18.02.2025 à 17:10
Présidence du Conseil constitutionnel : quand la politique reprend ses droits sur le droit
Ce mercredi 19 février, les députés et sénateurs ont désigné – à une voix près – Richard Ferrand comme président du Conseil constitutionnel. Cette candidature était fortement critiquée en raison de la proximité de Richard Ferrand avec Emmanuel Macron. La crédibilité de la plus haute juridiction de l’ordre constitutionnel français est-elle en danger ? Alors que les débats constitutionnels sont devenus citoyens, que les institutions rythment la vie partisane, l’hypothèse d’une nouvelle nomination politique au sein de la plus haute juridiction de l’ordre constitutionnel français questionne. A-t-on si peu confiance en l’institution pour refuser de lui donner ses lettres de noblesse ? Car c’est bien sur le terrain de sa composition que le Conseil constitutionnel a le moins évolué. Les juges administratifs et financiers, qui ont la qualité de « magistrats » au sens des lois organiques et constitutionnelles, composent le Conseil d’État et la Cour des comptes et sont nommés après avoir été formés « à l’école ». S’il est possible d’y être nommé « au tour extérieur », sans conditions par le pouvoir politique, il ne s’agit là que d’une petite partie de l’ensemble des juges. L’indépendance est constitutionnalisée pour tous les juges qu’ils soient financiers, administratifs ou judiciaires. Seul le Conseil constitutionnel manque à l’appel. Aussi, lorsqu’en 2008 Rachida Dati refuse de renommer le Conseil constitutionnel en « Cour », elle est légitimée dans son propos par le manque d’indépendance accordée à l’institution par les pouvoirs publics au moment du choix cardinal de sa composition. Est-il pour autant impossible d’avoir confiance dans un Conseil constitutionnel dont les membres sont nommés par le pouvoir politique ? Non puisqu’elle se justifie par la particularité du juge constitutionnel dans la mesure où il ne fait pas partie des juges de l’autorité judiciaire du titre VIII de notre Constitution. La nomination politique n’est pas synonyme de perte d’indépendance et il y a lieu de s’inspirer des autres États adoptant le modèle dit européen de justice constitutionnelle ; un tel modèle a fait ses preuves. Les Cours constitutionnelles allemandes, italiennes et espagnoles répondent à ce système de nomination par des hautes autorités constitutionnelles mais les nominations doivent être approuvées ensuite par un vote à la majorité, parfois renforcée, des membres des assemblées, ou de l’une d’entre elles, de manière à garantir la solidité de la candidature. Les autorités individuelles de nomination peuvent toujours rechercher leur propre intérêt mais l’ensemble des membres des assemblées parlementaires, plus diversement composées, peuvent proposer une candidature plus consensuelle. Aucune condition n’est fixée par les textes aux autorités de nominations au moment de leur choix. Nulles contraintes de conflit d’intérêt, de compétences, d’école de formation, d’âge minimum, etc. Les nominations au Conseil constitutionnel mériteraient d’être enfermées dans les mêmes conditions que celles s’appliquant au choix des juges représentant la France auprès de la Cour européenne des droits de l’homme. La formulation, originale, mérite les honneurs d’une citation : « Les juges doivent jouir de la plus haute considération morale et réunir les conditions requises pour l’exercice de hautes fonctions judiciaires ou être des jurisconsultes possédant une compétence notoire » (Article 21 de la Convention européenne des droits de l’homme). L’expérience du droit procure une certification technique propre à garantir la confiance dans la justice rendue, ce qui manque aux « politiques » comme Richard Ferrand. Choisir en la personne de Richard Ferrand un membre politique proche de votre couleur lorsque vous êtes président de la République est le réflexe qu’ont eu tous les présidents avant Emmanuel Macron. Ainsi en est-il, par exemple, de : Roger Freypour Charles de Gaulle, Roland Dumas pour François Mitterrand, Jean-Louis Debré pour Jacques Chirac, ce qui est un peu moins réel pour Laurent Fabius. Le président du Conseil constitutionnel n’est que rarement choisi pour des raisons propres au rayonnement de l’institution. Pour