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16.07.2025 à 17:58

Sénégal : la politique étrangère du tandem Faye-Sonko, rupture ou continuité ?

Ayrton Aubry, Associate Doctor at Sciences Po, lecturer in International Relations, Sciences Po
Les nouvelles autorités sénégalaises, tout en affichant leur volonté d’ouvrir une nouvelle ère, inscrivent leur action diplomatique dans la lignée des gouvernements précédents.

Texte intégral 2480 mots

Lors de la campagne présidentielle de mars 2024, le tandem d’opposition Bassirou Diomaye Faye – Ousmane Sonko, aujourd’hui au pouvoir (respectivement président et premier ministre), avait annoncé son souhait de mettre en place une politique de rupture, tant au niveau intérieur que dans les relations extérieures du Sénégal. Ces déclarations s’inscrivaient alors dans un registre plus général lié au néo-souverainisme et au néo-panafricanisme, qui ont le vent en poupe sur le continent depuis le début du XXIe siècle. Plus d’un an plus tard, un premier bilan montre que la diplomatie de Dakar n’a pas connu de réelle révolution.


Depuis l’arrivée au pouvoir de Bassirou Diomaye Faye, certaines mesures mises en place par le gouvernement de son fidèle allié Ousmane Sonko ont tranché avec les décisions prises sous la présidence de Macky Sall (2012-2024). Par exemple, le retrait définitif des militaires français du pays est prévu pour la fin du mois de juillet 2025, alors que cette question n’était pas à l’agenda du précédent président. Désormais coordonné entre la France et le Sénégal, le retrait français avait été annoncé le même jour que la dénonciation par le Tchad des accords de défense avec la France, le 28 novembre 2024, un timing qui avait été perçu négativement par Paris.

Le président Diomaye Faye et le premier ministre Sonko ont aussi cherché à se rapprocher des membres de l’Alliance des États du Sahel (AES) : le Niger, le Burkina Faso et le Mali. En mai 2025, Ousmane Sonko s’est rendu au Burkina Faso où, dans une interview donnée à la télévision nationale, avec une tonalité néo-panafricaine prononcée, il a tenu des propos critiques à l’encontre de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cédéao), qui célébrait alors son cinquantenaire sur fond d’interrogations existentielles.

Ousmane Sonko a par ailleurs rassuré les autorités burkinabées sur la solidité des relations avec le Sénégal. La semaine précédente, le ministre des forces armées du Sénégal, le général Birame Diop, était en visite au Niger, autre État membre de l’AES, pour renforcer la coopération sécuritaire.

Cette visite n’aurait pas eu lieu sous la présidence de Macky Sall, ce dernier s’étant déclaré prêt à participer à une action militaire conjointe avec la Cédéao (ce qui n’a finalement pas eu lieu) contre le régime issu du coup d’État militaire de 2023 au Niger.

Pour autant, peut-on dire que la politique étrangère du gouvernement sénégalais issu des élections de 2024 rompt brutalement avec celle de ses prédécesseurs ? Ne s’inscrit-elle pas plutôt dans la continuité de la diplomatie sénégalaise depuis l’indépendance du pays en 1960 ?

« Sénégal : chronique d’un basculement », Arte, 26 mars 2024.

Des principes structurants de la politique étrangère au Sénégal inchangés

Sur certains aspects très médiatisés, la rupture semble dominer dans la politique étrangère du Sénégal. Mais, en réalité, les continuités sont tout aussi importantes, même si elles sont moins mises en avant.

Les autorités sénégalaises maintiennent les grandes lignes diplomatiques qui caractérisent la diplomatie du pays depuis son indépendance : adhésion aux principes du multilatéralisme, promotion du dialogue, politique active de bon voisinage, diversification des partenariats stratégiques, etc. Les relations avec la France elles-mêmes sont plutôt caractérisées par une inflexion que par une rupture.

Ainsi du 16 au 20 juin 2025, une mission parlementaire sénégalaise s’est rendue en France, pour la première fois depuis 2013, à l’invitation du groupe d’amitié parlementaire Sénégal-France, pour rencontrer plusieurs députés français.

