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Travail, Droits humains, Culture, Développement, Environnement, Politique, Économie, dans une perspective de justice sociale.

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19.11.2024 à 12:59

Pourquoi le futur traité onusien sur les entreprises et les droits humains doit donner la priorité aux droits des travailleurs

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Les négociations en cours aux Nations Unies en vue d'un traité contraignant sur les entreprises et les droits humains offrent une occasion unique de faire progresser les normes de conduite des entreprises au niveau mondial, ainsi que les droits humains et syndicaux.
La Confédération syndicale internationale (CSI), qui représente plus de 191 millions de travailleurs et de travailleuses à travers le monde, estime que le succès de ce traité dépend de la protection des personnes les plus (…)

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Texte intégral (1422 mots)

Les négociations en cours aux Nations Unies en vue d'un traité contraignant sur les entreprises et les droits humains offrent une occasion unique de faire progresser les normes de conduite des entreprises au niveau mondial, ainsi que les droits humains et syndicaux.

La Confédération syndicale internationale (CSI), qui représente plus de 191 millions de travailleurs et de travailleuses à travers le monde, estime que le succès de ce traité dépend de la protection des personnes les plus vulnérables dans les chaînes d'approvisionnement mondiales. Le traité doit exiger que les entreprises transnationales rendent des comptes, et veiller à ce que les droits des travailleurs ne soient pas négociables. Nous lançons ici un appel à la justice, pas seulement un appel à la réforme.

Depuis près d'une décennie, la CSI et les Fédérations syndicales internationales (FSI) font pression pour un traité fort et applicable capable de combler les lacunes du droit international qui facilitent les violations effrénées des droits humains commises par les entreprises. Il s'agit de remédier à la priorité accordée depuis longtemps aux intérêts des entreprises au détriment des droits humains. Le traité offre une occasion unique de corriger le déséquilibre entre les entreprises et les travailleurs.

Les travailleurs jouent un rôle important dans le traité contraignant sur les droits humains

Les travailleurs sont au premier plan de l'économie mondiale ; ils produisent les biens et les services qui génèrent des profits. Pourtant, ils sont souvent confrontés à des conditions de travail dangereuses, au déni des droits syndicaux et à l'exploitation, en particulier dans les chaînes d'approvisionnement complexes. Pour les organisations de la société civile, les investisseurs et les entreprises qui s'engagent en faveur des droits humains, la situation est claire : un traité sur les droits humains qui ne protège pas les travailleurs ne protège pas non plus les droits humains.

La participation des syndicats à la négociation de ce traité s'inscrit dans le cadre plus large de la défense d'une valeur primordiale de notre mouvement : la démocratie. Comme le montre notre campagne « Pour la démocratie », la démocratie n'est pas qu'un concept politique ; c'est un pilier fondamental du lieu de travail. Une véritable démocratie ne peut exister dans des sociétés où les entreprises peuvent violer les droits syndicaux en toute impunité.

Lorsque les droits des travailleurs sont bafoués, les conséquences se répercutent sur l'ensemble des communautés et des économies. Les entreprises qui ignorent ces violations, sciemment ou non, s'en rendent complices. C'est pourquoi le traité doit exiger que les entreprises rendent des comptes, non seulement sur leurs activités directes, mais aussi sur celles de leurs fournisseurs, de leurs sous-traitants et de leurs filiales. Négliger ces responsabilités contribue à perpétuer l'exploitation des travailleurs au nom du profit.

Principaux éléments devant figurer dans le traité

La CSI a clairement énoncé les composantes essentielles du traité contraignant sur les droits humains :

