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05.03.2025 à 15:54

Comment limiter le recours aux produits biocides dans les enduits de façades ?

Guillaume Christen, Chercheur associé à l'Université de Strasbourg, docteur en sociologie de l'environnement, Université de Strasbourg
Les enduits de façade contiennent des biocides qui polluent les cours d’eau. Des alternatives existent, mais il n’est pas aisé de faire évoluer les pratiques des peintres en bâtiment.

Texte intégral 2515 mots

Les enduits de façade utilisés par le secteur du bâtiment contiennent des produits biocides. Utilisés pour empêcher le développement d’algues et de mousse, ils polluent les cours d’eau. Des alternatives existent, mais il n’est pas aisé de faire évoluer les pratiques des peintres en bâtiment, qui appliquent le plus souvent les préconisations des fabricants eux-mêmes. Un projet de recherche européen entre France, Allemagne et Suisse s’est penché sur la question.


Les façades des bâtiments sont rarement « juste » des façades. Elles jouent un rôle social insoupçonné dans l’imaginaire collectif, entre fonction protectrice, image esthétique renvoyée et prolongation de l’habitat intérieur.

En réponse à la première exigence de protection, le secteur du bâtiment a développé des innovations techniques consistant à introduire des biocides dans les couches extérieures (crépis, peinture…) des murs afin de lutter contre le développement des algues, champignons et autres mousses. À la clé, des conséquences non intentionnelles mais problématiques : la diffusion de ces agents dans l’environnement.

Des études en archéologie avaient déjà démontré que la couche protectrice que forme le couvert bactérien (algues et mousses) sur les monuments historiques contredisait les approches interventionnistes qui cherchent à les éliminer, que ce soit par le recours aux biocides, ou au nettoyage systématique.


À lire aussi : Notre-Dame de Paris : une reconstruction réussie, une restauration malmenée et l’environnement oublié ?


Un vaste projet européen de trois ans (2019-2022), auquel j’ai participé, a justement porté sur la pollution aux biocides utilisés dans les enduits de façades dans les eaux souterraines de la région du Rhin supérieur. Cette recherche interdisciplinaire (écotoxicologie, hydrologie, sciences sociales) a été portée par cinq universités de cette région trinationale entre Allemagne, France et Suisse.

Dans ce cadre, il a fallu interroger la ville dans sa dimension socioécologique, entre conception des bâtiments (choix des enduits, pratiques professionnelles…) et effets sanitaires des agents biocides.

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À partir d’une quarantaine d’entretiens conduits auprès des professionnels (peintres en bâtiment, fournisseurs et fabricants des enduits), nos résultats ont permis d’évaluer l’acceptabilité sociale des produits de remplacement aux biocides.

En effet, celles-ci peuvent être des solutions « intelligentes » à base de nanoparticules ou des solutions « low tech ».

Les réponses des professionnels oscillaient ainsi entre deux orientations :

  • une tendance à l’hyper technicisation qui modernise les produits existants (peinture intelligente à base de nanoparticules),

  • à l’inverse, des innovations qui amorcent une rupture avec le système de pratiques institué et valorisent des produits dits naturels (peintures minérales, utilisation de la chaux).

Les biocides des enduits de protection, un risque sanitaire ?

Les biocides identifiés dans l’étude sont des molécules de synthèse utilisées comme films protecteurs pour lutter contre les algues, les champignons ou les mousses. Citons par exemple la Terbutryne (algicide), le Diuron (herbicide) et l’Ochtilinone (fongicide), utilisés pour empêcher le développement des espèces végétales et répondre à une demande sociale de façade qui restent propres.

Il est intéressant de remarquer que ces molécules sont également utilisées dans le monde agricole et que certaines sont interdites depuis plusieurs décennies pour l’agriculture, comme le Terbutryne.

Leur utilisation dans le secteur du bâtiment est liée à l’évolution des techniques de construction (par exemple, absence de débord de toit qui protégeait les façades des intempéries) et à l’artificialisation des enduits, avec la fabrication de produits acryliques (dérivés du pétrole).

