LePartisan.info À propos Podcasts Fil web Écologie Blogs Revues MÉDIAS
Observatoire des multinationales
Souscrire à ce flux

Accès libre Publié par l’association Alter-médias / Basta !

▸ les 10 dernières parutions

12.09.2025 à 07:30

Au centre du jeu bruxellois, l'extrême droite sonne la charge contre l'écologie et le climat

Barnabé Binctin

Au Parlement européen, les députés RN et leurs alliés ont noué une alliance de fait avec la droite pour saborder les régulations et les objectifs du Pacte vert. Et ne rechignent pas – à rebours de leurs discours en France – à faire les yeux doux aux industriels et aux lobbys patronaux.
Ils n'avaient peut-être pas rêvé plus beau cadeau d'anniversaire. Fondé officiellement le 8 juillet 2024 à l'issue des élections européennes, le groupe des Patriotes pour l'Europe (PfE), présidé par (…)

- FAF40. Enquêtes sur l'extrême droite, les grandes fortunes et les milieux d'affaires / , , , ,
Texte intégral (4932 mots)

Au Parlement européen, les députés RN et leurs alliés ont noué une alliance de fait avec la droite pour saborder les régulations et les objectifs du Pacte vert. Et ne rechignent pas – à rebours de leurs discours en France – à faire les yeux doux aux industriels et aux lobbys patronaux.

Ils n'avaient peut-être pas rêvé plus beau cadeau d'anniversaire. Fondé officiellement le 8 juillet 2024 à l'issue des élections européennes, le groupe des Patriotes pour l'Europe (PfE), présidé par l'eurodéputé du Rassemblement national Jordan Bardella, s'est vu offrir, un an plus tard à la surprise générale le poste stratégique de rapporteur sur la loi climat 2040, censée garantir l'objectif de 90% de réduction des émissions de gaz à effet de serre à cet horizon. « Pompier pyromane », « loup dans la bergerie », « balle dans le pied » : les métaphores ont presque fini par manquer pour dénoncer l'invraisemblable scénario qui s'est joué à Strasbourg le 8 juillet dernier. « On a tout simplement confié l'un des textes climatiques les plus importants de l'Union européenne pour les années à venir aux mains des fossoyeurs de l'écologie », résume l'eurodéputée écologiste Marie Toussaint.

Jordan Bardella lui-même n'en a pas fait mystère : il s'est dit « résolument opposé » à cet objectif des 90% en 2040. Dans un communiqué de presse, le RN et ses alliés européens affichent clairement leurs intentions : « une véritable refonte de la politique climatique de l'Union » par rapport à sa trajectoire actuelle, « dictée par une idéologie qui méprise les réalités économiques, les intérêts nationaux et la voix des peuples ».

Le grand principe du cordon sanitaire est rompu pour de bon, et l'écologie semble devenue le bouc-émissaire idéal pour cette nouvelle alliance entre la droite et l'extrême-droite.

Pour la première fois dans l'histoire du Parlement européen, l'extrême droite se retrouve ainsi aux manettes pour piloter un dossier clé en matière d'écologie. Quelques jours auparavant, c'était le groupe des Conservateurs et réformistes européens (ECR), emmené par le parti post-fasciste Fratelli d'Italia de Giorgia Meloni, qui avait obtenu un autre rapport sur l'immigration. Ces coups de force n'ont été rendus possibles que par l'assentiment du Parti populaire européen (PPE), la toute première force politique de l'hémicycle, dirigé par l'allemand Manfred Weber. Et si ce dernier continue à nier officiellement tout pacte avec l'extrême droite, les faits sont têtus : la droite européenne a bel et bien fait le jeu du groupe PfE – d'abord en ne désignant pas de candidat au fameux poste de rapporteur et en laissant ainsi le champ libre à Bardella et consorts, puis en votant contre la « procédure d'urgence » engagée le lendemain par l'opposition [1] (manœuvre qui aurait, en substance, privé le rapporteur de son pouvoir). Un « inimaginable renversement institutionnel au sein de l'Union », estime Marie Toussaint, qui tire deux principaux enseignements de la séquence : « D'une part, le grand principe du cordon sanitaire est rompu pour de bon, et d'autre part, l'écologie semble devenue le bouc-émissaire idéal pour cette nouvelle alliance entre la droite et l'extrême-droite. »

Une année de « backlash » anti-écologie

Cet épisode ne fait que parachever une première année de mandature européenne placée sous le signe d'un véritable backlash écologique et climatique. À l'automne 2024, le report d'un an de la loi contre la déforestation importée en Europe [2], approuvé de concert par la droite et l'extrême droite, avait annoncé la couleur. Une sorte d'échauffement avant la grande œuvre amorcée depuis le début de l'année 2025 : le détricotage tous azimuts du Pacte vert ou « Green Deal » européen, cet ensemble de mesures adoptées par la précédente Commission visant à atteindre la neutralité carbone de l'Union européenne d'ici 2050.

En janvier, Jordan Bardella se fendait d'une lettre adressée aux deux autres groupes d'extrême droite et au PPE pour former une coalition afin de suspendre temporairement le Pacte vert. Si l'offre n'a jamais été officiellement acceptée par les conservateurs, elle n'a pas tardé à se matérialiser dans les faits.