autant, les décisions rendues par le Conseil constitutionnel ne seront probablement pas guidées par des motifs d’accointances politiques, et cela pour plusieurs raisons. D’abord pour des motifs de sociologie des institutions. Montesquieu enseignait que toute institution avait pour but de rechercher le maximum de sa puissance et ainsi la plus grande indépendance de son action dans un but d’optimisation de sa puissance. On peut attendre de Richard Ferrand, une fois président, qu’il recherche, comme tous ses prédécesseurs, l’indépendance de son institution, et cela sans angélisme mais pour maximiser son pouvoir. Ensuite, l’institution a de tout temps « acculturé » ses membres qui, une fois nommés, n’ont plus en tête l’affinité politique mais le perfectionnement de l’action pour laquelle ils sont nommés, comme l’a démontré Dominique Schnapper dans ses travaux. Il n’existe aucune raison pour que cela ne perdure pas aujourd’hui. La phrase de Robert Badinter va dans ce sens lorsqu’il énonçait que chaque membre se devait à un « devoir d’ingratitude » envers son autorité de nomination. Quand bien même l’on imaginerait Richard Ferrand souhaitant « faire un cadeau politique » à Emmanuel Macron pour rendre une décision, il en serait institutionnellement et juridiquement empêché : par les services, par les autres membres, et par le circuit de rendu d’une décision. Enfin, le processus par lequel la décision de constitutionnalité passe est particulièrement ancré, indépendant et sérieux, et garantira une solide décision juridictionnelle. Un service de la documentation étudie en amont toute loi susceptible d’être transmise à l’institution en suivant les travaux parlementaires, les travaux d’autres juges et de la doctrine. Ledit service est en liaison avec le service juridique qui prépare tous les arguments juridiques des futures décisions, dans un sens comme dans un autre puisque seul le rapporteur de la décision tranchera. Ce rapporteur, ces services, sont aidés par la véritable cheville ouvrière de l’institution : le secrétaire général nommé généralement dans les rangs des conseillers d’État et rompu à l’exercice de la justice. Le membre rapporteur, assisté du secrétaire général, des services juridiques et du greffe, délibère ensuite avec les autres membres de manière à écrire la décision à plusieurs mains afin de préserver l’un des plus beaux mythes de la démocratie : celui de la décision écrite à l’unanimité des membres présents. Il faut donc une dose réelle de consensus pour s’entendre sur tous les mots de la rédaction qui se doit d’être suffisamment juridique pour qu’in fine, la décision soit à l’abri de la critique. Mais tout de même, il ne suffit pas que la justice soit rendue, il faut qu’elle inspire la confiance du peuple. C'est ainsi que la décision peut être exécutée, reçue dans la croyance en la démocratie et la pacification de l’ordre social. De Cesare Beccaria, en passant par Saint-Louis jusqu’à la Cour européenne des droits de l’homme, tous les standards convergent : il faut avoir confiance en la justice pour que le vivre ensemble fonctionne. Ainsi, comment, alors que les échiquiers politiques se resserrent autour d’un nationalisme prompt à affaiblir l’état de droit, que les majorités vacillent et recherchent dans le juge constitutionnel un arbitre des élégances, que le président de la République n’a plus d’autorité, comment dans cette époque si dure pour le droit et ses représentants, légitimer le choix d’un proche du Président, d’un politique de carrière, d'un homme peu qualifié en tant que juriste pour présider l’institution la plus puissante de l’état de droit qui est également, dans un douloureux oxymore, la plus fragilisée dans l’état de l’opinion ? Il est temps que le choc de confiance frappe l’esprit de nos politiques, qui plus est au moment de choisir les juges constitutionnels. Anne-Charlène Bezzina ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche. Texte intégral 1721 mots
Des juges constitutionnels non-magistrats
Une nomination politique
Une nomination sans conditions
La nomination proposée de Richard Ferrand : la poursuite d’une tradition biaisée
Les apparences de la justice, la confiance, le juge et nous
18.02.2025 à 17:07
Les jeux vidéo rendent-ils violents au point de tuer ?