Les débords de toit (immeuble à l’arrière-plan, par opposition aux deux immeubles à l’avant-plan qui en sont dénués) constituent une alternative à l’usage des biocides. Ils permettent une protection des façades exposées aux intempéries.

Le problème, c’est que le maintien des biocides sur la façade n’est pas pérenne. Ces agents sont dégradés sous l’effet des conditions météorologiques puis lessivés par la pluie pour se diffuser au pied des façades, puis dans les eaux souterraines de surface.

Ce processus peut être interprété comme un risque, dans le sens du sociologue Ulrich Beck. Il a pour origine l’innovation technique et reste largement imperceptible. Ce risque n’a pas de limite spatiale et temporelle bien définie. Ces substances chimiques finissent dans les aquifères souterrains et peuvent impacter des milieux éloignés des zones émettrices, d’autant plus que leurs effets peuvent être différés dans le temps.

Par ailleurs, ce risque est susceptible d’en générer une cascade d’autres, dont les conséquences ne sont pas encore clairement identifiées. Notamment en ce qui concerne la dégradation des biocides et leur interaction avec d’autres agents (issus de l’agriculture, des usages domestiques…), dont les effets et la dangerosité restent encore méconnus.

Dès lors, les biocides contenus dans les peintures de façade constituent un réel problème pour les écosystèmes et la santé environnementale compte tenu de leur migration dans les eaux souterraines sous l’effet de la pluie.

Peintures synthétiques contre minérales

Pour faire face à ce problème de manière durable, il faut limiter le recours aux biocides à la source voire s’en passer entièrement. Les pratiques professionnelles des peintres, à l’interface entre l’espace des professionnels (fournisseurs, fabricants, promoteurs…) et celui de la société (habitants des bâtiments, demande sociale des consommateurs), apparaissent comme un maillon essentiel.

Mais la profession de peintre en bâtiment n’est pas homogène. À l’image des oppositions qui structurent le monde agricole entre pratiques conventionnelles et biologiques, le secteur des peintres en bâtiment se caractérise lui aussi par un clivage dans les produits utilisés et leur mode d’application.

Nos entretiens montrent que le type d’enduit utilisé (synthétique ou minéral) permet d’établir une typologie des pratiques qui témoigne d’un rapport différencié à l’identité professionnelle. Celle-ci prend à la fois en compte le lien aux matériaux biosourcés, les relations de dépendance aux fabricants et fournisseurs et plus généralement le rapport à l’autonomie.

On peut ainsi distinguer les peintres dits « conventionnels » (qui utilisent essentiellement des peintures synthétiques avec biocides) et les artisans qui s’orientent vers des matériaux plus naturels comme les enduits minéraux.

Précisons que la profession doit être comprise comme s’insérant dans toute une filière où les fabricants et les fournisseurs d’enduits jouent un rôle prépondérant dans la définition des opérations de chantier. En effet, les fabricants ne commercialisent pas seulement des enduits, mais tout un ensemble de préconisations « clé en main ».

On y retrouve souvent un enduit de réparation, ainsi qu’un fixateur et un produit de finition. Ces chaînes d’opérations sont le plus souvent certifiées par le fabricant. Leur application est susceptible de « protéger » les peintres d’un éventuel litige, notamment dans le cadre de la garantie décennale. Cette prescription devient le plus souvent la norme : il est d’usage que les peintres mobilisent les systèmes complets des constructeurs, en utilisant la même marque pour les différentes chaînes d’opération.

L’organisation de la profession en filière occasionne ainsi une standardisation des pratiques. Dès lors, les peintres bénéficient d’une marge de manœuvre limitée. Face à un risque émergeant comme celui des biocides, la profession est susceptible de surtout suivre les innovations proposées par les réseaux des fabricants-fournisseurs.

Première alternative aux biocides, les peintures « intelligentes »

Les solutions de remplacement aux biocides s’inscrivent ainsi dans une logique technicienne : les industriels développent des peintures dites « intelligentes » à base de nanoparticules qui permettent la constitution d’un film pour maintenir les façades sèches et « propres ».

Cependant, les solutions techniques basées sur l’encapsulage des biocides ou le recours aux nanoparticules de métal génèrent de nouveaux problèmes encore peu étudiés, comme la diffusion de microplastiques ou de nanoparticules dans l’environnement.

