16.09.2025 à 16:10
Human Rights Watch
(Beyrouth, 16 septembre 2025) – Les autorités iraniennes n'ont toujours pas mené d'enquêtes efficaces, impartiales et indépendantes sur les graves violations des droits humains et les crimes de droit international commis lors des manifestations « Femme, Vie, Liberté » de septembre 2022 et par la suite, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui. Le troisième anniversaire des manifestations devrait rappeler avec force aux gouvernements préoccupés l’importance des efforts visant à tenir les auteurs de crimes responsables de leurs actes, et à permettre aux familles des victimes d’obtenir justice.
En mars 2024, la Mission d'établissement des faits des Nations Unies sur la République islamique d'Iran a publié son premier rapport, qui concluait que la répression meurtrière des manifestations par les autorités iraniennes avait entraîné de graves violations des droits humains et des crimes contre l'humanité, notamment des meurtres, des actes de torture et des viols. Mais malgré les nombreux appels à la justice, exprimés en Iran et à l’étranger, les autorités iraniennes ont loué les forces de sécurité ayant réprimé les manifestations, vilipendé les manifestant-e-s, rejeté les plaintes des victimes et de leurs familles, et persécuté des familles de personnes tuées ou exécutées.
« Les victimes et leurs familles qui ont subi des violences brutales de la part des autorités iraniennes n'ont aucune chance d'obtenir justice, car ceux qui devraient apporter réparation sont eux-mêmes impliqués dans des violations et des crimes et protègent les autres responsables de toute responsabilité », a déclaré Bahar Saba, chercheuse senior sur l'Iran à Human Rights Watch. « Les autres pays qui peuvent engager des poursuites dans de telles affaires devraient saisir toutes les occasions de le faire. »
Les violations flagrantes des droits humains commises par les autorités iraniennes dans le cadre des manifestations « Femme, Vie, Liberté » ont persisté bien après les manifestations de rue. Dans son deuxième rapport, publié en mars 2025, la Mission d'établissement des faits de l'ONU a constaté que les autorités continuaient de persécuter des femmes et des filles, des membres des minorités, ainsi que des familles de victimes qui cherchaient à obtenir justice.
Les autorités ont récemment exécuté au moins deux hommes et condamné plusieurs autres à mort en lien avec les manifestations. Mojahed Kourkouri a été exécuté le 11 juin. Amnesty International a documenté que les autorités l'ont gravement torturé et condamné à mort à l'issue d'un procès manifestement inéquitable concernant le mouvement « Femme, Vie, Liberté ». Mehran Bahramian, pendu le 6 septembre, était le douzième homme exécuté suite à des poursuites liées aux manifestations de 2022. L’organisation Iran Human Rights, basée à Oslo, a signalé que les autorités avaient torturé Bahramian afin d’extorquer des aveux.
Play VideoLes autorités iraniennes ont continué d'appliquer les lois et les politiques discriminatoires et dégradantes sur le port obligatoire du hijab, qui avaient entraîné la mort en détention, le 16 septembre 2022, de Mahsa Jina Amini, âgée de 22 ans. La mission d'enquête de l'ONU a conclu que l'État iranien était responsable de sa mort, survenue dans des circonstances illégales. Depuis lors, les autorités ont adopté un large éventail de mesures violentes et répressives pour contraindre les femmes et les filles à respecter le port obligatoire du hijab. Ces mesures incluent des arrestations et des détentions arbitraires, des poursuites judiciaires injustifiées, des sanctions sévères, le déni de services de base, la privation de droits fondamentaux, notamment à l'éducation, à la santé et à l'emploi, la saisie de véhicules et le recours à des technologies de surveillance.
De nombreuses Iraniennes ont déclaré à Human Rights Watch que malgré les risques graves et les coûts personnels considérables, elles continueraient à revendiquer le respect de leurs droits humains.
De nombreuses survivantes de la répression violente des manifestations par le gouvernement, y compris celles souffrant de blessures graves et durables, ont dû quitter l'Iran en raison de menaces d'arrestation, de torture et de poursuites pénales. Certaines vivent dans l'incertitude dans les pays voisins, où elles manquent de sécurité et d'accès aux soins médicaux et psychologiques, ainsi qu'aux traitements nécessaires.
Des Iraniennes qui ont bénéficié d'une protection dans des pays tiers, notamment en Europe, continuent de subir les effets désastreux des violences criminelles, notamment des douleurs physiques chroniques, des complications médicales, des infections récurrentes et des traumatismes psychologiques. Celles qui s'expriment publiquement ou militent ont exprimé leurs craintes pour la sécurité de leurs proches en Iran, qui ont subi harcèlement, interrogatoires et perquisitions à leur domicile.
Plusieurs survivant-e-s ont toutefois exprimé leur détermination à poursuivre leur quête de vérité, de justice et de liberté. « Je ne peux plus dormir sur le côté gauche », a déclaré un jeune homme blessé par des projectiles métalliques lors des manifestations. « Au bout d'une dizaine de minutes, j'ai l'impression d'être poignardé à répétition… Psychologiquement, c'est éprouvant. Avant, je soulevais des poids lourds à la salle de sport et maintenant, je peux à peine soulever quoi que ce soit. [Mais] si les manifestations recommencent demain, je retournerai [dans la rue]. »
En vertu du droit international, le gouvernement iranien a la responsabilité première d'enquêter sur les violations graves des droits humains et de les poursuivre en justice, et de veiller à ce que les victimes obtiennent réparation rapidement et adéquatement. Cependant, l'impunité en Iran est historique et a précédé de loin les manifestations « Femme, Vie, Liberté ». Au lieu de garantir l'obligation de rendre des comptes, le gouvernement a mis en place les structures juridiques et judiciaires du pays pour protéger les responsables de violations et de crimes.
Tous les pays exerçant une compétence universelle et extraterritoriale devraient ouvrir des enquêtes pénales appropriées sur les crimes de droit international commis par les autorités iraniennes pendant et depuis les manifestations « Femme, Vie, Liberté », a déclaré Human Rights Watch.
« De nombreuses survivantes des manifestations “Femme, Vie, Liberté” vivent dans des conditions précaires dans des pays voisins de l'Iran », a conclu Basa Saba. « Les gouvernements concernés devraient prendre des mesures coordonnées pour les soutenir dans leur quête de sécurité, de protection et d’aide humanitaire. »
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15.09.2025 à 18:29
Human Rights Watch
(Beyrouth, 15 septembre 2025) – Les autorités libyennes devraient d’urgence enquêter sur la disparition de deux députés, après la diffusion récente d'images et de vidéos troublantes qui ont accru les inquiétudes quant à leur sécurité, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui ; les autorités devraient divulguer toute information disponible à leur sujet.