« Nous avons une idéologie souverainiste, panafricaniste. Nous voulons certes une rupture profonde, audacieuse et ambitieuse avec la France. Mais pas une rupture brutale »,

avait alors précisé Amadou Ba, haut-cadre du Pastef, le parti de la majorité présidentielle.

Le multilatéralisme est par ailleurs une priorité diplomatique du Sénégal depuis son indépendance. En plus des centaines de fonctionnaires internationaux de nationalité sénégalaise, plusieurs institutions multilatérales ont été dirigées par des Sénégalais, souvent avec des mandats marquants : Ahmadou Mahtar Mbow a dirigé l’Unesco entre 1974 et 1987, Jacques Diouf était le secrétaire général de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) de 1994 à 2011, et l’ancien président de la république Abdou Diouf (1981-2000) a présidé l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) entre 2003 et 2015. Cet investissement dans le multilatéralisme n’a pas été perturbé par l’alternance politique survenue au Sénégal.

Présent à Séville lors de la quatrième Conférence internationale sur le financement du développement organisée par l’ONU, du 29 juin au 3 juillet 2025, le président Diomaye Faye a notamment réclamé, dans son discours, une meilleure intégration des États africains dans les institutions financières internationales.

Sur ce point, il poursuit la politique de son prédécesseur Macky Sall, qui avait tenu des propos similaires durant sa présidence de l’Union africaine (UA) de février 2022 à février 2023. Par ailleurs, Macky Sall avait contribué à faire progresser la question de l’adhésion de l’UA au G20.

Discours de Bassirou Diomaye Faye à la quatrième Conférence sur le développement.

Dans la pratique, la politique étrangère sénégalaise est reconnue depuis longtemps pour son attachement au dialogue. Le Sénégal est ainsi l’un des rares États à accueillir sur son sol une représentation de la Corée du Sud et de la République démocratique de Corée (Corée du Nord). Bien que membre fondateur et régulièrement président du Comité de la Palestine à l’ONU, le Sénégal ménage aussi ses liens avec Israël.

De la même manière, les autorités sénégalaises évoluent sur une ligne de crête entre le Maroc, la Mauritanie et l’Algérie sur la question du Sahara occidental, en maintenant des relations avec tous les acteurs concernés. Un échec de cette politique du dialogue est la relation avec la Chine continentale et avec Taïwan : en 2005, le Sénégal finit par reconnaître la Chine continentale et rétablit des liens rompus depuis 1996 (l’ambassade du Sénégal en Chine avait été fermée en 1995). À cette date, le Sénégal avait décidé de reconnaître Taïwan, en échange d’une importante aide économique.


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Cet héritage est complètement assumé par l’actuel président du Sénégal, qui met en scène un « partage des tâches » avec son premier ministre. Ainsi, quelques semaines après son élection en mars 2024, Bassirou Diomaye Faye s’est rendu en Gambie, en Guinée-Bissau et en Côte d’Ivoire, trois pays plutôt hostiles aux membres de l’AES. Au même moment, Ousmane Sonko opérait une tournée dans les États de l’AES et en Guinée, tous touchés par au moins un coup d’État et le renversement des régimes civils depuis le mois d’août 2020.

La tentative de médiation entre la Cédéao et l’AES n’a cependant pas fonctionné, et le Niger, le Mali et le Burkina Faso sont finalement sortis de la Cédéao en janvier 2025.

Une dynamique pérenne de diversification des partenariats

Le Sénégal a souvent été présenté comme le « bon élève » de la Françafrique, à l’instar de la Côte d’Ivoire. En réalité, si les autorités sénégalaises sont longtemps restées dans le sillage des intérêts français sur le continent, la recherche d’alternatives est apparue dès l’indépendance, en 1960.

De 1960 à 1962, le président du Conseil, Mamadou Dia, représentait le Sénégal à l’étranger selon la Constitution du pays. Il rappelle dans ses Mémoires avoir alors constamment cherché à diversifier les partenariats du Sénégal. Par ailleurs, à l’occasion de l’organisation du Festival mondial des arts nègres en 1966, le président de la république Léopold Sédar Senghor (1960-1980) a également entretenu une correspondance avec le président américain John Fitzgerald Kennedy, dans l’optique de s’émanciper de la tutelle de l’ancienne métropole coloniale.

