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17.01.2024 à 08:25

L'évitement fiscal nuit à la bifurcation écologique et sociale

Équipe de l'Observatoire

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Les liens entre l'évasion (ou la fraude fiscale) et la transition écologique ne sont, a priori, pas évidents. Ils sont pourtant réels.
Le premier lien, ce sont bien sûr les sommes perdues pour les finances publiques et qui permettraient de faire face au besoin de financement de la transition écologique. Le rapport du Giec d'avril 2022 confirme que la question du financement est déterminante. Pour l'heure, les sommes engagées sont insuffisantes pour atteindre les objectifs fixés. Le Giec (...)

- Débats
Texte intégral (978 mots)

Les liens entre l'évasion (ou la fraude fiscale) et la transition écologique ne sont, a priori, pas évidents. Ils sont pourtant réels.

Le premier lien, ce sont bien sûr les sommes perdues pour les finances publiques et qui permettraient de faire face au besoin de financement de la transition écologique. Le rapport du Giec d'avril 2022 confirme que la question du financement est déterminante. Pour l'heure, les sommes engagées sont insuffisantes pour atteindre les objectifs fixés.
Le Giec estime que, pour limiter le réchauffement à moins de 2°C, les investissements annuels doivent être, entre 2020 et 2030, trois à six fois supérieurs à ce qu'ils sont actuellement. Or les experts estiment qu'« il y a suffisamment de capitaux et de liquidités mondiales pour combler ces déficits d'investissement. » C'est d'autant plus vrai si l'on s'attaque aux paradis fiscaux et à l'évasion fiscale internationale.
Pour la France, les estimations des besoins annuels de financement supplémentaire vont de 14 milliards d'euros (Institut pour le climat) à 66 milliards (rapport Pisani-Mahfouz pour France stratégie) voire 100 milliards (Ademe). Certes, ces estimations ne concernent pas les seules finances publiques, mais tous les travaux s'accordent pour dire que les politiques publiques doivent jouer un rôle majeur face à la recherche du profit à court terme des acteurs privés.
Autrement dit, la fraude fiscale empêche le financement de la transition écologique. Pour rappel, elle est estimée entre 80 et 100 milliards d'euros en France. Au niveau de l'Union européenne à 28, Richard Murphy, de l'Université de Londres, estimait la fraude aux recettes publiques, impôts et recettes sociales comprises entre 800 à 1 000 milliards d'euros.
Au-delà de ce lien évident, d'autres doivent être soulignés. Une étude de l'académie de Suède publiée le 13 août 2018 dans la revue Nature Ecology & Evolution montre ainsi le rôle des paradis fiscaux dans la dégradation de l'environnement et en particulier dans la déforestation de l'Amazonie et la pêche illicite.

Refuges pour activités climaticides

L'étude précise ainsi qu'« entre octobre 2000 et août 2011, 68 % de tous les capitaux étrangers ayant fait l'objet d'une enquête sur neuf sociétés spécialisées dans les secteurs du soja et du bœuf en Amazonie brésilienne [NDLR : soit 18,4 milliards de dollars] ont été transférés par l'intermédiaire d'un ou de plusieurs paradis fiscaux connus. Cela représente jusqu'à 90 voire 100 % des capitaux étrangers pour certaines entreprises faisant l'objet d'une enquête ». Les territoires concernés sont principalement les îles Caïmans (Royaume-Uni), les Bahamas et les Antilles néerlandaises.

Refuges pour activités climaticides

Par ailleurs, sur la base de données de l'Organisation internationale de police criminelle (Interpol) et des registres d'organismes régionaux, l'étude a établi que sur 209 navires impliqués dans des activités de pêche illicite, non déclarée et non réglementée, 70 % étaient enregistrés, ou l'avaient été, dans un pays répertorié comme un paradis fiscal.
Elle fait ainsi écho aux révélations des Panama Papers qui, en avril 2016, avaient établi que 80 % de la flotte du Panama (6 413 navires de marine marchande, soit la plus grosse flotte du monde) était alors composée de bateaux étrangers (pétroliers, cargos, porte-conteneurs…). Une stratégie permettant notamment d'éviter l'impôt et les lois sociales.
L'étude confirme des travaux antérieurs. Les Paradise Papers avaient par exemple déjà révélé que plusieurs entreprises du secteur des énergies fossiles (TotalEnergies, Engie, Glencore) utilisaient des sociétés offshore et des montages financiers transitant par les paradis fiscaux pour investir dans des projets charbonniers, gaziers ou pétroliers. L'étude lance donc « un appel à une prise de conscience politique de la nécessité d'ajouter la dimension environnementale aux débats sur les paradis fiscaux. »

Base arrière pour les riches pollueurs

Enfin, une récente étude, publiée par Bloomberg green en 2022, montre que les 1 % les plus riches du monde émettent 70 fois plus de carbone que la moitié la plus pauvre de la population mondiale. La pollution des plus riches augmente continuellement du fait de leur mode de vie (avion, yacht, SUV…).

