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25.02.2025 à 16:54

La police française face à la honte : entre crise identitaire et renouveau éthique

Mathieu Molines, Associate Professor in Organizational Behavior, Kedge Business School
Anthony Perrier, Professeur assistant département Droit des affaires et management des ressources humaines, TBS Education
La dénonciation des violences systémiques de la police peut affecter certains policiers pétris de convictions républicaines. Des solutions existent pour les aider à surmonter la honte que cela peut produire.

Texte intégral 1711 mots

La dénonciation des violences systémiques de la police peut affecter certains policiers pétris de convictions républicaines. Des solutions existent pour les aider dans ce moment de crise intime, voire professionnelle.


Il y a quelques mois encore, des milliers de manifestants défilaient en brandissant des pancartes où le slogan « violences policières » revenait avec insistance. Ce terme, qui a remplacé celui de « bavure policière », traduit un basculement dans les perceptions : ce qui était autrefois perçu comme des actes isolés semble aujourd’hui s’inscrire dans un dysfonctionnement systémique.

Cette transformation affecte profondément l’image de la police, érodant sa légitimité aux yeux d’une partie du public et accentuant la défiance entre les citoyens et l’institution. Face à cette remise en question, beaucoup de policiers ressentent un profond décalage entre leurs motivations initiales et la perception de la population de leur rôle. Ce contraste, parfois douloureux, nourrit un sentiment de désillusion chez certains, tandis que d’autres y voient une raison de redoubler d’efforts pour prouver la valeur de leur engagement. L’enjeu, pour l’institution, est d’accompagner ces agents dans la réaffirmation de leur mission, tout en travaillant à restaurer la confiance et le lien entre la police et les citoyens.

Dans notre dernière étude, nous avons exploré l’impact des scandales médiatiques sur les policiers, en mettant en lumière les répercussions profondes que ces évènements ont sur leur identité professionnelle. Cette identité, véritable clé de voûte de leur engagement, repose sur trois interrogations fondamentales : « Qui sommes-nous en tant qu’organisation ? Comment nous distinguons-nous des autres ? Que voulons-nous devenir à l’avenir ? » Ces questions ne sont pas simplement existentielles voire philosophiques : elles structurent la manière dont les policiers perçoivent leur rôle, leur mission et leur appartenance à l’institution.

Plus qu’une profession, un engagement

Pour beaucoup, devenir policier est bien plus qu’une profession : c’est un engagement profondément ancré dans les idéaux de service public. Cela implique de protéger, assurer la sécurité des citoyens, promouvoir la justice sociale et contribuer au bien commun avec dévouement et intégrité. L’uniforme symbolise cet engagement collectif envers la société. Toutefois, cette vision se heurte aux critiques émanant des médias, des réseaux sociaux et d’une partie de l’opinion publique.

Les policiers se retrouvent confrontés à une dissonance émotionnelle : animés par des valeurs d’utilité publique, ils sont souvent assimilés à des comportements qu’ils ne reconnaissent pas comme les leurs. Cette fracture génère des émotions négatives, souvent douloureuses, mais elles façonnent aussi leur manière de se percevoir et de se relier à leur métier et à l’institution.

Parmi ces émotions, le sentiment d’injustice se fait particulièrement ressentir lorsque les fautes d’une minorité sont étendues à l’ensemble de la profession. Le rejet se manifeste face à une société qui semble ne plus valoriser leur contribution, tandis que certains policiers développent un sentiment de haine, alimenté par un ressentiment envers ceux qui remettent en question leur intégrité. Toutefois, selon notre étude, l’émotion dominante reste la honte.

La honte : une émotion complexe mais révélatrice

Contrairement à des émotions comme la colère ou la peur, la honte est introspective. Elle émerge d’un décalage entre les valeurs personnelles et les critiques externes. Chez les policiers, elle touche non seulement l’identité individuelle, mais aussi leur appartenance collective à une institution critiquée. Cette honte, liée à une confrontation entre les valeurs de justice et de service public des agents et l’image négative véhiculée par les scandales médiatiques, affecte à la fois leur identité personnelle et leur rôle de représentants d’une institution perçue comme défaillante.

Face à cette émotion, notre étude a identifié trois grandes stratégies adoptées par les policiers :

  • La défense : certains adoptent une posture de riposte, exprimant leur mécontentement par une agressivité explicite, ce qui peut intensifier les tensions avec les citoyens et fragiliser les valeurs éthiques de l’institution.

