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30.09.2025 à 16:04

De la grève des Lip de 1973 jusqu’à aujourd’hui, autogestion partout ! Entretien avec Théo Roumier

admin

Théo Roumier est enseignant en lycée professionnel, et syndicaliste à SUD. Il a écrit une biographie centrée sur le parcours politique et syndical de Charles Piaget, l’une des figures de la grève historique de 1973 à l’usine de montres Lip à Besançon (Charles Piaget, de Lip aux « milliers de collectifs », Libertalia, 2024). Entretien autour de la notion d’autogestion, de syndicalisme, de débats internes à la gauche et de mouvement social... Read More

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Texte intégral (3355 mots)

Théo Roumier est enseignant en lycée professionnel, et syndicaliste à SUD. Il a écrit une biographie centrée sur le parcours politique et syndical de Charles Piaget, l’une des figures de la grève historique de 1973 à l’usine de montres Lip à Besançon (Charles Piaget, de Lip aux « milliers de collectifs », Libertalia, 2024). Entretien autour de la notion d’autogestion, de syndicalisme, de débats internes à la gauche et de mouvement social. Par Edwin Malboeuf

Autogestion partout. Cela peut relever de la nature du slogan, mais c’est aussi un programme politique qui fut à l’œuvre dans un certain nombre de courants de gauche dans les années 1960 et 1970. Aujourd’hui, alors que l’idée ne semble plus tout-à-fait à l’ordre du jour, il est de bon ton de se remémorer la grève des Lip, expérience brève mais réussie d’autogestion de la production, avec à la manœuvre, un syndicat dont on dit aujourd’hui qu’il négocierait le poids des chaînes si l’esclavage était rétabli. Ce syndicat, c’est la Confédération française démocratique du travail (CFDT), créé en 1964, que l’on peut ranger à droite à ce jour et qui représente le syndicat le plus important en nombre de syndiqués et d’adhésions. Pourtant à ses débuts, il prône l’autogestion et s’inscrit alors pleinement parmi les revendications de Mai 68. Soit un mouvement qui veut tenir à l’écart à la fois le capitalisme et l’État dans la gestion des entreprises et de la société qui doit être celle des travailleuses et travailleurs auto-organisés uniquement. Nous y reviendrons.

« On fabrique, on vend, on se paie »

En 1973 débute donc cette fameuse grève à l’usine de montres Lip du quartier Palente de Besançon, du nom de son fondateur Fred Lip. Les ouvriers s’opposent, chose rare à l’époque, à un plan massif de licenciements. Rare car c’est le début du chômage de masse et la fin du plein emploi. En 1967, la France compte seulement 500 000 chômeurs et l’Agence nationale pour l’emploi (ANPE) est créée en 1968. En 1973, nous sommes en plein choc pétrolier, et entrons dans le début de l’ère néolibérale, synonyme de contre-attaque de la classe bourgeoise après trente années de révolution sociale à travers le monde. Le mouvement ouvrier demeure puissant et certain de sa force. Va alors s’engager un bras de fer historique avec le patronat pour s’opposer aux licenciements ainsi qu’au démantèlement de l’entreprise, et même reprendre en main la production sans lui. « Ça tient aussi à un effet de période. On est dans l’après 68, avec une libération de la parole ouvrière très forte. Il faut aussi rappeler qu’à l’époque la classe ouvrière, c’est presque la moitié de la population active. Ça donne une conscience de classe très forte. Idéologiquement, la gauche est puissante. La question du passage au socialisme est dans la tête de beaucoup de gens et pas uniquement des militants, et ce dans les années à venir. Besançon, c’est aussi le berceau de l’anarchisme jurassien, la ville de Proudhon. Qu’il y ait, dans cette ville-là, une histoire particulière du mouvement ouvrier, c’est vrai. Globalement, dans ces années-là, il y a une conception de la grève et de l’action, où la démocratie ouvrière était importante, nécessaire et presque naturelle. Aller contre cela, c’était aller à contre-courant de ce qui traversait toute une partie de la classe ouvrière. », nous explique Théo Roumier, auteur du livre sur l’histoire militante de Charles Piaget.

Affiche du Parti socialiste unifié (PSU), en soutien au combat des Lip.

Une grève de femmes menée par des hommes

C’est donc tout naturellement qu’au début du mouvement de grève, l’usine est occupée et les administrateurs provisoires, nommés après la démission du PDG, séquestrés. Une action courante pour l’époque. Les administrateurs sont fouillés et le plan de licenciements brutal ainsi que de démantèlement de l’entreprise est découvert. Après l’intervention de la police, la grève s’organise. Le stock de montres est réquisitionné par les salariés en grève et quelques jours après intervient cette décision historique de relancer la production « afin de s’assurer une paie sauvage permettant de tenir la distance » (1). Une banderole avec écrit « C’est possible, on fabrique, on vend, on se paie » est déployée en haut de l’usine. Les montres sont vendues par des « receleurs », des comités de soutien fleurissent partout en France. Le tout décidé collectivement par des assemblées générales, quotidiennes et décisionnaires. Le 29 septembre 1973, une grande manifestation est organisée à Besançon en soutien aux grévistes en lutte. On dénombre 100 000 personnes. « C’est l’équivalent de la ville qui débarque pour soutenir le mouvement, raconte Théo Roumier. C’est tout cela qui en fait une grève exceptionnelle et extraordinaire. Il faut souligner aussi l’irruption des femmes dans celle-ci. Plus de la moitié des ouvrières de l’usine sont des femmes. A 75% des ouvrières spécialisées, donc les métiers les plus précaires aux conditions de travail les plus dures. Elles prennent un espace politique pendant la grève. Lip, c’est une grève de femmes, bien que la plupart des leaders syndicaux étaient des hommes. Il y a eu une organisation de la grève qui s’est faite à la fois poussée par les grévistes, par les équipes syndicales qui ont mis en place des assemblées générales souveraines, des commissions qui préparaient les AG, pour que les votes ne soient pas seulement des caisses d’enregistrement de décisions déjà prises et par un comité d’action. La démocratie a été très représentative, avec 400-500 personnes en moyenne. A la fin de l’année 1973, les Lip sont 830 à être repris », retrace-t-il. Soit l’entièreté des salariés sans compter les départs volontaires sur les 1 200 salariés que comptait l’usine avant le mouvement. Victoire.

