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23.02.2025 à 16:46

Livre audio : que change l’arrivée de Spotify pour les éditeurs ?

Louis Wiart, Chaire de communication, Université Libre de Bruxelles (ULB)
Spotify se lance dans le livre audio : pourquoi les éditeurs y vont ?

Texte intégral 2139 mots
Le livre audio est difficilement rentable pour les petits éditeurs, « qui ne possèdent ni la profondeur de catalogue ni les best-sellers qui leur permettraient d’émerger ». JareddCraig/Unsplash, CC BY

Fin 2024, Spotify a lancé son offre de livres audio en France et au Benelux, après l’avoir déployée sur les marchés anglo-saxons. Les abonnés à la plateforme ont depuis accès à 200 000 titres, dont environ 15 000 en langue française, sans souscription supplémentaire. Si cette diversification permet à Spotify de mieux se différencier sur un marché du streaming musical très concurrentiel, on peut se demander ce que les éditeurs ont à y gagner.


Les principaux groupes éditoriaux français (Hachette, Éditis, Madrigall, Actes Sud…) participent à la nouvelle offre de Spotify. Ils affichent un optimisme qui contraste avec les griefs habituellement adressés au géant du streaming à propos de son modèle de revenus.

Dans la musique, Spotify propose à ses auditeurs une formule de consommation illimitée qui peine à rémunérer correctement les acteurs de la création. La rémunération s’effectue au prorata des parts de marché : un titulaire de droits est ainsi rétribué en fonction du pourcentage que représentent ses écoutes par rapport au total des écoutes générées sur la plateforme. Ce mode de répartition des revenus profite essentiellement aux artistes les plus écoutés, seuls capables de vivre de leur musique en ligne. Sur les plateformes de streaming comme Spotify, 1 % des artistes concentre 90 % des écoutes et donc de la rémunération.

Un tel modèle n’a pas été répliqué par Spotify dans le livre audio, où les éditeurs restent globalement frileux aux formules illimitées, en particulier en France. Ces dernières sont jugées peu compatibles avec leur modèle économique, qui suppose une rémunération fixe au titre. La production d’un livre audio est en effet particulièrement onéreuse en raison des différents métiers et moyens techniques mobilisés (techniciens du son, studio, comédiens, etc.).

L’amortissement de ces coûts n’est possible qu’en réalisant des ventes substantielles, dans un marché certes en plein essor depuis la fin des années 2010, mais encore limité : en France, le livre audio représente 2 à 3 % du marché du livre. C’est pour cette raison que les principaux éditeurs privilégient l’adaptation en format audio de livres à fort potentiel de vente et proposent des prix à l’unité relativement élevés, souvent compris entre 15 et 30 euros.

Les livres audio se trouvent également de plus en plus intégrés à des offres d’abonnement, qui ont permis d’accélérer le développement du marché : la moitié des audiolecteurs sont ainsi abonnés à au moins une plateforme de livre audio. C’est notamment le cas d’Audible, la filiale d’Amazon, qui domine jusqu’à présent le marché français avec une formule reposant sur le principe du « jeton », qui permet de choisir et d’écouter un livre chaque mois.

Un système de crédit-temps

Conscients de leur dépendance à Amazon et en quête de nouveaux débouchés, les éditeurs de livres audio entendent profiter de l’arrivée de Spotify pour poursuivre leur développement. La formule négociée avec la plateforme remplit deux conditions essentielles. La première est qu’elle n’est pas illimitée, mais repose sur un système de crédit-temps : pour un abonnement mensuel d’une dizaine d’euros, le temps d’écoute de livres audio est limité à douze heures. Si l’auditeur souhaite consommer davantage, il doit alors acheter des heures d’écoute supplémentaires.

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Déjà expérimenté dans le livre audio par la plateforme suédoise Storytel, le crédit-temps renoue avec une logique commerciale caractéristique des débuts d’Internet où l’on vend au consommateur du temps de connexion ou d’accès à un service. Pour les titulaires de droits, cette formule présente l’intérêt de ne pas dévaloriser symboliquement le livre audio et de préserver sa valeur en tant que bien culturel.

