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02.10.2025 à 18:25

Les Italiens en lutte pour Gaza

Marina Forti
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Depuis le lundi 22 septembre, l’Italie est le théâtre d’une mobilisation exceptionnelle contre les exactions commises à Gaza. Une grève générale a mobilisé près d’un demi-million de personnes, tandis que sous le mot d’ordre blocchiamo tutto – « bloquons tout » -, des rassemblements ont eu lieu dans au moins soixante-quinze municipalités, entraînant la fermeture des écoles, […]
Texte intégral (2379 mots)

Depuis le lundi 22 septembre, l’Italie est le théâtre d’une mobilisation exceptionnelle contre les exactions commises à Gaza. Une grève générale a mobilisé près d’un demi-million de personnes, tandis que sous le mot d’ordre blocchiamo tutto – « bloquons tout » -, des rassemblements ont eu lieu dans au moins soixante-quinze municipalités, entraînant la fermeture des écoles, la paralysie du trafic ferroviaire et le blocage des axes routiers et portuaires. Les plus fortes mobilisations ont été observées dans les grandes métropoles, notamment à Rome, où quelque 100 000 manifestants, selon les organisateurs, ont occupé la gare centrale avant de défiler dans les rues. Retour sur l’un des plus vastes mouvements de protestation d’Europe en faveur de la Palestine.

À l’origine de la mobilisation, plusieurs syndicats locaux ont appelé à une rupture immédiate de la coopération commerciale et militaire entre l’Italie et Israël. Au Parlement, Riccardo Ricciardi, député du Mouvement 5 étoiles, a salué les manifestations comme une tentative de « restaurer l’honneur de l’Italie ». En revanche, les ministres du parti au pouvoir, Fratelli d’Italia, ont exprimé leur soutien aux forces de l’ordre, qui ont eu recours à des gaz lacrymogènes, du gaz poivré et des canons à eau pour disperser les foules.

Depuis New York, où elle assistait à l’Assemblée générale des Nations unies, la Première ministre Giorgia Meloni a condamné les incidents survenus à la gare centrale de Milan. Son gouvernement fait face à une pression populaire croissante ; encore largement symbolique, elle témoigne d’un malaise grandissant au sein de la société italienne.

Ce débrayage national s’inscrit dans le prolongement d’une mobilisation initiée par les dockers de Gênes, l’un des ports les plus stratégiques d’Europe, en soutien à la flottille civile Global Sumud. Partie de plusieurs ports méditerranéens le mois dernier, cette initiative vise à briser le blocus imposé par Israël sur la bande de Gaza. En signe de solidarité, les travailleurs portuaires liguriens ont menacé de bloquer le départ des porte-conteneurs à destination d’Israël, alors même que la flottille a été la cible de plusieurs attaques de drones. En réponse, Mme Meloni a ordonné l’envoi de navires militaires italiens, embarquant à leur bord des citoyens – dont certains responsables politiques. Elle a toutefois qualifié leur mission de « gratuite, dangereuse et irresponsable » et a exhorté les militants à remettre leur cargaison à Chypre.

« Si nous perdons le contact avec les bateaux, ne serait-ce que vingt minutes, nous fermons toute l’Europe », a lancé Riccardo Rudino, figure du Collectif des travailleurs du port autonome de Gênes (CALP), devant une foule de 40 000 personnes réunies un samedi soir d’août aux abords du port. Ce cri d’alerte résume l’intensité d’une mobilisation qui dépasse les revendications locales. Dès la fin juillet, l’association humanitaire Music for Peace, basée à Gênes, s’est engagée dans la coordination de la flotte locale qui participerait à la flottille Global Sumud ; le CALP a été l’une des premières organisations à la rejoindre, suivi par les syndicats et les groupes communautaires locaux. La mobilisation qui a suivi, sous la chaleur du mois d’août, a largement dépassé les attentes des organisateurs.

En appelant les habitants de Gênes à fournir 40 tonnes de vivres pour les quatre navires en partance, ils ont déclenché un élan de solidarité spectaculaire : ce sont finalement 300 tonnes qui ont afflué, bien au-delà des capacités de transport. Près de 40 000 personnes – dans une ville de 560 000 habitants – ont rejoint le cortège, dans ce qui s’est révélé être la plus grande manifestation depuis le sommet du G8 de 2001. Sur la Piazza De Ferrari, la maire Silvia Salis a évoqué avec émotion l’héritage de la résistance antifasciste de Gênes, tandis qu’un représentant de la Curie romaine saluait l’événement comme la preuve que « la ville croit qu’un autre monde est possible ».

« Quand nous avons dit que nous allions tout bloquer, ce n’était pas des paroles en l’air. C’est ce que nous ferons », affirme Riccardo Rudino que j’ai rencontré quelques jours après la marche. « Chaque année, 13 ou 14 000 conteneurs de marchandises diverses quittent le port de Gênes à destination d’Israël. Mais s’ils arrêtent la flottille, pas un clou ne sortira d’ici. » Depuis le début du conflit à Gaza en octobre 2023, les travailleurs portuaires de Gênes se sont engagés dans une mobilisation constante, répondant à l’appel des syndicats palestiniens à entraver les livraisons d’armes vers Israël. L’affrontement le plus récent a eu lieu en juillet de cette année, lorsque les dockers italiens sont parvenus à empêcher l’accostage du Cosco Shipping Pisces, un cargo transportant du matériel en provenance de Singapour à destination d’Israël. Ce navire avait déjà été refoulé par les travailleurs du port du Pirée, en Grèce, avant que le syndicat des dockers grecs ne transmette l’alerte à leurs homologues italiens.