Charles Piaget, au centre en bretelle, le 14 août 1973. Crédit photo DR

Lutter contre la personnification

S’il y eut bien quelques figures féminines du mouvement comme Fatima Demougeot ou Monique Piton, c’est bien le nom de Charles Piaget qui reste dans la mémoire collective et demeure associé à cette grève. Comment empêcher qu’une figure charismatique prenne le pas dans une lutte et qu’un mouvement social soit sans incarnation ? Faut-il que cela repose sur des qualités humaines intrinsèques comme celles de Charles Piaget ou peut-on mettre en place un certain nombre de contre-pouvoirs ? « Dans la lutte de Lip, et en ce qui concerne Charles Piaget, cela reposait sur les deux. D’un côté toute une équipe syndicale autogestionnaire avec la CFDT et qui pour beaucoup en plus étaient membres du PSU, un petit parti de gauche radicale, qui se disait révolutionnaire et autogestionnaire. Son manifeste de l’année précédant la grève disait : “Contrôler aujourd’hui pour décider demain”. La CFDT recherchait cette horizontalité dans l’organisation de la grève. Elle a été très ouverte », explique l’enseignant. La vie militante de Charles Piaget peut résumer à elle seule nombre de débats et contradictions internes à la gauche. « C’est ce qui m’a intéressé car j’ai eu la chance de rencontrer cette personnalité. C’était quelqu’un d’une très grande intégrité et d’une très grande sincérité. Il avait cette souplesse ; il était capable de discuter avec les chrétiens de gauche, comme avec les anarchistes, les trotskistes, les maoïstes ».  Dans son récit livresque du mouvement social, Piaget explique que « le plus important c’est la mise en route du plus grand nombre », mais que « tout ne repose pas sur ses épaules », bien qu’il concède que ce fut « trop souvent » lui qui mena les assemblées générales. Et toujours une question, comment faire advenir le socialisme ?

Que reste-t-il du syndicalisme ?

Au sortir de la guerre en 1945, la CGT compte 5 millions d’adhérents. C’est en partie ce qui va permettre d’installer la Sécurité sociale sur le territoire, emmenée par le ministre communiste du travail Ambroise Croizat. Aujourd’hui, elle en revendique 600 000, la CFDT 630 000. Seulement un salarié sur dix est syndiqué actuellement, quand il était de un sur trois dans les années 1950. Les délocalisations, l’atomisation des travailleurs, l’avènement de l’auto-entrepreneuriat qui n’est rien de moins que de l’auto-exploitation en salariat déguisé, la désindustrialisation et le passage à une économie de service, la financiarisation de l’économie, l’éloignement patronal avec le rachat des usines par des grands groupes, une idéologie néolibérale ayant mené à une révolution anthropologique individualiste. Tous ces facteurs peuvent expliquer la fin de l’ère triomphante de la classe ouvrière et de ses conquêtes sociales. Le syndicalisme ne peut plus engager de rapports de force féroces comme à cette époque, où occupation d’usine et séquestration du patron étaient de mise. Pourquoi, selon Théo Roumier ? « Cela tient à la place de la classe ouvrière. D’avoir conscience d’elle-même, d’avoir un groupe social fort, doté d’intérêts convergents, porteur d’aspirations à une société socialiste. Tout cela donne une légitimité importante. Durant la grève Lip, ils se sentent légitimes à dire aux administrateurs provisoires, “non vous ne sortez pas”. Aujourd’hui tu fais ça, on t’envoie le GIGN. Le rapport de l’État à cette radicalité a changé. Mai 68 a fait changer beaucoup de choses, il y a eu une grande peur des patrons. Cela continue d’être quelque chose qui hante les sphères bourgeoises. Mais le nombre de syndiqués a fortement baissé. Aujourd’hui, occuper une usine est considéré comme délictueux. Le rapport de force n’est plus le même. C’est une partie de l’explication. Et puis il y a aussi des décennies de propagande médiatique où on explique que la violence c’est celle des ouvriers qui arrachent une chemise d’un DRH, et pas les licenciements. »

Planification ouvrière et démocratique : la question des SCOP

L’expérience Lip de relance de la production sans patron, en rupture avec la légalité capitaliste, a fait date. Depuis, on a vu quelques exemples de reprise en SCOP, notamment ces dernières années. Pour dresser un parallèle avec le présent, que pense-t-il du passage en Société coopérative de production (SCOP) de l’usine Duralex l’an dernier, choix qu’avait fait également Lip en 1977 ? « Parallèle intéressant, mais le choix de Lip s’est fait par défaut au commencement de la deuxième lutte en 1976. Après la victoire de 1973, un patron de gauche arrive, la production repart, mais l’État coule l’usine en faisant pression sur les banques, supprime des contrats etc. Ce qu’ils défendaient, c’était plutôt une “régie nationale sous contrôle ouvrier”, selon les termes de l’époque. Ils ne voulaient pas se mettre en concurrence pour leur survie, sur une terre horlogère jusqu’en Suisse. Cela pose une question intéressante de savoir qui définit les besoins, de ce qu’on doit produire. Piaget est assez précurseur là-dessus. Il se méfiait dans cette idée de SCOP du côté égoïste, d’une entreprise fermée sur elle-même. Malgré cela, il a voté pour la transformation en SCOP. Mais elle n’a pas fonctionné. »

« Pour Duralex, on ne pose plus la même question aujourd’hui. On ne peut que leur souhaiter de réussir. Mais est-ce que ce sont les ouvriers d’une entreprise concernée qui sont les responsables de leur “sauvetage” ? Ou est-ce que ce ne sont pas des questions de société qu’il faut assumer collectivement ? De quelle industrie, quel mode de production a-t-on besoin ? La CFDT parlait de planification autogestionnaire. Ce sont des débats qu’on a complètement oubliés, qui resurgissent un peu avec la crise écologique. On sera bien obligé de penser cette question de la planification. Une SCOP n’est qu’une rupture partielle, mesurée, dans un espace défini et étroit. Ça ne répond pas globalement à la question sociale. Les capitalistes reviennent vite, on n’évacue pas la question du pouvoir, de la démocratie, et de l’affrontement avec une bourgeoisie qui elle aussi pense globalement », détaille Théo Roumier. Charles Piaget était critique des SCOP, et parlait « d’îlot autogéré voué à l’échec dans un régime capitaliste » (2). La réponse doit être globale.

