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13.10.2025 à 16:30

Tony Blair est-il l’homme de la situation pour Gaza ?

Dana El Kurd, Assistant Professor of Political Science, University of Richmond
L’ancien premier ministre britannique Tony Blair sera chargé de superviser l’Autorité internationale de transition pour Gaza prévue par le plan Trump.

Texte intégral 2460 mots

Au vu de ce qui transparaît du plan élaboré pour Gaza par l’administration Trump, qui lui confère un rôle éminent, il semble que l’action de l’ancien premier ministre britannique Tony Blair sera comparable à son travail en tant qu’envoyé spécial du Quartet en Palestine (2007-2015), qui s’était soldé par un échec, plus qu’à son implication dans l’accord du Vendredi saint qui, en 1998, avait mis fin à trente ans de conflit armé en Irlande du Nord…


Tony Blair, l’homme choisi par Donald Trump pour jouer un rôle clé dans la supervision de la gouvernance de Gaza après la guerre, n’en est pas à sa première négociation d’un plan de paix.

Premier ministre du Royaume-Uni de 1997 à 2007, Blair a contribué en 1998 à la conclusion de l’accord du Vendredi saint, qui a permis de mettre un terme aux violences sectaires en Irlande du Nord. Après son départ du 10, Downing Street, Blair est immédiatement devenu envoyé spécial du Quartet – un groupe diplomatique regroupant l’Organisation des Nations unies (ONU), l’Union européenne (UE), les États-Unis et la Russie pour élaborer une solution durable au conflit israélo-palestinien. Il est demeuré à ce poste jusqu’en 2015.

Comme l’ont tragiquement montré le carnage commis le 7 octobre 2023 par le Hamas et les ravages qui ont été ensuite infligés à Gaza par Tsahal, récemment qualifiés de génocide par un organe des Nations unies, le Quartet a échoué dans sa mission.

Le plan de paix en 20 points actuellement en discussion par les parties prenantes en Égypte est succinct : il insiste sur le retour des otages israéliens encore détenus par le Hamas, la démilitarisation de la bande de Gaza et la création d’une force de sécurité internationale pour opérer sur place.

Par ailleurs, ce plan ne soutient pas l’expulsion des Palestiniens de Gaza – contrairement à certaines propositions précédentes formulées par l’administration Trump et qualifiées par des associations de défense des droits humains de plans de « nettoyage ethnique ».

Le 8 octobre 2025, Trump a annoncé le lancement d’une phase initiale du plan de paix. Un accord a été trouvé sur l’échange des otages contre des prisonniers ainsi qu’une trêve des combats. Mais les négociations sont toujours en cours sur divers points d’achoppement, notamment le désarmement des groupes combattants gazaouis.

L’accord prévoit également qu’après la guerre, Gaza soit gouvernée par un comité palestinien provisoire « technocratique » et « apolitique ». Cet organe temporaire sera supervisé par un « Conseil de paix » dirigé par Trump lui-même. D’autres membres dont les noms n’ont pas été communiqués y siégeront également, mais le seul nom qui a été annoncé à ce stade est celui de Tony Blair, qui, selon certaines informations, était en pourparlers avec l’administration Trump depuis un certain temps pour élaborer le plan de paix actuel.

En tant que spécialiste des relations internationales et de la politique palestinienne, je crains que cette proposition ne comporte les mêmes limites et les mêmes défauts que les précédents plans de paix imposés aux Palestiniens par des organismes extérieurs, notamment les efforts du Quartet de Blair et les précédents accords d’Oslo, et qu’elle soit très éloignée des mécanismes qui ont permis de consolider la paix en Irlande du Nord.

Un plan qui prend racine dans une « paix illibérale »

La faille principale que les critiques voient dans le plan actuel est qu’il ne mentionne pas le droit des Palestiniens à l’autodétermination et à la souveraineté, un droit pourtant inscrit dans le droit international.

Le plan ne prévoit pas non plus de participation significative des Palestiniens, que ce soit par l’intermédiaire de leurs représentants légitimes ou par le biais de mécanismes visant à garantir l’adhésion de la population.