  • Couverture globale des droits humains : Le traité doit couvrir tous les droits humains internationalement reconnus, y compris les droits du travail. La liberté syndicale, le droit de s'organiser et des conditions de travail sûres sont fondamentaux, et non optionnels.
  • Applicabilité à toutes les entreprises : Toutes les entreprises, indépendamment de leur taille ou de leur secteur d'activité, doivent rendre des comptes. Il suffit que quelques entreprises soient exemptées de cette responsabilité pour que des millions de travailleurs se retrouvent sans protection, avec le risque de créer un dangereux précédent.
  • Réglementation extraterritoriale : Les victimes de violations des droits humains commises par des entreprises, en particulier dans des contextes transnationaux, doivent avoir accès à la justice, quel que soit l'endroit où ces violations ont eu lieu. Les États doivent exiger que les entreprises soient responsables de leurs actions à l'étranger, en garantissant des possibilités de réparation.
  • Diligence raisonnable en matière de droits humains : Les entreprises doivent adopter et mettre en œuvre des politiques de diligence raisonnable en matière de droits humains. Il est indispensable d'identifier, de prévenir et de traiter les risques liés aux droits humains avant qu'ils ne se matérialisent. Les entreprises doivent s'engager en amont pour prévenir les abus, au lieu de réagir après avoir été dénoncées dans les médias.
  • Des mécanismes d'application robustes : Un traité qui n'est pas appliqué est inutile. Il doit établir un solide système international de contrôle et d'application. Une mosaïque de normes volontaires ne suffit pas – une réglementation juridiquement contraignante est désormais nécessaire.

Pour les entreprises qui valorisent le développement durable et les droits humains, la protection des travailleurs est essentielle. Les entreprises qui assument leurs responsabilités à l'égard des travailleurs affichent une meilleure productivité, moins de risques pour leur réputation, et des relations plus fortes avec les parties prenantes. Les investisseurs cherchent de plus en plus à s'assurer que les entreprises gèrent efficacement les risques liés aux droits humains. Le traité contraignant sur les droits humains fournit un cadre permettant aux entreprises d'agir de manière responsable sur une planète mondialisée.

Les organisations de la société civile défendent depuis longtemps les droits des travailleurs, en dénonçant les violations et en soutenant les victimes d'abus. Un traité fort sur les droits humains donnerait à ces organisations les moyens de poursuivre leur travail capital et de demander des comptes aux entreprises et aux gouvernements. Le traité doit reconnaître que les travailleurs et leurs syndicats sont au centre de la question des droits humains, en veillant à faire entendre leurs voix lors de l'élaboration et de la mise en œuvre des politiques relatives aux droits humains.

Vers un nouveau contrat social

Le traité contraignant sur les droits humains ne consiste pas seulement à prévenir les abus, mais aussi à reconstruire l'économie mondiale sur la base de la justice, de l'équité et du respect des droits humains. Il s'inscrit dans le cadre d'un appel plus général à un « Nouveau contrat social » dans lequel les entreprises, les gouvernements et la société civile collaborent à la création d'une économie au service des personnes, et pas uniquement des profits.

Pour les investisseurs, le traité offre une voie vers des rendements plus stables et plus durables. La dénonciation de violations des droits humains perturbe le fonctionnement des entreprises, entraîne des risques juridiques et ternit leur réputation. En soutenant un traité sur les droits humains solide et applicable, les investisseurs promeuvent un environnement économique à la fois rentable et éthique.

Pour les entreprises, le traité permet d'instaurer la confiance, d'atténuer les risques et de faire preuve d'un véritable engagement en faveur de pratiques commerciales responsables.

Les négociations en vue d'un traité contraignant sur les droits humains dans l'entreprise sont arrivées à un stade décisif ; il est temps d'agir. Le monde nous regarde et les décisions qui seront prises dans les mois à venir façonneront le futur des droits humains dans les entreprises. La CSI est prête à travailler avec la société civile, les investisseurs et les entreprises pour assurer l'adoption d'un traité qui soit le plus solide possible.

Les droits des travailleurs sont des droits humains, et une économie mondiale qui respecte ces droits est la seule voie possible. Ensemble, nous pouvons saisir cette occasion unique de créer un cadre qui garantisse la justice pour les travailleurs, la responsabilité pour les entreprises et un avenir durable pour tous.