Lors de son arrivée au pouvoir en 2000, le premier président issu d’une alternance politique, Abdoulaye Wade (2000-2012), avait déjà accéléré l’intégration continentale avec l’élaboration du plan Omega, ancêtre de l’actuel Nouveau Partenariat pour le développement de l’Afrique (NEPAD). Le président Wade aspirait également à un départ des troupes françaises du Sénégal : le camp militaire français de Bel Air, à Dakar, avait été rétrocédé au Sénégal sous sa présidence en 2010.

Parmi les diplomates sénégalais, l’idée de conserver ses amis et d’élargir le cercle de ses amitiés a fait son chemin. Sur le plan commercial, la Chine est devenue le premier partenaire du pays en 2024 et a pris la place de la France. Parmi les premiers exportateurs au Sénégal se trouvent également des acteurs comme l’Inde et la Turquie.

Graphique généré par l’auteur, source des données : Agence nationale de la statistique et de la démographie, « Statistiques du commerce extérieur : bulletin mensuel », juin 2025. Fourni par l'auteur

Ce n’est donc pas un hasard si les autorités sénégalaises ont annoncé leur souhait de rejoindre le groupe des BRICS+. Cette participation associerait les deux principes de la diversification des partenaires stratégiques et de l’attachement au multilatéralisme.

Jamais concerné par un coup d’État ou par une rupture de l’ordre constitutionnel, le Sénégal fait donc preuve d’une remarquable continuité dans les grandes orientations de sa politique étrangère depuis l’indépendance.

La rupture mise en avant par le nouveau régime, si elle est réelle dans plusieurs domaines de politique intérieure, prend plutôt la forme d’une inflexion en ce qui concerne la politique étrangère. Les relations avec la France, notamment, ne devraient pas être rompues, seulement banalisées parmi d’autres relations, après des décennies de domination impériale et post-impériale de Paris.

The Conversation

Ayrton Aubry ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

15.07.2025 à 17:53

Blanchiment d’argent : l’Europe passe (enfin) à l’action

Carmela D'Avino, IÉSEG School of Management
Avec la création de l’Autorité européenne de lutte contre le blanchiment d’argent (AMLA), cet été, l’Union européenne peut-elle lutter efficacement contre la finance illicite ?

Texte intégral 2329 mots
Le blanchiment d’argent représenterait de 2 à 5 % du PIB mondial, soit de 800 milliards à 2 000 milliards de dollars américains. Sergey Klopotov/Shutterstock

L’argent sale n’a pas d’odeur. Les blanchisseurs, pas de frontières. Ces derniers profitent de la fragmentation de la surveillance et des législations européennes pour passer entre les mailles du filet. Avec la création, cet été, de l’Autorité européenne de lutte contre le blanchiment d’argent (Anti-Money Laundering Authority ou AMLA), l’Union européenne peut-elle centraliser la lutte contre la finance illicite ?


L’inclusion probable et imminente de Monaco, symbole mondial de richesse et de discrétion, dans la liste des pays à haut risque en matière de blanchiment d’argent établie par l’Union européenne (UE), a suscité de nombreuses réactions.

L’ajout potentiel de la principauté sur la liste noire met en évidence le défi que représente la lutte contre la finance illicite. Dans une zone comme l’UE, l’ouverture des frontières contraste avec la mise en œuvre et la surveillance des mesures de lutte contre le blanchiment d’argent (l’AML – Anti-Money Laundering). Des politiques qui restent largement confinées à la responsabilité des différents pays membres.

Une transaction financière peut commencer dans un pays à haut risque, passer par une banque européenne et se terminer par une transaction immobilière à Londres ou un trust suisse. C’est précisément pour cette raison que la coordination internationale est si importante. Sans elle, les blanchisseurs d’argent profitent de la fragmentation de la surveillance, en particulier au sein de l’UE. Avec l’Autorité européenne de lutte contre le blanchiment d’argent , ou Anti-Money Laundering Authority (AMLA), qui entre en fonction cet été, l’Union européenne opte pour la centralisation.

Les politiques européennes et françaises de lutte contre le blanchiment d’argent ont échoué pour plusieurs raisons : une application inégale des réglementations, un manque de ressources et de coopération internationale, des sanctions peu dissuasives face à des techniques toujours plus sophistiquées et un phénomène global difficile à cerner.