Au contraire, le nouveau cadre est asymétrique, puisqu’il permet au gouvernement israélien d’atteindre bon nombre de ses objectifs politiques tout en imposant plusieurs niveaux de contrôle international et en n’évoquant que des garanties vagues pour le peuple palestinien, et ce, uniquement si celui-ci se conforme aux exigences des auteurs du texte.

En l’état, ce plan s’inscrit dans la continuité de ce que les politologues qualifient de « paix illibérale » en matière de résolution des conflits.

Dans un article publié en 2018, des chercheurs ont défini la « paix illibérale » comme une paix dans laquelle « la cessation du conflit armé est obtenue par des moyens […] ouvertement autoritaires ».

Une telle paix est obtenue grâce à « des méthodes qui évitent les véritables négociations entre les parties au conflit, rejettent la médiation internationale et les contraintes à l’usage de la force, ignorent les appels à s’attaquer aux causes structurelles sous-jacentes du conflit et s’appuient plutôt sur des instruments de coercition étatique et des structures hiérarchiques de pouvoir ».

Parmi les exemples passés, on peut citer la gestion des conflits au Kurdistan turc, en Tchétchénie ou encore, tout récemment, au Haut-Karabakh.

Le cas de l’Irlande du Nord

Cela contraste avec d’autres accords de paix conclus ailleurs, dans des cadres diplomatiques plus inclusifs, comme en Irlande du Nord.

Pendant plus de trente ans, le territoire avait été embourbé dans des violences sectaires entre les « loyalistes », majoritairement protestants et désireux de rester rattachés au Royaume-Uni, et la minorité catholique, qui entendait faire partie d’une république irlandaise unifiée et indépendante.

Pour mettre fin à ce conflit armé, le processus de paix a inclus toutes les parties concernées, y compris les différents groupes combattants.

De plus, le processus de paix en Irlande du Nord a explicitement impliqué la population irlandaise et lui a permis de s’exprimer à travers deux référendums distincts. Les habitants d’Irlande du Nord ont voté pour ou contre le plan, tandis que ceux de la République d’Irlande ont voté pour ou contre l’autorisation donnée à l’État irlandais de signer l’accord.

Grâce à ce processus inclusif et démocratique, le conflit n’a toujours pas repris depuis vingt-sept ans.

Si Tony Blair n’a pas lancé le processus de paix en Irlande du Nord, son gouvernement a joué un rôle central, et c’est lui qui a déclaré que « la main de l’histoire » reposait sur l’épaule de ceux qui ont participé aux derniers jours des négociations.

Échec à Oslo

Le processus nord-irlandais, couronné de succès, contraste fortement avec les nombreux processus de paix qui ont échoué au Moyen-Orient, lesquels s’inscrivent davantage dans le concept de « paix illibérale ».

La tentative la plus sérieuse en faveur d’une paix durable a été celle des accords d’Oslo de 1993, par lesquels l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) a accepté le droit d’Israël à exister, renonçant à ses revendications sur une grande partie de la Palestine historique, en échange de la reconnaissance par Israël de l’OLP comme représentant légitime du peuple palestinien.

Ce processus a conduit à la création de l’Autorité palestinienne, qui était censée exercer une gouvernance limitée à titre provisoire, et à la tenue d’élections présidentielles et parlementaires afin d’impliquer la population palestinienne. Mais comme l’ont depuis admis de nombreux anciens responsables américains, les accords étaient asymétriques : ils offraient aux Palestiniens une reconnaissance sous l’égide de l’OLP, mais peu de perspectives pour parvenir à une solution négociée dans un contexte d’occupation par un pays souverain bien plus puissant.

Le processus de paix s’est effondré lorsque cette asymétrie est apparue clairement. Les deux parties entendaient des choses très différentes par le mot « État ». Le gouvernement israélien envisageait une forme d’autonomie limitée pour les Palestiniens et poursuivait l’expansion des colonies et l’occupation militaire. Les Palestiniens, quant à eux, envisageaient un État légitime exerçant sa souveraineté.

