09.03.2025 à 09:27
Cacao, les nouveaux défis d’une culture millénaire
Culture millénaire issue d’Amérique, la culture du cacao s’est déplacée et intensifiée sous la pression des dynamiques coloniales. Des modes de cultures qui doivent aujourd’hui être remis en cause. Riche et complexe, l’histoire du cacaoyer remonte à environ 3500 av. J.-C. Les Olmèques, l’une des premières civilisations mésoaméricaines, sont souvent considérés comme les premiers à l’avoir cultivé. Ils utilisaient les fèves pour préparer une boisson amère, qui était fréquemment agrémentée d’épices et de piments. Des recherches encore plus récentes indiquent que le recours aux fèves de cacao existait déjà dans la haute Amazonie (actuellement l’Équateur et le Pérou) aux alentours de 5000 av. J.-C.. Les premières plantations organisées, néanmoins, semblent avoir été réalisées dans la région de Soconusco par les Aztèques et les Mayas, parfois avec des systèmes de drainage et d’irrigation. Le cacao tenait chez les Mayas une place centrale : ils y voyaient un don des dieux et s’en servaient dans des cérémonies religieuses, souvent mélangé avec de l’eau, du miel et des épices pour créer une boisson festive, appelée « xocolatl ». Les fèves de cacao étaient également utilisées comme monnaie, ce qui témoigne de leur valeur économique. Les Aztèques, qui ont succédé aux Mayas, bien que les deux civilisations aient coexisté pendant plusieurs siècles, ont continué cette tradition. Lorsque les Espagnols ont découvert l’Amérique centrale et le Mexique (1504-1525), le cacao y était donc déjà produit, commercialisé et consommé depuis plusieurs centaines d’années. Du lundi au vendredi + le dimanche, recevez gratuitement les analyses et décryptages de nos experts pour un autre regard sur l’actualité. Abonnez-vous dès aujourd’hui ! Mais leur arrivée marque un tournant pour le cacao. Hernán Cortés, après avoir conquis l’Empire aztèque, rapporte les fèves en Espagne. Au début, la boisson est peu appréciée des Européens en raison de son goût amer. L’ajout de sucre, de vanille et d’autres épices rend rapidement le chocolat populaire au sein de l’aristocratie européenne. Au fur et à mesure que la demande pour le précieux mets augmente en Europe, les Espagnols commencent à établir des plantations de cacao dans leurs colonies, en particulier dans les Caraïbes et en Amérique du Sud. Cela conduit à une exploitation accrue des populations indigènes et, plus tard, à celle d’esclaves africains pour travailler dans les plantations. Après le développement des plantations en Amérique du Sud, notamment en Colombie, en Équateur et au Venezuela vers la fin du XVIe et du XVIIe siècle, d’autres sont également établies en Asie du Sud-Est. À partir du XIXe siècle, dans un contexte de colonisation et d’essor du commerce transatlantique, le cacaoyer est massivement exporté vers d’autres continents : l’Asie et l’Afrique principalement, où le climat tropical était favorable. Le cacao, qui revêtait une signification culturelle et religieuse profonde pour les civilisations précolombiennes, devient ainsi un produit de luxe en Europe, marquant le début de sa transformation en chocolat tel que nous le connaissons avec la démocratisation de sa consommation. Le cacao est aujourd’hui cultivé dans la plupart des pays tropicaux humides. Depuis la moitié du XXe siècle, la première zone de production est l’Afrique de l’Ouest. La Côte d’Ivoire et le Ghana sont respectivement les premier et deuxième pays producteurs en volume. L’Amérique a ainsi été détrônée de sa place de premier continent producteur de cacao, tandis qu’en miroir, l’Afrique a perdu son ascendant sur la production de café, au profit de l’Amérique latine – et principalement du Brésil, aujourd’hui premier pays producteur. Un autre exemple est l’hévéa : cultivé pour la production de caoutchouc naturel, il l’est essentiellement en Asie, alors que cet arbre est originaire de la forêt amazonienne comme le cacaoyer. Ces grandes cultures se sont donc croisées sous l’impulsion des colonisateurs, et ont prospéré dans ces nouveaux territoires en raison de conditions environnementales parfois plus favorables que les conditions environnementales des zones d’origine. Si des raisons historiques de colonisation des zones tropicales permettent en partie de comprendre ces changements géographiques, les maladies peuvent aussi expliquer ces modifications, et surtout l’extension des cultures dans les zones allogènes. La culture de l’hévéa est très difficile sur le continent américain en raison de la présence d’un champignon ascomycète : Pseudocercospora ulei, agent pathogène d’une maladie provoquant la mort des arbres ; les hévéas cultivés en dehors du continent américain en sont