Or, c'est au sein de ces populations que l'évitement de l'impôt est le plus répandu, en partie par l'utilisation de paradis fiscaux, comme les travaux de Gabriel Zucman l'ont montré à plusieurs reprises (8 % de la fortune mondiale serait ainsi détenue dans les paradis fiscaux).

De fait, outre la perte de recettes publiques qu'elle induit, cette fraude fiscale procure aux plus riches un surplus de revenus qui peut être utilisé pour effectuer plus de déplacements ou être investi dans des activités émettrices de CO2 (dans les énergies fossiles par exemple).

Par bien des façons, donc, l'évitement fiscal représente un obstacle à la bifurcation écologique et sociale.

(Tribune parue sur le site d'Alternatives économiques le 5 janvier 2024)

13.01.2024 à 10:02

LVMH : partenaire particulier pour le fisc

Équipe de l'Observatoire

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L'administration fiscale a renoncé à poursuivre LVMH pour fraude fiscale potentielle et à donner suite au contrôle fiscal qu'elle avait engagé en 2019 pour préférer accepter un « partenariat fiscal ». Révélée le 30 décembre dernier, l'affaire a de quoi interpeller : elle pose en effet non seulement la question de la stratégie gouvernementale en matière de contrôle fiscal mais aussi celle des rapports entre les grands groupes et le pouvoir. Comprendre les différents rouages ayant conduit à (...)

- Actualités
Texte intégral (1094 mots)

L'administration fiscale a renoncé à poursuivre LVMH pour fraude fiscale potentielle et à donner suite au contrôle fiscal qu'elle avait engagé en 2019 pour préférer accepter un « partenariat fiscal ». Révélée le 30 décembre dernier, l'affaire a de quoi interpeller : elle pose en effet non seulement la question de la stratégie gouvernementale en matière de contrôle fiscal mais aussi celle des rapports entre les grands groupes et le pouvoir. Comprendre les différents rouages ayant conduit à cette situation est nécessaire pour identifier les enjeux.

Qu'est-ce que le « partenariat fiscal » ?

Jusque-là peu connu du grand public, le « partenariat fiscal » a été instauré en mars 2019 suite à l'adoption de la loi « Pour un État au service d'une société de confiance » (ESSOC) en 2018. Rappelons que celle-ci a instauré un ensemble de mesures présentées comme permettant notamment de reconnaître le « droit à l'erreur », de favoriser les régularisations et de « renforcer la sécurité juridique » en matière de fiscalité. Opérant une véritable réorientation du contrôle fiscal, la loi ESSOC vise en réalité à favoriser l'attractivité fiscale en faisant le pari de prioriser l'accompagnement sur le contrôle fiscal.

Le partenariat fiscal s'organise de la manière suivante : une fois la candidature de l'entreprise retenue, un protocole d'accord est signé entre l'entreprise et le Service Partenaire (logé à la Direction des grandes entreprises qui appartient à la Direction générale des finances publiques, la DGFiP) qui désigne alors un interlocuteur unique. Ce dernier sera par la suite le point de contact régulier et privilégié de l'entreprise pour la mise en œuvre du partenariat fiscal. Le protocole prévoit ainsi que la DGFiP délivre des réponses aux questions de l'entreprise dans certains délais, l'entreprise devant pour sa part livrer les informations nécessaires au traitement de ses demandes. Tout ceci est censé sécuriser l'entreprise mais aussi mieux informer l'administration fiscale et ainsi, prévenir la fraude.

Un partenariat sous conditions

Le partenariat fiscal s'adresse aux grandes entreprises et aux entreprises dites de « taille intermédiaire ». Les entreprises concernées doivent employer au moins 250 salariés, réaliser un chiffre d'affaires d'au moins 50 millions d'euros ou présenter un bilan au moins égal à 43 millions d'euros. Certaines entreprises de moins de 250 salariés, mais dont le total de chiffre d'affaires et de bilan dépasse ces dernières limites, sont également éligibles au dispositif, les PME pouvant pour leur part accéder à un autre dispositif, baptisé « accompagnement fiscal des PME ».