La question des liens entre les jeux vidéo violents et le niveau d’agressivité dans la vie courante revient régulièrement dans le débat public, en particulier quand un joueur a été impliqué dans un fait divers. Pourtant, si des effets à court terme sur le comportement ont pu être mis en évidence chez certains joueurs, jusqu’à présent, aucune recherche n’a permis d’établir un quelconque lien causal entre pratique de jeux vidéo violents et passage à l’acte criminel. Début février, le corps de Louise, une collégienne de 11 ans, était retrouvé dans un bois à Longjumeau, en Essonne. En relatant les avancées de l’enquête, les médias ont largement souligné le fait que le meurtrier présumé aurait eu, peu avant son crime, une dispute avec un joueur en ligne au cours d’une partie du célèbre jeu vidéo de tir « Fortnite ». Comme à plusieurs reprises par le passé, la question des liens entre jeux vidéo violents, actes violents et meurtres s’est à nouveau imposée dans l’espace politico-médiatique. Cette interrogation n’est pas illégitime : étant donné que plus de 90 % des jeunes de 10 à 24 ans jouent à des jeux vidéo, les enjeux sociétaux potentiellement liés à ces questions sont en effet considérables. Après les réactions initiales, souvent émotionnelles et idéologiques, il est important de se tourner vers la science pour comprendre les effets réels des jeux vidéo violents. Trois questions sont au cœur du problème. La première est propre aux jeux vidéo eux-mêmes : provoquent-ils des pensées, des sentiments et des comportements agressifs à court et long termes ? La deuxième porte sur les relations entre joueurs qui communiquent oralement ensemble en ligne. Dans quelle mesure une dispute entre eux peut-elle provoquer des comportements violents « dans la vie réelle » ? Chaque samedi, The Conversation en mode week-end : un pas de côté sur l’actu pour mieux comprendre le monde qui nous entoure. Abonnez-vous dès aujourd’hui ! Enfin, la troisième question est celle du passage à l’acte criminel : que sait-on des liens entre les jeux vidéo et les comportements violents graves, tels que les meurtres ? La grande majorité des scientifiques qui ont évalué les effets des jeux vidéo violents ont étudié les pensées, les émotions, les réactions corporelles (degré d’excitation, fréquence cardiaque, par exemple) et les comportements des joueurs à court terme, c’est-à-dire juste après avoir joué ou quelques dizaines de minutes après. Pour mener ce type d’étude, les chercheurs ont souvent recours à des expérimentations. Celles-ci peuvent par exemple consister à répartir aléatoirement des personnes dans deux groupes. Dans le premier groupe, les participants jouent à un jeu vidéo violent, tandis que dans le second, ils jouent à un jeu vidéo non violent ou regardent, de manière passive, les images d’un jeu vidéo violent sans y jouer. On procède ensuite à une série de mesures portant sur leurs pensées, leurs émotions et des indicateurs physiologiques comme le niveau de stress. Pour évaluer les comportements, plusieurs méthodes sont utilisées. Par exemple, les évaluateurs peuvent observer discrètement comment ceux qui viennent de jouer se comportent avec d’autres personnes au cours de différentes situations d’interactions sociales. Comme toutes les conditions sont identiques par ailleurs et les participants répartis aléatoirement entre les groupes, comparer les mesures et observations permet d’évaluer les effets des jeux vidéo. Les résultats obtenus montrent que les joueurs sont dans les minutes qui suivent davantage excités que les autres, et que leurs pensées et leurs émotions deviennent plus agressives après une partie. Leurs comportements se modifient également, tendant à être un peu plus agressifs que d’habitude. Attention toutefois : si, dans ces recherches, le terme « agressif » renvoie bien à des pensées ou à des conduites qui visent à nuire aux autres, les comportements évalués restent cependant relativement mineurs, et non pénalement répréhensibles. Si les résultats ont globalement montré que les jeux vidéo violents