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10.07.2025 à 16:04

« Migrants », « réfugiés », « illégaux », « candidats à l’asile »… comment les politiques et les médias désignent les personnes en déplacement

Valériane Mistiaen, Postdoctoral fellow, Vrije Universiteit Brussel
Une étude conduite en Belgique met en évidence la multiplicité des termes employés et les soubassements politiques de ces choix.

Texte intégral 1624 mots

L’analyse de plus de 13 000 articles de presse et 3 400 journaux télévisés montre la grande diversité des termes utilisés pour désigner les personnes en déplacement – une terminologie qui influence profondément le regard porté sur elles.


Les termes utilisés dans les médias pour désigner les personnes en déplacement (une formule encore peu répandue en France mais qui tend à s’imposer comme une expression neutre et inclusive dans les sphères internationales, notamment au sein d’organisations comme l’Organisation internationale pour les migrations (OIM)) ne sont jamais neutres : ils révèlent, souvent malgré eux, des rapports de force politiques et idéologiques.

La catégorisation – et donc le mot utilisé pour désigner une catégorie – manifeste un rapport de pouvoir. Dans le contexte de la « crise migratoire » européenne, l’usage des catégories est devenu fortement politisé, et varie largement selon le contexte discursif. De plus, la catégorisation et la nomination dans le discours médiatique influencent grandement l’opinion publique.

Dans le cadre de ma thèse de doctorat, j’ai examiné plus de 13 300 articles de presse et 3 490 journaux télévisés diffusés en Belgique entre mars 2015 et juillet 2017. À travers une analyse lexicale du discours médiatique, ce travail documente le répertoire de dénominations utilisées pour nommer les personnes en déplacement et l’évolution du sens de ces termes dans les médias belges. La recherche dévoile plus de 300 dénominations et désignations différentes, allant des plus établies (réfugié, migrant, demandeur d’asile) à des formes plus fugitives ou créatives : personnes qui cherchent une vie meilleure, clients, amis, etc.

La porosité du langage médiatique aux discours politiques

Cette productivité lexicale s’explique par le besoin des journalistes et des responsables politiques de nommer de nouvelles situations ou des cas spécifiques. Elle révèle aussi la porosité du discours médiatique aux discours politiques, à tel point que de nombreuses dénominations, bien qu’émanant du monde politique et non des journalistes eux-mêmes, se retrouvent dans les médias via le discours rapporté – comme c’est le cas pour des formules comme « chercheur de fortune » ou le terme « illégal ».

Ces dénominations servent souvent à classer les personnes selon leur « mérite », divisant celles qui mériteraient d’être accueillies (les réfugiés politiques « idéaux ») de celles qui devraient être expulsées (les migrants dits « économiques »).

Les journalistes ne créent pas les mots qu’ils emploient. Ils piochent dans le langage juridique et administratif, ou dans les débats politiques. Ce qui les amène à reproduire, parfois sans le vouloir, les représentations dominantes. Cette dynamique est particulièrement visible dans le lexique des migrations.

Prenons l’exemple du mot transmigrant. Inexistant dans le droit international, ce terme s’est imposé dans les discours politiques belges dès 2015 pour désigner les personnes qui tentaient de rejoindre le Royaume-Uni depuis la France ou la Belgique, sans vouloir y rester. Ce néologisme a très vite été repris par les médias, en particulier néerlandophones. Les personnes ainsi désignées sont perçues comme provisoires et illégales. On parle de leur présence comme d’un « problème », jamais d’une trajectoire. La force de ce mot réside dans son caractère flou : ni réfugié, ni migrant, ni demandeur d’asile, le transmigrant devient une catégorie politique commode pour justifier l’application à son encontre des politiques de contrôle, voire d’expulsion, tout en évitant les obligations internationales liées à l’asile.

Autre exemple frappant : la forte fréquence du terme illégal, « l’exclu des exclus ». Cette désignation stigmatisante s’est banalisée dans le discours médiatique. Entre 2015 et 2017, plus de 700 occurrences du terme ont été relevées dans le corpus néerlandophone, contre 94 seulement dans le corpus francophone. Ce décalage linguistique reflète des choix éditoriaux différents mais aussi une proximité plus ou moins assumée avec les éléments de langage politiques.

