15.07.2025 à 17:54
Qui est le capybara, cet étonnant rongeur qui a gagné le cœur des internautes ?
Cet étonnant rongeur d’allure flegmatique, qui peut peser jusqu’à 100 kg en captivité, est devenu en quelques mois la coqueluche des réseaux sociaux. Au point que certains le choisissent même comme animal de compagnie. Mais, derrière cet effet de mode, il convient de s’interroger : ses mœurs ne sont pas du tout adaptées à la vie en appartement, tandis que les activités humaines contribuent bel et bien à la dégradation de son habitat naturel. Le capybara n’est-il qu’un gros cochon d’Inde placide et affectueux ? Depuis 2020, on assiste sur les réseaux sociaux à une véritable « capybara mania ». Certains animaux vivent même comme des animaux de compagnie, en appartement ou dans des jardins, que ce soit en Chine, au Canada ou en Russie, avec leur lot d’images et de peluches kawai. Par ailleurs, depuis 2021, les habitants de la ville résidentielle de Nordelta, en Argentine, ont vu leurs pelouses et leurs piscines envahies par un grand nombre de capybaras. Les causes de cette invasion – tout comme de l’engouement récent pour le rongeur – sont mal connues, mais certains l’attribuent au fait que ce quartier ait été construit sur une zone qui constituait jadis leur habitat naturel. D’une manière générale, on connaît assez mal ce rongeur d’un point de vue scientifique. Qui est celui que Linné appelait « cochon d’eau » en 1766 lors de sa découverte ? Où vit-il à l’état sauvage ? Comment vit-il ? Est-il menacé par les changements planétaires en cours ? Portrait-robot. Le capybara appartient au genre Hydrochoerus qui comprend actuellement deux espèces : le grand capybara (ou Hydrochoerus hydrochaeris), qui est le plus populaire, et le capybara du Panama (ou Hydrochoerus isthmius) qui serait plus petit, mais qui reste assez mal connu. Le genre Hydrochoerus appartient à un sous-ordre de rongeurs très anciens ne vivant qu’en Amérique du Sud et caractérisés par une mâchoire de forme particulière, où un muscle de la mâchoire traverse partiellement une structure osseuse sous-orbitaire pour se connecter à l’os du crâne au dessus. On qualifie d’« hystricognathes » les rongeurs ayant cette particularité. Au sein de ce genre, le capybara est un membre de la famille des Caviidae qui comprend aussi les cochons d’Inde et les lièvres des pampas (les maras). Cette famille s’est diversifiée il y a environ 18 millions à 14 millions d’années en Amérique du Sud et regroupe actuellement 20 espèces, ce qui en fait une des plus diversifiées d’Amérique du Sud. Une phylogénie moléculaire place le capybara (Hydrochoerus) comme groupe frère des Kerodon (cobaye des rochers, voir image ci-contre) tandis que le cochon d’Inde (genre Cavia), pour sa part, est un cousin plus éloigné du capybara. Le grand capybara se rencontre à l’état sauvage depuis l’est des Andes et de la Colombie jusqu’au Brésil, la Bolivie, le Paraguay, l’Argentine, l’Uruguay. Le capybara du Panama, pour sa part, vit à l’est du Panama et l’ouest de la Colombie et au nord-ouest du Venezuela. C’est le grand capybara que l’on rencontre le plus souvent dans les parcs zoologiques et qui retient l’attention du public en ce moment. De tous les rongeurs, le grand capybara est actuellement le plus gros par sa taille (1 m à 1,3 m) et son poids (35 kg à 65 kg) à l’état sauvage (jusqu’à 100 kg en captivité). Mais à côté de ses ancêtres, c’est un poids plume ! En effet, on estime que ses ancêtres fossiles étaient des capybaras géants. Appelés Phugatherium et Protohydrochoerus, ils ont vécu il y a 4 millions à 2,5 millions d’années en Argentine et en Bolivie. Ces derniers pouvaient mesurer jusqu’à 2 mètres de long et peser de 200 kg à 300 kg, soit la taille d’un tapir selon certains scientifiques – une évaluation ramenée par d’autres à environ 110 kg. Comparé au cochon d’Inde, le capybara se distingue par sa taille imposante, la présence d’une petite queue, un pelage long mais rêche de couleur brun doré uniforme, la présence d’une