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30.09.2025 à 16:59

La vengeance, de la Grèce antique à Gaza : un levier pour construire une paix juste ?

Marie Robin, Maitresse de conférences à l’Institute of security and global affairs (ISGA), Université de Leiden, Leiden University; Université Paris-Panthéon-Assas
De Mytilène à Gaza, la vengeance façonne l’histoire. Dans son dernier livre, Marie Robin explore ce moteur tragique de la guerre… et, parfois, de la paix.

Texte intégral 2328 mots
_La Justice et la Vengeance divine poursuivant le Crime_ (1808), du peinte français Pierre Prudon, dit Pierre-Paul Prud’hon (1758-1823). Pierre-Paul Prud'hon/WikiArt

Puissances étatiques, membres de groupes ethniques ayant été décimés, fanatiques religieux, mouvements terroristes… autant d’acteurs variés qui, tout au long de l’histoire, ont invoqué la vengeance pour expliquer leurs actes violents – des actes qui, à leurs yeux, en portant rétribution des torts qui leur avaient été infligés, devaient permettre, au final, d’aboutir à une paix juste. Dans la Vengeance et la Paix, qui vient de paraître aux éditions du CNRS, Marie Robin, maîtresse de conférences à l’Institute of security and global affairs (ISGA) à l’Université de Leiden (Pays-Bas) et chercheuse associée au Centre Thucydide (Paris II), explore, à travers plusieurs épisodes marquants de l’histoire mondiale, les liens complexes tissés entre le motif de la vengeance et l’établissement de la paix.


Mytilène en 428 av. J.-C.

Alors que la guerre du Péloponnèse fait rage, la ville de Mytilène sur l’île grecque de Lesbos craint d’avoir attiré la convoitise des Athéniens. Redoutant une attaque, les principaux dignitaires de la ville décident de rassembler quelques troupes parmi la population pour contrer l’assaut potentiel. Mais, par une forme de prophétie auto-réalisatrice et face au risque perçu de soulèvement représenté par la levée de troupes, Athènes répond par un blocus naval de l’île, assiégeant la ville. Acculés, les habitants de Mytilène se rendent rapidement aux Athéniens. L’Assemblée des Athéniens doit alors déterminer le sort des habitants de la ville défaite.

Le jour même du soulèvement, les membres de l’Assemblée athénienne prennent la décision de massacrer l’ensemble des hommes de Mytilène et de réduire les femmes et les enfants en esclavage. L’ordre d’exécuter la décision est transmis.

Le jour suivant, cependant, l’Assemblée est prise de remords. Elle s’interroge sur l’équanimité d’un jugement visant à condamner toute une île pour les péchés de quelques-uns de ses habitants. Le débat, restitué par l’historien grec Thucydide, oppose alors Cléon, homme politique athénien, qui demande à l’Assemblée de poursuivre avec le jugement initial, à Diodote, citoyen athénien, qui lui conseille plutôt d’agir avec prudence et de punir uniquement les coupables sans se venger des autres habitants.

Un vote final a lieu : l’Assemblée suit finalement Diodote en décidant d’éliminer seulement les mille dirigeants de la révolte et d’épargner le reste de l’île, posant une limite et un cadre à la vengeance des Athéniens.

Washington, le 2 mai 2011

Le 2 mai 2011, le président américain Barack Obama s’exprime devant les télévisions américaines et du monde entier pour annoncer l’élimination, la nuit précédente, de l’ancien dirigeant d’Al-Qaida Oussama Ben Laden par une équipe américaine des Navy SEALs à Abbottabad, au Pakistan.

Annonçant que, désormais, la « justice a été rendue » (Justice has been delivered), le président américain rappelle dans son discours les nombreuses victimes ayant péri des suites des actions d’Oussama Ben Laden, « un terroriste responsable du meurtre de milliers d’innocents », le 11 septembre 2001 notamment.