La Belgique, pays multilingue sans espace public unifié, constitue un laboratoire d’observation privilégié. Les différences lexicales entre les médias francophones et néerlandophones sont notables : usage plus fréquent de sans-papiers au sud, de illegalen (« illégaux ») au nord ; plus de voix associatives dans les JT francophones, plus de voix politiques dans les JT néerlandophones. Mais ces différences ne doivent pas masquer une tendance commune : dans les deux espaces, le langage médiatique reste fortement influencé par les discours politiques, souvent opposés à l’accueil de réfugiés (durant la période étudiée, le secrétaire d’État à l’Asile et à la Migration, Théo Francken, était issu du parti nationaliste flamand N-VA, qui a fait de l’immigration son cheval de bataille.).

En Belgique, la résistance face à la politique migratoire s’organise, France24, janvier 2018.

Des journalistes critiques : pistes de bonnes pratiques

Certains journalistes développent des pratiques plus réflexives, plus éthiques. Les termes utilisés pour nommer sont souvent précis : mineur non accompagné, candidat à l’asile, personne en situation irrégulière, réfugié de guerre… Ou, une fois que le statut de la personne est décrit, des termes relationnels ou des termes comme sœur, fils, voisin ou ami, sont également utilisés. Cette précision permet d’éviter les amalgames et d’humaniser ces personnes.

Si les termes stigmatisants apparaissent surtout dans la bouche des politiciens et circulent via les discours rapportés, ils sont généralement contextualisés, voire remis en question par les journalistes qui s’en distancent en les mettant entre guillemets :

« Trois policiers l’emmènent. D. est ici en tant que “migrant illégal”, comme ils l’appellent. » (Het Laatste Nieuws, 24 août 2016).

Les journalistes font également preuve d’une grande créativité lexicale. Ils ont, par exemple, créé la désignation candidat demandeur d’asile pour référer aux personnes qui font la file devant l’Office des étrangers sans pouvoir déposer leur demande d’asile :

« Hier, l’Office des étrangers a dû refuser une cinquantaine de réfugiés qui voulaient demander l’asile parce que la salle d’attente était surpeuplée. Les candidats demandeurs d’asile doivent trouver refuge chez des parents ou des connaissances ou dans un hôtel. Certains n’y sont pas parvenus et ont passé la nuit dans un parc bruxellois. » (VRT, 4 août 2015).

Et ils n’hésitent pas à se montrer critiques :

« En outre, la confusion entre la cupidité et la recherche d’une vie meilleure est le plus souvent délibérée. Ainsi, nos esprits sont façonnés pour cocher mentalement la case “réfugié de guerre” et mettre une croix à côté de “réfugié économique”. Le “chercheur de fortune” a progressivement acquis une connotation négative. Sémantique ? Oui, mais pas de manière innocente. Des gens se noient en Méditerranée parce que l’Europe a tergiversé dans les opérations de sauvetage. » (De Standaard, 27 février 2016)


À lire aussi : À bord de l’« Ocean Viking » (1) : paroles de réfugiés secourus en mer


Les termes liés à la migration mettent l’accent sur des aspects très variés : origine, nationalité, genre, statut relationnel, destination ou mouvement. De nombreuses dénominations dans le discours médiatique sont accompagnées de qualificatifs (vulnérable, économique, adjectifs de nationalité), qui modifient le sens du mot, même lorsqu’il s’agit de catégories juridiques supposées stables et précises sur le plan sémantique.

Vers un journalisme plus conscient

Pour aller vers une couverture médiatique plus humaine et plus rigoureuse des migrations, plusieurs pistes peuvent être envisagées :

  • Contextualiser les mots, leur usage, en expliquer la genèse, la portée.

  • Donner la parole aux personnes concernées, pour qu’elles puissent se nommer elles-mêmes.

  • Former les journalistes pour qu’ils prennent conscience des effets de leurs choix lexicaux.

  • Favoriser la diversité des sources : ONG, chercheurs, personnes en migration, avocats, et pas seulement des responsables politiques.