La seconde condition tient au fait que chaque titre est rémunéré sur une base fixe en fonction du nombre d’heures écoutées. Pour un livre donné, Spotify agrège l’ensemble des heures écoutées par les auditeurs afin d’obtenir un temps d’écoute global et de reconstituer une rémunération par titre. Un livre d’une durée de dix heures, par exemple, s’il a effectivement été écouté pendant dix heures par une ou plusieurs personnes, engendrera l’équivalent d’une écoute et sera rémunéré suivant le contrat que l’éditeur a négocié avec la plateforme. L’espoir des éditeurs est de pouvoir maintenir un prix du livre audio qui est au minimum supérieur à celui d’un livre de poche.

De l’effet découverte à l’effet volume

Si la formule impose une limite d’heures d’écoute, elle reste en revanche illimitée en ce qui concerne le choix. Autrement dit, un auditeur peut librement écouter plusieurs livres sur Spotify et passer de l’un à l’autre, tant qu’il respecte le quota horaire prévu dans son abonnement.

À la différence du système de jeton d’Amazon, dans lequel l’auditeur tend à se tourner vers des livres longs et connus pour rentabiliser le choix unique prévu dans son abonnement, celui du crédit-temps offre une plus grande flexibilité. Il pourrait ainsi favoriser la consommation de livres audio plus courts et plus confidentiels, mais aussi améliorer la « découvrabilité » du catalogue.

C’est du moins la promesse portée par Spotify, qui met également en avant la puissance de ses algorithmes pour aiguiller les auditeurs dans leurs choix. Les principaux éditeurs de livres audio y voient l’opportunité de mieux valoriser leur catalogue, en particulier leur « backlist », c’est-à-dire les titres de fonds.

Personne musant dans une bibliothèque
La formule proposée par Spotify permet de picorer dans un immense catalogue de livres. Darwin Vegher/Unsplash, CC BY

Les premiers retours en France indiquent cependant qu’aucun changement majeur n’a encore été observé dans la consommation : les titres les plus écoutés sur Spotify restent globalement les mêmes, en l’occurrence des best-sellers et des livres appartenant à des genres populaires tels que la romance, le polar, la science-fiction et le développement personnel. L’activité apparaît donc difficilement rentable pour les petits éditeurs, qui ne possèdent ni la profondeur de catalogue ni les best-sellers qui leur permettraient d’émerger.

Au-delà de cet « effet découverte », les éditeurs sont également à la recherche d’un « effet volume ». Spotify leur donne un accès facilité à des millions de consommateurs habitués à écouter des œuvres sonores en ligne (musique, podcasts) et pour lesquels les livres audio sont susceptibles de s’insérer dans leurs pratiques d’écoute. Sur les marchés anglo-saxons, Spotify a déjà constaté une nette hausse des heures d’écoute associée au lancement de l’offre de livres audio.

Le cœur de cible de la plateforme, constitué de jeunes adultes (18-34 ans) fortement connectés, coïncide en effet avec le profil des nouveaux audiolecteurs. Pour l’instant, la hausse des écoutes ne semble pas cannibaliser les ventes de livres audio effectuées sur d’autres plateformes. Selon l’institut Bookstat, le marché du livre audio a connu aux États-Unis une progression de 28 % au quatrième trimestre 2023 par rapport à l’année précédente, qui aurait été deux fois moindre sans Spotify. Une nouvelle clientèle se trouverait ainsi captée.

Une pérennité du modèle ?

Inscrite dans un contexte de croissance soutenue du marché du livre audio, l’arrivée de Spotify crée de nouvelles opportunités commerciales pour les éditeurs, qui accélèrent leurs investissements : augmentation du volume de production, création de nouveaux labels et collections… Les retombées attendues devraient être positives pour l’ensemble de l’écosystème du livre audio, y compris pour les prestataires comme les studios de production qui font déjà état de carnets de commandes bien remplis.