Le président Obama déclare par exemple :

« Il y a près de dix ans, une belle journée de septembre a été assombrie par le pire attentat de notre histoire contre le peuple américain. Les images du 11 Septembre sont gravées dans notre mémoire nationale : des avions détournés traversant un ciel de septembre sans nuages, les tours jumelles s’effondrant sur le sol, la fumée noire s’élevant du Pentagone, l’épave du vol 93 à Shanksville, en Pennsylvanie, où l’action de citoyens héroïques a permis d’épargner encore plus de chagrin et de destruction […]. Le 11 septembre 2001, en cette période de deuil, le peuple américain s’est uni […]. Nous étions également unis dans notre détermination à protéger notre nation et à traduire en justice les auteurs de cette attaque odieuse. »

Le lendemain, le quotidien New York Post titre sur l’élimination de l’ancien dirigeant : « Osama bin Laden Dead : Got Him, Vengeance at Last ! The U.S. Nails the Bastard (Traduction : « Oussama Ben Laden est mort : la vengeance enfin ! Les États-Unis épinglent le bâtard. »). »

Paris, le 7 janvier 2015

Le 7 janvier 2015, dans le XIe arrondissement de Paris, deux frères, Chérif et Saïd Kouachi, pénètrent dans les locaux du journal satirique Charlie Hebdo et y assassinent douze personnes, dessinateurs, journalistes, membres de la rédaction et policiers, en blessant aussi quatre autres.

Anciens de la filière dite des Buttes-Chaumont et adeptes des cours de Farid Benyettou, jeune prédicateur incitant des jeunes à partir en Irak, les deux frères se seraient radicalisés au contact de l’islamiste Djamel Beghal, rencontré par Chérif Kouachi au centre pénitentiaire de Fleury Mérogis, où Beghal était incarcéré pour avoir fomenté un projet d’attentat contre l’ambassade des États-Unis à Paris en juillet 2001.

En janvier 2015, alors que Saïd et Chérif Kouachi sortent des locaux du journal après leur attaque, ils prennent le risque de s’exposer à une arrestation plutôt que de fuir immédiatement les lieux, pour crier dans les rues de la capitale : « On a vengé le Prophète ! »

Gaza, le 7 octobre 2023

Le 7 octobre 2023, l’organisation palestinienne Hamas mène une attaque surprise en Israël, tuant plus de 1 200 personnes et prenant plusieurs centaines d’otages. Le même jour, le premier ministre conservateur israélien Benyamin Nétanyahou déclare lors d’une conférence de presse qu’Israël « prendra une puissante vengeance », annonçant :

« Nous les paralyserons sans pitié et nous vengerons ce jour noir qu’ils ont infligé à Israël et à ses citoyens. »

Au moment d’écrire ces lignes, le bilan établi par l’Unicef fait état d’au moins 1 200 morts, dont 37 enfants, et de plus de 7 500 blessés en Israël ; 59 personnes sont encore retenues en otage. Dans la bande de Gaza, 51 266 personnes, dont plus de 15 600 enfants, seraient décédées. 116 991 personnes y auraient été blessées, dont 34 000 enfants. Les femmes et les enfants représenteraient, toujours selon l’Unicef, 70 % des victimes de la riposte israélienne. Les habitants de Gaza sont privés d’eau, de nourriture et d’électricité. Plus de 11 200 personnes sont en outre portées disparues et se trouveraient probablement sous les décombres.

Au Liban, les opérations menées par Israël dans ce qu’il a qualifié de vengeance contre le Hezbollah auraient causé la mort de 3 500 personnes et fait 15 000 blessés, en particulier depuis la mi-septembre 2024. Au Liban, 878 000 personnes ont en outre été déplacées par les violences.


Que nous apprennent les quatre épisodes ici présentés ? D’une part, que la vengeance, le sujet de ce livre, a été et continue d’être mobilisée dans les offensives d’acteurs internationaux quels qu’ils soient, en tant que moteur de leur violence. Les modalités, cadres d’expression et d’application de la violence sur la scène internationale restent déterminés, au moins partiellement, par la vengeance.