En août 2025, une image floue a circulé sur les réseaux sociaux. Selon des commentateurs, elle montrait Seham Sergewa, députée libyenne enlevée en juillet 2019, en train d'être agressée physiquement. En mai, des photos et des vidéos ont circulé sur les réseaux sociaux montrant Ibrahim al-Drissi, député enlevé en mai 2024, enchaîné et dévêtu, plaidant son innocence. Human Rights Watch n'a pas été en mesure de vérifier ces images et vidéos, ce qui accroît les inquiétudes quant à la santé de ces deux personnes.
« Les autorités de l'est de la Libye et les dirigeants militaires devraient faire tout leur possible pour mettre fin aux disparitions forcées dans les zones sous leur contrôle, commises par des forces placées sous leur commandement », a déclaré Hanan Salah, directrice adjointe de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à Human Rights Watch. « Les familles des disparus ont le droit de savoir ce qu'il est advenu de leurs proches et d'obtenir justice. »
Les deux députés ont été enlevés à Benghazi par des hommes armés non identifiés, en 2019 et 2024 ; ils n’ont pas été revus depuis, et leur sort reste inconnu. Aucune entité n'a revendiqué la responsabilité de ces enlèvements.
Deux autorités rivales se disputent le contrôle de la Libye. D’une part, le Gouvernement d'unité nationale (GUN, ou GNU en anglais) basé à Tripoli, les groupes armés qui lui sont affiliés et les forces quasi étatiques contrôlent l'ouest du pays. D’autre part, les Forces armées arabes libyennes (FAAL, ou LAAF en anglais) et les milices et appareils de sécurité qui leur sont affiliés contrôlent l'est et le sud du pays. La Chambre des représentants libyenne siège actuellement à Benghazi (nord-est).
Le 1er septembre 2025, Human Rights Watch a écrit au bureau de Khalifa Hiftar, commandant des FAAL, et au procureur général libyen al-Siddiq al-Sur, pour solliciter des informations sur Seham Sergewa et Ibrahim al-Drissi, mais n'a reçu aucune réponse du procureur général. Un représentant des FAAL a répondu le 10 septembre qu'en tant qu'institution militaire, les FAAL n'avaient mené aucune enquête criminelle sur le « crime commis contre la députée Seham Sergewa », ni d'enquêtes médico-légales visant notamment à déterminer l'authenticité de photos ou de vidéos. Le courrier a précisé que tout membre des FAAL impliqué dans des violations ferait l'objet de poursuites judiciaires appropriées.
Le 17 juillet 2019, des hommes armés et masqués ont pris d'assaut la résidence de Seham Sergewa à Benghazi et l'ont enlevée. Des voisins et des proches à l'étranger ont alors déclaré à Human Rights Watch que certaines des voitures utilisées pour encercler la maison lors de l'incident semblaient appartenir au 106ème Bataillon, un groupe armé lié aux FAAL.
L'ancien gouvernement intérimaire qui administrait Benghazi au moment de l'enlèvement de Seham Sergewa a nié toute implication de ses propres forces, ou d’une force liée aux FAAL. Son ministre de l'Intérieur avait alors affirmé, sans fournir de preuves, que des « groupes terroristes infiltrés à Benghazi » non identifiés l'avaient enlevée.
Vers le 11 aout 2025, une image diffusée sur les réseaux sociaux montrait Seham Sergewa en train d'être agressée physiquement, selon certaines sources. Human Rights Watch n'a pas été en mesure de vérifier les allégations des médias concernant une vidéo montrant les violences subies, ni le lieu et le moment où l'image – qui serait une capture d'écran d'une vidéo – aurait été prise. Human Rights Watch n'a pas examiné la vidéo, qui n'est pas été publiquement diffusée. Si elle est authentique, cette image de Sergewa serait la première depuis son enlèvement il y a plus de six ans.
Quant à Ibrahim al-Drissi, des hommes armés non identifiés l’ont enlevé le 16 mai 2024, après qu'il eut assisté à un défilé des FAAL à Benghazi. Aucune information sur son sort n'a été disponible jusqu'au 2 mai 2025, date à laquelle des reportages, des vidéos et des photos ont commencé à apparaître dans les médias et sur les réseaux sociaux, le montrant à moitié nu, enchaîné par le cou dans une structure ressemblant à une cellule, et dans des conditions inhumaines.
L'Agence de sécurité intérieure de Benghazi, un groupe armé opérant sous l'égide des FAAL, a affirmé que la vidéo semblant montrer al-Drissi était un « deepfake » créé par un outil d’intelligence artificielle (IA). Bien que de telles affirmations soient difficiles à vérifier, Human Rights Watch a examiné la vidéo et consulté un groupe d'experts de la Deepfakes Rapid Response Force, une initiative de l'organisation non gouvernementale WITNESS.
Sur les cinq équipes ayant contribué à l'analyse, quatre n'ont trouvé aucune preuve significative de manipulation de l'IA. Une équipe a noté de possibles signes de manipulation en raison d'incohérences dans l'éclairage dans les ombres, mais a souligné que la mauvaise qualité du fichier vidéo pourrait perturber leurs outils et entraîner des résultats faussement positifs.
Les cas de Seham Sergewa et d'Ibrahim al-Drissi ne sont que deux exemples parmi les dizaines de disparitions forcées et d'assassinats de journalistes, de militants et de personnalités politiques dans l'est de la Libye depuis 2014, dans un contexte d'impunité généralisée pour les milices et les groupes armés. Human Rights Watch a également documenté de nombreuses disparitions forcées dans l'ouest de la Libye. Le 30 août 2025, le Représentant spécial des Nations Unies sur la Libye a publié une déclaration déplorant la « pratique généralisée et systématique des disparitions forcées dans tout le pays » ; il a ajouté que « la persistance de la détention au secret, l'existence de centres de détention non officiels où la torture et les mauvais traitements sont monnaie courante, et le déni systématique de procédure régulière alimentent cette grave tendance ».
Les disparitions forcées sont interdites par le droit libyen et international, et les autorités sont tenues d'enquêter sur ces crimes. En vertu de la loi libyenne n° 10 (2013) relative à la criminalisation de la torture, des disparitions forcées et de la discrimination, les disparitions forcées sont passibles d'une peine pouvant aller jusqu'à huit ans de prison. Le secteur judiciaire libyen est confronté à d'importants défis, et son système judiciaire est peu disposé et incapable de mener des enquêtes sérieuses sur les graves violations des droits humains et les crimes internationaux.
