23.02.2025 à 16:51
Pourquoi les politiques anti-immigration pourraient être abandonnées
Les politiques d’immigration promues par Donald Trump aux États-Unis comme celles des pays européens se durcissent. Mais avec le vieillissement de leurs populations, les pays riches risquent d’être confrontés à un manque de main-d’œuvre et à des difficultés économiques s’ils persistent à fermer leurs frontières. Donald Trump, le nouveau président américain, a réduit massivement les engagements des États-Unis envers les demandeurs d’asile, bloqué toutes les procédures d’asile et commencé à expulser les immigrés en situation irrégulière. Les nouvelles mesures de Trump ont une grande portée. Elles comprennent la suspension du programme américain d’admission des réfugiés. Les vols réservés pour les réfugiés vers les États-Unis ont été annulés. Les arrestations et les déportations ont commencé. Des politiques fortement anti-immigration ont également été menées sous l’administration Biden, bien que les mesures spectaculaires prises par Trump aillent beaucoup plus loin. D’autres pays du Nord ont également adopté des politiques plus strictes. Le Pacte européen sur les migrations et l’asile de 2024 prévoit des contrôles frontaliers plus stricts, une évaluation plus rapide des demandeurs d’asile et un renvoi plus rapide de ceux qui ne remplissent pas les conditions requises. Au Royaume-Uni, le premier ministre travailliste Keir Starmer a promis de réduire le taux net de migration et de traiter les passeurs comme des terroristes. Sur la base de mes recherches sur l’immigration au cours des 30 dernières années, je pense que ces mesures ont peu de chances de durer. Chaque samedi, The Conversation en mode week-end : un pas de côté sur l’actu pour mieux comprendre le monde qui nous entoure. Abonnez-vous dès aujourd’hui ! Il existe deux tendances liées qui rendent la fermeture des frontières du Nord impraticable et vouée à la révision. La première est que les populations de la plupart des pays du Nord vieillissent rapidement (en moyenne) et que le taux de fertilité, ou taux de croissance naturel de la population, a chuté. Il y a beaucoup plus de personnes âgées en pourcentage de la population. Deuxièmement, avec une main-d’œuvre qui diminue et un taux de dépendance (la proportion de personnes qui ne travaillent pas par rapport à celles qui travaillent) qui augmente rapidement, la fermeture des frontières aux travailleurs potentiels d’autres pays, sans aucun autre changement, entraînerait une baisse du niveau de vie dans les pays du Nord. La croissance économique et les recettes publiques ralentiraient ou stagneraient, ce qui nuirait à l’entretien des infrastructures et à la fourniture de services sociaux. Il existe plusieurs stratégies possibles qui pourraient constituer des alternatives aux mesures anti-immigration. Certaines personnes âgées pourraient migrer vers le sud, les robots et l’intelligence artificielle pourraient effectuer davantage de travail, les travailleurs du Sud pourraient effectuer des travaux à distance pour le Nord, et des dispositions pourraient être prises pour permettre aux migrants d’entrer dans les pays du Nord, soit de manière permanente, soit en tant que migrants circulants. Toutes ces stratégies sont déjà utilisées, quoique modestement. Leur application devrait être considérablement élargie. Les réactions des gouvernements du Nord sont exagérées. Les gouvernements qui ont mis en place des mesures anti-immigration sévères l’ont fait en s’appuyant sur l’idée d’une augmentation significative du nombre de migrants dans le monde. Ce n’est pas le cas. Certains pays, comme les États-Unis, l’Allemagne et la Colombie, ont connu une augmentation du nombre de réfugiés et d’autres migrants. Mais pour le reste du monde, la situation n’a guère changé depuis des décennies. La proportion de résidents nés à l’étranger (la définition la plus répandue des migrants) est passée de 2,3 % en 1970 à 3,6 % en 2020. Mais en 1960, ce chiffre était supérieur à 3 %, et à la fin du XIXe siècle, les migrants représentaient quelque part entre 3 % et 5 % de la population mondiale. Le chiffre de 3,6 % n’est donc pas nouveau. Quant aux réfugiés, ils étaient environ 38 millions en 2023, dont 69 % ont cherché refuge dans les pays voisins et 75 % dans les pays à revenu moyen ou faible. En général, ce ne sont donc pas les pays riches qui portent le plus lourd fardeau. La véritable raison de ces mesures plus sévères est que le niveau de vie a stagné dans de nombreux pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques. Le coût et la disponibilité des logements se