Ceci rejoint la logique décrite par la sociologue autrichienne Marina Fischer-Kowalski, spécialiste de l’écologie sociale, pour qui nos problèmes environnementaux relèvent notamment d’une « colonisation » des processus naturels par la technique : ici, l’artificialisation des enduits de protection.

Loin de remettre en cause ce mouvement, de telles innovations techniques génèrent ainsi de nouveaux risques.

Les peintures minérales, une autre option intéressante

Une minorité de professionnels valorisent les qualités naturelles des peintures minérales (chaux, silicates) comme solution de remplacement aux biocides. Ces enduits minéraux ont pour particularité de favoriser les transferts d’air et d’humidité et de laisser les murs « respirer ». Un artisan nous l’a ainsi expliqué :

« Je fais les réparations avec des enduits à base de chaux, nous on est complètement respirant […] car la chaux est un super régulateur de l’humidité et un antifongique, on ne peut pas faire plus naturel ».

Ce même artisan cite la microporosité des enduits qui aide les échanges, contrairement aux crépis plastifiés :

« Avec les peintures minérales, on a une microporosité à la vapeur d’eau qui avoisine les 2000 grammes au mètre carré. Les peintures minérales sont respirantes, il y a un échange qui se fait. Sur les peintures semi-minérales, on tombe à 1200, ce qui est pas mal, alors imaginez avec les peintures qui plastifient les murs ».

Les crépis ont un effet imperméabilisant avec un risque de moisissures. À l’opposé des enduits minéraux qui, en raison de leurs propriétés respirantes, évitent les effets de verdissement. Outre l’emploi de peintures minérales, d’autres alternatives émergent, comme l’usage de plantes (sous forme d’huiles essentielles) qui contiennent des molécules bioactives aux propriétés antifongiques.

Ces alternatives peuvent se lire comme des « innovations par retrait ». Celles-ci ne reposent pas sur le développement de la performance technologique, mais instaurent un nouveau rapport à la nature. Non seulement on active les potentialités des enduits naturels (respirabilité, protection) mais ceux-ci redeviennent des partenaires avec lesquels un secteur professionnel va pouvoir composer.

Mais ces innovations environnementales reposent, en creux, sur l’innovation sociale. En effet, ce statut d’auxiliaire se heurte à des freins qui témoignent des difficultés à admettre que les matériaux naturels puissent remplacer des enduits synthétiques et fortement technicisés.

Elles seraient pourtant précieuses pour les politiques publiques visant à amorcer une transition vers une ville sans biocide. Elles permettraient de réinscrire son fonctionnement dans des cycles naturels. Renoncer aux biocides favoriserait en effet la prise en compte d’autres enjeux globaux, comme la perspective d’une ville plus perméable, qui gérerait différemment les eaux pluviales (noues, bassins de sédimentation…).


_Nous remercions chaleureusement Jens Lange (Université Albert-Ludwig de Fribourg-Allemagne) le coordinateur du programme Interreg Navebgo. La recherche associe des chercheurs du département d’Hydrologie de l’Université Albert-Ludwig de Fribourg-en-Brisgau (Allemagne), du Groupe de travail sur l’écotoxicologie fonctionnelle aquatique (Université de Coblence-Landau), de l’Institut de chimie durable et de chimie de l’environnement (Université de Leuphana Lüneburg), du Laboratoire Sociétés, Acteurs, Gouvernement en Europe (Université de Strasbourg) ainsi que l’Institut Terre et Environnement de Strasbourg. _

The Conversation

Navebgo a été financé par le programme Interreg V du Rhin-supérieur.

04.03.2025 à 16:24

Participer à la « Fresque du climat » fait-il changer nos comportements ?

Hélène Jalin, Doctorante en psychologie au Laboratoire de Psychologie des Pays de la Loire, Nantes Université
Une étude inédite montre que trois mois après avoir pris part à une fresque du climat, la grande majorité des personnes n’a pas tellement changé leur mode de vie.