Les médias libyens ont rapporté le 12 mai qu'al-Siddiq al-Sur, le procureur général, s'était rendu à Benghazi pour faire le point sur l'enquête concernant la disparition d'al-Drissi, mais son bureau n'a divulgué aucune information supplémentaire.
Les autorités libyennes devraient mener une enquête rapide et transparente afin de déterminer l'authenticité, la date et le lieu de diffusion des photos et vidéos montrant Seham Sergewa et Ibrahim al-Drissi, a déclaré Human Rights Watch. Le procureur général libyen devrait rendre compte des mesures prises par son bureau pour enquêter sur ces affaires. Il devrait également révéler les mesures prises par son bureau pour examiner les cas de disparition forcée non résolus en Libye, le nombre de cas sur lesquels il enquête et si des suspects sont actuellement en détention ou ont été tenus responsables de disparitions forcées présumées.
Les disparitions forcées sont considérées comme une violation de multiples droits humains consacrés par la Déclaration universelle des droits de l'homme, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. L'article 2 de la Convention pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées définit une « disparition forcée » comme « l'arrestation, la détention, l'enlèvement ou toute autre forme de privation de liberté par des agents de l'État ou par des personnes ou des groupes de personnes qui agissent avec l'autorisation, l'appui ou l'acquiescement de l'État, suivi du déni de la reconnaissance de la privation de liberté ou de la dissimulation du sort réservé à la personne disparue ou du lieu où elle se trouve, la soustrayant à la protection de la loi. »
« Le système judiciaire en Libye est défaillant et dysfonctionnel, mais ceci ne saurait justifier la normalisation des disparitions forcées dans ce pays », a affirmé Hanan Salah. « Les hauts responsables civils et militaires libyens qui disposent d’informations sur des cas de disparition forcée, mais ne prennent pas les mesures appropriées, pourraient être reconnus complices de ce crime. »
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15.09.2025 à 16:59
Human Rights Watch
Un nouveau rapport de Human Rights Watch documente les attaques perpétrées contre des journalistes par toutes les parties belligérantes au Yémen. L’attaque menée le 10 septembre par les forces israéliennes contre un centre de presse à Sanaa, la capitale, était une nouvelle illustration du danger auxquels les professionnels des médias sont confrontés dans ce pays. Ce jour-là, les forces israéliennes ont mené à Sanaa et Al-Jawf plusieurs frappes qui ont fait au moins 35 morts, dont des journalistes, et des dizaines de blessés, selon le ministère de la Santé de l’administration houthie.
Le bâtiment visé à Sanaa abrite le siège du département des médias des Houthis, ainsi que les bureaux de deux journaux. Selon Mohammed al-Basha, un analyste yéménite basé à Washington, les frappes ont eu lieu alors que le journal nommé « 26-Septembre », contrôlé par les Houthis, était en cours d’impression.
« Comme il s'agit d'une publication hebdomadaire et non quotidienne, le personnel était rassemblé à la maison d'édition pour préparer la distribution, ce qui a considérablement augmenté le nombre de personnes présentes dans l'immeuble », a-t-il indiqué sur X.
L'armée israélienne a affirmé avoir frappé le Département des relations publiques des Houthis en réponse aux récentes attaques des Houthis contre Israël.
L’immeuble frappé est situé dans un quartier résidentiel densément peuplé de Sanaa, près du quartier de la Vieille ville qui est classée au patrimoine mondial de l'UNESCO. Les frappes ont eu lieu alors que de nombreux habitants et d'autres personnes circulaient à pied ou en voiture dans les rues, selon des interviews et des images vidéo prises après l'attaque et diffusées sur X par Al-Masirah, une chaîne d'information gérée par les Houthis, et vérifiées par Human Rights Watch. Une compilation de clips vidéo montre des rues bondées de personnes et de véhicules, des bâtiments endommagés et des secouristes extrayant des blessés, dont au moins un enfant, des décombres.
Les installations de stations de radio et de télévision sont des biens civils et ne peuvent être prises pour cibles. Elles ne sont des cibles légitimes que si elles sont utilisées de manière à apporter une « contribution effective à l'action militaire ». Cependant, les installations de radiodiffusion civiles ne peuvent pas être considérées comme des cibles militaires légitimes simplement parce qu'elles sont pro-Houthi ou anti-Israël, ou parce qu'elles rendent compte des violations des lois de la guerre commises par l'un des camps, car cela ne contribue pas directement aux opérations militaires. Si une installation de radiodiffusion participe à des communications militaires, toute attaque la ciblant reste soumise au principe de proportionnalité, selon lequel les dommages infligés aux civils ne doivent pas être excessifs par rapport à l'avantage militaire concret et direct attendu.
La récente attaque menée par les forces israéliennes met en lumière les menaces auxquelles les journalistes sont confrontés au Yémen, non seulement de la part des autorités nationales, mais aussi de la part de belligérants étrangers. Les forces israéliennes ont par ailleurs délibérément ciblé des journalistes à maintes reprises dans les territoires palestiniens occupés, ainsi qu'au Liban. Les autres pays devraient faire pression sur les autorités yéménites ainsi qu’israéliennes, afin qu'elles cessent immédiatement de cibler les journalistes et les professionnels des médias, et qu'elles protègent la liberté d'expression et d'information, conformément à leurs obligations en vertu du droit international.
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Articles
Euronews
15.09.2025 à 06:15
Human Rights Watch
(Nairobi) – Les forces militaires congolaises et une coalition de milices responsables d'exactions menacent la sécurité des civils à Uvira, dans la province du Sud-Kivu, dans l'est de la République démocratique du Congo, a déclaré aujourd'hui Human Rights Watch.
Les milices, connues sous le nom de Wazalendo (« patriotes » en swahili), sont alliées à l'armée congolaise et s'opposent au groupe armé responsable d’abus M23, soutenu par le Rwanda, qui a pris le contrôle de certaines parties du Sud-Kivu. Les tensions liées à la nomination d'un nouveau commandant de l'armée ont exacerbé les inquiétudes concernant la protection des civils à Uvira. Les combattants Wazalendo ont harcelé, menacé, enlevé et restreint l'accès aux services essentiels aux membres de la communauté banyamulenge, des Tutsis congolais basés dans le Sud-Kivu, à Uvira, les accusant de soutenir le M23.
