09.05.2025 à 07:00
La sécurité est un drôle d'élixir. Plus vous en avez, moins il y en a pour les autres… c'est du moins ce que dit la sagesse populaire. L'expérience d'Erik Helgeson tend à démentir cette idée.
M. Helgeson, 42 ans, est vice-président du Syndicat des dockers suédois (Svenska hamnarbetarförbundet). Il est très attaché à la sécurité de ses membres, mais aussi à celle des civils de Gaza, dont certains ont été tués par des armes qui pourraient avoir transité par le port de Göteborg, où il a (…)
La sécurité est un drôle d'élixir. Plus vous en avez, moins il y en a pour les autres… c'est du moins ce que dit la sagesse populaire. L'expérience d'Erik Helgeson tend à démentir cette idée.
M. Helgeson, 42 ans, est vice-président du Syndicat des dockers suédois (Svenska hamnarbetarförbundet). Il est très attaché à la sécurité de ses membres, mais aussi à celle des civils de Gaza, dont certains ont été tués par des armes qui pourraient avoir transité par le port de Göteborg, où il a travaillé pendant 20 ans.
De fait, M. Helgeson y était tellement attaché qu'en février de cette année, il a pris la tête d'un blocus symbolique de 20 ports suédois de six jours contre des cargaisons militaires destinées à Israël. Son employeur, DFDS, a réagi en le licenciant, au motif qu'il avait enfreint la loi sur la protection de la sécurité de la Suède.
La loi, adoptée en 2018, vise à protéger les « activités critiques pour la sécurité contre l'espionnage, le sabotage [et] les infractions terroristes », mais, selon M. Helgeson, son utilisation contre des activistes syndicaux soulève la question de savoir la sécurité de qui l'entreprise, et la loi, protègent vraiment.
« Certains employeurs semblent considérer cette loi comme un outil permettant non seulement de protéger les ports et d'autres entreprises contre les infiltrations criminelles, mais aussi de leur donner carte blanche pour faire ce qu'ils veulent, à des personnes dont ils veulent se débarrasser pour d'autres raisons », déclare-t-il à Equal Times.
« Je crains que de nombreux employeurs s'intéressent à cette affaire — en voyant que les preuves contre moi sont si minces — et qu'ils élaborent leurs propres plans pour éliminer les dirigeants syndicaux ».
Le syndicat de M. Helgeson entretenait une tradition de solidarité internationale remontant à la guerre du Vietnam et au coup d'État au Chili de 1973, au cours duquel une génération d'activistes syndicaux a été assassinée.
En 2010, il a participé au chargement de la tragique flottille de la liberté qui avait tenté de briser le blocus israélien de la bande de Gaza. Des soldats israéliens sont montés à bord de la mission humanitaire et ont tué neuf des activistes qui s'y trouvaient. Selon les preuves présentées à la Cour internationale de justice, certaines victimes « ont reçu plusieurs balles au visage alors qu'elles essayaient de se couvrir la tête, ou par l'arrière, ou encore après s'être rendues et avoir supplié les forces de défense israéliennes de cesser de tirer sur les civils ».
Outré, M. Helgeson avait alors tenté de s'embarquer dans la flottille suivante, mais le navire de tête avait été saboté en Grèce. Finalement, il a pu visiter la bande de Gaza en novembre 2011.
« C'était pendant une période calme, mais ils ont bombardé le commissariat de police pendant que j'étais là », déclare-t-il. « On pouvait encore observer une certaine brutalité latente dans tous les aspects de la société. Les gens luttaient à leur manière — certains activistes syndicaux luttaient également avec les autorités du Hamas — mais le problème principal était le blocus naturellement, les niveaux de chômage record, l'isolement, la pauvreté flagrante dans les camps de réfugiés — et aussi les jeunes enfants qui buvaient de l'eau impropre à la consommation et souffraient de maladies. Cela m'a vraiment marqué ».
À l'époque, les dirigeants israéliens justifiaient le blocus de Gaza en invoquant la sécurité nationale. Mais le déni de toute sécurité courante aux Gazaouis a fini par provoquer une attaque qui a anéanti le sentiment de sécurité même d'Israël.
De retour en Suède, M. Helgeson s'était lancé dans l'activité syndicale du port, prenant la tête d'un conflit industriel avec Mærsk entre 2015 et 2017, qui a débouché sur une fermeture de six semaines, puis sur un litige national. « Nous avons répondu par la menace d'une grève illimitée et les employeurs ont fini par céder », se rappelle M. Helgeson. En fin de compte, le syndicat avait obtenu une convention collective de travail (CCT) nationale.
C'est, selon lui, la véritable raison pour laquelle DFDS voulait le dégager des docks et la raison pour laquelle l'entreprise n'a pas été en mesure de fournir au syndicat, aux journalistes ou aux autorités judiciaires des détails sur la manière dont la sécurité nationale avait été menacée par l'action des dockers.
Lorsque la question lui a été posée de savoir en quoi le syndicat avait menacé la sécurité, « la direction est restée très vague », indique M. Helgeson. « Leur argument consistait à dire : "Nous avons reçu tous ces appels de la part de nombreux acteurs" — ils laissaient entendre que l'armée les avait contactés —, mais ils ne voulaient fournir ni précisions, ni détails, ni éléments de preuve. Notre avis, à l'époque et aujourd'hui, est qu'il s'agissait d'un écran de fumée ».
Les allégations de l'employeur à l'encontre de M. Helgeson — à savoir qu'il serait responsable de l'examen des remorques et des conteneurs de fret par les dockers — sont contestées par ce dernier et le syndicat, au motif que les dockers n'avaient ni la capacité ni l'intention de le faire. Selon eux, l'action était essentiellement symbolique et visait à lancer le débat sur les agissements d'Israël dans la bande de Gaza.
La police et le Chancelier de justice de Suède ont rejeté la demande de l'entreprise d'enquêter sur le comportement de M. Helgeson, car aucun soupçon d'activité criminelle n'a été constaté. Mais cela n'a pas empêché les messages menaçants adressés à M. Helgeson, qui ont commencé à arriver après que DFDS a publié un communiqué de presse annonçant qu'il avait été licencié pour des raisons de sécurité nationale.
« Nous avons reçu des menaces — y compris une menace de mort — puis nous avons été harcelés par des personnes anonymes ayant apparemment des opinions d'extrême droite, principalement sur messagerie vocale », déclare M. Helgeson. « J'ai eu une peur bleue parce qu'il pouvait y avoir des "loups solitaires" dans ces groupes menant une croisade pour la sécurité nationale. J'étais vraiment effrayé à l'idée d'être cloué au pilori dans la presse et d'attirer les pires fous qui existent, ce qui constituerait une menace pour ma famille et mes enfants ».