Texte intégral 1939 mots
Animation de la fresque du climat. GWP at World Water Forum 9 - 2022/flickr, CC BY-NC-SA

C’est un atelier pédagogique de sensibilisation au changement climatique qui jouit d’un succès grandissant. La « Fresque du climat » revendique avoir touché 2 millions de personnes. Mais comment affecte-t-elle ses participants ? Une étude inédite montre que trois mois après y avoir pris part, la grande majorité des personnes n’ont pas tellement changé leur mode de vie.


Peut-être avez-vous déjà participé à un atelier de la « Fresque du climat », en tant que salarié, fonctionnaire, élu ou même simple citoyen ? Si c’est le cas, vous avez rejoint les rangs des près de deux millions de personnes revendiquées sur le site de l’association la Fresque du climat. Le principe en est le suivant : construire une fresque en mettant en lien des cartes intitulées, par exemple, « effet de serre » ou « acidification des océans » pour mieux comprendre le dérèglement climatique et son origine humaine. Les quatre dernières cartes qui clôturent la fresque décrivent les conséquences potentiellement dramatiques du dérèglement climatique : guerres, famines, maladies et déplacements de population.

La deuxième partie de l’atelier permet d’échanger sur les enjeux abordés, en donnant à chaque personne présente des clés pour réduire son empreinte carbone. Cette sensibilisation à grande échelle est une bonne nouvelle pour la planète, mais quel est son impact réel ? Notre équipe, composée de psychologues et de psychologues sociaux, a cherché à répondre à cette question.

Une évolution des comportements à court terme seulement

Pour y répondre, nous avons suivi 460 participants à l’atelier de la Fresque du climat pendant trois mois et comparé l’évolution de leurs comportements à ceux d’un groupe qui n’y avait pas participé. Les ateliers étaient organisés en entreprises, en collectivités ou dans des grandes écoles.

Nos résultats montrent que 30 % des participants à la fresque ont significativement modifié leurs habitudes un mois après, contre seulement 9 % dans le groupe qui n’y avait pas participé. La sensibilisation apparaît donc efficace, mais seulement pour une minorité de participants. Par ailleurs, les efforts étaient concentrés dans le mois qui suivait l’atelier et disparaissaient ensuite.

L’écoanxiété, moteur de l’action

Comment expliquer ces résultats ? Il existe probablement de nombreuses raisons qui influencent la motivation à agir, mais, en psychologie, on considère que les émotions sont les principaux moteurs à l’action. Par exemple, la colère pousse les individus à résoudre les injustices qui leur sont faites, la joie les amène à se rapprocher des autres et la peur à fuir le danger ou à le combattre.

Or, les animateurs de la Fresque du climat le savent bien : les mauvaises nouvelles annoncées dans le cadre de l’atelier peuvent générer des émotions difficiles et même, parfois, de véritables chocs psychologiques. Certaines personnes réalisent seulement à cette occasion à quel point la situation climatique est grave. D’ailleurs, les concepteurs de la fresque ont ajouté un temps de partage émotionnel à la version initiale de l’atelier pour permettre aux participants d’exprimer leurs ressentis et, ainsi, repartir moins perturbés.

Or, nos résultats sont formels : d’abord, les personnes les plus écoanxieuses étaient, avant même l’atelier, les plus engagées en faveur de l’environnement. Mais de surcroît, les participants qui ont ressenti un pic d’écoanxiété après l’atelier sont également ceux qui ont consenti le plus d’efforts pour faire évoluer leurs habitudes de vie. L’écoanxiété, trop souvent réduite à un problème de santé mentale, joue donc avant tout un rôle de motivation à l’action en faveur de la transition environnementale.


À lire aussi : L’éco-anxiété : une réponse saine face à la crise climatique


L’importance du sentiment de contrôle de la situation

Mais tout n’est pas si simple.

Nous avons également souhaité étudier l’impact de la tonalité émotionnelle de l’atelier sur son efficacité et, pour cela, nous avons testé trois modalités d’animation de la deuxième partie de l’atelier, celle qui consiste à échanger sur les implications et les solutions : la première, qualifiée de « stressante », insistant sur les risques ; la seconde insistant sur les réussites et les progrès déjà accomplis ; et la dernière, qualifiée de « mixte », insistant sur les risques, puis sur les progrès.