Mais ce n’est pas là la seule leçon. D’autre part en effet, la vengeance semble être revendiquée publiquement par les acteurs eux-mêmes, non seulement pour expliquer mais aussi pour légitimer les actions qu’ils mènent : terrorisme mais aussi contre-terrorisme, conflit armé, violence en retour. La vengeance est alors présentée comme un droit, voire comme un devoir, par certains des acteurs qui la mettent en œuvre. Réponse à l’offense, elle est exhibée comme un comportement nécessaire pour le maintien d’une réputation, d’un statut privé, voire pour la stabilité de l’ordre international.

Cette deuxième observation peut surprendre, car elle entre en tension avec la disqualification normative dont la vengeance fait l’objet dans la modernité. Souvent décrite comme une passion archaïque, triste et barbare, la vengeance est traditionnellement rejetée en raison de l’escalade de violence qu’elle nourrit, pour son caractère passionnel et incontrôlable, pour l’entrave à la paix qu’elle constitue. Un paradoxe émerge donc : pourquoi, alors même qu’elle semble souffrir d’une connotation négative, la vengeance est-elle revendiquée et vue comme une justification légitime de leurs actions internationales par certains acteurs, y compris par des acteurs se réclamant de valeurs libérales ?

Ce paradoxe révèle une ambivalence plus profonde : celle de la vengeance comme obstacle à la paix, mais aussi comme ressort possible d’une paix juste. Paul Ricœur voit ainsi dans la vengeance un obstacle à la « paix sociale » qui devrait être remplacée par la justice institutionnelle, c’est à-dire par la confiscation de la « prétention de l’individu à se faire justice lui-même ». Mais à l’inverse, la vengeance serait utile à une paix juste, puisque, selon Aristote, « rendre la pareille est juste ». La vengeance devient ainsi « le fait d’une vertu », car elle vise une forme de rééquilibrage moral : « Il faut rendre à chacun ce qui lui appartient. »

C’est cette ambivalence – celle d’un comportement disqualifié mais malgré tout revendiqué par des acteurs y compris légitimes ; celle d’un obstacle à la paix mais néanmoins essentiel à l’établissement d’une paix juste – qui rend la vengeance particulièrement utile pour penser la paix en relations internationales. Suivant l’anthropologue Raymond Verdier, la vengeance est peut-être à la fois « une vertu, quand elle défend la dignité de la personne, et un vice, quand elle devient passion de détruire ». La vengeance peut donc jouer un rôle dans le recours à la violence, générant escalades et maintien des conflits, mais elle peut aussi être, dans certaines circonstances, appréhendée comme un mécanisme revendiqué comme légitime, y compris pour la paix.

Dès lors, quel rôle joue la vengeance dans l’établissement de la paix entendue dans le sens de paix positive, comme absence de violence structurelle issue de la violence de la société ? Est-il possible, dans nos conflits contemporains notamment, de mieux appréhender la vengeance pour en faire un ressort de la paix ?

In fine, peut-on véritablement et simplement évacuer la vengeance pour parvenir à la paix ? Ce livre interroge donc, à la lumière de conflits contemporains (Gaza, Ukraine, Soudan, djihadisme), le lien entre vengeance et construction de la paix.

L’enjeu est important : les discours et mécanismes de résolution des conflits tendent en effet à réduire la vengeance à sa dimension de vice, comme un mécanisme illégitime qu’il faut nécessairement évacuer pour promouvoir la paix. Ce faisant, ils en font un tabou, un interdit, largement exclu des réflexions et dialogues sur la réconciliation, alors même que les acteurs eux-mêmes, sur le terrain, la revendiquent parfois comme une démarche moralement et politiquement fondée.

L’hypothèse que nous défendons est donc la suivante : reléguer la vengeance au rang de simple vice est probablement contreproductif pour la paix. Pour sortir durablement de la violence, il est nécessaire de comprendre quand, comment et par qui la vengeance est présentée comme légitime. Si les actes de vengeance doivent êtres empêchés pour permettre la paix, les revendications de vengeance, elles, méritent d’être entendues et analysées. Elles constituent un matériau essentiel pour penser la justice, la réparation, et in fine, la paix.