Pour aller plus loin, se reporter à notre livre (en anglais) « Did you say “migrant” ? Media Representations of People on the Move ».

The Conversation

Valériane Mistiaen a reçu des financements du Fonds de la Recherche Scientifique (FNRS) pour mener sa thèse de doctorat.

10.07.2025 à 16:03

L’Indonésie à l’honneur le 14 juillet, reflet de la stratégie française en Indo-Pacifique

Paco Milhiet, Visiting fellow au sein de la Rajaratnam School of International Studies ( NTU-Singapour), chercheur associé à l'Institut catholique de Paris, Institut catholique de Paris (ICP)
La visite du chef d’État indonésien à Paris à l’occasion du 14 juillet confirme le renforcement du partenariat stratégique entre Paris et Jakarta.

Texte intégral 2507 mots

Portées par une volonté commune de proposer à la région indo-pacifique une option alternative à la rivalité sino-américaine, la France et l’Indonésie approfondissent le partenariat stratégique scellé en 2011. Après la visite d’État d’Emmanuel Macron à Jakarta en mai dernier, son homologue indonésien, Prabowo Subianto, est cette fois l’invité d’honneur du défilé du 14 juillet à Paris. Au-delà du symbole, c’est une dynamique de rapprochement à la fois militaire, économique et diplomatique qui se confirme entre les deux pays.


Quelques semaines après une visite d’État en Indonésie, Emmanuel Macron a rendu la politesse à son homologue indonésien, Prabowo Subianto, en le conviant aux cérémonies du 14 juillet 2025 en tant qu’invité d’honneur.

Cette double séquence diplomatique entre Jakarta et Paris, concomitante au 75e anniversaire de l’établissement des relations diplomatiques entre les deux pays, s’inscrit dans la continuité d’un partenariat en plein essor.

Élevée au rang de partenariat stratégique en 2011, la relation franco-indonésienne constitue désormais l’un des piliers de la politique proactive de la France en Asie du Sud-Est. Pour l’Indonésie, la France, en plus d’être un partenaire européen d’autant plus important qu’elle est un membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, représente un levier de diversification stratégique cohérent avec sa posture traditionnelle de non-alignement.

Porté par une coopération de défense en pleine croissance, ce partenariat se veut ambitieux et durable. Si la relation globale demeure encore modeste, notamment en matière d’échanges économiques, les convergences géopolitiques croissantes et des ambitions compatibles dans la région indo-pacifique ouvrent la voie à un approfondissement stratégique de long terme.


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Une coopération de défense florissante

La coopération de défense et de sécurité constitue la pierre angulaire du partenariat franco-indonésien. Elle a connu un développement important au cours des cinq dernières années, notamment grâce à d’importants accords dans le domaine de l’armement.

Depuis 2022, l’Indonésie a acquis 42 avions de chasse Rafale, 2 sous-marins de classe Scorpène (impliquant des transferts de technologie importants, puisque ceux-ci sont construits par le chantier PT PAL en Indonésie), 13 radars longue portée Ground Master 400 auprès de Thales et 2 avions de transport militaire Airbus A400M. La France profite donc largement de l’effort capacitaire indonésien entamé depuis près d’une décennie et de la stratégie de diversification des fournisseurs, articulée autour d’une exigence croissante de transferts de technologies.

Jakarta est désormais le deuxième client de la France en Indo-Pacifique (derrière l’Inde), et la base industrielle et technologique de défense (BITD) française espère des ventes supplémentaires prochainement : Rafale et Scorpène supplémentaires, frégate de défense et d’intervention, avions Airbus multirôle de ravitaillement en vol et de transport (MRTT), satellites, missiles sol-air Mistral et système de défense aérienne VL MICA.

Cette communauté de moyens inédite entre les deux pays s’accompagne d’une coopération opérationnelle en progression constante. Ainsi, l’Indonésie est une escale régulière des missions de projections aériennes françaises Pégase. Les deux pays organisent un exercice terrestre nommé Garuda Guerrier depuis 2023. Une frégate française a participé en 2025 à l’exercice indonésien Komodo.