« La détérioration de la situation dans le Sud-Kivu reflète une dangereuse combinaison de défaillances de la gouvernance, de méfiance entre les forces armées et les groupes armés qui leur sont alliés, et de tensions ethniques croissantes », a déclaré Clémentine de Montjoye, chercheuse senior auprès de la division Afrique à Human Rights Watch. « Les atrocités commises par toutes les parties au conflit mettent en évidence la nécessité pour les gouvernements concernés de faire pression pour protéger les civils et assurer un passage sûr à ceux qui fuient les combats. »
Début septembre, une grève générale et une manifestation menées par des combattants Wazalendo et des groupes de la société civile ont paralysé Uvira pendant huit jours. Des dirigeants Wazalendo se sont opposés au déploiement dans cette ville, le 1er septembre, du général Olivier Gasita Mukunda, membre de la communauté banyamulenge, alléguant qu'il avait collaboré avec le M23. Des médias ont rapporté qu'il avait depuis quitté la ville.
Le 2 septembre, des milices Wazalendo ont organisé des barrages routiers, en particulier le long d'une route principale menant à la frontière burundaise. Les services de transport, de commerce et d'éducation ont été largement interrompus jusqu'au 9 septembre. Le Burundi dépend d'Uvira pour le commerce de produits de première nécessité et de carburant dans un contexte de crise économique dévastatrice.
Selon des témoins, pendant plusieurs jours, des combattants Wazalendo ont empêché par intermittence aux gens de fuir à travers la frontière. Un agent des services frontaliers a déclaré à Human Rights Watch : « [Les Wazalendo] ne voulaient pas voir les gens fuir vers le Burundi. » Le 5 septembre, des combattants Wazalendo ont tiré avec des armes légères et de l'artillerie à l'intérieur d'Uvira, tuant un garçon de 8 ans, qui est mort lorsqu'un obus a frappé sa maison.
Le 8 septembre, les forces militaires congolaises ont ouvert le feu sur des manifestants non armés à Uvira qui protestaient contre le déploiement du général Gasita dans la ville. Les forces militaires ont tiré dans le dos de certaines personnes qui fuyaient, tuant un garçon de 8 ans et blessant au moins neuf civils, dont une fille de 11 ans.
Cette manifestation a fait suite à plusieurs mois de détérioration des relations entre l'armée congolaise et les Wazalendo, alimentée par des accusations mutuelles de corruption, d'infiltration et d'abandon des positions de première ligne.
« Certaines personnes ont essayé de se rendre dans la zone où se trouvait le général Gasita, mais cela leur a été interdit », a déclaré un dirigeant de la société civile. Human Rights Watch a vérifié et géolocalisé une vidéo montrant des manifestants fuyants alors que des coups de feu étaient tirés à environ 150 mètres de la mairie.
Les parties belligérantes dans l'est de la RD Congo ont fait de plus en plus appel aux préjugés ethniques, déclenchant des vagues de discrimination et d'abus. De nombreux abus commis par les Wazalendo ont visé les Banyamulenge, qui sont depuis longtemps accusés de soutenir le M23.
Human Rights Watch a examiné des enregistrements audio et vidéo de discours prononcés par les autorités qui ont alimenté la méfiance à l'égard du général Gasita et des Banyamulenge. Le 6 septembre, quatre combattants Wazalendo ont encerclé la maison d'un dirigeant de la société civile et membre de la communauté banyamulenge et ont tenté d'y pénétrer de force. Ils ont dit au garde : « Où est ce “Rwandais” ? Il est temps de l'éliminer » et l'ont accusé d'être lié au général Gasita. Les combattants sont partis après l'intervention d'une autorité locale.
Le 6 septembre, les autorités du Sud-Kivu ont écrit au vice-Premier ministre chargé de l'intérieur pour lui faire part de leurs préoccupations concernant l'intensification des tensions intercommunautaires visant les Banyamulenge, qui se sont vu refuser l'accès aux points d'eau, et pour lui demander son aide afin d'identifier, d'arrêter et d'expulser les individus qui tiennent des discours incendiaires et défient l'autorité de l'État. Le 11 septembre, une délégation de Kinshasa, dont le vice-Premier ministre chargé de l'Intérieur, s'est rendue à Uvira pour « réconcilier les communautés locales, apaiser les tensions et rétablir l'autorité de l'État », selon des médias.
Les tensions s'étaient intensifiées depuis le 25 août, lorsque des combattants Wazalendo avaient empêché les funérailles d'un colonel de l'armée issu de la communauté banyamulenge et de son épouse pendant plusieurs jours, et avaient volé certaines personnes présentes. « Ils ont dit qu'aucun « Rwandais » ne devrait être enterré ici à Uvira », a déclaré un témoin.
Le 6 septembre, le général Sylvain Ekenge, porte-parole de l'armée congolaise, a déclaré lors d'une conférence de presse : « Nous ne contrôlons pas les Wazalendo, les Wazalendo ne sont pas des militaires des FARDC [forces armées congolaises] », ajoutant : « Nous [l’armée] ne les gérons pas. »
Selon plusieurs témoins et des reportages des médias, le 8 septembre, au Burundi, la police et des jeunes du parti au pouvoir ont arrêté des centaines de réfugiés et de demandeurs d'asile congolais. On leur a donné le « choix » entre se rendre dans un camp officiel ou retourner en RD Congo, ce qu'ont fait environ 80 personnes. À Uvira, cependant, les rapatriés ont déclaré ne pas avoir reçu d'aide. Plus de 70 000 réfugiés ont fui l'est de la RD Congo vers le Burundi depuis janvier, lorsque les forces rwandaises et le M23 ont lancé une offensive sur Goma et Bukavu, les capitales du Nord et du Sud-Kivu.
Tous les gouvernements de la région devraient donner la priorité à la nécessité d'assurer un passage sûr aux civils pour qu'ils puissent échapper aux combats, a déclaré Human Rights Watch.
En mai, Human Rights Watch a documenté des cas où des combattants Wazalendo ont battu, tué et extorqué des civils, parfois pour des raisons ethniques. Malgré les inquiétudes croissantes concernant le manque de commandement et de contrôle de l'armée congolaise sur les Wazalendo, elle a continué à lui fournir des armes, des munitions et un soutien financier.
Les responsables qui fournissent sciemment des armes à des groupes armés responsables d'abus peuvent être considérés complices des crimes qu'ils commettent, a déclaré Human Rights Watch.
Les Banyamulenge sont depuis longtemps victimes de discrimination, d'exclusion et de violences ciblées en RD Congo. Depuis les années 1990, les dirigeants politiques congolais et les groupes armés remettent en question la citoyenneté de cette communauté et la présentent comme étrangère, alimentant ainsi des persécutions récurrentes. Depuis la fin des guerres du Congo en 2003, les cycles de conflits armés dans le Sud-Kivu ont continué à exposer les civils banyamulenge à la violence, en particulier à mesure que les conflits fonciers, sur la représentation politique et liés au contrôle des ressources s'intensifiaient. Les milices maï-maï ont commis une grande partie de ces violences.