La taille de l'entreprise ne suffit toutefois pas pour bénéficier de ce fameux partenariat. Pour être éligibles au « partenariat », les entreprises doivent également être à jour de leurs obligations déclaratives et de paiement et ne doivent pas avoir fait l'objet de pénalités pour manquement intentionnel à la suite d'un contrôle fiscal au cours des trois dernières années. L'entreprise candidate doit normalement faire l'objet d'une enquête préalable de moralité avant toute entrée dans le dispositif. L'objectif affiché de l'administration fiscale est de prioriser les entreprises respectueuses du droit fiscal.

C'est bien sur ce point que le partenariat avec LVMH dérange, outre, plus largement, la philosophie générale qui a présidé à la loi « ESSOC »
. L'administration fiscale avait de fortes présomptions de fraude fiscale au sein du groupe LVMH. Preuve en est qu'en 2019, elle a engagé une procédure de contrôle, soupçonnant notamment une fraude via la centrale de trésorerie du groupe installée alors en Belgique et fort opportunément rapatriée en France par la suite.

Des soupçons de fraude qui entachent le « partenariat »

En septembre 2019, l'administration fiscale a mené une perquisition sur plusieurs sites du géant français du luxe, dont le siège de LVMH, avenue Montaigne à Paris, dans une affaire de potentielle fraude fiscale. Une centrale de trésorerie, LVMH Finance Belgique SA (LFB), était au cœur des investigations. Hélas, la cour d'appel avait invalidé en 2020 cette perquisition et ordonné la restitution des pièces saisies à LVMH sans possibilité pour l'administration fiscale d'en garder copie. Entre-temps, LVMH avait donc rapatrié sa centrale de trésorerie en France et sollicité un partenariat fiscal avec la DGFiP en 2022. Une manière de reconnaître que LVMH avait été pris les doigts dans le pot le confiture...

En février 2023, la Cour de cassation a cassé la décision de justice qui invalidait la perquisition de 2019. En théorie, il était donc redevenu possible pour la DGFiP de poursuivre ses investigations, même s'il faut reconnaître qu'elles n'auraient plus eu l'effet de surprise d'une perquisition. C'est d'ailleurs officiellement ce qui a conduit la DGFiP à accepter le partenariat.

Vu les antécédents, on peut légitimement se demander si le groupe LVMH présente toutes les garanties nécessaires en matière de « moralité fiscale » pour bénéficier d'un tel partenariat… Le groupe pourra certes arguer qu'aucune pénalité n'a été appliquée ni aucune fraude démontrée. Or, chacun sait désormais que cela n'est dû qu'au renoncement de la DGFiP de poursuivre les procédures de contrôle. L'argument ne trompera donc personne. Un constat s'impose : le partenariat fiscal, pour discutable qu'il soit dans ses principes fondateurs et son application (moins de 15 agents traitent environ 70 partenariats fiscaux), est entaché. Censé accompagner les entreprises au comportement fiscal vertueux, il s'applique désormais à un groupe suspecté d'avoir fraudé.

Pour Attac, qui a dénoncé la philosophie et les mesures de la loi « ESSOC » (dans son rapport de mars 2022 intitulé « Fraude fiscale, sociale, aux prestations sociales, ne pas se tromper de cible » par exemple), il est indispensable qu'un travail de fond qui serait rendu public soit mené sur l'application effective des dispositifs de cette loi, notamment sur le partenariat fiscal. Plus largement, c'est bien d'un renforcement dont les services engagés dans la lutte contre l'évasion et la fraude fiscales ont besoin. On n'en est toujours pas là...

07.01.2024 à 16:36

Crypto actifs/monnaies et délinquance financière

Équipe de l'Observatoire

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Nés de la crise de 2008 et de la numérisation de l'économie, les crypto-actifs (ou cryptomonnaies) nourrissent régulièrement le débat économique. Leur statut et les opérations qu'ils autorisent interrogent : quel est leur intérêt intrinsèque ? Quels sont les risques liés à leur utilisation ? Quelle régulation mettre en place ? Les travaux menés sur ce sujet complexe tentent de répondre à ces questions que nous nous efforçons de résumer le plus simplement possible ici.
** De quoi (...)

- Comprendre la fiscalité
Texte intégral (2091 mots)

Nés de la crise de 2008 et de la numérisation de l'économie, les crypto-actifs (ou cryptomonnaies) nourrissent régulièrement le débat économique. Leur statut et les opérations qu'ils autorisent interrogent : quel est leur intérêt intrinsèque ? Quels sont les risques liés à leur utilisation ? Quelle régulation mettre en place ? Les travaux menés sur ce sujet complexe tentent de répondre à ces questions que nous nous efforçons de résumer le plus simplement possible ici.