Sur les théâtres extérieurs, leur participation commune aux opérations de maintien de la paix de l’ONU, notamment la FINUL au Liban dont les deux pays sont des contributeurs majeurs, donne également lieu à des interactions opérationnelles renforcées.

Point d’orgue de cette dynamique de coopération, le porte-avions Charles de Gaulle a, pour la première fois de son histoire, fait escale en Indonésie, à Lombok, en février 2025. Le ministre des Armées, Sébastien Lecornu, s’est spécialement déplacé sur place et a accueilli à bord du bâtiment son homologue indonésien, Sjafrie Sjamsoeddin.


À lire aussi : Le porte-avions « Charles-de-Gaulle », vitrine des ambitions françaises en Indo-Pacifique


Un partenariat global et ambitieux, mais encore modeste

Le partenariat franco-indonésien ne se limite pas à la seule sphère de la défense. Avec plus de 280 millions d’habitants, l’Indonésie est la première économie d’Asie du Sud-Est et représente, à ce titre, d’importantes perspectives de croissance.

La déclaration conjointe publiée à l’issue du voyage du président français en mai 2025, intitulée Horizon 2050, en témoigne : ses 68 points couvrent un spectre très large, allant de la gouvernance internationale à la sécurité alimentaire, en passant par la transition énergétique, la coopération maritime, la biodiversité, l’enseignement supérieur, la culture, le sport ou encore le droit.

Pourtant, malgré une feuille de route bilatérale ambitieuse et la présence de quelque 200 filiales françaises implantées dans le pays – notamment de grands groupes comme Eramet, Total ou Danone –, les échanges économiques entre la France et l’Indonésie demeurent modestes.

Avec environ 3,5 milliards d’euros d’échanges commerciaux annuels, la France reste un partenaire économique de second rang pour l’Indonésie, loin derrière la Chine (127 milliards), les États-Unis (35 milliards) ou encore d’autres puissances asiatiques, et ne figure qu’au quatrième rang des partenaires européens. De son côté, l’Indonésie n’est que le cinquième partenaire économique de la France au sein de l’Asean derrière Singapour, le Vietnam, la Thaïlande et la Malaisie.

Si la France demeure active sur le plan culturel et éducatif, notamment grâce à un Institut français dynamique et présent dans 4 villes, la communauté française en Indonésie reste toutefois relativement modeste, avec environ 3 000 expatriés recensés, bien moins qu’à Singapour ou en Thaïlande.

« Indonésie : l’émergence d’un géant », Le Dessous des Cartes, Arte, février 2024.

Convergences géopolitiques

Pourtant, au-delà des chiffres, c’est avant tout une vision commune des relations internationales qui semble porter le partenariat. Une vision que le président français a résumée en ces termes à Jakarta : « Nous ne voulons la guerre avec personne, mais nous ne voulons dépendre de personne. »

Pour l’Indonésie, le principe fondamental de sa politique étrangère depuis son indépendance en 1945 est la doctrine bebas aktif – une diplomatie libre et active – qui repose sur une politique de non-alignement, engagée, multilatérale et constructive. C’est cette vision qui a guidé l’engagement de l’Indonésie dans le mouvement des non-alignés et son rôle clé dans l’organisation sur son territoire de la Conférence de Bandung en 1955.


À lire aussi : En relations internationales, le non-alignement existe-t-il vraiment ?


Soixante-dix ans plus tard, Jakarta reste un acteur diplomatique très actif : présidence du G20 en 2022, de l’Asean en 2023, adhésion aux BRICS en 2024, candidature en cours à l’OCDE, participation accrue aux opérations de maintien de la paix.

Dans un contexte régional marqué par l’intensification de la rivalité sino-américaine, Jakarta réaffirme sa volonté d’autonomie stratégique. L’élection du président Prabowo Subianto — ancien gendre de Suharto et militaire de carrière à réputation pour le moins contrastée du fait des multiples accusations l’ayant visé par le passé — s’inscrit dans la continuité de cette posture d’équilibriste. Passé par les États-Unis dans le cadre de sa formation, le nouveau chef de l’État a pourtant réservé son premier déplacement officiel à la Chine, en novembre 2024.