14.11.2024 à 05:00

Une protection sociale pour tous : un défi immense dans un monde en transition et exposé au dérèglement climatique

Chloé Maurel

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Avec la création de l'OIT, puis de l'ONU, « la sécurité sociale est devenue un droit humain fondamental et a été codifiée comme telle dans des traités internationaux » comme le Pacte de l'ONU sur les droits économiques et sociaux de 1966, ainsi que le rappelle le Centre Europe Tiers monde (CETIM). Cependant, comme l'observe le CETIM, « 80 % de la population mondiale se trouve exclue, totalement ou partiellement, du système de la sécurité sociale. Pire, la mise en œuvre des politiques (…)

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Texte intégral (1995 mots)

Avec la création de l'OIT, puis de l'ONU, « la sécurité sociale est devenue un droit humain fondamental et a été codifiée comme telle dans des traités internationaux » comme le Pacte de l'ONU sur les droits économiques et sociaux de 1966, ainsi que le rappelle le Centre Europe Tiers monde (CETIM). Cependant, comme l'observe le CETIM, « 80 % de la population mondiale se trouve exclue, totalement ou partiellement, du système de la sécurité sociale. Pire, la mise en œuvre des politiques néolibérales au niveau planétaire, depuis trois décennies, va dans le sens d'un démantèlement ou, du moins, d'un affaiblissement de la sécurité sociale dans les pays où cette dernière avait été pourtant institutionnalisée et universalisée avec succès après la Seconde Guerre mondiale ».

Qu'en est-il aujourd'hui et quelles sont les tendances pour l'avenir ?

Un nouveau rapport de l'OIT donne des éléments de réponse. Sous-titré Protection sociale universelle pour l'action climatique et une transition juste, il associe deux problématiques importantes : le changement climatique et la protection sociale. En effet, les auteurs observent que si, désormais, plus de la moitié de la population mondiale est couverte par une forme de protection sociale, néanmoins 3,8 milliards de personnes, surtout dans les pays du Sud global, ne bénéficient toujours d'aucune forme de protection sociale.

Or, c'est un impératif, car cela fait partie des droits humains promus par l'ONU. Le droit à la santé, à la protection sociale, est un droit économique et social.

Les atteintes à l'environnement : accélérateurs d'inégalités sociales

Le changement climatique, la pollution et l'appauvrissement de la biodiversité, sont identifiés par les auteurs du rapport comme compromettant gravement l'avenir de la frange la plus vulnérable de la population mondiale. Le rapport appelle à y répondre d'urgence en « évoluant rapidement vers une transition juste », plus précisément en permettant l'avènement d'une « protection sociale universelle ». Car les pays pauvres – et leurs habitants – sont moins bien dotés que les pays riches pour faire face aux événements climatiques extrêmes et aux épidémies.

Toutefois, dans les régions favorisées, comme en Europe, inégalités sociales et environnementales s'alimentent également et les personnes les plus pauvres sont souvent plus durement touchées par les catastrophes écologiques ou par la précarité énergétique. Celles-ci sont plus exposés aux polluants et aux problèmes de santé environnementale. Mathilde Viennot, spécialiste des questions d'inégalités et de protection sociale, rappelle que les événements climatiques, tels que les inondations, ouragans, canicules, sécheresse, « ont causé 142.000 décès supplémentaires et coûté 510 milliards d'euros au continent européen au cours des 40 dernières années, selon l'Agence européenne de l'environnement. Ces chiffres ne cessent de croître et de mettre sous tension les modèles de protection et les systèmes de soins ».

S'inscrivant dans le cadre du suivi du Programme de développement durable à l'horizon 2030, le rapport de l'OIT relève les progrès réalisés au niveau mondial concernant l'extension de la protection sociale. S'appuyant sur ces observations, il appelle les dirigeants politiques et les partenaires sociaux à accroître leurs efforts, observant qu'une bonne protection sociale aide les populations à être plus résilientes face au changement climatique.

Le rapport observe que, actuellement, pour la première fois, plus de la moitié de la population mondiale (52,4%) est désormais couverte par au moins une prestation de protection sociale, par rapport à 42,8 % en 2015.

Malheureusement, cela signifie que si l'évolution se poursuit à ce rythme sur le plan mondial, il faudrait encore 49 ans – jusqu'en 2073 – pour que chaque personne soit couverte par au moins une prestation de protection sociale.