sont aggravés ; les inégalités se sont accrues depuis les années 1980 ; la qualité et la disponibilité des services publics se sont détériorées depuis la crise financière mondiale de 2008 et le Covid-19 ; et la qualité de l’emploi s’est déplacée vers le travail précaire et les emplois mal rémunérés du secteur des services. Cette situation a contribué à la montée du populisme, y compris du sentiment anti-étrangers et même de la xénophobie. Les actions de Trump sont les plus extrêmes à ce jour. Elles comprennent l’ordre de bloquer les « étrangers impliqués dans l’invasion » en utilisant des « mesures appropriées » qui donnent aux forces de sécurité des pouvoirs supplémentaires. L’interdiction des audiences d’asile à la frontière sud des États-Unis et l’instruction de « rester au Mexique » signifient que les demandeurs d’asile potentiels de pays tiers ne peuvent pas franchir la frontière pour déposer leur demande au point d’entrée. Ils doivent faire leur demande à distance. M. Trump a également ordonné que la citoyenneté de naissance soit limitée aux enfants de certaines catégories de résidents, essentiellement des citoyens ou des personnes bénéficiant d’un droit de séjour sous la forme d’une « carte verte ». Cette mesure a été temporairement bloquée dans certains États par des juges qui l’ont jugée inconstitutionnelle. En outre, le directeur par intérim du département de la sécurité intérieure a donné aux fonctionnaires de l’immigration et des douanes le pouvoir d’expulser les migrants admis temporairement aux États-Unis dans le cadre de plusieurs programmes de l’administration Biden, en ciblant les réfugiés de Cuba, du Nicaragua, du Venezuela et d’Haïti, et peut-être aussi les réfugiés afghans et ukrainiens. Le tout premier projet de loi à recevoir l’approbation finale du Congrès américain sous le second mandat de Trump, la loi Laken-Riley, exigerait la détention et l’expulsion des migrants qui entrent dans le pays sans autorisation et sont accusés de certains crimes. Ce projet de loi a été adopté avec 263 voix et 156 voix contre, ce qui signifie que 46 démocrates de la Chambre des représentants ont soutenu le projet de loi républicain. En revanche, dans les pays du Sud, comme je l’ai expliqué ailleurs, la tendance a été inverse. Les communautés régionales d’Amérique du Sud sont celles qui ont le plus libéralisé la migration au cours des dernières décennies, mais les communautés régionales d’Afrique ont également progressé, tout comme l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est. Certaines stratégies alternatives ouvrent la voie. Au Canada, le programme des travailleurs étrangers temporaires s’est développé régulièrement depuis 1973, incluant de plus en plus de travailleurs peu qualifiés circulant à long terme pour des professions clés telles que la restauration, les soins, la construction et l’agriculture. Bien qu’il fasse actuellement l’objet d’un examen politique approfondi en raison de la panique que suscite l’immigration dans le Nord et de la pénurie de logements au Canada, il est probable qu’il survivra et évoluera. Des systèmes similaires sont en train d’émerger dans les pays du Nord. Au sein de l’Union européenne, les partenariats de talents sont désormais encouragés. L’Allemagne, par exemple, a conclu des partenariats de talents avec le Kenya et le Maroc, dans le cadre desquels elle forme des travailleurs de la santé et des techniciens en informatique de ces pays pour qu’ils puissent travailler et vivre en Allemagne. L’Espagne a conclu plusieurs partenariats en Amérique latine et en Afrique. Le premier ministre Pedro Sanchez a choisi d’être franc sur ces choix. En octobre de l’année dernière, il a déclaré aux Espagnols : « L’Espagne doit choisir entre un pays ouvert et prospère et un pays pauvre et fermé ». La tendance actuelle au protectionnisme démographique dans les pays du Nord est de plus en plus brutale, mais il est peu probable qu’elle résiste à l’épreuve du temps. Plusieurs réponses constructives à l’augmentation du taux de dépendance sont possibles, mais l’ouverture à davantage de migration, éventuellement sous de nouvelles formes et par de nouveaux canaux, fait inévitablement partie de la solution. De nouvelles voies officielles pour les travailleurs migrants et des systèmes raisonnables pour les demandeurs d’asile, ainsi que la pleine application des règles contre les migrants irréguliers, pourraient être la combinaison qui fonctionne politiquement et économiquement. Alan Hirsch reçoit des fonds du New South Institute pour ses recherches et de l'Université du Cap pour ses conseils et sa supervision.