Les menaces de mort à l'encontre des partisans de la paix se sont multipliées depuis le 7 octobre 2023 et la rapporteure spéciale des Nations unies sur les territoires palestiniens occupés, Francesca Albanese, en a également été victime. Bien qu'elle ne connaisse pas les détails du cas de M. Helgeson, elle a déclaré à Equal Times que les manifestations de solidarité des travailleurs, telles que les récentes actions des dockers au Maroc, étaient plus que nécessaires.
« En temps de crise, lorsque des crimes contre l'humanité sont perpétrés, il est absolument nécessaire que les travailleurs se mettent en grève », déclare-t-elle. « Il s'agit là d'une obligation morale pour chacun d'entre nous. C'est aussi notre système qui est complice des agissements d'Israël.
« L'histoire nous jugera, nous et ceux qui restent silencieux aujourd'hui ; leur responsabilité est aussi engagée. Nous devons user de notre pouvoir et de notre capacité à provoquer le changement. Unis, nous sommes bien plus puissants que l'establishment lui-même ».
Elle ajoute que si elle avait été travailleuse des docks « contribuant au massacre d'enfants, de mères et de grands-parents à Gaza… ma santé mentale aurait été bien plus affectée qu'elle ne l'est aujourd'hui, en ma qualité de chroniqueuse d'un génocide ».
La masse d'informations sur la manière dont le fait de participer à l'oppression dégrade aussi bien la qualité de vie de l'oppresseur que celle de la victime est un aspect de la question de la sécurité qui n'est pas suffisamment traité.
En 1974, des travailleurs britanniques qui risquaient d'être licenciés dans une usine d'armement gérée par Lucas Aerospace l'ont tacitement reconnu en créant un syndicat officieux, « Combine », en vue d'élaborer des plans alternatifs pour une production socialement utile. Leur idée connaît actuellement une renaissance parmi les intellectuels publics du Royaume-Uni, tels que Grace Blakeley.
De manière plus générale, l'idée qu'il ne peut y avoir de sécurité à long terme pour une seule partie à un conflit a été renforcée lors d'une conférence organisée en avril par le Bureau international de la paix (BIP), la Confédération syndicale internationale (CSI) et le Centre international Olof Palme intitulée Conférence sur la sécurité commune 2025 : Redéfinir la sécurité pour le 21e siècle. Comme l'a déclaré Omar Faruk Osman, secrétaire général de la Fédération des syndicats somaliens (FESTU) lors de la conférence : « Aucun pays, aucune communauté, aucun individu ne peut être vraiment en sécurité si nous ne le sommes pas tous. »
« Lorsque les travailleurs sont affamés, sans emploi et exclus de la prise de décision, ils risquent d'être utilisés dans les conflits, » a-t-il ajouté. « Promouvoir le travail décent, c'est promouvoir la paix. »
Loin d'être un jeu à somme nulle, la sécurité, dans la vision du monde du BIP, doit être partagée par toutes les parties à un conflit. Faute de quoi, le déséquilibre fera tôt ou tard retomber les protagonistes dans le conflit, avec des conséquences destructrices pour tous.
« Nous ne recherchons pas seulement la paix par l'absence d'armes à feu, mais aussi par la présence de la justice », a déclaré M. Osman. « La “sécurité commune” constitue notre langage et reflète nos aspirations ».
En son absence, les mesures de sécurité unilatérales risquent toujours de se retourner contre leurs initiateurs, comme ne le montre que trop bien le cas de M. Helgeson. À l'heure où nous publions ces lignes, les dockers suédois se préparent pour une potentielle grève en raison d'un problème contractuel qui pourrait empêcher M. Helgeson de réintégrer son emploi.
La législation du travail suédoise, unique en son genre, n'autorise les travailleurs à faire grève que pour obtenir une convention collective de travail (CCT), qui permet ensuite de régler les conflits ultérieurs sans recourir à l'action syndicale. Mais la CCT nationale des dockers suédois a expiré à la fin du mois d'avril et l'action syndicale est désormais revenue à l'ordre du jour.
En vertu du droit du travail suédois, même si M. Helgeson gagne son procès pour licenciement abusif devant un tribunal du travail, son employeur peut « racheter » son contrat en lui versant une indemnité mensuelle pour chaque année travaillée, tout en maintenant son licenciement. Selon M. Helgeson, la somme en question représenterait « des cacahuètes » pour une multinationale comme DFDS.
Cependant, Martin Berg, président du Syndicat suédois des dockers, a déclaré à Equal Times que lors des discussions sur la prochaine convention collective de travail : « L'une de nos principales revendications sera une réglementation visant à protéger nos administrateurs syndicaux — s'ils obtiennent gain de cause devant le tribunal du travail — afin qu'ils ne puissent pas être soumis à des rachats à bas prix. Toute personne effectuant un travail pour le compte du syndicat devrait être protégée, de sorte que, si un employeur décide de vous racheter, il doive également payer au syndicat une lourde amende liée au chiffre d'affaires de l'entreprise au cours de l'année précédente. Si nous entamons un conflit social pour notre CCT, nous ferons grève pour l'obtenir et, en vertu de la législation suédoise, tous les syndicats sont autorisés à nous soutenir par des actions de sympathie. Nous demanderons également aux dockers d'autres pays de mener des actions de solidarité ».
Il se trouve que moins les dockers suédois bénéficient d'une sécurité, moins leurs employeurs en bénéficient également. Les patrons suédois qui pensaient que le licenciement de leurs activistes syndicaux consoliderait leurs prévisions de bénéfices risquent de connaître un réveil brutal.
07.05.2025 à 11:18
06.05.2025 à 11:57
L'image d'une personne à vélo transportant un sac à dos isotherme, cubique et de couleur vive qui traverse la ville à toute vitesse est devenue familière dans le monde entier. Ces sacs à dos jaunes, rouges, orange ou bleus, affublés d'un logo facilement identifiable, ne sont que la partie émergée de l'iceberg du changement radical qui impacte de plus en plus de secteurs d'activité : de la livraison de repas aux services de soins ou de nettoyage. Dans tous ces pays, les plateformes numériques (…)
- Reportages photos / Pologne, Négociation collective, Travail décent, Santé et sécurité, Pauvreté, Travail, Économie numérique, Travail précaire, Syndicats, Charles KatsidonisL'image d'une personne à vélo transportant un sac à dos isotherme, cubique et de couleur vive qui traverse la ville à toute vitesse est devenue familière dans le monde entier. Ces sacs à dos jaunes, rouges, orange ou bleus, affublés d'un logo facilement identifiable, ne sont que la partie émergée de l'iceberg du changement radical qui impacte de plus en plus de secteurs d'activité : de la livraison de repas aux services de soins ou de nettoyage. Dans tous ces pays, les plateformes numériques sont de plus en plus présentes, affectent un nombre croissant de travailleurs et transforment profondément notre façon de travailler et d'interagir.