The Conversation

Marie Robin ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

30.09.2025 à 16:58

Face à sa crise politique, la France a-t-elle des leçons à tirer de l’Italie ?

Jean-Pierre Darnis, Full professor at the University of Côte d’Azur, director of the master’s programme in “France-Italy Relations”. Associate fellow at the Foundation for Strategic Research (FRS, Paris) and adjunct professor at LUISS University (Rome), Université Côte d’Azur
L’Italie affiche dernièrement une stabilité politique et une rigueur budgétaire dont le mérite revient moins à Giorgia Meloni qu’à des traditions instaurées avant elle et qu’elle a reprises à son compte.

Texte intégral 2065 mots

La stabilité politique et économique de l’Italie depuis l’arrivée au pouvoir en 2022 de Giorgia Meloni incite certains observateurs français à affirmer que sa gouvernance démontre la capacité d’un parti de droite radicale à gérer correctement un grand État d’Europe – ce qui devrait rassurer tous ceux qui redoutent une éventuelle victoire du Rassemblement national en France. Pourtant, quand on y regarde de plus près, les cas de Fratelli d’Italia et du RN sont très dissemblables, le parti italien ayant déjà eu, avant que sa cheffe n’accède aux plus hautes responsabilités, une longue habitude de participer à des coalitions gouvernementales. Et sa politique ne se place pas vraiment en rupture avec celles des gouvernements précédents. En réalité, s’il y a des leçons à tirer du cas italien, elles ont trait moins à l’action de Giorgia Meloni qu’à certaines spécificités d’un système parlementaire pourtant longtemps décrié de ce côté-ci des Alpes.


La crise politique française suscite des comparaisons fréquentes avec le cas italien. Alors que la France est entrée depuis 2024 dans un profond cycle d’instabilité politique, l’Italie, par contraste, semble remarquablement stable.

Le 18 septembre dernier, pour la première fois, le taux d’intérêt exigé par les investisseurs pour détenir de la dette publique italienne s’est établi au même niveau que celui requis pour la dette publique française – une convergence qui traduit l’appréciation que font les marchés de la situation budgétaire et politique italienne par rapport au cas français.

La mise en perspective des deux pays conduit certains analystes à exprimer des jugements favorables à l’égard du gouvernement Meloni, présenté comme un garant de stabilité.

Tout d’abord il s’agit de vanter la stabilité politique et budgétaire italienne par rapport à l’instabilité française et à la tendance de la France à accumuler les déficits. Ensuite, le cas italien sert de prétexte à une légitimation de l’extrême droite dans son exercice du pouvoir : le succès de Giorgia Meloni démontrerait qu’un parti extrémiste pouvait évoluer et se transformer en force efficace de gouvernement.

Meloni, héritière d’une longue lignée de coalitions entre centre droit et droite radicale

Ces deux analyses apparaissent à bien des égards relever de projections des visions françaises sur la réalité italienne, plutôt que de véritables prises en compte des dynamiques à l’œuvre dans la péninsule.

Si nous nous intéressons à la trajectoire de la famille politique de Giorgia Meloni, on observe que c’est en janvier 1995 que le Movimento Sociale Italiano (MSI-DN), créé en 1946 sur une ligne clairement post-fasciste, prend un virage modéré et gouvernemental avec sa transformation en Alleanza Nazionale.

Ce tournant intervient dans un contexte où des coalitions de droite mises en place à partir de 1994 voient s’associer le parti de centre droit créé par Silvio Berlusconi, Forza Italia, avec les autonomistes septentrionaux de la Lega d’Umberto Bossi et la droite nationaliste réformée dirigée par Gianfranco Fini.