Pour progresser, il faut renforcer l’harmonisation des règles, augmenter les moyens des autorités, adopter des technologies avancées et améliorer la transparence des structures. Des objectifs que l’AMLA a précisément vocation à concrétiser.

Cent milliards d’euros par an

Quelques rares et prudentes estimations confirment que les flux financiers illicites traversent trop facilement les frontières et que leurs montants sont colossaux. Selon les estimations de l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC), le blanchiment d’argent représenterait de 2 % à 5 % du PIB mondial, soit de 800 milliards à 2 000 milliards de dollars américains actuels. Dans l’Union européenne, le produit des activités criminelles est estimé à plus de 100 milliards d’euros par an, dont seul un pourcentage négligeable est finalement saisi. Des recherches estiment que l’argent provenant du trafic de drogue, du trafic des personnes et du terrorisme passe souvent par des banques de 4 à 6 pays différents avant d’être blanchi et d’entrer dans l’économie légale.


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Les grandes banques de l’UE ont été impliquées dans plusieurs scandales très médiatisés. La Danske Bank est devenue l’épicentre du plus grand scandale de blanchiment d’argent en Europe. Il a été révélé que plus de 200 milliards d’euros de transactions suspectes ont transité par sa succursale estonienne. La Deutsche Bank a fait l’objet de multiples enquêtes pour avoir facilité des transferts illicites de plusieurs milliards d’euros, notamment par le biais de sa collaboration avec Danske et de ses liens avec le système Russian Laundromat. ING a payé une amende de 775 millions d’euros aux autorités néerlandaises pour des violations de la législation anti-blanchiment en 2018.

Tracfin en France

Les pays de l’Union européenne mettent en œuvre les directives européennes en matière de lutte contre le blanchiment d’argent, avec des niveaux d’ambition variables. La France a montré un engagement ferme dans la lutte contre le blanchiment d’argent grâce à l’approche de sa cellule de renseignement financier, Traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins (Tracfin). Elle a récemment renforcé son analyse des transactions suspectes, élargi sa coopération avec ses partenaires nationaux et internationaux et amélioré son utilisation des analyses de données avancées pour détecter les flux illicites complexes.

Malgré ces progrès, certaines affaires récentes, comme les failles des néobanques ou l’enquête visant BNP Paribas pour blanchiment via Chypre, montrent que des flux illicites échappent encore à la détection de Tracfin.

Dissuader les défaillances des contrôles bancaires internes

Malgré son poids économique, l’Allemagne a été critiquée pour son implication insuffisante, ainsi que pour les défaillances de sa surveillance. La mise en œuvre de sa politique varie d’un Land à l’autre ; les difficultés rencontrées en matière de coopération internationale, en particulier avant l’effondrement de la société spécialisée dans le paiement électronique Wirecard, n’aident pas.

En revanche, les autorités néerlandaises ont suivi l’exemple des États-Unis. Ils ont infligé des amendes importantes à des établissements tels que ING et ABN AMRO, démontrant ainsi leur ferme volonté de lutter contre la criminalité financière en dissuadant les défaillances des contrôles internes dans les banques.


À lire aussi : Credit Suisse : les leçons d’une lente descente aux enfers


Ces approches inégales de la lutte contre le blanchiment d’argent dans les États membres de l’UE s’expliquent par plusieurs facteurs.

Les différentes interprétations des règles en matière de lutte contre le blanchiment d’argent créent des lacunes dans la couverture juridique. Une coopération judiciaire transfrontalière irrégulière, en particulier avec les pays tiers, entrave l’efficacité de l’application de la législation. En outre, les cellules de renseignement financier ont des pouvoirs et des responsabilités très variables.

L’absence de format standardisé pour les déclarations d’opérations suspectes complique l’intégration des données dans la plate-forme centrale de l’Union européenne. Elle rend la coordination des actions plus difficile qu’elle ne devrait l’être. Mais tout cela est sur le point de changer…

Autorité européenne de lutte contre le blanchiment d’argent (AMLA)

Pour remédier à ces faiblesses, l’Union européenne est en train de créer l’Autorité européenne de lutte contre le blanchiment d’argent, ou Anti-Money Laundering Authority (AMLA). Elle devrait être pleinement opérationnelle à partir de 2028. Basée à Francfort, l’AMLA supervisera directement une quarantaine d’établissements financiers transfrontaliers à haut risque, harmonisera l’application des règles dans les États membres et coordonnera les régulateurs nationaux.