Ce modèle pose des défis importants en matière de droit du travail et la nouvelle directive européenne cherche à les relever. En Pologne, sa mise en œuvre suscite autant d'attentes que d'inquiétudes. Les États membres ont deux ans pour la transposer dans leur législation nationale, et l'approche choisie par le gouvernement polonais sera déterminante, compte tenu d'une particularité du pays ; que la directive n'aborde pas explicitement.
Les conditions de travail des livreurs sont à peu près analogues partout en Europe : instabilité, longues journées de travail et nécessité de cumuler plusieurs emplois pour s'assurer un revenu. La particularité de la Pologne réside toutefois principalement dans le fait que la grande majorité des livreurs travaillent dans le cadre d'un contrat de location signé avec un intermédiaire appelé « partner flotowy ».
« L'utilisation de contrats de location sert à minimiser la charge fiscale qui devrait être supportée par l'employeur, qu'il s'agisse de la plateforme ou d'un intermédiaire », explique Karol Muszyński, assistant-maître de conférences en sociologie du travail et en économie à l'université de Varsovie et partenaire du projet de recherche-action Fairwork, qui établit des classements des plateformes sur la base des conditions de travail, du contrat, de la rémunération, de la gestion du travail et de la représentation.
« De plus, le fait que les travailleurs signent ces contrats avec un intermédiaire les prive de toute protection. En cas de plainte, ils ne peuvent pas se tourner vers les plateformes, alors que ce sont elles qui décident des conditions de travail, des salaires et des heures de travail. La responsabilité, quelle qu'elle soit, reste donc très floue. »
Tomek [nom d'emprunt], livreur chez Glovo, vit à Poznań et combine cette activité avec son travail d'indépendant dans le secteur de l'audiovisuel. L'instabilité et le sentiment d'injustice dans son travail font partie de son quotidien. Récemment, l'application a taxé son profil de frauduleux, sans lui fournir la moindre explication.
« Une autre fois, on m'a donné un délai de 24 heures par e-mail pour transférer l'argent collecté en espèces aux clients. Cinq heures plus tard, mon compte était déjà bloqué. J'ai perdu une semaine pendant laquelle je comptais gagner l'argent pour payer mon loyer », explique-t-il. Dans les deux cas, le seul moyen de se plaindre était un agent conversationnel (« chatbot ») et l'intermédiaire avec lequel Tomek avait conclu un contrat n'a rien voulu savoir des mesures prises par la plateforme.
L'une des difficultés principales du travail sur les plateformes est le manque de transparence et la complexité des règles appliquées. De nombreux livreurs pour des entreprises telles qu'Uber ou Glovo doivent se renseigner par eux-mêmes (sur YouTube ou des forums) sur la façon dont leurs paiements sont calculés ou sur le fonctionnement de l'algorithme. En d'autres termes, ils sont confrontés à la difficulté de comprendre le système afin d'améliorer leurs performances et d'augmenter leurs gains.
« Sur Pyszne.pl [membre du réseau Just Eat], ces intermédiaires n'existent pas. Nous sommes recrutés par des agences de travail intérimaire, pour une période pouvant aller jusqu'à 18 mois. Ensuite, nous signons un contrat de service (“umowa zlecenie”, en polonais) avec la plateforme », explique Stanisław Kierwiak.
Le contrat de prestation de services, également appelé contrat de mandat, est à mi-chemin entre un contrat de travail et l'activité d'un travailleur indépendant : ceux qui le signent ne sont pas considérés comme des employés, mais ils ne sont pas non plus obligés de s'enregistrer en tant que travailleurs indépendants ou autoentrepreneurs. En Pologne, ces contrats sont apparus en 2007, lorsque la priorité a été donnée à la promotion de l'emploi avec une faible charge fiscale et une plus grande flexibilité. Ils sont considérés comme des contrats « pourris », car, bien qu'ils donnent l'illusion d'une relation de travail, ils peuvent être résiliés sans préavis ni justification. D'un point de vue formel, ils sont soumis à une faible retenue à la source qui devrait être répartie entre l'employeur et la personne recrutée, mais, dans la plupart des cas, les intermédiaires des plateformes transfèrent l'intégralité de la charge aux livreurs.
En Pologne, près d'un million de personnes travaillent dans le cadre de contrats de ce genre et pas seulement sur des plateformes. Ainsi, le débat européen sur la distinction entre employé et faux indépendant ne reflète pas entièrement la réalité polonaise.
Les plateformes soulignent que, pour les livreurs, ce sont les revenus rapides et la flexibilité qui comptent le plus. « Notre enquête interne révèle que 80 % des livreurs ne souhaitent pas passer à un contrat de salarié », explique Aleksander Rosa, porte-parole de Pyszne.pl. « Car cela diminuerait leurs revenus, ils bénéficieraient de moins de flexibilité et ne pourraient pas travailler pour plusieurs plateformes à la fois. Je pense que nous devrions leur garantir ces trois éléments. La directive devrait réglementer notre secteur, mais un trop grand durcissement aura l'effet inverse de celui escompté. »
Aucune donnée fiable ne permet de savoir combien gagnent réellement les livreurs. Toutefois, selon les représentants syndicaux et les travailleurs consultés, il n'est pas rare que le revenu moyen soit inférieur au salaire horaire brut minimum. Par ailleurs, la liberté est illusoire, car toutes les conditions sont imposées par les plateformes et, même quand une commande n'est pas rentable, le livreur n'a pas toujours la possibilité de la refuser. Quant à la flexibilité et à la possibilité de combiner le travail pour plusieurs plateformes, cela se traduit souvent par du stress et un épuisement.
« L'un des plus grands facteurs de stress pour une personne est l'incertitude », explique Dorota Merecz-Kot, médecin à l'Institut de psychologie de l'université de Łódź et collaboratrice d'une étude sur les risques pour la santé et la sécurité dans le travail sur les plateformes qui est sur le point de s'achever dans plusieurs pays européens. « Les algorithmes et les exclusions sans explication » face auxquels « vous ne pouvez pas faire appel ou présenter votre version des faits » créent un « sentiment de discrimination et d'injustice systémiques qui, sur le long terme, crée la certitude que vous n'êtes personne et que votre opinion n'a aucune importance. Avec le temps, on en vient même à se sentir incapable de se battre pour soi-même », ajoute-t-elle.