Le 28 janvier, Jordan Bardella se fendait d'une lettre adressée aux deux autres groupes d'extrême-droite – ECR, ainsi que l'Europe des Nations Souveraines (ESN), groupe formé en majorité des eurodéputés du parti allemand de l'AfD – mais aussi au PPE, pour leur proposer d'unir leurs forces et former ensemble une coalition afin de « suspendre temporairement le Pacte vert ». Si l'offre n'a jamais été officiellement acceptée par les conservateurs, elle n'a pas tardé à se matérialiser dans les faits. En avril, ces partis se sont rassemblés pour voter le report de l'entrée en vigueur de plusieurs textes importants du Pacte vert, dont celui sur le devoir de vigilance (dit CSDDD), qui vise à prévenir et réparer les atteintes aux droits humains et à l'environnement commises par les multinationales. Autre dispositif phare du Pacte vert ajourné : l'obligation de reporting en matière de durabilité pour les entreprises (dit CSRD).

Lors des débats organisés à Strasbourg à ce sujet, l'eurodéputée RN Julie Rechagneux résumait ainsi la ligne de son groupe, en critiquant l'excès de normes et la « logique bureaucratique » du Pacte vert : « Qui peut croire que l'on sauvera l'industrie européenne avec des formulaires ? (...) Aujourd'hui, la mise en conformité coûte 3 à 4 % du PIB, et une entreprise européenne dépense 2,5 fois plus en formalités qu'une entreprise américaine. L'éléphant dans la pièce, c'est ce bloc de réglementations vertes, qui nous prive de croissance. »

Depuis, les mêmes flèches ont été adressées à la directive dite « anti-greenwashing », qui entend lutter contre l'écoblanchiment en obligeant les entreprises à faire vérifier par un organisme tiers indépendant la véracité de leurs allégations environnementales avant la mise sur le marché d'un produit. Le retrait pur et simple du texte aurait ainsi été réclamé, fin juin, par trois lettres envoyées simultanément à la Commission européenne par les groupes PPE, ECR et PfE. Dans les prochains mois, d'autres textes importants, tels que l'interdiction des voitures thermiques en 2035, la règlementation sur les produits toxiques ou bien encore le Pacte pour une industrie propre pourraient faire les frais de l'alliance de fait entre droite et extrême droite au Parlement.

Retarder plutôt que nier : la nouvelle stratégie climatique de l'extrême-droite

Interrogée par l'Observatoire, l'eurodéputée Mathilde Androuët, l'une des plus actives – si ce n'est la seule – sur les questions environnementales du côté du RN au Parlement, assume cette entreprise de « dégraissage » du Green Deal : « La hiérarchie est claire : nous, on pense qu'il y a une urgence économique avant qu'il y ait une urgence climatique. On partage les objectifs de décarbonation et d'amélioration de nos environnements de vie, mais pas la manière dont on s'y prend. La philosophie, c'est de ne pas faire mourir nos industries, l'environnement ne doit pas être une contrainte. »

Ces antiennes illustreraient une nouvelle stratégie de l'extrême-droite en matière de lutte contre le changement climatique, conceptualisée par une équipe de chercheurs européens sous le terme de « discourses of climate delay » (« discours de retardement de l'action climatique »). « Désormais, l'existence du changement climatique n'est plus directement remise en cause, mais on tente plutôt de décourager l'action climatique, en soulignant par exemple que d'autres polluent davantage, qu'il existe des solutions technologiques ou que les politiques climatiques sont inefficaces, trop coûteuses ou perdues d'avance », explique William Lamb, le coordinateur de ces travaux qui mettent en exergue une liste de douze catégories d'excuses justifiant l'inaction climatique [3].

Des nuances qui restent somme toute bien dérisoires pour Pascal Canfin, eurodéputé Renew et artisan du Green Deal, lorsqu'il présidait la commission ENVI sous le mandat précédent : « C'est peut-être moins du climato-scepticisme à l'état brut que de l'‘obstructionnisme', mais cela revient au même in fine : retarder, et si possible, supprimer chaque mesure visant à lutter contre le changement climatique. »

Des formes de climatoscepticisme « ordinaire » refont d'ailleurs régulièrement surface. Ainsi, le 20 janvier 2025, l'eurodéputé RN Gilles Pennelle commençait-il de la sorte son intervention dans le cadre d'un débat portant sur les actions à entreprendre pour lutter contre le réchauffement climatique, à la suite des records de chaleur observé au cours de l'année 2024 : « Monsieur le Président, les changements climatiques existent, ils ont toujours existé (sic). Par contre, ce qui est inacceptable, c'est ce catastrophisme climatique des Khmers verts, parce qu'il permet de justifier des tsunamis de contraintes, de normes, de règlements qui pénalisent l'économie de l'Union européenne. »

« On veut tuer le Green Deal, mais si vous pouviez être l'assassin… »

Les planètes se sont alignées pour ouvrir grande la fenêtre d'Overton de l'écolo-bashing.