Texte intégral 1967 mots
Panique déplacée
La voie à suivre
23.02.2025 à 16:50
Épargne et retraite : ce que le 23e baromètre Ipsos nous révèle sur les comportements des Français
La grisaille hivernale, économique et géopolitique ne laisse pas les Français de marbre. Ils s’inquiètent du financement du système de retraite. En réponse, par précaution, ils épargnent de plus en plus. Cette épargne se porte sur les livrets et les assurances-vie. L’investissement socialement responsable (ISR) manque de notoriété, alors que les cryptoactifs gagnent en popularité. Ce baromètre est commandé par le Cercle des épargnants. Le millésime 2025 a été réalisé au mois de janvier par Ipsos. Les Français souhaitent épargner dans l’avenir une part plus importante de leurs revenus, pour près de 40 % d’entre eux. Ce chiffre en forte hausse par rapport à l’an dernier (+8 points) atteint un niveau record. Ils étaient 23 % en 2017 à nous dire vouloir épargner plus et 32 % juste avant la pandémie de Covid-19. Dans le même temps, le taux d’épargne est passé d’un peu moins de 16 % à environ 18 % actuellement. Cette hausse de la volonté d’épargner est sans aucun doute un signal défavorable pour la consommation et la croissance à venir. Malgré le ralentissement de l’inflation, la moitié des Français estime toujours que son pouvoir d’achat a baissé en 2024 : 54 %, -4 points par rapport à l’an passé. La tendance à vouloir épargner davantage semble donc traduire un réflexe de précaution, plus qu’une réelle amélioration de la situation financière des Français. Cette épargne de précaution semble se nourrir d’un sentiment d’anxiété lié à la politique nationale, internationale et à la conjoncture. Les Français ont de plus en plus le sentiment de vivre dans un monde de polycrises, caractérisé à la fois par leur simultanéité et la complexité des solutions à mettre en œuvre pour les résoudre. Sur le plan international, leurs angoisses sont alimentées par la peur de plus en plus prégnante de la mondialisation : 64 % des Français la considèrent comme une menace, en plus du réchauffement climatique et de la situation internationale – « guerre économique déclenchée par la nouvelle administration Trump, guerre en Ukraine, « importation du conflit israélo-palestinien en France », etc. Ces inquiétudes sont telles que, selon nos résultats, actuellement 65 % des Français envisagent même la possibilité d’une guerre mondiale dans les mois à venir. Sur le plan national, la baisse de la démographie, la révélation de l’ampleur de la dette et les craintes d’un choc fiscal de long terme alimentent une anxiété économique. Elle s’articule avec le sentiment pour de nombreux Français de vivre dans une société violente (89 %) et où la violence est en augmentation (92 %). Ces éléments accroissent un fort sentiment de vulnérabilité, dans un monde qui apparaît aux Français comme étant de plus en plus incertain. Un monde sur lequel ils n’auraient pas prise, générant une demande de protection particulièrement importante. L’épargne de précaution semble être dans ce contexte d’inquiétudes généralisé un moyen pour eux de constituer une protection supplémentaire. Les Français questionnent aussi le financement du système de retraite. Après avoir baissé ces dernières années, notamment suite à la réforme de 2023, l’inquiétude pour l’avenir du régime général des retraites repart à la hausse. À nouveau, plus de trois Français sur quatre s’en disent inquiets : 77 %, + 11 points en un an, après une baisse de 12 points entre 2021 et 2024. En réponse, les Français sont prêts à cotiser plus tout au long de la vie pour le régime général, mais aussi dans le cadre d’une retraite par capitalisation qui séduit de plus en plus. Pour assurer la viabilité du système, une majorité de Français estime désormais en effet qu’il faudrait développer les fonds de pension : 55 %, +9 points par rapport à 2017. Près d’un futur retraité sur deux se dit prêt à en souscrire un : 49 %, +12 points par rapport à 2017. Si le besoin de protection se traduit par une volonté d’épargner plus, il se traduit aussi par la recherche de produits financiers de plus en plus sûrs. Actuellement, 49 % des Français déclarent préférer les produits sûrs et peu rémunérateurs aux produits risqués plus rémunérateurs (+4 points en un an), 18 % ne préfèrent ni l’un ni l’autre (stable), 33 % préfèrent les produits risqués (-4 points). Dans ce contexte, les placements sur livrets et les supports peu risqués des assurances-vie sont les grands gagnants de la hausse de l’épargne des Français. En revanche, selon nos résultats, les placements socialement responsables semblent manquer de notoriété. Ainsi, si le label « investissement socialement responsable » (ISR) est connu de 35 % des Français, le concept de finance durable semble rester abstrait, voire peu crédible, pour une majorité d’entre eux. Dans le cadre de notre sondage, nous avons proposé aux Français deux fonds de rendements attendus comparables l’un ISR ou socialement responsable, l’autre classique. Face à ce choix, seuls 23 % d’entre eux (30 % chez les moins de 35 ans) se portent sur le fonds vert, 25 % penchent pour le fonds classique et 52 % déclarent rester indécis tant les deux fonds leur semblent pour finir similaires. Les répondants sont 74 % à voir d’ailleurs dans la commercialisation de ces fonds verts une démarche d’écoblanchiment ou greenwashing de la part des institutions financières. Ils ne sont qu’un peu plus de la moitié (52 %) à estimer que ce type de fonds peut avoir un impact positif sur l’environnement. La simplification du vocabulaire de l’ISR et une bonne dose d’éducation financière semblent donc nécessaires pour renforcer la notoriété de ces produits. L’année 2024 serait-elle celle du point de bascule pour les cryptoactifs ? Si 30 % des moins de 35 ans choisissaient le fonds ISR dans notre question précédente, ils seraient près du quart à avoir aussi une bonne image des cryptoactifs qu’ils voient même, pour une part non négligeable d’entre eux, comme un futur possible de la finance mondiale ! Cet article a été co-rédigé avec Brice Teinturier, directeur général délégué d'Ipsos. Philippe Dupuy est président du conseil scientifique du Cercle des Epargnants Texte intégral 2834 mots
Inquiétude généralisée
Inquiétudes sur le système des retraites
À qui profite l’épargne ?