De quoi parlons-nous ?

Définissons tout d'abord les termes en présence. Pour l'Autorité des Marchés Financiers, « Les « cryptomonnaies », plutôt appelés « crypto-actifs », sont des actifs numériques virtuels qui reposent sur la technologie de la blockchain (chaîne de bloc) à travers un registre décentralisé et un protocole informatique crypté. Un crypto-actif n'est pas une monnaie. Sa valeur se détermine uniquement en fonction de l'offre et de la demande. Les crypto-actifs ne reposent pas sur un tiers de confiance, comme une banque centrale pour une monnaie. Il existe à ce jour plus de 1 300 "crypto-actifs » [1].

Les crypto-actifs représentent des actifs virtuels, car ils ne sont pas matérialisés à la différence de la monnaie fiduciaire. Ils sont stockés sur un support électronique permettant à une communauté d'utilisateurs les acceptant en paiement de réaliser des transactions sans avoir à recourir à la monnaie légale, ce qui les distingue des opérations monétaires dématérialisées. Juridiquement, une crypto-monnaie n'est pas une monnaie « classique » puisqu'elle ne dépend d'aucune institution et ne bénéficie d'aucun cours légal dans aucun pays. À la différence de monnaies comme l'Euro, elle échappe au réseau des banques centrales et au marché des devises. Elles ont toutefois une valeur qu'il est cependant difficile d'évaluer précisément.

Les cryptoactifs sont créés par des communautés d'internautes (les « miners ») sur la base d'un algorithme. Celui-ci génère des « jetons » qui sont distribués aux « miners » sur la base de critères divers. La technologie employée est celle de la « blockchain » [2] , qui conserve la trace des transactions et fonctionne comme une banque décentralisée et autonome de toute autorité. Ces jetons sont stockés dans des coffres-fort dématérialisés, logés sur ordinateur ou dans le cloud. Ils sont transférables via internet et anonymement au sein des membres de la communauté.

Les cryptoactifs ne s'échangent pas seulement en circuit fermé : ils peuvent être vendus contre d'autres cryptoactifs ou contre de la monnaie traditionnelle, être investis dans des secteurs à risque (le marché de l'art, l'immobilier…), etc. S'ils sont volatils par nature, certains cryptoactifs jouent cependant un rôle de stabilisateur. C'est le rôle des stablecoins, qui constituent une passerelle entre les cryptomonnaies et les monnaies fiduciaires classiques. À la différence des autres cryptomonaies, leur cours est en effet adossé à une valeur-refuge (comme le dollar américain ou l'or), ce qui réduit leur volatilité.

Depuis leur création, les crypto-actifs se développent et se démocratisent. La valorisation du marché des crypto-actifs représentait 1 100 Md$ fin 2023 et environ 14 millions d'utilisateurs au sein de la zone euro. En France, la moitié des nouveaux investisseurs aurait investi dans les crypto-actifs alors que ce chiffre s'établit à 25% pour les investisseurs traditionnels [3]. La Cour des comptes relève que « l'ADAN et le cabinet KPMG estiment que cinq millions de Français détenaient des actifs numériques en France en 2022, contre quatre millions de personnes en 2021 (…) les Français auraient investi entre 20 Md€ et 25 Md€ en actifs numériques en 2023 » [4]. Enfin, Chainalysis évalue à 3,5 Md€ les plus-values nettes réalisées en 2021 sur les portefeuilles d'actifs numériques en France [5].

L'AMF, qui tient une liste noire des entités à risque pour l'épargne, identifie plusieurs risques pour les personnes voulant investir dans les cryptomonnaies :
• la bulle spéculative, le cours des crypto-monnaies étant très volatil,
• de piratages informatiques (hacking) ;
• le blanchiment des capitaux.

Cryptoactifs, blanchiment et évasion fiscale

Les cryptoactifs sont mobiles, ils circulent sans intermédiaire et ne connaissent pas de frontière. Il est aisé de déplacer des montants d'un compte virtuel à un autre sans identification du donneur d'ordre. Ces montants peuvent ainsi transiter vers des utilisateurs eux-mêmes anonymes disséminés dans plusieurs pays, éventuellement même dans des paradis fiscaux et judiciaires. Ils peuvent ainsi échapper à toute règle et à tout contrôle.