La protection du droit du travail dans ce secteur est très complexe. La majorité des livreurs travaillent seuls, ce qui rend difficile la création de liens entre eux, sans parler du nombre indéterminé de travailleurs migrants sans papiers qui sous-louent l'utilisation de comptes et qui, par crainte de perdre une source de revenus, préfèrent privilégier leur invisibilité. Selon Mme Merecz-Kot, ils ne se perçoivent pas non plus comme un groupe professionnel unifié, ce qui limite leur capacité à exprimer des revendications collectives ou à exercer une pression pour négocier des améliorations. Pourtant, des initiatives individuelles et collectives ont vu le jour.
Tomek a participé aux manifestations des livreurs de Glovo (à Poznań en 2023), qui ont conduit à la création de l'Inicjatywa Pracownicza Kurierów (Initiative des travailleurs des livreurs). Bien que l'initiative ne puisse pas agir officiellement comme un syndicat, en raison de l'absence de relation contractuelle avec la plateforme, elle a obtenu des améliorations, telles que des primes en cas de conditions météorologiques défavorables. Au travers d'un groupe Telegram, ils ont réalisé des enquêtes sur les conditions de travail auxquelles ont participé jusqu'à 300 livreurs. Armés de ces données, ils se sont présentés au ministère du Travail au cours de l'été.
« Nous leur avons présenté notre réalité et leur réaction a été l'étonnement ; en particulier concernant des questions telles que les contrats de location », explique Tomek. « Ce qui, moi, m'a encore plus étonné est le fait que l'application est active en Pologne depuis cinq ans et qu'ils ne savaient pas comment elle fonctionnait réellement. Ils nous ont dit qu'ils allaient se pencher sur le dossier. Nous attendons toujours. »
Les tarifs dynamiques de la plateforme ne prennent pas en compte des facteurs, tels que le trafic ou les temps d'attente, ce qui réduit leurs revenus. Leurs revenus hebdomadaires provenant d'Uber s'élèvent à environ 300-500 zlotys (de 70 à 116 euros ou 80 à 132 dollars US).
Dans le cas de Pyszne.pl, le syndicat est né d'une manière innovante. « Après plusieurs discussions au sein de la Confédération du travail des jeunes (Konfederacja Pracy Młodych), nous avons décidé d'organiser un “happening” », se souvient Stanisław Kierwiak. « Nous avons installé des tables, des chaises et des transats au siège et avons commencé à commander de la nourriture en ligne. À mesure que les livreurs arrivaient, nous leur proposions de la consommer eux-mêmes tout en discutant de leur situation. La réaction a été très positive et nous avons décidé de créer un syndicat. Contrairement à ce qui se passe sur d'autres plateformes, nous pouvons le faire parce qu'il n'y a pas d'intermédiaires sur Pyszne.pl et le fait de formaliser la lutte nous assure également une protection. »
L'expansion de la syndicalisation parmi les livreurs et les autres travailleurs des plateformes dépend également de la sensibilisation à l'importance de la lutte collective pour les droits du travail. Le modèle de travail développé en Pologne depuis son ouverture au libre marché ne facilite toutefois pas la tâche. Selon des experts tels que M. Muszyński, la négociation collective est rare et limitée à des secteurs tels que celui des mines. Ailleurs, ce sont les accords individuels qui prédominent, comme aux États-Unis ou au Royaume-Uni. Dans ce contexte, la sensibilisation du public et des travailleurs eux-mêmes devient un élément clé pour faire avancer la défense de leurs droits.
Zentrale, un groupe de livreurs activistes issus de plusieurs villes de Pologne, investit son énergie à la fois dans la sensibilisation du public et dans le dialogue et le lobbying auprès des acteurs clés en vue d'éventuelles réformes.
« En Pologne, la question contractuelle passe au second plan », explique Wojtek Dereszewski, l'un des fondateurs de Zentrale. « Ce qui compte le plus pour les livreurs, c'est la rémunération. Il serait formidable que la Pologne améliore cet aspect, mais je suis très sceptique sur ce point, compte tenu de la situation politique actuelle et des tendances historiques dans la manière dont les droits du travail sont traités ici ».
« La plupart des personnes qui travaillent dans ce secteur sont jeunes », explique Mme Merecz-Kot. « Peut-être qu'à cette étape de leur vie, ils n'ont pas encore la mentalité tournée vers le long terme qui leur permettrait de se battre pour leurs droits. Mais c'est à cela que sert l'État : être conscient des effets sociaux à long terme de toute action ou inaction. Pas besoin de beaucoup d'imagination pour comprendre ce qui arrivera dans un avenir proche à des personnes surchargées, effectuant des travaux pénibles pendant de longues heures et souvent exposés aux intempéries. Il ne s'agit pas d'économiser pour générer du capital à l'avenir. La moindre économie dans le système lié à ce secteur nous coûtera cher par la suite. Elle engendrera des pertes tant au niveau individuel qu'au niveau global. Les plateformes se sont installées pour de bon. La question est désormais de savoir sous quelle forme et dans quelles conditions. »
30.04.2025 à 11:30
En janvier dernier, l'autrice australienne Rebecca Shaw a signé un article pour The Guardian , avec un titre pour le moins frappant : « Je savais qu'un jour, je verrais des hommes puissants mettre le monde à feu et à sang, mais je ne m'attendais pas à ce que ce soient de tels losers. »
En tant que syndicaliste, je suis en contact permanent avec les travailleurs qui se trouvent en première ligne dans la lutte pour la survie et le renforcement du pouvoir international des travailleurs. Il (…)
En janvier dernier, l'autrice australienne Rebecca Shaw a signé un article pour The Guardian , avec un titre pour le moins frappant : « Je savais qu'un jour, je verrais des hommes puissants mettre le monde à feu et à sang, mais je ne m'attendais pas à ce que ce soient de tels losers. »
En tant que syndicaliste, je suis en contact permanent avec les travailleurs qui se trouvent en première ligne dans la lutte pour la survie et le renforcement du pouvoir international des travailleurs. Il s'agit d'un travail sérieux qui demande une attention sérieuse. Et c'est peut-être pour ça qu'il m'arrive de ne pas prendre la pleine mesure de l'absurdité du moment présent. Parfois, un simple titre ou une phrase amusante rend mieux compte des événements que l'analyse la plus rigoureuse.
L'un des premiers dirigeants syndicaux avec lesquels j'ai travaillé, le regretté Larry Hanley, de l'Amalgamated Transit Union (ATU), s'est empressé de me rappeler que les luttes syndicales, bien que semées d'embûches et de désespoir, peuvent aussi être source de joie, voire d'amusement. Lorsque vous êtes en compagnie de travailleurs qui raillent les derniers diktats absurdes d'un superviseur incompétent. Quand un piqueteur entonne un nouveau cri de ralliement qui rime avec le nom d'un patron déloyal. Ou simplement quand vous vous livrez à de l'autodérision sur les vicissitudes du mouvement auquel vous appartenez.