Elle aura le pouvoir de mener des inspections sur place, d’imposer des sanctions et de renforcer le cadre global de l’UE en matière de lutte contre le blanchiment d’argent.

L’Autorité européenne de lutte contre le blanchiment d’argent, créée en 2024 par l’Union européenne, est chargée de la traque des flux financiers suspects. Shutterstock

Afin de soutenir le rôle de l’AMLA, l’UE introduit un règlement unique qui remplacera les différentes législations nationales par un ensemble de normes unifiées dans tous les États membres. Avec l’AMLA, Bruxelles parie que la centralisation peut réussir là où la décentralisation a échoué.

La décentralisation signifie que chaque État membre appliquait les règles anti-blanchiment à sa manière, en transposant les directives européennes dans son droit national. Cela a conduit à des normes contradictoires. Par exemple, certains pays imposaient des seuils de déclaration différents ou avaient des définitions divergentes des entités à surveiller, rendant la coopération inefficace et les contrôles inégaux.

Avertissement symbolique

L’AMLA pourrait se heurter à des difficultés. La complexité des différences juridiques et institutionnelles entre les États membres, la mobilisation de nombreuses expertises pour superviser un large éventail de secteurs, pourrait rendre ce travail fastidieux. La nécessité de trouver un équilibre entre les préoccupations en matière de souveraineté nationale et la nécessité d’une application efficace et unifiée dans toute l’UE également.

Alors que l’Union européenne se prépare à lancer l’AMLA, l’inclusion de pays comme Monaco sur sa liste noire est un avertissement symbolique. Désormais, aucune juridiction, aussi riche ou prestigieuse soit-elle, n’est à l’abri d’un examen minutieux. Le devenir de l’AMLA comme véritable autorité de contrôle puissante dépendra de trois piliers : la volonté politique, la solidité de sa conception institutionnelle et l’ampleur des moyens humains et techniques qui lui seront alloués.

Sans volonté politique, l’AMLA risque d’être affaiblie par les intérêts nationaux. Sans conception institutionnelle solide, ses compétences pourraient se heurter à des obstacles juridiques et bureaucratiques. Sans moyens humains et techniques suffisants, elle ne pourra pas exercer une supervision directe et efficace sur les entités à haut risque ni coordonner les autorités nationales.

The Conversation

Carmela D'Avino ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

15.07.2025 à 17:51

Fentanyl : vers une opération militaire des États-Unis au Mexique ?

Khalid Tinasti, Chercheur au Center on Conflict, Development and Peacebuilding, Graduate Institute – Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID)
Des visions politiques divergentes entravent la bonne coopération entre l’administration Trump et la présidente mexicaine Claudia Sheinbaum contre les cartels.

Texte intégral 2143 mots

Face à la crise des opioïdes, Donald Trump durcit le ton contre le Mexique, promettant des sanctions, désignant des cartels comme « organisations terroristes », et menaçant d’une intervention militaire sur le sol mexicain. Mais entre posture électorale et tension bilatérale, la stratégie de Washington semble plus soulever des risques qu’apporter des solutions.


Durant sa campagne électorale en 2024, Donald Trump s’était fait fort de résoudre le grave problème posé par les opioïdes illicites et le fentanyl, qui causent chaque année des dizaines de milliers de décès aux États-Unis.

Il s’était engagé à exécuter les trafiquants et à prendre des mesures contre le Canada, le Mexique et la Chine, jugés responsables de l’arrivée sur le territoire des États-Unis des drogues et des précurseurs chimiques utilisés pour les produire.

Une fois arrivé au Bureau ovale, il a mis en place des tarifs douaniers sur les importations depuis la Chine, dans l’objectif de la contraindre à adopter un contrôle plus important des exportations des précurseurs vers le Mexique.