Comprenant 25 000 titres en langue française, le marché du livre audio s’est enrichi de 2 000 nouveautés en 2023. L’ouverture du marché par Spotify devrait permettre de nourrir un cercle vertueux, où le développement de l’offre accompagne celui des usages.

À court terme, le modèle économique des éditeurs semble préservé par le système de crédit-temps. Cependant, les coûts que cette formule fait supporter à Spotify sont importants. Si le géant du streaming accepte de tels investissements, c’est dans le but d’attirer les éditeurs, de les inciter à investir dans la production et à diffuser leur catalogue sur sa plateforme. Plus les usages se développeront, plus la formule deviendra coûteuse pour Spotify.

À long terme, il faut donc s’attendre à ce qu’un rapport de force émerge entre la plateforme et les maisons d’édition qui pourraient être poussées à accepter de nouvelles modalités commerciales fondées sur la consommation illimitée.

The Conversation

Louis Wiart ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

20.02.2025 à 16:58

Dans les années 1960, un hommage jazz à Malcolm X, entre révolte et spiritualité

Michael Shakib Bhatch, Lecturer of English. PhD Candidate in Afrofuturism and African Studies, University of the Western Cape
À l’occasion du 60e anniversaire de la mort de Malcolm X, retour sur l'hommage révolutionnaire rendu à l’époque par la musique jazz à ce pilier de la lutte pour les droits civiques.

Texte intégral 1459 mots

Il y a 60 ans, Malcolm X était assassiné. Face à la perte de l’un des piliers du mouvement des droits civiques, l’Amérique noire est alors majoritairement en deuil. Un artiste de jazz talentueux Leon Thomas compose alors une chanson révolutionnaire. Méconnue en France, celle-ci exprime la douleur mêlée d’espoir des Afro-Américains, tout en défiant le système raciste et en comparant un musulman étiqueté « ennemi de l’État » à Jésus-Christ. Un hommage musical qui transcende le temps et continue de résonner aujourd’hui.


À la fin des années 1950, des musiciens de premier plan comme Charlie Parker, Charles Mingus et John Coltrane ont explicitement introduit la politique dans leur jazz, alors que le mouvement pour les droits civiques commençait à prendre de l’ampleur aux États-Unis. Comme le musicien Gilad Atzmon l’a souligné :

« Les Noirs américains réclamaient la liberté, et le jazz l’exprimait mieux que de simples mots. »

Cette tendance s’est poursuivie et intensifiée au cours des décennies suivantes, en particulier dans le free et le spiritual jazz. Ces sous-genres représentaient une bataille plus virulente pour la liberté politique.

Profondément beau

En 1969, le chanteur de jazz d’avant-garde Leon Thomas a composé « Malcolm’s gone » (en français « Malcolm est parti ») avec le géant du jazz spirituel Pharoah Sanders. Il s’agit d’un hommage d’une grande beauté au militant révolutionnaire américain des droits civiques, Malcolm X, qui a été assassiné en 1965.

« Malcolm’s gone », de Leon Thomas.

La chanson figure sur le premier album solo de Leon Thomas, « Spirits Known and Unknown ».

Elle met en vedette Sanders (au saxophone ténor) et d’autres sommités du free jazz comme Cecil McBee (basse), Lonnie Liston Smith (claviers) et Roy Haynes (batterie).

Décédé en 1999, Leon Thomas est une figure souvent oubliée de la musique populaire. Il est remarquable pour son style vocal jazz unique, caractérisé par l’utilisation expérimentale du yodel et du scatting, ainsi que pour son envoûtante voix naturelle.

Lorsque les gens le connaissent, c’est surtout pour sa contribution aux enregistrements de grands noms du jazz et du rock tels que Randy Weston, Rahsaan Roland Kirk, Oliver Nelson et Carlos Santana. Pourtant, la portée de son œuvre solo et de sa contribution au jazz, en particulier dans le domaine de la vocalisation, est considérable.