Cette stratégie obstructionniste est loin d'être l'apanage de la seule extrême droite, comme le souligne volontiers Mathilde Androuët : « Regardez les dernières prises de position d'Emmanuel Macron, sur le devoir de vigilance par exemple [4] : tout le monde est en train de se rendre compte que l'on a fixé des objectifs intenables dans le temps imparti – ou alors, à quel prix ! S'il y a une révolution, elle ne se trouve pas tant chez nous qu'au PPE. En façade, cela reste difficile pour eux d'assumer le détricotage du Green Deal, qui reste le bébé de von der Leyen. Mais dans les couloirs, certains nous le disent très clairement : 'On veut tuer le Green Deal, mais on ne veut pas porter le chapeau, donc si vous pouviez être l'assassin, ça nous arrangerait !' »

De fait, la véritable bascule s'observe du côté des conservateurs. Lors de la précédente mandature, ceux-ci avaient travaillé de concert avec les autres groupes – Renew, S&D, Greens – pour bâtir le Pacte vert. La présidente de la Commission Ursula von der Leyen, elle-même issue des rangs du PPE, en avait fait un enjeu de premier plan. Mais la donne a changé, constate le politologue Théodore Tallent, doctorant au Centre d'études européennes et de politique comparée de Sciences Po : « L'écologie est en train de re-devenir un très fort objet de conflictualité politique, là où son enjeu faisait globalement consensus, y compris chez les conservateurs. Jusqu'à récemment encore, de la même manière que pour le chômage ou la criminalité, tout le monde s'accordait à dire qu'il fallait prendre le problème à bras-le-corps, quand bien même les réponses à y apporter ne sont pas les mêmes. Désormais, de plus en plus de voix s'élèvent, au sein de la droite européenne et à l'unisson avec l'extrême-droite, pour remettre en cause toutes ces régulations environnementales, au prétexte qu'elles sont injustes pour les industriels, les agriculteurs, les citoyens. »

En cause, une conjoncture particulièrement défavorable sur les plans économique (inflation) et géopolitique (guerre en Ukraine, victoire de Donald Trump), qui a relégué les enjeux écologiques à l'arrière-plan. Dans un tel contexte, les efforts exigés par la mise en œuvre des premières grandes mesures de transformation de nos modèles productifs passent plus difficilement, estime Pascal Canfin : « Jusqu'à présent, l'extrême droite ne faisait pas de l'anti-écologie un élément constitutif de son identité politique pour la simple et bonne raison qu'elle n'en voyait pas encore les effets. En Europe, on n'avait pas encore amorcé la véritable transition sur les moteurs thermiques, ni changé les règles de la PAC ; en France, on n'avait pas encore mis en place les ZFE [zones à faibles émissions], ou les ZAN [zéro artificialisation nette]… »

Sur l'Ukraine ou sur plein d'autres sujets, cela reste encore difficile d'imaginer voir voter ensemble le PPE et l'extrême-droite. Mais sur le climat, on voit leurs discours se rapprocher.

Les planètes se sont alignées pour ouvrir grande la fenêtre d'Overton de l'écolo-bashing. La forte poussée électorale de l'extrême droite lors du scrutin en juin 2024 lui offre plus de latitude pour polariser les débats, en même temps qu'un rôle tout nouveau au cœur du jeu politique. Avec 85 députés, les Patriotes pour l'Europe (PfE) constituent aujourd'hui le troisième groupe politique de l'hémicycle et se découvrent « une capacité de peser et d'influer par nos voix sur le vote final », reconnaissait lui-même le président du groupe, Jordan Bardella, le 18 juin dernier à Strasbourg. Il en va de même pour le groupe ECR, quatrième force politique du Parlement (avec 78 eurodéputés dont une forte délégation du parti de Giorgia Meloni), qui entend désormais incarner un partenaire « raisonnable », au centre du jeu institutionnel à Bruxelles. « Désormais, le PPE est sous la pression de l'extrême droite, qui sait parfaitement manoeuvrer pour le mettre en situation inconfortable », témoigne de l'intéreur Philippe Lamberts, ancien eurodéputé des Verts devenu conseiller d'Ursula Von der Leyen sur tous les enjeux relatifs au Green Deal.

Si les trois groupes d'extrême-droite ne sont pas parvenus à s'unir, pour des raisons autant idéologiques que de leadership, pour la première fois ils peuvent obtenir des majorités parlementaires en s'alliant avec le PPE. « Sur l'Ukraine ou sur plein d'autres sujets, cela reste encore difficile d'imaginer voir voter ensemble le PPE et l'extrême-droite. Mais sur le climat, on voit leurs discours se rapprocher », observe Pascal Canfin.

Soutenez l'Observatoire

Parce que le débat démocratique mérite mieux que la com' du CAC 40.

Faites un don

« L'extrême-droite sait qu'elle n'est jamais arrivée au pouvoir sans alliance avec le grand patronat »

Et s'il y en a qui n'ont pas manqué de remarquer ce changement structurel dans les rapports de forces au Parlement européen, ce sont évidemment ces acteurs clés de la scène bruxelloise que sont les lobbys. Mathilde Androuët l'a constaté d'elle-même : « Au Rassemblement national, on a vraiment ressenti une différence à l'été 2024, après notre victoire aux élections européennes puis l'élection de 126 députés à l'Assemblée nationale, dans la foulée. On sent qu'on est devenu un interlocuteur important aux yeux des représentations professionnelles, qui veulent travailler avec nous. Le Parlement européen est un univers ultra-concurrentiel de lobbys en tout genre, et on y a forcément plus de poids dès lors que l'on devient faiseur de roi sur certains sujets… »

En contradiction totale avec ses discours en France, où Marine Le Pen n'a de cesse de dénoncer le poids des lobbys bruxellois, les eurodéputés du RN ne se privent pas d'ouvrir leurs portes aux représentants d'entreprises ou de fédérations patronales. Exemple avec Pascale Piera, nommée en avril rapportrice fictive en charge des négociations sur les directives CSRD et CSDDD pour le groupe des Patriotes. Dans le cadre de cette mission, la députée ne renseigne que quatre rendez-vous avec des représentants d'intérêts privés sur sa page officielle, en mai et juin dernier. Parmi lesquels une rencontre avec TotalEnergies, une autre avec l'International Association of Oil & Gas Producers Europe – un lobby des énergies fossiles particulièrement actif sur les politiques environnementales européennes –, et une autre encore avec Nove, une agence de relations publiques qui travaille pour de grosses entreprises pétrolières [5] (la dernière réunion étant avec l'European Council of Shopping Places, le lobby des centres commerciaux). « Pas vraiment les entreprises les plus réputées pour porter la voix du climat », euphémise Olivier Guérin, chargé de plaidoyer sur la règlementation européenne au sein de l'ONG Reclaim Finance.