indemnes. En ce qui concerne le cacaoyer, deux maladies graves sont présentes sur le continent américain : la moniliose (due à Moniliophthora roreri) et le balai de sorcière (dû à Moniliophthora perniciosa). L’introduction de la culture du cacaoyer sur de nouveaux continents n’a heureusement pas été accompagnée des pathologies associées dans les zones d’origine. Cependant, les conditions de culture en plein soleil qui se sont développées dans de nombreux pays semblent avoir favorisé l’émergence de nouvelles pathologies, comme le Swollen Shoot en Afrique de l’Ouest, qui provient d’autres espèces végétales à la suite d’un saut d’hôtes du virus responsable. Après des modèles extensifs pratiqués par les populations amérindiennes, la culture du cacaoyer s’est progressivement intensifiée avec des densités plus importantes et des cultures en plein soleil, facilitant d’ailleurs de plus fortes épidémies de moniliose ou de balai de sorcière dans les zones d’origine. Ces cultures intensives ont requis l’utilisation de nombreux intrants, notamment fertilisants et pesticides, qui présentent beaucoup d’inconvénients : ces systèmes de culture ne sont pas durables, avec une sénescence (vieillisement, ndlr) rapide des arbres. Les intrants chimiques constituent des menaces pour l’environnement, les agricultures et les consommateurs, avec en particulier des résidus de pesticides dans les fèves de cacao et dans les sols. Aujourd’hui, des agro-éco-systèmes commencent à se développer, avec des plantations de cacaoyers conduites sous ombrage, exigeant moins d’intrants, voire pas d’intrants chimiques du tout. Ces systèmes agroforestiers sont plus ou moins performants en fonction des espèces végétales associées, des maladies et ravageurs présents et des conditions édapho-climatiques (interactions du sol et des conditions climatiques dans un environnement donné, ndlr). Leur adaptation à chaque contexte est donc nécessaire, en anticipant également les évolutions climatiques prévues. La géographie de la production du cacao a donc été façonnée par les colonisations, les migrations et les conditions environnementales, notamment sanitaires. Que sera la géographie de la production de demain ? Et quels seront les systèmes de culture majoritaires ? Le réchauffement climatique entraînera très certainement de profondes modifications des aires de culture. Les transformations des régimes de pluies liées à ce changement climatique provoqueront un déplacement des zones de culture vers de nouvelles zones. Des systèmes plus résilients, capables d’amortir les variations du climat, devront être mis au point. Les agriculteurs doivent déjà s’adapter à des calendriers agricoles qui ne se répètent plus d’une année à la suivante. Ces changements climatiques, accompagnés de mouvements des biens et des personnes de plus en plus importants, peuvent aussi engendrer une accélération des émergences de maladies et de ravageurs qu’il faudra donc contrôler. L’histoire de la cacaoculture doit nous inciter à anticiper les risques liés au changement climatique et à la dispersion des bioagresseurs. Par exemple par la sélection préventive de matériel végétal résistant à des maladies encore absentes de certaines régions et moins sensible aux variations climatiques, ou par le développement de systèmes de culture plus résilients. Il s’agit d’éviter l’ancien modèle des « fronts pionniers », dans lequel les nouvelles plantations cacaoyères étaient établies dans des zones forestières défrichées. Il est impératif de préserver les zones de forêt tropicale qui ont échappé à la déforestation : l’Europe, consciente des répercussions désastreuses de cette dernière, a d’ailleurs mis en place une réglementation contre la déforestation importée qui concerne, entre autres, le cacao. Préparer l’avenir de la cacaoculture implique également de proposer d’autres systèmes agroforestiers innovants, dotés de matériel végétal adapté à chaque zone de culture. Le 5 juin 1984 naissait le Cirad fondé par décret. Depuis plus de 40 ans, les scientifiques du Cirad partagent et co-construisent avec les pays du Sud des connaissances et des solutions innovantes pour préserver la biodiversité, la santé végétale et animale, et rendre ainsi les systèmes agricoles et alimentaires plus durables et résilients face aux changements globaux. Christian Cilas ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche. Texte intégral 3300 mots
L’essor du chocolat en Europe
De l’Amérique tropicale à l’Afrique et l’Asie
Vers des modèles de culture intensifs
Face aux enjeux climatiques, l’urgence de s’adapter
Des systèmes à réinventer
06.03.2025 à 11:47
Écoles, bureaux, commerces… que sait-on de la consommation énergétique du tertiaire en France ?