généraient, à court terme, des pensées, des émotions et des comportements agressifs, pour certains chercheurs, ces effets délétères pourraient être surestimés dans les études. Selon eux, leur ampleur serait en fait très faible. En outre, dans la « vie réelle », juste après avoir joué, la mise en œuvre d’actes agressifs, tels des insultes, des agressions verbales ou des bousculades n’est bien sûr jamais automatique. Il faut, très souvent, que l’environnement social incite à le faire. Concernant les effets à plus long terme sur les pensées, émotions et comportements agressifs, on dispose de moins de preuves montrant des liens de cause à effet entre les jeux vidéo violents et ces phénomènes. Les études menées pour évaluer les conséquences de l’exposition à des médias violents (télévision, films, jeux vidéo, musique, bandes dessinées…) indiquent que plusieurs facteurs entrent en jeu. En ce qui concerne les jeux vidéo violents, on peut citer tout d’abord la fréquence de jeu. Plus celle-ci est élevée et plus les risques d’augmentation de l’agressivité seraient importants, sans pour autant être systématiques. Deuxièmement, des facteurs propres à chaque individu. Des travaux ont montré que certaines personnes seraient plus influencées par la violence dans les jeux vidéo que d’autres. C’est notamment le cas de celles qui effectuent plus souvent que la moyenne des actes agressifs. Dans la même veine, les personnes fortement isolées socialement ou souffrant de troubles mentaux, anxieux ou dépressifs peuvent être plus facilement touchées. Des chercheurs ont suivi pendant trois ans des jeunes afin de déterminer l’effet de l’exposition aux jeux vidéo violents sur leurs tendances à l’agressivité et à la violence dans leurs relations amoureuses. Les résultats obtenus ont montré que ces comportements n’étaient pas associés aux jeux vidéo violents, mais pouvaient plutôt être prédits en cas d’existence d’une dépression, de traits de personnalité antisociale, de violences familiales, ainsi que selon l’influence des pairs. D’autres études ont mis en évidence le rôle de facteurs environnementaux défavorables comme la pauvreté, le chômage, ou un environnement familial délétère. Ils augmentent les risques d’agressivité, mais sans que celle-ci ne puisse être prédite par la seule pratique de jeux vidéo violents. La tendance à la délinquance ou au harcèlement a été associée aux traits de personnalités agressifs des enfants, ainsi qu’à leur niveau de stress. Les études montrent que, dans ces situations, les individus concernés jouent effectivement davantage à des jeux vidéo. Cependant, il ne s’agit que d’une corrélation. Le passage à des actes agressifs, toujours dans le cadre de comportements non pénalement répréhensibles, ne peut être directement et uniquement provoqué par les jeux vidéo, dans la mesure où ce type d’actes est multifactoriel. Jouer régulièrement et fréquemment à des jeux vidéo violents pourrait peut-être, dans certains cas, constituer un facteur de risque parmi une multitude d’autres facteurs. Mais le déterminer avec précision nécessitera davantage de travaux de recherche. Les recherches scientifiques sont d’autant plus complexes à mener que les jeux vidéo évoluent rapidement. Il s’agit maintenant de prendre en considération une variable supplémentaire : dans les jeux vidéo en ligne, les joueurs jouent à plusieurs et communiquent oralement entre eux. C’est ce que nous faisons dans nos travaux. Les jeux vidéo sont pour les joueurs des espaces de socialisation qui portent leurs propres normes et codes, notamment à travers un mode de communication libéré des barrières de la vie hors ligne. Par exemple, la politesse est réduite au minimum. L’anonymat, même relatif, offert par le pseudonyme et l’absence de contact visuel ou de signaux non verbaux favorisent également une certaine désinhibition de la communication. Les normes d’expression des émotions et des jugements des autres sont spécifiques, plus spontanées et moins contrôlées que dans la « vie réelle ». Souvent, les personnes jouant de manière « excessive » aux jeux vidéo, et développant une certaine dépendance, présentent également des pensées et des comportements plus impulsifs. Comme il s’agit d’une compétition qui peut parfois se jouer en équipe, il est très courant que les joueurs se chamaillent, se chambrent et s’insultent (on parle de « trash-talking »). Ce type de communication ne serait socialement pas accepté dans la vie hors ligne. Les échanges entre joueurs sont souvent vifs et les disputes parfois violentes. Nos travaux montrent que les joueurs vivent et partagent souvent de fortes émotions, positives comme négatives (« La communication interpersonnelle, source de bien-être dans les jeux vidéo multijoueurs en ligne : une étude empirique », Interfaces numériques, à paraître). L’intensité des émotions dépend du degré d’engagement de chaque joueur. Elle est souvent exacerbée en raison du caractère immersif des jeux vidéo. Selon les cas, le jeu peut autant favoriser qu’entraver leur bien-être. Les joueurs, adolescents ou jeunes adultes, souffrant de troubles psychologiques ou ayant de fortes difficultés à s’adapter au « monde réel » jouent souvent davantage aux jeux vidéo que leurs pairs. Pour eux, le jeu peut être un moyen de compenser certains problèmes psychologiques et sociaux . Cependant, ce moyen est bien moins efficace que consulter un psychothérapeute… Cet univers virtuel ludique et les relations sociales qui s’y développent sont dès lors d’une grande importance pour eux, pour leur estime de soi et leur identité sociale et personnelle. Si les interactions sociales lors des jeux sont conflictuelles, ce qui est fréquent, elles peuvent fortement affecter les joueurs. L’échec ou la frustration accumulée par de mauvaises performances au cours du jeu peuvent remettre en question l’estime du joueur, notamment à travers le regard ou les paroles des autres. Dans les minutes qui suivent le jeu, les émotions négatives déclenchées par des interactions sociales négatives avec d’autres joueurs peuvent s’ajouter à l’excitation, aux pensées et affects rendus plus agressifs par le jeu violent lui-même. Si le jeu ainsi que les communications spécifiques qui s’y développent entre joueurs offrent un cadre favorisant l’agressivité à court terme, est-ce pour autant qu’ils peuvent provoquer le passage à des comportements plus graves, comme des actes criminels ? Certains chercheurs ont tenté d’étudier l’usage des jeux vidéo chez les meurtriers en série ou chez les responsables de fusillades et de tueries collectives, notamment dans des écoles aux États-Unis. Jusqu’à présent, aucune recherche n’a permis d’établir un quelconque lien causal. Ce résultat n’étonne pas les psychologues, dans la mesure où un comportement criminel ne dépend pas d’un unique critère, mais résulte d’une multitude de facteurs individuels et environnementaux. Des chercheurs ont étudié plusieurs cas de tueurs de masse dont les médias avaient indiqué qu’ils étaient par ailleurs de grands joueurs de jeux vidéo violents. La plupart des études ont montré qu’en réalité, ce n’était pas le cas. Plus surprenant, certaines recherches effectuées à large échelle suggèrent que les jeux vidéo violents pourraient en fait diminuer le nombre de crimes violents. Aux États-Unis, lors de la sortie de nouveaux jeux vidéo violents, on observerait une diminution de la criminalité. L’explication est simple et très pragmatique : pendant qu’ils jouent à des jeux vidéo qui les passionnent, les « potentiels criminels » ne commettent pas de crime. Pour en savoir plus : - Laure-Emeline Bernard et Didier Courbet (2024). « La communication interpersonnelle, source de bien-être dans les jeux vidéo multijoueur en ligne : une étude empirique », Interfaces numériques, 13, 3 (à paraître). Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche. Texte intégral 2467 mots
Une plus grande agressivité à court terme
À long terme, des effets moins clairs
Des interactions entre joueurs parfois problématiques
La question des crimes
17.02.2025 à 17:22
Débat sur l’identité nationale : Bayrou chasse sur les terres du RN ?