« Le blocage des ports ne date pas d’hier », rappelle Riccardo Rudino, soulignant la longue tradition d’actions coordonnées entre dockers européens. En 2019, les travailleurs du port du Havre, dans le nord de la France, ont refusé de charger des canons Caesar de fabrication française à bord du Bahri Yanbu, un cargo à destination de l’Arabie saoudite. Redoutant que les armes soient acheminées par voie terrestre vers Gênes, où le navire devait également faire escale, des militants français ont alerté le Réseau italien pour le désarmement. Le collectif des travailleurs du port autonome de Gênes a aussitôt réagi, empêchant toute cargaison militaire.

Si les obusiers ne sont pas arrivés, le navire saoudien devait néanmoins embarquer des générateurs électriques produits par l’entreprise italienne Teknel. Ceux-ci avaient été déclarés à usage civil, mais des vérifications ont révélé que le navire était autorisé à exporter des armes et que sa cargaison aurait pu être destinée à la Garde nationale saoudienne, alors engagée dans une guerre au Yémen. S’appuyant sur une loi italienne de 1990 interdisant la fourniture d’armes à des pays en guerre, les dockers de Gênes ont refusé de charger les équipements. Face à cette opposition, l’entreprise Teknel a renoncé à l’expédition, et le navire a quitté le port sans sa cargaison — qui atteindra néanmoins l’Arabie saoudite via Venise. Cet épisode a marqué un tournant : il a poussé les travailleurs portuaires de Ligurie à renforcer leurs liens avec les dockers européens, donnant ainsi naissance à un réseau anti-guerre transnational dédié à la surveillance et à la perturbation du commerce mondial des armes.

Les dockers de Gênes, surnommés les camalli, incarnent une tradition séculaire d’auto-organisation et de militantisme ouvrier. Dès 1889, à l’heure où les sociétés d’aide mutuelle se multipliaient, ils fondaient la première coopérative moderne de travailleurs portuaires de la ville. Au début du XXᵉ siècle, une série de grèves emblématiques mit fin à un système de travail journalier jugé arbitraire et injuste. Après la Seconde Guerre mondiale, cette dynamique s’est institutionnalisée avec la création de la Compagnia Unica Lavoratori Merci Varie (CULMV), chargée de la formation et de la protection des dockers. Les compagnies maritimes furent dès lors contraintes de recourir aux membres de la CULMV, plutôt que d’embaucher directement une main-d’œuvre souvent précaire et sous-payée.

Bien qu’il s’agisse d’une association de gestion de l’emploi plutôt que d’un syndicat à proprement parler, la Compagnia a longtemps été une institution clé dans le domaine de l’organisation politique et de la sensibilisation au sens large. Dans l’après-guerre, ses dirigeants et ses membres étaient majoritairement affiliés à la CGIL, le puissant syndicat à dominante communiste, et votaient massivement pour le Parti communiste italien. Au-delà de la défense de leurs propres conditions de travail, les camalli ont joué un rôle actif dans les mouvements de résistance nationale, incarnant une tradition militante profondément enracinée dans l’histoire sociale italienne.

En juin 1960, les dockers de Gênes se sont joints à l’occupation des places publiques pour empêcher le congrès du Mouvement social italien — formation néo-fasciste considérée comme l’ancêtre du parti de Giorgia Meloni — de se tenir dans leur ville. Le soulèvement, marqué par des affrontements violents avec les forces de l’ordre, a précipité la chute du gouvernement de coalition de droite dirigé par Fernando Tambroni. Ce moment fondateur illustre l’engagement politique des camalli, qui ne se limite pas aux luttes locales. Leur histoire est aussi celle d’une solidarité internationale active : en 1973, ils affrétèrent un navire rempli de vivres et de marchandises à destination de la République démocratique du Viêt Nam, un geste devenu légendaire à Gênes. Ils ont également bloqué des cargos destinés aux troupes américaines en Indochine, à la dictature de Pinochet au Chili, et ont participé au boycott contre l’Afrique du Sud sous l’apartheid.

Comme dans bien d’autres secteurs, les mutations technologiques et sociales ont profondément bouleversé le monde portuaire au cours des dernières décennies, redéfinissant les rapports de force. L’essor du transport maritime par conteneurs a transformé la logistique du commerce international, tandis que la mécanisation des quais a drastiquement réduit les besoins en main-d’œuvre : à Gênes, on comptait 8 000 dockers dans les années 1970, contre à peine 1 000 deux décennies plus tard. Dans les années 1990, la vague de privatisations qui a déferlé sur l’Italie a ouvert les docks liguriens aux entreprises privées, auxquelles les autorités portuaires — devenues de facto des propriétaires publics — louaient désormais les terminaux. Ce nouveau cadre réglementaire autorise les « opérateurs de terminaux » à recruter leur propre personnel, fragilisant le statut de la Compagnia Unica (CULMV). Pourtant, celle-ci continue de jouer un rôle central : lors des pics d’activité, les entreprises privées doivent encore faire appel à ses membres.