Un décret a fixé en 2019 des objectifs de réduction et une obligation de déclaration des consommations énergétiques au secteur tertiaire. Où en est-on en 2025 ? Un premier bilan a été dressé par l’Ademe. Lorsque l’on parle de consommation énergétique du tertiaire, on désigne tous les bâtiments non résidentiels : c’est donc un périmètre très large qui englobe aussi bien les locaux des collectivités, que les commerces ou encore les bureaux. En France, cela représente 1 233 milliard de m2 (contre 3 350 milliards de mètres carrés pour le résidentiel) et 249 TWH (dont 37 % de fossiles), soit 16 % de la consommation énergétique totale de la France en 2023 (une proportion qui varie de 15 % à 20 % selon les années). Jusqu’ici, beaucoup d’efforts avaient été menés sur le résidentiel en matière de rénovation énergétique, très peu sur le tertiaire. Il y a donc un enjeu de taille à améliorer la performance énergétique de ce gros morceau du parc immobilier français. C’est pourquoi a été mis en place en 2019 le dispositif éco énergie tertiaire (DEET) ou « décret tertiaire », une réglementation visant à mettre en œuvre les objectifs fixés par l’article 175 de la loi ELAN : l’obligation de diminuer la consommation d’énergie des bâtiments tertiaires de 40 % d’ici à 2030, 50 % d’ici à 2040 et 60 % d’ici à 2050 – par rapport à une année de référence choisie entre 2010 et 2019. Les propriétaires et exploitants installés dans des bâtiments comprenant plus de 1 000 m2 d’activité tertiaire (hors exception comme les lieux de culte ou les constructions provisoires) sont également soumis, depuis 2022, à l’obligation de déclarer leurs consommations sur Operat, une plateforme gérée par l’Agence de la transition écologique (Ademe), afin d’affiner la connaissance des consommations et de suivre leur trajectoire. Trois ans après la mise en service d’Operat, l’Ademe a dressé un premier bilan qui permet de tirer de premières conclusions. Abonnez-vous dès aujourd'hui !. Chaque jeudi, recevez gratuitement notre newsletter thématique « Ici la Terre » pour suivre au plus près les questions environnementales. Rappelons d’abord que le contexte des dernières années invite à la prudence sur l’interprétation des évolutions observées : d’une part, le Covid et le début de la guerre en Ukraine, en particulier, ont affecté les niveaux de consommation des années 2020, 2021 et 2022. D’autre part, et même si les assujettis se sont massivement mobilisés, la mise en place d’Operat étant récente, sa prise en main par les acteurs est progressive – et, à ce stade, la non-déclaration n’a pas encore fait l’objet de sanction par l’administration. Sur le milliard de mètres carrés visés par l’obligation, de 600 millions à 650 millions sont effectivement déclarés à ce stade, en outre souvent avec du retard – la déclaration des consommations d’une année doit intervenir au plus tard à la fin septembre de l’année suivante. Sur l’année la mieux déclarée, 21 % des surfaces concernaient l’enseignement, 17 % les bureaux, 14 % la logistique et 13 % les activités de santé. Par ailleurs, les données transmises sur Operat constituent désormais une matière nouvelle à exploiter. Néanmoins, la qualité des données recueillies demeure encore inégale. Par exemple, dans le mix énergétique déclaré sur Operat, les énergies de stock (fioul, bois) ne représentent que 3 %, là où l’estimation nationale est évaluée à 17 %. Un écart qui s’expliquerait par le fait que le relevé de ces consommations, tributaires de livraisons parfois échelonnées à des intervalles plus ou moins fréquents et réguliers, est plus complexe à réaliser pour les déclarants que celui des consommations d’énergies de flux qui font l’objet de facturations mensuelles ou annuelles. Ces réserves émises, les premières analyses menées par l’Ademe laissent néanmoins entrevoir de premières évolutions, plutôt encourageantes : entre la période de référence (une année choisie par le déclarant entre 2010 et 2019) et 2022, les consommations brutes ont en moyenne baissé de 22 %. Soit la moitié de l’effort à atteindre pour l’échéance 2030. Notons toutefois que les consommations ne sont pas ajustées au climat, et l’on constate effectivement que les variations observées lui sont très corrélées. Entre 2020 et 2021, la consommation a augmenté de 7 %, ce qui est notamment lié à la reprise d’activités après le Covid, mais aussi à un climat nettement plus rude. Entre 2021 et 2022, la consommation a chuté de 6 % (dans un contexte de crise énergétique sur les prix et des approvisionnements) pour atteindre presque le même niveau que l’année 2020. Sur le même intervalle, le climat a été bien plus clément, ce qui a contribué à la baisse des consommations. Les données Operat permettent en outre d’identifier des disparités géographiques et entre les secteurs. Du point de vue géographique, la répartition des surfaces déclarées et des consommations énergétiques correspond à celle des principales métropoles françaises et des bassins d’activité sur le territoire national. Les métropoles de Paris, Aix-Marseille, Lyon et Lille concentrent ainsi la majorité des surfaces et des consommations déclarées sur la plateforme. En ce qui concerne l’enseignement et les bureaux, on observe aussi que les zones côtières ont des ratios de consommation globalement plus faibles. Par ailleurs, la large majorité des déclarations (83 %) concernent les catégories recensant le plus de surfaces (84 %) : enseignement, bureaux, logistique, santé, commerces, sports et hôtels. Mais certaines activités se révèlent beaucoup plus intenses en énergie : ainsi, les data centers qui ne représentent que 0,1 % de la surface déclarée correspondent pourtant à 2,2 % des consommations et sont la catégorie la plus énergivore. Ils consomment de 2 000 kWh/m2 à 3 000 kWh/m2 par an (contre 100 kWh/m2 à 200 kWh/m2 par an pour un bâtiment classique). Les blanchisseries se distinguent aussi, avec une consommation moyenne proche de 1 000 kWh/m2 par an. Les commerces alimentaires quant à eux oscillent autour de 300 kWh/m2 et 400 kWh/m2 par an. Entre 2021 et 2022, les premières évolutions observées montrent également que certains secteurs comme la logistique et la santé diminuent leurs consommations unitaires tandis qu’elles ont augmenté pour les hôtels et les commerces non alimentaires. Il faudra un travail d’analyse plus fin pour expliquer d’où proviennent ces évolutions : quelle est la part du climat, du contexte et des actions de sobriété et d’efficacité énergétique engagées ? À ce stade, les acteurs s’approprient ce premier travail de déclaration et il ne leur est pas demandé de donner d’éléments sur les efforts qu’ils mènent – seulement la localisation, le type d’activité et les consommations par type d’énergie. Néanmoins, ce premier travail leur permet d’avoir une meilleure connaissance de leur parc, première étape clé pour comprendre quels leviers il est possible d’actionner. Ces derniers varient énormément selon le type de bâtiments : ainsi, pour un boulanger ou un charcutier, l’enjeu est surtout d’améliorer les process (éclairage, machines, consommation d’eau…). Pour d’autres activités, le concours Cube, qui incite à réaliser des économies d’énergie sans mener de gros travaux, montre qu’il y a des gisements d’économie d’énergie importants lorsque l’on s’intéresse simplement aux dérives de consommation : 15 % en moyenne, et parfois jusqu’à 50 %. Dans certains cas néanmoins, des actions de rénovation énergétique (sur les bureaux et l’enseignement, par exemple) sont nécessaires sur le bâti et, dans d’autres cas, des mesures de décarbonation. Sobriété, travaux sur le bâti et décarbonation apparaissent donc comme les trois grands piliers. Aujourd’hui, la démarche de déclaration progresse, mais n’est pas encore acquise, ce qui n’est pas surprenant. En effet, la réglementation est nouvelle, technique et nécessite une montée en compétences pour se familiariser avec les notions réglementaires et la plateforme. Recenser les données attendues, lorsque l’on a aucune compétence en énergie, n’est pas naturel. En outre, certains détails de la réglementation manquent encore, ce qui n’incite pas forcément tous les acteurs à s’engager dans la démarche : outre l’objectif de réduction en « valeur relative », un autre objectif de consommation énergétique en « valeur absolue » doit être fixé prochainement pour tous les secteurs d’activités – chacun s’orientera vers l’un ou l’autre. Pour accélérer le processus, un accompagnement est indispensable. Certains assujettis ont déjà recours à des cabinets extérieurs pour réaliser leur déclaration. L’Ademe, avec