Il a également attaqué verbalement à plusieurs reprises le Mexique, ainsi que le Canada, pour un supposé manque de contrôle de leurs frontières.

Dans ce reportage datant de 2024, on entend notamment un fabricant mexicain de fentanyl expliquer (à 5’15) : « La pâte est constituée de composants qui nous viennent de Chine. Là-bas, c’est légal. »

Si le présent article se concentre sur la frontière sud avec le Mexique, il faut noter que le Canada, dont le flux de fentanyl illégal vers les États-Unis a représenté moins de 16 kg sur un total de presque 10 tonnes saisies toutes frontières confondues en 2024, a réagi en nommant un « Fentanyl czar » en février dernier afin d’améliorer une coopération policière bilatérale déjà assez solide, mais surtout pour tenter de répondre aux exigences croissantes de la nouvelle administration états-unienne.

Le Mexique, au cœur de la réponse trumpienne

Donald Trump a évoqué la possibilité d’envoyer des troupes des forces spéciales au Mexique pour éliminer les cartels de la drogue. Il a aussi promis de renvoyer des membres de gangs présumés vers une prison de haute sécurité au Salvador, dont le président est son allié (des renvois remis en cause par la justice américaine). L’hôte de la Maison Blanche a, en outre, menacé de signer un décret qualifiant le fentanyl d’arme de destruction massive, ce qui alourdirait fortement les sanctions pénales contre les personnes arrêtées, allant jusqu’à la peine de mort.

Certes, on se saurait reprocher au président des États-Unis de se concentrer sur la crise des opioïdes ; ces drogues, et principalement le fentanyl, ont tué plus d’un demi-million d’Américains depuis 2012. Les overdoses liées au fentanyl seul ont presque triplé entre 2019 et 2023, passant de 31 000 à 76 000 décès. Une nette baisse de la mortalité a toutefois été enregistrée en 2024 avec une diminution de 36,5 % des décès dus au fentanyl, qui se sont élevés cette année-là à environ 48 000 morts.

Mais bon nombre des propositions avancées par l’administration Trump comportent de graves risques. Des mesures telles que les sanctions tarifaires et des opérations militaires au Mexique feraient plus de mal que de bien, en mettant encore plus l’accent sur les approches punitives au détriment de la coopération transnationale.

Par exemple, la désignation des cartels de la drogue et d’autres organisations criminelles comme des organisations terroristes étrangères (aux côtés du Hamas ou de Daech), en place depuis janvier dernier, entraîne des sanctions américaines, y compris le gel des avoirs, des restrictions sur les transactions financières et l’interdiction pour les citoyens et organisations des États-Unis d’apporter leur soutien ou leur assistance aux membres des cartels. Depuis l’application de cette désignation, les entreprises (états-uniennes ou sous-traitantes) opérant dans des zones contrôlées par des cartels qualifiés d’organisations terroristes, ou entretenant des relations commerciales – même contraintes – avec ces entités, s’exposent à un risque accru de faire l’objet d’enquêtes diligentées par les autorités américaines et de sanctions économiques, ainsi que de poursuites pénales ou civiles en lien avec des affaires de terrorisme.

Les administrations précédentes, y compris celle de Trump lors de son premier mandat, avaient déjà envisagé une telle désignation avant d’y renoncer. Car, au lieu de soutenir la riposte face aux cartels sur le terrain, elle perpétue la « guerre aux drogues » et favorise le déplacement géographique des opérations de production et de trafic d’un endroit à un autre, provoquant ce que l’on appelle un effet ballon, conséquence connue et largement étudiée des approches punitives face au trafic de drogues.

La posture du Mexique

Les autorités mexicaines sont-elles exemptes de toute responsabilité dans ce face-à-face tendu avec l’administration Trump 2 ? Depuis 2019, l’ancien président mexicain Andrés Manuel López Obrador (2018-2024), par sa politique de « Abrazos, no balazos » (« Des câlins, pas de balles ») envers les cartels, n’a fait qu’aggraver la criminalité et la violence au Mexique.