Aujourd’hui, le port de Gênes emploie environ 3 400 personnes, dont 2 300 dockers chargés du chargement et du déchargement des marchandises (la moitié d’entre eux sont associés au CULMV). L’emploi est stable et relativement protégé ; le CULMV garantit aux entreprises privées une certaine flexibilité et empêche ainsi la propagation du travail temporaire et mal rémunéré, qui sévit dans d’autres secteurs. « Nous avons des appareils portables et des ordinateurs, mais en fin de compte, le travail consiste toujours à charger et décharger les navires », explique Riccardo Rudino : « Dans un port de cette taille, le travail humain continue de compter ». « En ville, les dockers sont encore considérés avec beaucoup de respect », me dit Riccardo Degl’Innocenti, chercheur indépendant qui travaille sur l’histoire des docks.

Le Collectif des travailleurs portuaires autonomes est très conscient du pouvoir organisationnel et stratégique qu’il conserve, en particulier compte tenu de l’importance mondiale de son travail (Weapon Watch, un centre de recherche basé à Gênes, décrit les ports comme « le cœur du système militaro-industriel mondial ») ; et il est fier de son histoire de lutte collective. « Comme nos pères et nos grands-pères, nous ne voulons pas être complices du trafic d’armes » , me dit Rudino ; il utilise le mot « trafic” » explique-t-il, parce que ce commerce viole les réglementations italiennes et internationales, sans parler des principes d’humanité et de solidarité.

Le week-end dernier, Gênes a accueilli la première réunion internationale du Coordinamento Internazionale dei Portuali, une alliance nouvellement constituée rassemblant des dockers venus de Marseille, Athènes, Tanger et d’autres ports stratégiques. Convoquée par le syndicat italien USB, cette assemblée de deux jours a réuni des délégués de syndicats portuaires d’Europe, d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient, avec pour objectif de coordonner les actions visant à entraver les exportations d’armes vers Israël. Face aux attaques de drones subies par la flottille humanitaire, les participants ont également travaillé à l’élaboration d’une stratégie commune de riposte.

Les dockers ne se contentent pas de bloquer les cargaisons : certains ont embarqué à bord des navires de la flottille en direction de Gaza. Début septembre, une réunion publique organisée par le CALP et le syndicat USB au club des travailleurs de l’autorité portuaire de Gênes a permis de préparer la grève générale. À cette occasion, une liaison vidéo a été établie avec l’un des bateaux en mer.

Sur grand écran, apparaît le visage souriant mais épuisé d’un jeune volontaire. « Bonjour à tous », lance-t-il. « Bonjour José », répondent en chœur des dizaines de voix, sous les applaudissements. Jose Nivoi est un travailleur portuaire et membre de la CALP. « Le moral est bon. Savoir que vous nous suivez nous aide », a-t-il dit à la foule. Un travailleur du port de Livourne a déclaré au micro : « Nous nous mobilisons non seulement par solidarité avec le peuple palestinien martyrisé, mais aussi à cause de la colère que nous ressentons ». Un autre ouvrier a ajouté : « espérons que ce soit le début d’un automne bien chaud ».

Article originellement publié sur Sidecar – New Left Review sous le titre « In Genoa », traduit par Alexandra Knez pour Le Vent Se Lève.

01.10.2025 à 19:01

Victimes et bourreaux en Iran : « Un simple accident » de Jafar Panahi

Clément Carron
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Le jury du 78ème Festival de Cannes, présidé par Juliette Binoche, a décerné la Palme d’or à Un simple accident de Jafar Panahi. Dans cette fable morale, le cinéaste iranien met en scène la confrontation entre des victimes du régime et leur bourreau présumé. Il interroge leur cohabitation future dans la société qui succèdera à […]
Texte intégral (1582 mots)

Le jury du 78ème Festival de Cannes, présidé par Juliette Binoche, a décerné la Palme d’or à Un simple accident de Jafar Panahi. Dans cette fable morale, le cinéaste iranien met en scène la confrontation entre des victimes du régime et leur bourreau présumé. Il interroge leur cohabitation future dans la société qui succèdera à celle régie par les mollahs. 

Comme Robert Altman, Michelangelo Antonioni, Henri-Georges Clouzot et Jean-Luc Godard avant lui, Jafar Panahi détient désormais les récompenses suprêmes des trois plus grands festivals internationaux (Le Cercle avait remporté le Lion d’or à Venise en 2000 et Taxi Téhéran l’Ours d’or à Berlin en 2015). Depuis quatorze ans, le cinéaste iranien se retrouvait simultanément devant et derrière la caméra. Cette mise en abyme lui permettait alors de mettre en scène sa difficulté de tourner dans un régime où la censure règne en maître et musèle les artistes.

Un simple accident renoue au contraire avec les codes de la fiction classique pour mettre en scène les souffrances des anciens prisonniers de la République islamique et interroger la cohabitation entre les bourreaux et leurs victimes dans la future société iranienne. Un film qui relève tant du thriller que de la fable morale et qui rappelle par certains aspects Le Goût de la cerise de son aîné Abbas Kiarostami, lui aussi auréolé de la Palme en 1997. 