Autogestion partout ou socialisme sauvage

Comment s’apprend alors l’autogestion ?  « Je crois beaucoup à l’école des luttes. C’est à la fois un combat politique qui doit être mené – il faut le reconnaître par des minorités politiques acquises aux principes d’auto-organisation, mais c’est aussi quelque chose qui relève de l’expérience concrète. Piaget, cette défiance à l’égard de la hiérarchie, il l’a construite dans son parcours syndical tout au long de sa vie. Et puis, il faut aussi compter sur quelque chose que Jorge Valadas appelle “le socialisme sauvage”. Qu’il y a toujours moyen de penser le socialisme au niveau du terrain, de la base, qui surgit toujours. Il y a toujours un peu de socialisme dans toutes nos luttes. »  Si les syndicats et les partis ont cessé de jouer ce rôle d’éducation populaire, que pense-t-il du refus de ceux-ci dans les mouvements spontanés et populaires qu’ont été les Gilets jaunes ou pour ce qui s’annonce, à l’heure de ces lignes, le 10 septembre avec le mouvement Bloquons-tout ? « Je pense qu’il y a un rejet, surtout, de l’institutionnalisation des syndicats, pas tant du syndicalisme. Des syndicats qui sont présentés comme des partenaires sociaux du pouvoir en place. Je trouve cela plutôt positif. Pour le 10 septembre, des fédérations syndicales ont emboîté le pas, jusqu’à la CGT. Je pense que l’empreinte des syndicats sur la société est moins forte qu’avant et que cela laisse des espaces disponibles, mais aussi beaucoup de frustration et de rancœur, car cela laisse des gens en contact direct avec l’exploitation et l’aliénation. Ils cherchent alors de nouvelles émergences qui tiennent justement du socialisme sauvage. Mais on ne peut pas prendre les syndicats comme un bloc. Il y a 1 000 manières d’être à SUD, à la CGT etc. Il faut se coltiner au réel sans en avoir peur, et aller défendre des logiques d’auto-organisation, de rupture anti-capitaliste et de radicalité. » 

Finalement, quel type de société autogestionnaire entrevoit-il ? « Il faut radicalement donner le pouvoir à toutes et tous. J’aime bien ce que disaient les zapatistes : “Commander en obéissant.  Tout pour tous”. Cette logique-là, c’est une belle idée pour réactiver l’idéal autogestionnaire. Je ne sais pas si ce mot parle forcément aujourd’hui. Ou alors sur le côté Do it yourself, petite entité. Par contre, on a intérêt à reposer la question du pouvoir, qui n’appartient pas à quelques-uns. Il est partagé, les décisions sont horizontales, les questions de production sont posées pour tous, pas seulement par les producteurs. C’est arriver à articuler différentes échelles, sans recréer un monstre bureaucratique. Mais l’on voit que même à gauche, on reste sur des formats très verticaux, avec des tribuns, des leaders. On gagnerait à reposer cette question de l’horizontalité qui souvent, renaît, se revivifie aux mouvements sociaux ».

Notes :

1. Théo Roumier, Charles Piaget. De Lip aux « milliers de collectifs », Editions Libertalia, 2024, 191 pages

  1. Op. Cit.

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08.09.2025 à 07:43

Pop fascisme VS Pop gauchisme : qui va l’emporter ?

admin

La pop culture est devenue le terrain d’une lutte intense, qui se joue à coups de memes, de vidéos Youtube, de stories d’influenceurs et de shorts de Tik-tokeuses. « bataille de civilisation » VS « lutte des classes » : à chaque camp, son écosystème, ses mots et ses codes. Retour sur ce combat pour l’hégémonie culturelle autour des travaux de Bolchegeek, Maxime Macé et Pierre Plottu.  Vous l’aurez sans.. Read More

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Texte intégral (3069 mots)

La pop culture est devenue le terrain d’une lutte intense, qui se joue à coups de memes, de vidéos Youtube, de stories d’influenceurs et de shorts de Tik-tokeuses. « bataille de civilisation » VS « lutte des classes » : à chaque camp, son écosystème, ses mots et ses codes. Retour sur ce combat pour l’hégémonie culturelle autour des travaux de Bolchegeek, Maxime Macé et Pierre Plottu. 

Vous l’aurez sans doute noté, à moins de vivre dans une grotte ou la boîte crânienne de Pascal Praud : l’extrême-droite la plus virulente a le vent en poupe, et inonde le champ culturel et médiatique. Et ce, notamment, nous disent les éditions Divergences, qui ont publié en septembre dernier « Pop-Fascisme. Comment l’extrême-droite a gagné la bataille culturelle sur internet » des journalistes Maxime Macé et Pierre Plottu, « grâce à un intense combat mené par la fachosphère et ses troufions sur Internet ». Et « cet écosystème coordonné, pensé et interconnecté a permis à ces « idées » de se répandre jusque dans les médias, avec l’appui de Bolloré et de ses sbires littéralement en croisade. Combien de vues se transforment en voix pour le Rassemblement national ? Comment en est-on arrivé là ? ».

Viande rouge, cigares et « grand-remplacement »

Au menu (littéralement) : de la viande rouge, des cigares et du sport, car homme-blanc-alpha-manger-viande, pas comme ces hommes-soja (nom donné par l’extrême-droite aux gauchistes supposés maigres et mal nourris) à cheveux bleus et de moins de 100 kilos. Plottu et Macé, sur le plateau de l’émission Au Poste, de David Dufresnes (1), donnent ainsi l’exemple du très suivi Baptiste Marchais, « influenceur culturiste qui connaît le succès avec ses ‘’repas de seigneur’’ », dîners lors desquels il peut ressortir la rhétorique d’extrême-droite la plus éculée : «l’homme blanc solide a disparu avec la bataille de Verdun, parce que ce sont eux les courageux morts au front, tandis que ne subsistent aujourd’hui que les lâches ».