Le rapport pointe donc une « perspective décourageante » : les pays les plus vulnérables à la crise climatique sont extrêmement mal préparés, car dans les 20 pays les plus vulnérables à la crise climatique, seulement 8,7 % de la population est couverte par une certaine forme de protection sociale ; au total, 364 millions de personnes ne bénéficient d'aucune protection.

Environ 75% de la population au sein des 50 pays les plus vulnérables face au climat ne bénéficie pas de couverture sociale. Ce qui signifie que « 2,1 milliards de personnes doivent faire face actuellement aux ravages du dérèglement climatique en ne disposant d'aucune protection, ne pouvant compter que sur leur savoir-faire et sur leurs proches pour résister ».

Le rapport souligne qu'aujourd'hui, sur un ensemble de 164 pays étudiés, 83,6 % de leur population a le droit d'accéder aux services de santé gratuitement ou presque. Mais cette proportion est inférieure à 2/3 dans les pays à faible revenu.

Les dépenses de santé à la charge des ménages restent un véritable problème de justice sociale. Elles auraient poussé 1,3 milliard de personnes dans la pauvreté, en 2019, selon l'étude. Une couverture sociale universelle (CSU) serait donc l'une des réponses proposées pour y faire face. La CSU rejoint l'objectif de « socle de protection sociale » (SPS), promu par l'OIT avec la collaboration de l'OMS, depuis 2010, et qui vise à « créer une base solide pour la croissance économique, offrir une assurance sociétale contre la pauvreté persistante et atténuer les conséquences des chocs économiques et des crises. »

Les pays du Sud global en pointe pour favoriser l'avènement de la CSU

Il y a au sein des Nations unies des forces qui poussent dans un sens progressiste, en faveur de la CSU, une idée qui fait son chemin depuis une quinzaine d'années, notamment sous la pression des pays du Sud global. En décembre 2012, la résolution « Santé globale et politique étrangère » de l'Assemblée générale de l'ONU, adoptée à une très large majorité, a reconnu l'importance de la CSU.

Ce document définit la CSU comme l'accès de tous à des services de santé et à des médicaments de base à la fois de qualité et abordables pour les usagers. C'est une étape importante, dans laquelle l'OMS a joué un rôle, puisqu'en 2008, cette organisation a estimé que faire payer les soins à l'usager constitue la « méthode la plus inéquitable pour financer les services de santé ». L'OMS, qui soutient la mise en place de la CSU, a appelé à un vaste effort redistributif des pays riches envers les pays pauvres.

Lors de son allocution à la 65e Assemblée mondiale de la santé, en mai 2012, Margaret Chan (alors Directrice générale de l'OMS) a affirmé que « la couverture universelle en matière de santé constitue le concept le plus efficace que la santé publique puisse offrir ».

Plusieurs gouvernements ont déjà commencé à aller dans ce sens : la Chine, la Thaïlande, l'Afrique du Sud et le Mexique sont parmi les premières puissances émergentes à avoir accru de manière importante leurs dépenses publiques de santé. Nombre de pays du Sud global comme l'Indonésie, l'Inde, le Vietnam, le Mali, la Sierra Leone, la Zambie, le Rwanda, le Ghana et la Turquie l'incluent dans leurs priorités nationales et/ou ont instauré des systèmes d'accès gratuit aux soins pour une partie de la population, soit les premiers jalons vers la création d'une CSU.

L'Equateur a, dans sa nouvelle constitution de 2008, affirmé le droit à la santé et à la gratuité des services publics de santé, comme le souligne la ministre équatorienne de l'époque Carina Vance. Le Sénégal, pour sa part, a adopté la CSU en 2013. Puis, en 2015, a CSU a été inclue dans les objectifs du développement durable de l'ONU (ODD 3.8).