Cour de victimes

C’est à partir d’un accident a priori anecdotique, d’où le titre du film, que le récit se développe. Un homme, au volant d’une voiture dans laquelle se trouve sa femme et son enfant, percute un chien et doit donc se rendre dans un garage. Le mécanicien, Vahid, croit alors reconnaître son ancien bourreau, celui qui l’avait torturé dans les geôles de la République des mollahs. Il le poursuit, le capture, et commence à l’enterrer vivant. Problème : le tortionnaire présumé prétend ne pas être ce fameux Eghbal, surnommé « la Guibole » à cause de sa prothèse à la jambe gauche. Vahid, au volant de sa camionnette, part alors en quête d’autres victimes afin de leur présenter ce présumé coupable et de l’identifier une fois pour toutes. Le rôle central du véhicule et de son espace intérieur n’est pas sans rappeler Taxi Téhéran, à ceci près que le huis clos itinérant est cette fois intermittent. 

L’intérieur du fourgon © Les Films Pelléas

Ce road-trip ponctué d’arrêts prend très vite des airs de cour d’assises et révèle un récit à double détente. Dans la camionnette transformée en salle d’audience, les victimes reconverties en jurés tentent non seulement de reconnaître l’homme kidnappé et évanoui, mais débattent également de son sort. Si le débat, aux allures parfois de querelle, s’impose de lui-même comme une nécessité, c’est parce que les protagonistes de cette fable réagissent différemment au traumatisme vécu. De là, une bifurcation débouchant sur deux perspectives antagonistes : la vengeance et le pardon.

Mémoire corporelle

Ces disputes quant à l’avenir du captif tournent parfois à l’absurde, de même que certaines scènes à l’extérieur du fourgon – dans l’une d’elle, les victimes improvisent une séance de photos de mariage sur un parking pour tromper les policiers, intrigués par leur remue-ménage. Panahi se réfère à Beckett, et En attendant Godot est d’ailleurs cité dans le film. Vahid et ses camarades d’un jour sont plongés dans une attente réflexive et indécise qui n’en finit pas. En attendant le réveil de « la Guibole » présumée, qui n’est jamais assuré, ils ne cessent de se poser les mêmes questions et tournent inévitablement en rond. Ces débats sur la peine à prononcer n’évitent d’ailleurs pas toujours l’écueil du trop théâtral ; c’est en revanche dans la reconnaissance malaisée de leur oppresseur d’antan que la mise en scène de Panahi opère un salutaire pas de côté.

Un simple accident n’est pas dénué d’humour © Les Films Pelléas

Si Vahid et les autres ont tant de mal à identifier Eghbal, c’est parce qu’ils étaient attachés, les yeux bandés, lorsque ce dernier les torturait. Comment, dès lors, savoir si ce corps immobilisé est bien celui qui les terrorisait jadis entre quatre murs ? Il faut alors utiliser d’autres sens que la vue et tâtonner, littéralement. C’est sa voix dans le garage qui avait d’abord provoqué des sueurs à Vahid. Ses compères s’attarderont, eux, sur les grincements de sa prothèse ou encore sur son odeur. L’un d’eux ira même jusqu’à poser ses mains sur sa cicatrice, convoquant le souvenir de caresses forcées. C’est par ces perquisitions sensorielles que la petite bande pourra déterminer s’il s’agit oui ou non de celui qu’ils recherchent.

Une (pas si) simple réparation

Ce n’est pas seulement son recours à l’absurde qui rapproche Un simple accident de Beckett mais également sa description d’une société désenchantée. En attendant Godot peut être compris comme le requiem d’une condition humaine sans Dieu, sans foi, une satire de l’individu moderne en situation d’anomie, qui attend une transcendance (qui ne viendra jamais) pour régir son existence et l’empêcher de retomber à l’état de nature. De son côté, Panahi opère un déplacement de cette question de foi : c’est le soulagement qui n’advient jamais, qui se trouve empêché par les relents traumatiques. Ces derniers sont si puissants qu’ils en viennent même à troubler ce qu’il reste de sacré et de félicité – le mariage, qui pèse bien peu face aux souffrances causées par le régime précédent – dans cette société en train de se réparer. Le film de Jafar Panahi est donc à la fois optimiste, puisqu’il se place dans l’après-régime, dans une société que l’on imagine post-théocratique et dans laquelle victimes et bourreaux doivent cohabiter, et pessimiste : on ne soigne pas si facilement une société et ses âmes endolories. Cet Iran de l’après qui est, pour Panahi, déjà-là, en germe, ne pourra esquiver cette nouvelle question posée aux bourreaux, qui doivent réfléchir à leurs actes et se repentir, et à leurs victimes, qui doivent pardonner – interrogation autobiographique à laquelle Panahi, incarcéré à deux reprises par Téhéran, a sans doute beaucoup réfléchi.  

Ce déplacement temporel est d’ailleurs la raison pour laquelle, contrairement aux précédents films du cinéaste, Un simple accident dit finalement bien peu de choses sur le régime des mollahs. Il n’est pas plus loquace quant à la nature du régime qui suivra et à ses grands mouvements socio-économiques. En individualisant des questionnements moraux, Panahi semble même chercher à universaliser sa réflexion, quitte à amoindrir son caractère proprement iranien. 