Dès le mois de mars, l'ONG avait alerté sur la « capture » de la directive Omnibus (nom donné au paquet de propositions règlementaires européennes visant la simplification de plusieurs textes dont la CSRD et la CSDDD) par les lobbys, en constatant « une très forte similarité entre son contenu [conçu par la Commission européenne] et les souhaits des lobbys industriels », pointant notamment un « copier-coller » de certaines demandes émanant de groupes comme le MEDEF, la Fédération bancaire française ou Business Europe [6]. Lors de l'examen de cette proposition au Parlement, les eurodéputés d'extrême droite sont allés encore plus loin dans le même sens, observe Olivier Guérin : « En élevant les seuils d'application de ces mesures à des niveaux délirants qui excluent de fait la majorité des entreprises européennes, ou en demandant tout bonnement l'abrogation pure et simple des mesures de reporting et du devoir de vigilance, les amendements de l'extrême droite ont repris les grandes antiennes des lobbys sur le sujet, en utilisant souvent les mêmes registres d'argument. »

Rien de bien nouveau, certes : lors de la précédente mandature, l'extrême porosité du Rassemblement national aux intérêts des grands groupes industriels avait été démontrée de façon implacable par l'équipe de contre-lobbyistes de Jevotelobby.fr, un site internet lancé au printemps 2024, qui révélait plusieurs cas concrets où le RN s'était ainsi aligné avec les intérêts de Total, McDonalds, ou Monsanto.

Peut-on pour autant dire que les votes du RN à Bruxelles sont directement inspirées par les lobbys ? « L'extrême-droite n'a pas vraiment besoin de conseils pour se montrer anti-écolo, tempère Hans Van Scharen, chercheur au Corporate Europe Observatory (CEO). Au niveau européen, elle partage l'agenda néolibéral de Business Europe dans les très grandes largeurs. C'est là tout le succès de la grande magouille politique de quelqu'un comme Marine Le Pen : en France, elle arrive à se faire passer pour une défenseuse du peuple, attachée aux politiques sociales, alors que dans les faits, l'extrême-droite défend le système actuel, avec son ordre industriel puissant. »

En France, Marine Le Pen arrive à se faire passer pour une défenseuse du peuple, alors que dans les faits, l'extrême-droite défend le système actuel, avec son ordre industriel puissant.

Aux premiers postes depuis le Parlement européen, Pascal Canfin livre sa grille de lecture : « L'écologie offre à l'extrême droite un bouc-émissaire idéal pour reproduire sa grille de lecture favorite, celle du populisme. Elle surfe sur la colère et le mécontentement du ‘on ne peut plus rien faire', avec cette idée d'un clivage entre une élite qui impose ses normes au peuple. Les extrêmes-droites excellent à se faire aujourd'hui passer pour les grandes défenseuses de la liberté. C'est aussi une stratégie électorale : ça leur permet de parler aux petits patrons, aux artisans et commerçants, aux agriculteurs, etc. Mais ce discours anti-normes, autour de l'idée de simplification, n'est pas un registre propre à l'extrême droite, cela rejoint aussi le logiciel de la droite traditionnelle et libérale, avec qui elle cherche à entrer en compétition électorale. L'extrême droite est devenue beaucoup plus pro-business et pro-libérale qu'elle ne l'était avant – en France, Bardella est beaucoup plus proche de la droite classique sur ces questions-là que ne l'est Marine Le Pen, par exemple. C'est aussi parce que l'extrême-droite sait qu'elle n'est jamais arrivée au pouvoir sans alliance avec le grand patronat. »

L'eurodéputé voit dans la nouvelle alliance à l'œuvre au Parlement européen les prémices d'une nouvelle « Internationale réactionnaire » : « anti-climat, anti-migrants, anti-woke : voilà les trois fondements principaux de cette nouvelle union des droites, sorte de trumpisme européen ». De fait, les dirigeants de l'extrême droite européenne affichent de plus en plus leur proximité avec leurs homologues américains, qui de leur côté, à l'instar du Heartland Institute, think tank pro-Trump, ciblent de plus en plus ouvertement les règles européennes et notamment la directive sur le devoir de vigilance [7]. Dans le cadre de l'accord annoncé par Ursula Von der Leyen et Donald Trump à Turnberry le 27 juillet dernier sur les droits de douane, la Commission se serait engagée à réexaminer une série de textes environnementaux, parmi lesquels la CSRD et la CSDDD mais aussi le règlement sur la déforestation ou le mécanisme sur l'ajustement carbone aux frontières. Hans van Scharen sonne l'alarme : « L'avalanche de dérégulations massives de toutes les protections sociales et écologiques sert le grand dessein de Trump, qui est désormais très clair : il veut faire de l'Union européenne une force politique fascisante comme le sont devenus les États-Unis. » Les eurodéputés RN et leurs alliés ne semblent que trop disposés à se mettre au service de ce projet.