Une mise en œuvre complexe

Certains gouvernements estiment toutefois que sa définition reste imprécise et sa mesure incertaine. Les moyens à mettre en œuvre sont laissés à la souveraineté des États (conseillés et soutenus par les organisations internationales, mais aussi les ONG, les fondations, les entreprises privées, etc.) en fonction des priorités et contextes nationaux. Or, dans beaucoup de pays, la santé est aussi un « marché », où opèrent de nombreux acteurs, avec une vision écartelée entre bien public et intérêts lucratifs.

Comme le fait Nathalie Janne d'Othée pour un rapport sur la dette sociale publié en 2016 par le CADTM (Comité pour l'abolition des dettes illégitimes), il faut aussi rappeler que beaucoup de pays ont été obligés de « réduire les dépenses publiques et libéraliser les services publics », sous la pression de la Banque mondiale et du FMI, « avec les plans d'ajustement structurel imposés aux pays en développement en proie à la crise de la dette dans les années 80-90 ».

« À peine une décennie plus tard, les experts reconnaissaient déjà les failles de ce modèle […] Pourtant, malgré cet échec évident du libre-échange et de l'austérité, la même recette est aujourd'hui ressortie pour sortir l'Europe de la crise économique. Les plans d'austérité imposés à la Grèce ont par exemple des conséquences directes sur l'accès aux soins de santé et donc sur l'état de santé de la population grecque », écrit la chercheuse.

C'est pour tout cela qu'ont été créées une structure soutenue par l'ONU appelée « CSU2030 » qui « constitue une plateforme où le secteur privé, la société civile, les organisations internationales, les milieux universitaires et les organisations gouvernementales peuvent collaborer pour accélérer les progrès équitables et durables vers la CSU et pour renforcer les systèmes de santé au niveau mondial et national », ainsi qu'une journée mondiale de sensibilisation, qui a lieu tous les 12 décembre.

En conclusion, il appartient aux forces progressistes de modeler les concepts de droit à la protection sociale et de couverture sanitaire universelle dans le sens de la justice sociale. Le rapport 2024-2026 de l'OIT sur la protection sociale, en y ajoutant l'urgence constituée par les bouleversements climatiques, y contribue.

12.11.2024 à 09:49

La Turquie est l'un des endroits les plus dangereux au monde pour travailler (et l'un des plus hostiles envers les syndicats)

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De tous les accidents du travail mortels dont il a été témoin et qu'il a recensés dans son pays, la Turquie, Murat Çakir ne saurait effacer de sa mémoire celui qui a coûté la vie à un enfant nommé Ahmet Yıldız. Il regarde avec tristesse les photos qu'il a conservées de lui sur son téléphone portable. Ahmet avait seulement 13 ans lorsqu'il est mort écrasé par une machine de pressage dans l'usine d'Adana où il travaillait. Il y touchait une cinquantaine d'euros par semaine, qui lui servaient à (…)

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Texte intégral (2639 mots)

De tous les accidents du travail mortels dont il a été témoin et qu'il a recensés dans son pays, la Turquie, Murat Çakir ne saurait effacer de sa mémoire celui qui a coûté la vie à un enfant nommé Ahmet Yıldız. Il regarde avec tristesse les photos qu'il a conservées de lui sur son téléphone portable. Ahmet avait seulement 13 ans lorsqu'il est mort écrasé par une machine de pressage dans l'usine d'Adana où il travaillait. Il y touchait une cinquantaine d'euros par semaine, qui lui servaient à payer son école. Malgré la gravité du drame, l'employeur a tenté d'étouffer l'affaire : lors de l'admission de l'enfant à l'hôpital, il a déclaré qu'il s'agissait d'un accident de la route. Malgré la gravité des faits et ses déclarations mensongères, le propriétaire, Ali Koç, n'a passé que trois mois en prison sur les cinq ans auxquels il avait été initialement condamné pour homicide involontaire. Le tribunal a commué cette peine au versement d'une amende de 30.040 livres turques (environ 790 euros au cours de 2013), payable en 24 mensualités.