Méconnaissance de l’investissement socialement responsable
Les cryptoactifs gagnent en popularité
20.02.2025 à 16:59
Élections : pourquoi la proportionnelle à l’allemande devrait inspirer la France
Les élections fédérales allemandes auront lieu ce dimanche 23 février. Quels sont les avantages et les inconvénients du mode de scrutin proportionnel utilisé outre-Rhin ? Quelles conclusions tirer pour réforme électorale en France ? Avec son scrutin majoritaire, notre pays fait figure d’exception en Europe. Le mode de scrutin proportionnel, en vigueur en Allemagne, nous permet-il de tirer des conclusions utiles pour la France ? L’Allemagne pratique un scrutin mixte où chaque électeur vote deux fois ; sa « première voix » porte sur un candidat de sa circonscription (règle majoritaire à un seul tour), et sa « seconde voix » porte sur une liste proposée par un parti à l’échelle régionale (celle des Länder). La composition globale du Bundestag est proportionnelle au nombre de « secondes voix » qu’ont reçues les différents partis, pourvu qu’ils en obtiennent au moins 5 % nationalement (avec quelques exceptions). Il y a donc deux types de députés : ceux élus directement dans des circonscriptions, et les autres, élus sur des listes partisanes afin que le résultat global soit bien proportionnel. L’Allemagne est loin d’être seule à pratiquer un scrutin mixte : sept autres pays européens le font. Les systèmes danois, estonien, maltais et suédois, comme l’allemand, sont dits « compensatoires ». Les systèmes hongrois, italien et lituanien, eux, sont additifs (ou « parallèles ») : les sièges supplémentaires sont répartis en proportion des scores obtenus par les partis, indépendamment des résultats locaux. Ces systèmes ne peuvent pas garantir une proportionnalité intégrale, mais permettent de s’en approcher. Un seul pays, la France, élit ses députés dans des circonscriptions à siège unique. Deux pays (Pays-Bas, Slovaquie) élisent leur parlement au moyen d’un scrutin proportionnel de liste dans une unique circonscription nationale. Treize pays (Autriche, Belgique, Bulgarie, Chypre, Croatie, Espagne, Finlande, Lettonie, Luxembourg, Pologne, Portugal, Roumanie, République tchèque) élisent leur parlement par un scrutin de liste proportionnel par circonscription. La taille moyenne des circonscriptions varie de 5 à 15 députés. La France a utilisé une fois (en 1986) un scrutin de ce type ; les circonscriptions étaient alors les départements. Un scrutin de liste n’empêche pas d’élire les députés sur leur nom propre (et non en fonction de l’ordre sur une liste établie par la direction d’un parti) : certains pays, comme l’Autriche, permettent à l’électeur de donner une priorité à certains des candidats de la liste choisie. Enfin, trois pays (Grèce, Irlande et Slovénie) ont des systèmes qui ne rentrent pas tout à fait dans l’une de ces catégories, mais qui visent tous trois à s’approcher d’une représentation proportionnelle. Deux critères primordiaux peuvent permettre de comparer les différents systèmes : la proportionnalité entre le nombre de sièges alloués aux différents partis et le nombre de voix qu’ils ont obtenues. la redevabilité : un député élu localement, dans sa circonscription, est redevable à l’ensemble des électeurs de sa circonscription : les négliger met en péril sa réélection. Ces députés ont été élus sur leur nom propre, en raison d’une implantation locale, et pas seulement (certes, un peu quand même) parce qu’ils ont réussi à se faire suffisamment d’amis au sein de leur parti. Le système français est parfait du point de vue de la redevabilité. En revanche, c’est celui qui peut s’écarter le plus de la proportionnalité. La distorsion qu’opère, souvent, le scrutin majoritaire, a deux types de conséquences. D’une part un parti disposant d’une majorité seulement relative dans l’électorat peut remporter une majorité écrasante des sièges : on l’a vu dans la quasi-totalité des élections législatives de la Ve République, et notamment en 2017, avec la coalition LREM-MoDem. D’autre part, des partis peuvent être fortement sous-représentés. Face