le soutien de la Direction générale de l’énergie et du climat, porte ainsi un dispositif d’accompagnement, le programme de certificat d’économie d’énergie [« Pacte entreprises »] : sur quatre ans, il entend aider l’ensemble des entreprises du tertiaire en déployant un réseau de conseillers dans les territoires auprès des entreprises. Une convention de partenariat a également été mise en place avec la Banque publique d’investissements (BPI) pour proposer aux entreprises des diagnostics (décarbonation, adaptation, rénovation du bâtiment), dans le but de faciliter leur passage à l’action. Par ailleurs, la démarche ACT (pour Accelerate Climate Transition, en anglais) mise en œuvre par l’Ademe permet aux entreprises de diagnostiquer leur stratégie et leurs actions de décarbonation actuelles, et de se fixer des objectifs alignés sur une trajectoire sectorielle. Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche. Texte intégral 2226 mots
Une prise en main progressive
Une tendance à la baisse
Des consommations non homogènes
Sobriété, rénovation et décarbonation
Un accompagnement indispensable
06.03.2025 à 11:33
Le DPE peut-il aider les logements à respecter l’accord de Paris ?
Au rythme actuel de la rénovation énergétique, le secteur du logement pourra-t-il se conformer aux objectifs de l’accord de Paris ? Le défi est de taille, mais pas totalement impossible à relever : pour cela, il faudrait que plus de la moitié des logements rénovés, chaque année, puissent prétendre à la classe A de l’étiquette énergie. Le résidentiel-tertiaire représente 23 % de l’empreinte carbone de la France. Dans ces conditions, il est urgent d’appliquer l’accord de Paris, signé en 2015 pour limiter le réchauffement global à +2 °C – voire +1,5 °C – au secteur du logement. Un enjeu d’autant plus crucial que le budget 2025 des aides publiques à la rénovation a subi un coup de rabot d’un milliard d’euros par rapport à 2024, Des habitats exemplaires au plan climatique, qui produisent plus d’énergie qu’ils n’en consomment, existent pourtant déjà. Pourrait-on s’en inspirer pour guider la rénovation énergétique ? Quelle est l’empreinte carbone actuelle des logements ? Commençons par dresser l’état des lieux : il existe environ 30 millions de résidences principales en France métropolitaine, dont 56 % de maisons individuelles et 44 % d’appartements. Un diagnostic de performance énergétique (DPE) évalue une étiquette énergie allant de la classe A (la plus performante) à G. Dans les faits : environ 32 % des logements sont classés au niveau intermédiaire D, 23 % aux niveaux voisins C et E, 10 % en F, 7 % en G, 3 % en B ; et seulement 2 % en A. L’étiquette énergie comporte deux indicateurs : l’un de performance énergétique, exprimé en kilowatt-heure par mètre carré par an, et l’autre relative à l’impact en termes d’émission de gaz à effet de serre (GES), exprimé en kilogramme équivalent CO2 par mètre carré et par an. Pour tenir compte du fait que l’étiquette GES d’un logement peut différer de son étiquette énergie, et que les occupants ne chauffent pas forcément la totalité de leur logement toute la journée, les consommations ont été corrigées en utilisant les données de consommations réelles de gaz, d’électricité et de fuel pour le secteur du logement. Même si leur marge d’incertitude est importante, ces étiquettes permettent ainsi d’obtenir un ordre de grandeur de la consommation énergétique du parc de logements. Pour en calculer leurs émissions de GES, nous avons tenu compte des facteurs d’émissions (quantité de CO2 émise dans l’atmosphère par kilowatt-heure d’énergie consommée) des différentes sources d’énergie utilisées pour le chauffage, l’eau chaude sanitaire et les autres usages. La plupart des logements sont chauffés au gaz ou à l’électricité, mais encore 20 % des maisons utilisent le fioul et 7 % le bois, tandis que le chauffage urbain alimente 10 % des appartements. Au final, en prenant en compte les importations d’électricité nécessaires en période de pointe correspondant aux journées froides d’hiver, les émissions de GES totales des logements – qui incluent l’ensemble des consommations de chaleur et d’électricité – sont de l’ordre de 60 millions de tonnes équivalent CO2 par an (chiffres de 2022). Soit près d’une tonne par habitant.