Il s’avère que la modalité d’animation la plus efficace pour faire évoluer les participants était celle qui adoptait une tonalité mixte. C’est-à-dire celle dans laquelle les participants étaient confrontés aux mauvaises nouvelles, puis exposés à des informations plus positives : le stress, puis l’espoir. Quant aux efforts consentis par les participants aux ateliers dits « stressants » ils n’étaient pas significativement différents de ceux du groupe n’ayant pas participé à l’atelier.

Des recherches montrent ainsi que lorsque les gens ont le sentiment de perdre le contrôle d’une situation, ils ont tendance à fuir le problème, voire à nier son existence. Désespérer des personnes, les confronter à leur impuissance sans leur donner le moindre espoir, ce n’est pas mobilisateur, ça pousse simplement au déni. Dans la modalité mixte, le fait de donner des bonnes nouvelles en fin d’atelier a permis aux participants de percevoir la situation comme moins incontrôlable et leur a probablement donné envie d’agir pour contribuer aux efforts collectifs.

Malheureusement, les efforts collectifs concédés à l’échelle du globe restant très insuffisants, plus d’un tiers des gens se réfugient dans le climatoscepticisme, et ce chiffre augmente à mesure que la crise climatique devient de plus en plus incontrôlable.

C’est donc un paradoxe dramatique : plus les humains percevront la situation comme désespérée, moins ils auront tendance à agir pour résoudre le problème. D’autres biais interviennent d’ailleurs pour faire de la crise climatique l’une des plus insolubles que l’humanité n’a jamais affrontées.

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Pourquoi les efforts s’estompent-ils au bout d’un mois ?

Après l’atelier, les participants sont retournés à leurs routines habituelles, souvent sans cadre ou réseau pour soutenir leurs efforts. Or, la littérature en psychologie sociale montre que les changements durables sont plus probables lorsque les individus s’inscrivent dans une dynamique collective ou reçoivent un renforcement social (encouragements, reconnaissance).

Sans cet appui, les nouvelles résolutions perdent rapidement de leur attrait. Par ailleurs, la difficulté à percevoir un impact immédiat des efforts consentis peut entraîner du découragement et un abandon progressif de l’engagement. Suite à la Fresque du climat, la motivation initiale, « extrinsèque », car alimentée par l’effet de groupe, a donc eu tendance à s’affaiblir chez la plupart des participants, à défaut de transformation en une motivation intérieure plus profonde.

À l’heure actuelle, pour réduire efficacement son empreinte carbone, il faut accepter d’agir « sans trop y croire ». La plupart des personnes qui s’engagent dans cette voie le font pour s’aligner avec des valeurs écologiques qui font sens pour elles. Dans ce cadre, les émotions restent le carburant principal de ce passage à l’action.

Les écoanxieux ressentent souvent un mélange d’anxiété face à l’avenir, de colère associée à l’inaction, de tristesse face aux dommages causés au vivant et de culpabilité vis-à-vis des plus vulnérables et des générations futures. C’est cette « potion magique » émotionnelle qui les amène à consentir des efforts parfois très importants et, souvent, à devenir des sources d’inspiration pour beaucoup d’autres.

Comment renforcer l’impact des ateliers ?

Mais pour revenir à la Fresque du climat, les résultats de notre recherche soulignent la nécessité de repenser le suivi des participants après l’atelier. Des actions régulières, comme des ateliers de rappel, des objectifs collectifs ou des récompenses pour les progrès réalisés, pourraient consolider l’engagement en faveur de la transition écologique sur le long terme. Le fait de sentir qu’on n’est pas seul à agir et de pouvoir se challenger collectivement sur les efforts consentis pourrait sans doute permettre de prolonger l’impact de l’atelier.

Nous espérons l’avoir démontré : il est également important de remettre les émotions au cœur du dispositif de sensibilisation. C’est difficile, car notre culture fait tout pour les mettre à distance, mais c’est probablement l’enjeu principal de la transition écologique.