Quelques secondes de silence

Sur « Malcolm’s gone », un morceau principalement instrumental, le premier vers de Leon Thomas est simplement « Malik El-Shabazz », le nom musulman supposé de Malcolm X au moment de sa mort.

Ces mots sont suivis de quelques secondes de silence, avant que le groupe ne commence à jouer une mélodie profondément mélancolique, l’équivalent sonore des émotions que l’on ressent à l’annonce du décès d’un être cher.

Leon Thomas recommence à chanter environ deux minutes plus tard avec les vers :

« Je sais qu’il est parti… mais il n’est pas oublié. »

« Je sais qu’il est mort pour me libérer… oui Malcolm est parti, mais il n’est pas oublié, il est mort pour me sauver, me rendre ma dignité. »

Leon Thomas explose alors en yodel. Sa plainte lugubre est accompagnée d’une cacophonie saisissante de rythmes et de mélodies magnifiquement superposés. La chanson se transforme ensuite en ce qui ressemble à une version jazz spirituelle d’un service funèbre pentecôtiste. Elle s’achève sur les applaudissements à l’unisson de la congrégation qui rend hommage à Malcolm X.

La chanson évoque une foule en deuil lors d’un enterrement. En même temps, elle crée une atmosphère de jubilation rappelant celle d’une assemblée traversée par une possession spirituelle collective.

Sur le plan sonore, elle s’inspire de diverses traditions spirituelles noires pour exprimer, par le son, l’émotion liée à la perte d’un membre aimé et respecté de l’Oumma, la communauté musulmane. Les paroles établissent clairement des parallèles entre Malcolm X et Jésus-Christ, ce que certains peuvent considérer comme l’hommage ultime, ou peut-être comme une déclaration politique très forte compte tenu du climat sociopolitique des États-Unis à cette époque.

Une période agitée

La fin des années 1960, période à laquelle Leon Thomas a sorti la chanson, a été très agitée pour les Afro-Américains. Elle a marqué la fin de la phase relativement non violente des droits civiques aux États-Unis, et le début du mouvement militant Black Power.

À ce moment-là, de nombreux Noirs ont commencé à estimer que la résistance passive de l’ère des droits civiques n’était plus une option viable dans leur quête d’égalité. C’est ainsi que s’est opéré un glissement vers les idéologies nationaliste, panafricaine et socialiste proposées par les mouvements Black Power, décidés à se protéger par tous les moyens nécessaires contre un État oppressif.

C’est également à cette époque que de nombreuses personnalités influentes ont été réduites au silence, emprisonnées ou assassinées. La situation a été exacerbée par la guerre du Viêt Nam et la politique conservatrice de l’ère Nixon.

« Malcolm’s gone » n’est pas seulement une chanson qui rend hommage à l’un des combattants noirs pour la liberté les plus influents de la planète (ce qui est en soi un acte révolutionnaire). C’est une chanson qui ose le comparer à la divinité même que l’Amérique blanche, nationaliste et raciste priait la nuit, Jésus-Christ. Il s’agissait d’un acte très provocateur compte tenu des fondements chrétiens de l’Amérique et du fait que Malcolm X, un musulman noir, était perçu comme un ennemi de l’État.

Avec des paroles minimales et une énergie mystique, la chanson capture la douleur et l’optimisme de l’Amérique noire à une époque de grande adversité. En même temps, elle consolide les idées de pacifisme des droits civiques (à travers l’imagerie du Christ) et de militantisme du Black Power (sous la forme de bruits d’instruments et de gémissements). C’est une expression profonde de la condition noire de l’époque et un hommage profondément digne à un soldat tombé au combat.

The Conversation

Michael Shakib Bhatch ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

19.02.2025 à 17:31

« Dark tourism » : tombe de Jean-Marie Le Pen, entre gerbes et crachats… des touristes à gérer !