Lui-même mène donc un business de coach en musculation, ce qui lui permet, en plus de son programme idéologique, de mettre un juteux beurre dans ses épinards. Car cette fachosphère est financièrement profitable, d’autant que soutenue par les milliardaires Pierre-Edouard Stérin et Bolloré, qui rachètent tout ce qu’il leur est possible de racheter, donnant ainsi une image médiatique favorable, et des canaux de diffusion massifs, à des collectifs fascistes comme les Némésis, dont Retailleau a récemment dit « partager les combats ». Avec, toujours, comme modus operandi, la construction de la « menace » gauchiste et « immigrationiste », avec une phraséologie de « l’ennemi intérieur » identique à celle de la presse antisémite des années 30 : « C’est très important de caricaturer l’ennemi. D’abord parce qu’il est beaucoup plus simple de lutter contre un adversaire caricaturé plutôt qu’un adversaire pluriel, et puis parce que ça renforce ses propres positions », dit Macé dans cette même émission, où il rapporte aussi ce bandeau observé sur la chaîne LCI, à propos de la déportation de migrants en Albanie par la mussolinienne Georgia Meloni : « La re-migration : une solution ?».

Quand The Boys massacre le trumpisme

Je retrouve Benjamin Patinaud, dit le Bolchegeek, à la terrasse d’un petit bar de Lyon. Spécialisé dans ces questions, entre autres pour Blast, le journal l’Humanité et sur sa propre chaîne Youtube, il a réalisé il y a peu une vidéo sur la série Canal « Paris Police », série historique fort gauchiste, dont la saison 2, se déroulant en 1905, a vu le très catholique Bolloré censurer, suppose-t-il, toute mention… de la loi 1905 de séparation de l’église et de l’État, un comble. De même pour un affrontement entre les ligues d’extrême-droite et la police et les anarchistes, se déroulant hors-champ. Reste, malgré le coup de pression, cette réalité d’une série grand public, populaire, de qualité, assumant fièrement son ancrage féministe, antifasciste, antiraciste… Mais le constat d’ensemble de la pop, malgré son caractère apparemment progressiste, est-il si optimiste, si positif ? C’est l’objet de notre rencontre.

Nous en venons rapidement à parler de la série The Boys, sur Amazon Prime, à laquelle il a également consacré une vidéo. Une série « très pas subtilement de gauche (rires) », où l’on suit une troupe de massacreurs badass de super-héros machistes et fascistes, dirigés par Homelander, caricature de Superman à la sauce Trump, bébé-cadum grotesque pathologiquement accro à la violence et au pouvoir. Mais il s’est tout de même trouvé des groupes masculinistes pour déclamer leur amour de ce personnages, obligeant l’acteur interprète, Anthony Starr, à prendre la parole à de nombreuses reprises, déclarant : « Ce personnage n’est absolument pas un héros… Pourtant, beaucoup le glorifient et l’adorent. C’est vraiment surréaliste. » Et poussant, donc, Bolchegeek à faire sa vidéo sur la mécompréhension de la série (2) : « Il y a plein de gens qui me demandaient Andor, tu vois, un des meilleurs trucs sur la révolution dans la pop culture. Mais j’ai voulu plutôt réagir là-dessus, car à un moment il faut arrêter les conneries : présenter The Boys comme « anti-woke » alors que ça dit tout le contraire, c’est juste n’importe quoi, il faut redescendre ».

Car c’est l’une des particularités de cette série. Présenter, à traits épais, une sorte de « fascisme 2.0 », un dystopique néo-nazisme « inclusif » drivé par une armée de marketeux ayant pour but d’instrumentaliser les thématiques antiracistes, LGBTQIA+ et féministes pour servir leur plan idéologique ultra-conservateur. « Et ça, c’est totalement un move de gauche, en fait ! Il y a des gens d’extrême-droite, ils se disent, ah, ça critique l’hypocrisie homo, etc. Ils se rendent pas compte qu’en fait, dans les milieux LGBT, le pink-washing, c’est l’ennemi, quoi  ». Même s’il se veut optimiste sur le fait que « la majorité du public de The Boys, c’est des gens qui sont quand même sensibles aux idées progressistes », et « qu’on surestime aussi le nombre de gens qui comprennent pas », il montre cependant la puissance de déni et de toxicité culturelle de la fachosphère, capable d’essayer de tirer vers soi la couverture d’une série qui lui crache très ouvertement à la gueule.

La pop a-t-elle une réelle influence ?

Je demande à Benjamin si, à ses yeux, ce genre de productions culturelles a un réel pouvoir d’influence sur les imaginaires. Il réfléchit. De mon côté, lui dis-je, « je pense qu’il y a une incidence positive. Je ne peux pas m’imaginer qu’un gamin qui mate The Boys et qui trouve les personnages super cool, et où les nazis sont présentés comme étant des grosses merdes, ne va pas être influencé ». Il est, lui, plus nuancé : « C’est une question qu’on me pose souvent, et je trouve que ça serait cool d’avoir une discussion collective un peu là-dessus, parce que j’ai pas trop d’idées arrêtées. En fait, mon intérêt, ça serait de dire que la bataille culturelle, c’est important, que c’est là que tout se joue, et de la surestimer. Mais je n’ai pas envie de faire ça. Et vu l’état du monde, il faut bien croire que ça n’a pas non plus une incidence si forte que ça. Pour l’instant, je me dis que c’est forcément mieux d’avoir des séries, des films » allant dans notre sens, comme le carton du film Sinners, de Ryan Coogler, hommage à la Blaxploitation se concluant par un massacre de blancs du KKK, ou la série Watchmen, « qui imagine une uchronie où en fait, il y aurait eu un tournant progressiste. Comme il y a eu un tournant Reagan, tu vois. Sauf que là, c’est pas Reagan, c’est Robert Redford, le président (rires). Mais évidemment la morale, même si ça critique certains aspects de la gauche, c’est que c’est toujours mieux d’être de notre côté que de celui des fascistes ».

Illustration 2

Benjamin aux côté de Benjamine Weill et de la revue Audimat aux rencontres Pop Molotov, organisée par Mouais et les éditions Terres de feu

Il donne aussi l’exemple de Beyond the spider-verse, film d’animation de Sonny Marvel où l’on retrouve le personnage de Spider-Punk, un anarchiste « qui est juste génial. Le gamin d’un pote, qui doit avoir six ans, quand, dans le film, il enlève son masque, et qu’en plus, c’est un Noir, avec des dreads, et qu’on voit que c’est le personnage le plus stylé de l’univers, il fallait voir sa gueule… il va s’en souvenir toute sa vie ». Il conclut : « Et il y a plein de petits trucs comme ça, je pense qu’on ne se rend pas compte de l’impact sur les nouvelles générations » ; « Une génération qui aura vécu avec des Spider-Punks, c’est pas la même génération qui aura vécu avec des héros reaganiens ». Car les productions culturelles estampillées de droite, il en a regardé, notamment pour le podcast Dis-Cor-Dia : « c‘est tout le temps des merdes. La dernière fois, ils m’ont fait faire la trilogie adaptée de La Grève de Ayn Rand. L’idée du bouquin est trop conne : tous les entrepreneurs se disent qu’ils en ont marre des collectivistes et donc ils se cassent. C’est fait par une espèce de boîte de prod’ de droite, mais nulle, avec de moins en moins de budget à chaque film. Personne ne regarde ça. C’est des trucs nazes de Bac DVD… »

Une offensive réactionnaire réelle -et efficace ?