  • Le désengagement : d’autres agents, submergés par la stigmatisation, voient leur motivation s’éroder, perdent leur sens de la mission et se détachent de leurs tâches quotidiennes, menaçant ainsi l’efficacité de l’institution.

  • La réparation : certains policiers transforment la honte en une opportunité de renouveau. Profondément attachés aux valeurs de service public, ces agents adoptent des comportements éthiques exemplaires, cherchent à améliorer leurs pratiques et à restaurer l’honneur de leur profession.

Ainsi, la honte, bien que douloureuse, peut devenir un levier de transformation personnelle et institutionnelle.


À lire aussi : Que fait la police ? Le pouvoir d’influence insoupçonné de la typographie


La motivation de service public : un levier essentiel

Au cœur de cette transformation se trouve la motivation de service public (MSP), moteur central du métier de policier. Ce désir de servir l’intérêt général confère un sens profond à leur engagement, mais les rend aussi vulnérables aux critiques. Notre étude montre que les policiers animés par une forte MSP traversent souvent une dissonance morale face à ces attaques.

Loin de céder au découragement, ils peuvent renforcer leur engagement en adoptant des comportements exemplaires. Valoriser la MSP au sein de l’institution est donc essentiel pour redynamiser les policiers et renforcer leur résilience face aux crises. Cela passe par la reconnaissance explicite des efforts des agents et la mise en avant de leur contribution à l’intérêt général.

Des espaces de dialogue pour transformer la honte

Pour transformer cette dissonance morale en moteur de changement, il est essentiel de mettre en place des espaces de dialogue et de soutien émotionnel, aujourd’hui quasi inexistants malgré les recommandations du Livre blanc de la sécurité intérieure. Des groupes de parole ou des cellules de soutien permettraient aux policiers de partager leurs frustrations, émotions et expériences dans un environnement bienveillant et dénué de jugement. Ces dispositifs contribueraient à désamorcer les tensions accumulées et favoriseraient un apprentissage collectif.

Les agents pourraient réfléchir ensemble aux valeurs fondamentales de leur métier et à l’évolution de leur mission. Ces espaces ne se limiteraient pas à un soutien individuel. Ils offriraient aussi un cadre pour renforcer la cohésion au sein des équipes et promouvoir une culture de résilience et de solidarité.


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Un management réactif pour accompagner le changement

Un management attentif, réactif et empathique est indispensable pour accompagner les policiers dans les défis liés à leur métier. Cela suppose une écoute active, où les émotions des agents sont entendues et valorisées. Cette reconnaissance est cruciale pour créer un environnement de travail serein, propice à la résilience individuelle et collective. Une politique de transparence managériale face aux critiques externes est également essentielle.

Une institution capable de communiquer ouvertement sur ses défis et ses réussites renforce sa cohésion interne et sa légitimité publique. Ce dialogue transparent permet d’éviter que les agents ne se sentent isolés face aux pressions extérieures et les incite à maintenir leur engagement malgré les difficultés, en cultivant un sentiment de solidarité et de soutien au sein de l’organisation.

De la défiance à la réconciliation

Dans un contexte de défiance croissante envers la police, celle-ci se trouve à un tournant décisif. Elle doit répondre aux attentes sociétales en matière d’éthique et de transparence tout en soutenant ses agents dans leur quête d’équilibre identitaire. En reconnaissant la honte comme un signal plutôt qu’un fardeau, l’institution peut transformer la crise actuelle en une opportunité de renouveau. En réaffirmant les valeurs fondamentales du service public, en favorisant la parole collective et en valorisant les comportements exemplaires, la police pourra regagner la confiance des citoyens et de ses propres agents.

Au-delà du cadre policier, cette réflexion résonne également chez les salariés, qu’ils travaillent dans des organisations publiques ou privées, parfois confrontés à des enjeux réputationnels majeurs. Dans un environnement professionnel où la responsabilité sociale et le bien-être au travail sont devenus des priorités essentielles, il est crucial que les organisations instaurent des dispositifs permettant d’accompagner leurs collaborateurs dans une réflexion éthique sur les valeurs et la gestion des émotions, afin de favoriser un environnement de travail plus résilient et aligné avec les attentes sociétales.

The Conversation

Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.

24.02.2025 à 18:19

La liberté d’expression, nouveau totem de l’extrême droite

Mazarine Pingeot, Professeur agrégée de philosophie, Sciences Po Bordeaux
Gagnée de haute lutte par les citoyens contre les pouvoirs de l’État et de l’Église au XVIIIᵉ siècle, la liberté d’expression est désormais brandie comme un totem par les patrons des réseaux sociaux et par l’extrême droite.