petite membrane entre les trois doigts des pattes, qui lui servent de palmes pour nager, et enfin par sa mâchoire, avec de longues dents très hautes (sans racines visibles, on dit qu’elles sont hypsodontes) avec de nombreuses crêtes obliques et une troisième molaire très grande. Enfin, le museau est haut et tronqué à l’avant, les oreilles petites et rondes et les yeux très en hauteur et en arrière de la tête. Contrairement au cochon d’Inde sauvage, qui vit dans les prairies sèches et les zones boisées des Andes, le capybara préfère vivre au bord de bord de l’eau dans les zones tropicales et subtropicales de plus basse altitude. Il fréquente les zones forestières et les prairies humides des Llanos du Venezuela ou du Pantanal brésilien. C’est un rongeur subaquatique et végétarien qui aime les herbes, les graines et les végétaux aquatiques. Son mode de digestion s’apparente à celui des ruminants. Il possède une digestion cæcale et pratique la caecotrophie (c’est-à-dire, l’ingestion de ses crottes pour une meilleure assimilation des fibres, comme chez les lapins. À l’état sauvage, ils vivent en groupes de 2 à 30 individus dirigés par un mâle dominant qui assure la reproduction auprès des femelles et défend le territoire où le groupe trouve ses ressources alimentaires. La taille du territoire dépend de la qualité des ressources alimentaires et peut varier de 10 hectares à 200 hectares, avec une densité de peuplement qui peut atteindre jusqu’à 15 individus par hectare. Les capybaras femelles peuvent avoir deux reproductions par an. Leurs portées comprennent en moyenne de 3 à 5 jeunes, qui naissent après quatre à cinq mois de gestation. La croissance est rapide et les jeunes atteignent la maturité sexuelle entre quatorze et dix-huit mois, pesant autour de 35 kg. En groupe, ils émettent des vocalisations fortes à l’approche d’un prédateur (jaguar, puma, chacal ou anaconda). Le groupe se réfugie alors dans l’eau, où les individus sont de bons nageurs et plongeurs. Ces rongeurs peuvent être diurnes ou nocturnes, en fonction des pressions de chasse ou de la saison. Bien que l’espèce vive dans beaucoup d’aires protégées, elle est aujourd’hui chassée pour sa viande et son cuir. Toutefois, il existe aujourd’hui de nombreux élevages qui réduisent la pression sur les populations sauvages. Les populations sauvages de capybaras ne semblent pas être en diminution et l’espèce n’est pas considérée comme en danger de disparition. Cependant, il semblerait que les fortes diminutions de pluie observées sur son habitat depuis 2020 aient eu un impact. En effet, la survenue de feux de forêt de plus en plus fréquents et grands – du fait du défrichement des forêts en saison sèche, notamment pour augmenter la surface de pâturage disponible pour le bétail – provoque dans le Pantanal brésilien une mortalité animale importante. Dans les Llanos vénézuéliens, le défrichement des forêts se poursuit aussi, non seulement pour le développement de l’agriculture et de l’élevage, mais également en raison de l’exploitation des bois précieux et du développement de l’industrie pétrolière. Dans le même temps, la construction de barrages hydroélectriques assèche certaines zones. Tous ces événements contribuent à réduire l’habitat naturel du grand capybara. Au-delà de ces grandes zones forestières, en Argentine, ces rongeurs sont de plus en plus visibles dans la banlieue de Buenos Aires. Des résidences ont été construites le long du fleuve où ils vivaient, et l’urbanisation de leurs territoires les empêche de s’alimenter normalement. En l’absence de prédateurs, nourris par certains habitants qui, les trouvant mignons, les laissent entrer sur leurs pelouses et dans leurs piscines, ces rongeurs se multiplient facilement. La plupart des résidents trouvent que le capybara est calme et peu agressif, sauf les mâles vocalisant et se bagarrant pour la domination du troupeau. Les capybaras ont de moins en moins peur de s’approcher des humains, ce qui explique, là encore, pourquoi on les voit de plus