Sébastien Liarte, Professeur des Universités en Sciences de Gestion, Université de Lorraine
Dans un contexte de « dark tourism » (tourisme morbide), les cimetières et les sépultures deviennent des destinations prisées. La tombe de Jean-Marie Le Pen en a déjà fait les frais.

Texte intégral 1669 mots

Dans un contexte de « dark tourism » (« tourisme noir » ou « thanatourisme », en français), les cimetières et les sépultures deviennent des destinations touristiques. La tombe de Jean-Marie Le Pen en a déjà fait les frais.


Dès le lendemain de l’enterrement de Jean-Marie Le Pen, le cimetière de la Trinité-sur-Mer était inhabituellement fermé au public, à la demande de la préfecture du Morbihan. Une camionnette de gendarmes était postée devant l’entrée du cimetière, bloquant l’accès et surveillant les badauds. Le cimetière a finalement rouvert ses portes le lundi suivant, et alors que cela n’avait jamais été le cas jusque-là, il est désormais régi par un arrêté municipal fixant des horaires d’ouverture allant de 8h30 à 17h30.

Ces précautions qui visent à réguler les visites sur la tombe de Jean-Marie Le Pen ont déjà montré leurs limites : il aura fallu moins d’un mois pour que sa tombe ne soit sérieusement vandalisée, le 31 janvier 2025.

La sépulture de Jean-Marie Le Pen est déjà un lieu de dark tourism. Or ce type de lieu nécessite des mesures de « mise en tourisme » spécifiques allant au-delà de la simple « vigilance ».

Du tourisme de mémoire au dark tourism

Bien que le tourisme lié à la mémoire ne soit pas un phénomène nouveau, celui plus largement lié aux sites associés à la mort semble aujourd’hui avoir le vent en poupe. Les professionnels du tourisme développent le segment et les médias s’y intéressent. Lorsqu’un lieu de catastrophe est médiatisé, certains visiteurs répondent à l’appel.

Après la sortie de la série Tchernobyl sur HBO en 2019, le nombre de visiteurs du site de la catastrophe est passé de 9 000 par an à 17 000. Après la sortie de la Liste de Schindler, en 1993, les visites d’Auschwitz-Birkenau avaient aussi augmenté de 15 %.

Quelles sont les origines du « tourisme noir » ?

Sur le plan académique, ce phénomène a donné naissance aux Dark Tourism Studies au milieu des années 1990 (le terme de « dark tourism » est apparu en 1996). Ce courant de recherche définit les sites sombres comme des lieux distincts des sites de tourisme traditionnels, car la mort, le désastre ou encore la souffrance humaine constituent leur principale caractéristique et le thème majeur du lieu visité. Sept catégories de sites dark ont été identifiées :

  1. Les lieux produisant du divertissement autour de la mort (trains fantômes, maisons hantées, etc.),

  2. Les expositions et musées (musées de la torture, etc.),

  3. Les donjons, oubliettes et prisons (prison d’Alcatraz, etc.),

  4. Les lieux de repos de dépouilles (cimetières, ossuaires, etc.),

  5. Les mémoriaux et sanctuaires (Mémorial du 11-Septembre à New York, etc.),

  6. Les champs de bataille et lieux d'attentat (les plages du Débarquement, le Bataclan, etc.),

  7. Les camps de concentration et lieux de génocides (Auschwitz-Birkenau, Rwanda, etc.).

Tourisme au cimetière

Le XVIIIe siècle est marqué en France par la volonté de créer des espaces clos « respectables et respectés » afin de préserver les morts des « outrages des animaux et de la désinvolture des vivants ». Il faut donc véritablement attendre le début du XIXe siècle pour assister à la naissance du tourisme funéraire en France, imputable à une volonté postrévolutionnaire de « pacifier la mort et d’adoucir l’aspect des lieux d’inhumation ». Se rendre en tant que touriste dans un cimetière est désormais peu à peu une activité considérée comme acceptable.