Pour aggraver les problèmes, les Palestiniens n’ont jamais eu un pouvoir de négociation égal, et les accords manquaient d’un arbitre neutre, les États-Unis, le principal médiateur, penchant clairement en faveur de la partie israélienne.

Oslo était censé être un processus limité dans le temps afin de donner aux négociateurs le temps de résoudre les questions en suspens. Dans la pratique, il a servi à couvrir diplomatiquement, des années durant, un statu quo dans lequel les gouvernements israéliens se sont éloignés d’une solution à deux États tandis que les Palestiniens sont devenus de plus en plus fragmentés politiquement et géographiquement dans un contexte de difficultés et de violences croissantes.

Le processus de paix d’Oslo s’est effondré au début du mandat du gouvernement Blair, alors même que celui-ci contribuait à mettre la touche finale à l’accord du Vendredi saint.

Répéter les erreurs à Gaza ?

Dans le contexte israélo-palestinien actuel, Blair risque de répéter les erreurs d’Oslo. Il s’apprête à siéger au sein d’un organisme international non démocratique chargé de superviser un peuple soumis à une occupation militaire de facto.

De plus, bien que le plan Trump dépende de l’approbation du Hamas, ce mouvement n’aura aucun rôle à jouer après la phase initiale. En effet, le cadre stipule explicitement que le Hamas doit être exclu de toute discussion future sur l’après-guerre à Gaza. De plus, aucun autre groupe palestinien n’est directement impliqué ; le principal rival du Hamas, le Fatah, qui contrôle l’Autorité palestinienne en Cisjordanie occupée, n’est mentionné que brièvement. Quant à l’Autorité palestinienne, il n’y a qu’une vague allusion à la réforme de cet organisme.

De même, il n’a été fait aucune mention de ce que le peuple palestinien pourrait réellement souhaiter. À cet égard, l’organe proposé rappelle la création de l’Autorité provisoire de la coalition dirigée par les États-Unis lors de l’invasion de l’Irak (2003-2004). Cet organisme, qui a gouverné l’Irak immédiatement après l’invasion, a été sévèrement critiqué pour sa corruption et son manque de transparence.

L’échec de la guerre en Irak et l’implication du Royaume-Uni dans ce conflit ont contribué à la démission de Tony Blair de son poste de premier ministre en 2007, après quoi il a occupé la fonction d’envoyé spécial du Quartet. Formé par l’ONU, les États-Unis, l’UE et la Russie, le Quartet était chargé de préserver une forme de solution à deux États et de mettre en œuvre des plans de développement économique dans les villes palestiniennes.

Mais lui aussi a échoué à répondre aux réalités politiques changeantes sur le terrain, alors que les colonies israéliennes s’étendaient et que l’occupation militaire s’intensifiait.

Selon ses détracteurs, le Quartet aurait largement ignoré le droit des Palestiniens à l’autodétermination et à la souveraineté, se concentrant plutôt sur une amélioration marginale des conditions économiques et sur des initiatives superficielles.

La dernière proposition soutenue par les États-Unis s’inspire largement de cette approche. Même si elle apporte à court terme un répit bienvenu aux souffrances des Gazaouis, une résolution durable et mutuellement acceptée du conflit israélo-palestinien qui dure depuis plusieurs décennies nécessite ce que le plan de Trump met de côté : l’autodétermination palestinienne.

En Irlande du Nord, Blair avait compris l’importance d’une médiation neutre et de l’adhésion de toutes les parties au conflit et de la population elle-même. Le plan auquel il participe aujourd’hui semble fonctionner selon un calcul très différent.

The Conversation

Dana El Kurd est membre de l'Arab Center de Washington.

13.10.2025 à 16:29

Le bond en avant de l’industrie automobile chinoise de 1953 à nos jours

Fabien M. Gargam, Associate Professor of Management, Renmin University of China et Chercheur Associé, Université Paris-Saclay
Depuis 1953, la République populaire de Chine monte en puissance dans l’industrie automobile. Comment a-t-elle pu réaliser ce bond en avant en un peu plus de soixante-dix ans seulement ?