Dans le cadre de cette recherche, nous avions d’ailleurs initialement pensé à tester une méthode d’animation de l’atelier qui soit entièrement consacrée à l’accueil des émotions. Notre hypothèse était que cette modalité d’animation serait probablement le plus efficace pour pousser les participants au changement. Malheureusement, ça n’a pas été possible, mais au regard de l’influence de la Fresque du climat dans de nombreuses organisations, il semblerait intéressant de mener une nouvelle étude pour s’en assurer.

L’importance du cadre politique

Enfin, pour transformer cet élan en véritable moteur de changement, il reste bien évidemment essentiel de compléter les actions de sensibilisation locale par des politiques publiques ambitieuses et des dispositifs d’accompagnement à long terme.

Le fait de sentir que nos actions s’intègrent dans un objectif commun, que les efforts sont concédés à tous les niveaux et par tous, au sein d’un projet de société partagé et qui fasse sens, est primordial. Le poids de la norme sociale reste très puissant et si l’on sent que les autres agissent, il nous semblera logique d’agir également.

The Conversation

Hélène Jalin est membre du Réseau des professionnels de l'Accompagnement Face à l'Urgence Ecologique (RAFUE). www.asso-rafue.com

03.03.2025 à 16:33

Cyclone Chido : combien de temps faudra-t-il pour relever Mayotte ?

Julien Gargani, Enseignant-chercheur, Directeur du Centre d'Alembert, Université Paris-Saclay
La durée du relèvement d’un territoire après une catastrophe naturelle dépend de nombreux facteurs, en particulier de ses fragilités antérieures.

Texte intégral 2659 mots

La durée du relèvement d’un territoire après une catastrophe naturelle dépend de nombreux facteurs, en particulier de ses fragilités antérieures. Le défi qui attend Mayotte après le passage du cyclone Chido en décembre 2024 est donc de taille.


Le cyclone Chido, qui a touché l’île de Mayotte dans l’océan Indien le 14 décembre 2024, a fait de nombreuses victimes et des dégâts importants. On déplore au moins 39 morts et 5 600 blessés. Les habitations et les infrastructures de l’île ont été partiellement détruites. L’aéroport, l’hôpital, de nombreuses écoles, le réseau électrique, l’accès à l’eau et la circulation sur les routes ont été touchés, déstabilisant profondément l’île.

Outre les dégâts immédiats, ce type de catastrophes a de nombreux effets négatifs secondaires qui se surajoutent durant les mois et les années qui suivent. Ces effets affectent le corps et l’esprit, l’individu et le corps social. Des situations de stress posttraumatiques ont ainsi été observées après l’ouragan Irma.

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Durant les heures et les semaines qui suivent ce genre d’évènements, des coupures d’électricité réduisent la qualité des soins médicaux et augmentent les risques de décès. Les conditions de vie sont significativement détériorées, ce qui peut conduire à de nombreuses pathologies.

L’humidité propre à la saison cyclonique affecte particulièrement la santé des enfants et des personnes à la santé fragile. L’absence d’eau potable et la nourriture en faible quantité et de qualité médiocre favorisent un affaiblissement de l’état général des populations. Pourtant, ce sont ces mêmes personnes dont on attend de reconstruire efficacement tout ce qui a été détruit.

Face à cette catastrophe, la question du temps de la reconstruction se pose. Si cinq ans ont été nécessaires pour rebâtir Notre-Dame de Paris après son incendie, combien en faudra-t-il pour toute une île ? Afin de ne pas ajouter du désespoir à cette situation difficile, certains proposent un calendrier volontariste de deux ans. Le temps de relèvement est un enjeu tant politique qu’organisationnel.

Une crise aggravée par la pauvreté du territoire

Si le relèvement des territoires après les catastrophes est si long, c’est parce que les impacts négatifs sur la société et l’économie sont multiples. Les difficultés à faire repartir un type d’activité donnée retentissent sur le redémarrage d’autres secteurs, et vice versa. L’imbrication des activités rend la reprise globale plus lente. Par ailleurs, durant la saison cyclonique, les pluies importantes n’aident pas à la reconstruction.