Face à la grave menace qui pèse aujourd'hui sur nous tous – un véritable coup d'État des milliardaires contre la démocratie –, la première chose à faire est de prendre conscience de l'ampleur du désastre. Les conséquences ne sont pas abstraites. Ce sont de vraies vies humaines et nos moyens de subsistance qui sont en jeu. Nous reconnaissons toutefois que l'humour constitue une arme redoutable.
Nous avons souvent tendance à penser que le monde a besoin d'être convaincu des menaces qui pèsent sur lui, avant de nous rendre compte que la plupart des gens en sont non seulement conscients, mais qu'ils les ont suffisamment appréhendées pour apporter une touche d'humour à la folie ambiante.
Rien ne révèle mieux les faiblesses des milliardaires et de leurs acolytes d'extrême droite que les railleries dont ils font l'objet de la part de celles et ceux-là mêmes qu'ils cherchent à contrôler et à intimider.
Heureusement, Internet regorge de mèmes tournant en dérision la folie des prétendants à ce nouvel ordre mondial. Ces mèmes, à l'instar des débats houleux qui animent une grande partie des conversations sur Internet, ne constituent certes pas une solution aux problèmes auxquels nous sommes confrontés. Seules des délibérations démocratiques et des actions collectives menées par des personnes organisées là où elles vivent et travaillent permettront d'y parvenir.
Néanmoins, ces contenus offrent un aperçu de la manière dont les gens interprètent les événements du moment, et de la façon dont l'humour peut transcender le bruit et les nuances pour atteindre une vérité fondamentale.
Dans la communauté mondiale des jeux vidéos, Elon Musk, le PDG de Tesla, SpaceX et X (anciennement Twitter) est devenu la risée de ses propres réseaux sociaux. Il s'est fait prendre à payer des gamers pour qu'ils jouent en ligne sous son nom d'utilisateur, afin de pouvoir se faire passer pour l'un des meilleurs joueurs au monde.
Mark Zuckerberg, PDG de Meta, ne peut pas, lui non plus, échapper aux railleries, lui qui est connu pour son manque de charisme. Avec la montée de l'extrême droite, il a pour la énième fois tenté de se trouver une personnalité, en adoptant cette fois les traits d'un nationaliste et d'un promoteur de l'hypermasculinité. Dans son article, Rebecca Shaw le décrit comme « enfilant le déguisement du parfait “bro” pour rejoindre le cercle des mecs et s'asseoir à la table des grands ». Les internautes n'ont pas tardé à réagir à l'une de ses publications en s'en prenant directement à Meta pour son exploitation abusive des données personnelles :
Lorsque Blue Origin, l'entreprise spatiale de Jeff Bezos, a envoyé un équipage entièrement féminin dans l'espace cette année, le PDG a tenté de présenter cet événement comme une avancée historique pour le féminisme. Si le génie technologique des personnes impliquées dans les voyages spatiaux est certes incontestable, le monde entier a eu du mal à se retenir de rire devant le décalage criant d'une telle opération de ‘com' : un milliardaire qui propulse dans l'espace un cortège de femmes pour la plupart célèbres, vêtues de costumes de créateurs, pour un voyage de 11 minutes, alors que le climat s'embrase et que les droits des travailleuses sont systématiquement bafoués aux quatre coins du monde.
Une tiktokeuse a proposé comme manchette : « Let them eat space » (« Qu'ils mangent de l'espace »), en référence à la célèbre phrase attribuée à Marie-Antoinette pendant la Révolution française : « S'ils n'ont pas de pain, qu'ils mangent de la brioche ». D'autres ont souligné l'hypocrisie que représentent des voyages spatiaux à plusieurs millions de dollars financés par un homme réputé pour son évasion fiscale.
Ces milliardaires comptent parmi les personnes les plus riches et les plus impitoyables au monde aujourd'hui. Pourtant, chaque fois qu'ils font leur apparition sur le devant de la scène publique, ils en sont chassés sous les huées d'un public averti qui voit bien à quel point ces oligarques et leurs ambitions sont coupés de la réalité.
Lorsque la Confédération syndicale internationale (CSI) a élaboré son Manuel du coup d'État milliardaire au début de cette année, elle a identifié 13 stratégies clés déployées par des milliardaires comme ceux cités pour consolider leur emprise sur le pouvoir.
Dans tous les pays où les milliardaires et leurs alliés d'extrême droite montent en puissance, vous les verrez puiser la plupart des éléments de leur stratégie dans ce menu. Leurs agissements sont tout sauf drôles, ce qui n'empêche pas les gens de trouver une touche d'humour dans leur comportement caricaturalement maléfique.
À travers cet humour, il apparaît clairement que les militants et les internautes les plus avisés sont parfaitement familiarisés avec les stratégies identifiées par la CSI, qui se déclinent comme suit :
• Soutenir l'extrême droite : par exemple, lorsque Elon Musk a effectué deux saluts nazis lors de la cérémonie d'investiture de Donald Trump en 2025, Internet en a fait ses choux gras, tout comme les militants de la guérilla publicitaire dans la vie réelle.
• Attaquer la propriété publique : les créateurs de mèmes s'amusent depuis longtemps à ironiser sur l'absurdité de la privatisation comme stratégie des riches et de l'extrême droite, comme en témoigne ce mème inspiré du film à succès de 2010, Inception. (« La propriété publique, ça ne marche pas ». « C'est ceux qui profitent de la privatisation qui t'ont dit ça, n'est-ce pas » ?)
• Contrôle des données : l'une des caractéristiques de l'agenda actuel de l'extrême droite soutenu par les milliardaires est la place importante accordée à l'accaparement de quantités exponentielles de données personnelles des utilisateurs. Bien que cela soit officiellement fait pour « améliorer l'expérience utilisateur », les travailleurs savent bien que l'objectif réel de ces acteurs est de monétiser les données et de les utiliser pour soutenir la surveillance étatique.
• Diviser la classe travailleuse : l'une des clés pour renforcer le pouvoir de l'extrême droite dans la défense des employeurs consiste à opposer les travailleurs les uns aux autres, une tactique vieille comme le monde. Qu'il s'agisse de race, de statut migratoire, de religion, de langue, de genre, d'orientation sexuelle ou de toute autre identité, ils savent que les travailleurs sont forts lorsqu'ils sont unis dans leur diversité. Comme l'illustre le fameux cartoon du patron avec son assiette pleine de cookies, qui dit à l'ouvrier blanc qui n'a qu'un seul cookie : « Attention mon gars, c'est ce travailleur étranger qui en veut à ton cookie ».