Si quelqu’un comme Louis Sarkozy, fils de, nouvelle coqueluche des réac’ du pays, n’a vendu que 2000 exemplaires de son bouquin malgré son passage sur tous les plateaux télé, le livre de Jordan Bardella, ou la revue fasciste Furia, de Papacito et Obertone, diffusés dans tous les points de vente Bolloré, sont de véritables succès -même si, tempère Benjamin, « Salomé Saqué a vendu autant si ce n’est plus, avec une exposition médiatique moindre ». Et, selon lui, citant les travaux de Vincent Tiberj critiquant la prétendue « droitisation de la société », « la pop culture est quand même massivement progressiste. Les artistes ont tendance à être au moins un peu plus progressistes que la moyenne, quoi. Et sans artistes, tu ne produis rien ». « Faire des bons films, des bons livres, ils galèrent. La culture meme, internet, tiktok, ils y arrivent très bien. Mais c’est vrai que faire une culture, ils n’y arrivent pas ».

Illustration 3

Ces contenus immédiats, qui touchent principalement les jeunes ados, adeptes de trucs courts basés sur « la déconne », arriveront-ils à asseoir en eux une véritable idéologie ? Difficile de le savoir. Mais « ce qui est observé par contre c’est qu’il y a un retour, notamment chez les jeunes mecs, du masculinisme, notamment via les influenceurs. C’est terrifiant. J‘espère qu’ils en reviendront. Et s’ils n’en reviennent pas tout de suite, ça fait quand même des dégâts. S‘ils grandissent avec ça, il y a du chemin à faire pour eux…. »

A la fin de leur essai, Maxime Macé et Pierre Plottu rappellent que lorsque le Rassemblement National, après la dissolution, a manqué d’arriver en tête du second tour des législatives, Squeezie, suivi par 19 millions de personnes, a pris clairement position contre l’extrême-droite, de même que Lena Mahfouf, dite Lena Situation -11 millions d’abonnés. Cependant, précisent les auteurs, « passée la joie, les influenceurs ayant pris la parole contre le RN se sont inquiétés pour la suite. « Je considère que ce n’est qu’un sursis et non une victoire », a ainsi estimé le vidéaste MisterMV, près de 500 000 abonnés sur Youtube, pour qui la gauche doit désormais « reconstruire et trouver une solution pour parler aux circonscriptions tombées sous le joug du RN » […] Reste à savoir si cet élan perdurera au-delà de l’urgence d’un scrutin. Car, en parallèle, la fachosphère continue à fourbir ses armes ». A la gauche de faire de même, sur le vaste terrain de lutte de la pop.

Par Macko Dràgàn

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(1) https://www.auposte.fr/pop-fascisme-trump-aux-usa-influenceurs-en-france-auposte-x-mediapart/

(2) Bolchegeek, Pourquoi personne ne comprend THE BOYS, vidéo Youtube

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29.08.2025 à 14:26

Aidez notre journal à passer en diffusion nationale en kiosque !

admin

Dans quelques mois, pour janvier 2026, notre journal, Mouais, seul média papier indépendant basé en Côte d’Azur, a un grand projet : passer en diffusion nationale en kiosques. Nous lançons donc une campagne de financement, pour que vive la presse libre. Cela fait maintenant 30 ans que l’industrie de la presse connaît une évolution oligarchique catastrophique à l’échelle mondiale. On observe une concentration croissante des médias entre les mains d’un.. Read More

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Texte intégral (669 mots)

Dans quelques mois, pour janvier 2026, notre journal, Mouais, seul média papier indépendant basé en Côte d’Azur, a un grand projet : passer en diffusion nationale en kiosques. Nous lançons donc une campagne de financement, pour que vive la presse libre.

Cela fait maintenant 30 ans que l’industrie de la presse connaît une évolution oligarchique catastrophique à l’échelle mondiale. On observe une concentration croissante des médias entre les mains d’un nombre restreint de grands groupes industriels et financiers, souvent dirigés par des milliardaires. En France, par exemple, fin 2023, onze milliardaires contrôlaient 80 % des ventes de la presse quotidienne généraliste et 57 % des audiences télévisuelles. 

Cette situation est exacerbée par les difficultés économiques de la presse écrite traditionnelle, qui a vu de nombreux points de vente fermer -où être rachetés par Bolloré, dont on connaît la passion sans limite pour le pluralisme et l’indépendance- et des journaux historiques faire face à des problèmes de trésorerie récurrents. Cette oligarchisation fait courir des risques majeurs à la démocratie. C’est pourquoi il est vital de soutenir ce contre-pouvoir essentiel, à échelle locale comme nationale et international, que sont les médias libres. 

C’est pourquoi, après 5 années de radicalité jamais soumise, nous continuerons à déverser notre arme de prédilection, l’encre sur nos pages. Tant pis si elle n’est que la peinture rupestre de notre époque : elle fixe une pensée radicale et complexe que les générations futures, lasses du grand effacement numérique, pourront redécouvrir pour comprendre nos luttes. Mouais, c’est l’information du futur. L’écho de nos grognements critiques résonnera bien après que leurs datacenters, leurs clouds et le big data auront grillé.

Et non seulement nous continuons, mais nous passons à la vitesse supérieure. A l’heure d’élections municipales -chez nous, à Nice, où nous nous obstinons à faire entendre une parole libre, l’ultra-droitier Eric Ciotti, adepte de Trump et allié au RN, s’est déclaré candidat- faisant peser à nouveau le risque d’une vague fasciste et tandis que l’étau se resserre sur la presse libre, plutôt que de nous laisser intimider, les anarchistes que nous somment appuient sur le champignon. Au menu : un passage l’impression rotative, donc à 10 000 exemplaires et plus, et une diffusion dans tous les kiosques du pays. 