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Ces émissions de gaz à effet de serre sont-elles compatibles avec l’objectif de l’accord de Paris ? Pour le savoir, il faut revenir au budget carbone évalué par des chercheurs du GIEC, qui correspond aux émissions de carbone supplémentaires permettant d’avoir 50 % de probabilité de limiter le réchauffement à moins de 1,5 °C. Abonnez-vous dès aujourd'hui !. Chaque jeudi, recevez gratuitement notre newsletter thématique « Ici la Terre » pour suivre au plus près les questions environnementales. Début 2023, ce budget global s’élevait à 250 milliards de tonnes équivalent CO2. Si l’on divise ce budget carbone entre les différents pays au prorata de leurs populations respectives, cela équivaut à deux milliards de tonnes pour la France. Quelle part de ce budget peut être allouée aux logements ? Faisons le calcul à partir des chiffres actuels : le secteur du bâtiment pèse 23 % des émissions de GES de la France, dont les deux tiers concernent les logements – les logements représentent ainsi 15 % de l’empreinte carbone globale du pays. Le budget carbone disponible pour ces derniers se monte alors à 300 millions de tonnes équivalent CO2. Au rythme actuel des émissions évaluées plus haut, nous aurons donc consommé notre budget en… cinq ans. Certes, les océans et les forêts peuvent absorber une partie des émissions de carbone : on parle de « puits de carbone » naturels. Ces derniers peuvent-ils suffire à compenser nos émissions ?
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Des scientifiques ont évalué un seuil d’émissions de GES compatible avec un réchauffement de 1,5 °C tout en tenant compte de ces puits de carbone. Ce seuil correspond à 0,5 tonne équivalent CO₂ par habitant et par an pour l’ensemble des activités humaines. En considérant que le logement représente 15 % de l’empreinte carbone globale, cela laisse environ 80 kg équivalent CO2 par habitant et par an pour le logement. Un résultat à comparer au calcul précédent, qui montrait que le logement pèse actuellement environ une tonne équivalent CO2 par an et par habitant… Autrement dit, les puits de carbone ne suffisent pas à compenser l’empreinte carbone actuelle des logements. Est-il possible de concevoir un logement répondant à cette exigence ? Pour répondre à cette question, nous avons étudié une réalisation exemplaire, construite à Pont-de-Barret (Drôme) par l’ingénieur Olivier Sidler. La très forte isolation de cette maison annule quasiment les besoins de chauffage, et l’électricité est produite par un système photovoltaïque. L’analyse de cycle de vie que nous avons menée sur ce logement a permis de quantifier les émissions de GES depuis la fabrication des matériaux jusqu’à la fin de vie du bâtiment. La construction fait largement appel à des matériaux biosourcés, dont le bois qui absorbe du CO2 lors de sa production en forêt. Nous avons également considéré que l’électricité provenant du réseau était progressivement décarbonée jusqu’en 2050, conformément à la Stratégie nationale bas carbone (SNBC) En considérant que cette maison de 106 m2 sera occupée par quatre personnes, le seuil calculé précédemment est respecté. Son coût est d’ailleurs le même que celui de logements sociaux dans la même région : 1 830 euros hors taxes par mètre carré habitable, plus 130 euros par mètre carré habitable pour le système photovoltaïque. Une bonne nouvelle donc : il est techniquement possible de construire durable. Mais qu’en est-il des bâtiments existants, donc certains sont anciens ? Pour avoir une chance de respecter l’accord de Paris, des rénovations globales sont nécessaires afin d’approcher au mieux la performance de la maison présentée ci-dessus. Cela signifie isoler les murs, plafonds et si possible planchers, mettre en œuvre des doubles ou triples vitrages, des équipements (pompe à chaleur, chaudière bois ou chauffage urbain…) et une ventilation économes. C’est ce qui a été réalisé par exemple sur l’immeuble ci-contre, rénové en 2010 à Raon-l’Étape (Vosges) pour un coût de 1 116 €/m2. Dans le programme de rénovation du parc considéré, le principe est de commencer par les bâtiments les moins