Pendant les trente années suivantes, on verra la droite italienne solidifier ses réflexes de coalition tripartite mais aussi se mouler dans le jeu institutionnel et parlementaire : Giorgia Meloni est à la fois l’héritière de Silvio Berlusconi lorsqu’elle récupère le leadership sur ce camp lors des élections de 2022, mais aussi le produit d’une culture parlementaire et gouvernementale, car elle a été ministre de 2008 à 2011.

Elle est donc la nouvelle leader d’un camp qui a été façonné par les neuf années de pouvoir exercé sous la direction de Silvio Berlusconi. Certes, son discours conserve des accents nationalistes et conservateurs, en particulier lors de la campagne électorale de 2022, mais la continuité du substrat institutionnel de sa famille politique est un élément fondamental, largement sous-évalué par les commentateurs.

L’accession au pouvoir de Giorgia Meloni représente un renouvellement au sein de la droite italienne car elle conquiert en 2022 le sceptre d’un Silvio Berlusconi diminué (il décédera quelques mois plus tard), mais ne constitue pas une rupture extrémiste.


À lire aussi : Italie : Silvio Berlusconi, ou la « révolution libérale » qui n’a jamais eu lieu


La coalition tripartite qu’elle met en place en 2022 est la même que celle qui avait été inventée par Silvio Berlusconi en 1994. Ainsi ne faut-il pas s’étonner des éléments de continuité que l’on constate dans la pratique gouvernementale de la droite italienne depuis Berlusconi jusqu’à Meloni.

Quant à l’affirmation selon laquelle la droite italienne aurait récemment vécu une sorte de déradicalisation, elle doit être fortement nuancée : on a assisté depuis 2013 à un durcissement de la Lega de Matteo Salvini, qui a redéveloppé un discours à la fois hostile à l’immigration et pro-russe. Il y a donc des effets de vases communicants à la fois en ce qui concerne les électorats et l’idéologie des différents partis de droite en Italie.

La continuité dans les actions de gouvernement constitue également la toile de fond d’une politique budgétaire prudente. Ici encore, il ne s’agit pas d’une nouveauté, car la politique de sérieux budgétaire est relativement traditionnelle en Italie. Elle avait déjà été observée sous le gouvernement précédent, celui de Mario Draghi.

En matière budgétaire, il convient de relever que l’un des principaux points noirs de la finance publique italienne a été la politique dite du « superbonus » pour les rénovations immobilières, un système de subventions créé par le gouvernement Conte II en 2020, qui a coûté plus de 127 milliards d’euros.

L’efficacité économique de cette dépense concentrée dans l’immobilier est largement critiquée et l’une des actions les plus remarquables du gouvernement Meloni a été d’arrêter l’hémorragie que la procrastination des mesures entraînait pour les finances publiques en modifiant la réglementation de l’allocation de subventions. Mais, dans le même temps, le gouvernement italien peine à dépenser les budgets obtenus dans le cadre du plan de relance européen (PNRR) – un indicateur négatif en matière d’efficacité qui est bien loin de représenter un « miracle ».

Enfin il faut relever que les finances publiques italiennes bénéficient de l’inflation, qui provoque une hausse des revenus et, donc, un effet seuil d’augmentation des recettes fiscales par le jeu du dépassement des tranches d’imposition.

En Italie, une habitude bien ancrée de création de coalitions

Les institutions italiennes sont caractérisées par leurs capacités d’adaptation – un facteur qui différencie profondément l’Italie de la France.

En 2018, les élections législatives italiennes n’ont pas permis de dégager une majorité, l’électorat s’étant réparti de façon relativement équilibrée entre la droite, la gauche et le Mouvement 5 étoiles. Après des semaines de tractations et d’errements, c’est finalement un accord original entre le Mouvement 5 étoiles et la Lega qui allait permettre la naissance de l’exécutif dirigé par Giuseppe Conte. Cette formule mettait en place un exécutif populiste qui s’est rapidement distingué par des mesures de dépenses (mise en place d’un revenu de citoyenneté), une position virulente en matière d’immigration mais aussi par une politique internationale marquée par les réflexes pro-russes et pro-chinois, ainsi que par une crise des rapports bilatéraux avec la France.