D’un point de vue économique, la baisse d’activité et l’augmentation du chômage qui surviennent après les catastrophes conduisent à un appauvrissement des territoires concernés et favorisent l’accroissement des inégalités.

C’est d’autant plus vrai lorsque ces territoires sont plus pauvres au départ. Or, l’île de Mayotte connaissait déjà une situation économique et sociale complexe, même avant les effets du cyclone. Certes plus riche que les îles voisines, elle souffre néanmoins de très fortes inégalités, qui la rendent plus fragile que des territoires non insulaires. Son PIB par habitant est plus faible que celui de Saint-Martin et Saint-Barthélemy, îles caribéennes, qui avaient été impactées par l’ouragan Irma.

Les possibilités de reprise d’activité de certaines personnes sont aussi conditionnées par le retour à la normale du système éducatif. Or, les élèves ne sont retournés à l’école que plus d’un mois après le cyclone et dans des conditions dégradées, car les établissements scolaires, déjà en nombre insuffisant et dans des conditions insatisfaisantes, se trouvent encore moins nombreux et dans des états encore plus critiques. Des enfants ont été rescolarisés sur l’île de La Réunion, d’autres étudient de chez eux avec leur famille.

L’électricité, un indicateur parlant

Les expériences passées concernant le relèvement après une catastrophe révèlent que la reconstruction du réseau électrique est fondamentale. L’électricité est essentielle pour le fonctionnement du réseau d’eau, pour les télécommunications, pour beaucoup de systèmes de transport (aéroport, feu tricolore, voiture électrique, etc.). L’électricité est nécessaire pour de nombreuses activités sociales et économiques.

De ce fait, la consommation d’électricité est un indicateur efficace pour estimer la reprise d’activité après les cyclones. La coordination de la reprise des activités et l’évaluation du temps de la reprise peuvent être améliorées par l’observation de cet indicateur.

Durant les dernières décennies, le suivi de la production d’électricité a montré que c’était un indicateur pertinent pour les évènements économiques, sanitaires et sociaux. Ainsi, la production et la consommation d’électricité ont permis de caractériser l’effet du Covid-19 sur les activités socioéconomiques à des échelles très larges, de mesurer l’effet des crises financières – comme celle des subprimes – et d’évaluer l’impact du réchauffement climatique sur la production d’électricité dans les milieux insulaires tropicaux.

Malgré l’intérêt d’organiser ce relèvement des territoires après les catastrophes, les retours d’expériences sont relativement peu nombreux et le temps nécessaire à la reconstruction est peu étudié. Après l’urgence, les territoires sont rarement suivis et accompagnés pendant de longues périodes, ce qui limite la connaissance que l’on a de cette phase.

Début janvier, l’électricité a été rétablie chez près de 70 % de clients à Mayotte. Reste à savoir quand les personnes qui n’ont plus ni toit ni réfrigérateur retrouveront-elles des conditions de vie proches de celles qu’elles connaissaient avant la catastrophe. Si la qualité de vie prendra du temps, le rétablissement d’aspects quantitatifs pose également question. Des activités ont disparu, des objets ont été détruits, des personnes manquent à l’appel parce qu’elles ont quitté le territoire.

L’expérience de l’ouragan Irma

Une partie de la population s’est réfugiée en dehors de Mayotte, comme à La Réunion par exemple. Les réfugiés « climatiques » de Mayotte, comme précédemment ceux de l’île de Saint-Martin après l’ouragan Irma, ne retourneront peut-être pas tous dans leur ancien lieu d’habitation. Ainsi à Saint-Martin, 20 % de la population a migré hors de l’île dans les mois qui ont suivi l’ouragan Irma en 2017 et environ 10 % d’entre eux ne sont pas revenus durant plusieurs années. Qu’en sera-t-il à Mayotte ?

Le parallèle entre la trajectoire qu’a suivi Saint-Martin peut être utile à anticiper ce qui pourrait se passer à Mayotte. S’il ne faut, en général, que quelques mois pour rétablir le réseau électrique, le temps nécessaire à la reprise globale des activités sera bien plus long, comme le montrent les exemples de Saint-Martin mais aussi de Saint-Barthélemy, qui pourtant connaissaient des situations socioéconomiques plus favorables.