Texte intégral 2806 mots
En Chine, les ventes de véhicules à énergie nouvelle atteignent le premier rang mondial en 2015. RomanZaiets/Shutterstock

Depuis 1953, la République populaire de Chine monte en puissance dans l’industrie automobile. Comment a-t-elle pu réaliser ce bond en avant en un peu plus de soixante-dix ans seulement ?


En avril 2025, les ventes en Europe de véhicules entièrement électriques du fabricant chinois BYD dépassent pour la première fois celles de Tesla, propulsant l’entreprise dans le top 10 du classement européen des ventes de véhicules à énergie nouvelle. Ce tournant marque non seulement un moment important dans la croissance du plus grand constructeur automobile de la République populaire de Chine, mais symbolise aussi la montée en puissance de l’industrie chinoise des véhicules à énergie nouvelle.

Yuwu Fu, président honoraire de la Société des ingénieurs automobiles de Chine, estime que le développement de l’industrie automobile chinoise a connu trois phases distinctes. De 1953 à 2000, elle établit ses fondements industriels. Après 2000, elle accélère son développement. Depuis 2020, elle progresse vers le statut de grande puissance automobile.

En 2016, le plan directeur du Conseil d’État chinois pour une stratégie nationale de développement axé sur l’innovation stipule que les capacités nationales devraient passer d’une coexistence d’approches « suivre », « rattraper », « mener », avec une prédominance de l’approche « suivre », à un modèle où les approches « rattraper » et « mener » prennent le dessus.

En combinant perspective historique et perspective stratégique, le présent article décrit les principaux moteurs des trois phases afin de dégager la logique qui sous-tend le bond en avant de l’industrie automobile chinoise.

La phase « suivre », de 1953 à 2000

Si l’industrie automobile occidentale est née au milieu du XIXᵉ siècle, le secteur automobile chinois voit le jour environ un siècle plus tard. En 1953, la première usine automobile de l’entreprise FAW est fondée à Changchun (au nord-est de la Chine) avec l’aide de l’Union soviétique. Elle marque les débuts de la République populaire de Chine dans la fabrication automobile.

Le modèle Dongfeng CA71, ce qui signifie « Vent d’est », produit par le constructeur chinois First Automobile Works (FAW), en 1958. Wikimediacommons

À partir de 1985, la Chine met en place des mesures protectionnistes telles que des droits de douane élevés et des quotas d’importation. Parallèlement, elle attire les investissements étrangers pour implanter des usines sur son sol, en s’appuyant sur une main-d’œuvre bon marché et un énorme potentiel commercial. En 1994, pour sortir de sa dépendance aux technologies étrangères, la politique industrielle automobile exige que la participation étrangère dans les coentreprises ne dépasse pas les 50 %.

Durant cette phase, la Chine commence à explorer le secteur des véhicules à énergie nouvelle. En 1992, le scientifique Xuesen Qian suggère :

« L’industrie automobile chinoise devrait passer directement à l’étape des énergies nouvelles pour réduire la pollution environnementale, sans passer par celle de l’essence et du diesel. »

La phase « rattraper », de 2001 à 2019

Après l’adhésion de la Chine à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) en 2001, son industrie automobile connaît un développement rapide. Les droits de douane sur les importations automobiles sont réduits, les politiques de protection commerciale sont supprimées, et l’ouverture du marché contraint l’industrie à améliorer sa qualité et à accélérer sa croissance.

L’utilisation du modèle des coentreprises stimule le développement d’entreprises automobiles nationales, établissant rapidement un système industriel complet. En 2009, la Chine devient, pour la première fois, le premier producteur automobile mondial.

Sous l’effet de plusieurs pressions, notamment le monopole des brevets des constructeurs automobiles européens et états-uniens, la sécurité énergétique et les contraintes écologiques, le secteur automobile chinois s’oriente vers le développement accéléré de véhicules à énergie nouvelle.