Mais ceci a un prix : pour assurer le financement de cette aventure, il nous faut un minimum de 4000 euros, dont nous ne disposons pas actuellement. C’est pourquoi nous faisons appel à vous. 

L’argent sera intégralement consacré aux frais d’impression et au paiement de l’entreprise chargée de la diffusion en kiosque. Le lien est ici : https://www.helloasso.com/associations/association-pour-la-reconnaissance-des-medias-alternatifs-arma/collectes/aidez-notre-journal-a-passer-en-diffusion-nationale-en-kiosque

Vive la presse libre et libertaire, et si vous voulez mettre un bâton dans les roues d’Estrosi, Ciotti et leur monde, une seule solution : financer le canard au chat noir qui leur tient tête !

Toute la rédaction vous remercie du fond du cœur. 

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17.08.2025 à 11:35

« Militant LGBT, je retire ma plainte contre le policier qui m’a éborgné »

admin

Le 1er février 2024, à Marseille, un militant LGBTQIA+ a perdu un œil après un coup de poing d’un homme qui venait de proférer des insultes homophobes et de bousculer un élu. L’agresseur s’était avéré être un policier en civil. Plus d’un an plus tard, irrémédiablement aveugle de son œil droit, la victime, Alexandre Georges, a décidé de retirer sa plainte, par un courrier qu’il nous a transmis. Marseille, le.. Read More

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Texte intégral (1243 mots)

Le 1er février 2024, à Marseille, un militant LGBTQIA+ a perdu un œil après un coup de poing d’un homme qui venait de proférer des insultes homophobes et de bousculer un élu. L’agresseur s’était avéré être un policier en civil. Plus d’un an plus tard, irrémédiablement aveugle de son œil droit, la victime, Alexandre Georges, a décidé de retirer sa plainte, par un courrier qu’il nous a transmis.

Marseille, le 1er Juillet 2025

Madame la Procureure,

Le 1er Février 2024, j’étais violemment frappé au visage par un policier en civil au cours d’une manifestation LGBT, après que ce même individu ait agressé un adjoint au maire de Marseille que j’ai tenté de défendre en utilisant un spray au poivre. Fracturés par ce coup de poing, les os ne retenaient plus correctement mon œil droit, qui a tenté de sortir de son orbite le lendemain, endommageant irrémédiablement le nerf optique. J’en perdais ainsi l’usage le 2 Février, à l’âge de 26 ans. Comme le montrent clairement les vidéos de la scène, ni ce danger public ni ses deux collègues n’avaient de brassard. Ils étaient venus perturber le cortège, tenant des propos qui ne nous faisaient pas douter de ce qu’ils pensaient de nous, avant de faire illégalement usage de la force.

On aurait pu s’attendre à ce que ce voyou soit inquiété, mais non. Suite à ces événements, le policier a porté plainte et ses collègues ont voulu me placer en garde à vue, ce que mon état de santé et les contraintes médicales qu’il impliquait ont rendu impossible. J’ai bien entendu déposé plainte, mais l’enquête a été confiée une IGPN qui a investigué contre moi, cherchant tantôt à prouver que ce ne serait pas le coup de poing qui m’aurait rendu infirme, tantôt à démontrer que je l’aurais mérité.

Après tout, ce que j’ai fait est « grave », non ?

Mais rendre cette enquête inutile ne suffit pas, il faut aussi qu’elle soit pénible. Votre police est tout de même allée jusqu’à convoquer mon petit ami pour, entre autres questions déplacées, lui demander si ça le dérangeait de ne pas savoir où et avec qui je dormais certaines nuits. A ces questions intrusives, se sont ajoutées des auditions de témoins clairement orientées et des méthodes d’enquête agressives sur le corps médical. L’IGPN est tout de même allée chercher mon médecin traitant dans son propre cabinet !Apprenant cela, mon avocate et même l’adjoint au maire agressé ont du intervenir auprès de vous et de la préfecture de police pour réclamer que cessent ces méthodes déloyales.

Il n’en fut rien. Vous avez opposé à nos demandes la saisie par la puissance publique de l’intégralité demes dossiers médicaux chez mon médecin etdans les hôpitaux, alors que vous aviez déjà tout. Autrement dit, l’enquête n’a pas plus avancé. J’ai même du me rendre à Montpellier, à votre demande, pour qu’une nouvelle expertise soit réalisée, par un autre ophtalmologiste. Apparemment, les éléments saisis directement auprès du corps médical ne vous convenaient pas. Il fallait encore que j’aille dans une autre ville comme si, d’un médecin à l’autre, un mal-voyant pouvait redevenir valide.

Et, Montpellier n’étant pas Lourdes, le diagnostic n’a pas été différent de ceux déjà réalisés : Je suis aveugle de l’œil droit. Le nerf optique ne se régénère pas, ce que l’on se trouve à Marseille ou ailleurs.

Mais voilà que je prends connaissance par mon avocate de cette nouvelle approche : Certes, je ne vois plus d’un œil, mais cette cécité est-t-elle réellement due au coup du policier ? Faisons de nouveaux examens pour être bien certains qu’elle n’est pas étrangère à la sortie de mon œil de son orbite, au lendemain du coup qui m’a fracassé le crâne.Après tout, on ne sait jamais, peut-être qu’à l’IRM on détectera que c’est un petit lutin logé derrière mon œil qui s’amuse à débrancher les câbles. Tout ce cirque plutôt que l’admission d’un fait simple : La police peut être violente. Croyez moi, on peut l’entendre sans s’étouffer.

Alors soit! Puisqu’il faut démontrer que je n’étais pas déjà borgne avant d’être éborgné, je mets fins à cette procédure ridicule, en vous transmettant des examens ophtalmologiques antérieurs à l’agression. Ce ne sera pas très difficile à prouver : J’avais la même myopie à chaque œil, avant qu’un chien de Pétain ne me permette de faire des économies en lentilles correctrices. Vous avez déjà, me semble-t-il, obtenu les PEV, dont les signaux électriques avaient clairement démontré l’atteinte du nerf optique.Vous allez, par votre désintéressement à ce dossier, devoir classer l’affaire d’un acte homophobe dirigé contre notre communauté par l’autorité publique.