Texte intégral 1865 mots

Gagnée de haute lutte par les citoyens contre les pouvoirs de l’État et de l’Église au XVIIIe siècle, la liberté d’expression est désormais brandie comme un totem par les patrons des réseaux sociaux et par l’extrême droite.


Les Américains tiennent à leur « liberté d’expression », marqueur identitaire de leur histoire, qui se distingue de la liberté d’expression à la française.

Historiquement, la liberté d’expression aux États-Unis fut couplée avec la liberté de la presse, puisque c’est essentiellement par cette dernière que l’on pouvait s’exprimer publiquement. Le premier amendement stipulait dès 1791 :

« Le Congrès n’adoptera aucune loi relative à l’établissement d’une religion, ou à l’interdiction de son libre exercice ; ou pour limiter la liberté d’expression, de la presse ou le droit des citoyens de se réunir pacifiquement ou d’adresser au Gouvernement des pétitions pour obtenir réparations des torts subis. »

On comprend que la vocation initiale de cette défense de la liberté d’expression était de limiter le pouvoir des dirigeants et de protéger les individus, comme le veut la tradition libérale, soucieuse des libertés individuelles contre toute menace autoritaire venant de l’État.

Liberté d’expression sur les réseaux sociaux

Qu’en est-il aujourd’hui ? La liberté d’expression est à nouveau au centre du jeu et revendiquée, non pas par des citoyens muselés, mais bien par l’État lui-même, ou plutôt par celui qui est à sa tête et entend le gérer comme une entreprise lucrative : Donald Trump.

Parmi les plus fervents défenseurs du premier amendement, les libertariens et les milliardaires de la Silicon Valley propriétaires des nouveaux espaces publics qu’on appelle les réseaux sociaux, veulent avant tout décider des règles qui les encadrent.


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Pour Mark Zuckerberg, la liberté d’expression s’incarne dans la levée des modérations dont les IA étaient chargées et la suppression des « fact-checking », identifiés comme de la censure ou comme un biais « woke » et bien-pensant.

À un autre niveau, il s’agirait donc de supprimer toute verticalité pour atteindre l’horizontalité consommée d’une démocratie idéale où l’État n’interviendrait plus du tout, sinon pour cautionner cette décentralisation de l’information et cette libération de la parole.

C’est le sens des propos du vice-Président J.D. Vance, dénonçant l’État de droit et les réglementations européennes qui s’opposeraient à la liberté d’expression lors de la conférence de Munich sur la sécurité, le 14 février. Selon lui,

« la démocratie repose sur le principe sacré que la voix du peuple compte. Il n’y a pas de place pour les cordons sanitaires. Soit vous défendez ce principe, soit non ».

Ce discours a été salué par Jordan Bardella (« la France doit prendre exemple sur les USA »), Éric Ciotti (« un discours pour l’histoire »), ou encore Nicolas Dupont-Aignan. Après son discours, J.D. Vance a soutenu Alice Weidel, cheffe de l’AFD, parti d’extrême droite allemande qui vient d’obtenir plus de 20 % des votes, aux législatives du 23 février.

Triomphe de l’opinion

Mettons de côté l’instrumentalisation du principe de liberté d’expression au service de la propagande trumpienne et des Gafam, et prenons au sérieux la défense de ce principe tel qu’il est conçu outre-Atlantique, c’est-à-dire sans limite.

On constate alors un double glissement : moral d’abord, puisque l’invective, la violence verbale, le racisme, l’homophobie, n’auraient pas à être interdits « au nom de la liberté ». On peut se demander évidemment en quoi être homophobe ou raciste est l’expression d’une liberté de pensée, et si cela ne relève pas plutôt de la pulsion.

Si l’on suit Rousseau dans Du contrat social, la liberté morale « seule rend l’homme vraiment maître de lui ; car l’impulsion du seul appétit est esclavage, et l’obéissance à la loi qu’on s’est prescrite est liberté », on est en droit de considérer l’expression de la haine et du ressentiment comme celle d’une forme d’aliénation, voire comme le symptôme même de la servitude. Mais passons et gageons qu’en démocratie, toute opinion est bonne à dire, bien qu’on puisse juger désolant qu’elle ne soit plus adossée à une forme minimale de réflexion.