Dans un entretien avec Equal Times à Istanbul, M. Murat Çakir, coordinateur et bénévole de la plateforme İşçi Sağlığı ve İş Güvenliği Meclisi (ISIG) (Observatoire de la santé et de la sécurité au travail) a expliqué que les parents d'Ahmet ne pouvaient pas parler aux médias, le propriétaire de l'usine ayant offert une somme d'argent en échange de leur silence. Pour M. Çakir et sa plateforme, plus que de simples accidents du travail, il conviendrait de parler de « meurtres liés au travail ». « Nous préférons les qualifier ainsi car ces décès auraient pu être évités si des mesures de sécurité adéquates avaient été prises. C'est l'employeur qui est en faute », explique-t-il.

Le pire pays en termes de mortalité liée au travail

La Turquie affiche l'un des taux les plus élevés d'accidents du travail en Europe et dans le monde. Au cours des neuf premiers mois de 2024, au moins 1.371 travailleurs y ont perdu la vie dans des accidents du travail, selon les derniers chiffres de l'ISIG. Le nombre de décès enregistrés pour l'ensemble de l'année 2023 s'élève à 1.932. À titre de comparaison, le nombre total d'accidents du travail ayant entraîné la mort – recensés par an dans l'ensemble de l'UE – s'élevait à 3.347, selon les données les plus récentes d'Eurostat.

Les secteurs tels que la construction, l'agriculture et les services sont ceux qui enregistrent le plus grand nombre de décès. Le secteur de la construction reste le plus meurtrier – avec les chutes de hauteur parmi les accidents les plus fréquents – et l'agriculture l'un des moins protégés, où les travailleurs sont les plus vulnérables.

De fait, en Turquie, les employeurs réduisent souvent leurs coûts au détriment de la sécurité de leurs travailleurs. L'absence de dispositifs de protection et les mauvaises conditions de travail sont des facteurs qui contribuent directement au nombre alarmant de décès. Balim Idil Deniz, avocate et bénévole de l'ISIG, souligne que « si le travailleur porte un casque ou un harnais, il ne peut pas se déplacer aussi vite que l'exige l'employeur. Les travailleurs se retrouvent donc à devoir choisir entre leur sécurité et leur travail. »

« Il ne s'agit pas de simples statistiques, mais de personnes, de pères, de mères et d'enfants qui partent travailler et ne reviennent jamais. Le système du travail en Turquie les considère comme remplaçables, mais pour leurs familles, ces décès détruisent tout. Il s'agit de meurtres, et quelqu'un doit être tenu pour responsable », a déclaré M. Çakir.

Le coordinateur de l'ISIG accuse également les entreprises occidentales opérant en Turquie de faire passer leurs profits avant la sécurité des travailleurs, en réduisant les coûts dans ce domaine. « Les entreprises occidentales investissent en Turquie non pas en raison de la qualité du travail, mais parce qu'elles peuvent exploiter les travailleurs avec moins de règles de sécurité et des salaires plus bas », explique-t-il.

Les décès dus à des accidents dans des secteurs clés tels que la construction et l'agriculture représentent déjà près de 50 % de l'ensemble des accidents du travail mortels. Selon l'ISIG, cette hausse se doit, en partie, à l'augmentation du nombre d'emplois temporaires et faiblement rémunérés, qui ne sont pas assortis des mesures de sécurité requises.

Ainsi, il n'est guère étonnant qu'en 2024, l'Indice des droits dans le monde de la Confédération syndicale internationale (CSI) ait classé la Turquie parmi les dix pires pays pour les travailleurs. Cet indice évalue le respect des droits des travailleurs dans le monde, et si la Turquie se trouve dans cette position, c'est notamment en raison de la répression syndicale, des piètres conditions de travail et de l'absence d'inspections du travail officielles et effectives, créant par là même un terreau fertile pour des taux élevés de mortalité au travail.

Le rapport de la CSI souligne en outre que la Turquie a régulièrement dérogé à son obligation de garantir le droit de grève et de négociation collective, enfreignant par-là même de façon systématique les droits des travailleurs. Ces informations sont corroborées par l'ISIG et les organisations syndicales turques telles que DISK et KESK (Confédération des employés du secteur public), qui font l'objet d'une répression intense et systématique, allant de l'imposition de seuils d'adhésion élevés à des formalités administratives complexes liées à la reconnaissance des syndicats, en passant par le licenciement de travailleurs pour avoir adhéré à un syndicat, voire l'arrestation de syndicalistes pour « terrorisme », ainsi que l'a dénoncé Amnesty International.