Cette publication s'inscrit dans le cadre l'enquête transfrontalière « Du déni au retardement : comment l'extrême droite européenne s'adapte à la crise climatique » et a été réalisée avec le soutien du Journalismfund Europe.


[1] Lancée par le groupe des Verts européens, l'initiative était soutenue par les libéraux de Renew et les sociaux-démocrates (S&D).

[2] Ce règlement a pour but d'interdire la commercialisation, au sein de l'Union Européenne, de certains produits (cacao, café, soja, etc.) provenant de terres déboisées.

[3] Voir ces 12 registres de discours et l'intégralité de cette recherche, publiée en anglais dans la revue de l'Université de Cambridge.

[4] « La CS3D (devoir de vigilance, ndlr) et quelques autres régulations ne doivent pas être simplement repoussées d'un an, mais écartées », a déclaré le président de la République, le lundi 19 mai.

[5] Selon le registre de transparence européen, Nove déclare notamment collabore avec Exxon (pour 100 à 200 000 euros/an), l'International Association of Oil & Gas Producers Europe (pour la même fourchette) ou encore TotalEnergies (50 à 100 000 euros/an).

[6] Pour aller plus loin, lire l'analyse complète réalisée par Reclaim Finance, selon laquelle 70% des demandes du MEDEF auraient ainsi été obtenues.

[7] Voir à ce sujet l'édifiante enquête publiée par le média anglais DeSmog.

12.09.2025 à 06:00

Climat, responsabilité des multinationales, finance, social : l'Union européenne en pleine frénésie de dérégulation

Séverin Lahaye

Depuis la prise de fonctions de la nouvelle Commission fin 2024, l'Union européenne s'est embarquée dans un vaste programme de démantèlement de ses régulations écologiques, mais aussi sociales, financières ou encore numériques. Le tout sous les applaudissements de l'extrême droite et des lobbys industriels.
« Ce ne sont pas des lois de simplification, mais des lois de renoncements », dénonce Olivier Guérin, chargé de plaidoyer chez Reclaim Finance. Dans son viseur, la politique de (…)

- FAF40. Enquêtes sur l'extrême droite, les grandes fortunes et les milieux d'affaires / , , , , , ,
Texte intégral (3117 mots)

Depuis la prise de fonctions de la nouvelle Commission fin 2024, l'Union européenne s'est embarquée dans un vaste programme de démantèlement de ses régulations écologiques, mais aussi sociales, financières ou encore numériques. Le tout sous les applaudissements de l'extrême droite et des lobbys industriels.

« Ce ne sont pas des lois de simplification, mais des lois de renoncements », dénonce Olivier Guérin, chargé de plaidoyer chez Reclaim Finance. Dans son viseur, la politique de dérégulation menée par la nouvelle Commission européenne présidée par Ursula von der Leyen depuis le 1er décembre 2024. Droits sociaux, humains, environnementaux, numériques… Aucun secteur ne semble épargné.

Les directives dites « Omnibus » – un type de loi qui permet de modifier plusieurs textes existants en une seule fois – s'enchaînent. Elles sont déjà au nombre de six.

Les directives dites « Omnibus » – un type de loi qui permet de modifier plusieurs textes existants en une seule fois – s'enchaînent. Elles sont déjà au nombre de six au moment où nous publions cet article. La Commission s'est d'abord attaquée aux règles de transparence et de vigilance des entreprises, puis au commerce des petites et moyennes entreprises, aux règles encadrant l'investissement financier, à l'industrie militaire, à la production agricole et l'utilisation de produits chimiques. D'autres sont annoncées. Avec à chaque fois un objectif clair : simplifier le cadre normatif au maximum pour permettre aux entreprises de « faire des affaires plus facilement et plus rapidement en Europe ».

Deux directives sur la responsabilité des multinationales repoussées et réduites dans leur ambition

Les premières régulations à se retrouver dans le viseur ont été deux mesures phares du Plan vert, ou Green Deal : la CSRD (directive sur le reporting de durabilité des entreprises) et la CS3D (directive sur le devoir de vigilance des entreprises). La première oblige toutes les firmes de plus de 250 salariés à publier un rapport détaillant les conséquences de leurs activités sur l'environnement et la société. La seconde, quant à elle, leur impose de vérifier qu'elles n'entraînent pas, directement ou au niveau de leurs sous-traitants, d'atteintes aux droits humains ou à l'environnement.

Le 3 avril 2025, le Parlement européen, grâce à l'alliance entre les partis d'extrême droite et la droite, notamment le Parti populaire européen (PPE), dont est issue Ursula von der Leyen, a voté en faveur de la directive « Omnibus I ». Celle-ci repousse les dates respectives d'entrée en vigueur des deux législations. Surtout, elle réduit de façon drastique le périmètre de la CSRD : seules les entreprises de plus de 1 000 salariés sont dorénavant concernées par la directive, soit une réduction de 80 % de son champ d'application. Le texte prévoit aussi de limiter l'ambition de la CS3D : seuls les sous-traitants directs de l'entreprise devront justifier de leur bonne conduite, alors que la directive s'étendait auparavant à toute sa chaîne de valeur. Un changement que le CCFD-Terre solitaire qualifie de « désastre pour la transition climatique et la protection des droits humains et de l'environnement ».