La résurgence du M23 fin 2021 a conduit ces groupes armés et d'autres à former les Wazalendo pour lutter contre le M23. Le gouvernement rwandais a de plus en plus utilisé les incidents anti-Banyamulenge et anti-Tutsi pour justifier son soutien au M23 et présenter ses opérations militaires comme visant à protéger la communauté banyamulenge.
Les autorités congolaises devraient condamner publiquement les harcèlements et attaques à caractère ethnique et agir pour les prévenir, notamment en enquêtant et en poursuivant de manière appropriée tous les responsables. Le gouvernement devrait également interdire les pratiques discriminatoires susceptibles d'entraîner de nouveaux abus, a déclaré Human Rights Watch.
Les autorités congolaises devraient mettre fin à leur soutien aux Wazalendo et veiller à ce que les responsables d'exécutions illégales et d'autres abus soient traduits en justice dans le cadre de procédures judiciaires équitables et transparentes. Les commandants qui avaient connaissance ou auraient dû avoir connaissance des graves abus commis par les forces sous leur contrôle et qui n'ont pas pris les mesures appropriées pourraient être poursuivis en vertu de la responsabilité du commandement.
« Les civils de l'est de la RD Congo sont pris entre plusieurs forces et groupes armés, souvent sans savoir clairement qui est responsable de leur sécurité », a déclaré Clémentine de Montjoye. « Le gouvernement congolais devrait veiller à ce que ses forces armées prennent l'initiative de protéger les civils, de fournir les biens et services de base et de mettre fin à la discrimination ethnique et aux violations. »
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Articles
Actualite.cd
15.09.2025 à 06:00
Human Rights Watch
(Nairobi) – Deux groupes armés islamistes ont tué plusieurs dizaines de civils au cours de trois attaques distinctes dans le nord du Burkina Faso depuis mai 2025, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Ces attaques ont violé le droit international humanitaire, et sont susceptibles de constituer des crimes de guerre.
Un groupe armé lié à Al-Qaïda, le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM ou Jama’at Nusrat al-Islam wa al-Muslimeen, JNIM), a attaqué la ville de Djibo, dans la région du Sahel, le 11 mai, et le village de Youba, dans la région du Nord, le 3 août, tuant au total au moins 40 civils. L’État islamique au Sahel (EIS) a attaqué un convoi civil transportant de l’aide humanitaire vers la ville assiégée de Gorom Gorom, dans la région du Sahel, le 28 juillet, tuant au moins 9 civils.
« Les groupes armés islamistes au Burkina Faso sont responsables d’atrocités répétées contre les civils depuis 2016 », a déclaré Ilaria Allegrozzi, chercheuse senior sur le Sahel à Human Rights Watch. « Les autorités devraient assurer une meilleure protection de tous les civils en danger, enquêter sur les abus, y compris ceux commis par l’armée et les milices alliées, et juger les responsables lors de procès équitables. »
Depuis le début de leur insurrection au Burkina Faso en 2016, les groupes armés islamistes ont, à plusieurs reprises, attaqué et déplacé de force des dizaines de milliers de civils. Le gouvernement burkinabè, qui a pris le pouvoir lors d’un coup d’État en 2022, cible de plus en plus les civils lors de ses opérations de contre-insurrection.
Entre mai et août 2025, Human Rights Watch a mené des entretiens par téléphone avec 23 personnes, dont 14 témoins d’abus et 9 activistes de la société civile, membres du système judiciaire, chefs communautaires, journalistes et membres de milices.
Le GSIM a revendiqué l’attaque du 11 mai sur Djibo, au cours de laquelle des centaines de combattants ont envahi une base militaire, saisi des armes et tué des dizaines de soldats. Les combattants sont entrés dans plusieurs quartiers de la ville, y ont exécuté au moins 26 civils et incendié des boutiques et des centres médicaux. Selon des témoins, les combattants ont ciblé des civils appartenant à des sous-groupes de l’ethnie peule, qu’ils accusaient d’avoir rejoint ou de soutenir les Volontaires pour la défense de la patrie (VDP), des auxiliaires civils qui assistent les forces armées dans les opérations de contre-insurrection.
« Nous avons trouvé les corps, y compris ceux d’hommes très âgés, à l’intérieur ou à l’extérieur de leurs maisons », a raconté un homme de 56 ans. « Beaucoup ont été abattus d’une balle dans la tête. »
Le 3 août, le GSIM a attaqué le village de Youba et tué 14 civils, dont une femme et quatre enfants, dont deux sont morts après que des combattants ont mis le feu à une boutique dans laquelle ils s’étaient cachés. D’après les habitants, l’attaque visait à punir la communauté parce qu’elle n’avait pas respecté les ordres du GSIM de ne pas cultiver de cultures hautes qui, selon les combattants, gênaient leurs opérations.
Dans une réponse du 15 août aux questions de Human Rights Watch, le Comité chariatique du GSIM au Burkina Faso a écrit que le GSIM « n’a jamais, et ne saurait jamais, viser intentionnellement des civils. Si certains prétendent que des exactions auraient été commises à Djibo, à Youba ou dans toute autre localité, il ne saurait s’agir que d’allégations dénuées de fondement, ou, tout au plus, d’incidents fortuits dus à des projectiles perdus, dont nous n’avons pas eu connaissance. »
Le 21 août, Human Rights Watch a adressé un courrier aux ministres de la Justice et de la Défense du Burkina Faso pour leur communiquer les conclusions de ses recherches et des questions, mais n’a reçu aucune réponse.
En juillet, l’EIS a attaqué un convoi civil escorté par des soldats et des milices burkinabè. Le convoi transportait des civils ainsi que de la nourriture et d’autres fournitures humanitaires destinées à la ville assiégée de Gorom Gorom. Des témoins et d’autres sources ont confirmé que le convoi ne transportait pas d’armes ou de matériel militaire.
« Je me souviens de la peur ressentie ce jour-là », a raconté un survivant âgé de 52 ans. « J’ai entendu de nombreux coups de feu et des cris. J’ai sauté du camion, je me suis accroupi les mains sur la tête et j’ai attendu mon sort. »
Toutes les parties au conflit armé au Burkina Faso sont soumises au droit international humanitaire, notamment à l’article 3 commun aux Conventions de Genève de 1949 et au droit de la guerre coutumier. Le droit de la guerre interdit les exécutions sommaires, les attaques contre des civils et des biens à caractère civil, ainsi que le pillage, entre autres violations.