Après avoir évoqué un « sentiment de submersion » migratoire et une réforme du droit du sol, le premier ministre François Bayrou a promis un grand débat sur l’identité nationale. Déjà, en 2009, Nicolas Sarkozy avait appelé les Français à débattre au sein des préfectures. Les débats furent peu fréquentés, avec de nombreux dérapages et, un an plus tard, le Rassemblement national progressait aux élections régionales. Comment comprendre le choix de François Bayrou qui, à l’époque, s’était opposé à ce débat ? La question de l’identité nationale est-elle illégitime ? Pourquoi appeler un nouveau débat sur l’identité nationale ? L’évènement déclencheur, c’est le cyclone tropical Chido qui a dévasté Mayotte le 14 décembre 2024. Dans le cadre du débat sur le projet de loi d’urgence pour la reconstruction de Mayotte, qui s’ouvre en janvier, la question du nombre d’habitants vivant sur l’île est immédiatement posée (320 000 habitants selon l’Insee, 500 000 selon Manuel Valls). C’est alors que François Bayrou évoque le « sentiment de submersion » ressenti à Mayotte. Quelques jours plus tard, le 6 février, est votée une réforme du droit du sol à Mayotte, présentée comme solution d’urgence face à l’immigration comorienne. Le lendemain de ce vote, François Bayrou annonce vouloir un « large débat » sur l’identité nationale en ces termes : « Qu’est-ce que c’est qu’être français ? Qu’est-ce que ça donne comme droits ? Qu’est-ce que ça impose comme devoirs ? Qu’est-ce que ça procure comme avantages ? Et en quoi ça vous engage à être membre d’une communauté nationale ? En quoi croit-on quand on est français ? » Rappelons que le même François Bayrou avait déclaré en 2009 : « L’identité nationale n’appartient pas aux politiques […] Rien n’est pire que d’en faire un sujet d’affrontement politique […] Et, encore pire d’en faire une utilisation partisane. » Autres temps, autres mœurs… Comment interpréter ce nouveau cap choisi par le premier ministre ? Il s’inscrit dans le contexte du débat budgétaire : François Bayrou, pour faire adopter son budget sans majorité au Parlement, doit éviter les motions de censure. Il joue en centriste, un coup à gauche, un coup à droite : il négocie avec les socialistes, mais dépend d’abord du Rassemblement national pour survivre. La carte de l’identité nationale donne des gages au parti qui réclame l’organisation d’un référendum sur l’immigration et le droit du sol. Par ailleurs, une élection se prépare à la tête de LR, prévue en mai prochain. Bruno Retailleau se présentera contre Laurent Wauquiez à la tête de la formation. Or, tous deux insistent sur les questions de l’immigration, de l’identité nationale et du droit du sol. On peut donc considérer que François Bayrou joue le maintien de LR dans la coalition. En France, au XXe siècle, un ministère de l’immigration a existé de janvier à mars 1938, au moment de la fin du Front populaire et de la reprise en main du pays par les droites. On parlait alors beaucoup d’identité nationale et d’invasion par « les métèques », selon le mot de Charles Maurras. Les métèques étaient les étrangers de tous types, « la lie de la terre », selon les termes de l’extrême droite… Les juifs, les « Levantins », les « Polaks »… Aujourd’hui, les étrangers ne seraient pas assez catholiques pour être français, mais à l’époque les Polonais étaient jugés inassimilables, car « trop » catholiques (on les avait fait venir par villages entiers dans les années 1920 avec leurs curés pour les encadrer dans des cités minières réservées). Beaucoup plus récemment, il y a eu en France un débat sur l’identité nationale, ouvert autour d’une question très courte (« Qu’est-ce qu’être français aujourd’hui ? ») posée en octobre 2009 par Éric Besson, alors « ministre de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du développement solidaire ». Le débat devait se clore par un grand « colloque national », juste avant les régionales de mars 2010, et le président de la République Nicolas Sarkozy comptait dessus pour garder l’électorat du RN conquis en 2007. Mais ce débat, très mal préparé, tourna court. Organisé dans les préfectures surtout par les élus de l’UMP, il ne reçut que peu de public. Ceux qui se déplacèrent étaient souvent des personnes pour qui l’identité nationale était en crise et de nombreux « dérapages » eurent lieu. On peut citer la secrétaire d’État UMP Nadine Morano : « Ce que je veux, c’est qu’un jeune musulman se sente français lorsqu’il est français. Ce que je veux, c’est qu’il aime la France quand il vit dans ce pays, c’est qu’il trouve un travail et qu’il ne parle pas le verlan. C’est qu’il