Les règles environnementales fragilisées

La Commission européenne ne compte pas s'arrêter là. Sa proposition de réforme de la Politique agricole commune (PAC), publiée en mai 2025, prévoit « d'économiser jusqu'à 1,58 milliard d'euros par an » pour « stimuler la compétitivité des agriculteurs ». Ceci en supprimant certaines lois environnementales protégeant les zones humides et les tourbières, malgré leur rôle écologique majeur, tant au niveau climatique que de la biodiversité.

La Commission européenne ne compte pas s'arrêter là.

La Commission a également accordé aux États et aux entreprises plus de flexibilité dans la comptabilisation de leurs émissions de gaz à effet de serre, via sa proposition de modification de la loi européenne sur le climat. Publiée le 2 juillet dernier, celle-ci autorise l'utilisation de certains crédits carbone pour verdir leurs bilans. Malgré les nombreuses controverses autour de ce mécanisme, qui permet aux multinationales de continuer à polluer sans changer leur modèle de production, comme l'expliquait le média « Carbon Brief » en 2023.

Des régressions sur le plan social, sanitaire, financier et numérique

Autres domaines, autres régressions. Selon Politico, Ursula von der Leyen souhaite rediriger des milliards d'euros dédiés à la lutte contre la pauvreté vers l'industrie européenne à l'occasion du prochain cadre financier pluriannuel, un texte qui définit les dépenses de l'Union pour cinq ans. La Commission européenne a également supprimé de son programme de travail 2025 la « Directive horizontale anti-discrimination », qui garantit l'égalité des personnes indépendamment de leur religion, de leurs convictions, de leur handicap, de leur âge ou de leur orientation sexuelle.

Dans le cadre de sa proposition de loi Omnibus VI, présentée le 8 juillet 2025, elle compte assouplir les règles d'usage de certains produits chimiques, sous prétexte de relancer l'industrie chimique du vieux continent. « Différentes propositions visent à faciliter l'utilisation de substances cancérogènes, mutagènes ou reprotoxiques (CMR) dans les produits cosmétiques », dénoncent plusieurs associations de protection de la santé, comme Générations Futures.

La Commission prévoit d'assouplir les règles prudentielles que l'Union européenne avait mises en place après la crise financière de 2008

Le secteur financier n'est pas en reste : la Commission a dévoilé le 17 juin 2025 son plan de réforme du marché de l'épargne et de l'investissement, encore une fois au nom de la « compétitivité » des banques. Elle prévoit notamment d'assouplir les exigences appliquées aux fonds propres des banques, c'est-à-dire les réserves que celles-ci doivent maintenir en cas de pertes majeures. Des règles prudentielles que l'Union européenne avait mises en place après la crise financière de 2008, pour prévenir tout nouveau krach. L'organisation non gouvernementale (ONG) Finance Watch considère cette réforme comme un « précédent dangereux » qui « fragilise encore davantage les règles bancaires mondiales ».

Enfin, concernant le domaine du numérique, la Commission européenne veut modifier le Règlement général sur la protection des données (RGPD), en autorisant les entreprises de moins de 750 salariés (contre 250 actuellement) à ne plus documenter l'utilisation de leurs données numériques. « Cela pourrait conduire […] à une réouverture plus large du RGPD […] pour satisfaire la volonté des parties prenantes mécontentes de la loi actuelle, y compris les entreprises qui se sentent limitées par leurs obligations de respect des droits humains », s'inquiète l'European digital rights (EDRI), un réseau d'associations, experts et avocats, qui lutte pour la défense des droits numériques au niveau européen.

Une inquiétude légitime au vu des récentes attaques du président étatsunien Donald Trump contre les réglementations numériques qui discriminent selon lui les technologies américaines. Bien que non-citées, ce dernier vise en particulier deux législations européennes : le Digital Markets Act (DMA), qui régule les pratiques anticoncurrentielles des géants du Web, et le Digital Services Act (DSA), qui oblige les plateformes à modérer les contenus qu'elles hébergent.

Soutenez l'Observatoire

Parce que le débat démocratique mérite mieux que la com' du CAC 40.

Faites un don

Au nom de la « compétitivité »

Lors de son discours devant le Parlement européen le 18 juillet 2024, Ursula von der Leyen, alors simple candidate à sa réélection, avait érigé la « compétitivité » comme l'objectif phare de sa politique : « Les obstacles structurels à notre compétitivité demeurent trop nombreux. » Dans le document en ligne reprenant son discours, le terme « compétitivité » revient 23 fois en 41 pages. Le premier chapitre (10 pages) est entièrement consacré à cette thématique, loin devant les chapitres dédiés à sa politique sociale (4 pages) ou environnementale (2 pages et demie). Dans sa feuille de route intitulée « Une Europe plus simple et plus rapide », la Commission indique vouloir « renforcer la compétitivité de l'Union européenne […] dans le contexte actuel, instable et incertain. Cela nécessite un environnement juridique qui stimule les affaires et la croissance ».

« Il n'y a pas plus de débat, c'est presque du fanatisme à ce stade »

« La Commission privilégie la rentabilité économique à court-terme des entreprises, au lieu de les forcer à mettre en œuvre leur plan de transition écologique, juge Olivier Guérin. Le problème, c'est que plus on attend, plus on va le payer cher au niveau climatique. » Selon lui, cette stratégie de réduction de la charge administrative pesant sur les entreprises « n'est pas soutenable », bien que les membres du parti d'Ursula von der Leyen, le PPE, la défendent becs et ongles. « Il n'y a pas plus de débat, c'est presque du fanatisme à ce stade », se désole le chargé de plaidoyer à Reclaim Finance.