En 2009, la République populaire de Chine devient le premier producteur automobile mondial. MikeDotta/Shutterstock

L’exploration des véhicules électriques commence dans les années 1830 en Europe et aux États-Unis. Elle stagne ultérieurement en raison de l’exploitation à grande échelle du pétrole et de l’essor de la technologie des moteurs à combustion interne. En République populaire de Chine, lors du 10e plan quinquennal, le programme national 863 pour les véhicules électriques pose, en 2001, le cadre de la recherche et du développement autour de « trois verticaux et trois horizontaux ».

Les « trois verticaux » désignent les véhicules électriques purs, les véhicules électriques hybrides et les véhicules à pile à combustible. Les « trois horizontaux » englobent les trois systèmes électriques : batteries, moteurs électriques et systèmes de contrôle électronique. Le scientifique en chef du projet Gang Wan déclare que si la Chine a environ vingt ans de retard sur les leaders internationaux dans le domaine des véhicules à moteur à combustion interne, l’écart dans le domaine des véhicules électriques n’est que de quatre à cinq ans.


À lire aussi : Véhicules électriques : la domination chinoise en 10 questions


L’État introduit une série de subventions spécifiques pour développer l’industrie des véhicules électriques. Un certain nombre de marques nationales apparaissent, comme BYD, qui passe de la fabrication de batteries à celle de véhicules complets. Les ventes de véhicules à énergie nouvelle en Chine atteignent, pour la première fois, le premier rang mondial en 2015. La même année, la publication du guide pour le développement des infrastructures de recharge des véhicules électriques (2015-2020) pose les fondations du plus grand réseau de recharge au monde.

La phase « mener », de 2020 à aujourd’hui

L’industrie automobile chinoise effectue un bond en avant technologique en passant des véhicules traditionnels à carburant aux véhicules intelligents à énergie nouvelle. Pour ce faire, quatre conditions sont nécessaires selon les économistes Elise Brezis, Paul Krugman et Daniel Tsiddon.

Premièrement, il doit exister un écart salarial important entre les pays leaders et les pays retardataires. Par rapport aux puissances automobiles établies, la République populaire de Chine affiche toujours une différence significative en matière de coût de main-d’œuvre par véhicule. Selon les derniers chiffres de la société de conseil Oliver Wyman, les constructeurs automobiles chinois engagent des dépenses de main-d’œuvre de 597 dollars par véhicule contre 769 dollars au Japon, 1 341 dollars aux États-Unis, 1 569 dollars en France et 3 307 dollars en Allemagne.

Deuxièmement, les technologies émergentes présentent initialement une efficacité relativement faible. Le secteur des véhicules électriques est confronté à des difficultés importantes à ses débuts. On peut citer, par comme exemple, la Roadster, première voiture électrique pure de Tesla, et la F3DM, première voiture hybride rechargeable au monde de BYD.

La nouvelle voiture électrique BYD Atto 1, lancée en Indonésie, est présentée au Salon international de l’auto 2025 de Gaikindo Indonésie (GIIAS), le mardi 29 juillet 2025. fotopix/Shutterstock

Troisièmement, l’expertise acquise dans la recherche et le développement des réservoirs, des moteurs et des boîtes de vitesse des véhicules à combustion interne ne peut pas être appliquée aux trois systèmes électriques des véhicules à énergie nouvelle. Créée en 2011, l’entreprise Contemporary Amperex Technology Co. Limited (CATL) n’a aucune expérience dans le domaine des véhicules à combustion interne, mais elle devient en seulement six ans le leader mondial des batteries électriques avec, actuellement, 37,5 % de parts de marché.

Quatrièmement, les technologies des véhicules à énergie nouvelle arrivées à maturité améliorent la productivité dans trois domaines : l’optimisation des coûts, l’accélération de la recharge et la création de futures applications.

« Dépasser en changeant de voie »

De ses débuts où elle suivait le rythme des normes internationales jusqu’à sa position de leader mondial, l’industrie automobile chinoise suit une trajectoire complète consistant à éviter les écueils, à tirer parti de ses atouts et à réaliser des bonds en avant. Cette logique, nommée en Chine « dépasser en changeant de voie », fait écho aux principes de l’innovation disruptive proposés par l’universitaire Clayton Christensen.