• Faux messages contre l'élite : dans un mème désormais bien connu, des internautes répondent régulièrement à l'indignation feinte exprimée par les milliardaires et les mouvements sociaux d'extrême droite avec une image tirée de la série à sketch, complètement absurde de Netflix, I Think You Should Leave. Il s'agit d'un arrêt sur image montrant un homme déguisé en hot-dog qui vient de percuter un magasin avec une voiture en forme de hot-dog. La légende cite les paroles prononcées par l'homme saucisse : « Nous sommes à la recherche du type qui a fait ça. » Les créateurs de mèmes l'ont utilisée pour dénoncer Jeff Bezos qui, après avoir racheté le Washington Post en 2013, use désormais de son pouvoir pour influencer le processus éditorial du journal en 2024 et 2025.
• Semer le chaos, maîtriser l'histoire : aujourd'hui, les ultra-riches, tout comme l'extrême droite, ont adopté le credo de la Silicon Valley : « aller vite et casser les codes ». Ce qui était autrefois considéré comme une approche irrévérencieuse d'entrepreneurs marginaux a pris un nouveau sens à présent que ces mêmes acteurs ont acquis du pouvoir politique, en semant le chaos pour mieux le résoudre ensuite et apparaître comme des sauveurs.
« Tu es viré . Attendez, vous êtes réembauché. Envoyez-nous par e-mail une liste des choses que vous avez faites aujourd'hui. Attendez, oubliez-le, vous êtes à nouveau licencié. Revenez, votre travail était important ! Tu es viré. Ou embauché. Venez au bureau. Attendez, le bureau n'a pas d'ordinateurs, rentrez chez vous. Nous sommes le ministère de l'Efficacité gouvernementale »[Post sur Bluesky de Nicole Terigni. 5/03/25]
• Réduire la presse au silence : une presse libre et indépendante est reconnue depuis des siècles comme l'un des piliers fondamentaux de la vie démocratique. Cependant, lorsque des ultranationalistes soutenus par des milliardaires s'emparent du pouvoir, c'est souvent l'une des premières libertés à être guillotinée.
En Inde, par exemple, un culte de la personnalité s'est développé autour du Premier ministre Narendra Modi, largement considéré comme un adversaire des médias indépendants dans son pays (L'Inde est 150e au classement de la liberté de la presse). Les responsables politiques ne sont pas les seuls à être ciblés par les créateurs de mèmes. Comme mentionné précédemment, Jeff Bezos, fondateur et président exécutif d'Amazon, a racheté le journal le Washington Post en 2013. Depuis, il squatte les pages éditoriales du journal pour défendre ses propres intérêts, proclamant « Ne taxez pas les riches » ou bien « Les milliardaires sont une chance ».
• Faire taire les militants et les syndicats : la répression des libertés démocratiques ne se limite bien sûr pas aux médias. Dans de nombreux pays, les régimes d'extrême droite et autoritaires s'en prennent également à la société civile et aux syndicats, en réprimant les manifestations et en emprisonnant les leaders des mouvements sociaux. La Turquie n'en est qu'un exemple parmi d'autres, comme le montre ce faux plateau de Monopoly, où toutes les cases mènent en prison, brandi comme une pancarte lors d'une manifestation.
• Faire pression en faveur de la guerre : alors que le mouvement syndical se dresse depuis longtemps comme un défenseur de la paix et un opposant à la militarisation, le sort d'industries entières dépend de l'accumulation et du déploiement d'armements et de forces militaires. La guerre est désormais un modèle économique dans lequel les milliardaires investissent massivement.
Cependant, les citoyens ordinaires savent reconnaître une ruse lorsqu'ils en voient une (Les gens : « Personne n'y gagne avec le carnage de la guerre ». L'industrie militaire : 😏). Et alors que les tambours de guerre résonnent de plus en plus fort dans les pays occidentaux, les politiciens modifient leurs priorités en matière de dépenses, menaçant de réduire des programmes publics durement acquis pour financer la militarisation.
Ainsi, les créateurs de mèmes d'Europe créent des images comme celles-ci pour rendre les choix clairs :
• Ignorer les règles – les lois, les élections, les tribunaux : ce coup d'État des milliardaires contre la démocratie favorise la résurgence du pouvoir exécutif et de l'autoritarisme. Les institutions parallèles censées servir de garde-fou contre le pouvoir absolutiste sont fréquemment prises pour cible. Les élections sont systématiquement truquées. Les tribunaux sont invariablement partiaux. Les lois et les droits deviennent des obstacles. Une fois de plus, le peuple voit les choses pour ce qu'elles sont :
Quand bien même les États-Unis comptent un nombre disproportionné de milliardaires et que le nouveau gouvernement du pays monopolise l'attention mondiale, ce n'est pas le seul pays où des humoristes se livrent quotidiennement à des critiques acerbes à l'encontre de dirigeants qui enfreignent la loi. En Argentine, le président Javier Milei est empêtré dans un scandale lié à la promotion de la cryptomonnaie « Libra », laquelle s'est finalement effondrée, entraînant des pertes estimées à plusieurs millions de dollars pour les acheteurs qui avaient suivi ses recommandations.
• Faire en sorte que tout semble nécessaire : « Ne jamais laisser passer l'aubaine d'une bonne crise » est depuis longtemps la devise des régimes autoritaires. L'abus des pouvoirs d'urgence pour contourner les lois et les droits humains n'a fait que s'intensifier ces dernières années. Ce mème l'explique mieux que ne le ferait une dissertation de 2.000 mots : « S'ils peuvent suspendre vos droits à cause d'un état d'urgence, alors ils continueront à provoquer ces états d'urgence ».
Quels enseignements tirer de toute cette création de contenu en ligne ?
Le « Manuel du coup d'État milliardaire » n'a pas grand-chose à apprendre aux travailleurs du monde. Ceux-ci savent, en effet, clairement distinguer le lien entre les élites fortunées et les abus de pouvoir autoritaires perpétrés par l'extrême droite. Et pour dénoncer cette situation en des termes clairs et simples, ils n'hésitent pas à faire appel à l'humour et à la culture populaire.
Aussi, le défi qui attend les syndicats et leurs alliés consistera-t-il à organiser, à motiver et à mobiliser cette conscience collective pour transformer celle-ci en une action collective efficace. De telles campagnes s'élaborent dans un premier temps à travers des discussions entre les travailleurs et au sein des groupes dans lesquels ils s'organisent. Si ces campagnes sont sérieuses, la lutte de longue haleine pour les mener à bien repose en grande partie sur la camaraderie, la solidarité et même l'humour qui unissent collègues, amis et voisins.