Le film interroge la cohabitation entre les bourreaux et les victimes © Les Films Pelléas

Puisqu’il se rapproche davantage des codes d’une fiction traditionnelle, qu’il est moins marqué du sceau de la contrainte, Un simple accident est, tant du point de vue de la forme que du fond, moins subversif que les précédents films de Jafar Panahi – soulignons qu’il fut tout de même tourné sans autorisation du régime et que ses actrices ne sont pas voilées, ce qui est interdit par Téhéran. De même, si bien exécuté qu’il soit, le renversement de pouvoir par lequel le nouveau prisonnier se retrouve à la merci de ses anciennes victimes n’est pas inédit ; il s’agit d’un motif théâtral très usité depuis au moins L’Île des esclaves de Marivaux. Reste néanmoins qu’en l’absence de figures libres très audacieuses, les figures imposées par ces choix narratifs sont réussies, et qu’en décernant la Palme à Un simple accident, le jury cannois a aussi récompensé un cinéaste pour qui faire du cinéma a toujours été un acte de résistance et une urgence vitale.

29.09.2025 à 11:55

À Madagascar, la « Gen Z » se révolte contre la corruption

Robin Gachignard-Véquaud
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75% de la population sous le seuil de pauvreté, coupures d'eau et d'électricité, corruption endémique... Malgré la répression féroce qui a fait au moins 5 morts, la jeunesse de Madagascar a décidé de crier son ras-le-bol dans la rue et fait trembler le pouvoir. Un mouvement dégagiste de la « Gen Z » qui rappelle ceux du Sri Lanka, du Népal ou de l'Indonésie.
Texte intégral (3864 mots)

Depuis trois jours, des manifestations inédites agitent Madagascar. À l’appel du collectif de jeunesse « Gen Z Madagascar » sur les réseaux sociaux, et malgré l’interdiction, jeudi, de manifester de la préfecture d’Antananarivo, des milliers de Malgaches ont défilé dans les rues de la capitale pour dénoncer « les coupures d’électricité constantes et le manque d’accès à l’eau potable ». Le mouvement, largement composé de jeunes et d’étudiants, se revendique « pacifique et citoyen ». Au fil de la journée, la contestation a été durement réprimée : gaz lacrymogènes, violences physiques, arrestations musclées et tirs de balles en caoutchouc. Les premiers bilans font état de plusieurs dizaines de blessés et de plusieurs morts, tandis que des ONG redoutent un chiffre plus lourd. Dans un pays où 75 % de la population vit sous le seuil de pauvreté, cette mobilisation, qui semble se tenir à distance des partis politiques, dénonce un système jugé corrompu. De nouvelles manifestations ont suivi vendredi et samedi dans les grandes villes de province — Majunga, Tamatave, Tuléar. À Diego Suarez, une foule a défilé en portant le corps d’un étudiant tué par les forces de l’ordre. Madagascar s’achemine-t-il vers sa plus grave crise politique depuis l’instauration de la IVe République en 2009 ? Sur le terrain, témoignages des jeunes mobilisés et retour en images sur la situation ces 72 dernières heures.
 

Située dans l’océan Indien, au large des côtes de l’Afrique australe, Madagascar est la cinquième plus grande île du monde. Riche en ressources naturelles et dotée d’une biodiversité unique, elle peine pourtant à transformer ces atouts en développement. Avec une population de plus de 30 millions d’habitants, le pays reste marqué par une pauvreté massive : 75 % des Malgaches vivent sous le seuil de pauvreté. Dans le sud du pays, plus d’un million de personnes se trouvent depuis plusieurs années en situation d’insécurité alimentaire aiguë.

Malgré une croissance économique relativement stable — 4,2 % en 2024 —, les défaillances structurelles du système social et politique empêchent toute amélioration durable du niveau de vie. L’économie, dépendante des marchés extérieurs et freinée par l’absence d’infrastructures fiables, repose principalement sur le tourisme et les télécommunications. Les défis sociaux sont immenses. La forte croissance démographique (+2,4 % par an) alimente un marché du travail saturé, largement dominé par l’informel. Avec un salaire médian avoisinant 22 euros par mois (108 000 ariary), plus de la moitié de la population survit avec moins d’un euro par jour.

Des manifestations inédites de la jeunesse

« J’y suis allée parce que, dans les conditions où nous vivons actuellement, nous n’avons plus de perspectives d’avenir », confie Aina (prénom modifié), jeune active de 25 ans et ancienne étudiante. « Notre manifestation avait pour objectif de protester contre les coupures d’eau et d’électricité. Dans un pays où une grande partie de la population est pauvre, il faut défendre nos droits fondamentaux. »
 

Aux côtés de ses amis, elle brandit une pancarte sur laquelle on peut lire : « Si l’eau et l’électricité étaient une priorité, le problème aurait été résolu avant la construction de stades ou de téléphériques. » Un message qui dénonce la hiérarchie des projets d’infrastructures défendus par les autorités publiques.

Aina et ses amis lors de la première manifestation, le jeudi 25 septembre à Antanarivo. Traduction : ” Si l’eau et l’électricité étaient une priorité, le problème aurait été résolu avant la construction de stade ou de téléphérique”

L’effervescence gagne la société malgache : plusieurs milliers de manifestants sont descendus dans les rues de la capitale, bravant l’interdiction préfectorale. Ces derniers mois, les restrictions croissantes d’électricité, dues au manque d’infrastructures et à la baisse du niveau des barrages hydroélectriques en saison sèche, ont lourdement pesé sur le quotidien des habitants d’Antananarivo. « Les coupures durent parfois plus de huit heures par jour », témoigne un manifestant présent sur place.