Ce geste fort s’est accompagné d’une déclaration conjointe sur l’exploitation partagée des ressources en mer de Chine méridionale, et ce, en dépit des tensions persistantes dans la zone des îles Natuna – une région sous souveraineté indonésienne, mais régulièrement sujette à des incursions de navires de pêche et de garde-côtes chinois.

Ces constantes de la politique étrangère indonésienne, marquée par une proximité simultanée et parfois tendue avec Washington et Pékin, sont compatibles avec « l’autonomie stratégique » défendue par le président Macron comme facteur de rapprochement entre l’Asie et l’Europe pour former une « coalition d’indépendants », concept qu’il a défendu lors du dernier dialogue de Shangri-La à Singapour.

Depuis 2023, les deux pays ont instauré un dialogue stratégique au format 2 +2 (réunissant les ministres des Affaires étrangères et de la Défense), une première pour l’Indonésie avec un pays européen – et cherchent désormais à approfondir leur coopération sur les grands enjeux internationaux. Ainsi, la déclaration conjointe franco-indonésienne du 28 mai 2025 sur le Proche-Orient appelle à un cessez-le-feu immédiat à Gaza, condamne fermement l’occupation illégale des territoires palestiniens et réaffirme l’engagement des deux pays en faveur de la solution à deux États.

C’est cependant dans l’espace indo-pacifique que les convergences stratégiques entre la France et l’Indonésie sont les plus nettes, les deux pays partageant, on l’a dit, une volonté commune de stabilité, de multilatéralisme et aussi de préservation des biens communs maritimes (lutte contre la pêche illégale, la pollution et les trafics illicites, sauvetage en mer, sécurisation des infrastructures critiques, surveillance des domaines maritimes, réponse aux catastrophes naturelles, aide humanitaire).

Horizons indo-pacifiques

À l’heure où l’Indo-Pacifique s’impose comme le théâtre central des recompositions géopolitiques, la convergence entre Paris et Jakarta se reflète dans leurs documents de doctrine respectifs : la Stratégie française en Indo-Pacifique (2018) et la Vision de l’Asean pour l’Indo-Pacifique (2019), dont l’Indonésie a été l’un des principaux artisans.

Les deux pays coopèrent déjà étroitement au sein de plusieurs forums multilatéraux dans l’océan Indien et en Asie du Sud-Est, tels que l’Indian Ocean Rim Association (IORA), l’Indian Ocean Naval Symposium (IONS) ou l’Asean Defence Ministers Meeting Plus (groupe auquel la France participe comme observateur).

Cette dynamique pourrait s’étendre au Pacifique insulaire, où la France – puissance riveraine – et l’Indonésie – État archipélagique majeur – ont tout intérêt à conjuguer leurs efforts pour répondre aux vulnérabilités spécifiques des États océaniens, en lien avec les priorités portées par le Forum des Îles du Pacifique, institution dont les deux pays sont partenaires de dialogue.

À cet égard, l’Indonésie cherche à renforcer sa présence diplomatique dans le Pacifique océanien. Elle est membre associé du Groupe de Fer de lance mélanésien (MSG) depuis 2015 et souhaite désormais participer au Sommet des ministres de la défense des pays du Pacifique (SPDMM). Dans cette stratégie, Jakarta s’appuie directement sur la France, perçue comme un acteur moins polarisant que la Chine ou les États-Unis dans la région.

Autant de dynamiques convergentes qui augurent d’un renforcement du partenariat franco-indonésien ans les années à venir.

The Conversation

Paco Milhiet ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

09.07.2025 à 16:24

Trump, Nétanyahou et l’introuvable cessez-le-feu à Gaza

Ali Mamouri, Research Fellow, Middle East Studies, Deakin University
Alors que Donald Trump paraît pressé d’obtenir la signature d’un cessez-le-feu entre Israël et le Hamas, Benyamin Nétanyahou semble déterminé à pousser son avantage sur le terrain.

Texte intégral 2454 mots

Lors de la visite de Benyamin Nétanyahou à Washington, Donald Trump a affiché son optimisme quant à un possible cessez-le-feu à Gaza. Pourtant, les discussions patinent, et les objectifs à long terme du gouvernement israélien révèlent bien plus un choix pour la guerre que de véritables pistes de résolution du conflit.