Comme l'a si bien dit l'écrivain américain Mark Twain : « Rien ne peut résister à l'assaut du rire. »
29.04.2025 à 12:22
Pour la plupart des gens, la journée de travail commence par les rituels quotidiens : se lever, s'organiser et affronter les embouteillages ou les transports en commun pour se rendre au travail. Mais, pour Felisa Alí Ramos, représentante du réseau Vida Independiente Bolivia (Revibo), la journée démarre avec un défi supplémentaire. Elle dépend d'un fauteuil roulant pour se déplacer.
La difficulté ne se limite pas seulement à son accès au travail mais conditionne aussi, en grande partie, son (…)
Pour la plupart des gens, la journée de travail commence par les rituels quotidiens : se lever, s'organiser et affronter les embouteillages ou les transports en commun pour se rendre au travail. Mais, pour Felisa Alí Ramos, représentante du réseau Vida Independiente Bolivia (Revibo), la journée démarre avec un défi supplémentaire. Elle dépend d'un fauteuil roulant pour se déplacer.
La difficulté ne se limite pas seulement à son accès au travail mais conditionne aussi, en grande partie, son expérience au jour le jour. En arrivant au bureau, Felisa doit non seulement s'acquitter de ses responsabilités professionnelles, mais elle doit également s'assurer que son environnement est accessible et adapté à ses besoins.
« Quand j'ai eu mon accident, ma vie a complètement basculé [...]. Pendant des années, j'ai perdu l'envie de vivre, mais les difficultés matérielles au sein de mon ménage m'ont décidée à aller de l'avant », confie-t-elle depuis son bureau, au siège du réseau Revibo, d'où elle mène son combat pour une véritable inclusion professionnelle des personnes en situation de handicap dans son pays.
Malgré certaines avancées législatives en Amérique latine, les personnes handicapées continuent à faire face à d'importantes inégalités en matière d'emploi. L'accès à un emploi décent et à des conditions de travail équitables relève d'une lutte permanente. Pour Felisa, la difficulté n'était pas seulement d'ordre physique, mais aussi social. La discrimination, l'ignorance et le manque d'aménagements constituaient des obstacles invisibles mais bien réels.
« [Je me souviens] que lorsque j'ai postulé pour un emploi auprès d'une collègue, son attention s'est portée davantage sur mon fauteuil roulant que sur ma formation universitaire. Cela m'a profondément blessée. Au fond de moi, je me suis dit : “Non, je peux y arriver, et je vais créer mon propre emploi” », raconte-t-elle.
Avant l'accident, Felisa avait suivi une formation d'assistante sociale et, malgré les difficultés, elle ne s'est pas laissée décourager par les barrières physiques. Son récit met toutefois en lumière une réalité beaucoup plus complexe : la discrimination à laquelle font face les personnes en situation de handicap ne se reflète pas seulement dans les barrières physiques, mais aussi dans les regards, le manque d'empathie et les préjugés, qui sont souvent invisibles pour les personnes qui ne vivent pas cette réalité.
Selon les données recueillies par la Commission économique pour l'Amérique latine et les Caraïbes (CEPALC), les personnes handicapées représentent 15 % de la population mondiale, soit près d'un milliard de personnes. En Amérique latine, quelque 85 millions de personnes vivent avec un handicap, si l'on tient compte des handicaps liés au vieillissement. Selon la Banque interaméricaine de développement (BID), compte tenu du « vieillissement accéléré de la population au niveau de la région », ce chiffre pourrait atteindre 150 millions d'ici 2050.
Dans le monde du travail, malgré une prise de conscience accrue de l'importance de l'inclusion ces dernières années, les écarts restent considérables. Les personnes en situation de handicap sont plus susceptibles de connaître le chômage. Parallèlement, dans de nombreux pays de la région, les taux de scolarisation des personnes de cette catégorie sont considérablement plus faibles. De fait, elles ont au moins 20 % plus de probabilité que la population générale de ne pas étudier ni travailler. Cette brèche ne se limite pas à l'accès à l'emploi, mais reflète aussi la façon dont ces personnes sont condamnées à un avenir prévisible, avec des perspectives limitées.
Stefan Tromel, spécialiste principal en matière de handicap à l'Organisation internationale du travail (OIT), souligne que les jeunes en situation de handicap sont confrontés à des taux de chômage beaucoup plus élevés que leurs pairs sans handicap. À cela s'ajoutent l'écart salarial lié au genre et le taux élevé de travail informel, qui sont encore plus prononcés pour les personnes de cette catégorie.« Voilà pourquoi notre message en faveur d'un travail digne et décent est si important. Il ne s'agit pas seulement d'avoir un emploi, mais de garantir que les personnes handicapées aient les mêmes chances d'accéder à des emplois de meilleure qualité et mieux rémunérés », souligne-t-il.
« Une statistique qui nous préoccupe particulièrement est que le taux de jeunes en situation de handicap qui ne sont ni employés, ni en formation, ni scolarisés est deux fois plus élevé que celui des jeunes sans handicap », ajoute M. Tromel, soulignant ainsi la profonde exclusion de ce groupe des systèmes d'emploi et d'éducation.
De plus, les obstacles à l'intégration professionnelle des personnes en situation de handicap sont divers et complexes. M. Tromel fait remarquer que ces obstacles vont au-delà de l'emploi proprement dit et englobent des problèmes d'accessibilité dans les transports publics, les bâtiments et même les sites web [monde numérique]. Il souligne aussi l'absence de systèmes de protection sociale adéquats et, dans certains cas, des problèmes légaux liés aux capacités juridiques. Tous ces facteurs ont une incidence directe sur l'insertion professionnelle de ces personnes.
Par ailleurs, beaucoup d'entreprises n'ont pas prévu les aménagements nécessaires pour garantir leur inclusion professionnelle sur un pied d'égalité, ce qui a pour conséquence de perpétuer leur exclusion. À cela s'ajoute l'absence de programmes de formation professionnelle adaptés aux besoins spécifiques des personnes en situation de handicap. La plupart de ces programmes, même s'ils existent, ne sont pas conçus selon des approches réalistes facilitant leur insertion effective sur le marché du travail. Comme a souligné M. Tromel lors de son entretien avec Equal Times : « Dans certains cas, les formations professionnelles s'adressent spécifiquement aux personnes handicapées qui, normalement, n'ont pas, pour ainsi dire, d'attente particulière quant à la possibilité que cela débouche sur un emploi [réel]. »
Víctor Hugo León Tenorio, membre de la Commission juridique du Réseau latino-américain des organisations non gouvernementales des personnes handicapées et de leurs familles (RIADIS), souligne aussi : « Malheureusement, le handicap tend à n'être associé qu'à l'utilisation du fauteuil roulant, alors qu'il existe différents types de handicap, chacun avec des besoins spécifiques qui nécessitent des adaptations au niveau de l'espace de travail, comme le langage des signes, JAWS et les sols tactiles, pour ne citer que quelques exemples. Mais cela peut bien sûr entraîner des coûts. D'autre part, il est un fait que beaucoup d'entreprises continuent de reléguer les personnes handicapées à des tâches telles que la réception téléphonique ou la conciergerie, ce qui exige de notre part un travail de sensibilisation continu. »
Ces dernières décennies, toutefois, les entreprises de la région ont commencé à reconnaître l'inclusion professionnelle des personnes handicapées non seulement comme une obligation éthique, mais aussi comme une stratégie clé pour améliorer la compétitivité, promouvoir des environnements plus inclusifs et résilients et, surtout, enrichir leur capital humain.