Face à cette poussée populiste, le jeu parlementaire d’une part et la fonction de garant exercée par le président de la Republique Sergio Mattarella de l’autre ont contribué non seulement à mitiger la portée des actions extrémistes, mais aussi à contribuer en 2019 à la mutation de la coalition de soutien du gouvernement Conte 2, qui associera le Mouvement 5 étoiles à la gauche classique en excluant la Lega, ce qui relancera une dimension bipolaire gauche/droite.

Cet exemple récent montre comment dans un système comme celui de l’Italie, caractérisé par l’absence de figure comparable à celle d’un président de la République française, se définit un jeu politique ouvert qui passe par la recherche de coalitions qui font des partis les acteurs centraux du jeu politique.

Certes, le président italien joue un rôle crucial lors des crises politiques, mais il apparaît comme un arbitre et non pas comme le chef d’un camp, ce qui lui permet d’exercer un rôle de médiation mais aussi de ne pas confondre ses missions avec celle du président du conseil des ministres, chef de l’exécutif.

La présidence de la République est une institution qui a repris en Italie certains traits de la monarchie constitutionnelle précédente, avec un rôle « au-dessus des partis » d’un président qui évite soigneusement de descendre dans la mêlée.

Les institutions de la république italienne, dont la Constitution a été adoptée en 1947, ne sont pas sans rappeler celles de la IVe république française. La comparaison entre l’Italie et la France permet de pointer du doigt le phénomène d’hyper-présidentialisation à l’œuvre en France, en particulier depuis la réforme constitutionnelle de 2000, une caractéristique qui apparaît comme un blocage dans un Parlement qui n’est plus bipolaire.

Pas de modèle Meloni, mais un modèle italien ?

L’exemple italien n’est pas celui d’une modération miraculeuse et récente d’une droite extrémiste sous l’effet d’une supposée « méthode Meloni ». Silvio Berlusconi a écrit l’histoire d’une droite italienne qui est d’abord passée par une hégémonie sur le centre avant d’arriver à un repositionnement des différentes forces politiques, un parcours dont Giorgia Meloni est l’héritière. Il ne s’agit donc pas d’un scénario que l’on puisse plaquer sur la trajectoire du Rassemblement national français.

En revanche, l’observation des institutions italiennes est riche d’enseignements, en faisant voir la possibilité d’un système sans président de la République à la française – une caractéristique qui est d’ailleurs commune à la majorité des pays membres de l’Union européenne. Ici encore, ce n’est probablement pas l’analyse de ceux qui à Paris voudraient voir dans Giorgia Meloni l’exemple d’un césarisme triomphant. Mais c’est la véritable leçon, parlementaire et démocratique, que l’Italie peut enseigner.

The Conversation

Jean-Pierre Darnis ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

30.09.2025 à 13:10

Les cinq grands obstacles à la mise en œuvre du plan de paix de Trump pour Gaza

Ian Parmeter, Research Scholar, Middle East Studies, Australian National University
Les deux parties sont lasses de la guerre. Ce qui ne signifie pas que le plan présenté par Donald Trump, déséquilibré et peu détaillé, va ramener la paix.

Texte intégral 1802 mots

Un texte en 20 points pour mettre fin à la guerre de Gaza : c’est ce que Donald Trump a présenté ce 29 septembre 2025, aux côtés du premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou. Le projet est ambitieux mais reste flou sur de nombreux points importants. Analyse.


Sur le papier, le plan en 20 points proclamé par Donald Trump le 29 septembre lors d’une conférence de presse conjointe avec le premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou à la Maison Blanche est à la hauteur des annonces tonitruantes que le président des États-Unis avait faites avant de le rendre public. Il s’agit indéniablement d’une tentative audacieuse visant à régler la plupart des causes du conflit, de façon à instaurer une paix durable à Gaza.