Le secteur de la construction – où, selon la confédération DISK-AR, moins de 5 % des effectifs sont syndiqués – est celui qui compte le plus grand nombre de décès liés au travail. En 2023, leur nombre a augmenté de 7,8 %, pour atteindre 552. À cela s'ajoutent 227 décès supplémentaires recensés entre janvier et juin 2024, signe que la croissance du secteur se fait au détriment de la sécurité des travailleurs. Par ailleurs, les régions touchées par le tremblement de terre, telles que Hatay et Kahramanmaraş, ont connu une augmentation marquée des accidents du travail ayant entraîné la mort, ce qui laisse supposer que les travailleurs ont continué à travailler dans des conditions dangereuses après le séisme. Un autre indicateur significatif est le manque d'inspections en matière de sécurité, avec seulement 0,4 % des lieux de travail inspectés en 2023.

S'agissant de l'agriculture, Seyir Aslan, membre de la DISK et président du syndicat Gıda-İş, qui représente les travailleurs de l'industrie alimentaire en Turquie, s'est penché sur les causes de la mortalité élevée dans ce secteur : la majorité des paysans sont employés au noir et ne disposent pas de syndicats ni de droits du travail fondamentaux. Leurs conditions de travail sont extrêmement précaires et ils travaillent sous la pression de contremaîtres ou « dayıbaşı », qui les contrôlent, découragent la syndicalisation, répriment leurs droits et n'hésitent pas à retenir leur salaire.

Des données manquantes

Selon Balim Idil Deniz, la crise de la mortalité au travail en Turquie résulte d'une combinaison de facteurs. L'absence de relevés statistiques adéquats constitue un problème majeur. « Le gouvernement ne dispose pas de données pour de nombreux travailleurs, en particulier dans les secteurs de l'agriculture, de la construction et des transports », explique l'avocate. Les chiffres officiels ne font état que de 200.000 travailleurs dans le secteur agricole, alors que l'ISIG estime que leur nombre réel est plus proche de deux millions.

Un autre facteur déterminant est la sous-déclaration des migrants et des travailleurs indépendants. Au cours du premier semestre de cette année, 33 immigrés, dont 19 Syriens, six Afghans et trois Iraniens, sont décédés des suites d'un accident du travail. Les données officielles n'incluent pas les travailleurs indépendants dans les statistiques sur les accidents du travail mortels. En d'autres termes, le nombre de blessés et de morts serait encore plus élevé si ces deux groupes étaient pris en compte.

La sous-déclaration concerne un grand nombre de personnes parmi les plus vulnérables, qui travaillent souvent dans des conditions extrêmement précaires et n'ont pas accès à des dispositifs de protection adéquats.

Selon Murat Çakir, « un grand nombre des personnes qui meurent dans des accidents du travail sont des migrants non déclarés ». Selon le HCNUR, la Turquie accueille quelque 3,5 millions de migrants, majoritairement des Syriens, représentant environ 4 % d'une population de 85 millions d'habitants.

En outre, le fléau du travail des enfants reste un problème dévastateur en Turquie. « Nous recensons chaque année 60 à 70 décès d'enfants liés à des accidents du travail, alors que les statistiques officielles n'en relèvent que trois ou quatre », explique M. Çakir. La plupart de ces mineurs travaillaient dans le secteur agricole, dans des conditions que l'ISIG qualifie d'exploitation sous couvert de « formation professionnelle », le tout sous les auspices du programme MESEM du gouvernement turc, qui a vocation à fournir une formation professionnelle aux mineurs. L'ISIG décrit le MESEM comme un employeur de main-d'œuvre bon marché qui expose ces enfants à des risques inutiles.