Compte tenu des dysfonctionnements excessifs des institutions policières et judiciaires dans ce dossier, je ne m’attends pas à gagner le moindre procès, même s’il avait lieu. Je n’ai de toute façon jamais eu une telle certitude. Aucun éborgné par la police n’a obtenu Justice à ce jour et rien ne laisse présager que j’aurai droit à un traitement différent du leur. De plus, je ne souhaite pas continuer de faire comme si ce pays allait bien.

Non, la police n’est pas l’alliée des personnes LGBT et, non, la Justice ne peut rien lorsqu’un flic a décidé de « casser du pédé ». Ici, comme en Hongrie ou ailleurs, nous devrons nous battre en connaissance de ce fait.

Refusant de persévérer dans l’illusion d’une procédure utile et équitable, je retire ma plainte.

Très cordialement,

               Alexandre Georges.

Relecture par Mačko Dràgàn

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12.08.2025 à 10:09

Et si tout n’était pas foutu ? Réflexions sur les générations à venir

admin

Alors qu’on nous serine sur une France qui pencherait plus que jamais à droite, plusieurs indicateurs viennent démontrer l’inverse. Les élites se fascisent oui, mais, tendanciellement, la population, elle, résiste et s’ouvre culturellement et socialement. Brève réflexion sur pourquoi tout n’est pas foutu et comment accentuer le changement. Il y a des livres qui font du bien. Celui du politiste Vincent Tiberj par exemple. Dans La droitisation française. Mythe et.. Read More

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Texte intégral (2604 mots)

Alors qu’on nous serine sur une France qui pencherait plus que jamais à droite, plusieurs indicateurs viennent démontrer l’inverse. Les élites se fascisent oui, mais, tendanciellement, la population, elle, résiste et s’ouvre culturellement et socialement. Brève réflexion sur pourquoi tout n’est pas foutu et comment accentuer le changement.

Il y a des livres qui font du bien. Celui du politiste Vincent Tiberj par exemple. Dans La droitisation française. Mythe et réalités, ce dernier montre, sondages à l’appui sur les cinquante dernières années, comment toutes les générations, même celle des boomers, devient de plus en plus acquise aux thèmes chers à la gauche. Tout du moins, qu’il n’y a pas de « droitisation par le bas », comme le laissent à croire tous les bavasseurs de plateaux. Trois indices sont étudiés qui couvrent, depuis les années 1970 jusqu’à aujourd’hui, les préférences culturelles et sociales des Français.es, ainsi que la tolérance à l’égard des minorités religieuses, sexuelles, ethniques. Et les courbes tendent de façon presque linéaire vers un accroissement de cette tolérance, toutes générations confondues, hormis pour celle des préférences économiques qui oscille selon le contexte de l’époque. En revanche, Vincent Tiberj montre une droitisation bien réelle, celle des élites politiques et médiatiques. En résumé, une réalité en haut, un mythe en bas.

« Il n’y a pas de droitisation sur le long terme, c’est même plutôt l’inverse qui apparaît. On verra même que plusieurs facteurs comme le renouvellement générationnel ou l’élévation du niveau de diplôme poussent vers encore plus d’ouverture et de tolérance, et que les demandes de redistribution demeurent, particulièrement dans les catégories populaires », écrit Vincent Tiberj (p.23). On observe des infléchissements à certaines périodes, comme dans les années 1980, à l’ère triomphante du néo-libéralisme concernant la demande de redistribution. Et vice-versa depuis la prise de pouvoir d’Emmanuel Macron. Néanmoins, les indices augmentent dans la « bonne direction » et laissent augurer un futur désirable. « Les individus bougent, y compris quand ils sont âgés, parce qu’on apprend tout au long de sa vie et que notre entourage nous y aide sans doute ». (p.71) On y reviendra mais parmi les facteurs de mouvements, on retrouve également l’éducation populaire et le militantisme. En juin dernier, le dernier rapport annuel de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) sur la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie est venu confirmer une partie des travaux de Vincent Tiberj. Oui, les Français sont de plus en plus tolérants. « L’indice longitudinal de tolérance (ILT) s’établit à 63/100, soit le troisième meilleur score depuis 1990 », dit le rapport. Mais les préjugés racistes demeurent fortement. Alors à quel saint se vouer ?

Vote ou ne vote pas, mais organise-toi

Puisqu’on a tout bien lu Pierre Bourdieu, qui nous avertissait dès 1973 que « l’opinion publique n’existe pas », en tout cas celle mesurée par les sondages, alors nous sommes critiques face à la méthode employée par Vincent Tiberj. Pour autant, il vient confirmer une prénotion, observable à l’œil nu (certes, ce n’est pas très scientifique) : la jeunesse se radicalise, se polarise, mais pour une grande part se trouve à la pointe sur les questions intersectionnelles, c’est-à-dire sur l’articulation des différentes dominations subies (racisme, genre, classe sociale etc). Pourquoi ne trouve-t-on alors pas de traduction dans les urnes ? Une partie de cette jeunesse éduquée déserte celles-ci par lucidité sur le système politique, et se concentre plutôt sur l’action associative et collective, spontanée. Ou bien vote par intermittence. De manière générale, le politiste parle d’une « grande démission » du vote et postule d’une divergence entre citoyens et électeurs, c’est-à-dire entre ceux qui votent et ceux qui ne votent pas, pour comprendre les écarts entre aspirations politiques de la population et un paysage électoral de plus en plus brun. Les élections législatives de 2024 suite à la dissolution décidée par Emmanuel Macron ont été un formidable révélateur de cette thèse. Lorsque l’abstention baisse, le vote de gauche augmente. Et celle-ci gagne. Pour autant, son socle oscille autour des 30%, un total relativement faible, lorsqu’on considère qu’elle fut unie « de Poutou à Hollande » en juin 2024. Les abstentionnistes sont de gauche, les cohortes de générations s’ouvrent de plus en plus vers l’altérité. Que faire de ces données ? Attendons sagement que les vieux meurent et le monde est à nous ?

Gare au backlash

Il serait naïf, voire illusoire de croire à un inéluctable progressisme. En face s’opère un « cultural backlash », concept forgé aux États-Unis, c’est-à-dire « un retour de bâton » face aux fortes avancées sur les questions féministes, LGBTQIA+, décoloniales. « Il y a un retour en force du masculinisme, on est retournés 30 ans en arrière », témoigne Francis Dupuis-Déri, universitaire anarchiste dans nos colonnes (1). « Alors que les jeunes femmes adhèrent de plus en plus aux valeurs progressistes, les hommes du même âge ont tendance à se tourner vers des idées conservatrices », (2) explique Le Monde à partir d’une enquête du Financial Times. Le 2 juillet, un attentat d’un homme de 18 ans se revendiquant de la mouvance incel (involuntary celibate, célibataire involontaire) a été déjoué. Il a été mis en examen par le parquet national anti-terroriste, une première pour un fait de cette nature.