Toutes les parties belligérantes sont tenues de faciliter l’acheminement d’une aide humanitaire impartiale. Un convoi civil ne peut être considéré comme un objectif militaire au motif qu’il est escorté par du personnel miliaire. Les attaques contre les combattants doivent respecter les principes de prise de toutes les précautions possibles pour limiter au maximum les dommages causés aux civils, de distinction entre civils et combattants et de proportionnalité.
Le gouvernement a l’obligation de mener des enquêtes impartiales et de poursuivre de manière appropriée les personnes impliquées dans des crimes de guerre, qui constituent de graves violations du droit de la guerre commises avec une intention criminelle.
En 2017, le Burkina Faso a créé dans la capitale, Ouagadougou, un Pôle judiciaire spécialisé dans la répression des actes de terrorisme, avec des juges et du personnel dédiés et une chambre de première instance afin d’enquêter sur les crimes présumés commis par les membres de groupes armés islamistes. Les enquêtes ont toutefois progressé lentement et le pôle manque de fonds et de personnel, ce qui entrave sa capacité à s’acquitter de son mandat et à garantir les droits à une procédure régulière.
De même, les autorités burkinabè ont fait peu de progrès dans les enquêtes et les poursuites contre les membres des forces de sécurité gouvernementales qui ont été impliqués dans de graves atteintes aux droits humains au cours d’opérations de contre-insurrection, comme l’a documenté Human Rights Watch.
Le 17 juillet, l’Union africaine a nommé le président burundais Évariste Ndayishimiye en tant qu’envoyé spécial pour la région du Sahel, malgré le bilan de son propre gouvernement en matière de violations des droits humains. Néanmoins, Évariste Ndayishimiye dispose d’une occasion de renforcer la réponse de l’UA aux problèmes de droits humains les plus urgents auxquels est confronté le gouvernement du Burkina Faso, y compris en incitant à la responsabilisation pour les crimes commis par toutes les parties au conflit, a déclaré Human Rights Watch.
« L’envoyé spécial de l’UA devrait faire pression sur le gouvernement du Burkina Faso pour qu’il mène des enquêtes et traduise en justice de manière appropriée tous les responsables d’abus graves commis dans le conflit au Burkina Faso », a conclu Ilaria Allegrozzi. « L’UA devrait fournir un soutien technique et financier au Pôle judiciaire spécialisé afin qu’il puisse remplir efficacement son mandat essentiel. »
Pour prendre connaissance des témoignages et d’autres précisions sur les attaques, veuillez lire la suite. Les noms des personnes interrogées n’ont pas été divulgués afin de garantir leur protection.
Attaque du GSIM à Djibo, région du Sahel, 11 mai
Le 11 mai, le GSIM a mené une attaque majeure à Djibo, ciblant à la fois les forces de sécurité gouvernementales et les civils. D’après des médias et des témoins, des centaines de combattants à moto ont fait irruption dans la ville et pris le contrôle de sa base militaire, avant d’exécuter au moins 26 civils dans plusieurs quartiers.
Le GSIM assiège la ville de Djibo depuis plus de trois ans, privant la population de nourriture, de produits de première nécessité et d’aide humanitaire, ce qui a provoqué l’apparition de maladies et la famine parmi les habitants.
L’attaque
Des témoins ont indiqué que l’attaque avait commencé vers 5 heures du matin et que les combattants du GSIM étaient restés dans la ville jusqu’en fin d’après-midi.
« J’ai entendu une forte explosion venant du Secteur 4, où se trouve la base militaire, suivie de coups de feu sifflant au-dessus de nos têtes », a raconté une femme de 35 ans. « Les tirs se sont poursuivis presque toute la journée, même si vers 13 heures, il y en avait moins. Nous nous sommes cachés dans la maison en pleurant et en priant. »
Un forgeron de 46 ans a relaté que quatre combattants du GSIM, dont un qu’il a reconnu, sont entrés par effraction dans sa maison située dans le Secteur 2, et ont ordonné à son frère et lui-même de sortir :
Il [le combattant qu’il a reconnu] m’a dit : « Je suis ici pour venger le meurtre de mon père. Ton frère avait dénoncé mon père à l’armée, et l’armée l’a tué dans ta forge. » Mon frère s’est figé à côté de moi. Il a essayé de fournir des explications. Mais ils ne l’ont pas écouté. J’ai demandé grâce [au combattant]. Il ne m’a pas écouté non plus, mais il a dit qu’ils ne me tueraient pas parce que je ne figurais pas sur la liste des personnes ayant dénoncé des civils à l’armée. Alors il a tiré [trois fois] sur mon frère, une balle dans la tête et deux balles dans la poitrine.
Le forgeron a confirmé qu’en novembre 2024, des soldats d’un Bataillon d’intervention rapide (BIR), une unité des forces spéciales intervenant dans les opérations de contre-insurrection, ont tué le père du combattant du GSIM dans sa forge. Il a indiqué que la victime n’était pas un membre du groupe armé.
Des témoins ont expliqué que les habitants se sont cachés dans leurs maisons pendant trois jours, jusqu’à ce que des renforts militaires arrivent et sécurisent la ville. « Lorsque nous sommes sortis, nous avons constaté que de nombreuses personnes avaient été tuées, principalement dans le Secteur 2 », a raconté un homme de 50 ans. « J’y ai aidé à récupérer les corps de plus de 20 hommes et femmes. »
Un homme de 48 ans a décrit avoir trouvé dans le Secteur 2 le corps d’un membre de la famille Tamboura âgé de 93 ans « allongé sur son lit et criblé de balles », ainsi que le corps d’une femme de 30 ans qui avait été tuée d’une balle dans la tête. « Il nous a fallu trois jours pour récupérer les corps », a-t-il ajouté.
Un homme de 56 ans a déclaré : « La plupart des corps se trouvaient dans le Secteur 2, mais des personnes ont aussi été tuées dans d’autres quartiers. » Il a expliqué qu’au marché du Secteur 1, il avait trouvé le corps « criblé de balles » d’un homme de 47 ans qui était atteint d’un handicap psychosocial (problème de santé mentale).
Les habitants ont fourni une liste avec les noms des 26 victimes, dont 3 femmes, âgées de 28, 30 et 32 ans, et 23 hommes, âgés de 27 à 93 ans. Parmi les victimes, 16 appartenaient à la famille Tamboura.