La position des syndicats

La crise de la sécurité au travail en Turquie a mobilisé plusieurs syndicats, dont le syndicat des travailleurs de la métallurgie et la plateforme DISK. Özkan Atar, président du Syndicat des métallurgistes, souligne que son secteur affiche l'un des taux d'accidents les plus élevés au monde. « Dans les usines où nous sommes organisés, nous procédons à des inspections annuelles et, en cas de risque, nous organisons des arrêts de travail », explique M. Atar.

En dehors des zones syndiquées, toutefois, les travailleurs ne sont pas protégés et peuvent être licenciés s'ils réclament de meilleures conditions de sécurité. « En d'autres termes, 90 % des travailleurs sont dépourvus d'un filet de sécurité syndical », a conclu M. Atar.

Dans son dernier communiqué en date, la plateforme syndicale DISK a dénoncé le fait que plus de 30.400 travailleurs ont perdu la vie depuis l'arrivée au pouvoir de l'AKP, le parti du président Recep Tayyip Erdogan, en 2002.

Selon le syndicat, l'absence d'inspections régulières et la priorité donnée aux intérêts du capital par rapport à la sécurité de l'emploi n'ont fait qu'exacerber la crise. Il dénonce, en outre, le fait que, bien que la Turquie ait ratifié des conventions internationales, telles que celles de l'OIT, la mise en œuvre de ces conventions demeure faible.

La DISK et le syndicat des travailleurs de la métallurgie critiquent vivement l'inaction du gouvernement. Equal Times a contacté le ministère turc du Travail et de la Sécurité sociale pour obtenir une réponse et d'éventuelles mesures préventives contre les accidents du travail mortels, mais n'avait toujours pas reçu de réponse à l'heure de publier ces lignes.

Ce silence tranche nettement avec l'urgence exprimée par les plateformes syndicales à travers des grèves et des manifestations dans tout le pays.

Des propositions pour réduire les accidents du travail mortels

Selon Murat Çakir et Balim Idil Deniz, la clé pour réduire les accidents du travail meurtriers en Turquie réside non seulement dans l'élaboration de nouvelles lois, mais aussi et surtout dans la mise en œuvre des lois existantes. « Ce n'est pas l'absence de lois qui pose problème, mais l'absence de mise en œuvre », souligne M. Çakir.

Au nombre de leurs recommandations, les militants soulignent la nécessité de renforcer l'organisation et la syndicalisation. En 2024, seul 1,48 % des travailleurs morts dans des accidents du travail étaient syndiqués, autrement dit, la grande majorité des travailleurs se trouvent dans une situation de vulnérabilité totale.

Mme Deniz insiste sur le fait qu'une « syndicalisation réelle constitue la clé pour améliorer les conditions de travail et la sécurité ». Cependant, le climat hostile envers les syndicats en Turquie reste un obstacle majeur.

« La syndicalisation sauve des vies : sans elle, les lieux de travail sont dépourvus de la surveillance qui permet de prévenir les accidents mortels. Les lieux de travail syndiqués sont plus sûrs, avec moins d'accidents et de décès, en particulier dans les secteurs à haut risque tels que la construction et l'agriculture », explique Kıvanç Eliaçık, de la plateforme DISK.

Une autre solution clé est la transparence. Mme Deniz insiste sur le fait que « si le gouvernement publiait des statistiques fiables et complètes sur le travail, nous pourrions mesurer l'ampleur du problème et agir en conséquence ». Actuellement, le manque de données précises et accessibles rend difficile l'élaboration de politiques publiques efficaces en matière de protection des travailleurs.

Enfin, tous deux s'accordent pour dire que le gouvernement devrait mettre en place des inspections régulières et rigoureuses dans tous les secteurs d'activité, en imposant des sanctions beaucoup plus sévères aux employeurs qui ne respectent pas les règles de sécurité. Selon Çakir, « une solution consisterait à obliger les employeurs à mettre en œuvre des programmes de sécurité assortis d'inspections régulières. Cela implique aussi qu'il faille changer les mentalités pour ce qui est des droits des travailleurs ».

Selon les estimations des Nations Unies, environ 2,78 millions de personnes meurent chaque année des suites d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle.

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