Le mouvement, lancé il y a deux semaines par le collectif « Gen Z Madagascar », qui relaie ses appels à la mobilisation sur les réseaux sociaux, se revendique « pacifique, citoyen et apartisan ». Tout a commencé le 18 septembre, lorsque deux élus municipaux de l’opposition — Alban Rakotoarisoa et Clémence Raharinirina — ont été placés sous contrôle judiciaire après avoir déposé une demande d’autorisation pour un rassemblement destiné à dénoncer les pénuries, puis s’être présentés devant le Sénat. En réaction, des messages circulaient depuis plusieurs jours appelant à une grande mobilisation à Antananarivo, prévue à 11 heures sur la symbolique « place de la démocratie », au jardin d’Ambohijatovo. Très tôt le matin, des cortèges se sont formés pour rejoindre le site, rapidement verrouillé par un imposant dispositif des forces de l’ordre.

Réponse sanglante des autorités

Lanto raconte la suite, connue de nombreux manifestants : « Avec un petit groupe d’amis et de collègues, nous voulions entrer sur la place de la démocratie par le tunnel d’Ambanidia. Nous avons été repoussés à coups de bombes lacrymogènes avant même d’atteindre le tunnel. »
 

La scène a depuis été largement documentée par de nombreuses vidéos, abondamment relayées sur les réseaux sociaux. Christian, jeune engagé dans une ONG de défense des libertés publiques, confirme : « Lors de ces manifestations, il y a eu un très grand nombre de brutalités policières, que ce soit envers les manifestants ou certains journalistes. Moi-même, j’ai été braqué à bout portant avec un lance-grenades par un agent du détachement de la gendarmerie nationale appelé GSIS (Groupement de sécurité et d’intervention spéciale). » Cette unité, réputée pour sa violence et reconnaissable aux cagoules de ses membres, a rapidement été aperçue patrouillant dans les rues de Tana. 

Blessures de jeunes manifestants à la suite de la première manifestation du jeudi 25 septembre à Antanarivo.

Anja était en première ligne de la manifestation de jeudi. Elle raconte : « Nous descendions en chantant, en brandissant nos pancartes et nos banderoles. Personne n’a provoqué d’incident. Mais en arrivant au niveau des policiers, ils ont commencé à bombarder avec des gaz lacrymogènes. »

La suite, dit-elle, ressemblait à une chasse : « Nous avons pu nous réfugier dans une maison voisine, mais nous avons continué de protester depuis le balcon, avec nos pancartes et nos cris. La police remontait la rue, ils ont voulu forcer le portail pour nous arrêter, pressant le propriétaire de l’ouvrir en l’insultant et en le menaçant. Ils étaient une dizaine. Heureusement, nous avons réussi à convaincre le propriétaire de ne pas céder. À partir de ce moment-là, nous sommes restés bloqués dans la maison, témoins des barbaries qu’ils commettaient. »

De nombreuses vidéos montrent des arrestations violentes et un usage massif de gaz lacrymogènes. Les manifestants ont également été visés par des tirs de balles en caoutchouc. Les derniers bilans du week-end font états d’au moins 5 morts et de plusieurs dizaines de blessés. Un bilan provisoire et susceptible de s’alourdir selon les organisations sur le terrain.

La première soirée a été marquée par des scènes de pillages et plusieurs départs d’incendie dans la capitale. Des domiciles de parlementaires ont été attaqués, et des stations de téléphériques ont été prises pour cibles. Dès le lendemain, vendredi, de nouvelles mobilisations ont repris dans les chefs-lieux de province, notamment à Majunga, Tamatave et Tuléar. À Diego Suarez, à l’extrême nord du pays, les affrontements entre forces de l’ordre et manifestants ont été particulièrement violents. Face à l’escalade, le gouvernement a « dénoncé des individus profitant de la situation » et a annoncé l’instauration de couvre-feux dans plusieurs grandes villes.

Le collectif « Génération Z Madagascar » a « condamné fermement les actes de pillage et de destruction de biens » et diffusé sur les réseaux sociaux des mots d’ordres lors des mobilisations qui ont suivi : « Si demain les choses dégénèrent, nous donnons une consigne claire : tous les jeunes doivent rentrer chez eux. » Soucieux d’affirmer leur volonté pacifique et de répondre aux accusations, les organisateurs ont également appelé leurs militants à nettoyer les rues dès le lendemain des manifestations.

Des manifestants récupèrent les restes de balles en caoutchouc tiré par les forces de l’ordre à Antanarivo.

En parallèle, le mouvement a mis en place un formulaire de recensement et lancé des cagnottes solidaires pour soutenir les commerces touchés par les pillages. Ces petites boutiques, souvent non assurées et appartenant à des commerçants dont c’est l’unique source de revenu, disposent de très peu de moyens pour se protéger. En réaction, des habitants se sont organisés en « groupes d’autodéfense » dans plusieurs quartiers de la capitale — Alasora, Andoharanofotsy, Ampandrana et ailleurs — afin d’enrayer les violences urbaines. Beaucoup dénoncent l’absence des forces de l’ordre, jugées « miraculeusement disparues ». 