Des témoins ont signalé que les combattants ont également incendié des dizaines de boutiques dans le marché central du Secteur 1, ainsi qu’une pharmacie, et ont pillé un centre médical. Des images satellites analysées par Human Rights Watch ont confirmé les incendies.
Les témoins ont indiqué qu’ils ont quitté Djibo dès qu’ils ont pu. Le 27 juin, un convoi de ravitaillement escorté par l’armée est arrivé à Djibo. Lorsque le convoi est reparti un mois plus tard, ils l’ont suivi pour rejoindre d’autres localités.
Une femme de 35 ans a expliqué qu’elle a « profité » du convoi pour quitter Djibo « où je vivais un enfer total ». Elle a raconté qu’elle avait perdu sa fille « à cause de la faim, à cause du blocus imposé par les djihadistes ».
Réponse du GSIM
Des témoins ont déclaré que les combattants du GSIM ciblaient des civils appartenant à des sous-groupes de l’ethnie peule. Ces sous-groupes comprennent les Rimaïbé, dont font partie les Tamboura, une grande famille locale, et les forgerons que le GSIM a accusés de soutenir les VDP. La famille Tamboura a indiqué qu’en février, le GSIM a diffusé une vidéo sur les réseaux sociaux menaçant de s’en prendre à ses membres.
Des experts de l’insurrection du GSIM ont expliqué que la vidéo montre Ousmane Dicko, frère cadet et adjoint de Jafar Dicko, le chef du GSIM au Burkina Faso. Dans la vidéo, Ousmane Dicko tient des papiers où figure une liste de plus de 90 noms manuscrits qui, selon lui, appartiennent principalement à des membres de la famille Tamboura à Djibo. « Pourquoi rejoignent-ils les VDP et non les moudjahidines [combattants islamiques] ? ... Que leur ont fait les moudjahidines ? Ont-ils pillé leur bétail ? Ont-ils brûlé leurs maisons ? », peut-on entendre Ousmane Dicko dire sur la vidéo. « Qu’est-ce que les moudjahidines ont fait aux Tamboura pour les pousser à quitter les moudjahidines et à rejoindre les VDP ? »
Des témoins ont expliqué que le GSIM en voulait à la famille Tamboura depuis que certains de ses membres avaient fui les zones contrôlées par le GSIM entre 2022 et 2023 pour se rendre à Djibo, où les forces de sécurité sont présentes et où certains membres de la famille ont rejoint les VDP.
Dans une réponse du 15 août à Human Rights Watch, le Comité chariatique du GSIM au Burkina Faso a écrit que le GSIM « n’a[vons] jamais pris pour cible les populations Tamboura. Notre action ne repose nullement sur des considérations d’ordre ethnique ou racial, mais exclusivement sur la nécessité de répondre à ceux qui nous ont déclaré la guerre. »
Réponse des autorités burkinabè
Le GSIM avait déjà attaqué la base militaire de Djibo en octobre 2022, tuant au moins 10 soldats. En novembre 2023, le groupe armé a attaqué la caserne militaire et un camp de personnes déplacées internes, tuant au moins 40 civils.
Les habitants ont exprimé leurs inquiétudes face aux tentatives de l’armée d’améliorer la sécurité à Djibo en recourant aux VDP. Un habitant de Djibo a expliqué : « L’armée a instauré un climat de terreur. Elle s’est retournée contre [la famille] Tamboura et les forgerons, en faisant pression sur eux pour qu’ils rejoignent les VDP.… Elle a divisé la communauté [peule] en dressant ses membres les uns contre les autres. »
« Vous êtes obligé de dire que telle ou telle personne est complice des djihadistes pour avoir du crédit auprès de l’armée », a indiqué le forgeron de 46 ans. « L’armée a fait pression sur beaucoup d’entre nous pour que nous mentions et dénoncions [d’autres] civils. »
Les médias ont rapporté que plusieurs soldats et VDP ont été tués dans l’attaque du GSIM du 11 mai sur Djibo. Le gouvernement n’a diffusé aucune déclaration publique sur l’attaque, mais le 16 mai, la Radiodiffusion Télévision du Burkina Faso (RTB), entreprise publique de télévision et de radio du pays, a confirmé que, le 11 mai, « des centaines, voire des milliers » de combattants islamistes ont attaqué la base militaire de Djibo et que l’armée a riposté par plusieurs frappes aériennes à Djibo et dans les villages environnants.
Attaque du GSIM à Youba, région du Nord, 3 août
Le 3 août, le GSIM a tué au moins 14 civils, dont une femme et quatre enfants, dans le village de Youba. D’après les habitants, l’attaque visait à punir la communauté locale parce qu’elle n’avait pas respecté les instructions du GSIM de ne pas cultiver certaines cultures. Des témoins ont déclaré que les combattants ont également pillé une station-service et incendié au moins 10 boutiques au marché. Deux des enfants tués, des garçons âgés de 12 et 14 ans, qui se sont cachés dans une boutique pendant l’attaque, sont morts après que des combattants y ont mis le feu. Les combattants du GSIM ont également tué au moins 9 VDP en service et un VDP qui n’était pas en service.
Une femme de 64 ans a rapporté les propos des combattants : « Habitants de Youba, vous avez dit que vous étiez des vrais hommes, des hommes courageux.Femmes [de Youba], nous allons tuer tous vos maris. Ne vous avions-nous pas ordonné de ne pas cultiver cette année ? »
Des témoins ont expliqué que, plusieurs mois avant l’attaque, le GSIM avait ordonné aux villageois de Youba et des localités environnantes de ne pas cultiver de cultures hautes, comme le millet et le maïs, qui pourraient gêner leurs opérations. « Ils nous avaient ordonné de ne pas cultiver ces plantes pour qu’ils puissent voir au loin », a confirmé une femme de 36 ans. « Les cultures comme les arachides et les haricots sont tolérées. »
Des témoins ont déclaré que des centaines de combattants du GSIM à bord de motos et d’au moins un pick-up équipé d’une mitrailleuse ont pris d’assaut le village vers 16 heures en criant « Allah Akbar » (« Dieu est grand »). Ils ont indiqué que les combattants ont pris le contrôle de la base des VDP, puis sont entrés dans plusieurs quartiers, où ils ont abattu les hommes qu’ils ont trouvés. « Ils n’ont pas fait de porte-à-porte », a raconté la femme de 64 ans. « Mais je les ai vus pourchasser tous les hommes qu’ils trouvaient dehors et leur tirer dessus. »
Des témoins ont affirmé que, bien que les combattants du GSIM aient ciblé les hommes, ils ont également tiré sur une femme et deux enfants alors qu’ils tentaient de s’enfuir. « La femme a été tuée sur place près de la base des VDP », a précisé un homme de 45 ans qui avait aidé à récupérer les corps après l’attaque. « Les deux enfants ont été grièvement blessés au marché et sont morts après avoir été évacués vers l’hôpital. »
Un fermier de 45 ans a déclaré : « J’étais dans mon champ d’arachides avec mes femmes quand j’ai vu un pick-up avec une arme lourde installée dessus. Mes femmes m’ont caché sous une veste. Un djihadiste leur a demandé s’il y avait des hommes avec elles. Elles ont répondu que non et ils sont partis. »
Les habitants ont fourni une liste avec les noms des 14 victimes civiles, dont neuf hommes, âgés de 27 à 55 ans, une femme de 35 ans et quatre enfants âgés de 1 à 14 ans.
