était tout un. Mais si tel était le cas, pourquoi ces émeutes récurrentes depuis les années 1980 (Kabylie - 1980 ; Oran et Saïda - 1982 ; Oran - 1984 ; Casbah d'Alger - 1985 ; Constantine et Sétif -1986) ? Pourquoi les émeutes de 1988, si atrocement réprimées (plus de 500 morts, une grande créativité dans les tortures infligées aux émeutiers interpellés) ? Et, la parenthèse de la décennie noire refermée, pourquoi le Hirak (voir ici et ici) ? En réalité, dès que le peuple algérien se manifeste, il n'hésite pas à faire exactement ce que ben Hounet reproche aux « intellectuels décadents » français : jeter « l'opprobre sur les actions des services de sécurité de l'État algérien (police, gendarmerie, armée) ».

Quand ben Hounet prétend que durant la décennie noire « l'Algérie a dû faire face, seule, au terrorisme des groupes islamiques armés », cette prétendue solitude dans la lutte contre l'islamisme mérite un petit rappel historique. Après l'indépendance de l'Algérie et l'illusion lyrique des premières années, où l'on parlait d'autogestion dans les usines [2], le coup d'État de Boumediene a cadenassé le pouvoir politique autour d'une caste militaire prédatrice qui, trop occupée à se remplir les poches, n'a jamais développé un pays à fortes potentialités économiques en se contentant d'acheter la paix sociale grâce à la rente du pétrole. C'est la crise de cette dernière, entraînant l'appauvrissement général de la population (hormis la caste militaire) et de sa jeunesse en particulier, qui explique les émeutes des années 1980.

Après le soulèvement de 1988, un processus de démocratisation est lancé et les premières élections libres se déroulent en janvier 1991, à la suite de quoi il apparaît clairement que « le peuple veut la chute du régime » - fut-ce en portant au pouvoir un parti réactionnaire. Le Front islamique du salut avait été, dans un premier temps encouragé en sous-main par un pouvoir soucieux avant tout d'affaiblir les oppositions démocratiques – comme cela s'était passé dans l'Égypte d'Anouar el-Sadate bienveillante envers les islamistes et comme il adviendra en Palestine avec la politique israélienne favorisant le Hamas. Fort de son implantation locale et des services sociaux qu'il assumait à la place d'un État défaillant, le FIS frôle la majorité absolue au premier tour des élections. Sur quoi, le président Chadli démissionne et l'armée prend le pouvoir : il n'y aura jamais de deuxième tour. Le paradoxe est que ce coup d'État, qui s'oppose directement au fonctionnement du suffrage universel, est accueilli par le soulagement diversement dissimulé des démocraties occidentales. Ni la France ni l'Europe n'auraient aimé avoir un régime islamiste à leurs portes. Cependant, le gouvernement français, bien renseigné sur le fait que son homologue algérien s'est lancé dans une guerre sans merci contre une bonne partie de sa population, est partagé sur l'idée d'afficher son soutien à la politique de ceux qu'on a surnommé les « éradicateurs », à savoir les généraux partisans d'en finir avec l'islamisme à force de massacres. Le Monde diplomatique, peu soupçonnable de sympathies néocolonialistes, dans un article de 2005 écrit par deux spécialistes du Maghreb, résume bien la situation au début de la décennie noire :

« Fin 1993, le commandement militaire algérien, engagé depuis près de deux ans dans une guerre sans merci contre l'opposition islamiste, cherche à faire basculer la France en sa faveur. À Paris, au ministère de l'Intérieur, M. Charles Pasqua et son conseiller Jean-Charles Marchiani soutiennent fidèlement sa politique “éradicatrice”, contrairement à l'Élysée et au Quai d'Orsay – où François Mitterrand et M. Alain Juppé souhaitent une attitude moins répressive. Pour mettre Paris au pas et neutraliser les opposants algériens réfugiés en France, les chefs du DRS et M. Jean-Charles Marchiani prennent l'opinion en otage en organisant, fin octobre 1993, le “vrai-faux” enlèvement des époux Thévenot et d'Alain Freissier, fonctionnaires français en poste à Alger. M. Édouard Balladur finit par autoriser M. Pasqua à déclencher l'opération “Chrysanthème”, la plus importante rafle d'opposants algériens en France depuis le 17 octobre 1961. Satisfaits, les services algériens montent une opération “bidon” afin d'accréditer l'idée qu'ils sont parvenus à libérer les otages français des griffes de leurs “ravisseurs islamistes”. »