Lors d’une allocution, le président de la République, Andry Rajoelina, a annoncé le limogeage du ministre de l’énergie et des hydrocarbures après avoir « constaté qu’il ne faisait pas son travail ». Face à la mobilisation, il s’est également dit prêt à dialoguer et à présenter un calendrier d’actions pour résoudre les problèmes d’électricité et d’eau ce samedi 27 septembre. Enfin, il a annoncé une émission spéciale pour détailler les projets en cours, tout en reconnaissant les retards dans les grands chantiers énergétiques, tels que Sahofika (projet de construction du plus grand barrage hydroélectrique du pays), Volobe (autre projet de barrage relancé après l’arrivé au capital d’EDF) ou la centrale thermique d’Ambohimanambola. Des annonces très insuffisantes pour apaiser la colère des jeunes manifestants à Antananarivo.

« Une corruption systémique au sein des institutions »

Symbole de l’inspiration internationale du mouvement, le drapeau pirate du Vogue Merry, issu du manga One Piece, était brandi par les jeunes manifestants. Très visible ces derniers mois dans les pays du Sud — aux Philippines, au Népal ou plus récemment en Indonésie, où les autorités l’ont interdit —, sa présence à Madagascar illustrait le sentiment de proximité des jeunes Malgaches avec les mobilisations anti-corruption à travers le monde. En France, ce même drapeau avait notamment été aperçu lors des manifestations des 10 et 18 septembre.
 

Cette série manga, mondialement connue — imprimée à plus de 500 millions d’exemplaires depuis 1997 et diffusée en milliers d’épisodes — met en scène le pavillon pirate mené par le héros Monkey D. Luffy, confronté tout au long de son périple à la corruption des hauts dirigeants. Le symbole est ainsi sorti de la fiction pour s’inscrire dans le réel des revendications. Au Népal, le mouvement protestataire, également appelé GenZ, a fini par provoquer le renversement du gouvernement en place. Pour tenter d’endiguer la contestation, les autorités avaient tenté de couper l’accès à Internet aux jeunes. Le monde avait alors été marqué par des images d’affrontements, d’émeutes et d’incendies. Une nouvelle Première ministre a finalement été nommée à la suite de consultations massives sur Discord : plus de 100 000 utilisateurs s’étaient réunis virtuellement pour décider qui pourrait occuper ce poste, et un compromis fut trouvé avec Sushila Karki, femme politique de 73 ans et ancienne présidente de la Cour suprême.
 

Ces aspirations « dégagistes » se retrouvent dans les manifestations malgaches. Les revendications dépassent rapidement le seul problème de l’électricité. « On ne réclame pas uniquement de l’électricité. On veut la fin des monopoles économiques mis en place par le régime, on dénonce la mauvaise gestion des affaires de l’État. Et on veut le départ des gouvernants corrompus », explique Christian.
 

Est dénoncé le fonctionnement de la JIRAMA, compagnie nationale d’eau et d’électricité de Madagascar en charge de sa distribution à la population. Devenue une société anonyme depuis juin 2025, la JIRAMA était alors dans le viseur de la Banque Mondiale qui réclamait, en contrepartie de son aide financière, une évolution du fonctionnement de la structure et une plus grande transparence. Les manifestants tiennent la compagnie comme responsable et accuse les dirigeants de s’accaparer l’argent des marchés publics.

Comme au Népal ou en Indonésie, le mouvement « Gen Z » malgache se présente aujourd’hui sous une forme horizontale et impersonnelle. Dans un rapport publié sur Instagram, la « Gen Z Madagascar » donne sa version des faits et rappelle son mode de fonctionnement : « Les leaders de la Gen Z Madagascar restent inconnus. » Dans un autre message, toujours sur le même réseau, le mouvement rejette toute forme de personnalisation : « Avoir un seul leader donne le pouvoir à quelqu’un, et c’est là que l’égoïsme et la corruption apparaissent. La solution n’est pas de chercher un nom au sommet. La solution, c’est de changer de mentalité. ».

Selon l’indice annuel de perception de la corruption de l’ONG Transparency International, Madagascar a obtenu en 2024 la note de 26/100 (0 représentant le niveau de corruption le plus élevé), ce qui place le pays parmi les plus corrompus du continent africain, à la 140ᵉ place sur 180 pays. Ce problème, identifié depuis des décennies, n’a jamais été résolu, malgré les promesses répétées des gouvernements successifs. L’instabilité politique du pays est un fait connu. Solofo Randrianja, professeur d’histoire à l’université de Tamatave (Toamasina) et spécialiste à de la vie politique contemporaine, analysait dans les colonnes du journal Le Monde cette instabilité lors des récentes crises électorales de 2023 : « Madagascar est schizophrène comme beaucoup pays d’Afrique. La culture politique locale n’a pas réussi à intégrer, pour le bien de l’ensemble de la population, les éléments de gouvernance importés avec la colonisation puis au travers des Constitutions – quatre au total – adoptées depuis l’indépendance. »

C’est ce ras-le-bol et le manque de confiance en de nouvelles promesses qui poussent aujourd’hui la jeunesse à descendre dans la rue. Lors de l’élection présidentielle de novembre 2023, qui a vu la réélection du président sortant, Andry Rajoelina,  dès le premier tour, des irrégularités massives avaient été constatées : distributions massives de riz, versements d’argent, promesses de marchés publics et fonds de campagne opaques. Des manifestations de protestation avaient alors été réprimées et dix des treize candidats déclarés avaient appelé au boycott de l’élection. Depuis, le parti présidentiel a vu son pouvoir se consolider, lors des élections législatives qui suivirent, en décrochant une majorité absolue à l’assemblée nationale. Plus de la moitié de la population inscrite ne s’était alors pas rendue aux urnes.