Le 7 juillet, Donald Trump a accueilli le premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou pour un dîner à la Maison Blanche, à l’issue duquel il a déclaré que les pourparlers visant à mettre fin à la guerre à Gaza « se passent très bien ».

De son côté, Nétanyahou a annoncé qu’il avait proposé la candidature de Trump au prix Nobel de la paix, déclarant :

« Il est en train de forger la paix, à l’instant même, d’un pays à l’autre, d’une région à l’autre. »

Malgré toutes ces déclarations sur la paix, les négociations en cours au Qatar entre les délégations israélienne et palestinienne se sont interrompues sans résultats concrets. Les pourparlers devraient reprendre plus tard cette semaine.

Si un accord est conclu, il sera sans doute considéré comme une chance majeure de mettre fin à presque deux ans de crise humanitaire à Gaza, ouverte par l’opération lancée par Tsahal dans la bande après les attaques du 7 octobre au cours desquelles 1 200 Israéliens ont été tués.

Cependant, le scepticisme grandit quant à la pérennité de tout éventuel cessez-le-feu. Le précédent accord de cessez-le-feu, conclu en janvier 2025 et ayant permis la libération de dizaines d’otages israéliens et de centaines de prisonniers palestiniens, a été rompu dès mars, lorsque Israël a repris ses opérations militaires à Gaza.

Cette rupture de confiance des deux côtés, combinée aux opérations militaires israéliennes en cours et à l’instabilité politique, laisse penser qu’un nouvel accord risque de n’être qu’une pause temporaire plutôt qu’une solution durable.


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Les détails de l’accord

L’accord proposé prévoit un cessez-le-feu de 60 jours visant à désamorcer les tensions entre les différents acteurs et à créer un espace pour des négociations en vue d’un règlement plus pérenne.

Le Hamas devrait libérer dix otages israéliens survivants et restituer les dépouilles de dix-huit autres. En échange, Israël devrait retirer ses forces militaires vers une zone tampon définie le long des frontières de Gaza avec Israël et l’Égypte.

Un otage israélien entouré de combattants palestiniens à Gaza, où certains sont détenus depuis vingt-deux mois – leur libération figure au cœur de l’accord actuellement négocié à Doha. Anas-Mohammed/Shutterstock

Par ailleurs, alors que les modalités précises d’un échange de prisonniers restent en cours de discussion, la libération de détenus palestiniens emprisonnés en Israël continue d’être un volet central des négociations et des revendications palestiniennes.

L’aide humanitaire constitue également un volet majeur de l’accord. L’assistance serait acheminée par des organisations internationales, principalement des agences de l’ONU et le Croissant-Rouge palestinien.

Cependant, l’accord ne précise pas le rôle futur du Fonds humanitaire de Gaza soutenu par les États-Unis, qui distribue une aide alimentaire depuis le mois de mai, et ce alors que l’urgence d’un accès humanitaire se fait chaque jour plus pressante au regard de l’ampleur des destructions à Gaza.

Selon le ministère de la Santé de Gaza, la campagne militaire israélienne a coûté la vie à plus de 57 000 Palestiniens (chiffres repris par l’ONU). L’offensive a déclenché une crise alimentaire, déplacé une grande partie de la population à l’intérieur du territoire et laissé de vastes zones en ruines.

Fait important, cet accord ne mettrait pas fin à la guerre, ce qui constitue une revendication centrale du Hamas. Il engage plutôt les deux parties à poursuivre les discussions durant les 60 jours, dans l’espoir d’aboutir à un cessez-le-feu plus solide et global.

Les obstacles pour une paix durable

Même si le contexte semble propice à la signature d’un cessez-le-feu définitif, tout spécialement après les lourds dégâts infligés au Hamas par Israël, le gouvernement de Nétanyahou semble réticent à mettre un terme complet à sa campagne militaire.

Pour des raisons en bonne partie propres à des considérations de politique intérieure : la coalition au pouvoir en Israël dépend fortement de partis d’extrême droite qui insistent pour poursuivre la guerre. Toute tentative sérieuse de cessez-le-feu pourrait vraisemblablement entraîner l’effondrement du gouvernement Nétanyahou.