Surtout, la monnaie virtuelle garantit la discrétion et l'anonymat. À titre d'exemple, le protocole Bitcoin n'exige pas et ne fournit pas d'identification et de vérification des participants. L'anonymat est une des caractéristiques principales de la blockchain, il est source de risques. La création d'un portefeuille virtuel sur Internet est gratuite et anonyme, elle ne nécessite pas de formalité particulière. Si les transactions sont enregistrées dans la blockchain et peuvent être inspectées ou que le solde de la quantité de crypto-monnaie dans une adresse est visible, le fait que les adresses crypto ne soient pas enregistrées sur la base du nom d'une personne, contrairement aux comptes bancaires, accroît l'utilisation des cryptoactifs dans des activités telles que le blanchiment d'argent ou encore le financement d'activité criminelles. De ce point de vue, les cryptoactifs offrent une opacité comme le secret bancaire pouvait l'offrir dans certains paradis fiscaux. Dans ces conditions, il est donc très difficile pour les organismes de contrôle de tracer les flux et d'identifier les bénéficiaires des transactions, les fraudes, etc.

La situation est d'autant plus préoccupante qu'il n'y a d'ailleurs jamais eu autant d'argent blanchi en cryptomonnaies qu'en 2022. Selon une étude de Chainalysis [6] , 23,8 milliards de dollars d'argent sale en cryptomonnaies ont ainsi transité sur la blockchain en 2022 pour y être convertis en monnaie sonnante et trébuchante. Une augmentation de 68% par rapport à l'année précédente.

Les règles applicables, longtemps dépassées (comme en matière de fiscalité numérique), tentent de s'adapter avec difficulté. Sur le plan fiscal, les règles actuelles sont les suivantes : sont imposables les cessions en contrepartie d'une monnaie ayant cours légal, mais pas celles en contrepartie d'une autre cryptomonnaie. Lorsqu'une plus-value est réalisée par exemple, les textes prévoient l'application du prélèvement forfaitaire unique. L'activité de « minage » quant à elle est imposable à l'impôt sur le revenu.

En pratique, la situation est toutefois plus complexe. Le développement des stablecoins permet d'échapper à l'impôt : un investisseur qui réalise une plus-value sur actifs numériques n'est plus obligé de transformer ses actifs en monnaie légale et peut transformer ses actifs en un stablecoin adossé à cette monnaie légale, sans être pour autant imposé dans la mesure où il ne sort pas du secteur des crypto-actifs. De leur côté, les émetteurs de stablecoins n'ont pas l'obligation de s'enregistrer auprès des autorités de régulation, ce qui garanti l'anonymat à leurs clients et les dispense de signaler les transactions susceptibles d'être illicites. Les stablecoins mondiaux, et plus globalement les cryptoactifs, posent donc un défi immense, tant pour la lutte contre la délinquance économique et fiscale que pour la stabilité financière.
L'écart entre les plus-values estimées par Chainalysis (3,5 Md€) et déclarées à la DGFiP (0,4 Md€) ne saurait s'expliquer par les seules plus-values issues d'échanges entre actifs numériques. Elle montre que les cryptoactifs nourrissent l'évasion et la fraude fiscales.

Au-delà de l'évitement de l'impôt, les cryptoactifs sont également utilisés dans le blanchiment par la conversion en actifs numériques des revenus tirés d'activités illicites, le blanchiment pouvant être réalisé « en utilisant des plateformes qui ne sont pas soumises à des obligations de LCBFT ou dont les contrôles sont défaillants, sur lesquelles les fraudeurs peuvent convertir des fonds illicites en crypto-actifs afin de les transférer vers d'autres comptes ou de les revendre contre des monnaies » [7]. Ils peuvent également alimenter la spéculation et le financement du terrorisme par exemple. Tracfin, qui s'alarme de l'utilisation croissante des cryptoactifs dans les activités illicites, estime la valeur des flux suspects à 5,1 % des échanges, soit près de 5,3 Md€ au plan mondial [8]. Autant de constats qui montrent qu'adapter le cadre législatif est urgent.


[1] Site de l'AMF : « Qu'est-ce qu'une cryptomonnaie ? »

[2] Technologie de stockage et de transmission d'informations permettant à ses utilisateurs connectés en réseau de partager des données sans intermédiaire.

[3] OCDE, AMF, « Les nouveaux investisseurs particuliers en France : attitudes, connaissances et comportements », Novembre 2023.

[4] Rapport de la Cour des comptes, « Les cryptoactifs : une régulation à renforcer », 19 décembre 2023.

[6] Crypto Money Laundering : Four Exchange Deposit Addresses Received Over $1 Billion in Illicit Funds in 2022
January 26, 2023.

[7] Rapport de la Cour des comptes précité.

[8] Communiqué de presse sur le Rapport annuel 2022 de Tracfin, « LCB-FT : état de la menace », octobre 2023

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