Les motifs de visite d’un cimetière sont désormais nombreux : aspect remarquable des tombes, personnalité des personnes inhumées, beauté du cimetière… Il est devenu courant de voir déambuler des touristes près de sépultures, comme auprès de la tombe de Charles de Gaulle à Colombey-les-Deux-Églises (Haute-Marne), ou celle d’Albert Camus à Lourmarin (Vaucluse). Compte tenu de sa concentration exceptionnelle de sépultures remarquables, le cimetière du Père-Lachaise à Paris est une destination touristique majeure de la capitale. C’est même le cimetière le plus visité au monde, avec plus de trois millions et demi de visiteurs par an.


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Que cela soit pour rendre hommage à un artiste adulé, pour s’approcher au plus près de personnages majeurs de l’histoire de France ou même par simple curiosité, le fait de se rendre sur un lieu de sépulture ne soulève pas, dans la grande majorité des cas, de problématiques majeures.

Cependant, lorsqu’une personnalité compte un nombre important de « fans » et repose dans un cimetière accessible, les ennuis commencent parfois : la visite de milliers de touristes génère souvent des dégradations.

Des « hommages » encombrants…

La tombe de l’écrivain Oscar Wilde, située au cimetière du Père-Lachaise et ornée d’un sphinx ailé sculpté par Jacob Epstein dans un bloc de 20 tonnes de pierre blanche, a ainsi dû être protégée en 2011 par des vitres de deux mètres de haut. Sa sépulture avait fait l’objet pendant de nombreuses années d’un rituel spécifique de la part d’admiratrices : celui de déposer un baiser au rouge à lèvres à même la pierre.

Au-delà des nuisances du tourisme de masse sur des lieux ayant vocation à préserver un certain calme, des comportements sur certaines sépultures s’avèrent plus problématiques. C’est le cas des tombes où reposent des personnalités qui attirent des touristes animés par, a minima, une curiosité malsaine ou, plus dérangeant encore, une volonté d’hommage ou d’exécration tout aussi mal venue. Les parents du petit Grégory Villemin ont, par exemple, souhaité, en 2004, récupérer la dépouille de leur enfant jusque-là enterré dans le cimetière de Lépange-sur-Vologne (Vosges) et procéder à sa crémation afin de tenter de mettre fin aux visites des curieux sur sa tombe.

Tourisme morbide sur les lieux de crimes : l’affaire Grégory.

Dans un tout autre registre, après avoir été refusé par l’Algérie, l’encombrant cadavre de Mohamed Merah a été discrètement enterré dans une tombe anonyme dans le cimetière de Cornebarrieu (Haute-Garonne), près de Toulouse. Un dispositif de sécurité a été mis en place pour éviter tout débordement.

Plus de 70 ans après la mort de Philippe Pétain, sa tombe attire toujours des touristes à L’Île-d’Yeu (Vendée). Ici, pas de protection particulière, faute de moyens, mais une fermeture du cimetière la nuit en été. Outre de petites dégradations récurrentes, une à deux plaintes par an pour actes de malveillances sont déposées auprès du procureur des Sables-d’Olonne.

La figure de Jean-Marie Le Pen ne laisse pas un grand nombre de personnes indifférent. Les réactions contrastées à l’annonce de sa mort ainsi que certaines scènes de liesse avec « apéro géant » pour « fêter » l’événement l’ont bien montré. Il apparaît donc probable que le cimetière de la Trinité-sur-Mer devienne une destination touristique pour ceux qui voudront jeter un œil par curiosité, pour lui rendre hommage ou manifester une dernière fois un désaccord avec ses idées.

Reste à connaître le volume de ce flux et le mode d’expression des visiteurs. Les premiers actes de vandalisme signalent déjà à la municipalité de la Trinité-sur-mer qu’il lui faut prendre en compte cette forme de tourisme et mettre en place des mesures pour une « mise en tourisme » adaptée. Quoi qu’on en pense, les « dark tourists » ne manqueront pas de se déplacer.

The Conversation

Sébastien Liarte ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

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