en plus – et pourquoi le nombre d’accidents augmente. Dans le monde, de plus en plus de personnes vont même jusqu’à en adopter, les considérant comme un animal de compagnie docile et apaisant. Il est recommandé de ne choisir que des femelles et il vaut mieux disposer d’un grand plan d’eau à proximité du domicile. En France, il est nécessaire d’avoir un certificat de capacité vétérinaire pour en élever un. Sur Internet, les vidéos postées par leurs propriétaires montrent des capybaras solitaires se baignant dans les baignoires d’appartements ou promenés seuls en laisse, ce qui s’apparente, à mon avis, à de la maltraitance. Les territoires naturels des capybaras sont grands, leurs besoins d’eau importants et ils vivent en troupeaux dans la nature. Profitons donc de l’engouement suscité par ce rongeur au mode de vie étonnant pour agir au niveau international contre la dégradation des plus grandes zones humides de la planète. Elles sont aujourd’hui menacées par le changement climatique et par l’augmentation effrénée des activités humaines, qui dégradent l’environnement de façon durable et irréversible. Une mauvaise nouvelle pour le capybara et pour de nombreuses autres espèces. Christiane Denys ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche. Texte intégral 3096 mots
Dans la famille des capybaras, je voudrais…
Des ancêtres pouvant peser jusqu’à 300 kg
Comme le lapin, il ingère ses propres fèces
Un habitat naturel menacé
La cohabitation et la domestication en question
14.07.2025 à 18:32
Sommet sur l’océan à Nice : des résultats prometteurs mais un essai à transformer
À Nice, le sommet sur l’océan s’est terminé le 13 juin 2025 sur un bilan en demi-teinte. Au-delà des engagements internationaux, l’UNOC-3 a surtout été l’occasion d’un dialogue entre quatre entités différentes mais complémentaires : scientifiques, décideurs, société civile et acteurs financiers. Il convient désormais de transformer l’essai en tenant compte des réalités locales de chaque territoire. Après New York en 2017 et Lisbonne en 2022, la 3e Conférence des Nations unies sur l’océan (UNOC3) s’est tenue à Nice du 9 au 13 juin. Elle a été le théâtre d’une mobilisation sans précédent des acteurs de l’océan dans l’histoire des conférences multilatérales telles que les COP (Conférences des Parties) onusiennes. L’océan joue en effet un rôle capital dans les grands équilibres planétaires : il est le pilier de la machine climatique ainsi qu’un précieux vivier de biodiversité. La dynamique de la conférence a permis d’appeler à l’action internationale pour préserver l’océan, dans un contexte où il n’existe pas de COP dédiée à la Convention des Nations unies sur le droit de la mer (1982). Une absence que le sommet a permis de pallier en proposant un espace multilatéral de gouvernance de l’océan à vocation universelle et transversale, même si l’UNOC ne dispose pas des moyens et leviers d’une COP. Surtout, cette troisième conférence s’est tenue dans un contexte de défiance croissante de certains États à l’égard du droit international et du multilatéralisme. Réunir la communauté internationale autour des défis contemporains liés à l’océan représentait un premier objectif important – et celui-ci a été atteint. Le bilan concret du sommet peut apparaître en demi-teinte : l’accord sur la haute mer (aussi appelé accord BBNJ) n’a pas encore obtenu le nombre de 60 ratifications nécessaires à son entrée en vigueur. Quoi qu’il en soit, celui-ci a été l’occasion d’initier un dialogue concret entre les quatre mondes que sont la sphère scientifique, celle des décideurs, la société civile et enfin les investisseurs. Un essai qu’il convient désormais de transformer en prenant exemple sur les solutions développées localement. Le premier objectif affiché de l’UNOC-3 a été un demi-succès : il s’agissait de permettre l’entrée en vigueur de l’accord sur la haute mer. Les efforts diplomatiques ont permis d’atteindre 51 ratifications durant la conférence, mais pas le seuil des 60 nécessaires à l’entrée