Ce projet pourrait-il être couronné de succès ? Ce qui est sûr, c’est que les deux camps sont fatigués de la guerre. Or, tout au long de l’histoire, bon nombre de guerres ont pris fin lorsque les deux parties belligérantes étaient simplement trop épuisées pour poursuivre les hostilités. Les deux tiers des Israéliens veulent que la guerre cesse, et bien que, dans le contexte actuel, il soit difficile de sonder l’opinion des Palestiniens, il est clair qu’eux aussi veulent que les ravages et les souffrances à Gaza cessent au plus vite. La proposition du 29 septembre survient donc à un moment propice à ce que la paix puisse s’imposer.

Il reste que le texte se caractérise également par de nombreuses lacunes. Et lorsque l’on y ajoute la très longue histoire de violence du Proche-Orient, on ne peut qu’opter pour la plus grande prudence au moment d’évaluer ses chances de réussite.

Nous avons identifié cinq principales raisons de se montrer circonspect à propos du « Plan Trump ».

1. Un manque de confiance réciproque

Aujourd’hui, le degré de confiance entre Israéliens et le Hamas est au plus bas. Or plusieurs aspects du plan sont tellement vagues qu’il est très vraisemblable que, s’il était adopté, les deux parties s’accuseraient mutuellement de ne pas avoir tenu leurs engagements.

Le dernier cessez-le-feu entre Israël et le Hamas, conclu en janvier 2025, n’a duré que deux mois : Nétanyahou s’en était retiré en mars, accusant le Hamas de ne pas avoir libéré davantage d’otages avant le lancement des négociations qui étaient prévues sur la phase suivante du processus de paix.

2. Un plan asymétrique

L’accord est plus favorable à Israël qu’au Hamas. Fondamentalement, le texte exige que le Hamas libère tous les otages israéliens qu’il détient encore et dépose toutes ses armes, ce qui le laisserait totalement sans défense.

Le Hamas, qui n’a aucune confiance envers Israël en général et envers Nétanyahou en particulier, pourrait craindre que, une fois qu’il se sera désarmé, le dirigeant israélien l’attaque de nouveau avec force.

En outre, le Hamas n’a pas été associé à la rédaction des termes de l’accord. Il est désormais confronté à un ultimatum : accepter ce document ou s’exposer à ce qu’Israël « finisse le travail ».

Compte tenu de l’asymétrie du plan, le Hamas pourrait décider que les risques liés à son acceptation l’emportent sur les avantages potentiels, même si le texte prend soin de préciser que les combattants du Hamas qui auront déposé les armes bénéficieront d’une amnistie.

Le plan demande aussi à Israël de faire certains compromis ; mais il est douteux que ceux-ci soient réellement acceptés. Ainsi, l’accord envisage un avenir dans lequel l’Autorité palestinienne (AP) pourrait « reprendre le contrôle de Gaza de manière sûre et efficace ». Nétanyahou a déjà déclaré par le passé qu’un tel développement était à ses yeux inconcevable.

De même, il serait très difficile pour Nétanyahou d’accepter « une voie crédible vers l’autodétermination et la création d’un État palestinien », comme le prévoit le plan. Il a, à de multiples reprises, fermement rejeté toute création d’un État palestinien, y compris, le 27 septembre dernier, dans le discours bravache qu’il a tenu devant l’Assemblée générale des Nations unies.

3. Des aspects essentiels ne sont pas détaillés

La stratégie de mise en œuvre du plan est présentée d’une façon extrêmement vague. À ce stade, nous ne savons rien de la « force internationale de stabilisation », qui remplacerait l’armée israélienne après le retrait de celle-ci de Gaza.

Quels pays y participeraient ? Il s’agirait évidemment d’une mission très dangereuse pour les effectifs qui viendraient à être déployés sur le terrain. Nétanyahou a déjà évoqué la possibilité qu’une force arabe prenne le relais de Tsahal à Gaza, mais aucun État arabe ne s’est encore porté volontaire pour cela.