Néanmoins, le développement futur du secteur automobile chinois reste semé d’embûches. La concurrence « involutive » est devenue un obstacle majeur pour la pérennité de l’industrie. Les entreprises chinoises de véhicules à énergie nouvelle, impactées par la concurrence nationale et les droits de douane, accélèrent leur expansion à l’étranger tout en étant confrontées à un double défi matériel et culturel.


Cet article a été corédigé par Yuzhen Xie (écrivaine et conférencière), diplômée de Renmin University of China.

The Conversation

Fabien M. Gargam ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

11.10.2025 à 08:31

Donald Trump et Pete Hegseth appellent 800 généraux à combattre « l’ennemi intérieur »

Olivier Sueur, Enseigne la compétition stratégique mondiale et les enjeux transatlantiques, Sciences Po
Trump et Hegseth ont réuni leurs généraux pour « mettre fin aux dérives woke » et pour aligner l’armée sur leurs objectifs politiques – en vue de la déployer dans les villes états-uniennes.

Texte intégral 1612 mots

Jamais l’ensemble des généraux américains n’avaient été convoqués pour écouter le président du pays et leur ministre de tutelle comme ce fut le cas ce 30 septembre à Quantico (Virginie). Cette réunion historique a vu Donald Trump et Pete Hegseth tenir à des hauts gradés silencieux un discours aux intonations martiales et virilistes dont l’objectif réel était de les préparer à diriger des opérations militaires… à l’intérieur même des États-Unis, dans les villes dirigées par des démocrates.


Le 30 septembre 2025, le secrétaire américain à la guerre Pete Hegseth a prononcé devant 800 officiers généraux américains réunis à Quantico, en Virginie, un discours mémorable, qui a été suivi d’une intervention du président – et commandant en chef des armées, Donald Trump.

Cette réunion avait fait en amont l’objet des spéculations les plus folles, et son déroulement nourrit désormais moqueries et parodies sur les réseaux sociaux. Convoquée début septembre, soit avec un préavis très court, une réunion de chefs militaires américains de cette ampleur n’a pas de précédent connu. Elle mérite une véritable analyse pour en comprendre l’exacte signification, de même que son importance structurante pour les trois prochaines années.

Une réunion annoncée au dernier moment, mais préparée depuis longtemps

Commençons par resituer le contexte de cette réunion.

Premièrement, l’administration Trump a procédé à une première épuration parmi les plus hauts gradés de l’armée : le chef d’état-major des armées le général C. Q. Brown, la cheffe d’état-major de la Marine Lisa Franchetti, le directeur du renseignement militaire Jeffrey Kruse, l’amirale commandant les garde-côtes Linda Fagan… une dizaine de départs de responsables de premier plan a été enregistrée depuis février.

Deuxièmement, le secrétaire à la guerre a pris, le 5 mai 2025, une directive ordonnant la réduction du nombre d’officiers généraux cinq étoiles de 20 %, soit un passage de 37 à 30 du nombre d’officiers généraux de la garde nationale d’au moins 20 %, et du nombre d’officiers généraux des forces armées de 10 % (de 838 à environ 700).

Troisièmement, le département de la défense a été rebaptisé « département de la guerre », le 5 septembre 2025, sur décision du président Trump.

Quatrièmement, deux documents structurants pour l’organisation de ce ministère sont en cours d’achèvement cet automne, à savoir la stratégie nationale de défense (National Defense Strategy) et la révision de la configuration mondiale des forces (Global Force Posture Review). Ces documents doivent aboutir à une réduction significative du volume des forces stationnées à l’étranger et se traduire par une bascule de leur déploiement de l’Europe vers l’Indo-Pacifique.

L’annonce d’un « changement de culture »

Au vu de l’ensemble de ces éléments, une forme de nervosité, voire d’appréhension, de la part des participants n’apparaissait pas illégitime. Et ils n’ont pas été déçus : Pete Hegseth a fait de son intervention le « jour de libération des guerriers de l’Amérique », paraphrasant le « jour de la libération » proclamé par Donald Trump, le 2 avril 2025, lors de ses annonces en matière de droits de douanes.