en vigueur de l’accord. L’UNOC-3 aura donc été une étape importante, mais insuffisante. L’objectif est désormais celui d’une entrée en vigueur début 2026. Malgré tout, la conférence aura permis le lancement d’initiatives politiques significatives tel que l’Appel de Nice, signé par 96 États soutenant une haute ambition pour le traité sur la pollution plastique. Jusqu’ici, les négociations ont buté sur une opposition de vues – équilibrée si l’on considère 193 États membres de l’ONU – qui rendent incertaine l’issue des négociations. De même, 37 États ont initié une Coalition de haute ambition pour un océan plus silencieux, appelant à lutter contre cette forme de pollution ayant des impacts forts sur la vie marine, de plus en plus documentée : la pollution sonore sous-marine. Le sommet s’est toutefois distingué par une mobilisation inédite des parties prenantes de l’océan. La zone dédiée à la société civile a accueilli plus de 130 000 visiteurs. Plusieurs événements en amont de l’UNOC3 ont rassemblé une grande diversité d’acteurs internationaux et locaux : scientifiques, représentants de communautés locales, acteurs financiers du secteur privé comme de la philanthropie, organisations de la société civile… Citons par exemple : le One Ocean Science Congress, qui réunissait plus de 2000 scientifiques du 3 au 6 juin le Sommet Ocean Rise & Coastal Resilience, auquel assistaient le 7 juin plus de 450 maires ou gouvernements, représentant un territoire d’un milliard d’habitants le Blue Economy & Finance Forum, les 7 et 8 juin, qui a réuni 8,7 milliards d’euros d’engagements, et la Journée mondiale de l’Océan (8 juin). Cette dynamique exceptionnelle a porté la voix de ces acteurs auprès des 175 États membres présents, en appelant à une action transformatrice visant à garantir la bonne santé de l’océan et des communautés qui en dépendent. En effet, le développement et surtout le financement de ces projets au niveau local et régional sont indispensables pour relever ce défi. La science a d’ailleurs tenu une place toute particulière à l’UNOC3. Outre l’organisation du One Ocean Science Congress, la tenue du premier Forum international des universités marines et le lancement officiel d’une plateforme internationale pour la durabilité des océans (IPOS), la science a fait l’objet de déclarations politiques fortes dès les premiers discours officiels. Elle a aussi donné lieu à des engagements clairs dans la déclaration politique finale (paragraphes 30 c et d), même s’il faudra rester attentif à leur mise en œuvre concrète. L’UNOC-3 a consolidé un modèle de synergie entre quatre sphères d’acteurs : scientifiques, décideurs publics, société civile et financeurs. Ainsi : le congrès scientifique One Ocean Science Congress a permis de présenter les derniers diagnostics sur l’état de santé de l’océan – même si la remobilisation de ces messages durant l’UNOC-3 n’a pas été aussi forte qu’elle aurait pu l’être. La session Ocean Science Diplomacy a rassemblé chercheurs et diplomates autour de l’intégration de la science dans les négociations internationales. L’UNESCO y a souligné l’insuffisance des budgets publics dédiés à la recherche océanographique. En parallèle, les institutions publiques ont réaffirmé leur volonté d’agir. Par exemple, à travers la coalition Space4Ocean qui vise à améliorer les connaissances sur les océans. La société civile a porté la voix des communautés littorales de manière périphérique. Enfin, le Blue Economy & Finance Forum a mobilisé les acteurs financiers publics et privés afin de sortir du sous-financement structurel des actions en faveur de l’océan. Un total de 8,7 milliards d’euros d’investissements a été proposé pour les cinq prochaines années, dont 4,7 milliards d’euros seront mobilisés par des philanthropes et investisseurs privés réunis au sein de l’initiative Philanthropists and Investors for the Ocean. L’action des philanthropes est essentielle pour garantir un accès plus équitable au financement et renforcer les capacités locales. Cette