Un second glissement est tout aussi inquiétant : il concerne la vérité. Si l’on peut dire n’importe quoi, que « la Terre est plate » et que « les extra-terrestres vont la coloniser », et si ces « opinions » sont relayées par des communautés excitées par l’originalité de la thèse non « officielle », la réalité commune est en danger.

Nous le savons depuis déjà le XXe siècle, comme l’a montré Hannah Arendt, le mensonge total peut finir par se substituer à la vérité du fait d’une indifférence croissante à la différence entre vérité et mensonge. Ce processus, commencé durant les deux totalitarismes du XXe siècle, a perduré avec l’avènement de la démocratie de masse, jusqu’à Kellyane Conway, ancienne conseillère en communication de Trump qui avait mis en avant les « faits alternatifs » ni vrais ni faux pour cautionner les mensonges de son président lors de son investiture de 2017.

Il est par ailleurs utile de faire le lien entre un certain usage de la liberté d’expression et le « bullshit », pour reprendre l’expression de Harry Frankfurt. En effet, si la liberté d’expression était censée permettre l’expression d’opinions (y compris radicales), elle n’a pas – historiquement – été calibrée pour raconter n’importe quoi. Dire n’importe quoi ne devrait d’ailleurs pas relever d’un droit ni d’un principe : c’est tout au plus un fait. Un fait qui pourrait rester privé, et dont on pourrait se demander en quoi il mériterait d’apparaître sur la place publique.

Reste que « dire n’importe quoi » peut avoir des effets de réel, ou plutôt de destruction du réel. Ainsi, l’historien Pierre Vidal-Naquet a mis au jour le fonctionnement du négationnisme dans Un Eichmann de papier, affirmant que le négationnisme (en l’occurence celui de Robert Faurisson niant l’existence des chambres à gaz) repose sur la transformation de la vérité de fait en opinion.

Cela n’est pas sans échos avec les conséquences d’une liberté d’expression sans cadre et sans limite. L’insulte est autorisée, mais, plus encore, le « n’importe quoi », l’« alternative fact », le faux – tout ce qui tend à brouiller les lignes entre vérité et opinion.

La France et la liberté d’expression

La France a pris au sérieux cette « pathologie » de la liberté d’expression, en l’encadrant à plusieurs reprises, comme le prévoyait déjà l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen :

« Tout citoyen peut parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi ».

Or la loi a évolué : c’est d’abord celle du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse qui impose un cadre légal à toute publication, tout en disposant que « l’imprimerie et la librairie sont libres ». On doit alors comprendre que les restrictions sont également les conditions de possibilité de cette liberté, car en protégeant le respect de la personne, les mineurs, ou encore l’atteinte à la vie privée, elles confèrent une substance à ce qu’on entend par liberté.

Plus récemment la loi Pleven du 1ᵉʳ juillet 1972 cherche à lutter contre le racisme en France, complétée par la loi Gayssot, en 1990, qui fait notamment du négationnisme un délit. La loi Taubira étendra, en 2001, le délit à la non-reconnaissance de la traite et de l’esclavage comme crime contre l’humanité.

Certes, ces lois ont suscité des polémiques et notamment de la part des historiens qui ont considéré que leur liberté de recherche était entamée et que le politique n’avait pas à intervenir. Débats qui opposent donc les tenants-lieux d’un encadrement plus strict de la liberté d’expression jusqu’à la judiciarisation et les autres, qui le rejetaient mais au nom de la recherche. On reste loin de la clameur outre-Atlantique.

Jadis, l’État ou l’Église censuraient pour des raisons soit de sécurité publique (autrement dit pour brider les opinions politiques qui auraient pu ébranler l’assise du pouvoir), soit de morale. Aujourd’hui, la liberté d’expression gagnée de haute lutte contre ces deux instances, consacre l’insulte et la violence verbale, mais aussi la possibilité de revendiquer la liberté de dire n’importe quoi.

Continuer à parler de liberté d’expression pour désigner la post-vérité produit un brouillage intellectuel particulièrement difficile – et pourtant indispensable – à démêler.

The Conversation

Mazarine Pingeot ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

23.02.2025 à 16:51

Pourquoi les politiques anti-immigration pourraient être abandonnées

Alan Hirsch, Research Fellow New South Institute, Emeritus Professor at The Nelson Mandela School of Public Governance, University of Cape Town
Les politiques anti-immigration des pays riches du Nord se renforcent. Mais avec le vieillissement des populations et sans main-d’œuvre migrante, ces pays sont confrontés à des difficultés économiques.