Son objectif révélé dès la première minute de son intervention est d’« avoir les bonnes personnes et la bonne culture au département de la guerre », car c’est le personnel qui fait la politique d’une organisation (« Personnel is policy »). Il dénonce ensuite longuement la « dérive woke » au sein des forces armées américaines – promotions sur la base d’appartenance raciale ou de quotas de genre, politiquement correct, mois de l’identité, programmes Diversity, Equity, and Inclusion (DEI), femmes dans les unités combattantes, transsexuels, gros, barbus, cheveux longs… Bref, tout y passe, et Hegseth promet d’y porter le fer avec énergie.

Tout cela n’est en aucun cas une surprise puisqu’il s’agit ni plus ni moins que de la politique engagée au niveau national par le président Trump – et annoncée lors de sa campagne.

En revanche, ce qui est passionnant dans ce discours, c’est son caractère programmatique. D’abord, le secrétaire à la guerre annonce que ses services se dotent des moyens de mettre en œuvre cette rééducation culturelle des militaires américains à l’égard de l’« idéologie woke » grâce à l’envoi aux participants de dix directives formalisant les orientations énoncées ci-dessus et portant, notamment, sur le rétablissement de standards physiques masculins uniformes en matière de préparation militaire : c’est sur ce modèle qu’eux, officiers généraux, seront évalués.

Ensuite, il annonce à son auditoire que ce changement de culture implique un changement de génération parmi eux, et donc de nouveaux départs, allant jusqu’à inviter ceux qui se sentent en désaccord avec ses propos à démissionner. Dans un contexte de réduction du nombre de postes offerts à la promotion, voilà qui invite à l’introspection.

Ce discours organise le réalignement culturel des forces armées américaines sur les orientations du gouvernement, à l’image de ce qu’indiquait le règlement des armées françaises de 1933 : « Il importe que les ordres soient exécutés littéralement, sans hésitation, ni murmure. »

Objectif désigné : les villes démocrates

Pourquoi ce réalignement ? C’est l’intervention subséquente de Donald Trump qui y répond : bien que particulièrement décousue, elle est l’occasion d’annoncer fort à propos une augmentation des salaires des militaires de 3,8 %, mais surtout de désigner aux officiers généraux leur adversaire, à savoir l’« invasion intérieure » (« Invasion from within »).

De manière spécieuse, le président liste même les cibles qu’il qualifie de « zones de guerre ». Il s’agit des villes tenues par « la gauche radicale démocrate » et nommément désignées : San Francisco, Chicago, New York, Los Angeles, Portland et Seattle. Il prend appui sur les précédents historiques d’utilisation des forces armées pour le maintien de l’ordre intérieur par les présidents George Washington, Abraham Lincoln, Grover Cleveland ou George W. Bush. Il rappelle enfin aux officiers généraux présents, comme l’avait d’ailleurs fait Pete Hegseth à deux reprises, leur serment de prise de fonctions qui prévoit la lutte contre l’ennemi intérieur :

« Je jure [ou affirme] solennellement que je soutiendrai et défendrai la Constitution des États-Unis contre tous les ennemis, étrangers et intérieurs. »

Une insistance à replacer dans le cadre culturel américain, où une importance majeure est accordée aux serments depuis la guerre d’Indépendance et la guerre de Sécession.

Comme on le comprend aisément, la plupart des commentaires ratent l’essentiel. L’administration Trump prépare les forces armées américaines, d’une part, à une intervention massive dans les grandes villes administrées par les démocrates au prétexte de lutter contre les ennemis intérieurs et, d’autre part, à disposer d’une institution militaire à la fois obéissante et partageant les valeurs du gouvernement, en vue des prochaines échéances politiques du pays, notamment électorales… toutes choses qui avaient manqué lors du coup d’État avorté du 6 janvier 2021.

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Olivier Sueur ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

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