Des témoins ont expliqué que les VDP, pris de court dans la ville, n’ont pas réagi à l’attaque et ont fui, laissant les civils sans protection. La femme de 36 ans a raconté qu’elle a entendu les combattants du GSIM dire : « Vous voulez nous défier ? Vos VDP ne peuvent rien contre nous. Où sont-ils ? Ils ont fui, en vous abandonnant. Vos maris vont avoir des ennuis. »
Selon des témoins, les militaires, qui sont basés à Ouahigouya, à 12 kilomètres de là, ne sont pas intervenus pendant l’attaque, et les soldats du BIR 14 ne sont allés à Youba qu’après l’attaque pour sécuriser la zone et permettre aux VDP de retourner à leur base.
Des habitants de Youba ont indiqué que, dans les jours qui ont suivi l’attaque, des soldats de l’armée régulière ont été déployés à Youba depuis la base d’Ouahigouya pour construire une tranchée défensive autour du village. « Les soldats ont commencé à creuser la tranchée au nord de Youba à l’aide de pelles mécaniques, et les VDP les aidaient », a expliqué le fermier de 45 ans.
Des habitants et des médias ont rapporté que le 11 août, le GSIM a de nouveau attaqué le village de Youba, tuant des dizaines de soldats et de VDP. Le GSIM a revendiqué l’attaque le jour même. Les habitants ont déclaré que le GSIM avait ciblé les soldats et les VDP qui creusaient la tranchée, et que deux civils avaient été blessés.
Human Rights Watch a géolocalisé deux vidéos publiées sur les réseaux sociaux le 13 août montrant des dizaines de combattants du GSIM à moto, circulant librement à l’intérieur du village de Youba.
Attaque de l’EIS près de Gorom Gorom, région du Sahel, 28 juillet
Le 28 juillet, l’EIS a attaqué un convoi humanitaire civil escorté par des soldats burkinabè et des VDP près de la ville de Gorom Gorom. Au moins neuf civils ont été tués et plusieurs autres blessés. Les assaillants ont également attaqué les soldats et incendié plusieurs camions.
Des témoins ont décrit que, vers 13 heures, des combattants islamistes ont attaqué un convoi rassemblant au moins 100 camions civils transportant au moins 100 civils, principalement des marchands et des habitants de Gorom Gorom. Le convoi se dirigeait vers le sud depuis la ville de Dori, située à environ 56 kilomètres, le long d’une route où l’EIS est connu pour opérer et attaquer les forces de sécurité. Le convoi transportait de la nourriture et d’autres fournitures humanitaires vers la ville de Gorom Gorom, assiégée par l’EIS depuis plus de trois ans. Au moins 10 pick-up militaires transportant des soldats burkinabè et des VDP escortaient le convoi.
« Les camions transportaient de la nourriture et d’autres fournitures importantes pour les habitants de Gorom Gorom », a indiqué un homme de 34 ans. « Aucune arme ou munition n’était à bord, c’était un convoi civil. »
D’après des témoins, lorsque le convoi – qui s’étirait sur environ deux kilomètres – a atteint le village de Balliata, à environ 23 kilomètres de Gorom Gorom, des combattants ont ouvert le feu sur les véhicules. Les témoins ont expliqué que les militaires qui escortaient le convoi ont riposté mais ont rapidement battu en retraite.
« Nous avons commencé à voir beaucoup de gens autour du convoi, nous avons cru que c’était des agriculteurs, mais tout à coup, ils se sont mis à nous tirer dessus », a raconté un homme de 52 ans qui a sauté d’un camion à l’avant du convoi. « Ils ont tiré en continu pendant plus de cinq minutes, je me suis allongé au sol près du pneu, alors que d’autres personnes sautaient hors des camions en criant. »
Selon les témoins, les assaillants étaient des membres de l’EIS, car ce groupe armé avait déjà mené des attaques similaires dans la région. En janvier, des combattants de l’EIS ont attaqué un convoi escorté par l’armée burkinabè qui transportait des fournitures et des civils entre les villes de Dori et Seytenga dans la région du Sahel, faisant 21 morts, dont au moins trois civils. Les médias, citant des sources au sein des services de sécurité, ont également indiqué que l’attaque du 28 juillet avait été menée par l’EIS.
Des témoins ont affirmé que les combattants de l’EIS ont tué au moins neuf civils lors de l’attaque du 28 juillet.
« J’ai vu neuf corps qui ont été emmenés à Gorom Gorom avant d’être enterrés au cimetière le lendemain de l’attaque », a raconté un homme de 50 ans. « Je connaissais toutes les victimes – mon cousin en fait partie. Mais ce n’est pas le bilan définitif, car la plupart des personnes tuées ont été emmenées à Dori. »
Les témoins ont fourni une liste avec les noms des neuf victimes, dont deux femmes, âgées de 25 et 39 ans, et sept hommes, âgés de 25 à 52 ans.
Ni l’EIS ni le gouvernement ou l’armée burkinabè n’ont diffusé de déclarations publiques concernant l’attaque.
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Articles
RFI LaLibre.be
AfricaNews FR (vidéo)
11.09.2025 à 15:15
Human Rights Watch
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Les gouvernements devraient utiliser tous leurs moyens de pression pour empêcher un génocide en cessant de vendre des armes à Israël, en suspendant les accords commerciaux préférentiels et en imposant des sanctions ciblées contre les responsables israéliens coupables d'abus continus.
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Les flottilles sont un moyen pour les citoyens ordinaires de s'exprimer pacifiquement sur la scène internationale contre l'extermination. Mais rien ne peut remplacer une action concrète des gouvernements pour mettre fin aux abus et demander des comptes. Les gouvernements devraient veiller à ce que les participants ne soient pas bloqués, attaqués ou injustement poursuivis, et faire pression sur Israël pour mettre fin à son blocus illégal de Gaza.