Texte intégral 1967 mots

Les politiques d’immigration promues par Donald Trump aux États-Unis comme celles des pays européens se durcissent. Mais avec le vieillissement de leurs populations, les pays riches risquent d’être confrontés à un manque de main-d’œuvre et à des difficultés économiques s’ils persistent à fermer leurs frontières.


Donald Trump, le nouveau président américain, a réduit massivement les engagements des États-Unis envers les demandeurs d’asile, bloqué toutes les procédures d’asile et commencé à expulser les immigrés en situation irrégulière.

Les nouvelles mesures de Trump ont une grande portée. Elles comprennent la suspension du programme américain d’admission des réfugiés. Les vols réservés pour les réfugiés vers les États-Unis ont été annulés. Les arrestations et les déportations ont commencé.

Des politiques fortement anti-immigration ont également été menées sous l’administration Biden, bien que les mesures spectaculaires prises par Trump aillent beaucoup plus loin. D’autres pays du Nord ont également adopté des politiques plus strictes. Le Pacte européen sur les migrations et l’asile de 2024 prévoit des contrôles frontaliers plus stricts, une évaluation plus rapide des demandeurs d’asile et un renvoi plus rapide de ceux qui ne remplissent pas les conditions requises. Au Royaume-Uni, le premier ministre travailliste Keir Starmer a promis de réduire le taux net de migration et de traiter les passeurs comme des terroristes.

Sur la base de mes recherches sur l’immigration au cours des 30 dernières années, je pense que ces mesures ont peu de chances de durer.


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Il existe deux tendances liées qui rendent la fermeture des frontières du Nord impraticable et vouée à la révision.

La première est que les populations de la plupart des pays du Nord vieillissent rapidement (en moyenne) et que le taux de fertilité, ou taux de croissance naturel de la population, a chuté. Il y a beaucoup plus de personnes âgées en pourcentage de la population.

Deuxièmement, avec une main-d’œuvre qui diminue et un taux de dépendance (la proportion de personnes qui ne travaillent pas par rapport à celles qui travaillent) qui augmente rapidement, la fermeture des frontières aux travailleurs potentiels d’autres pays, sans aucun autre changement, entraînerait une baisse du niveau de vie dans les pays du Nord. La croissance économique et les recettes publiques ralentiraient ou stagneraient, ce qui nuirait à l’entretien des infrastructures et à la fourniture de services sociaux.

Il existe plusieurs stratégies possibles qui pourraient constituer des alternatives aux mesures anti-immigration. Certaines personnes âgées pourraient migrer vers le sud, les robots et l’intelligence artificielle pourraient effectuer davantage de travail, les travailleurs du Sud pourraient effectuer des travaux à distance pour le Nord, et des dispositions pourraient être prises pour permettre aux migrants d’entrer dans les pays du Nord, soit de manière permanente, soit en tant que migrants circulants.

Toutes ces stratégies sont déjà utilisées, quoique modestement. Leur application devrait être considérablement élargie.

Panique déplacée

Les réactions des gouvernements du Nord sont exagérées. Les gouvernements qui ont mis en place des mesures anti-immigration sévères l’ont fait en s’appuyant sur l’idée d’une augmentation significative du nombre de migrants dans le monde.

Ce n’est pas le cas. Certains pays, comme les États-Unis, l’Allemagne et la Colombie, ont connu une augmentation du nombre de réfugiés et d’autres migrants. Mais pour le reste du monde, la situation n’a guère changé depuis des décennies.

La proportion de résidents nés à l’étranger (la définition la plus répandue des migrants) est passée de 2,3 % en 1970 à 3,6 % en 2020. Mais en 1960, ce chiffre était supérieur à 3 %, et à la fin du XIXe siècle, les migrants représentaient quelque part entre 3 % et 5 % de la population mondiale.

Le chiffre de 3,6 % n’est donc pas nouveau.

Quant aux réfugiés, ils étaient environ 38 millions en 2023, dont 69 % ont cherché refuge dans les pays voisins et 75 % dans les pays à revenu moyen ou faible.

En général, ce ne sont donc pas les pays riches qui portent le plus lourd fardeau.