Pourtant, d’un point de vue militaire, Israël a atteint plusieurs de ses objectifs tactiques.

Il a considérablement affaibli le Hamas ainsi que d’autres factions palestiniennes et provoqué une dévastation généralisée à travers Gaza. S’y ajoutent, en Cisjordanie, le meurtre de centaines de Palestiniens, ainsi que des arrestations massives et de nombreuses démolitions de maisons.

Des Palestiniens devant des bâtiments détruits à Gaza, où le scepticisme persiste quant à la possibilité qu’un cessez-le-feu temporaire aboutisse à une paix durable. Anas-Mohammed/Shutterstock

De plus, Israël a réussi à contraindre le Hezbollah libanais à réduire très significativement ses attaques visant l’État hébreu, et lui a infligé de lourdes pertes, y compris son leader historique, Hassan Nasrallah.

Plus important encore peut-être, Israël a, en juin dernier, frappé en profondeur l’infrastructure militaire iranienne, tuant des dizaines de commandants de haut rang et endommageant les capacités balistiques et nucléaires de Téhéran.


À lire aussi : La société iranienne prise en étau entre les frappes israéliennes et la répression du régime


Les intentions réelles du gouvernement israélien

Pourtant, les buts de Nétanyahou semblent dépasser les simples victoires tactiques. Plusieurs signes indiquent qu’il vise deux objectifs stratégiques plus larges.

D’abord, en rendant Gaza de plus en plus invivable, son gouvernement pourrait pousser les Palestiniens à fuir la Bande. Cela ouvrirait de fait la voie à une annexion du territoire par Israël à long terme – un scénario soutenu par une grande partie des alliés d’extrême droite du premier ministre.

S’exprimant à la Maison Blanche, Nétanyahou a affirmé travailler de concert avec les États-Unis pour trouver des pays prêts à accueillir les Palestiniens de Gaza :

« Si les gens veulent rester, ils peuvent rester ; mais s’ils veulent partir, ils doivent pouvoir partir. »

Ensuite, en prolongeant la guerre, Nétanyahou peut retarder son procès pour corruption en cours et prolonger sa survie politique.

Au cœur de l’impasse se trouve la vision de l’extrême droite israélienne : celle d’une défaite totale des Palestiniens, sans concessions ni reconnaissance d’un futur État palestinien. Une vision qui bloque depuis des décennies la résolution du conflit.

Divers dirigeants israéliens ont à plusieurs reprises qualifié toute entité palestinienne potentielle de « moins qu’un État » ou « État-moins », une formulation qui ne correspond ni aux aspirations palestiniennes ni aux normes juridiques internationales.

Aujourd’hui, même cette vision limitée semble écartée, alors que la politique israélienne s’oriente vers un rejet total de l’idée d’un État palestinien.

Alors que les mouvements de résistance palestiniens sont fortement affaiblis et qu’aucune menace immédiate ne pèse sur Israël, la période actuelle constitue un test crucial des intentions de Tel-Aviv.

Israël cherche-t-il véritablement la paix, ou vise-t-il à consolider sa domination dans la région tout en niant de façon permanente aux Palestiniens leur droit à un État ?

À la suite de ses succès militaires et de la normalisation de ses relations avec plusieurs États arabes dans le cadre des Accords d’Abraham en 2020, le discours politique israélien n’a fait que se radicaliser.


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Certaines voix au sein de l’establishment israélien plaident ouvertement pour le déplacement permanent des Palestiniens vers des pays arabes voisins comme la Jordanie, l’Égypte ou l’Arabie saoudite. La mise en œuvre d’un tel projet reviendrait à effacer toute perspective de création d’un futur État palestinien.

Cela suggère que, pour certaines factions en Israël, l’objectif final n’est pas un règlement négocié, mais une solution unilatérale qui redessinerait la carte et la composition démographique de la région.

Les semaines à venir révéleront si Israël choisira la voie du compromis et de la coexistence, ou s’il empruntera une trajectoire rendant impossible toute paix durable.

The Conversation

Ali Mamouri ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

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