Comment les évolutions mesurées s’opèrent-elles ? Qu’est-ce qui fait bouger ces indicateurs de progrès ? A n’en pas douter, l’élévation du niveau de diplôme de la population, suite à des années de démocratisation massive de l’enseignement supérieur, notamment via la fac, a permis à des générations successives de goûter aux joies de l’académisme universitaire. Et par là-même de comprendre la complexité du monde, qui n’inclut pas de binarité biologique entre hommes et femmes, entre Blanc et Arabe, Noir et Juif. C’est par ailleurs l’une des nombreuses raisons pour lesquelles le système Parcoursup introduisant la sélection à l’université représente un sévère retour en arrière. On peut aussi voir dans la mixité de la population, toujours plus grande et qui fait tant peur aux fachos, un facteur d’élèvement et de rejet du racisme. François Héran, sociologue et titulaire de la chaire Migrations et société au Collège de France, avait rappelé en décembre 2023 sur la chaîne LCP, au moment du vote pour la loi Immigration, que « 31% des Français sont issus de l’immigration sur trois générations mais que seuls 5% ont leurs quatre grands-parents immigrés. Ça veut dire qu’il y a des brassages et unions mixtes considérables au fil des générations, les populations ne se séparent pas mais se rapprochent » (3).

Quelles armes face à l’internationale fasciste ?

On peut compter sur les mobilisations et l’activisme acharnés de collectifs et associations pour faire évoluer la société dans « la bonne direction ». « Le problème c’est ce foutu poids de la hiérarchie qui nous bouffe la tête » (4), disait Charles Piaget avant de mourir, éminent militant syndicaliste, fer de lance de la lutte à l’usine Lip en 1973 (5). Celle des patrons, des propriétaires, des flics, des fonctionnaires, des politiques, des banquiers, des professeurs, des parents, des hommes, des Blancs, des carnassiers. C’est toutes ces dominations qu’il faut abolir. Alors certes, partout l’internationale fasciste s’organise. Elle mêle désormais les milieux d’affaires et les élites politiques, comme on peut le voir avec l’entrée en scène du milliardaire catho Pierre-Edouard Stérin et son projet Périclès visant à la victoire de l’extrême-droite unifiée en 2027, s’ajoutant ainsi à Vincent Bolloré et son empire médiatique. On l’a vu également lors de l’élection de Donald Trump et le rampement des cadors de la Silicon Valley devant le président américain réélu. On peut penser à nouveau au retour de bâton. Pourtant, il fut un temps où le programme économique de la gauche comptait des « expropriations », « nationalisations », des « ruptures avec la société capitaliste ». Aujourd’hui, le grand méchant loup se trouve être la France insoumise et hormis la proposition d’une classique taxation du capital et un impôt universel, rien ne devrait faire trembler les grands équilibres financiers. Alors pourquoi ont-ils si peur ? Peut-être car la gauche se trouve bien plus forte que ce qu’elle ne pense d’elle-même. Peut-être que le sens de l’histoire souffle en ce sens. Tout le pouvoir à l’imagination disaient les soixante-huitards. Nous pouvons désormais dire, « tout le pouvoir au réel ». Une étude néerlandaise montre que plus un parti est à droite, plus il s’éloigne de la vérité. « La désinformation fait même partie intégrante de la stratégie de communication de cette force politique, affirme une étude néerlandaise publiée dans The International Journal of Press-Politics (IJPP), qui a analysé 32 millions de messages postés sur Twitter (désormais X), le réseau social d’Elon Musk », relate Check News (6). Le réel à gauche, la réalité mythifiée à droite.

Reprenons l’outil

De la réappropriation de l’outil de production par les ouvriers en grève de l’usine de montres Lip en 1973 à Besançon, jusqu’à celle de la Scop-Ti en 2014 (qui a réalisé son meilleur chiffre d’affaires l’an dernier depuis la reprise en main de l’usine à thé), en passant par l’usine Duralex l’an passé, l’autogestion de la production guide nos pas. Les exemples sont peu nombreux, mais ils démontrent la possibilité de faire sans patrons. Les luttes LGBT, Black Lives Matter, le mouvement décolonial, #Metoo, ont ouvert de nombreux fronts dans toutes les sphères de lutte contre les discriminations. Les soulèvements de la Terre, le mouvement climat, l’essaimage des ZAD. Partout les collectifs écologistes se renforcent, bien conscients qu’il s’agit du plus puissant frein au capitalisme que celui de la conservation du vivant. Se débarrasser du capitalisme était auparavant une question de justice sociale, il est désormais une question de survie. Et si tout n’était pas foutu à l’ombre des heures sombres que nous traversons ? Et si les forces vivaces qui transforment la société par la base comme démontré plus haut, parvenaient à renverser la table ? Comme toujours, la réponse à cette question ne se trouvera pas dans un gouvernement révolutionnaire, mais bien dans la gestion de nos vies, par et pour nous-mêmes, en luttant, toujours, pour faire advenir le monde à venir.

Par Edwin Malboeuf

Illustration 3

Un article tiré du numéro en cours, soutenez-nous, abonnez-vous ! : https://mouais.org/abonnements2025/

Notes :

1. Lire Mouais #55

2. Claire Legros, « L’inquiétant regain du masculinisme, cette pensée réactionnaire aux origines millénaires », lemonde.fr, 12 avril 2024

3. Lire Mouais #45

4. Théo Roumier, Charles Piaget. De Lip aux « milliers de collectifs », Libertalia, 2024, 191 pages

5. En 1973, les ouvriers de l’usine de montre Lip se mettent en grève contre un dépôt de bilan à venir. Les grévistes réquisitionnent alors les stocks et les outils de production et continuent la vente avec ce slogan devenu célèbre : « On fabrique, on vend, on se paie ».

6. Simon Blin et Savinien de Rivet, « Réseaux sociaux : plus un parti est à droite, plus il diffuse des fake news », Check News, 11 février 2025

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