La véritable raison de ces mesures plus sévères est que le niveau de vie a stagné dans de nombreux pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques. Le coût et la disponibilité des logements se sont aggravés ; les inégalités se sont accrues depuis les années 1980 ; la qualité et la disponibilité des services publics se sont détériorées depuis la crise financière mondiale de 2008 et le Covid-19 ; et la qualité de l’emploi s’est déplacée vers le travail précaire et les emplois mal rémunérés du secteur des services.

Cette situation a contribué à la montée du populisme, y compris du sentiment anti-étrangers et même de la xénophobie.

Les actions de Trump sont les plus extrêmes à ce jour. Elles comprennent l’ordre de bloquer les « étrangers impliqués dans l’invasion » en utilisant des « mesures appropriées » qui donnent aux forces de sécurité des pouvoirs supplémentaires. L’interdiction des audiences d’asile à la frontière sud des États-Unis et l’instruction de « rester au Mexique » signifient que les demandeurs d’asile potentiels de pays tiers ne peuvent pas franchir la frontière pour déposer leur demande au point d’entrée. Ils doivent faire leur demande à distance.

M. Trump a également ordonné que la citoyenneté de naissance soit limitée aux enfants de certaines catégories de résidents, essentiellement des citoyens ou des personnes bénéficiant d’un droit de séjour sous la forme d’une « carte verte ». Cette mesure a été temporairement bloquée dans certains États par des juges qui l’ont jugée inconstitutionnelle.

En outre, le directeur par intérim du département de la sécurité intérieure a donné aux fonctionnaires de l’immigration et des douanes le pouvoir d’expulser les migrants admis temporairement aux États-Unis dans le cadre de plusieurs programmes de l’administration Biden, en ciblant les réfugiés de Cuba, du Nicaragua, du Venezuela et d’Haïti, et peut-être aussi les réfugiés afghans et ukrainiens.

Le tout premier projet de loi à recevoir l’approbation finale du Congrès américain sous le second mandat de Trump, la loi Laken-Riley, exigerait la détention et l’expulsion des migrants qui entrent dans le pays sans autorisation et sont accusés de certains crimes. Ce projet de loi a été adopté avec 263 voix et 156 voix contre, ce qui signifie que 46 démocrates de la Chambre des représentants ont soutenu le projet de loi républicain.

En revanche, dans les pays du Sud, comme je l’ai expliqué ailleurs, la tendance a été inverse. Les communautés régionales d’Amérique du Sud sont celles qui ont le plus libéralisé la migration au cours des dernières décennies, mais les communautés régionales d’Afrique ont également progressé, tout comme l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est.

La voie à suivre

Certaines stratégies alternatives ouvrent la voie.

Au Canada, le programme des travailleurs étrangers temporaires s’est développé régulièrement depuis 1973, incluant de plus en plus de travailleurs peu qualifiés circulant à long terme pour des professions clés telles que la restauration, les soins, la construction et l’agriculture. Bien qu’il fasse actuellement l’objet d’un examen politique approfondi en raison de la panique que suscite l’immigration dans le Nord et de la pénurie de logements au Canada, il est probable qu’il survivra et évoluera. Des systèmes similaires sont en train d’émerger dans les pays du Nord.

Au sein de l’Union européenne, les partenariats de talents sont désormais encouragés. L’Allemagne, par exemple, a conclu des partenariats de talents avec le Kenya et le Maroc, dans le cadre desquels elle forme des travailleurs de la santé et des techniciens en informatique de ces pays pour qu’ils puissent travailler et vivre en Allemagne. L’Espagne a conclu plusieurs partenariats en Amérique latine et en Afrique. Le premier ministre Pedro Sanchez a choisi d’être franc sur ces choix. En octobre de l’année dernière, il a déclaré aux Espagnols :

« L’Espagne doit choisir entre un pays ouvert et prospère et un pays pauvre et fermé ».

La tendance actuelle au protectionnisme démographique dans les pays du Nord est de plus en plus brutale, mais il est peu probable qu’elle résiste à l’épreuve du temps. Plusieurs réponses constructives à l’augmentation du taux de dépendance sont possibles, mais l’ouverture à davantage de migration, éventuellement sous de nouvelles formes et par de nouveaux canaux, fait inévitablement partie de la solution.

De nouvelles voies officielles pour les travailleurs migrants et des systèmes raisonnables pour les demandeurs d’asile, ainsi que la pleine application des règles contre les migrants irréguliers, pourraient être la combinaison qui fonctionne politiquement et économiquement.

The Conversation

Alan Hirsch reçoit des fonds du New South Institute pour ses recherches et de l'Université du Cap pour ses conseils et sa supervision.

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