Le plan ne prévoit pas non plus de calendrier pour les réformes de l’Autorité palestinienne ni de détails sur ce que ces réformes impliqueraient. Il faudra probablement organiser de nouvelles élections pour désigner un dirigeant crédible à la place de l’actuel président Mahmoud Abbas. Mais on ignore encore comment cela se ferait, et si la population de Gaza pourrait prendre part à ce scrutin.

De plus, les détails concernant l’autorité civile qui superviserait la reconstruction de Gaza sont très flous. Tout ce que nous savons, c’est que Trump se nommerait lui-même président du « Conseil de paix » et que l’ancien premier ministre britannique Tony Blair sera également impliqué d’une manière ou d’une autre. Pour être efficace, ce comité devrait bénéficier de la confiance absolue aussi bien du gouvernement Nétanyahou que du Hamas. Mais, comme nous l’avons souligné, la confiance est une denrée rare au Proche-Orient…

4. Aucune mention de la Cisjordanie

La Cisjordanie est clairement un dossier essentiel pour tout règlement de paix. Des affrontements opposent quasi quotidiennement les colons israéliens et les résidents palestiniens, et rien n’indique que la situation ne va pas encore s’aggraver.

Le mois dernier, le gouvernement israélien a donné son accord définitif à un projet controversé visant à construire une nouvelle colonie qui diviserait de fait la Cisjordanie en deux, rendant impossible la création d’un futur État palestinien disposant d’une continuité territoriale.

La Cisjordanie doit être au cœur de tout accord global entre Israël et la Palestine.

5. Les membres les plus à droite du gouvernement Nétanyahou restent un obstacle à toute solution

Ce pourrait être le facteur décisif qui provoquera l’échec du plan Trump. Les leaders de l’extrême droite présents au sein du gouvernement Nétanyahou, Bezalel Smotrich et Itamar Ben-Gvir, ont déclaré qu’ils n’accepteraient rien de moins que la destruction et l’élimination complètes du Hamas.

Or, bien que le plan prévoie que le Hamas soit désarmé et mis sur la touche politiquement, son idéologie resterait intacte, tout comme un nombre élevé de ses combattants.

Au final, ce plan peut-il réussir ?

Si le Hamas accepte le plan de Trump, nous pourrions bientôt avoir les réponses à plusieurs de ces questions.

Mais les États-Unis devront déployer des efforts considérables pour maintenir la pression sur Israël afin qu’il respecte les termes de l’accord. De même, les principaux médiateurs auprès des Palestiniens, le Qatar et l’Égypte, devront également maintenir la pression sur le Hamas pour que lui non plus ne viole pas les dispositions contenues dans le texte.

Nétanyahou part probablement du principe que si le Hamas ne se conforme pas à telle ou telle disposition, lui-même pourra en profiter pour sortir de l’accord. C’est d’ailleurs ce qu’il a fait en mars dernier lorsqu’il s’est retiré du cessez-le-feu signé deux mois plus tôt et a repris les opérations militaires israéliennes à Gaza.

Dans le discours énergique qu’il a prononcé la semaine dernière devant une salle partiellement vide de l’Assemblée générale des Nations unies, Nétanyahou n’a pas laissé entendre qu’il envisageait de renoncer à l’une des lignes rouges qu’il avait précédemment fixées pour mettre fin à la guerre. Au contraire, même : il a condamné les États qui reconnaissent l’État palestinien, déclarant à leur intention :

« Israël ne vous permettra pas de nous imposer un État terroriste. »

Il semble clair que Nétanyahou n’aurait jamais accepté le plan de Trump si ce dernier n’avait pas fait pression sur lui. Dans le même temps, Trump a déclaré lors de sa conférence de presse conjointe avec Nétanyahou que si le Hamas refusait l’accord ou s’il l’acceptait mais ne respectait pas ses conditions, alors il offrirait son soutien total à Israël pour en finir avec le Hamas une bonne fois pour toutes.

Cette promesse pourrait suffire à Nétanyahou pour convaincre Smotrich et Ben-Gvir de soutenir le projet… du moins pour l’instant.

The Conversation

Ian Parmeter ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

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