De nombreux départs de feu et pillages ont été constatés en marge des manifestations dans la nuit de jeudi à vendredi.

Des opposants politiques historiques du gouvernement, dont notamment l’ancien président Marc Ravalomanana, semblent suivre les événements de très près. Dans une déclaration du week-end, l’ancien chef de l’Etat (2002-2009), qui avait été contraint de quitter le pouvoir après une crise politique majeure, a fustigé la mauvaise gestion et l’opacité des fonds de la JIRAMA, tout en réclamant des audits indépendants.

Mais à l’instar des mouvements de jeunesse anti-corruption sud-asiatiques, les manifestants malgaches se méfient fortement de toute récupération politique. Ces derniers jours, après chaque manifestation suivie de déclarations de représentants politiques, le mouvement publiait des messages de clarification : « À tous les hypocrites et politiciens qui nous republient : nous ne voulons ni de vous, ni de votre soutien. On sait que vous et vos parents collaborez avec les corrompus de l’État, et nous connaissons toutes les choses horribles que vous et vos parents faites ».

Ces mobilisations contre la corruption, ciblant directement l’élite économique et politique — de nombreux manifestants critiquant le train de vie luxueux de la famille présidentielle — ont été suivies par des rassemblements de soutien de la diaspora dans les capitales européennes. Preuve encore une fois d’une connexion internationale. En France, plusieurs centaines de personnes se sont rassemblées devant l’ambassade de Madagascar à Paris, dénonçant la corruption et « le népotisme » au sommet de l’État. À plusieurs milliers de kilomètres des événements, la foule scandait son soutien aux manifestants malgaches avec des slogans tels que « Criminels, assassins ! » ou « Démission ! », visant directement les autorités.

Parmi la foule, de nombreux jeunes, souvent expatriés ou détenteurs de la double nationalité, affirmaient se sentir solidaires avec leurs compatriotes. Sur place, à Tana, une étudiante souhaitant garder l’anonymat explique : « Beaucoup de jeunes ne voient pas d’avenir à Madagascar et préfèrent s’en aller à l’étranger. Mais la plupart n’ont pas les moyens de le faire. C’est pour cela qu’ils descendent dans la rue. Nous voulons un meilleur avenir.

« Ils ont longtemps cru que nous étions passifs »

Une révolte populaire est-elle en marche à Madagascar ? Les tensions actuelles ravivent en tout cas les souvenirs du passé : de janvier à juillet 2002, Madagascar avait été secoué par une crise politique majeure, marquée par des manifestations de masse et de violents affrontements à la suite de l’élection présidentielle de 2001, qui avait opposé deux camps rivaux. En 2009, une nouvelle série d’émeutes et de manifestations avait contraint l’ancien président Marc Ravalomanana à démissionner, mettant de facto fin à la Troisième République. Le maire de la capitale, Andry Rajoelina, s’était alors proclamé président par intérim. La communauté internationale avait condamné cette prise de pouvoir, la qualifiant d’« anticonstitutionnelle et antidémocratique » et parlant à l’époque de coup d’État. Un processus de règlement du conflit avait finalement abouti à l’adoption d’une nouvelle constitution, formellement approuvée le 11 décembre 2010.

A son tour, la génération née dans les années 2000 semble vouloir tourner la page des espoirs déçus. « Seize ans de mépris. Seize ans de corruption. Seize ans à regarder les gouvernements successifs s’engraisser sur notre misère. Seize ans d’humiliation. Seize ans de résilience », peut-on lire dans un communiqué du mouvement daté du 26 septembre. Pour Aina, les manifestations de ces derniers jours ne sont peut-être que le début d’une prise de conscience collective : « Nous espérons que le mouvement d’hier, la venue massive de la population, a ouvert les yeux des dirigeants. Ils ont longtemps cru que nous étions passifs. L’important aujourd’hui est que nous avons montré que nous sommes bien là. »

De nouvelles manifestations pacifiques ont eu lieu samedi 27 septembre dans les rues de la capitale et en province.

Est-ce un premier réveil annonciateur d’autres mobilisations ? Christian note des signes encourageants : « C’est la première fois que notre génération s’organise d’elle-même, avec ses propres moyens contre la mauvaise gouvernance et grâce aux réseaux sociaux. » Il reste toutefois conscient de la fragilité du mouvement : « Le doute s’installe aussi parmi nous lorsque nous voyons le niveau de répression brutale et la guerre d’informations que nous lancent les autorités. »

Ces dernières heures, des messages appelant à de nouvelles mobilisations circulent sur les réseaux sociaux. Pour l’instant cantonné aux grandes villes, le mouvement espère se faire entendre dans tout le pays. Après un week-end mouvementé, une mobilisation générale des étudiants est prévue au campus d’Ankatso ce lundi 29 septembre. Les organisateurs ont annoncé un délai de 48 heures pour obtenir des réponses concrètes des autorités. L’université publique d’Antananarivo, comme bon nombre d’établissements d’enseignement secondaire ont annoncé maintenir la suspension des activités académiques jusqu’à nouvel ordre. A ce jour, aucun plan concret n’a été annoncé par les pouvoirs publics afin de répondre aux problèmes d’accès à l’eau et l’électricité. Les prochains jours diront si Madagascar rejoindra l’effervescence d’un mouvement mondial porté par une jeunesse avide de démocratie.

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