En incitant les forces de l’ordre à se contenter d’arrestations occasionnelles de criminels de haut rang et de démantèlement de laboratoires de drogue pour apaiser le voisin états-unien, au lieu de s’attaquer aux cartels de manière systématique, et en entravant la coopération policière bilatérale, la politique de l’administration López Obrador a permis aux cartels d’étendre leur pouvoir d’intimidation, leur emprise sur les entreprises légales et leur domination criminelle sur de vastes pans du pays. Pendant ce temps, les cartels de Sinaloa et Jalisco Nueva Generación (listés comme groupes terroristes par l’administration Trump) devenaient les principaux fournisseurs de fentanyl aux États-Unis.

Claudia Sheinbaum, successeure et héritière politique de López Obrador à la présidence, s’est montrée prête à restaurer une collaboration plus significative avec les États-Unis contre l’activité des cartels, même si elle hausse le ton et prépare un arsenal juridique contre toute incursion ou activité militaire des États-Unis sur son territoire.

Au moment où des drones américains survolent le Mexique à la recherche de laboratoires de fentanyl et enfreignent ce faisant sa souveraineté, le secrétaire d’État Marco Rubio laisse entendre que les menaces d’intervention sur le territoire mexicain sont un levier pour convaincre Sheinbaum d’accepter une coopération policière « efficace » avec Washington.

Le Mexique réagit déjà : pour éviter la hausse des tarifs douaniers annoncée par Trump en cas de non-coopération dans la lutte contre le trafic de fentanyl, le gouvernement mexicain a déployé 10 000 soldats supplémentaires à la frontière avec les États-Unis, en plus des 15 000 déjà envoyés en 2019 sous la pression de Washington.

De leur côté, les cartels, qui ne semblent pas prendre les menaces de Trump au sérieux, poursuivent leurs batailles intestines et comptent sur leurs réseaux infiltrés dans l’armée mexicaine pour les prévenir en cas d’attaques.

Dans ce contexte, une action efficace, de la part des États-Unis, consisterait à cibler les niveaux intermédiaires de ces cartels (logisticiens, blanchisseurs d’argent, chefs de gangs) et à aider le Mexique à renforcer son système judiciaire et sa lutte contre la corruption.

Une réponse commune entravée par des agendas opposés

Les États-Unis devraient aussi suivre de près la réforme constitutionnelle en cours au Mexique, qui vise à transformer la procédure de nomination des juges, de la Cour suprême aux tribunaux locaux : ceux-ci seront désormais élus directement par les citoyens. Cette réforme controversée, qui vise également à revoir la structure de la Cour suprême (qui a bloqué à plusieurs reprises les lois de López Obrador) est porteuse de risques réels, de la politisation de la justice à une plus grande infiltration du système judiciaire par le crime organisé.

Dans ce face-à-face tendu, une dynamique de populisme sécuritaire se déploie des deux côtés de la frontière, bien que sous des formes idéologiquement distinctes.

L’administration Trump mobilise une rhétorique de droite autoritaire, qui externalise les causes de la crise des overdoses vers l’étranger et instrumentalise la menace – très réelle – des cartels pour justifier l’adoption de mesures militaires, commerciales ou juridiques extrêmes, dans le cadre d’un agenda électoral fondé sur son approche de la paix par la force.

De son côté, Claudia Sheinbaum poursuit la militarisation du territoire entamée par ses prédécesseurs entre 2006 et 2024 et, sous la pression américaine, mène une politique brutale contre les cartels. Mais, dans le même temps, se voulant fidèle à la tradition de la gauche populiste, elle ne renie pas entièrement le concept d’« Abrazos, no balazos », estimant que les coûts humains et sociaux pour le Mexique d’une confrontation frontale avec le crime organisé ne sont pas entièrement justifiables, surtout lorsque le marché final des drogues reste, structurellement, les États-Unis.

Chacun, à sa manière, rejette les responsabilités internes et privilégie une posture politique tournée vers ses propres électeurs. Le résultat est une coordination bilatérale entravée, dominée par des logiques nationales court-termistes au détriment d’une stratégie commune, crédible et efficace face à un défi transnational.

Dès lors, une action militaire unilatérale des États-Unis dans les territoires mexicains contrôlés par les cartels ne semble pas impossible. Si Donald Trump semble souvent faire beaucoup de bruit, il finit le plus souvent par mettre ses menaces à exécution…

The Conversation

Khalid Tinasti ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

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