Il est ainsi peu probable que Mayotte connaisse un relèvement plus rapide que Saint-Martin et Saint-Barthélemy, sauf à ce qu’une aide importante et prolongée (supérieure à celle qu’ont reçu Saint-Martin et Saint-Barthélemy) soit fournie.

Impact du cyclone sur le relèvement des territoires. Pour Saint-Martin et Saint-Barthélemy (mer des Caraïbes), l’indicateur de relèvement est basé sur la production d’électricité annuelle. Fourni par l'auteur

Les retours d’expériences des ouragans Irma et Maria (2017) à Saint-Martin, à Saint-Barthélemy et à Porto Rico suggèrent que les conséquences dureront des années.

À Saint-Martin, la production électrique a été coupée pendant juste quelques jours, mais il a fallu un peu plus d’un mois pour reconstruire le réseau électrique – et plus de quatre ans pour que la production et la consommation électriques reviennent à leurs niveaux antérieurs.

Une fois la capacité de production et de distribution de l’électricité rétablie, une différence de production subsiste plusieurs années, liée à des activités sociales et économiques restreintes. Durant cette phase de relèvement, les économies d’énergie et la production d’énergie bas carbone doivent bien sûr être encouragées.

Certains secteurs économiques bénéficient d’un surcroît d’activités, comme le secteur de la construction (maçonnerie, génie civil, bureau d’études en géotechnique, architecte). Certaines activités de service public sont aussi susceptibles d’être renforcées sur un territoire où elles étaient sous-dimensionnées. Mais qu’en sera-t-il en période d’économies budgétaires ?

La phase critique post-catastrophe

Un scénario potentiel est un exode significatif de population, du fait de conditions de vie dégradées, d’infrastructures collectives endommagées, de stress posttraumatique diffus, d’un sentiment d’insécurité et d’une insécurité croissante, de tensions sociales et politiques plus vives. Ceci sans parler des politiques menées à l’encontre des personnes originaires des autres îles de l’archipel des Comores.

La vulnérabilité des populations augmente de façon importante après les catastrophes et en phase de relèvement. C’est pourquoi de nombreux acteurs jugent cette phase critique trop longue et les soutiens trop faibles. La promesse d’un relèvement rapide est porteuse d’espoir, mais aussi de déception et de colère lorsqu’il ne se réalise pas.

La durée et le déroulement de cette phase sont cruciaux. Certains acteurs considèrent la phase post-catastrophe de relèvement comme une opportunité pour planifier un développement différent. Les tensions sociales qui pourraient émerger, comme à Saint-Martin en décembre 2019, incitent à la prudence.

À Mayotte, comment favoriser un relèvement rapide ?

Difficile de prévoir exactement combien de temps sera nécessaire pour que le relèvement d’un territoire soit complet. Cela dépend de l’état du territoire avant la catastrophe, de la nature de la catastrophe et de l’aide reçue pour se relever.

À Mayotte, des années seront indispensables avant de revenir à des conditions de vie proches de celles antérieures au cyclone Chido, mais nous manquons d’expérience pour prédire le temps précis que cela prendra. Ce qui ne doit pas nous empêcher d’agir.

Plusieurs actions sont possibles pour favoriser un relèvement rapide des territoires affectés par les catastrophes naturelles.

En particulier :

  • des secours d’urgence réactifs et efficaces pour la population (eau, nourriture, aide médicale et psychologique, logements d’urgence),

  • la construction ou reconstruction d’infrastructures collectives de qualité et en nombre suffisant,

  • des aides financières, techniques et humaines pour une reconstruction adaptée du territoire, notamment des aides rapides pour la reconstruction paracyclonique et des aménagements spécifiques,

  • de la prévention, permettant de réduire les vulnérabilités, et la mise en place de solutions sociales,

  • le fait de favoriser une production locale, y compris d’énergie bas carbone.

The Conversation

Julien Gargani a reçu des financements de l’ANR pour l’étude du relèvement de Saint-Martin et Saint-Barthélemy après l’ouragan Irma (ANR Relev, 2018-2022).

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