synergie permet une vision plus commune et partagée des enjeux, à la croisée de l’état des océans, du changement climatique, de la crise de la biodiversité au-delà des seuls milieux marins, et des injustices et inégalités. Par exemple : la conservation et la restauration des mangroves ont été évoquées de manière transversale par des ministres, scientifiques ou par des fondations philanthropiques comme des solutions à fort impact à la fois pour le climat (séquestration carbone), pour la biodiversité et pour les communautés locales, notamment autochtones, dont le bien-être dépend de l’état de la mangrove. À la suite de la plus grande conférence jamais organisée sur l’océan, les signaux sont encourageants mais la route encore longue. Les prochaines échéances seront décisives : il faudra une mobilisation massive pour inclure des mesures contraignantes dans le traité international contre la pollution plastique lors de la reprise des négociations à Genève en août 2025. De même, la poursuite de l’objectif d’entrée en vigueur attendue du traité de la haute mer en janvier 2026 nécessite encore une ratification par au moins neuf États supplémentaires. Par ailleurs, même si les liens entre océans, climat et biodiversité ont été rappelés tout au long des deux semaines du sommet, et si la décarbonation du transport maritime y a été abordée, l’enjeu des combustibles fossiles n’a pas été traité. Pourtant, les petits États insulaires appellent ouvertement à leur élimination progressive afin de garantir la santé de l’océan. L’UNOC-3 devra être suivi d’un retour aux réalités locales des territoires. Chaque délégué ayant participé au sommet représente une communauté et un territoire. Ce retour doit se faire avec humilité et lucidité. Il n’existe pas de solution miracle : chaque écosystème territorial littoral doit trouver sa manière de traduire les principes globaux à l’échelle locale. Les discours sur le soutien à la pêche artisanale et les communautés côtières marginalisées, par exemple, ont été nombreux à l’UNOC-3. Mais de quelle pêche artisanale parle-t-on et que signifie la soutenir ? La défendre face à la pêche industrielle ? Mieux la planifier pour protéger l’environnement ? La sauver de la pollution ? L’accompagner dans l’adaptation au changement climatique ? Répondre à ces questions suppose une compréhension fine des réalités locales. Les engagements annoncés à l’UNOC3 devront désormais se transformer en actions concrètes et en partage de solutions, notamment pour accompagner l’adaptation des territoires au changement climatique et à l’élévation du niveau de la mer, avec le soutien des communautés se trouvant en première ligne. Pour atteindre les objectifs annoncés, nous pensons qu’il est nécessaire d’impliquer tous les acteurs – scientifiques, acteurs associatifs, décideurs, entrepreneurs. Les établissements d’enseignement supérieur et de recherche, de par leurs missions fondamentales, devront contribuer plus que jamais à la formation des plus jeunes – les futurs acteurs du changement, à la sensibilisation des décideurs actuels, à la création et la diffusion de connaissances et d’innovations. De telles ambitions se heurtent trop souvent au cloisonnement de la recherche, aux contingences des politiques scientifiques et à une certaine étanchéité entre les établissements publics de recherche, la société civile et les décideurs. À notre échelle, notre rôle est de repousser ces barrières et d’œuvrer pour une construction scientifique inter et transdisciplinaire pour favoriser les connexions et susciter l’émergence de projets à plusieurs niveaux de complexité. Les recherches doivent aussi être inclusives vis-à-vis des peuples autochtones et des communautés locales pour répondre aux attentes sociétales et co-construire un avenir juste, résilient et désirable pour l’océan et les générations futures. Sylvain Antoniotti a reçu des financements de l'Agence Nationale de la Recherche. Cecile Sabourault a reçu des financements de l’Agence nationale de la recherche et de l’Union européenne. Christophe Den Auwer a reçu des financements du CEA Jean-Christophe Martin a reçu des financements de l'Agence Nationale de la Recherche. Julien Andrieu et Saranne Comel ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire. Texte intégral 2306 mots