Derrière l'argument de la compétitivité se cache la patte des lobbys, selon Corporate Europe Observatory). L'association à but non lucratif, qui étudie l'influence des grandes entreprises sur la régulation européenne, établit un lien direct entre la politique menée par Ursula von der Leyen et les demandes que lui ont adressées en février 2024, quelques mois avant sa réélection, 73 chefs d'entreprise européens réunis à Anvers, en Belgique. Représentant près de 17 secteurs d'activité, ils lui ont remis à cette occasion une « Déclaration pour un accord industriel européen » dont l'article premier énonce : « Nous appelons à un plan d'action global pour élever la compétitivité en tant que priorité stratégique […]. Le plan d'action doit inclure des mesures visant à éliminer l'incohérence réglementaire, les objectifs contradictoires, la complexité inutile de la législation et le reporting abusif. » Dans la foulée, les représentants des grandes entreprises industrielles demandaient à la Commission de présenter au plus vite « une proposition omnibus pour prendre des mesures correctives sur tous les règlements européens existants pertinents ». Des demandes qui ont donc été largement satisfaites.

Bataille de lobbying contre le devoir de vigilance et les règles climatiques

Pour les industriels, c'est l'occasion rêvée de rejouer des batailles de lobbying qu'ils avaient partiellement perdues ces dernières années. En 2022, par exemple, le milieu des affaires européen, et notamment français, via l'Association française des entreprises privées (Afep), avait freiné des quatre fers pour éviter l'adoption de la loi sur le devoir de vigilance, comme nous l'avions montré lors d'une précédente enquête (lire La boîte noire de la France à Bruxelles). Les multinationales avaient multiplié les rendez-vous avec les représentants français à Bruxelles pour limiter au maximum la portée de cette nouvelle mesure, parfois au mépris des règles européennes encadrant le travail des lobbyistes [1]. Elles avaient réussi au final à atténuer considérablement la portée de cette législation, mais pas à empêcher son adoption. Mais la bataille est relancée.

Huit ONG ont déposé une plainte auprès de la Médiatrice européenne concernant le « caractère non démocratique, opaque et précipité du processus par lequel la Commission européenne a élaboré cette proposition Omnibus I, remettant en cause la CSRD et la CS3D

Huit organisations non gouvernementales (ONG) ont déposé une plainte auprès de la Médiatrice européenne, qui enquête sur les cas de mauvaise administration dans les institutions, concernant le « caractère non démocratique, opaque et précipité du processus par lequel la Commission européenne a élaboré cette proposition [de loi Omnibus I, remettant en cause la CSRD et la CS3D] ». Concrètement, elles l'accusent de ne pas avoir produit d'analyses d'impact environnemental et social avant de proposer son texte. Et surtout, elles lui reprochent d'avoir favorisé « des réunions à huis clos dominées par les intérêts de l'industrie pétrolière et gazière », au détriment des ONG et de la société civile.

« Depuis 2021, les groupes de lobbying des entreprises militent contre les réglementations européennes du Green Deal », confirme l'économiste Clément Fontan, spécialiste des politiques économiques européennes. Selon lui, les nouvelles normes de transparence imposées par l'Europe via son Plan vert ont semé la panique chez les multinationales. « Elles ont compris à ce moment que la prochaine étape consisterait à mettre en place des mesures punitives contre celles coupables d'atteintes aux droits environnementaux ou humains. »

Un système du « bâton et de la carotte », qui aurait limité les capacités de financement de certaines entreprises. « La Banque centrale européenne aurait pu ensuite demander aux banques nationales de rediriger leurs investissements vers les entreprises les plus soutenables. Et ça, les grands groupes pétro-gaziers, des transports ou de l'agroalimentaire par exemple, l'ont très bien compris », poursuit l'économiste.

Et depuis la percée de l'extrême-droite au sein du Parlement européen, mais aussi au niveau des pays membres, les lobbys économiques ont trouvé une oreille attentive à leurs demandes (lire Au centre du jeu bruxellois, l'extrême droite sonne la charge contre l'écologie et le climat). « La hantise de la Commission, c'est de voir ses propositions de loi déboutées par le Parlement ou le Conseil européen », explique Clément Fontan. Selon lui, le « backslash conservateur » auquel nous assistons s'explique par « le jeu d'échecs permanent » mené par la Commission, « qui tente de donner à manger à toutes les forces politiques ». Qui préfère donc se plier aux positions antiécologiques et pro-business défendues par les partis d'extrême droite, plutôt que d'assurer un avenir durable aux citoyennes et citoyens de l'Union européenne.


[1] Voir le rapport de plusieurs ONG à ce sujet.

11.09.2025 à 18:10

Pierre-Édouard Stérin restructure son empire et cible au passage le journaliste qui a révélé ses visées politiques

Olivier Blamangin, Olivier Petitjean

Durant l'été, le milliardaire Pierre-Édouard Stérin a créé une holding baptisée du nom du journaliste qui a révélé l'existence du projet Périclès, Thomas Lemahieu, où il a placé l'essentiel de sa fortune. Provocation, étalage de son sentiment d'impunité, ou hommage du vice à la vertu ?
Encore inconnu du grand public il y a quelques mois, l'homme d'affaires Pierre-Édouard Stérin est désormais au centre de l'attention médiatique. Propriétaire de Smartbox, Bongo et autres diffuseurs de (…)

- Actualités / , , , , ,
Texte intégral (806 mots)

Durant l'été, le milliardaire Pierre-Édouard Stérin a créé une holding baptisée du nom du journaliste qui a révélé l'existence du projet Périclès, Thomas Lemahieu, où il a placé l'essentiel de sa fortune. Provocation, étalage de son sentiment d'impunité, ou hommage du vice à la vertu ?