à ces problèmes, la représentation proportionnelle garantit d’une part une représentation raisonnable aux « petits » partis, et d’autre part qu’un parti isolé ne peut avoir de majorité absolue à l’Assemblée que s’il a obtenu une majorité absolue dans l’électorat. Le système français est peu robuste : de faibles variations de scores peuvent avoir des effets importants sur la composition de l’Assemblée. Ainsi, la grande incertitude qui régnait en France, quelques semaines avant le scrutin de 2024 (où la possibilité que le Rassemblement national obtienne une majorité absolue des sièges avec environ 30 % des voix n’était pas à exclure), contraste avec la robustesse du système allemand : une variation de 5 % du score de l’AfD aboutirait à une variation d’un peu plus de 5 % de sa représentation au Bundestag. À l’opposé du système français, les scrutins proportionnels nationaux, comme aux Pays-Bas, offrent une proportionnalité parfaite, mais aucune redevabilité. En ce qui concerne les scrutins de liste proportionnels par circonscription, comme en Espagne, la proportionnalité dépend avant tout de la taille des circonscriptions. Bien entendu, plus les circonscriptions sont grandes, plus la représentation s’approche de la proportionnalité, et moins la redevabilité est bonne. Il s’agit alors de trouver une taille idéale de circonscriptions qui permettent de s’approcher suffisamment de la proportionnalité sans faire grossir outre mesure les circonscriptions. Les chercheurs Carey et Hix ont montré qu’il existe ainsi un « sweet spot » qui se situe entre 4 et 8 députés par circonscription. Des simulations sur les données françaises de 2012, 2017 et 2022 aboutissent à une conclusion similaire, avec des résultats satisfaisants si les circonscriptions désignent chacune environ 6 députés. Attention cependant, il ne faut pas seulement que les circonscriptions aient 6 députés « en moyenne », comme en 1986, il faut respecter une homogénéité de la taille des circonscriptions : une variation du nombre de députés entre circonscriptions a tendance à introduire un biais en faveur des partis forts dans les petites circonscriptions. Les scrutins mixtes compensatoires, comme en Allemagne, permettent d’allier représentation proportionnelle et redevabilité. Les scrutins mixtes additifs ou parallèles, comme en Italie, ne garantissent pas une proportionnalité intégrale, mais permettent tout de même de s’en approcher. Par une description plus précise des paramètres des scrutins mixtes, et des comparaisons sur données françaises nous avons montré que les systèmes compensatoires permettent d’atteindre un haut niveau de proportionnalité tout en gardant la plupart des députés élus localement. En France, les voix qui s’élèvent contre les systèmes proportionnels avancent souvent que « la proportionnalité donne des parlements ingouvernables ». Il est vrai que le scrutin majoritaire permet parfois de forcer la gouvernabilité, mais ce n’est pas toujours le cas, comme on l’a vu en 2024. De toute manière, en l’absence d’un parti absolument majoritaire, il faut former des gouvernements de coalition. Rien de plus ordinaire : comme on l’a vu, sur les 27 pays de l’UE, 26 élisent leur parlement avec un mode de scrutin proportionnel, et sont donc régulièrement confrontés à ce problème. Certes, former des coalitions de gouvernement n’est pas toujours une sinécure, et on a vu, dans certains pays et à certaines époques, de périodes sans gouvernement ou des gouvernements dits techniques, mais les comparaisons historiques et internationales montrent que c’est somme toute assez rare. Par ailleurs, la gouvernabilité n’est pas mécaniquement liée au mode de scrutin : elle tient à la faculté et la volonté qu’ont les partis de collaborer. Jérôme Lang est membre de Les Écologistes.
Il reçoit régulièrement des financements de l'ANR. Jean-Francois Laslier a reçu des financements de l'ANR. Mirjam Dageförde a reçu des financements de DAAD. Texte intégral 1480 mots
Les différents modes de scrutin parlementaire dans l’Union européenne
Proportionnalité et redevabilité
Gouvernabilité