ne mette pas sa casquette à l’envers. » Le débat fut stoppé précipitamment avec un séminaire gouvernemental auquel Nicolas Sarkozy ne participa même pas et qui ne déboucha sur aucune mesure significative, hormis la décision de mettre des drapeaux tricolores à la porte de tous les établissements scolaires. Aux régionales de 2010, le RN reprit sa progression électorale, temporairement interrompue en 2007, tandis que l’UMP enregistra un très mauvais score. Le débat de 2009 sur l’identité nationale a donc montré que la droite, en venant sur le terrain de prédilection du RN, prenait le risque de se laisser emporter par la vague. On peut considérer que le débat voulu par François Bayrou relève d’abord du calcul politicien à court terme. Il s’agit donc d’une prise de risque dangereuse qui devrait favoriser le RN avant la prochaine présidentielle. Reste que la question de l’identité nationale n’est pas nécessairement illégitime puisqu’une crise identitaire profonde est bien présente depuis quatre décennies. Notre identité nationale a déjà été en crise. La précédente crise est survenue après la débâcle de juin 1940 et les défaites militaires en Indochine et en Algérie. Le gaullisme y répondit en reconstruisant la grandeur nationale – « La France ne peut être la France sans la grandeur » (de Gaulle, première page des Mémoires de guerre) – autour de quatre éléments : l’arme atomique ; l’Alliance atlantique, mais avec une armée française hors du commandement intégré de l’OTAN ; la construction européenne, mais en refusant le fédéralisme et en donnant à la France un droit de veto ; l’acceptation de la décolonisation, mais en gardant une forte influence économique, militaire et culturelle en Afrique. Ces trois derniers éléments sont aujourd’hui caducs : l’Union européenne se construit sur un mode fédéraliste ; l’influence de la France dans le monde, et d’abord en Afrique, s’effondre ; l’armée française a réintégré l’OTAN par étapes, de 1995 à 2009. À un niveau plus profond, hérité de la Révolution, la crise touche quatre éléments constitutifs de notre identité nationale définis par l’historien Patrick Weil : l’égalité des droits, la langue française comme langue nationale, la nation définie comme la communauté des citoyens et la laïcité. Aujourd’hui, le mouvement séculaire de réduction progressive des inégalités (grâce aux combats du mouvement ouvrier et des gauches) est terminé ; une partie – pas la majorité – des musulmans de France est sous l’influence du fondamentalisme islamiste et refuse la laïcité (comme ce fut le cas au XIXe siècle pour une partie des catholiques) ; la langue française n’est plus défendue par les dirigeants (Emmanuel Macron a fait quasiment toute sa conférence sur l’IA en anglais) ; une conception nationaliste identitaire ou, dit autrement, ethnoculturelle, directement héritée de Maurice Barrès et de Charles Maurras, ne cesse de progresser jusque dans les lois votées par le Parlement républicain. Dernier élément composant « l’identité de la France », pour reprendre l’expression de Fernand Braudel : la France fut, pendant plus de 150 ans, une des cinq plus grandes puissances industrielles du monde tout en conservant une forte composante rurale, appuyée sur une petite paysannerie propriétaire longtemps nombreuse (le contraire du Royaume-Uni qui sacrifia sa petite paysannerie, dès le XIXe siècle). Or, aujourd’hui, la paysannerie a quasiment disparu, les villages se meurent, la surface cultivée n’a jamais aussi faible et l’alimentation des habitants dépend de plus en plus des importations. Quant à la désindustrialisation, elle est proprement impressionnante alors que la réindustrialisation annoncée à grand bruit ne peut advenir, tant les savoir-faire ont été perdus. Tout cela fait qu’aujourd’hui, être français a perdu son évidence. L’emportent le doute et sa compagne des temps de malheur, la peur de l’Autre. C’est ainsi que le RN prospère, proposant des solutions centrées sur le repli national que reprennent macronistes, wauquiéristes, bayrouistes et d’autres encore. Mais faire de l’immigration la cause de tous les maux de la société sert avant tout à éviter tout débat sur le fond des choses : la profonde crise économique, sociale, culturelle et politique que quatre décennies de politiques néolibérales ont provoquée, sans que les gauches soient capables de proposer une alternative à la fois crédible et enthousiasmante. Gilles Richard ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche. Texte intégral 2057 mots
Donner des gages au RN
En 2009, Sarkozy déjà…
Le débat sur l’identité nationale n’est pas illégitime