Fernando Carotta Derudder, codirecteur exécutif du Réseau des entreprises inclusives pour l'Argentine et l'Uruguay, souligne que ce réseau répond à un objectif clair : « Promouvoir un emploi décent pour les personnes handicapées ». Selon M. Carotta, cette initiative a vocation à réduire les taux de chômage et à fournir aux entreprises les outils nécessaires pour faciliter l'intégration professionnelle des personnes en situation de handicap. Il insiste sur le fait qu'il ne s'agit pas seulement de créer de nouvelles possibilités d'emploi, mais aussi de garantir à ces travailleurs l'accès à un développement professionnel dans des conditions d'égalité et d'équité. Cela, souligne-t-il, dépend en grande partie d'une formation et d'un apprentissage adéquats, facteurs clés pour leur pleine intégration dans le monde du travail.
Cependant, le processus d'intégration professionnelle n'est pas toujours simple. À ce propos, M. Carotta indique que le travail du réseau requiert une attention minutieuse à chaque étape du processus d'intégration. « Il y a lieu d'être très prudent à l'heure de répondre aux attentes des entreprises, car la moindre erreur à n'importe quelle étape peut leur faire changer d'avis et abandonner l'initiative », souligne-t-il. Il reconnaît que certaines entreprises ont amorcé des processus d'inclusion professionnelle, mais elles se sont heurtées à des difficultés qui ont compliqué la poursuite de ces processus à court ou à moyen terme.
« Le défi est de taille, et il est essentiel de bien préparer les équipes. Souvent, les processus d'insertion échouent parce que la personne [en situation de handicap] est affectée à un service où les responsables, les chefs, les supérieurs hiérarchiques et les collègues ne sont pas préparés à son arrivée. Et c'est là qu'il faut éliminer les stigmates et venir à bout des préjugés. [C'est pourquoi] la formation et la sensibilisation des équipes de travail sont fondamentales », a-t-il souligné.
L'une des principales difficultés auxquelles se heurtent les petites et moyennes entreprises tient au manque de ressources et de structures adaptées pour relever le défi de l'inclusion. M. Carotta précise que les multinationales sont avantagées, dans la mesure où elles disposent de ressources plus importantes et de structures plus développées.
Cependant, la clé réside dans la sensibilisation des entreprises, indépendamment de leur taille, au fait que l'inclusion n'est pas une faveur, mais une nécessité. Et pour cela, il est tout aussi important de travailler sur les processus d'inclusion que sur ceux d'adaptation.
M. Carotta avertit que la diversité ne doit pas être considérée uniquement comme un objectif quantitatif, mais aussi comme un objectif qualitatif. « Le principal défi, le talon d'Achille des entreprises, ne réside pas seulement dans la décision d'embaucher une personne en situation de handicap ou dans les processus qui précèdent cette décision, mais aussi dans le fait de s'assurer que cette personne puisse évoluer de la meilleure façon possible, au même titre que n'importe quel autre employé ».
« Une insertion professionnelle véritable implique que la personne soit accompagnée et qu'elle puisse rester durablement dans l'entreprise », a-t-il indiqué.
Felisa, qui a vécu dans sa propre chair les défis de son parcours professionnel, attire l'attention sur le fait qu'il est essentiel pour les entreprises de créer un environnement dans lequel les personnes en situation de handicap aient, non seulement, la possibilité de travailler, mais où elles se sentent aussi véritablement valorisées. « Et c'est souvent ce qui manque : qu'on vous considère au-delà de votre handicap, qu'on vous reconnaisse comme un être humain doté de capacités et de compétences », explique-t-elle.
Son point de vue rejoint celui de M. Carotta, qui souligne qu'une véritable inclusion n'est atteinte qu'à partir du moment où les entreprises reconnaissent les personnes handicapées comme des « travailleurs dotés de capacités » et non comme une contrainte sociale. Pour lui, l'inclusion implique un changement culturel en profondeur au sein des entreprises, en particulier dans leurs relations internes. À ce titre, il souligne que, même dans des environnements diversifiés, des attitudes discriminatoires persistent, telles que la surprotection des collègues, ce qui constitue un obstacle supplémentaire à surmonter.
« Nous nous trouvons face à un dilemme : d'un côté, il y a la surprotection qui freine le développement, et de l'autre, l'abandon total, qui ne nous laisse aucune chance de progresser. Aucun de ces extrêmes ne facilite les choses », ajoute Felisa.
« Nous nous trouvons face à une problématique complexe », explique M. Tromel, en référence au défi que représente le changement des perceptions sur le potentiel des personnes handicapées. Les préjugés pèsent encore lourdement et limitent leurs chances, et malgré certaines avancées législatives, leur faible application perpétue l'exclusion. « La plupart de ces lois ne sont pas correctement appliquées, ce qui fait que de nombreuses personnes en situation de handicap restent prises au piège de la pauvreté », avertit-il.
Progresser vers l'égalité et le travail décent « pour tous, y compris les personnes en situation de handicap, nécessite une approche transversale qui se base sur la reconnaissance et la prise en compte des multiples formes d'exclusion ». La classe travailleuse est composée d'une diversité d'identités et de réalités qui doivent également être représentées au sein du mouvement syndical. L'inclusion des personnes en situation de handicap implique de promouvoir l'accessibilité, de fournir une formation adaptée et de garantir une communication inclusive, le tout dans une perspective de droits humains et de solidarité », précise Nallely Domínguez, secrétaire chargée des politiques sociales de la Confédération syndicale des travailleuses et travailleurs des Amériques (CSA).
Quant à l'avenir, le spécialiste principal de l'OIT insiste sur l'importance de préparer les personnes en situation de handicap aux secteurs émergents tels que l'économie verte et numérique, qui sont en train de transformer le marché du travail. « Si nous tenons à ce que l'avenir du marché du travail soit plus inclusif, nous devons déployer des efforts explicites afin d'assurer que les personnes en situation de handicap aient aussi accès aux compétences et aux emplois dans ces domaines numériques et verts », a-t-il conclu.