« Fin 1994, le DRS franchit un pas supplémentaire dans la “guerre contre-insurrectionnelle” en favorisant l'arrivée, à la tête du sanguinaire Groupe islamique armé (GIA), d'un “émir” qu'il contrôle, M. Djamel Zitouni. D'octobre 1994 à juillet 1996, celui-ci et son groupe vont revendiquer des actions sanglantes : détournement d'un Airbus d'Air France en décembre 1994, attentats dans le RER parisien en 1995, enlèvement et assassinat des moines de Tibhirine en 1996, massacres de civils… Tout cela sert, de facto, les objectifs des généraux éradicateurs : discréditer les islamistes, confirmer le soutien de Paris et torpiller toute perspective de compromis politique en Algérie. »

Une thèse très étayée

De l'utilisation des attentats du GIA en France (juillet-octobre 1995) pour empêcher celle-ci de soutenir le processus des pourparlers de paix avec le FIS lancés par les principaux partis algériens sous l'égide de la communauté de Sant'Egidio jusqu'à l'infiltration du Groupe salafiste pour la prédication et le combat (2003) dont un chef, ancien garde du corps d'un des principaux généraux « éradicateurs » s'est retrouvé promu chef d'Al Qaeda au Sahara, (avant d'être ultérieurement remplacé par un ancien contrebandier lui aussi manipulé), le double jeu des services algériens avec l'islamisme est trop documenté pour qu'on puisse le présenter comme une fake news. Critiquer un éditorialiste réactionnaire et islamophobe et sa vedettarisation par tout ce que la France compte de traqueurs de wokistes, d'obsédés de l'islamo-gauchisme et de laïcards islamophobes est une bonne chose. En profiter pour refiler le récit mensonger produit par une kleptocratie régnant sur l'Algérie depuis 50 ans, c'est d'autant plus douteux que l'auteur s'appuie principalement sur le témoignage d'un Mohamed Sifaoui, dont le c.v. de faux témoin professionnel, proche des Services algériens, est long comme le bras. Et jeter au passage le soupçon sur l'engagement pour l'émancipation des peuples du regretté François Gèze, militant depuis sa jeunesse du Cedetim, c'est vil [3]. Comme dans la guerre des mémoires engagée entre une France qui refuse de reconnaître le crime contre l'humanité que fut la colonisation et un pouvoir clanique qui instrumentalise les horreurs coloniales pour se légitimer ad vitam aeternam, certains critiques du néo-colonialisme nous somment de choisir entre d'un côté le narratif de Daoud et de la France réac, qui comporte pourtant, dans son flot islamophobe, un élément vrai : l'implication des Services algériens dans les crimes de la décennie noire, et de l'autre côté, le récit des dits services niant leur implication tout en avançant une vérité : le caractère effectivement répugnant et criminel de l'islamisme. Mais dans les deux cas, comme disaient les situationnistes, le vrai est un moment du faux. Le Hirak et les mouvements qui l'ont précédé, nous indiquent au contraire la voie à suivre : ni avec les uns ni avec les autres.

La vérité historique travaille aussi pour la chute du régime, en Algérie comme ailleurs.

Serge Quadruppani


[1] Que je n'ai pas lu, ce qui n'a aucune importance puisqu'il ne s'agit pas de juger l'œuvre littéraire du personnage.

[2] Sur cette période, on peut lire par exemple, du « Pied rouge » François Cerutti, D'Alger à Mai 68 : mes années de révolution (Éditions Spartacus, deuxième édition, 2018).

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