Des résultats en demi-teinte mais une mobilisation exceptionnelle
Une valse à quatre temps entre scientifiques, décideurs, société civile et financeurs
De prochaines échéances décisives
12.07.2025 à 17:14
Tour de France 2025 : quand des réserves naturelles émergent sur des sites pollués
Au-delà du sport, le Tour de France donne aussi l’occasion de (re)découvrir nos paysages et parfois leurs bizarreries géologiques. Le XXIe siècle est marqué par un regain de sensibilité à la nature, qui a poussé à la protection de certains sites, sélectionnés parmi de nombreuses possibilités. Mais paradoxalement, certaines aires sont protégées alors qu’elles semblent polluées… par un phénomène naturel ? Le naturaliste respecte tout ce qui vient de la nature. De cette dernière il exclut généralement l’humain et ses œuvres, tant elles portent atteinte à un équilibre sain. En témoignent les nombreuses traces laissées par le passé industriel de notre pays : certaines sont visibles (bâtiments en ruines…), quand d’autres, plus insidieuses, sont chimiques (sols pollués). Et pourtant, en France, certaines pollutions et désordres industriels sont aujourd’hui classés… comme des réserves naturelles. La troisième étape du Tour de France 2025, le 7 juillet dernier, a permis de l’illustrer avec deux exemples : les pelouses métallicoles de Mortagne-du-Nord et la « Mare à Goriaux », deux réserves biologiques du Parc Naturel régional Scarpe-Escaut traversées par la route dans la forêt de Saint-Amand, à une dizaine de kilomètres de son départ. Nous évoquerons aussi un troisième cas dans le Massif central, que les cyclistes parcourront lors de la 10e étape, le lundi 14 juillet 2025. Éliminer les cicatrices que l’humain a laissées en maltraitant la Terre n’est pas chose aisée et les approches sont aussi variées que les causes sont différentes. Les blessures visuelles se résorbent quand les moyens financiers sont mobilisés. La pollution chimique en revanche requiert, outre des subsides, un bien non achetable : du temps. Magie de la nature, certaines plantes dites hyperaccumulatrices ont la propriété de prospérer sur des sols qui empoisonneraient la plupart des autres. Elles ne sont pas rares : on en connaît près de 400 espèces. La plupart bioaccumulent un ou deux métaux, mais certaines prélèvent un plus large éventail, en pourcentage variable selon le polluant. Du lundi au vendredi + le dimanche, recevez gratuitement les analyses et décryptages de nos experts pour un autre regard sur l’actualité. Abonnez-vous dès aujourd’hui ! Ces capacités d’extraction par des plantes qui absorbent et concentrent dans leurs parties récoltables (feuilles, tiges) les polluants contenus dans le sol sont utilisées pour la dépollution : on parle de phytoremédiation. Le plus souvent, les végétaux sont récoltés et incinérés : les cendres sont stockées ou valorisées pour récupérer les métaux accumulés. Mortagne du Nord, commune qui appartient au Parc naturel régional Scarpe-Escaut, en offre un exemple édifiant. Une usine y traitait du zinc, du cadmium, du plomb et quelques terres rares. Désormais, en lieu et place de l’amoncellement de déchets qui y étaient entreposés, prospèrent de jolis prés. Des pelouses dites « métalicolles » ou « calaminaires » qui entourent un collège en pleine nature. Le nord de la France est connu pour son absence de relief, comme la plaine de Flandre, vers Dunkerque, ou la région marécageuse de Saint-Amand-les-Eaux. Cette horizontalité est démentie par une dépression, notamment visible sur certaines routes. Ainsi, à proximité de la terrible « trouée de Wallers-Arenberg », passage célèbre du Paris-Roubaix, une route montre une dépression très nette qui semble évoquer le passage d’une rivière. Or il