performants (classés G puis F, etc.). Ce scénario a été simulé sur la durée de 42 ans. Pourquoi 42 ans ? Il n’est malheureusement pas possible de rénover les 30 millions de logements que compte la France en moins de cinq ans : le nombre de 700 000 rénovations par an est considéré comme la limite supérieure, compte tenu de la capacité et des compétences des entreprises. Ceci conduit à la durée de 42 ans pour rénover l’ensemble du parc. Ce calcul, même s’il est entaché d’incertitudes liées aux étiquettes énergies et à une modélisation très simplifiée du parc de logements, conduit à plusieurs résultats instructifs de par leurs ordres de grandeur. Les émissions de GES liées aux travaux de rénovation (fabrication et pose des isolants, dont certains biosourcés, vitrages et équipements performants) sont de l’ordre de 50 millions de tonnes équivalent CO2. Elle entrent donc dans le budget carbone disponible au début 2023. Et à l’issue des 42 ans de travaux pour l’ensemble du parc, un bilan neutre en carbone peut être obtenu. Cette rénovation est donc possible, mais s’accompagne d’une mauvaise nouvelle, car il faut également prendre en compte les émissions carbone des logements en eux-mêmes – et non pas seulement ceux de leur rénovation –, qui épuisent le budget carbone disponible en sept ans seulement. Le cumul des GES émises en 42 ans est d’environ 900 millions de tonnes équivalent CO2, soit trois fois ce budget. De plus, tous les logements ne pourront pas être rénovés à ce niveau de performance : il est parfois difficile d’isoler les planchers ou de supprimer des ponts thermiques (interruption d’isolation, par exemple autour d’un plancher). Le coût de telles rénovations peut atteindre plusieurs dizaines de milliers d’euros pour un logement de classe G, ce qui constitue bien entendu un frein, d’où l’importance des aides publiques. La rénovation du parc a commencé trop tard : au rythme actuel, même un budget carbone à 2 °C de réchauffement sera dépassé. Il reste toutefois encore un espoir de respecter ce budget : pour cela, il faut rénover 400 000 logements par an selon la classe de performance A. Cela constitue un défi en termes de formation des entreprises et des maîtres d’ouvrage ainsi que d’aides publiques. Mais il convient de relever ce défi, car nous voyons dès aujourd’hui les conséquences d’un réchauffement de 1,5 °C, atteint en 2024 (mais pas encore sur une moyenne de dix ans). À terme, de nombreux bâtiments ne pourront plus être assurés à cause de risques trop élevés, sans parler de la précarité énergétique qui va croître avec les prix de l’énergie. La sobriété liée aux comportements des habitants est à encourager, mais elle ne suffira pas. La rénovation permet également de se protéger des vagues de chaleur de plus en plus sévères, car l’isolation thermique protège aussi du chaud. Il ne suffit pas de planter quelques arbres dans les villes, une isolation très performante est nécessaire. L’idée qu’il suffit d’électrifier l’ensemble des usages énergétiques et de relancer le nucléaire est également un leurre, notamment du fait des pics dans la demande générés par le chauffage, qui nécessiteraient un investissement considérable en capacité de production d’électricité. Il est donc toujours temps de limiter la catastrophe : une rénovation plus performante est possible, et même nécessaire, pour conserver une planète vivable. Bruno Peuportier a reçu des financements de la Commission européenne, de l’Ademe, de l’ANR et du groupe Vinci pour développer des connaissances sur l’écoconception des bâtiments et des quartiers. Charlotte Roux a reçu des financements de la Commission européenne, de l’Ademe, de l’ANR et du groupe Vinci pour développer des connaissances sur l’écoconception des bâtiments et des quartiers. Khaled Khazaal a reçu des financements pour ses travaux de recherche du Lab Recherche Environnement, une chaire de recherche en mécénat financée par Vinci. Texte intégral 3193 mots
Quelles performances énergétiques pour les logements français ?
Budget carbone et puits de carbone
Des logements exemplaires sont possibles
Quels scénarios de rénovation ?
De bonnes et de mauvaises nouvelles
Espoirs et défis