Encore inconnu du grand public il y a quelques mois, l'homme d'affaires Pierre-Édouard Stérin est désormais au centre de l'attention médiatique. Propriétaire de Smartbox, Bongo et autres diffuseurs de coffrets cadeaux, financeur éminent de tout le secteur de la tech française à travers son fonds d'investissement Otium, le milliardaire, exilé fiscal en Belgique, a mis sa fortune au service de l'extrême droite. Sur le plan culturel d'abord, en finançant une myriade d'associations traditionalistes et de causes conservatrices, mais aussi désormais sur le plan politique à travers le projet « Périclès », doté de 150 millions d'euros sur dix ans. L'objectif est explicitement la conquête du pouvoir, en commençant par les élections municipales de 2026.

Jusqu'ici, Pierre-Édouard Stérin contrôlait son empire économique via la société B.A.D. 21, elle aussi basée en Belgique, qu'il détenait à 100%. Mais il y a du changement dans l'air. Au beau milieu de l'été (l'acte est daté du 31 juillet 2025), il vient de transférer la presque totalité de sa fortune, 98,3 % des actions de B.A.D. 21, à une nouvelle holding créée pour l'occasion, ne gardant lui-même que 1, 7 % des parts en détention directe.

À la manière des milliardaires américains de la tech qui financent l'extrême droite, comme Elon Musk ou Peter Thiel (lire notre enquête), Pierre-Édouard Stérin aime donner à ses sociétés des noms provocateurs, à consonance antique ou chrétienne, ou à double sens. En l'occurrence, il a baptisé cette nouvelle entité où est désormais nichée l'essentiel de sa fortune « Lemahieu Holding », du nom de Thomas Lemahieu, le journaliste de L'Humanité qui a révélé, en juillet 2024, l'existence du projet Périclès ou, plus récemment, le lien entre le milliardaire activiste et le label « plus belles fêtes de France » [1].

Jeu de meccano

La propriété de Lemahieu Holding – elle aussi basée en Belgique – va-t-elle être transférée à une autre entité, comme une fondation ou un trust ? Cette création vise-t-elle à sécuriser le financement de ses « bonnes œuvres » en le séparant un peu plus de la personne de Pierre-Édouard Stérin et de sa famille ? En tout cas, le nom suggère clairement que l'opération est liée à la nouvelle notoriété de l'homme d'affaires et à ses ambitions politiques.

Les sommes en jeu sont considérables, puisque les 901 397 actions de B.A.D. 21 apportées à Lemahieu Holding sont valorisées à presque 1,4 milliard d'euros. Une estimation basée sur la valeur historique de l'ensemble des participations détenues directement ou indirectement par Pierre-Édouard Stérin via B.A.D. 21, qui serait sans doute encore supérieure si l'on se basait sur leur valeur de marché actuelle.

Depuis plusieurs années, le milliardaire annonce qu'il compte se délester un jour de sa fortune et la mettre au service de causes qu'il présente comme « humanitaires », mais qui reflètent surtout ses convictions chrétiennes et traditionalistes. À quoi sont venues s'ajouter plus récemment des visées plus spécifiquement politiques avec le projet Périclès. Pour porter ce dernier, le milliardaire a fondé en 2025 une autre société, séparée de B.A.D. 21, encore basée en Belgique, Graal Holding.

La création de Lemahieu Holding est une nouvelle étape dans ce jeu de meccano par lequel le milliardaire se met en ordre de bataille pour mener sa bataille culturelle et politique. Ce n'est probablement pas la dernière.


[1] Ce n'est peut-être pas un hasard que le nom Lemahieu, contraction de « Le Matthieu », signifie aussi « don de dieu ».

3 / 10
  GÉNÉRALISTES
Basta
Blast
L'Autre Quotidien
Alternatives Eco.
Le Canard Enchaîné
La Croix
Le Figaro
France 24
France-Culture
FTVI
HuffPost
L'Humanité
LCP / Public Senat
Le Media
Le Monde
Libération
Mediapart
La Tribune
 
  EUROPE ‧ RUSSIE
Courrier Europe Centrale
Desk-Russie
Euractiv
Euronews
Toute l'Europe
 
  Afrique du Nord ‧ Proche-Orient
Haaretz
Info Asie
Inkyfada
Jeune Afrique
Kurdistan au féminin
L'Orient - Le Jour
Orient XXI
Rojava I.C
 
  INTERNATIONAL
CADTM
Courrier International
Equaltimes
Global Voices
I.R.I.S
The New-York Times
 
  OSINT ‧ INVESTIGATION
OFF Investigation
OpenFacto°
Bellingcat
Disclose
Global.Inv.Journalism
 
  MÉDIAS D'OPINION
AOC
Au Poste
Cause Commune
CrimethInc.
Hors-Serie
L'Insoumission
Là-bas si j'y suis
Les Jours
LVSL
Médias Libres
Politis
Quartier Général
Rapports de force
Reflets
Reseau Bastille
Rézo
StreetPress
 
  OBSERVATOIRES
Armements
Acrimed
Catastrophes naturelles
Conspis
Culture
Curation IA
Extrême-droite
Human Rights
Inégalités
Information
Internet actu ✝
Justice fiscale
Liberté de création
Multinationales
Situationnisme
Sondages
Street-Médics
Routes de la Soie
🌓