n’y a pas de rivière. Quelle peut en être l’explication ? La dépression de la route ci-dessus permet de quantifier l’effondrement topographique. On notera, sur la partie droite de la photo, que la ligne de chemin de fer est restée horizontale car un remblai régulier était effectué. C’est d’ailleurs ce remblai, pris annuellement en charge par les houillères, qui a permis de les rendre responsables de cet effondrement. La gauche de la route, derrière les arbres, est bordée par le terril qui délimite la Mare à Goriaux (gorets en picard), une zone naturelle protégée installée sur un terril plat. Les bois de la gauche de la route sont ceux de la « Mare à Goriaux », une réserve naturelle créée suite à un affaissement minier en 1916. En effet, il existait là un ancien terril horizontal – avant de prendre leur forme conique avec la mécanisation des apports, les terrils étaient horizontaux car alimentés par des wagonnets poussés par des hommes ou tirés par des chevaux. L’affaissement a formé trois mares, qui ont fini par se réunir en 1930 en un seul plan d’eau, la Mare à Goriaux. La colonisation des lieux par la flore et la faune, riche et diversifiée, a conduit à décréter ce lieu réserve biologique domaniale de Raismes-St Amand-Wallers en 1982. La nature rejette du pétrole depuis toujours : on en connaît dans les Caraïbes tant au fond de la mer, où il suinte et est constamment digéré par des bactéries spécialisées, qu’à terre. Il était déjà utilisé par les Amérindiens Olmèques 12 siècles avant notre ère, afin d’imperméabiliser les toitures, étanchéifier les navires, les canalisations, les récipients ou décorer des masques. Dans l’Antiquité Classique, il a servi à étanchéifier les jardins suspendus de Babylone, à enduire l’arche de Noé ou à conserver les momies. Si le bitume affleurait en surface dans toutes les régions aujourd’hui connues comme étant pétrolifères, de l’Arabie saoudite à l’Iran (alors la Perse) en passant par l’Irak (alors la Mésopotamie), en France, le pétrole est plus rare. Il existe néanmoins un endroit où il coule en surface. À l’est de Clermont-Ferrand, que traversera le peloton lors de la 10e étape, est visible entre l’autoroute et l’aéroport la « Source de la Poix », un lieu géré par le Conservatoire des espaces naturels. Le bitume qui s’y écoule librement est associé à de l’eau salée, du méthane et des traces d’hydrogène sulfuré, dont l’odeur parfois forte peut évoquer celle d’œufs pourris. Le mélange, qui circule sur une quinzaine de mètres avec un débit extrêmement faible (de l’ordre d’un hectolitre/an), surgit par des fractures dans la roche volcanique, ce qui explique qu’il n’est plus exploité. Dans le passé, il fut utilisé pour calfater (c’est-à-dire, étanchéifier) les embarcations de l’Allier. Cet hydrocarbure vient des sédiments de Limagne qui se sont déposés dans un grand lac peu profond qui permettait une vie abondante, il y a une trentaine de millions d’années (Oligocène). Celle-ci a évolué avec le temps pour devenir le bitume que l’on trouve aujourd’hui – il ne s’agit pas vraiment de pétrole car il a subi une légère oxydation. N’ayant pas été piégé par une couche ou une structure imperméable, le liquide remonte lentement en surface. Les suintements de bitumes sont nombreux en Limagne : outre au Puy de la Poix, on en connaît au Puy de Crouël, à la carrière de Gandaillat et à Dallet, à quelques kilomètres, où une mine a été exploitée jusqu’en 1984. Cette source de bitume a été plus ou moins aménagée au cours des siècles, mais depuis, le site est presque tombé dans l’oubli. Il présente pourtant un joli potentiel pédagogique, d’un point de vue géologique, biologique, environnemental et sociétal.
À lire aussi :
La filière pétrolière française que tout le monde avait oubliée
Patrick de Wever ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche. Texte intégral 2774 mots
Pelouses métallicoles et plantes hyperaccumulatrices
Une réserve biologique fruit d’un effondrement minier
Une source de pétrole au cœur de l’Auvergne